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Référence : 2014 CCI 374

Date : 20150112

Dossier : 2012-5128(IT)G

ENTRE :

ANDRÉ PYONTKA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

La juge D’Auray

Contexte

[1]             Dans cet appel, le ministre du Revenu national (le ministre) a établi des cotisations ajoutant aux revenus de l’appelant des montants de 308 000 $ pour l’année d'imposition 2005 et de 786 944 $ pour l’année d’imposition 2006, à titre de revenus d’entreprise.

[2]             Selon le ministre, ces revenus proviennent de la vente d’immeubles (immeubles en litige) par l’appelant durant les années d’imposition 2005 et 2006.

[3]             L’année d’imposition 2005 n’a pas été cotisée par le ministre dans le délai de trois ans prescrit au paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

[4]             Le ministre a aussi cotisé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi pour les années d’imposition 2005 et 2006.

[5]             Dans la réponse à l’avis d’appel déposée auprès de cette Cour, le ministre a tenu pour acquis les faits suivants, pour établir les cotisations pour les années d’imposition 2005 et 2006 :

a)   Durant les années d’imposition 2005 et 2006, l’appelant recevait des prestations d’assistance sociale;

b)   Bien que l’appelant recevait des prestations d’assistance sociale, ses activités régulières étaient d’acheter des immeubles dans le but de les revendre à profit;

c)   Ainsi, l’appelant a personnellement acquis et vendu, à profit, au cours des années d’imposition 2005 et 2006, sept (7) immeubles, tel qu’il appert des données inscrites au tableau suivant :

Adresse

Date de l’achat

Prix de base rajusté

Date de la vente

Produit de disposition

Bénéfice net

5626 Normanville, Montréal

06/06/2005

170 000 $

08/12/2005

295 000 $

125 000 $

11452 Notre-Dame, Montréal

 

29/06/2005

 

160 000 $

 

08/09/2005

 

343 000 $

 

183 000 $

REVENU D’ENTREPRISE TOTAL 2005

308 000 $

 

Adresse

Date de l’achat

Prix de base rajusté

Date de la vente

Produit de disposition

Bénéfice net

2331 rue Ontario, Montréal

15/12/2005

30 000 $

04/07/2006

235 000 $

205 000 $

3171 rue Adam, Montréal

 

21/12/2005

 

75,000 $

 

17/03/2006

 

235 000 $

 

160 000 $

11305 Dorchester, Montréal

 

24/11/2005

 

178 056 $

 

27/03/2006

 

300 000 $

 

121 944 $

215 rue Gentilly, Longueuil

 

09/09/2005

 

170 000 $

 

13/01/2005

 

360 000 $

 

190 000 $

101 de la Grande-Allée, Montréal

 

08/09/2005

 

55 000 $

 

17/04/2006

 

165 000 $

 

110 000 $

REVENU D’ENTREPRISE TOTAL 2006

786 944 $

 

d)   L’appelant a contracté des prêts importants pour financer chacun de ces achats;

e)   La période de détention moyenne de ces immeubles par l’appelant est de 4,9 mois;

f)   L’intention de l’appelant était de faire un profit lors de la revente des immeubles;

g)   L’appelant ne cherchait pas à tirer un revenu de location des immeubles;

h)   Tous les actes d’achat et de vente ont été signés par l’appelant;

i)    le contribuable n’a pas été victime d’usurpation d’identité.

[6]             De plus, au paragraphe 22 de la réponse à l’avis d’appel, l’intimée s’est aussi appuyée sur les faits suivants :

a)   En plus des immeubles précédemment mentionnés, l’appelant a personnellement acquis au prix de 120 000 $, l’immeuble situé au 1025‑1027, 48e Avenue à Montréal, le 1er juin 2005;

b)   Le 25 août 2005, l’appelant a vendu cet immeuble au prix de 280 000 $;

c)   L’appelant n’a habité aucun des huit (8) immeubles en cause;

d)   Les actes d’achat, de vente et de prêt relatifs aux huit (8) immeubles en cause ont été effectués devant le même notaire et ils ont tous été signés par l’appelant;

e)   L’appelant a procédé à l’ouverture d’un compte bancaire à la Caisse populaire Desjardins Saint-Pierre-Apôtre à Longueuil en date du 8 novembre 2005;

f)   Les opérations bancaires ayant trait à la plupart des transactions immobilières ont été effectuées dans ce compte bancaire, par l’appelant ou par un mandataire autorisé par lui.

