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Dossier : 2012-3125(IT)G

ENTRE :

THE TDL GROUP CO.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 24, 25 et 26 février 2015, à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable juge F. J. Pizzitelli


Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Chia-yi Chua

Me John Yuan

Me Brandon Siegal

 

Avocates de l'intimée :

Me Elizabeth Chasson

Me Rishma Bhimji

 

JUGEMENT

          L'appel de la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2002 est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mars 2015.

« F. J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

 


Référence : 2015 CCI 60

Date : 20150306

Dossier : 2012-3125(IT)G

 

ENTRE :

THE TDL GROUP CO.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Pizzitelli

[1]             L'appelante, une société néo‑écossaise à responsabilité illimitée, interjette appel d'une nouvelle cotisation refusant des déductions de frais d'intérêts, relativement à son année d'imposition 2002, totalisant 10 094 856 $ sur des prêts d'une société mère utilisés pour acheter des actions ordinaires additionnelles d'une filiale américaine à 100 p. 100. Les intérêts réclamés et refusés étaient des intérêts payés pour la période du 28 mars 2002 au 3 novembre 2002 (la « période »). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction des frais d'intérêts au titre du sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), au motif que les fonds empruntés n'avaient pas été utilisés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, à savoir des actions d'une filiale américaine achetées au moyen des fonds empruntés.

[2]             La plupart des faits pertinents ne sont pas en litige. L'historique des transactions a commencé lorsque Wendy's International Inc. (« Wendy's »), la société mère du groupe, a prêté 234 000 000 $ (147 654 000 dollars américains) à sa filiale américaine, Delcan Inc. (« Delcan ») avant le 18 mars 2002, à un taux d'intérêt ne devant pas dépasser 7 p. 100. Delcan a ensuite prêté l'intégralité de ce montant à l'appelante le 18 mars 2002 à un taux de 7,125 p. 100 aux termes d'un contrat de prêt, et elle a par la suite cédé la créance relative à ce prêt à une autre filiale du groupe. De son côté, l'appelante a utilisé l'intégralité du montant du prêt de Delcan pour acheter, le 26 mars 2002, 1 840 actions ordinaires additionnelles de sa filiale américaine déjà détenue à 100 p. 100, Tim Donut U.S. Limited, Inc. (« Tim's U.S. »), qui a, quant à elle, accordé un prêt sans intérêt à Wendy's le lendemain, soit le 27 mars 2002, comme en fait foi un billet à ordre portant cette date (le « billet »). Un diagramme schématique de ces transactions a été produit comme pièce R‑1. En bref, l'argent qui était entre les mains de Wendy's au départ a été prêté à intérêt et est revenu entre les mains de Wendy's sans intérêt au terme de cette série de transactions. D'après des notes de service de planification produites en preuve, le billet était censé à l'origine porter intérêt, bien qu'aucun taux n'ait été précisé, mais à cause de préoccupations relatives aux conséquences qu'aurait un billet portant intérêt sur les impôts de l'état des États‑Unis et à cause de préoccupations au sujet des règles relatives à la capitalisation restreinte et des règles relatives au revenu étranger accumulé tiré de biens sous le régime de la Loi, il a été décidé que le prêt serait fait sans intérêt jusqu'à ce que l'affaire soit tirée au clair.

[3]             Au cours du mois de juin 2002, selon un plan révisé en mai 2002, Tim's U.S. a constitué une nouvelle filiale américaine, Buzz Co., dont la raison sociale est ensuite devenue TD US Finance Co. (« Tim's Finance »). Tim's U.S. a cédé le billet à Buzz Co. en paiement de ses actions dans Buzz Co., et Buzz Co. a ensuite remis une demande de paiement du billet à Wendy's, qui a alors remboursé le billet intégralement en remettant à Buzz Co., le 4 novembre 2002, un nouveau billet à ordre (le « nouveau billet ») au même montant, qui portait intérêt au taux de 4,75 p. 100, ce qui remplaçait donc le prêt sans intérêt par un nouveau prêt qui, lui, portait intérêt. Le retard dans la mise en œuvre de ces changements aux plans s'expliquait par la préoccupation des parties du groupe relativement à l'achat de l'intérêt d'un des fondateurs du groupe.

[4]             Il convient de noter que l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a refusé à l'appelante la déduction des intérêts payés sur son emprunt de Delcan durant la période, qui coïncide avec le moment où la filiale américaine de l'appelante a prêté l'argent à Wendy's sans intérêt aux termes du billet. Lorsque le prêt à Wendy's a été remboursé et remplacé par un prêt portant intérêt attesté par le nouveau billet, le ministre a permis la déduction des intérêts à partir de cette date.

[5]             Avant d'examiner plus en profondeur les faits contestés ou dont les effets sont contestés, j'examinerai brièvement les thèses des parties et les dispositions applicables de la Loi et j'exposerai certains éléments contextuels du présent litige.

La thèse de l'appelante

[6]             L'appelante affirme que l'achat qu'elle a fait d'actions ordinaires de Tim's U.S., soit les biens qu'elle a achetés au moyen des fonds qu'elle avait empruntés de Delcan, est une transaction ordinaire qui satisfait au critère du sous‑alinéa 20(1)c)(i), et qu'il faut tenir compte de l'« utilisation » des fonds par l'appelante comme « emprunteuse », et non de l'utilisation que Tim's U.S., la filiale, a fait des fonds investis, comme la Couronne le fait à tort, selon elle. L'appelante affirme essentiellement que le fait d'acheter des actions et d'ajouter au capital de sa filiale pour lui permettre d'acheter des immobilisations et d'exploiter son entreprise au profit de l'appelante et pour verser des dividendes futurs est suffisant, peu importe que Tim's U.S. ait tiré ou non un revenu des nouveaux capitaux. L'appelante soutient qu'il y a des éléments de preuve qui démontrent que Tim's U.S. avait un plan décennal d'expansion importante de ses activités aux États‑Unis en vue de générer des revenus et qu'elle a effectivement tiré des revenus qui lui ont permis de verser des dividendes importants à l'appelante à partir de 2007, ce qui démontre que l'achat des actions a été fait en vue de tirer un revenu.

