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Dossier : 2013-2882(IT)G

ENTRE :

BAKORP MANAGEMENT LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 10 et 11 février 2015, à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge F. J. Pizzitelli


Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Matthew G. Williams

Avocate de l'intimée :

Me Jenny P. Mboutsiadis

 

JUGEMENT

L'appel de la nouvelle cotisation établie sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 1993 est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Toronto (Ontario), ce 12e jour de février 2015.

« F. J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2015.

Yves Bellefeuille, réviseur


Référence : 2015 CCI 36

Date : 20150212

Dossier : 2013-2882(IT)G

ENTRE :

BAKORP MANAGEMENT LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Pizzitelli

[1]             La présente affaire porte sur l'interprétation du paragraphe 187(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), disposition qui prévoit le paiement d'intérêts sur un impôt impayé au titre de la partie IV de la Loi, et intéresse plus particulièrement un différend concernant la date jusqu'à laquelle les intérêts doivent être calculés.

[2]             Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits en l'espèce, et les faits ne sont nullement contestés. Les montants d'impôt de la partie IV de l'appelante relativement à des dividendes reçus dans les années d'imposition 1993 et 1995 ont d'abord été établis conformément aux déclarations produites. Il n'est pas contesté que la date d'exigibilité du solde des impôts de la partie IV pour l'année d'imposition 1993 était le 30 juin 1993 et que la date d'exigibilité du solde de ces impôts pour l'année d'imposition 1995 était le 30 juin 1995. Il n'est pas contesté non plus que l'appelante a fait un paiement de 13 333 059 $ pour ces impôts payables en 1995 au moment où elle a produit, le 10 juin 1995, sa déclaration de revenus T2 pour cette année‑là.

[3]             Le 31 janvier 2000, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi, à l'égard de l'appelante, de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1993 et 1995, qui ont eu pour effet d'augmenter considérablement les impôts de la partie IV pour 1993, mais de les réduire de 6 333 059 $ (le « trop‑payé ») pour 1995. Le 3 février 2000, le ministre a imputé le trop‑payé à l'année d'imposition 1993, sans qu'on lui ait demandé de le faire, puisqu'il y était autorisé. L'appelante s'est opposée aux nouvelles cotisations, qui ont été ratifiées, et, après plusieurs nouvelles cotisations et oppositions relativement à l'année d'imposition 1993, la nouvelle cotisation définitive établie en 2012 fixait l'impôt de la partie IV pour 1993 à 11 221 656 $ de plus que le montant initialement déclaré en 1993, montant qui n'est pas contesté, plus les intérêts prévus au paragraphe 187(2). En ce qui a trait au trop‑payé, le ministre a traité la somme comme ayant été « payée » le 3 février 2000, aux fins du calcul des intérêts pour l'année d'imposition 1993, en application de cette disposition, et l'appelante a interjeté appel en invoquant qu'un montant égal à cette somme devrait être traité comme ayant été payé le 10 juin 1995, soit la date à laquelle elle avait fait le paiement initial pour l'année d'imposition 1995, qui, par la suite, a donné lieu au trop‑payé qui a été imputé sur les impôts de 1993.

[4]             Le paragraphe 187(2), qui se trouve à la partie IV de la Loi, est rédigé en ces termes :

187(2) Intérêts — Une société qui n'a pas payé tout ou partie d'un impôt dont elle est redevable en vertu de la présente partie, au plus tard à la date où elle était tenue de le payer, doit verser au receveur général des intérêts sur le montant qu'elle n'a pas payé, calculés au taux prescrit pour la période allant de la date où elle était tenue de payer l'impôt jusqu'à la date du paiement.

