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Dossier : 2004-2266(GST)G

ENTRE :

ÉDOUARD ROBERTSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu les 27, 28, 29 mai et les 4, 5, 6, 10, 11 et 12 juin 2014, à Alma (Québec).

Devant : L'honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

 

Avocats de l'appelant :

Me François Bouchard

Me Jean-François Delisle

Avocat(es) de l'intimée :

Me Anick Pelletier

Me Patrick Vézina

Me Nancy Bonsaint

 

JUGEMENT

        L'appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu du Québec, en tant que mandataire du ministre du Revenu national, en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, datée du 17 février 2004 et portant le numéro 1651017, concernant les périodes de déclaration du 1er juin 1996 au 31 mai 2002 de l'entreprise de l'appelant est rejeté avec dépens selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2015.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


Référence : 2015 CCI 219

Date : 20150910

Dossier : 2004-2266(GST)G

ENTRE :

ÉDOUARD ROBERTSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]             L'appelant a interjeté appel à l’encontre d'une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu du Québec, agissant en tant que mandataire du ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), c. E‑15, telle que modifiée (la « LTA »), datée du 17 février 2004 et portant le numéro 1651017 concernant les périodes de déclaration du 1er juin 1996 au 31 mai 2002 de l'entreprise de l'appelant (la « cotisation en litige »).

[2]             En vertu de la cotisation en litige, le ministre réclame à l'appelant un montant de 302 689,40 $ au titre de la taxe sur les produits et services (la « TPS »), un montant de 39 712,04 $ à titre de pénalités en vertu du paragraphe 280(1) de la LTA et un montant de 29 214,07 $ à titre d'intérêts. Les montants de TPS cotisés par période sont détaillés à l'annexe A, jointe à la Réponse modifiée à l'avis d'appel du 14 octobre 2011 et reproduite à la fin du présent jugement.

[3]             La cotisation en litige a annulé et remplacé la nouvelle cotisation établie en date du 8 mai 2003 et portant le numéro 1650879, laquelle concernait les périodes de déclaration du 1er juin 1993 au 31 mai 2002 et en vertu de laquelle le ministre réclamait à l'appelant un montant total de 514 172, 81 $, soit un montant de TPS de 334 438,97 $, un montant de pénalités de 102 554,04 $ et un montant d'intérêts de 77 179,80 $. En établissant la cotisation en litige, le ministre a tenu pour acquis, relativement aux périodes de déclaration du 1er juin 1996 au 31 mai 2002, les mêmes faits que ceux sous-jacents à l'établissement de la nouvelle cotisation datée du 8 mai 2003, sauf en ce qui a trait à la période d'exploitation de l'entreprise par l'appelant. Le ministre a effet tenu pour acquis que l'appelant n'avait commencé à exploiter son entreprise que le ou vers le 1er juin 1996. Lors de l'établissement de la cotisation en litige, les périodes de déclaration du 1er juin 1993 au 31 mai 1996 furent cotisées à zéro avec rajustements pour les intérêts et les pénalités.

[4]             La nouvelle cotisation du 8 mai 2003 a annulé et remplacé la cotisation initiale établie en date du 5 août 2002 et portant le numéro 1245832 en vertu de laquelle le ministre réclamait à l'appelant un montant total de 751 626.18 $, soit un montant de TPS de 488 146,26 $, un montant de pénalités de 150 264,01 $ et un montant d'intérêts de 113 215,91 $.

[5]             Les questions en litige sont les suivantes:

a)       le ministre a-t-il, à bon droit, cotisé l'appelant au motif qu'il était tenu, aux termes de la LTA, de percevoir la TPS et de la remettre au ministre pour les ventes taxables effectuées à des non-indiens?

b)       le ministre a-t-il bien calculé dans le cadre de la cotisation en litige le pourcentage des fournitures non taxables faites à des indiens?

c)        la cotisation en litige est-elle prescrite?

d)       le ministre a-t-il imposé, à bon droit, une pénalité à l'appelant pour défaut de percevoir et de remettre la TPS en vertu du paragraphe 280(1) de la LTA?

[6]             L'appelant invoque à l'encontre de la cotisation en litige les quatre (4) motifs, en faits et en droit, suivants :

a)       l'incompatibilité de la LTA avec la Loi sur les indiens, L.R.C. 1985, c. I-5, telle que modifiée (la « Loi sur les indiens »);

b)       l'absence d'équité procédurale à l'égard de l'appelant;

c)        l'absence de traité avec les montagnais du Lac St-Jean et l'existence de droits ancestraux de l'appelant;

d)       la surestimation et la prescription de la cotisation en litige.

Faits pertinents au litige

[7]             L'appelant est un indien au sens de la Loi sur les Indiens et est membre de la bande montagnaise de Mashteuiatsh (Pointe-Bleue).