[7]             Malgré cela, l'appelante dit que, même si le ministre a raison d'examiner l'utilisation que la filiale de l'appelante a faite des fonds, des éléments de preuve démontrent clairement que les fonds que Tim's U.S. a prêtés à Wendy's étaient indirectement disponibles pour que Tim's U.S. puisse les utiliser au besoin en recourant aux mécanismes de financement interne en place au sein du groupe, satisfaisant ainsi de toute façon au critère de la fin indirecte, en raison de ce que l'appelante a appelé des [TRADUCTION] « circonstances exceptionnelles ».

[8]             Enfin, l'appelante soutient que, même si le ministre parvient à convaincre la Cour que le prêt avait pour fin de faciliter un prêt sans intérêt à Wendy's, cette fin n'était pas la seule fin, contrairement à ce que l'intimée a allégué, et la fin additionnelle consistant à tirer un revenu de dividendes est suffisante pour satisfaire au critère de la fin.

La thèse de l'intimée

[9]             L'intimée affirme que les transactions réalisées par l'appelante ne sont rien de plus qu'une série de mesures prédéterminées prises pour prêter de l'argent sans intérêt à Wendy's tout en occasionnant des frais d'intérêt à l'appelante et que l'appelante ne comptait nullement tirer un revenu de son investissement dans les actions de Tim's U.S. au moment du prêt initial attesté par le billet. Quoi qu'il en soit, selon l'intimée, les intérêts déduits par l'appelante ne constitueraient pas une dépense raisonnable visée à l'alinéa 20(1)c) de la Loi dans les circonstances.

La Loi

[10]        Le paragraphe 20(1) est ainsi rédigé :

(1) Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien — Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

cIntérêts — la moins élevée d'une somme payée au cours de l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu) et d'une somme raisonnable à cet égard, en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur :

(i)      de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré ou pour contracter une police d'assurance-vie),

[...]

[11]        La Cour suprême du Canada a déclaré, dans l'arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, à la page 637, que l'alinéa 20(1)c) comporte quatre éléments :

(1) la somme doit être payée au cours de l'année ou être payable pour l'année au cours de laquelle le contribuable cherche à la déduire;

(2) elle doit l'être en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur l'argent emprunté;

(3) celui‑ci doit être utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d'une entreprise ou d'un bien; et

(4) la somme doit être raisonnable compte tenu des trois premiers critères.

[12]        Il est reconnu que les deux premières conditions précitées énoncées dans l'arrêt Shell Canada ont été remplies. L'appelante a emprunté de l'argent aux termes d'un contrat de prêt et a convenu de payer des intérêts au taux de 7,125 p. 100 au prêteur, Delcan, et elle a effectivement payé les intérêts.

[13]        La seule question en litige est de savoir si l'appelante a utilisé les 234 000 000 $ empruntés de Delcan en vue de tirer un revenu des actions ordinaires de Tim's U.S. qu'elle a acquises et si le montant d'intérêts était raisonnable; autrement dit, si les troisième et quatrième conditions précitées énoncées dans Shell Canada ont été remplies.

Analyse

[14]        Il y a manifestement de la confusion entre les thèses des parties quant à l'analyse à laquelle il faut procéder relativement à la troisième condition, au sous‑alinéa 20(1)c)(i), telle qu'elle a été énoncée dans l'arrêt Shell Canada, précité, suivant laquelle « [l'argent emprunté] doit être utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d'une entreprise ou d'un bien ».

[15]        Il est évident que la disposition exige que l'on détermine tout d'abord quelle utilisation a été faite de l'argent emprunté, puis à quelle fin. Les parties ne contestent pas que l'utilisation directe de l'argent emprunté doit d'abord être établie conformément aux exigences énoncées par la Cour suprême dans l'arrêt Singleton c. Canada, 2001 CSC 61, [2001] 2 R.C.S. 1046, au paragraphe 26, où le juge Major a déclaré ce qui suit :

26      Seule la troisième condition est en litige dans le présent pourvoi : l'argent emprunté doit être utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d'une entreprise. L'arrêt Shell a confirmé que l'examen ne s'attache pas à l'objet de l'emprunt comme tel, mais bien à l'objectif poursuivi par le contribuable en utilisant la somme empruntée. Le juge McLachlin a souscrit à l'opinion du juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman Trust, à savoir que l'examen doit être axé sur l'usage que le contribuable fait des fonds empruntés. [...]

[16]        Il est également clair que la seule question en litige dans l'affaire Singleton, comme l'intimée l'a souligné, était l'« utilisation » des fonds empruntés. Il n'y avait pas de contestation quant à l'élément de la condition portant sur la « fin », c'est‑à‑dire l'exigence que l'argent soit utilisé « en vue de » tirer un revenu. Tel était le contexte de l'arrêt Singleton. Dans l'arrêt Singleton, la Cour n'a pas eu à statuer sur cette exigence relative à la « fin », ce qui explique pourquoi l'analyse a porté uniquement sur le volet « utilisation ». Les fonds empruntés, une fois injectés dans la société d'avocats, étaient destinés à permettre de tirer un revenu, à savoir un revenu du cabinet d'avocats. Il n'y avait aucun argument quant à une autre fin, contrairement à ce qui est le cas en l'espèce.