[5]             En somme, l'appelante est d'avis que, selon le libellé même de la disposition, les intérêts se calculent à partir du jour où elle était tenue de payer l'impôt, à savoir le 30 juin 1993, jusqu'à la date du paiement, à savoir, selon elle, le 10 juin 1995, pour ce qui est de la partie de la dette fiscale égale au trop‑payé. Il n'est pas mis en doute que la dette accrue dépassant le trop‑payé est assujettie à des intérêts selon le paragraphe 187(2). L'appelante soutient que, indépendamment de la date à laquelle le ministre a décidé d'imputer le trop‑payé en 1995 à l'année d'imposition 1993, soit le 3 février 2000, le montant a été en fait versé le 10 juin 1995 et que, comme le ministre disposait de cet argent depuis cette date, il serait injuste et contraire aux principes des intérêts de payer des intérêts sur un montant déjà en la possession du ministre. Qui plus est, affirme l'appelante, le paragraphe 187(2) ne prescrit pas que le ministre doit imputer le paiement comme le fait le paragraphe 161(1), qui prévoit le paiement d'intérêts sur les impôts de la partie I et d'autres parties, mais non sur ceux de la partie IV. L'appelante avance par analogie que, si le législateur avait voulu que le montant en possession du ministre doive être imputé à une année précise ou à une cotisation établie sous le régime de la partie IV, il aurait dû le dire. L'intimée, soutient l'appelante, ne fait pas la distinction entre les montants « payés » et les montants « imputés » dont il est question au paragraphe 161(1), mais non au paragraphe 187(2), qui n'exige pas que le ministre impute le paiement à une année ou à un compte en particulier. En fait, le paragraphe 161(1) est ainsi libellé :

161(1) Disposition générale — Dans le cas où le total visé à l'alinéa a) excède le total visé à l'alinéa b) à un moment postérieur à la date d'exigibilité du solde qui est applicable à un contribuable pour une année d'imposition, le contribuable est tenu de verser au receveur général des intérêts sur l'excédent, calculés au taux prescrit pour la période au cours de laquelle cet excédent est impayé :

a) le total des impôts payables par le contribuable pour l'année en vertu de la présente partie et des parties I.3, VI et VI.1;

b) le total des montants représentant chacun un montant payé au plus tard à ce moment au titre de l'impôt payable par le contribuable et imputé par le ministre, à compter de ce moment, sur le montant dont le contribuable est redevable pour l'année en vertu de la présente partie ou des parties I.3, VI ou VI.1.

[6]             L'appelante s'est appuyée sur la décision de la Cour dans Livergant c. Minister of National Revenue, [1989] T.C.J. No. 502 (QL), 89 D.T.C. 362, où l'appelant, qui avait fait des versements qui dépassaient le montant d'impôt établi par la nouvelle cotisation, a soutenu qu'il n'avait pas à payer des intérêts sur la partie des versements qui lui avait été remboursée par erreur. Le juge Goetz a conclu que cette position était indéfendable à la suite des modifications apportées le 19 avril 1983 au paragraphe 161(1), qui exigeait désormais que le ministre impute les montants payés sur les impôts dus. Au paragraphe 23, l'éminent juge a paraphrasé ainsi la nouvelle version de cette disposition :

[TRADUCTION]

[...] Le paragraphe en question prévoit que lorsque, à une date quelconque, le montant de l'impôt que doit payer un contribuable pour une année d'imposition est supérieur au total des sommes que le contribuable a payées au titre de son impôt payable et que le ministre a appliquées à son impôt, le contribuable doit payer de l'intérêt sur la différence.

[7]             Comme le ministre n'était pas tenu d'imputer le remboursement sur les impôts dus avant les modifications apportées en 1983, le juge Goetz a conclu que, du fait que le ministre avait remboursé par erreur les impôts déjà payés et qu'il n'avait pas, en conséquence, appliqué ces fonds aux impôts, il ne pouvait exiger des intérêts sur le montant remboursé jusqu'à la date de la nouvelle cotisation annulant le remboursement.

