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Dossier : 2013-3120(EI)

ENTRE :

RICHARD MEUNIER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Dossier : 2013-3117(EI)

ET ENTRE :

MAXIM MEUNIER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Dossiers : 2013-3121(EI)

2013-3122(EI)

2013-4177(EI)

ET ENTRE :

7547978 CANADA INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

(Richard Meunier,

Maxim Meunier

et 7547978 Canada Inc.

sont ci-après collectivement désignés comme les « appelants »)

 

 

 

Appels entendus sur preuve commune avec l’appel de 7547978 Canada Inc. (dossier 2013-2929(IT)I), les 4 et 5 septembre 2014 et le 10 novembre 2014, à Ottawa (Ontario).

Devant : L'honorable juge Réal Favreau

Comparutions :

 

Avocate pour les appelants :

Me Chantal Donaldson

Avocate pour l'intimé :

Me Natasha Wallace

 

JUGEMENT

Les appels à l’encontre des décisions du ministre du Revenu national quant à l’assurabilité des emplois des travailleurs, au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance emploi, datées du 3 mai 2013 et les appels à l’encontre des cotisations établies à l’égard de la société 7547978 Canada Inc. datées du 5 novembre 2012 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.  

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2015.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 

 


Référence : 2015 CCI 111

Date : 20150507

Dossiers : 2013-3120(EI)

2013-3117(EI)

2013-3121(EI)

2013-3122(EI)

2013-4177(EI)

 

ENTRE :

 

RICHARD MEUNIER, MAXIM MEUNIER, 7547978 CANADA INC.,

 

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]             Il s’agit ici d’appels entendus sur preuve commune avec l’appel de 7547978 Canada Inc. (dossier 2013-2929(IT)I) à l’encontre des décisions rendues par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en date du 3 mai 2013 quant à l’assurabilité des emplois des travailleurs au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi de l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, telle que modifiée (la « LAE ») et d’appels à l’encontre des cotisations établies à l’égard de la société 7547978 Canada Inc. datées du 5 novembre 2012.

[2]             Par des décisions datées du 3 mai 2013, le ministre a déterminé que les emplois de Michel Anderson, Jean-Éric Charron, Francis Casey, Vicky Brazeau et Carl Thibert-Granato lorsqu’au service de Richard Meunier pendant la période du 1er janvier 2010 au 15 juin 2010 et, lorsqu’au service de la société 7547978 Canada Inc. pendant la période du 16 juin 2010 au 31 décembre 2011, étaient des emplois assurables étant donné que les exigences du contrat de louage de services ont été respectées et qu’il existait une relation employeur-employé entre ces personnes et monsieur Richard Meunier, d’une part, et entre ces personnes et la société 7547978 Canada Inc., d’autre part.

[3]             Par des décisions également datées du 3 mai 2013, le ministre a déterminé que l’emploi de Maxim Meunier lorsqu’au service de la société 7547978 Canada Inc. pendant la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011 était un emploi assurable étant donné que les exigences du contrat de louage de services ont été respectées et qu’il existait une relation employeur-employé entre Maxim Meunier et la société 7547978 Canada Inc. Bien que monsieur Maxim Meunier soit lié à la société 7547978 Canada Inc. le ministre a été convaincu qu’un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance entre monsieur Maxim Meunier et la société 7547978 Canada Inc. et que, par conséquent, l’emploi de monsieur Maxim Meunier était inclus dans les emplois assurables.

[4]             Par une autre décision datée du 3 mai 2013, le ministre a déterminé que l’emploi des 139 travailleurs énumérés à l’annexe A de ladite décision, lorsqu’au service de la société 7547978 Canada Inc. pendant les années d’imposition 2010 et 2011 de ladite société, était des emplois assurables étant donné que les exigences du contrat de louage de services ont été respectées et qu’il existait une relation employeur-employé entre ces personnes et la société 7547978 Canada Inc.