[17]        À mon avis, l'appelante confond les analyses relatives à l'« utilisation » et à la « fin ». En toute franchise, le libellé de l'hypothèse de l'intimée à l'alinéa 14m) de sa réponse modifiée peut contribuer à expliquer cette confusion, lorsqu'il y est énoncé :

[TRADUCTION]

m)     au moment où l'investissement dans des actions ordinaires additionnelles de Tim U.S. a été fait, la seule fin pour laquelle l'appelante a investi dans de nouvelles actions ordinaires et la seule utilisation des fonds empruntés de Delcan était pour faire en sorte que des fonds soient disponibles pour Wendy's sans intérêt tout en générant des frais d'intérêts entre les mains de l'appelante;

[18]        Dans cette hypothèse, l'intimée semble reconnaître à la fois que les fonds ont été utilisés pour acheter les actions et pour permettre le prêt en question à Wendy's. Toutefois, il est également évident que l'intimée a aussi formulé comme hypothèse dans sa réponse modifiée — ce qu'elle a confirmé dans sa plaidoirie au procès — que l'appelante avait utilisé les fonds pour acheter les actions de Tim's U.S. Plus précisément, au sous‑alinéa 14g)(iv) de la réponse modifiée, l'intimée a formulé l'hypothèse suivante :

[TRADUCTION]

(iv)    le 26 mars 2002 ou vers cette date, l'appelante a utilisé le produit du prêt pour acheter des actions ordinaires additionnelles de sa filiale américaine à 100 p. 100, Tim U.S.;

[19]        Il n'y a pas de contestation quant à l'utilisation directe des fonds empruntés, et il n'est donc pas nécessaire d'établir que les fonds ont été affectés à une utilisation précise, comme c'était le cas dans l'arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32. La seule question en litige est la « fin ». De fait, la seule question à trancher en l'espèce est de savoir si les actions ordinaires ont été achetées en vue de tirer un revenu non exonéré.

[20]        Dans l'arrêt Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082, le juge Iacobucci a manifestement pris en compte les arrêts Shell Canada et Bronfman Trust et leur analyse centrée sur le facteur de l'« utilisation », et il a conclu au paragraphe 45 que « [...] le droit relatif à la notion de « fin » poursuivie par le contribuable n'a pas été pleinement exposé » dans ces arrêts.

[21]        Au paragraphe 46, le juge Iacobucci a également établi une distinction avec l'affaire Singleton :

46      Contrairement à l'affaire connexe Singleton, précitée, les parties au présent pourvoi s'entendent sur l'usage particulier auquel les fonds empruntés ont été affectés : ils ont directement servi à faire l'acquisition d'actions des Sociétés. La question centrale est plutôt la suivante : La fin poursuivie par les contribuables en utilisant ainsi les fonds était-elle de tirer un revenu au sens du sous‑al. 20(1)c)(i)? Notre Cour est donc appelée pour la première fois à préciser le droit applicable relativement à deux des notions centrales de cette disposition : la « fin » et le « revenu ».

[22]        En l'espèce, comme dans l'affaire Ludco, il n'est pas contesté que les fonds ont été utilisés pour acheter des actions, et, ici aussi, notre analyse doit porter sur la question de savoir si ces actions ont été achetées en vue de tirer un revenu, tel qu'il a été mentionné précédemment.

[23]        Il convient de noter, comme les parties l'ont reconnu, que l'arrêt Ludco a clairement établi qu'il n'est pas nécessaire que la seule fin soit de tirer un revenu non exonéré, et qu'une telle fin peut également être une fin accessoire. En l'espèce, l'appelante soutient que, si la Cour conclut que l'investissement dans les actions n'avait pas pour but principal de tirer un revenu de dividendes, il s'agissait à tout le moins d'un but accessoire. L'intimée soutient que l'appelante a investi dans les nouvelles actions ordinaires à seule fin de faire en sorte que des fonds soient disponibles pour Wendy's sans intérêt tout en générant des frais d'intérêts entre les mains de l'appelante, et qu'il n'y avait donc aucune autre fin.

[24]        La Cour suprême a fourni des précisions aux paragraphes 54 et 55 de l'arrêt Ludco au sujet du critère à appliquer pour déterminer la fin requise pour que les intérêts soient déductibles au titre du sous‑alinéa 20(1)c)(i) :

54      Maintenant qu'il a été décidé qu'une fin accessoire consistant à tirer un revenu peut constituer la fin requise pour que les intérêts soient déductibles, il reste encore à se demander de quelle façon les tribunaux doivent déterminer si la fin requise — soit celle de tirer un revenu — est présente. Quelle norme faut-il appliquer? Dans l'interprétation de la Loi, tout comme dans d'autres domaines du droit, les tribunaux appelés à dégager l'objet d'une mesure ou l'intention de son auteur doivent déterminer objectivement la nature de la fin poursuivie en tenant compte à la fois des éléments subjectifs et objectifs pertinents [...] Par conséquent, voici le critère applicable pour déterminer la fin visée par l'utilisation des fonds empruntés et décider si l'intérêt est déductible en application du sous‑al. 20(1)c)(i) : Compte tenu de toutes les circonstances, le contribuable avait-il, au moment de l'investissement, une expectative raisonnable de tirer un revenu?