[8]             J'ai de la difficulté à accepter qu'il faille considérer que les modifications apportées au paragraphe 161(1) servent de base à l'interprétation du paragraphe 187(2). Premièrement, la décision Livergant soulevait la question de savoir si des intérêts devaient être exigés sur un montant d'impôt de la partie I remboursé par erreur. Cette affaire n'a rien à voir avec les impôts qui ne sont pas, de par leur nature, censés être remboursés et le sont par erreur; les faits en l'espèce ne s'y apparentent pas. La présente affaire intéresse les impôts de la partie IV, qui, de par leur nature, sont censés être remboursés à l'avenir grâce aux mécanismes des dispositions de l'article 129 de la Loi relatives à l'impôt en main remboursable au titre de dividendes, qui prévoient effectivement le remboursement de ces impôts de la partie IV lorsque les dividendes sont payés par la société qui les reçoit. L'impôt de la partie IV est fondamentalement un impôt remboursable. Il va de soi que les dispositions du paragraphe 161(1) s'appliquent à la partie I et à d'autres parties de la Loi pour établir le montant des intérêts, mais elles ne s'appliquent pas expressément aux impôts de la partie IV. L'appelante n'a pas su me convaincre du fait que je devrais accepter que le défaut du paragraphe 187(2) d'exiger que les impôts payés soient « imputés » par le ministre de la même manière que le prévoit le paragraphe 161(1) constitue une raison suffisante pour interpréter le paragraphe 187(2) de la manière proposée.

[9]             En considérant le sens ordinaire des mots « jusqu'à la date du paiement » comme étant la date jusqu'à laquelle les intérêts doivent être calculés, je ne suis pas convaincu que la date du paiement initial pour une année complètement différente, soit 1995, devrait s'appliquer comme date de paiement pour l'année 1993, soit deux ans avant même que le paiement n'ait été fait. Pour dire les choses franchement, le résultat paraît illogique et ridicule; le sens ordinaire des mots « la date du paiement » ne peut être ce que propose l'appelante. De plus, comme le mot « paiement » n'est pas défini dans la Loi, il semble également plausible qu'il réfère à un montant payé pour une dette exigible, telle l'imputation du montant remboursé pour l'année d'imposition 1995 sur la dette de 1993, au choix du ministre, comme le prévoit le paragraphe 164(2) de la Loi. Il semble beaucoup plus logique de considérer que l'application du trop‑payé qui s'est cristallisé le 31 janvier 2000 par suite de la nouvelle cotisation établie pour l'année d'imposition 1995 est le « paiement » en cause envisagé au paragraphe 187(2), plutôt que le paiement initial de 1995 qui, jusqu'à l'établissement de la nouvelle cotisation, était considéré comme étant exigible pour l'année d'imposition 1995, dont la cotisation avait été fixée selon la déclaration de revenus produite par l'appelante. Il n'est pas logique de considérer que le même montant peut s'appliquer en même temps à deux dettes différentes. À mon avis, le sens ordinaire des mots « date du paiement » s'entend de la date à laquelle la dette en question s'est éteinte, la date à laquelle l'appelante a obtenu une réduction de sa dette fiscale pour 1993 par suite de la décision du ministre d'imputer le trop‑payé de 1995 sur cette dette.

[10]        En fait, le ministre n'a pas imputé le trop‑payé sur la dette fiscale de 1993, et il ne pouvait pas le faire, jusqu'à ce qu'il exerce ce droit en vertu du paragraphe 164(2) le 3 février 2000, quelques jours après la cristallisation du trop‑payé le 31 janvier 2000, à savoir la date de la dernière nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1995. Jusqu'à ce moment-là, la cotisation établie antérieurement pour l'année d'imposition 1995 était réputée être valide et exécutoire par application des dispositions du paragraphe 152(8), et le paragraphe 248(2) indique que l'impôt payable par un contribuable est fixé par une cotisation. Par conséquent, l'impôt payé par l'appelante le 10 juin 1995, qui avait été fixé selon la déclaration de revenus produite, avait été fixé pour l'année d'imposition 1995, et pour aucune autre année, et n'est devenu un trop‑payé qu'à la date de la nouvelle cotisation établie pour cette année‑là le 31 janvier 2000 et ne pouvait devenir un trop‑payé avant cette date. Bref, comme le trop‑payé n'existait pas avant le 31 janvier 2000, il n'y avait aucun montant à imputer sur une cotisation établie pour 1993. Le législateur l'a en fait affirmé dans les dispositions mentionnées précédemment. Par conséquent, la date du 10 juin 1995 ne pouvait tout simplement pas être utilisée comme date du paiement pour soustraire le trop‑payé de la dette fiscale du contribuable pour 1993.