[8]             L'appelant opère sous la raison sociale « René Robertson fourrures EDA », une entreprise de fabrication et de vente de fourrures depuis au moins le ou vers le 1er juin 1996. Son père avant lui, monsieur René Robertson, et ses autres ascendants, depuis quatre (4) générations, ont opéré ce commerce.

[9]             L'appelant avait, pendant la période en litige, une place d'affaires située au 1619, rue Ouiatchowan, sur la réserve indienne de Mashteuiatsh (Pointe-Bleue) district de Roberval. L'appelant opérait ce commerce de façon publique et affichée.

[10]        Au mois de mars 2000, Revenu Québec a demandé pour la première fois à l'appelant de pouvoir procéder à la vérification de ses livres et registres afin d'évaluer s'il était redevable d'un montant de TPS.

[11]        Par une lettre datée du 8 mars 2000, l'appelant a demandé à Revenu Québec de communiquer avec ses instances politiques locales, soit le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean, sachant qu'à cette époque, des négociations étaient en cours entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec et le Conseil tribal Mamuitun mak Nutahquan pour une redéfinition des pouvoirs politiques et économiques des communautés faisant partie du Conseil tribal.

[12]        Le ou vers le 17 avril 2001, Revenu Québec a avisé l'appelant par téléphone que ses préposés désiraient effectuer la vérification sur place des livres et registres de l'appelant le 6 mai 2001.

[13]        Le 20 avril 2001, l'appelant a écrit au Conseil des Montagnais afin que ce dernier intervienne, l'appelant se disant disposé à percevoir et à verser, en fonction du rapatriement des pouvoirs par le Conseil des Montagnais, la TPS à l'instance locale.

[14]        Le 2 mai 2001, Revenu Québec a transmis par lettre une demande de production de renseignements concernant la TPS et une demande similaire concernant la taxe de vente du Québec (la « TVQ ») en vue de cotiser l'appelant pour la période du 1er avril 1997 au 31 mars 2001.

[15]        Par une lettre datée du 11 mai 2001, le chef du Conseil des Montagnais a demandé au ministre d'ordonner à ses fonctionnaires de suspendre leurs interventions dans la communauté de Mashteuiatsh en attendant les résultats des négociations tripartites entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec et le Conseil tribal Mamuitun mak Nutahquan.

[16]        Par une lettre datée du 5 juillet 2001, la sous-ministre du ministère du Revenu du Québec a répondu par la négative, à la demande du chef du Conseil des Montagnais du 11 mai 2001 en précisant que les négociations en cours n'avaient pas pour effet de différer, altérer, suspendre ou annuler les interventions courantes du ministère du Revenu dans l'accomplissement de sa mission.

[17]        Le ou vers le 29 octobre 2001, Revenu Québec a avisé l'appelant par téléphone de son intention d'effectuer la vérification de ses livres et registres le ou vers le 14 novembre 2001.

[18]        Le 1er novembre 2001, l'appelant s'est enquis par écrit auprès du chef intérimaire du Conseil des Montagnais de l'état des négociations avec les gouvernements du Canada et du Québec et de la position actuelle du Conseil concernant le dossier de taxation.

[19]        Le 12 novembre 2001, Revenu Québec a transmis à la Caisse populaire Desjardins Pointe-Bleue une demande de renseignements et de documents concernant René Robertson Fourrures et Édouard Robertson pour la période du 1er octobre 1997 au 30 septembre 2001.

[20]        Le 8 janvier 2002, une demande de renseignements et de documents similaire à celle décrite au paragraphe précédent fût transmise par Revenu Québec à la Banque de Montréal, succursale Grande-Allée à Québec, à laquelle succursale l'appelant avait un compte de banque.

[21]        Le 3 février 2002, l'appelant a saisi de nouveau par écrit les instances politiques locales afin de savoir où en était rendu le dossier des négociations avec les instances politiques fédérales et provinciales.

[22]        Aucune vérification des livres et registres de l'appelant n'avait encore été effectuée en février 2002 malgré les nombreuses demandes de Revenu Québec en ce sens.

[23]        Le 5 août 2002, Revenu Québec a transmis à l'appelant un projet de cotisation TPS/TVQ pour la période du 1er juin 1993 au 31 mai 2002 sans avoir effectué une vérification complète des livres et registres de l'appelant suite aux refus successifs de l'appelant de fournir ses livres et registres pour fins de vérification.

[24]        Le projet de cotisation et l'avis de cotisation initiale pour la TPS portaient la même date, soit le 5 août 2002, de sorte que l'appelant n'a pu bénéficier d'aucun délai pour communiquer des informations additionnelles aux autorités du ministère du Revenu du Québec.