55      Le critère de l'expectative raisonnable est compatible avec la notion de fin telle qu'elle est formulée dans la disposition et il constitue une norme objective, indépendamment de l'intention subjective du contribuable, laquelle est en soi pertinente mais non décisive. Il permet en outre d'éviter bon nombre des écueils inhérents aux autres critères proposés et il contribue à la réalisation de l'objectif de politique générale visé par la disposition relative à la déductibilité des intérêts, savoir l'accumulation des capitaux et l'investissement, comme il est expliqué dans la partie suivante des présents motifs.

[25]        Il ressort clairement de l'arrêt Ludco que le critère doit être appliqué au moment où l'investissement est fait, soit à la date à laquelle l'appelante a acquis les actions de Tim's U.S., et qu'en outre, il faut tenir compte de « toutes les circonstances ».

[26]         Les termes « compte tenu de toutes les circonstances » ont une très vaste portée. À mon avis, un tel libellé ne peut s'accorder avec aucune position selon laquelle on ne pourrait pas tenir compte de l'utilisation des fonds par la filiale ou par d'autres membres du groupe ou que l'on ne peut pas tenir compte d'une série de transactions liées à l'investissement direct. Bien que l'arrêt Singleton ait clairement indiqué que l'on ne pouvait pas tenir compte d'une série de transactions pour déterminer l'« utilisation » des fonds au regard du volet du critère portant sur l'« utilisation », c'est‑à‑dire qu'il faut appliquer le critère de l'utilisation directe, la détermination de la « fin » pour laquelle les actions ont été achetées n'empêche pas de tenir compte de l'utilisation indirecte des fonds ou de tout autre facteur pertinent. Il faut tenir compte de toutes les circonstances. À cet égard, l'emploi du mot « utilisation » par l'intimée, à l'alinéa 14m) de la réponse modifiée précitée, semble s'accorder avec cette prémisse.

[27]        De plus, l'arrêt Ludco affirme clairement, aux paragraphes 57 à 63, concernant le sens du mot « revenu », que ce mot au sous‑alinéa 20(1)c)(i) « s'entend du revenu en général, savoir de toute somme qui entre dans le revenu imposable et non seulement du revenu net ». Il s'ensuit manifestement, à mon avis, que certains types de revenus, comme les gains en capital ou même les revenus de dividendes, peuvent souvent être dérivés d'utilisations indirectes de l'argent investi dans les actions d'une société qui possède des filiales ou qui détient des intérêts dans d'autres sociétés, comme en l'espèce. Dans l'arrêt Ludco, le juge Major poursuit d'ailleurs au paragraphe 63 en affirmant que la disposition a pour objet « d'encourager l'accumulation de capitaux susceptibles de produire des revenus et ce en permettant au contribuable de déduire les frais d'intérêt liés à leur acquisition », et il en conclut donc qu'il suffit que le contribuable ait une expectative raisonnable de générer « un revenu brut », plutôt qu'un revenu net. Ces arguments étayent manifestement l'idée que l'argent emprunté en vue de créer de la richesse indirectement cadrerait avec l'objet de la disposition.

[28]        Comme l'appelante l'a souligné elle‑même dans sa plaidoirie, dans l'arrêt R. c. Canadian Helicopters Ltd, 2002 CAF 30, la Cour a autorisé la déduction d'intérêts sur l'emprunt de la contribuable, qui avait utilisé le produit de l'emprunt pour faire un prêt à intérêts à sa société mère qui, à son tour, avait fait la même chose avec sa propre société mère pour financer l'acquisition d'une autre société. La Cour a conclu que la possibilité pour l'appelante de gagner des frais de gestion de la société acquise satisfaisait au critère de la fin. Cela s'accorde parfaitement avec les principes précités de l'arrêt Ludco, qui permet à la Cour de tenir compte de l'ensemble des circonstances, y compris l'utilisation finale des fonds empruntés, pour établir l'objectif de tirer un revenu, même dans le cas d'une série de transactions.

[29]        L'appelante avance également que la Cour ne devrait pas considérer l'appelante elle‑même et Tim's U.S., ou sa filiale Tim's Finance (Buzz Co.), comme la même contribuable que celle qui a emprunté les fonds, selon le principe voulant que leurs personnalités distinctes soient respectées ou qu'on ne lève pas le voile corporatif, et l'appelante invoque au soutien de cette prétention l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans R. c. Merban Capital Corp., [1989] A.C.F. no 712 (QL). En toute honnêteté, il n'est pas contesté ici que c'est l'appelante et non l'une quelconque de ses filiales qui a emprunté les fonds en l'espèce, de sorte que cet arrêt revêt peu de pertinence au regard de la présente affaire. Dans l'arrêt Merban, la Cour a conclu que les filiales étaient l'emprunteuse et, en bref, le contribuable dans cette affaire ne pouvait pas déduire les intérêts qu'il avait dû payer comme garant. Quoi qu'il en soit, la Cour suprême du Canada a traité des critères de l'« utilisation » et de la « fin », après l'arrêt Merban en 1989, dans les arrêts Bronfman Trust, Singleton et Ludco, tel qu'il a été mentionné précédemment, et il est évident qu'au regard du critère de la « fin » à l'alinéa 20(1)c), on peut tenir compte de l'utilisation des fonds par les filiales emprunteuses comme faisant partie de l'ensemble des circonstances.

[30]        Je procéderai maintenant à l'analyse des éléments de preuve relatifs aux circonstances de la présente espèce.