[7]             Alternativement, l’intimée a aussi plaidé au paragraphe 23 de la réponse à l’avis d’appel, que si l’appelant n’a pas personnellement acheté et vendu ces immeubles, le sous-procureur général du Canada s’appuie alors sur les faits suivants :

a)   Ces transactions font partie d’un stratagème de transactions immobilières frauduleuses plus communément appelé « flip immobilier »;

b)   L’appelant a participé à ce stratagème, en suivant les étapes décrites ci-après pour chacun des immeubles en cause;

c)   L’appelant accepte d'être prête-nom pour l’achat d’un immeuble à bas prix;

d)   Pour financer l’achat de l’immeuble, l’appelant obtient un prêt d’un particulier, lequel était remboursable dans un délai d’un (1) an;

e)   Le prêteur participe sciemment au stratagème;

f)   Jusqu’au complet remboursement du prêt, seuls des versements d’intérêts étaient mensuellement dus et exigibles;

g)   Ces intérêts constituent, en partie du moins, la rémunération du prêteur, pour sa participation au stratagème;

h)   Quelques mois après l’achat de l’immeuble, l’appelant accepte d’être prête-nom de nouveau pour la revente du même immeuble à un acheteur avec qui il est de connivence, à un prix supérieur à sa juste valeur marchande;

i)    L’acheteur de l’immeuble obtient alors d’une institution financière un prêt hypothécaire surévalué comparativement à la juste valeur marchande de l’immeuble;

j)    À l’issue de ces transactions, l’appelant accepte d’être prête-nom pour l’encaissement de la différence entre le montant de l’hypothèque et le prix versé au vendeur initial;

k)   Les revenus ainsi obtenus ne sont pas déclarés aux autorités fiscales par quiconque;

l)    Après quelques mois, l’acheteur cesse de rembourser le prêt hypothécaire détenu par l’institution financière;

m)  Des recours hypothécaires sont alors entrepris par l’institution financière à l’encontre de l’acheteur;

n)   Plusieurs individus, dont l’appelant, agissent sciemment comme prête-nom aux différentes étapes de ce stratagème;

o)   L’appelant a reçu d’importantes sommes d’argent en contrepartie des services qu’il a rendus à titre de prête-nom dans ces transactions.

Questions en litige

[8]             Est-ce que le ministre a correctement inclus les montants de 308 000 $ pour l’année d’imposition 2005 et de 786 944 $ pour l’année d’imposition 2006 à titre de revenus d’entreprise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi?

[9]             Est-ce que le ministre pouvait cotiser l’année d’imposition 2005 en vertu du sous-alinéa 152(4)(a)(i) de la Loi, soit après le délai normal pour cotiser?

[10]        Est-ce que le ministre pouvait cotiser des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi pour les années d’imposition 2005 et 2006?

Fardeau de la preuve

[11]        Dans les affaires de nature fiscale, le fardeau de la preuve repose sur le contribuable. Ce dernier doit réfuter les faits tenus pour acquis par le ministre. Ainsi, dans le présent appel, l’appelant doit prouver que le ministre a incorrectement ajouté à son revenu les montants relatifs aux ventes d’immeubles.

[12]        En ce qui a trait à l’année d’imposition 2005, le ministre a cotisé l’appelant hors du délai normal pour établir une cotisation. Ainsi, la cotisation sera valide si l’intimée prouve que l’appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou a commis quelque fraude en produisant sa déclaration d’impôt pour l’année d’imposition 2005.