[25]        Le 26 août 2002, monsieur Clifford Moar, le chef du Conseil des Montagnais a adressé au ministre du Revenu du Québec, une lettre lui demandant de suspendre les procédures relatives aux cotisations établies contre l'appelant en invoquant le fait que le Conseil des Montagnais du Lac St-Jean avait signé avec le Gouvernement du Québec une entente-cadre comprenant plusieurs sujets dont une entente sectorielle sur la fiscalité et que ladite entente-cadre était en instance de recevoir l'approbation du Conseil des ministres du Québec.

[26]        Le 25 septembre 2002, la division du recouvrement de Revenu Québec a transmis à l'appelant un avis final de paiement totalisant 1 591 519,64 $ en TPS et en TVQ.

[27]        Le 2 octobre 2002, la sous-ministre du ministère du Revenu du Québec a répondu à la lettre du chef du Conseil des Montagnais du 26 août 2002 en réitérant que jusqu'à ce qu'une entente fiscale n'intervienne, le ministère a toujours l'obligation d'appliquer les règles fiscales actuelles de façon équitable à l'ensemble des contribuables et des mandataires qu'il dessert. Madame la sous-ministre a offert de rencontrer tout commerçant de la réserve de Mashteuiatsh qui a reçu une cotisation pour tenter, de bonne foi de part et d'autre, de convenir de modalités de paiement satisfaisantes aux deux parties.

[28]        Par une lettre datée du 4 octobre 2002, l'appelant a réitéré sa position à l'effet qu'il ne reconnaît qu'une seule autorité politique dans les limites de la communauté Mashteuiatsh, soit le Conseil des Montagnais, et qu'il était disposé, sur une base volontaire, à prélever à partir du 1er janvier 2003, une taxe de vente qui sera transmise au Conseil des Montagnais afin de laisser le temps aux dirigeants politiques respectifs de trouver des solutions réalistes et réalisables convenant aux parties.

[29]        Le même jour, soit le 4 octobre 2002, l'appelant a écrit de nouveau au Conseil des Montagnais afin de requérir de ce dernier, une position claire relativement au dossier de taxation face aux gouvernements fédéral et québécois.

[30]        Par une lettre datée du 9 octobre 2002, le chef du Conseil des Montagnais a demandé au premier ministre du Québec, monsieur Bernard Landry, de suspendre toute mesure de recouvrement contre les entreprises de Mashteuiatsh dont celle de l'appelant.

[31]        En réponse à la lettre du 9 octobre 2002, monsieur René Trudel, ministre responsable des affaires autochtones, a écrit une lettre au chef du Conseil des Montagnais, datée du 20 décembre 2002, disant que monsieur André Forget de Revenu Québec communiquerait sous peu avec monsieur Alain Nepton pour mettre en place une table de négociation sectorielle sur la fiscalité.

[32]        Le ou vers le 31 janvier 2003, la division du recouvrement de Revenu Québec a transmis à l'institution financière de l'appelant un ordre de payer 783 191,34 $ en vertu de l'article 317 de la LTA.

[33]        La division du recouvrement de Revenu Québec a, conformément à l'article 316 de la LTA et suite au refus par l'appelant de respecter l'avis final de la demande de paiement, fait enregistrer le 14 février 2003 au greffe de la Cour fédérale, un certificat ayant le même effet qu'un jugement rendu contre l'appelant, le condamnant à payer 783 734 $ à Revenu Québec dans le cadre du dossier GST-627-03 de ladite Cour.

[34]        Par une lettre datée du 18 février 2003, l'appelant, par la voie de ses procureurs, a demandé à Revenu Québec de faire suite à sa lettre du 4 octobre 2002 que l'appelant considère être une opposition à la cotisation initiale du 5 août 2002.

[35]        Par une lettre datée du 4 mars 2003, la division du recouvrement de Revenu Québec a signifié à l'appelant une copie des deux jugements qui ont été prononcés en faveur du ministre du Revenu du Québec. L'un de ces jugements a été établi conformément à la LTA tandis que l'autre a été établi en vertu de la Loi sur le ministère du Revenu. En vertu de ces deux (2) jugements, l'appelant était redevable du paiement de la somme de 1 655 999,47 $ dont 783 734,83 $ à titre de TPS, comprenant les droits, les pénalités et les intérêts courus au 4 mars 2003. Cette somme devait être payée au plus tard le 4 avril 2003.

[36]        Par un courriel daté du 14 mars 2003, monsieur André Forget de la direction des affaires autochtones de Revenu Québec a informé les procureurs de l'appelant que Revenu Québec était disposé à analyser rapidement les prétentions du contribuable, monsieur Édouard Robertson, suite à l'accès rapide et à l'analyse des livres et registres de son entreprise.

[37]        Par une lettre datée du 1er avril 2003, Revenu Québec a demandé à l'appelant de lui fournir des documents pour permettre la vérification des années 1994 à 2002.