[31]        Peut-on dire que l'appelante avait une expectative raisonnable de gagner un revenu, un revenu de dividendes immédiat ou futur, ou même des gains en capital accrus par suite de l'achat d'actions au moment de l'achat? Je ne puis tout simplement pas admettre que l'appelante avait une telle expectative raisonnable au moment de cet achat, et ce, pour les raisons suivantes :

1.       L'appelante était déjà l'unique actionnaire de Tim's U.S. au moment de l'achat d'actions additionnelles. Les éléments de preuve démontrent manifestement que Tim's U.S. avait perdu beaucoup d'argent au cours des quatre années précédant la date de l'achat. Les éléments de preuve démontrent que les pertes étaient passées de 12 000 000 $ en 1999, à 8 000 000 $ en 2000, à 4 000 000 $ en 2001 et à 480 000 $ en 2002. Indépendamment de la tendance manifeste à la renverse qu'invoque l'appelante, il est assez clair que Tim's U.S. ne se trouvait pas dans une situation financière qui lui aurait permis de verser des dividendes immédiatement ni à court terme au moment de l'achat d'actions. Cela est particulièrement pertinent lorsque l'on considère que le prêt attesté par le billet était censé être à court terme, et, de fait, il a été remboursé environ sept mois plus tard. De plus, il n'y avait aucun antécédent de versement de dividendes, évidemment à cause des pertes passées, à tout le moins en partie.

2.       Les témoins de l'appelante, soit P.H., l'ancien directeur général, et T.M., l'ancien directeur financier, ont confirmé que le groupe avait pour politique de ne donner aucun rendement sur les investissements, c'est-à-dire des dividendes, jusqu'à ce que toutes les dépenses d'immobilisation aient été financées. Les éléments de preuve présentés par ces témoins et le plan décennal produit en preuve indiquent à tout le moins un plan prévoyant d'importantes dépenses d'immobilisation en vue d'accroître le nombre de magasins aux États‑Unis au cours des dix années suivantes. Selon les prévisions, les revenus nets projetés de ces nouveaux magasins de 2003 à 2010 n'allaient pas dépasser l'augmentation des dépenses d'immobilisation au cours d'une ou de l'autre des années durant cette période, et encore moins au total, de sorte qu'il n'y a aucune indication qu'il y aurait des sommes pour verser des dividendes durant cette période, étant donné la politique énoncée.

3.       Le plan décennal lui-même comporte une rubrique relative aux dividendes à payer et aucun dividende n'était prévu.

4.       Bien que l'appelante ait présenté des éléments de preuve indiquant que des dividendes avaient en fait été versés de 2007 à 2012, soit 100 000 $ par année de 2007 à 2009, 1 000 000 $ par année en 2010 et en 2011, et 500 000 $ en 2012, les éléments de preuve indiquent également qu'en 2006, le groupe Tim Hortons a été retiré du groupe Wendy's, de sorte qu'un schéma de propriété différent s'appliquait, qui ne faisait pas partie des circonstances au moment de l'investissement, et aucun élément de preuve n'a été produit pour démontrer que ce changement était envisagé au moment de l'investissement dans les actions en 2002. S'il l'avait été, on aurait pu s'attendre à ce que les projections de dividendes dans le plan décennal le montrent.

5.       Il n'y a aucune mention de la possibilité que des dividendes soient payés dans les notes de service de planification de J.G., ni dans les résolutions des administrateurs de l'appelante, de Tim's U.S. ou de Tim's Finance (Buzz Co.) examinées plus en détail ci‑dessous, ni nulle part ailleurs, ni dans le plan décennal susmentionné.

6.       L'appelante était déjà l'unique actionnaire de Tim's U.S. au moment d'acheter des actions additionnelles en mars 2002. Sa capacité quantitative de gagner un revenu ou l'avantage qu'elle avait en tant qu'unique actionnaire n'a pas changé par suite de son nouvel investissement dans Tim's U.S., à moins qu'il puisse être démontré que l'on pouvait s'attendre à ce que le nouvel investissement accroisse les chances de dividendes ou, à tout le moins, qu'il y ait une augmentation de la valeur de ses actions de Tim's U.S. Le fait que les fonds utilisés pour acheter les nouvelles actions aient été immédiatement prêtés à Wendy's sans intérêt pendant environ sept mois, après quoi les fonds ont été remboursés en entier, porte à croire qu'il n'y avait aucune expectative évidente que ces fonds créeraient un revenu quelconque pour Tim's U.S., ou que l'on s'attendait à ce qu'ils en créent, de manière à accroître sa capacité de verser des dividendes ou de manière à accroître la valeur de ses actions, de sorte que l'appelante tire un avantage sous forme de revenus à l'avenir.

7.       Les fonds prêtés à Wendy's sans intérêt se voulaient également un prêt temporaire à court terme au moment où ils ont été avancés. Les témoins de l'appelante eux-mêmes ont affirmé, tel qu'il a été mentionné précédemment, qu'ils étaient conscients que le prêt attesté par le billet devait être réorganisé et remplacé, et les éléments de preuve provenant de la note de service de planification de J.G., le conseiller fiscal du groupe, indiquent un plan révisé dès mai 2002, qui a été mis en œuvre et qui a mené au remboursement du billet en entier en novembre 2002, les retards étant attribuables à d'autres préoccupations du groupe, notamment concernant le rachat des actions d'un des fondateurs initiaux du groupe Tim Hortons. Selon le témoignage qui explique pourquoi le plan révisé a tardé à être mis en œuvre, les fonds devaient être prêtés pour une période encore plus brève. Les témoins de l'appelante ont également confirmé qu'ils étaient au courant des risques de problèmes fiscaux susmentionnés avant que soit effectué le prêt initial attesté par le billet et qu'il fallait y voir, d'où la note de service révisée et le remboursement du billet.