[5]             Par des cotisations datées du 5 novembre 2012, le ministre a cotisé la société 7547978 Canada Inc., relativement à ses années d’imposition 2010 et 2011, pour des cotisations impayées d’assurance-emploi à l’égard des 139 travailleurs de ladite société. En vertu de ces cotisations, les montants suivants ont été réclamés à la société 7547978 Canada Inc. :

Années

Assurance-emploi

Pénalités

Intérêts

Total

2010

11 675,11 $

1 167,61 $

1, 103,00 $

13 945,72 $

2011

8 230,06 $

823,00 $

361,00 $

9 414,06 $

TOTAL

19 905,17 $

1 990,61 $

1 464,00 $

23 359,78 $

[6]             Pour rendre ses décisions à l’égard de la société 7547978 Canada Inc., le ministre s’est appuyé sur les faits présumés suivants :

(a)    L’appelante exploite une entreprise spécialisée dans le marchandisage, l’échantillonnage et le montage d’étalages pour des commerces de grandes surfaces;

(b)   L’unique actionnaire de l’appelante est Monsieur Richard Meunier Côté;

(c)    L’appelante a été incorporée en 2010 mais l’entreprise opérait antérieurement depuis plus d’une dizaine d’années sous le nom de Entreprises Darik;

(d)   Les tâches des travailleurs consistaient à démontrer et remonter les tablettes, disposer la marchandise et procéder à l’étiquetage;

(e)    La rémunération des travailleurs variait de 10$ à 13$ de l’heure;

(f)    Ces travailleurs étaient embauchés et rémunérés directement par l’appelante;

(g)   Les travailleurs étaient supervisés par un chef d’équipe aussi à l’emploi de l’appelante;

(h)   Le lieu de travail, l’horaire et les tâches étaient déterminés par l’appelante; et

(i)     La rémunération était versée hebdomadairement.

[7]             Dans l’alternative, le Sous-procureur général du Canada soutient que les cotisations d’assurance-emploi étaient payables, en s’appuyant sur les faits additionnels suivants :

(a)    Impact Détail est aussi une entreprise spécialisée dans le marchandisage, l’échantillonnage et le montage d’étalages pour des grandes surfaces qui opère [sic] au Québec;

(b)   Impact Détail obtenait des contrats des grands magasins comme Loblaws;

(c)    L’appelante obtenait des sous-contrats avec des clients, comme Loblaws, de Impact Détail;

(d)   L’appelante facturait soit les clients directement, soit Impact Détail pour les contrats et sous-contrats complétés par les travailleurs de l’appelante;

(e)    Les lieux de travail étaient déterminés par l’appelante selon ses contrats ou sous-contrats avec les clients;

(f)    L’horaire et les tâches effectués par les travailleurs étaient déterminés par les clients de l’appelante;

(g)   L’appelante fournissait les travailleurs pour compléter les contrats ou sous-contrats avec les clients;

(h)   Les clients de l’appelante ou leurs [sic]  personnels [sic] supervisaient les travailleurs pendant qu’ils démontaient et remontaient les tablettes, disposaient la marchandise et procédaient à l’étiquetage;

(i)     Les clients de l’appelante ou leurs [sic]  personnels [sic] expliquaient les tâches à compléter aux travailleurs;

(j)     Les clients de l’appelante ou leurs [sic] personnels [sic] fournissaient souvent aux travailleur [sic] des planigrammes à suivre pour compléter les tâches demandées;

(k)   Les tâches à compléter par les travailleurs devaient être en conformité avec les instructions fournîtes [sic] par les clients de l’appelante et compléter à leurs  [sic] satisfaction;

(l)     Les employés des clients complétaient des tâches semblables à celles complétées par les travailleurs de l’appelante, ex. démonter et remonter les tablettes, disposer la marchandise et procéder à l’étiquetage; et

(m)  Les factures envoyées par l’appelante à Impact Détail ou les clients comptabilisaient les montants payés par l’heure pour chaque travailleur et les montants pour déplacement (i.e. kilométrages), hébergement et repas dans les cas où les travailleurs se déplaçaient pour travailler.