[38]        En avril 2003, l'appelant a offert, pour la première fois, sa collaboration à Revenu Québec, en autorisant une vérification de ses livres et registres à sa place d'affaires sur la réserve indienne Mashteuiatsh.

[39]        Le 15 avril 2003, Revenu Québec a transmis à l'appelant un nouveau projet de cotisation résultant de la vérification effectuée, lui réclamant la somme totale de 514 172,81 $, soit 334 438,97 $ à titre de TPS, 102 554,04 $ à titre de pénalités et 77 179,80 $ à titre d'intérêts.

[40]        En date du 8 mai 2003, le ministre a établi une nouvelle cotisation portant le numéro 1650879 qui remplaçait et annulait la cotisation du 5 août 2003 et par laquelle le ministre réclamait à l'appelant la somme totale de 514 172,81 $ pour la période du 1er juin 1993 au 31 mai 2002.

[41]        L'appelant a, par l'entremise de ses procureurs, signifié le 29 mai 2003, un avis d'opposition en bonne et due forme à la cotisation numéro 1650879 établie par Revenu Québec le 8 mai 2003, le tout « sans préjudice à la première opposition expédiée le 4 octobre 2002 ».

[42]        Par une lettre datée du 16 juin 2003, Revenu Québec a informé l'appelant que son avis d'opposition du 29 mai 2003 ne pourrait être accepté parce qu'il a été signifié hors du délai prescrit par la LTA.

[43]        Le 23 juin 2003, Revenu Québec a transmis à l'appelant un nouvel avis final de paiement totalisant 1 151 972,50 $ au titre de la TPS et de la TVQ, incluant les intérêts et les pénalités au 23 juin 2003.

[44]        En date du 30 juin 2003 et du 3 juillet 2003, l'appelant directement et aussi par le biais de ses procureurs, a de nouveau exigé par écrit une réponse à son avis d'opposition original du 4 octobre 2002.

[45]        Par une lettre datée du 4 juillet 2003, la direction des oppositions de Revenu Québec a confirmé que l'avis d'opposition de l'appelant pour la période du 1er juin 1993 au 31 mai 2002 avait été effectivement signifié dans le délai prévu par la LTA.

[46]        Le 14 juillet 2003, Revenu Québec a transmis à l'institution financière de l'appelant, un nouvel ordre de payer en vertu de l'article 317 de la LTA, la somme de 556 660,30 $.

[47]        Par une lettre datée du 17 juillet 2003 adressée aux procureurs de l'appelant, Revenu Québec a expliqué que le nouvel avis de cotisation remplaçait le précédent à l'égard duquel l'appelant a transmis la lettre du 4 octobre 2002. La question de savoir si cette lettre pouvait équivaloir à un avis d'opposition est devenue par conséquent un faux problème.

[48]        Le 21 juillet 2003, les procureurs de l'appelant ont réitéré par écrit auprès de Revenu Québec le préjudice subi par l'appelant face à l'absence de réponse à l'égard des différents avis opposition signifiés par l'appelant concernant les différents avis de cotisation reçus par ce dernier.

[49]        Par une lettre en date du 25 août 2003, l'appelant a indiqué au nouveau chef du Conseil des Montagnais, monsieur Gilbert Dominique, qu'il en était rendu à devoir abdiquer et à se mettre en faillite suite aux pressions exercées par Revenu Québec et par son institution financière.

[50]        Suite à la réception d'un avis de révocation de son certificat d'inscription en vertu de la LTA daté du 16 septembre 2003 avec ordonnance « de cesser immédiatement l'exploitation de son entreprise […] » reçu de Revenu Québec, l'appelant a déposé à la Cour Supérieure du Québec, district de Roberval au dossier 155‑17‑000043-030, une demande d'injonction interlocutoire afin de faire sursoir à l'avis de révocation du certificat d'inscription.

[51]        Une entente intérimaire est intervenue entre les parties, laquelle entente visait notamment à suspendre les procédures ayant trait à la demande d'injonction intérimaire et à poursuivre devant cette Cour les procédures de contestations sur toutes les questions liées à la validité des avis de cotisation.

[52]        En date du 27 janvier 2004, la direction des oppositions de Revenu Québec a transmis à l'appelant sa réponse à l'avis d'opposition en établissant les droits cotisés en vertu de la LTA à 233 763,29 $ en TPS au lieu de la somme de 334 438 $.

[53]        Le 17 février 2004, le ministre a établi une nouvelle cotisation portant le numéro 1651017 pour un montant total de 302 690,20 $, soit 233 763,29 $ à titre de  TPS, 39 712,84 $ à titre de pénalités et 29 214,07 à titre d'intérêts.