[13]        L’intimée doit aussi prouver que le ministre a correctement cotisé des pénalités selon le paragraphe 163(2) de la Loi. L’intimée doit établir que l’appelant a sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2005 et 2006.

Preuve et position des parties

[14]        L’appelant fait valoir que les transactions immobilières en litige ont été faites à son insu. Il fait valoir qu’il n’a jamais acheté ou vendu les immeubles en litige et qu’il n’a pas signé les actes d’achat, de vente et d’hypothèque. Selon l’appelant, quelqu’un aurait imité sa signature sur ces actes.

[15]        De plus, l’appelant fait valoir qu’il ne connaît pas Me Brossard, le notaire qui a exécuté les actes notariés d’achat, de vente et d’hypothèque afférents aux immeubles en litige.

[16]        L’appelant a indiqué qu’entre 2006 et 2008, il s’est fait voler ou a perdu son portefeuille contenant toutes ses cartes d’identité. Selon l’appelant, cela pourrait expliquer pourquoi son nom se retrouve sur les actes afférents aux immeubles en litige. L’appelant serait victime d’un vol d’identité.

[17]        L’appelant aurait eu connaissance qu’une personne aurait utilisé son identité vers le mois d’octobre 2010, quand il a reçu d’Hydro Québec une facture d’électricité pour un montant de 3 800 $ pour les immeubles en litige. Afin que l’électricité soit maintenue, l’appelant a payé ce montant à Hydro Québec.

[18]        L’appelant a aussi indiqué avoir appris durant cette même période, soit en octobre 2010, que Revenu Québec avait ajouté à son revenu pour les années d'imposition 2005 et 2006, les sommes découlant de la vente des immeubles en litige.

[19]        L’appelant s’est alors présenté au bureau de sa députée, madame Weil. À cet effet, monsieur McMahon, le conseiller politique de madame Weil, a assisté l’appelant auprès d’organismes dont, Revenu Québec.

[20]        Le dossier de l’appelant à Revenu Québec était clos, car ce dernier n’avait pas déposé des avis d’opposition aux cotisations pour les années d’imposition 2005 et 2006. Cela étant dit, vers la fin 2010 ou au début de l’année 2011, Revenu Québec a accepté de réviser administrativement le dossier de l’appelant.

[21]        Le 28 février 2011, monsieur McMahon a aussi accompagné l’appelant afin qu’il dépose une plainte au Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) pour vol d’identité.

[22]        L’appelant a aussi fait plusieurs démarches auprès des Caisses populaires Desjardins (CPD) afin d’obtenir des renseignements sur un compte bancaire. Selon l’appelant, un compte bancaire a été ouvert à son insu à la succursale de Longueuil de la CPD.

[23]        L’appelant a aussi contacté la Chambre des notaires afin d’obtenir des copies des actes notariés relatifs aux immeubles en litige et pour demander une enquête sur les transactions immobilières visant les immeubles en litige.

[24]        Des copies de transactions bancaires du compte bancaire de la CPD à Longueuil ont été fournies à l’appelant. La Chambre des notaires a aussi fourni à l’appelant des copies des actes notariés de certains des immeubles en litige.

[25]        Cependant, faute de preuve, la SPVM a fermé le dossier de l’appelant en 2011.

[26]        Revenu Québec, après la révision administrative du dossier, n’a pas modifié les cotisations établies à l’encontre de l’appelant pour les années d’imposition 2005 et 2006.

[27]        En septembre 2011, un membre de la sécurité chez CPD, monsieur Champagne, a laissé entendre à l’appelant qu’il aurait pu servir de prête-nom dans un stratagème relatif à l’achat et la vente d’immeubles, ce que l’appelant a nié fortement et à cet égard, l’appelant a arrêté tout contact avec monsieur Champagne.