8.       Il n'y a aucun élément de preuve crédible qui indique qu'une partie quelconque des fonds investis dans Tim's U.S. aurait été utilisée ou devait être utilisée à quelque fin autre que de prêter de l'argent à Wendy's sans intérêt au moment de l'investissement dans les actions de Tim's U.S. Bien que l'appelante invoque la résolution des administrateurs du 8 mars 2002 prévoyant que l'argent utilisé pour acheter des actions de Tim's U.S. devait servir à celle‑ci pour rembourser certaines de ses dettes et pour financer des dépenses d'immobilisation futures, ce qui étaye l'argument selon lequel les fonds avaient pour but de créer de la richesse du fait de l'accumulation de capital par la filiale et donc, indirectement, par l'appelante, il est évident qu'aucun remboursement de dettes n'a été effectué et qu'aucune dépense d'immobilisation directe n'a été faite, puisque tous les fonds ont été prêtés à Wendy's. En fait, la résolution du conseil d'administration de Tim's U.S. le même jour que la résolution des administrateurs de l'appelante mentionne une dette actuelle de 50 000 $ de la filiale envers Wendy's et autorise la société, [TRADUCTION] « à la réception de la contribution en capital susmentionnée », à rembourser les sommes à payer à Wendy's jusqu'à concurrence de la contribution en capital et à prêter tout montant restant à Wendy's à un taux d'intérêt (y compris sans intérêt). La contribution en capital dépassait de loin le montant de la dette mentionnée envers Wendy's, et pourtant, il n'y a eu aucun remboursement à ce titre. Aucune mention n'est même faite d'une dépense d'immobilisation. Chose intéressante, le directeur général de l'appelante, P.H., était un administrateur de Tim's U.S., et il a assisté aux deux réunions, tout comme l'ont fait quelques autres administrateurs et quelques autres personnes invitées aux deux réunions. Même si plusieurs personnes ont représenté les deux sociétés lors de réunions tenues le même jour et à la même heure, aucun argent n'a été utilisé pour rembourser les dettes de Tim's U.S. envers Wendy's ni pour faire des dépenses d'immobilisation. La seule conclusion logique que je peux tirer de ce qui précède est que tous les membres du groupe voulaient que tout l'argent revienne à Wendy's, et ils en étaient parfaitement conscients.

J'aimerais également ajouter que j'accorde peu de poids à l'argument de l'appelante selon lequel le paragraphe 89(3) de la loi de la Nouvelle‑Écosse intitulée Companies Act (Loi sur les sociétés par actions) exige que la Cour tienne pour avéré le contenu du procès‑verbal de la réunion du conseil d'administration de l'appelante. Cette disposition est ainsi rédigée :

[TRADUCTION]

Jusqu'à preuve du contraire, chaque assemblée générale de la société ou réunion des administrateurs ou de directeurs relativement à laquelle un procès‑verbal a été dressé est présumée avoir été dûment tenue et convoquée, et toutes les procédures qui s'y sont déroulées sont présumées s'être dûment déroulées, et toute nomination d'administrateurs, de directeurs ou de liquidateurs est présumée être valide.

Il n'est pas contesté que la réunion des administrateurs de l'appelante attestée par la résolution susmentionnée du 8 mars 2002 a été dûment tenue et convoquée. Il y a cependant des éléments de preuve qui démontrent manifestement qu'en réalité, Tim's U.S. n'a pas utilisé les fonds pour rembourser du capital ou pour financer des dépenses d'immobilisation futures comme l'énonce la résolution, de sorte que le contraire a été prouvé, à mon avis.

Je note également le fait que, tandis que les actions ont été souscrites le 26 mars 2002, le billet de Wendy's du 27 mars 2002 est accompagné d'une annexe qui indique que près des deux tiers du prêt à Wendy's (c'est‑à‑dire 96 000 000 dollars américains, soit l'équivalent de 152 000 000 $) ont été avancés avant le 26 mars 2002, alors que le solde a été avancé le 27 mars 2002; tout cela porte à croire que le plus clair des fonds destinés à la souscription n'a jamais été censé être dépensé par Tim's U.S., indépendamment des fins contradictoires déclarées auxquelles ces fonds étaient censés être utilisés.

9.       Un des témoins de l'appelante, une certaine M.K., qui s'est jointe au groupe en 2005 et n'avait donc pas une connaissance personnelle des transactions en cause, a affirmé qu'elle avait examiné les données contenues dans les dossiers informatiques archivés tirés du système PeopleSoft utilisé par le groupe Wendy's après que le groupe Tim Hortons a été retiré du groupe Wendy's en 2006 et qu'elle avait trouvé des éléments de preuve indiquant que des dépenses d'immobilisation avaient été faites vers la fin de 2002 pour acquérir et construire un nouvel établissement à Newark (Ohio) qui avait été approuvé par le Real Estate Acquisition Committee (« REAC », ou comité des acquisitions immobilières) de Tim's U.S. en février 2002. Selon son témoignage, la construction de l'établissement a été terminée en décembre 2002. Il n'y a aucun élément de preuve qui démontre que ces paiements ont été faits au moyen de l'argent avancé en contrepartie du billet ni autrement, bien que l'appelante, par l'entremise du même témoin, ait présenté des éléments de preuve indiquant qu'une autre société affiliée du groupe, T.H.D. Donut (Delaware), Inc. (« THDD »), la franchiseuse américaine, était l'entité qui émettait les chèques pour Tim's U.S. et pour d'autres entités américaines, qui aurait dépensé tous les montants et les aurait consignés dans un journal à titre d'augmentation des avances entre les sociétés. De même, tous les montants perçus par THDD à titre de loyers pour le compte de Tim's U.S. seraient consignés à titre de réductions des soldes entre les sociétés. Dans son témoignage, ce témoin affirme essentiellement qu'un total de 821 305 $ a été dépensé relativement au magasin de Newark (Ohio) du 15 septembre au 27 décembre 2002, et que ces avances entre sociétés ont été conciliées à une date ultérieure. Ce témoin a affirmé que, dans la mesure où ses redevances de franchisage en tant que franchiseuse ne procuraient pas à THDD les fonds nécessaires, Wendy's lui avançait ces fonds pour lui permettre de s'acquitter de ses obligations d'émission de chèques; il était évidemment sous-entendu que des dépenses d'immobilisation étaient faites pour le compte de Tim's U.S. en 2002 et que Wendy's a avancé ces fonds par l'entremise de THDD, de sorte que l'argent que Tim's U.S. avait prêté à Wendy's lui revenait lorsque cela était nécessaire.