Témoignage de monsieur Édouard Robertson

[54]        Monsieur Robertson exploite une entreprise d'achat et de vente de peaux de fourrure et opère un atelier de production de vêtements en cuir et en fourrure sur la réserve de Mashteuiatsh. Le commerce de la fourrure ne constitue pas la principale composante de l'ensemble de son chiffre d'affaires.

[55]        Les clients de l'entreprise sont principalement des non-Indiens. Les ventes aux Indiens ne représentent qu'environ 20% du chiffre d'affaires total de l'entreprise.

[56]        Monsieur Robertson a acquis en 1996 le commerce alors exploité par son père, à l'exception du volet achat et vente de fourrures à l'état de peaux ou de fourrures brutes qu'il a effectivement acquis en 2001. Le prix d'achat du commerce était de 440 000 $, lequel a été financé au moyen d'un prêt contracté auprès de la Banque de Montréal.

[57]        Lors de l'acquisition du commerce en 1996, il y avait quatre (4) commerçants en fourrures au Lac St-Jean dont celui de monsieur Robertson. En termes de volume de peaux de fourrure, seulement 10% des peaux achetées par monsieur Robertson provenait de trappeurs indiens.

[58]        En 1996, l'entreprise de monsieur Robertson ne comptait que quatre (4) employés temporaires, lesquels fabriquaient des chapeaux, des mitaines et des accessoires. Le chiffre d'affaires de l'entreprise n'était alors que de l'ordre de 400 000 $. Au cours des années subséquentes, le chiffre d'affaires n'a cessé d'augmenter pour atteindre 1 264 223,60 $ pour l'exercice financier débutant le 1er juin 2001 et se terminant le 31 mai 2002. Le nombre d'employés a suivi la progression du chiffre d'affaires pour atteindre quinze (15) à vingt (20) employés au total comprenant les employés permanents et temporaires.

[59]        Selon l'état des résultats de chacune des années en litige, à l'exception de l'année débutant le 1er juin 1996 et se terminant le 31 mai 1997 pour laquelle il n'y avait pas d'états financiers, les principaux items du chiffre d'affaires comprenaient les ventes de chapeaux, mitaines, bottes, mocassins, d'articles d'artisanat, de manteaux de fourrure neufs et usagés, de manteaux de fourrure remodelés, le nettoyage, les réparations et l'entreposage de manteaux de fourrure, les ventes d'animaux naturalisés, les ventes de peaux et les ventes en gros (les contrats).

[60]        Concernant les principaux items du chiffre d'affaires de son entreprise, monsieur Robertson a fourni de nombreuses explications très utiles. Son entreprise fabriquait les chapeaux, les mitaines, les mocassins, les manteaux d'agneaux renversés. Les chapeaux étaient confectionnés dans une proportion de 80% d'animaux sauvages et de 20% de visons élevés alors que les mitaines et les mocassins étaient confectionnés à 100% de peaux de castor. L'entreprise achetait et revendait des mocassins en cuir d'orignal boucané, fabriqués par des hurons ou par des Attikamèques. Les bottes étaient fabriquées à 100% d'animaux sauvages par un fournisseur indépendant.

[61]        La confection des manteaux de fourrure et le remodelage des manteaux de fourrure étaient effectués par une entreprise de Montréal opérant sous le nom de « Fourrures Micheline Inc. » dans laquelle monsieur Robertson a pris en 1998 une participation de 49% des actions comportant droit de vote. Selon monsieur Robertson, Fourrures Micheline Inc. utilisait environ 40% de fourrures d'animaux d'élevage et 60% de fourrures d'animaux sauvages. Fourrures Micheline Inc. a fait une cession de ses biens en 2003 ou 2004.

[62]        Les pièces d'artisanat étaient majoritairement fabriquées par la communauté locale et par d'autres communautés autochtones.

[63]        Les ventes en gros représentaient des contrats de fabrication pour la société Canuck. Les ventes à Canuck ont débuté en 1998 et sont devenus au fil des ans le plus important item du chiffre d'affaires de l'entreprise. Pour exécuter les commandes de Canuck, l'entreprise de monsieur Robertson utilisait des peaux de coyotes sauvages provenant à 90% du Canada et à 10% de l'état du Montana aux États‑Unis et des peaux de renard argenté. Le principal fournisseur de peaux de coyotes canadiens et de peaux de renard argenté était la société Roberge Fourrures, une entreprise située à Montréal. Monsieur Robertson achetait également de Roberge Fourrures et de fournisseurs finlandais et norvégiens des fourrures finies, i.e. des fourrures tannées, et il faisait tanner des peaux par la société Vaudry, une entreprise non-autochtone.