[28]        Le 31 janvier 2013, la Chambre des notaires considérant que le dossier était non fondé, a fermé le dossier de l’appelant. Il est à noter que dans une correspondance adressée à l’appelant en date du 24 octobre 2012, le syndic adjoint de la Chambre des notaires, Me Maryse Laliberté, a écrit ce qui suit :

Vous avez déclaré qu’on avait volé votre identité. Pourtant, le notaire et la secrétaire du notaire attestent que vous êtes bien la personne figurant au permis de conduire trouvé au dossier qui s’est rendue à plusieurs reprises signer au bureau du notaire.

[…]

[29]        Quant à l’intimée, elle plaide que c’est la signature de l’appelant qui est apposée sur les actes notariés relatifs aux immeubles en litige. Elle fait valoir qu’en vertu de la preuve orale et documentaire présentée lors de l’audience, l’appelant a acheté lors de l’année 2005, huit immeubles et en a vendu trois alors qu’en 2006, l’appelant en a vendu cinq. Le ministre du Revenu national a donc correctement inclus dans les revenus de l’appelant, les montants de 308 000 $ pour l’année d’imposition 2005 et de 786 944 $ pour l’année d'imposition 2006 à titre de revenus d’entreprise.

[30]        L’intimée a fait témoigner Me Brossard, le notaire qui a exécuté les actes relatifs aux immeubles en litige. Me Brossard a expliqué que lors de la signature d’actes notariés, il a l’obligation d’obtenir une preuve d’identité de la part des signataires. Dans le cas de l’appelant, il a obtenu son permis de conduire. À cet effet, une copie du permis de conduire de l’appelant était toujours à son dossier.

[31]        Déposée en preuve par l’intimée, la photo apparaissant sur le permis de conduire était celle de l’appelant. Le permis avait été délivré par la Société de l’assurance automobile du Québec le 14 juin 2002 et expirait le 10 juin 2006.

[32]        Me Brossard a aussi identifié l’appelant comme la personne qui s’était rendue à son bureau pour signer les actes notariés.

[33]        Madame Christiane Auger a aussi témoigné. Elle est la conjointe de Me Brossard et depuis 2003, elle est l’adjointe de MBrossard. Madame Auger a aussi identifié l’appelant comme la personne qui s’était rendue à plusieurs reprises au bureau de Me Brossard pour signer les actes notariés relatifs aux immeubles en litige.

[34]        Monsieur Daniel Perreault a témoigné qu’il a été victime d’un stratagème d’achats et de ventes d’immeubles. Il a indiqué que son frère, monsieur Gaétan Perreault l’a convaincu qu’il pouvait gagner un revenu en achetant un immeuble sur la rue Notre-Dame Est à Montréal. Son frère, Gaétan, lui avait indiqué que l’immeuble serait revendu à un troisième acheteur et au moment de cette revente, il recevrait une commission. À son insu, monsieur Daniel Perreault s’est retrouvé débiteur hypothécaire d’un montant beaucoup plus élevé auprès de la CPD que la valeur de l’immeuble.

[35]        Monsieur Perreault a identifié l’appelant comme le vendeur de l’immeuble de la rue Notre-Dame Est à Montréal. Il a indiqué que l’appelant était au bureau de Me Brossard au moment de la transaction.

[36]        Monsieur Daniel Perreault a déposé le 4 avril 2006 auprès de la Cour supérieure du Québec (CSQ), une requête introductive d’instance contre plusieurs défendeurs, dont l’appelant. Par cette requête, monsieur Daniel Perreault demandait, entre autres, que la vente de l’immeuble soit annulée et que les montants afférents à la vente lui soient remboursés. Monsieur Daniel Perreault a déclaré faillite. Conséquemment, la requête devant la CSQ n’a pas procédé.

[37]        Monsieur Daniel Perreault a aussi témoigné qu’il avait fait des travaux de rénovation pour son frère Gaétan Perreault en juillet-août 2005, et qu’à cette époque, l’appelant travaillait aussi pour son frère.