En ce qui concerne l'appelante, quels éléments de preuve démontrent qu'une part quelconque des fonds du prêt attesté par le billet a abouti entre les mains de Tim's U.S., plutôt qu'à partir des sources internes de THDD, qui avait un apport continu de revenu en tant que franchiseuse américaine, ou même en partie du flux de revenus locatifs de Tim's U.S.? Il n'y avait aucune preuve de cela, ni que quelque montant que ce soit dans les comptes de prêts intersociétés entre Wendy's et THDD, ni d'ailleurs entre THDD et Tim's U.S., était lié au magasin susmentionné, puisqu'il n'y a aucune preuve de la date à laquelle les factures auraient été payées. Cela me pose problème, puisqu'une telle preuve n'est tout simplement pas concluante en elle‑même. Cela me pose davantage problème, puisqu'une telle preuve contredit directement les éléments de preuve documentaires dans le recueil conjoint de documents produit en preuve sur consentement comme pièce A‑1, qui contient, sous l'onglet 6, une résolution de Buzz Co. (renommée plus tard Tim's Finance) autorisant une demande de remboursement du billet et, sous l'onglet 7, une demande de paiement qui a été faite, et dont le dernier paragraphe est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

EN CONSÉQUENCE, le prêteur demande par les présentes le paiement le 4 novembre 2002 de 147 654 000 dollars américains, correspondant au plein montant du capital exigible aux termes du billet.

Wendy's a donné suite à cette demande de paiement le 4 novembre 2002 en émettant un nouveau titre de dette pour le même montant portant intérêt selon ce qui a été décrit précédemment et constituant le nouveau billet.

La demande de paiement de 100 p. 100 du montant initial prêté à Wendy's aux termes du billet et le remboursement réel de 100 p. 100 de ce montant, sept mois plus tard, prouve qu'il n'y a eu aucune compensation de montants réclamés de Tim's U.S. aux termes de conciliations de prêts intersociétés.

Pour dire les choses franchement, les prétentions de l'appelante selon lesquelles le produit du billet original était en quelque sorte en jeu dans la structure d'émission de chèques du groupe faisant appel à THDD et à la conciliation de comptes intersociétés semblent n'être rien de plus que de la poudre aux yeux.

J'ajouterais également que la tentative de l'appelante de démontrer des remboursements de capital par Tim's Finance à Tim's U.S. de 50 000 $ en septembre 2003 et de 2004 à 2006, au moyen du témoignage de M.K., n'est d'aucune aide, non plus que les éléments de preuve tirés de la déclaration de revenus de Tim's U.S. pour l'année 2005, produite en preuve par l'appelante et démontrant une augmentation des dépenses d'immobilisation d'environ 39 000 000 $ par rapport à l'année précédente, que M.K. a affirmé dans son témoignage avoir aidé à préparer, mais qui n'est pas signée et à l'égard de laquelle aucun élément de preuve n'a été produit pour démontrer qu'elle avait effectivement été produite ni même pourquoi elle aurait dû être produite alors que, selon le même témoin, pour les besoins de l'impôt américain, les résultats de Tim's U.S. étaient consolidés dans les déclarations de Wendy's. Ces remboursements ou dépenses d'immobilisation ont été faits pendant la durée d'effet du nouveau billet, et non celle du billet initial, qui avait été remboursé près d'un an auparavant.

Il s'ensuit également que cette structure ne saurait justifier une exception fondée sur des circonstances exceptionnelles qui justifierait l'autorisation de la déduction d'intérêts au sens de l'arrêt Bronfman Trust, selon l'interprétation de l'appelante. Selon la lecture que j'en fais, l'arrêt Bronfman Trust ne crée pas un critère des circonstances exceptionnelles permettant la déduction d'intérêts lorsque le tribunal examine une utilisation indirecte inadmissible des fonds et permettant la déduction d'intérêts dans des circonstances spéciales, puisqu'il me paraît évident que le juge en chef Dickson parlait en fait de l'examen de l'utilisation indirecte de fonds au regard du critère de la « fin », et non au regard du critère de l'« utilisation ». À la page 54, l'ancien juge en chef déclarait :

Même s'il est des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, selon une appréciation réaliste des opérations d'un contribuable, il pourrait convenir, en raison d'un effet indirect sur sa capacité de gagner des revenus, de lui permettre de déduire l'intérêt sur les fonds empruntés pour un usage inadmissible, je suis convaincu que de telles circonstances n'existent pas en l'espèce. Il me semble qu'à tout le moins, le contribuable doit convaincre la Cour que la fin réelle qu'il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu. [Non souligné dans l'original.]