[8]             Les appelants contestent le bien-fondé des déterminations faites par le ministre et invoquent le fait que les travailleurs ne pouvaient exercer un emploi assurable puisqu’ils n’étaient pas des employés de monsieur Richard Meunier, ni de la société 7547978 Canada Inc. Selon eux, il n’existait aucune relation employeur-employé entre les travailleurs et monsieur Richard Meunier, d’une part, et entre les travailleurs et la société 7547978 Canda Inc., d’autre part. Dans le cas de la société 7547978 Canada Inc., les motifs suivants sont invoqués pour justifier l’absence de relation employeur-employé :

a)      le contrôle exercé par l’appelante sur les travailleurs était pratiquement inexistant;

b)      ces travailleurs étaient inscrits sur une liste d’appel et lorsqu’un contrat était octroyé à l’appelante, elle contactait les gens inscrits sur la liste d’appel afin de vérifier leur disponibilité. S’ils étaient disponibles, l’appelante retenait leurs services pour ce contrat;

c)      aucun outil ni aucune formation n’étaient offerts aux travailleurs par l’appelante;

d)     l’appelante n’exerçait aucun contrôle sur les activités des travailleurs, n’effectuait aucune supervision sur le travail effectué et ne donnait aucun ordre ou instruction sur la façon d’effectuer le travail;

e)      les clients de l’appelante établissaient le plan de travail, déterminaient les spécifications des services à être rendus et confectionnaient les plans d’étalage à suivre et les travailleurs décidaient eux-mêmes de la méthode qu’ils utiliseraient afin de compléter le mandat octroyé;

f)       l’appelante n’offrait aucune garantie aux personnes inscrites sur la liste qu’elles seraient engagées pour le contrat suivant;

g)      les travailleurs n’avaient aucune sécurité de travail auprès de l’appelante. Ils pouvaient ne pas travailler pendant de longues périodes dépendamment des contrats de l’appelante et/ou de leur disponibilité;

h)      tous les travailleurs étaient libres de travailler ailleurs, en tout temps, pour n’importe quelle autre entreprise et même dans le même domaine. Il n’existait aucune entente d’exclusivité entre les travailleurs et l’appelante;

i)        il est reconnu, par la jurisprudence, que l’intention des parties a une force probante dans la détermination de la relation de travail;

j)        or, il est évident que l’intention des parties était à l’effet qu’il s’agissait d’un contrat d’entreprise, tel que les travailleurs l’ont reconnu par écrit.

Les témoignages

[9]             Monsieur Richard Meunier a témoigné à l’audience. Il a expliqué qu’il a œuvré dans le domaine de l’alimentation depuis plus de 40 ans. Il a débuté son entreprise en 2005 qu’il opérait sous la raison sociale de « Entreprises Darik ». L’entreprise œuvre dans le marchandisage, l’échantillonnage et l’étalage de magasins à grande surface, comme des épiceries et des pharmacies, et fait de la promotion de produits pour différentes entreprises au moyen de kiosques de démonstration et de dégustation installés dans les locaux des clients afin de promouvoir et de présenter des produits directement aux consommateurs.

[10]        Monsieur Meunier a opéré seul son entreprise jusqu’au mois de juin 2010, date à laquelle il a constitué la société 7547978 Canada Inc. Le siège social et la seule place d’affaires de la société 7547978 Canada Inc. sont situés à la résidence de monsieur Meunier sise au 2 chemin des Orchidées à l’Ange-Gardien (Québec).

[11]        Les principaux clients de monsieur Meunier et de la société 7547978 Canada Inc. sont les sociétés Vincor, Dare, Planters, Vachon mais surtout la société Impact Détail Inc. dont le volume d’affaires représente de 70% à 75% du chiffre d’affaire total de l’entreprise. Les détaillants à qui les services sont rendus sont situés au Québec et en Ontario. La société Impact Détail Inc. exploite le même genre d’entreprise que celle opérée par monsieur Meunier, sauf qu’elle ne fait pas de promotion de produits à l’aide de kiosques de démonstration et de dégustation. La société Impact Détail Inc. transige avec les représentants oeuvrant au siège social des grandes entreprises, telles Loblaws, Sobeys, etc., et accorde des mandats en sous-traitance à monsieur Meunier jusqu’en juin 2010 et à la société 7547978 Canada Inc. par la suite.

[12]        L’exécution des mandats confiés à monsieur Meunier et à sa société nécessite la fourniture de services par des travailleurs non spécialisés. La nature du travail à exécuter par les travailleurs est déterminée, soit sur place par le détaillant ou par un représentant de la société-mère (ex. Loblaws), soit à l’avance au moyen de planogrammes, de photographies ou autres représentations de présentoirs détaillés par étage préalablement fournis par la société-mère du détaillant.