[38]        L’intimée a aussi fait témoigner madame Julie Binette à titre d’experte en analyse d’écriture. Madame Binette occupe le poste d’examinatrice judiciaire de documents à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Madame Binette a un baccalauréat ès sciences, chimie de l’Université de Sherbrooke. Après avoir remporté un concours pour un poste d’examinatrice judiciaire au sein de l’ASFC, madame Binette a suivi pendant quatre ans une formation de type mentorat en analyse d’écriture et analyse documents. Après avoir terminé sa formation et passé ses examens, elle a obtenu un certificat lui permettant de faire de l’analyse de l’écriture en 2007 et un certificat lui permettant de faire l’analyse de documents en 2011.

[39]        Madame Binette est membre de la Société canadienne des sciences judiciaires depuis 2009. Suite aux explications qu’elle a données quant à sa formation et son expérience dans le domaine de l’analyse de l’écriture, je l’ai qualifié à titre d’experte dans l’analyse de l’écriture. Elle a donc témoigné à titre d’experte en analyse d’écriture dans le présent appel.

[40]        Madame Binette avait pour mandat d’effectuer une comparaison des signatures de l’appelant entre les documents en litige, soit les actes notariés exécutés par le notaire Brossard et les spécimens, soit des documents signés par l’appelant, tels que l’avis de requête, déclaration sous serment, chèques, déclarations de revenus 2006 et 2007, demande de prolongation de délai, avis d’opposition, lettre à madame Beauchesne et déclaration de témoin à la SPVM.

[41]        Madame Binette a reçu copie des actes notariés et les spécimens de comparaison le 14 janvier 2013. Le 16 janvier 2013, madame Binette s’est rendue au bureau de Me Brossard pour examiner les originaux des documents en litige. Elle a examiné sur place les originaux de chaque acte d’achat, de vente et d’hypothèque. Elle a numérisé à haute résolution la signature apposée sur chacun de ces actes.

[42]        Quant aux spécimens de comparaison, madame Binette a reçu les copies de documents à son bureau le 4 janvier 2013. Elle s’est aussi rendue le 16 janvier 2013 à Revenu Québec à Montréal afin d’examiner les déclarations de revenus originales. Elle a examiné la signature de l’appelant sur les déclarations de revenus originales pour les années 2005, 2006, 2007 et 2010. Elle a de plus numérisé à haute résolution les signatures de l’appelant. Elle a aussi reçu de Revenu Québec des spécimens de comparaison originaux en ce qui à trait aux déclarations de revenus pour les années d’imposition 2008 et 2009. Quant aux chèques, madame Binette détenait les originaux. Madame Binette a, par la suite, comparé chaque spécimen à chaque acte notarié[1].

[43]        Madame Binette a expliqué qu’après l’analyse de l’écriture, les conclusions suivantes sont possibles : par exemple, une conclusion « identification » indique qu’il ne fait aucun doute dans l’esprit de l’examinateur que le scripteur des spécimens de comparaison a exécuté l’écriture en litige. Si l’examinateur arrive à la conclusion « élimination », c’est qu’il ne fait aucun doute dans l’esprit de l’examinateur que le scripteur des spécimens de comparaison n’a pas exécuté l’écriture en litige.

[44]        Une autre conclusion possible est une « forte probabilité d’identification » ou une « forte probabilité d’élimination ».

[45]        Une forte probabilité d’identification indique que les indices trouvés soutiennent l’argument que l’écriture en litige et celle des spécimens ont été produites par un seul scripteur. Cette conclusion constitue une très forte indication qu’un seul scripteur est impliqué et la possibilité qu’un autre scripteur puisse être considéré est négligeable. La forte probabilité d’élimination signifie qu’il y a de fortes probabilités que l’écriture en litige et celle des spécimens a été produite par des scripteurs différents.

[46]        Dans le présent appel, madame Binette a conclu « identification », c’est-à-dire qu’en comparant les spécimens signés par l’appelant aux documents en litige, il ne fait aucun doute que le scripteur des spécimens de comparaison, soit l’appelant, a exécuté les signatures aux documents L-1 à L-17, L-19, L-22 et L‑23[2].