[11]        Bien franchement, je ne partage pas l'opinion de l'appelante en ce qui concerne l'interprétation du sens ordinaire des termes du paragraphe 187(2) et je ne vois aucune ambiguïté dans cette disposition; toutefois, même si j'étais d'avis que la thèse de l'appelante crée de l'ambiguïté dans l'interprétation, je ne pourrais pas lui donner gain de cause, sur le fondement d'une approche d'interprétation textuelle, contextuelle et téléologique, pour plusieurs des motifs qu'a bien plaidés l'intimée.

[12]        Les parties se sont appuyées sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, pour les principes d'interprétation légale, qui sont exposés au paragraphe 10 :

Il est depuis longtemps établi en matière d'interprétation des lois qu'« il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L'interprétation d'une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s'harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d'une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d'interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d'un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L'incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l'objet sur le processus d'interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d'une loi comme formant un tout harmonieux.

[13]        Premièrement, je ne souscris pas à l'argument de l'appelante voulant que, suivant l'approche textuelle, contextuelle et téléologique, la thèse de l'intimée concernant le paragraphe 187(2) rendrait inutiles les modifications apportées au paragraphe 161(1) et se traduirait par des régimes contradictoires et non harmonieux pour les intérêts. Comme je l'ai mentionné précédemment, les deux articles visent des parties différentes de la Loi, qui remplissent des rôles différents; une approche différente est donc justifiée, et il n'y a pas lieu de se préoccuper du fait que les deux paragraphes entrent en conflit d'une manière quelconque. Le paragraphe 187(2) ne vise que les impôts de la partie IV, tandis que le paragraphe 161(1) ne vise que ceux de la partie I et des autres parties précisées.

[14]        Deuxièmement, si l'on adopte une simple approche contextuelle pour la partie IV, qui se compose de quelques articles, à savoir les articles 186 à 187, il est évident que l'obligation de payer l'impôt de la partie IV est une obligation de payer cet impôt pour une année précise, si bien que les intérêts sont calculés précisément pour cette année‑là.

[15]        Le paragraphe 186(1) est la disposition qui prescrit les impôts de la partie IV sur les dividendes déterminés. Il est rédigé en ces termes :

186(1) Impôt sur les dividendes déterminés — Toute société qui est une société privée ou une société assujettie au cours d'une année d'imposition est tenue de payer, au plus tard à la date d'exigibilité du solde qui lui est applicable pour l'année, un impôt pour l'année en vertu de la présente partie égal à [...]

[16]        Il est évident que l'obligation de payer l'impôt doit être acquittée au plus tard à la date d'exigibilité du solde « pour l'année » et que l'impôt doit être payé « pour l'année ». Je suis d'accord avec l'intimée pour dire qu'il n'y a pas d'ambiguïté, en ce sens que l'impôt de la partie IV est lié à une année précise. De la même manière, l'obligation de payer les intérêts prévus au paragraphe 187(2) intéresse un « impôt dont [la société] est redevable en vertu de la présente partie » et qui, comme le prévoit le paragraphe 186(1), vise une année précise, lorsqu'il n'a pas été payé à la date prescrite, à savoir à la date d'exigibilité du solde, comme le prévoit également le paragraphe 186(1). Les deux paragraphes sont contextuellement liés et doivent être interprétés ensemble, ce qui mène au résultat logique et raisonnable selon lequel la « date du paiement » dont il est question au paragraphe 187(2) doit correspondre à la date à laquelle la société a payé sa dette pour une année précise.