[13]        Monsieur Meunier recrutait les travailleurs par le simple bouche-à-oreille, sans entrevue, sans photographie et sans curriculum vitae. Le numéro d’assurance social n’était demandé que lorsque le travailleur avait accepté d’exécuter un mandat. Monsieur Meunier confectionnait une seule liste de travailleurs avec leurs numéros de téléphone; les premiers sur la liste étaient ceux qui étaient les plus disponibles et qui avaient le plus d’expérience. Lorsque des travailleurs étaient nécessaires, monsieur Meunier faisait appel aux travailleurs sur la liste en leur précisant le lieu où ils devaient se présenter de même que la date et l’heure.

[14]        Aucune formation n’était fournie aux travailleurs et aucun contrat écrit n’était conclu avec les travailleurs. Les travailleurs qui étaient appelés étaient libres d’accepter ou non l’offre de travail de monsieur Meunier. En cas de refus, aucune sanction n’était imposée aux travailleurs. Aucune exclusivité n’était exigée de la part des travailleurs.

[15]        Les travailleurs étaient payés selon un tarif horaire de 11 $ à 12 $ dans le cas d’un commis aux étalages et d’un commis effectuant des promotions de produits. Les planogrammeurs bénéficiaient d’un supplément de deux dollars de l’heure. En plus du tarif horaire, les travailleurs étaient payés pour le temps de déplacement de leur résidence au lieu de travail et recevaient une allocation pour le kilométrage de leur résidence aux lieux du travail. Le tarif horaire versé aux travailleurs était le même que les services soient rendus le jour ou la nuit.

[16]        Dans le cas de mandats en zones éloignées, monsieur Meunier remboursait les frais de déplacement au propriétaire d’un véhicule seulement si le véhicule servait du transport de quatre travailleurs. Les frais d’hébergement étaient remboursés sur présentation de factures mais seulement dans le cas d’une occupation double des chambres d’hôtel et les frais de repas étaient remboursés selon une allocation fixe de 30 $ par jour.

[17]        Monsieur Meunier avait toujours un chef d’équipe sur les sites de travail pour s’occuper des communications avec les représentants du détaillant et/ou de la société-mère du détaillant, pour recevoir les instructions quant au travail à exécuter et pour assigner les travailleurs affectés à chacune des tâches à exécuter. De plus, le chef d’équipe sur place avait la responsabilité de tenir un registre des heures travaillées par les travailleurs, lequel devait être contresigné par un représentant du détaillant. En cas d’absence, de maladie ou d’incompétence d’un travailleur, le chef d’équipe sur place devait trouver lui-même un remplaçant ou communiquer avec monsieur Meunier pour qu’il trouve un autre travailleur. Monsieur Maxim Meunier, le fils de Richard Meunier a, à plusieurs occasions, agi à titre de chef d’équipe de l’entreprise de son père sur les sites du travail.

[18]        Monsieur Meunier a de plus précisé que, pour les dégustations, il donnait des instructions aux travailleurs sur comment exécuter leur travail et ils s’assuraient de la sécurité des kiosques et des équipements. Normalement, la nourriture était fournie par le détaillant et était cuisinée chez le détaillant. Le détaillant fournissait également les assiettes, les serviettes, les nappes, les ustensiles, les tables et les réchauds.  Tout le matériel fourni par monsieur Meunier était facturé aux détaillants. Monsieur Meunier fournissait par contre les chapeaux, les pantalons longs et les chandails (t-shirts) aux travailleurs affectés à cette activité.

[19]        Monsieur Maxim Meunier a également témoigné à l’audience. Il a travaillé pour les Entreprises Darik de 2005 à 2009 et pour la société 7547978 Canada Inc. en 2011 comme travailleur autonome. En 2010, il ne se rappelait pas s’il avait travaillé pour son père vu qu’il cherchait un emploi stable. Il a confirmé que, lorsqu’il a travaillé pour son père, il exécutait les mêmes tâches que les autres travailleurs, et il bénéficiait des mêmes conditions de travail en termes de rémunération. Il a de plus confirmé que les détaillants aimaient se référer à une seule personne pour les communications avec les travailleurs affectés à un site.

[20]        Monsieur Richard Boulay, administrateur et actionnaire majoritaire de la société Impact Détail Inc., a témoigné à l’audience. Il a expliqué que son entreprise offrait un service de réagencement de tablettes à partir de planogrammes conçus par des grossistes pour le compte de grandes entreprises, telles Loblaws, Métro et Sobeys. Selon lui, 95% de son chiffre d’affaires est réalisé pour des services exécutés par ses propres employés, actuellement au nombre de 300 à 350 employés à temps partiel.