[47]        Quant aux documents L-18, L-20 et L-21, madame Binette a conclu qu’il y a une forte probabilité d’identification, c’est-à-dire, qu’il y a une forte indication qu’un seul scripteur est impliqué et la possibilité qu’un autre scripteur puisse être considéré est négligeable. Selon madame Binette, il y a de fortes probabilités que ce soit la signature de l’appelant sur les documents en litige L-18, L-20 et L‑21.

[48]        Madame Binette a expliqué que le travail d’une analyste judiciaire est toujours révisé par une collègue également analyste judiciaire. Sa collègue aurait conclu « identification » pour tous les documents.

Analyse

[49]        Dans un dossier en fiscalité, il incombe à l’appelant de démolir les faits tenus pour acquis par le ministre.

[50]        Il m’est difficile de ne pas mettre en doute la crédibilité de l’appelant, eu égard aux témoignages de Me Brossard, de son adjointe, madame Auger et de monsieur Daniel Perreault. Ces trois personnes ont identifié l’appelant comme étant la personne qui a participé aux transactions immobilières afférentes aux immeubles en litige.

[51]        De plus, l’experte en analyse d’écriture, madame Binette, après avoir comparé l’écriture des spécimens de comparaison avec les documents en litige L‑1 à L-23, a conclu « indentification » pour 20 des 23 documents en litige soit les documents en litige L-1 à L-17, L-19, L-22, et L-23 et une forte probabilité d’identification pour les trois autres, soit les documents L-18, L-20 et -L21. Par conséquent, selon l’experte, madame Binette, c’est la signature de l’appelant qui est apposée sur les documents en litige.

[52]        De plus, j’ai aussi noté certaines incohérences dans le témoignage de l’appelant :

a)     On note que plusieurs transactions immobilières ont eu lieu en 2005. L’appelant a indiqué s’être fait voler ou avoir perdu ses cartes d’identité entre 2006 et 2008. Comment la perte ou le vol de ses cartes d’identité entre 2006 et 2008 aurait pu affecter les transactions immobilières en 2005?

b)    Il est aussi difficile de comprendre pourquoi l’appelant s’est rendu à la SPVM seulement en 2011 pour rapporter qu’il a été victime d’un vol d’identité. En vertu de la preuve, Revenu Québec cotisait l’appelant en 2008 pour la vente des immeubles en litige. Pourquoi l’appelant n’a pas avisé la SPVM en 2008 dès qu’il a appris qu’une personne se servait de son identité? De plus, il est difficile de concevoir comment une personne peut vivre sans cartes d’identité pendant une aussi longue période;

c)     L’appelant a témoigné lors de l’audience avoir eu connaissance que Revenu Québec avait établi une cotisation à son encontre vers le mois d’octobre 2010. Cependant, il a été déposé en preuve que le 12 septembre 2008, Revenu Québec a fait parvenir à l’appelant un projet de cotisation ajoutant à ses revenus, les montants de 308 000 $ pour 2005 et 786 944 $ pour 2006, à titre de revenus d’entreprise pour la vente des immeubles en litige;

d)    L’appelant n’ayant pas fourni de commentaires à Revenu Québec quant au projet de cotisation, Revenu Québec a établi une cotisation datée du 22 décembre 2008;

e)     Lors de l’audience, l’appelant n’a pas indiqué qu’il n’avait pas reçu le projet ni l’avis de cotisation de Revenu Québec en 2008. Il a indiqué ne pas avoir déposé un avis d’opposition, car il était sous l’impression que Revenu Québec avait le fardeau de prouver qu’il avait effectué les transactions immobilières;

f)      De plus, l’appelant a déposé en preuve la pièce A-8, soit la Requête introductive d’instance déposée auprès de la CSQ par monsieur Daniel Perreault. Cette requête est datée du 4 avril 2006. L’appelant était un des défendeurs. Il y a donc des probabilités que l’appelant ait été mis au courant de cette poursuite bien avant 2010. Monsieur Daniel Perreault, à titre de demandeur, faisait valoir que l’appelant avait servi de prête-nom quant à la vente de l’immeuble de la rue Notre-Dame Est à Montréal. Il est donc difficile de croire l’appelant quand il dit qu’il a eu connaissance des transactions immobilières seulement qu’en octobre 2010;