[64]        Monsieur Robertson achetait ses fourrures brutes de son père qui les achetait de trappeurs. Les fourrures brutes étaient vendues dans une proportion de 90% à Fourrures Micheline Inc. et dans une proportion de 10% à d'autres manufacturiers non-autochtones pour la confection de manteaux. Les autres ventes de fourrures brutes ont été exclues du chiffre d'affaires de l'entreprise de monsieur Robertson jusqu'en 2001 parce qu'elles étaient attribuables aux activités commerciales du père de l'appelant.

[65]        Monsieur Robertson faisait également confectionner par des ateliers de design situés à Montréal des manteaux d'agneaux renversés, des vêtements en polar et en cuir (porcs et agneaux).

[66]        Les ventes de peaux naturalisées étaient des peaux d'ours pour être utilisées comme tapis. 

[67]        Avant de faire l'acquisition du commerce de son père, monsieur Robertson a été de 1991 à 1996, directeur-général du Conseil des Montagnais du Lac St‑Jean. De 1996 à 2010, il s'est occupé à plein temps du commerce. En 2010, il est devenu directeur-général de la Société de Développement Économique Ilnu (« SDEI ») dont le mandat était de favoriser le développement d'entreprises sur la réserve de Mashteuiatsh. Selon des statistiques récentes, la réserve compte quelques 125 entreprises pour une communauté comptant environ 2 000 habitants.

Les témoignages d’experts

[68]        Monsieur Claude Gélinas, Ph.D., historien et anthropologue, a témoigné pour le compte de l’appelant et a déposé un rapport d’expertise intitulé « Les Montagnais du Lac Saint-Jean et leur tradition de commerce des fourrures ». L’étude brosse d’abord un portrait de la tradition de commerce chez les autochtones de la région du Lac Saint-Jean depuis la préhistoire jusqu’au milieu du 20e siècle, et plus particulièrement celle qui a trait au commerce des fourrures. Il s’agit de voir comment, déjà avant l’arrivée des Blancs, les autochtones s’inscrivaient à l’intérieur de réseaux d’échange étendus à l’échelle du nord-est américain, et dans le cadre desquels ils étaient en mesure de se procurer divers produits complémentaires à leur économie de subsistance auprès des populations voisines en échange, le plus souvent, de fourrures.

[69]        L’étude démontre que cette tradition de commerce chez les Montagnais s’est toujours inscrite dans un contexte de pleine autonomie politique et narrative. L’absence d’institutions politiques supra-communautaires dans le subarctique oriental avant l’arrivée des Européens laissait les familles et les bandes autochtones libres d’entretenir les rapports commerciaux qu’elles souhaitaient avec les partenaires de leur choix. Cette réalité n’a pas réellement changé avec l’avènement des Européens, dans la mesure où l’absence de traités assujettissant les Montagnais du Lac Saint-Jean à l’autorité de la Couronne, l’absence d’institutions de contrôle politique effectives dans la région du Lac Saint-Jean avant la seconde moitié du 19e siècle et l’absence d’entraves significatives posées par la Loi sur les Indiens à l’encontre du commerce des fourrures ont toujours permis aux Montagnais de s’adonner librement à cette activité jusqu’au milieu du 20e siècle.

[70]        La troisième partie de l’étude porte sur l’étendue historique du territoire d’occupation et d’exploitation auquel les Montagnais du Lac Saint-Jean ont eu accès au fil des siècles, pour pratiquer leurs activités de chasse et de piégeage.

[71]        Les sources de cette étude ont été déposées comme pièce A-7 et représentent 11 volumes de documents imprimés recto-verso. Vu l’analyse et l’importance de cette étude, il m’apparaît être approprié de joindre en annexe à ce jugement l’intégralité des conclusions.

[72]        Monsieur Alain Beaulieu, Ph.D. et historien, a témoigné pour le compte de l’intimée et a déposé un rapport d’expertise intitulé « Commerce, Structure politique et changements sociaux : le cas des Montagnais du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 1600-1950 ». Cette magistrale étude couvrant trois siècles et demi d’histoire est une analyse historique du rôle joué par les Montagnais du Lac-Saint-Jean dans le commerce des fourrures.

[73]        Il n’est pas possible de reprendre ici les nombreuses données historiques que l’étude renferme. Par contre, il y a lieu de reproduire certains extraits qui sont particulièrement révélateurs surtout en ce qui a trait à la période précédant l’arrivée des Européens :

L’histoire coloniale du Canada est étroitement liée à celle du commerce des fourrures. Cette activité commerciale, qui fut à l’origine de l’implantation d’une colonie française en Amérique du Nord, joua aussi un rôle déterminant dans les relations que les Européens établirent avec les nations autochtones. Elle fut ainsi le fondement du réseau d’alliance mis sur pied par les Français à partir du XVIIe siècle et dont les ramifications s’étendaient loin à l’intérieur du continent, grâce notamment à une série de postes de traite et de forts. Après la conquête de la Nouvelle-France, en 1760, la traite des fourrures continua à jouer un rôle économique important durant quelques décennies. Elle ne commença véritablement à perdre sa place centrale dans l’économie coloniale de l’est du Canada qu’au XIXe siècle, alors qu’une nouvelle activité, l’industrie forestière, prit le relais, stimulant la croissance économique des colonies britanniques et entraînant l’ouverture de nouvelles régions à la colonisation. (page 1)