[17]        L'appelante reconnaît au paragraphe 5 de l'exposé conjoint des faits que le paiement de juin 1995 avait été fait [TRADUCTION] « relativement à l'impôt de la partie IV à payer pour l'année d'imposition 1995 sur les montants qu'elle avait déclarés au titre de la partie IV de la Loi ». De plus, la déclaration de revenus T2 déposée en preuve indique le paiement fait pour 1995, et les parties s'entendent pour dire que l'impôt a été payé le 10 juin 1995.

[18]        Par conséquent, compte tenu de l'approche textuelle, contextuelle et téléologique, il serait contraire à la logique et à l'économie de la Loi d'interpréter le paragraphe 187(2) comme signifiant qu'un paiement fait relativement à une année précise peut être appliqué à une autre année, comme l'allègue l'appelante. Rien ne permet de présumer qu'un paiement fait relativement à une année précise peut en même temps être traité comme un paiement pour une autre année, comme le prétend essentiellement l'appelante, et ce, que l'on considère une approche tenant compte du sens ordinaire des mots ou l'analyse textuelle, contextuelle et téléologique dictée par la Cour suprême dans l'arrêt Canada Trustco.

[19]        Enfin, je dois retenir l'argument de l'intimée suivant lequel le fait d'interpréter le paragraphe 187(2) d'une manière qui exigerait l'imputation des fonds comme le prévoit le paragraphe 161(1), dont il a été question précédemment, rendrait bon nombre d'autres dispositions de la Loi discordantes et inefficaces ou créerait des conflits inutiles dans celle‑ci.

[20]        Comme l'a souligné l'intimée, l'article 221.2 de la Loi est une disposition précise qui permet au ministre, à la demande du contribuable, de transférer à une autre année un paiement fait pour une année et de traiter ce paiement comme s'il avait toujours été fait pour cette autre année, à savoir le résultat que tente d'obtenir l'appelante en l'espèce. L'article 221.2 énonce un mécanisme de la Loi qui procure exactement le résultat recherché par l'appelante, sauf que l'appelante n'en a jamais fait la demande avant que le ministre n'impute, le 3 février 2000, le trop‑payé de 1995 sur la dette fiscale de 1993. Si on interprétait le paragraphe 187(2) comme s'il procurait ce résultat de plein droit, alors l'article 221.2 serait inutile et créerait même des conflits avec d'autres dispositions de la Loi. Comme le ministre, en vertu de l'article 221.2, ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour réaffecter un montant payé qu'à la demande du contribuable, la réaffectation d'un montant sous le régime du paragraphe 187(2) sans que le contribuable en fasse la demande pourrait donner lieu à des conflits et à des résultats absurdes. Il ne fait aucun doute que, si le ministre alléguait qu'il pouvait recourir à la réaffectation de montants d'impôt payés pour la partie IV pour faire en sorte qu'un paiement antérieur soit imputé à une dette fiscale ultérieure, ce qui aurait pour effet de faire augmenter le montant des intérêts rattachés à la dette fiscale de l'année antérieure, il y aurait contestation sur le fondement du caractère abusif du traitement. Cela justifie certainement le fait que le contribuable doive demander ce traitement.

[21]        Qui plus est, comme l'intimée l'a également souligné, bon nombre de dispositions de la Loi emploient, pour prévoir le paiement d'intérêts, des mots semblables aux mots « date du paiement » que l'on trouve au paragraphe 187(2), notamment aux paragraphes 131(3.2), 132(2.2), 133(7.02) et 159(7), à l'alinéa 164(4)b), ainsi qu'aux paragraphes 185(2), 202(5), 227(8.3) et 227(9.3). Il semblerait que toutes ces dispositions rendraient également l'article 221.2 redondant si elles autorisaient la réaffectation de plein droit des paiements d'une année à une autre ou à des comptes différents. Je suis d'accord que l'interprétation proposée par l'appelante ne peut correspondre à l'intention du législateur puisque le paragraphe 187(2) ou les autres dispositions mentionnées précédemment ne peuvent régir la réaffectation des paiements du contribuable en même temps que l'article 221.2. Il est élémentaire, comme la Cour suprême du Canada nous l'a enseigné dans l'arrêt The King c. Assessors of Sunny Brae (Town), [1952] 2 R.C.S. 76, à la page 97, [TRADUCTION] qu'« une loi doit être, autant que possible, interprétée de façon à ce qu'il n'y ait aucune contradiction ni incohérence entre ses dispositions [...] ». L'objectif est réalisé lorsque la réaffectation est autorisée seulement en vertu de l'article 221.2, et non en vertu du paragraphe 187(2) ni d'aucune autre des dispositions mentionnées précédemment qui renvoient à la « date du paiement » relativement au calcul des intérêts.