g)     De plus, lors de l’audience, il a indiqué que pendant les années en litige, il n’habitait pas avec sa conjointe et qu’il n’avait pas de résidence fixe. Cependant, dans ses déclarations de revenus de 2005 à 2010, il a déclaré avoir comme conjointe madame Reeves. De plus, les adresses utilisées par l’appelant étaient les mêmes que sa conjointe. À cet effet, fait inusité, l’appelant dit avoir réglé une partie de la facture d’Hydro Québec pour les immeubles en litige afin de protéger ses enfants, il ne voulait pas qu’Hydro Québec coupe l’électricité. En vertu des déclarations d’impôts de l’appelant et de la preuve, ses enfants n’ont pas vécu dans les immeubles en litige;

h)    L’appelant a aussi indiqué qu’il ne pouvait pas ouvrir de compte bancaire, n’ayant pas de cartes d’identité. Il utilisait un compte qu’il détenait avec sa conjointe et utilisait la carte bancaire de cette dernière et cela, malgré qu’ils vivaient séparés;

i)       En ce qui a trait aux années d’imposition 2005 à 2010, il a indiqué qu’il n’avait jamais travaillé et que son revenu provenait uniquement des prestations d’assistance sociale. Cependant, monsieur Daniel Perreault a indiqué qu’il avait travaillé avec lui pour une période d’environ deux semaines en 2005.

[53]        À la lumière de la preuve orale et documentaire dans le présent appel, je suis d’avis que le ministre a correctement cotisé l’appelant pour les années d’imposition 2005 et 2006.

[54]        Je suis aussi d’avis que le ministre pouvait cotiser l’appelant pour l’année d’imposition 2005, hors du délai normal pour cotiser, en vertu du sous-alinéa 152(4)(a)(i) de la Loi. L’appelant savait qu’il ne déclarait pas tous ses revenus quand il a produit sa déclaration d’impôt pour l’année d’imposition 2005. L’appelant n’a pas inclus dans ses revenus les montants relatifs aux ventes d’immeubles en 2005. Trois immeubles ont été vendus en 2005 pour un montant de 308 000 $. L’appelant a fait une omission volontaire en produisant sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2005.

[55]        Je suis aussi d’avis que le ministre a correctement imposé les pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[56]        Tel qu’énoncé par le juge Strayer dans la décision Venne c Canada, [1984] ACF no 314, 84 DTC 6247, pour que le paragraphe 163(2) de la Loi s’applique « il doit y avoir un degré important de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence du respect de la Loi »

[57]        Il ressort de la preuve que l’appelant a délibérément omis de ne pas déclarer les montants relatifs à la vente d’immeubles durant les années d’imposition 2005 et 2006. En vertu des actes notariés, l’appelant a vendu trois immeubles en 2005 et cinq immeubles en 2006. Les montants émanant de ces ventes sont considérables, soit 308 000 $ pour 2005 et 786 944 $ pour 2006. Les explications données par l’appelant pour ne pas avoir inclus ces montants dans le calcul de ses revenus pour les années d’imposition 2005 et 2006 ne sont pas crédibles.

[58]        Avant de conclure, dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimée plaide alternativement que l’appelant a participé à un stratagème communément appelé « flip immobilier ». Selon le témoin, monsieur Daniel Perreault, les personnes qui servaient de prête-nom recevaient un montant forfaitaire d’environ 10 000 $ par transaction.

[59]        Comme l’appelant n’a pas admis sa participation dans ce stratagème et que je n’ai pas la preuve requise pour conclure que l’appelant a participé à ce stratagème à titre de prête-nom, il m’est impossible de diminuer les montants de la cotisation pour tenir compte que l’appelant aurait servi de prête-nom.