Dans l'arrêt Bronfman Trust, la Cour a conclu que l'emprunt de fonds pour faire des prélèvements sur le capital pour les verser à la bénéficiaire ne constituait pas une utilisation directement génératrice de revenus. Dans l'arrêt Bronfman Trust, tout comme dans l'arrêt Singleton, l'analyse était centrée sur l'utilisation, et non sur la fin. On peut donc établir une distinction entre l'affaire Bronfman Trust et la présente affaire pour ce motif, et la mention de circonstances exceptionnelles constitue une remarque incidente. L'on ne saurait dire que l'arrêt Bronfman Trust a créé un critère fondé sur des circonstances exceptionnelles, bien qu'en toute équité, le juge ait sûrement laissé la porte ouverte à cette possibilité; cependant, à la lumière de l'arrêt Ludco, il me semble qu'un examen de l'utilisation indirecte des fonds et de l'avantage ou du revenu indirect qui peut s'ensuivre pour le contribuable est maintenant manifestement pertinent après avoir conclu à une utilisation admissible, mais seulement aux fins d'analyse du critère de la fin. Quoi qu'il en soit, en l'espèce, l'appelante a une utilisation directe admissible, à savoir l'achat d'actions ordinaires, de sorte qu'il n'est point besoin d'examiner une exception fondée sur des circonstances exceptionnelles dans le cas d'une utilisation inadmissible.

10.     Enfin, j'aimerais commenter la prétention de l'appelante selon laquelle celle‑ci a toujours eu l'intention subjective de tirer un revenu de son achat des actions susmentionnées parce que le groupe avait toujours prévu que Tim's U.S. exigerait des intérêts sur son prêt à Wendy's. Si des intérêts avaient été exigés, nous ne serions pas ici aujourd'hui. Curieusement, l'appelante soutient, et convient donc implicitement, que l'utilisation indirecte des fonds investis est un facteur à prendre en compte.

Bien que, dans leurs témoignages, l'ancien directeur général de l'appelante, P.H., et son conseiller fiscal, J.G., aient manifestement affirmé qu'il avait été prévu au départ que le billet porterait intérêt, les éléments de preuve sont quelque peu ambivalents quant à cette intention. Tel qu'il a été mentionné précédemment, le procès‑verbal de la réunion du conseil d'administration de Tim's U.S. du 8 mars 2002 autorisant le prêt à Wendy's indique manifestement que les fonds pouvaient être prêtés à Wendy's [TRADUCTION] « au taux d'intérêt (y compris sans d'intérêt) jugé acceptable par l'un quelconque des dirigeants de la société ou par plusieurs d'entre eux ». Il est évident que, lorsque le prêt a été autorisé, les parties envisageaient d'accorder ce prêt sans intérêt. Il est également évident que toute intention d'exiger des intérêts a changé au moment où le prêt a été accordé, puisque le billet ne portait aucun intérêt. Les éléments de preuve des témoins susmentionnés démontrent aussi manifestement qu'exiger des intérêts risquait de créer des problèmes sous les régimes des lois fiscales de l'état américain et des dispositions de la Loi relatives à la capitalisation restreinte et au revenu étranger accumulé tiré de biens et que les témoins étaient conscients, au moment du prêt, qu'il faudrait modifier le plan, mais qu'il fallait commencer à le mettre en œuvre. Le prêt aurait pu être retardé jusqu'à ce que ces problèmes soient résolus à la satisfaction de l'appelante, mais ce n'a pas été le cas. Aucune explication n'a jamais été fournie quant à savoir pourquoi le prêt avait tout de même été accordé ou pourquoi il fallait qu'il soit accordé. Il est cependant évident que le prêt a été accordé sans intérêt, tel qu'il appert du billet, et je ne peux que présumer que les préoccupations fiscales, le cas échéant, n'étaient pas suffisantes pour retarder la transaction et que l'acheminement de l'argent à Wendy's était primordial. Je ne suis pas convaincu qu'il y avait quelque intention subjective que ce soit d'exiger des intérêts au moment du prêt et, objectivement, le contraire semble être vrai.

[32]        Après avoir analysé tous les éléments de preuve relatifs aux circonstances de la présente espèce, je ne puis tout simplement pas conclure que l'appelante avait quelque expectative raisonnable que ce soit de tirer un revenu non exonéré de quelque nature que ce soit, directement ou indirectement, au moment de son achat d'actions additionnelles de Tim's U.S. le 26 mars 2002 ou vers cette date. Les éléments de preuve indiquent manifestement et sans équivoque que les fonds ont été prêtés à seule fin de faciliter un prêt sans intérêt à Wendy's tout en créant une déduction d'intérêts pour l'appelante. En conséquence, il n'est pas nécessaire que j'examine l'autre argument de l'intimée selon lequel les intérêts en question ne seraient pas raisonnables au sens de la disposition en cause.

[33]         L'appel est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée. Si l'une ou l'autre des parties n'est pas satisfaite de cette adjudication des dépens, elle pourra soumettre à mon examen des observations relatives aux dépens dans les 45 jours.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mars 2015.

« F. J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

 


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 60

NO DE DOSSIER DE LA COUR :

2012-3125(IT)G

INTITULÉ :

THE TDL GROUP CO. ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 24, 25 et 26 février 2015

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge F. J. Pizzitelli

DATE DU JUGEMENT :

Le 6 mars 2015

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Chia-yi Chua

Me John Yuan

Me Brandon Siegal

 

Avocates de l'intimée :

Me Elizabeth Chasson

Me Rishma Bhimji

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Thomas B. Akin

 

Cabinet :

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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