[21]        Monsieur Boulay a affirmé offrir des mandats en sous-traitance à monsieur Richard Meunier parce que son entreprise est peu présente dans la région de l’Outaouais. Il n’a pas de contrat écrit avec monsieur Meunier et la rémunération offerte est un tarif horaire avec une allocation pour les repas, l’hébergement et le transport. Lorsque monsieur Meunier accepte d’exécuter un mandat, le responsable chez Impact Détail Inc. lui envoie un courriel de confirmation en précisant l’adresse du détaillant, la nature du travail à effectuer, la durée du travail, le nombre de travailleurs requis, la date et l’heure du début des travaux. Sur place, les travailleurs exécutent leur travail selon les directives du responsable du détaillant ou du chargé de projet de la société-mère du détaillant, selon le cas. Monsieur Meunier confie à l’un de ses travailleurs la responsabilité de représenter l’entreprise pour les communications avec le détaillant et pour l’enregistrement des heures travaillées, lesquelles doivent être validées par le détaillant.

[22]        Monsieur Meunier facture Impact Détail Inc. pour les services rendus dans le cadre d’un contrat et verse la rémunération aux travailleurs qui ont travaillé sur le projet. Impact Détail Inc. émet une facture à la société-mère du détaillant et paye la facture de monsieur Meunier.

[23]        Monsieur Boulay a souligné le fait que le délai entre la date de l’offre d’un mandat et la date de réalisation du mandat était parfois très court. Souvent, l’offre d’un mandat est faite le mercredi pour que les services puissent débuter le lundi de la semaine suivante.

[24]        Madame Vicky Brazeau, une des travailleuses ayant rendu des services à monsieur Meunier, a témoigné à l’audience pour faire état des conditions dans lesquelles son travail a été exécuté. Elle a fait des dégustations de produits et elle a suivi des planogrammes soumis par les sociétés-mères des détaillants. De plus, elle a parfois agi comme chef de l’équipe de monsieur Meunier sur place. Monsieur Meunier lui remettait alors les feuilles de temps accompagnées d’une carte du trajet pour se rendre chez le détaillant.

[25]        Lors de son témoignage, madame Brazeau a relaté les circonstances entourant un voyage effectué à Sept-Îles pour le compte de monsieur Meunier. Elle a utilisé son automobile en transportant avec elle trois autres travailleurs. Elle a été remboursée pour son kilométrage et ses repas mais monsieur Meunier s’était occupé de la réservation des chambres d’hôtel et a payé directement le coût de l’hébergement. Elle n’a pas reçu d’avances de la part de monsieur Meunier pour payer ses frais de déplacement.

[26]        Pour ses services, madame Brazeau était payée à chaque semaine par chèque. Aucune retenue d’impôt n’était effectuée sur sa rémunération et elle n’avait droit à aucun bénéfice social. Elle a déclaré les revenus gagnés pour ses services auprès de monsieur Meunier comme du revenu tiré d’un travail autonome.

[27]        Mesdames Karine Grenier, examinatrice des comptes en fiducie pour l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), et madame Marie-Josée Simard, agente des appels à l’ARC, ont témoigné à l’audience pour expliquer l’évolution du dossier de monsieur Meunier et des travailleurs dont il retenait les services. La vérification initiale a débuté en juin 2011 et elle a été initiée à cause du nombre élevé de sous-traitants alors qu’aucun employé ne travaillait pour l’entreprise. En janvier 2012, madame Natasha Vermette, la vérificatrice, a fait une demande de décision quant à l’assurabilité de certains travailleurs à l’ARC. Après analyse, l’ARC a conclu que, pendant la période en litige, les travailleurs étaient des employés et que leurs emplois étaient assurables en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la LAE. Les lettres de confirmation à cet effet portent la date du 6 juillet 2012. Lesdites décisions ont été appliquées à l’ensemble des travailleurs, soit à 105 travailleurs pour 2010 et à 70 travailleurs pour 2011. Suite à ces décisions, l’ARC a annulé les T4A que monsieur Meunier avait fait préparer par son comptable au début de la vérification et a émis des T4 à tous les travailleurs de même que de nouvelles cotisations à ces derniers. Les T4A comportaient des erreurs puisque tous les montants versés aux travailleurs étaient traités comme des honoraires, y compris les montants de remboursement de dépenses pour les repas, le kilométrage, etc. et les avances en argent comptant consenties aux travailleurs.