On ne peut donc plus ignorer le rôle dynamique des Autochtones dans la traite des fourrures. Il faut toutefois éviter de tracer un portrait essentiellement positif de leur participation, car ce commerce a eu également des effets perturbateurs sur leurs communautés. À moyen terme, la collaboration à ce commerce a engendré une situation de dépendance chez la plupart des groupes autochtones. (page 2)

À ses débuts, la traite des fourrures favorise certes la constitution de relations d’entente avec les Autochtones, mais elle entraîne aussi leur intégration dans l’orbite économique et politique des puissances européennes. C’est en effet avec la ferme intention d’y établir leur autorité que les Français s’implantent dans la vallée du Saint-Laurent au XVIIe siècle, intention qui restera celle des Britanniques qui les remplacent en 1760. Le commerce des fourrures est certainement l’un des premiers domaines où les Français exercent des pouvoirs qui sont associés à la constitution d’une nouvelle souveraineté. L’octroi de monopoles commerciaux sur de grandes étendues de territoire, afin de stimuler le processus de colonisation ou de générer des revenus pour l’État en est l’exemple le plus frappant. (page 2)

Historiquement, la traite des fourrures, notamment par le rapport de dépendance qu’elle instaure, amorce un processus qui conduit à l’intégration des nations amérindiennes dans un nouvel ordre politique, qui balise leur autonomie, en la limitant et en l’encadrant. Il est certain cependant que ce commerce, tant qu’il restait une activité essentielle à la survie de la colonie, ne permettait l’exercice d’un pouvoir colonial fort sur les nations autochtones. Si c’est une erreur d’occulter les interventions du pouvoir colonial en ce domaine, c’en serait une autre de leur donner une importance ou un rôle qu’elles n’ont pas eu. Ainsi, n’est-ce pas un hasard si c’est au moment du déclin du commerce des fourrures, au XIXe siècle, que se renforce le pouvoir colonial sur les sociétés autochtones de l’est du Canada, avec la création des réserves, l’adoption de la Loi sur les Indiens et le déploiement d’une logique de tutelle dans les rapports avec les Autochtones. (page 3)

Les Montagnais, comme les autres Autochtones du nord-est de l’Amérique, sont intégrés à des réseaux d’échange, par lesquels ils se procurent un certain nombre de biens et de produits qu’ils ne fabriquent pas eux-mêmes. Les fouilles archéologiques des dernières années ont permis de mettre en valeur cette facette de l’économie des sociétés autochtones, que viennent renforcer les témoignages des premiers observateurs européens.

[…]

Les fouilles archéologiques effectuées sur différents sites du Québec central, de la vallée du Saint-Laurent, du sud de l’Ontario, des États-Unis ou encore du Mexique permettent d’affirmer qu’il existait déjà plusieurs axes de commerce avant l’arrivée des Européens. Grâce aux artefacts, les archéologues ont pu observer une circulation des marchandises sur de très grandes distances. Il ne faut pas s’étonner de retrouver au cœur de l’Amérique des produits en provenance des rivages de l’Atlantique ou du Pacifique, donc très loin de leur lieu d’origine. Des matériaux comme le quartzite, le jaspe, le cuivre ou la catlinite qui ont été découverts sur différents sites américains, tendent à démontrer l’existence d’un commerce de longue distance. D’autres articles sont également échangés : poterie, silex, corde, wampum, filets de pêche, ainsi que divers produits de consommation comme le poisson séché, le maïs, le tabac, etc. (page 12)

Les fouilles archéologiques et la relecture des sources historiques du XVIIe  siècle ont conduit plusieurs chercheurs à réviser complètement leur vision du commerce dans les sociétés autochtones du nord-est de l’Amérique. Une des tendances courantes consiste à présenter les Autochtones — et cela est vrai pour les Montagnais, notamment ceux de Tadoussac —comme des marchands avisés, habiles, cherchant à jouer sur la concurrence. Cette image, que les documents permettent d’appuyer (voir la section suivante), ne doit toutefois pas nous faire perdre de vue le contexte global dans lequel se déroulent les activités commerciales des Autochtones. Pour bien situer les traditions commerciales des Montagnais au moment des premiers contacts avec les Européens, il faut les replacer dans le cadre où elles ont pris forme, à savoir celui d’une économie dont les fondements sont radicalement différents de ceux d’une économie marchande ou capitaliste.