[22]        Il faut également souligner que, comme l'article 221.2 est une disposition précise portant sur la réaffectation des montants payés, qui énonce des conditions précises, telles que la nécessité pour le contribuable de faire une demande, et des mécanismes particuliers, notamment celui qui permet de considérer qu'un paiement antérieur n'a jamais été fait, il est évident que pareille disposition devrait avoir préséance sur une disposition générale telle que le paragraphe 187(2), qui n'énonce aucune condition préalable ni aucun mécanisme particulier pour réaliser la réaffectation. À ce propos, dans l'arrêt Hypothèques Trustco, la Cour suprême a affirmé ce qui suit au paragraphe 11 :

[...] Lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu'il a voulu que le contribuable s'appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu'elles prescrivent.

[23]        Par conséquent, je suis du même avis que l'intimée : le paragraphe 187(2) ne peut opérer pour traiter une partie du paiement de juin 1995 fait pour la dette fiscale de 1995 comme un paiement simultané fait pour la dette d'impôt de la partie IV de 1993, peu importe si cette partie était en fin de compte un trop‑payé pour cette année-là.

[24]        Le ministre n'a pas imputé le trop‑payé sur la dette fiscale de 1993, et il ne pouvait le faire, jusqu'au moment où il a exercé ce droit en vertu du paragraphe 164(2), le 3 février 2000, comme nous l'avons vu précédemment, si bien que le 10 juin 1995 ne pouvait tout simplement pas être la date du paiement pour soustraire le trop‑payé de la dette fiscale de l'appelante pour 1993, et celle‑ci n'a jamais demandé la réaffectation du montant d'impôt payé pour l'année d'imposition 1995, en application de l'article 221.2, pour lui permettre de le faire.

[25]        Je souhaite également formuler des observations sur ce que j'ai perçu comme étant le principal argument sous‑jacent de l'appelante en l'espèce, à savoir qu'il est manifestement injuste que le ministre ait eu en sa possession le trop‑payé depuis le 10 janvier 1995 et qu'il ait néanmoins autorisé que des intérêts soit établis à l'égard de l'appelante sur ce montant à un taux supérieur de 2 % à celui que le ministre a payé en raison des mécanismes de calcul des intérêts prévus aux alinéas 4301a) et b) du Règlement. L'appelante n'a pas remis en question la validité de ces dispositions, et je ne vois aucun fondement pour le faire. S'il n'y avait eu aucun écart entre les intérêts exigés sur les impôts dus au ministre et les intérêts payés sur le trop‑payé des dettes fiscales, l'appelante n'aurait eu aucune raison d'appeler de la nouvelle cotisation. Malheureusement, il en résulte que l'appelante doit payer plus en intérêts sur le même montant pour lequel elle s'est vu accorder des intérêts. Or, c'est la loi qu'a édictée le législateur pour encourager le paiement rapide des impôts dus, et seul le législateur a le droit de la modifier. La Cour n'a pas compétence pour permettre un calcul différent en dehors du cadre de la loi.

[26]        L'appel est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Toronto (Ontario), ce 12e jour de février 2015.

« F. J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2015.

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 36

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-2882(IT)G

INTITULÉ :

BAKORP MANAGEMENT LTD. ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 10 et 11 février 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge F. J. Pizzitelli

DATE DU JUGEMENT :

Le 12 février 2015

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Matthew G. Williams

 

Avocate de l'intimée :

Me Jenny P. Mboutsiadis

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Matthew G. Williams

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Toronto (Ontario)

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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