[28]        Au cours du mois d’octobre 2012, la procureure de monsieur Meunier a logé des appels à l’encontre des décisions du ministre. Le 3 mai 2013, soit après l’établissement des nouvelles cotisations à l’égard des travailleurs, l’ARC a confirmé que les emplois des travailleurs étaient des emplois assurables.

Le droit

[29]         L’alinéa 5(1)a) de la LAE prévoit ce qui suit :

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[30]        Le paragraphe 5(2) de la LAE énumère une liste d’emplois qui ne sont pas des emplois assurables. À l’alinéa 5(2) i), il est prévu que l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance n’est pas un emploi assurable.

[31]        Le paragraphe 5(3) de la LAE prévoit les règles suivantes dans les cas où l’employeur et l’employé sont des personnes liées :

 

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[32]        La détermination du statut d’un travailleur qui effectue une prestation de travail au Québec est régie par les règles du Code civil du Québec. Le Code civil du Québec utilise les expressions « contrat de travail » et « contrat d’entreprise ou de service » lesquelles sont définis aux articles 2085 et 2098 :

Art. 2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

Art. 2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

[33]        La principale caractéristique d’un contrat d’entreprise ou de service est énoncée à l’article 2099 en ces termes :

Art. 2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

Analyse

[34]        La procureure des appelants a d’abord démontré, statistiques à l’appui, que les travailleurs travaillaient peu de jours sur une base annuelle et gagnaient une très faible rémunération. C’est naturellement le lot d’un travail occasionnel ou à temps partiel. Ce facteur n’est toutefois pas pertinent aux fins de déterminer le statut fiscal des travailleurs concernés. J’aimerais faire remarquer ici que les travailleurs de Impact Détail Inc., qui exécutent le même genre de travail que celui exercé par les travailleurs et dont un bon nombre sont eux aussi à temps partiel, sont considérés par leur employeur comme des employés.

[35]        Selon la procureure des appelants, monsieur Meunier et la société 7547978 Canada Inc. n’exercent aucun contrôle sur les travailleurs. À mon avis, cette allégation n’est pas exacte. Monsieur Meunier et la société 7547978 Canada Inc. exercent un certain contrôle sur les travailleurs. D’abord monsieur Meunier donne des instructions aux travailleurs en leur précisant le lieu de travail, le moment où ils doivent s’y présenter, la nature générale du travail et la durée estimée du travail. Lorsque le lieu de travail est éloigné, monsieur Meunier organise le transport par automobile selon ses exigences, et effectue la réservation des chambres d’hôtel ou de motel selon son protocole. Dans tous les cas, monsieur Meunier a un chef d’équipe sur place pour tenir le registre des heures travaillées pour chaque travailleur et pour faciliter la communication avec le représentant du détaillant ou de la société-mère du détaillant. Les instructions précises quant au travail à effectuer sont fournies sur place par le représentant du détaillant ou de la maison-mère ou par la remise des planogrammes, si non antérieurement remis. L’affectation des travailleurs à chacune des tâches à exécuter est faite par le chef d’équipe sur place, soit seul ou de concert avec le représentant du détaillant ou de la société-mère, selon l’expérience des travailleurs. En cas de plaintes ou de problèmes, le représentant du détaillant ou de la société-mère communique avec le chef d’équipe sur place pour qu’il règle le problème ou pour qu’il obtienne un ou des remplaçants.

[36]        Dans le cas des travailleurs effectuant des démonstrations ou des dégustations de produits, le contrôle exercé par monsieur Meunier est plus prononcé, car, en plus de fournir certains vêtements, il doit veiller à la sécurité des travailleurs en s’assurant notamment que les équipements utilisés sont sécuritaires.

[37]        Lorsque monsieur Meunier appelle des travailleurs pour leur offrir du travail, ces derniers n’ont aucun pouvoir de négociation concernant leurs conditions de travail : que ce soit pour les honoraires, le moment où les travaux doivent être réalisés, ou comment les travaux doivent être effectués. Le seul choix qui s’offre à eux est d’accepter ou de refuser l’offre de travail. L’absence d’un véritable pouvoir de négociation tend à démontrer l’existence d’un lien de subordination des travailleurs envers monsieur Meunier.