[60]        De plus, l’intimée a aussi fait valoir correctement que si l’appelant avait soulevé comme argument qu’il avait agi à titre de prête-nom, il aurait fallu que les actes notariés fassent l’objet d’une inscription en faux selon l’article 2821 du Code civil du Québec, ces actes étant authentiques.

Dispositif

[61]        Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté avec frais contre l’appelant.

Ces motifs du jugement modifiés sont émis en remplacement des motifs du jugement datés du 23 décembre 2014.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de janvier 2015.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 

 


ANNEXE A

 

Documents en litige

 

Document en litige

Date

Acte

Propriété

L1

8 déc. 2005

Vente

5626-5628, De Normanville

L2

8 sept. 2005

Vente

11452-11454, Notre-Dame

L3

25 août 2005

Vente

1025-1027, 48e Avenue

L4

17 avr. 2006

Vente

101, Grande-Allée

L5

13 jan. 2006

Vente

215, Gentilly

L6

4 jul. 2006

Vente

2331-2331A, Ontario

L7

27 mars 2006

Vente

11305, Dorchester

L8

17 mars 2006

Vente

3171-3173, Adam

L9

6 juin 2005

Achat

5626-5628, De Normanville

L10

29 juin 2005

Achat

11452-11454, Notre-Dame

L11

1 juin 2005

Achat

1025-1027, 48e Avenue

L12

8 sept. 2005

Achat

101, Grande-Allée

L13

9 sept. 2005

Achat

215, Gentilly

L14

15 déc. 2005

Achat

2331-2331A, Ontario

L15

24 nov. 2005

Achat

11305, Dorchester

L16

21 déc. 2005

Achat

3171-3173, Adam

L17

24 mai 2005

Hypothèque

# des minutes 27,420

L18

9 sept. 2005

Hypothèque

# des minutes 27,779

L19

28 nov. 2005

Hypothèque

# des minutes 27,973

L20

21 déc. 2005

Hypothèque

# des minutes 28,059

L21

29 déc. 2005

Hypothèque

# des minutes 28,071

L22

23 juin 2005

Hypothèque

# des minutes 27,537

L23

6 juin 2005

Hypothèque

# des minutes 27,461

 

Spécimens de comparaison

 

Spécimen

Date

Description

S1

20 nov. 2012

Avis de requête

S2

20 nov. 2012

Déclaration sous serment

S3

4 sept. 2009

Chèque

S4

5 oct. 2009

Chèque

S5

5 jan. 2010

Chèque

S6

1 avril 2010

Chèque

S7

5 jul. 2011

Chèque

S8

5 oct. 2011

Chèque

S9

18 sept. 2007

Déclaration de revenus 2006 (Extrait)

S10

2 juin 2008

Déclaration de revenus 2007 (Extrait)

S11

19 mai 2011

Demande de prorogation

S12

28 avril 2011

Opposition – Loi de l’impôt sur le revenu

S13

8 août 2011

Lettre à madame Beauchesne

S14

28 fév. 2011

Déclaration de témoin au SPVM

S15

15 juin 2006

Déclaration de revenus 2005 (Extrait)

S16

14 avril 2011

Déclaration de revenus 2010 (Extrait)

S17

30 sept. 2010

Déclaration de revenus 2008 (Extrait)

S18

30 sept. 2010

Déclaration de revenus 2009 (Extrait)

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 374

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-5128(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ANDRÉ PYONTKA c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 11 et 12 décembre 2014

MOTIFS DE JUGEMENT MODIFIÉS PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DES MOTIFS DE JUGEMENT MODIFIÉS :

Le 12 janvier 2015

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Dany Leduc

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           La méthode utilisée pour comparer les signatures de l’appelant se retrouve à la pièce I-8, onglet 1.

[2]        Pour ne pas alourdir le texte, j’ai inclus à l’annexe A de mon jugement la description des documents en litige et des spécimens de comparaison utilisés pour l’analyse de l’écriture.

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