[38]        Le principal obstacle à la reconnaissance de l’existence d’un contrat d’entreprise ou de service entre, d’une part, monsieur Meunier et la société 7547978 Canada Inc. et les travailleurs, d’autre part, découle du fait que les travailleurs n’ont pas le libre choix des moyens d’exécution des contrats. Les travailleurs n’ont, dans les faits, aucune liberté dans les moyens d’exécution des contrats. Les modalités du travail à être exécuté sont dans la grande majorité des cas pré-établies à l’avance, par Impact Détail Inc. de concert avec les dirigeants des sociétés-mères des détaillants. L’exemple le plus frappant est lorsque des planogrammes sont soumis. Dans ce cas, les travailleurs n’ont qu’à reproduire d’une façon très précise ce qui est représenté sur les planogrammes.

[39]        Même si les modalités d’exécution des contrats provenaient des détaillants ou de leurs sociétés-mères, monsieur Meunier était tenu, en vertu de son sous-contrat avec Impact Détail Inc., de les respecter et de les faire respecter par les travailleurs. Cette relation contractuelle a pour effet d’établir un lien de subordination quant à l’exécution du contrat de travail entre monsieur Meunier et la société 7547978 Canada Inc. et les travailleurs. Par contre, le contrôle des résultats des travaux à être exécutés en vertu d’un contrat était exercé par le représentant du détaillant sur place.

[40]        L’intention des travailleurs à l’effet qu’ils étaient des travailleurs autonomes n’est pas un facteur pertinent en l’espèce parce que les relations avec monsieur Meunier et la société 7547978 Canada Inc. était fondées sur des ententes verbales qui n’étaient pas sujettes à interprétation.  De plus, ladite déclaration d’intention n’a pas été corroborée par la conduite des parties. L’absence d’un véritable pouvoir de négociation, l’encadrement des travailleurs dans l’organisation du travail, l’existence d’un lien de subordination des travailleurs et l’absence de liberté dans les moyens d’exécution du travail sont autant des facteurs contredisant l’intention déclarée des travailleurs.

[41]        L’application des critères de common law, tel qu’énoncé dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, 87 DTC 5025, soit (a) le degré, ou l’absence de contrôle exercé par le prétendu employeur, (b) la propriété des instruments de travail, (c) les chances de bénéfices et les risques de pertes et (d) l’intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l’entreprise de l’employeur présumé, n’auraient pas changé le résultat de l’analyse de la détermination du statut fiscal des travailleurs. La notion de contrôle des travailleurs a été examinée aux paragraphes précédents; les travailleurs n’avaient à utiliser aucun instrument de travail; les travailleurs n’avaient aucune chance de réaliser des profits ou d’encourir des pertes tandis que le facteur d’intégration aux activités de l’entreprise de monsieur Meunier est un facteur très peu utilisé et très peu déterminant.

[42]        Pour ces motifs, je conclus que les travailleurs exerçaient un emploi assurable auprès de monsieur Meunier et de la société 7547978 Canada Inc. pendant les périodes pertinentes. Monsieur Maxim Meunier exerçait également un emploi assurable auprès de son père et de la société 7547978 Canada Inc. parce que ses conditions de travail étaient similaires à celles des autres travailleurs.

[43]        En conséquence, les appels sont rejetés et il n’est pas nécessaire de considérer l’argument alternatif soulevé par l’intimé à l’effet que monsieur Meunier et la société 7547978 Canada Inc. agissaient comme des agences de placement.  

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2015.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


RÉFÉRENCE :

2015CCI111

Nº DES DOSSIERS DE LA COUR :

2013-3120(EI), 2013-3117(EI), 2013-3121(EI), 2013-3122(EI), 2013-4177(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Richard Meunier, Maxim Meunier, 7547978 Canada Inc. et M.R.N.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

les 4 et 5 septembre 2014 et le 10 novembre 2014

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

le 7 mai 2015

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelant :

Me Chantal Donaldson

Avocate de l'intimé :

Me Natasha Wallace

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Chantal Donaldson

Cabinet :

LeBlanc Donaldson

Gatineau (Québec)

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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