Il faut surtout éviter le piège qui consisterait à présenter les Montagnais comme des capitalistes avant l’heure. Leurs activités marchandes prennent ainsi place essentiellement dans une économie de subsistance, centrée sur la satisfaction des besoins des familles et de la communauté. La logique commerciale ne vise pas, comme dans une économie marchande, l’accumulation de surplus. Ce type de cumul est impensable dans une société comme celle des Montagnais, où la mobilité est primordiale. Cela n’exclut évidemment pas l’acquisition de certains « produits de luxe » ou rares, mais celle-ci ne doit pas aller à l’encontre du trait fondamental du mode de vie et de la culture des Montagnais, à savoir le nomadisme. Les biens acquis le sont toujours dans des quantités qui n’entravent pas les capacités de déplacement du groupe, car sinon c’est sa survie qui est menacée.

L’impossible accumulation des biens se reflète aussi dans des traits fondamentaux de la culture montagnaise, comme le détachement à l’égard des biens matériels et le mépris associé à des comportements qui témoignent d’une volonté de posséder des biens de manière exclusive. (page 16)

Le potentiel de la vallée du Saint-Laurent pour le développement de la traite des fourrures se traduit rapidement par la construction de quelques postes, dont un à Québec, en 1608, et un autre à Trois-Rivières en 1634. L’embouchure du Saguenay fut toutefois le premier secteur à accueillir un tel poste. Construit par le marchand Pierre de Chauvin, en 1600, il sera pendant quelques décennies un des hauts lieux de la traite des fourrures en  Amérique du Nord-est. L’embouchure de la rivière Saguenay est, à cette époque, contrôlée par les Montagnais de Tadoussac, qui sont alors au cœur d’un réseau commercial s’étendant jusqu’à l’arrière-pays. Ils remontent le Saguenay et vont chercher les fourrures des Amérindiens du nord. Leur position stratégique leur permet de s’imposer comme des intermédiaires obligés entre les Amérindiens de l’intérieur des terres et les marchands européens qui se donnent rendez-vous, chaque année, pour la traite à l’embouchure du Saguenay. (pages 24 et 25)

Pour ménager leur position d’intermédiaires dans la traite des fourrures, les Montagnais contrôlaient étroitement l’accès du Saguenay, évitant que des Français ne s’y aventurent et établissent des liens directs avec leurs fournisseurs.

[…]

Ce n’est qu’à la fin des années 1640, après avoir été considérablement affaiblis, que les Montagnais relâcheront leur contrôle sur cette région (voir plus bas). (page 26)

Si la liberté de commerce favorise les Montagnais —qui bénéficient nettement de la concurrence entre les marchands —elle désavantage toutefois les commerçants français, car elle diminue leurs marges de profit. Rapidement, certains d’entre eux, vont chercher à limiter cette liberté en demandant l’octroi de monopoles commerciaux à leur avantage. […]

Des demandes similaires se multiplient à la fin du XVIe siècle et au début du siècle suivant, mais il faut attendre le milieu des années 1610 pour qu’une politique de monopole vraiment cohérente ne soit mise en place par l’État français. La formation de la Compagnie de Canada, 1613-1614, marque à cet égard une étape décisive. Par la suite, d’autres compagnies prendront le relais, la plus connue étant la Compagnie de la Nouvelle-France, dite les Cent-Associés, créée par le Cardinal de Richelieu. Cette compagnie, à qui le roi accorde la Nouvelle-France en 1627, reçoit aussi le monopole de tout le commerce sur ce territoire pour une période de quinze ans, après quoi elle n’allait conserver qu’un monopole sur les fourrures exportées de la colonie.

En échange de l’octroi de ces monopoles, l’État français exige des marchands qu’ils contribuent au peuplement de la colonie, en y transportant chaque année quelques familles de colons. Ainsi, la Compagnie des Cent-Associés doit-elle conduire au Canada jusqu’à 4 000 personnes dans les quinze années suivant sa création. Même si cette politique de peuplement ne donne pas tous les résultats escomptés, elle constitue néanmoins une manifestation concrète de la volonté de l’État français de réglementer le commerce des fourrures pour implanter une colonie dans la vallée du Saint-Laurent. (pages 29 et 30)

La brèche dans le monopole que les Montagnais de Tadoussac exerçaient sur le commerce avec les nations de l’intérieur est élargie en 1650, lorsque trois Français —Louis Couillart de Lespinay, Courville et Simon Guion —se rendent dans cette région pour y traiter directement avec les Montagnais. Une telle démarche commerciale, impensable quelques décennies, voire quelques années plus tôt, clôt une première période dans l’histoire des relations commerciales franco-montagnaises et prépare en quelque sorte le terrain à une nouvelle phase, qui sera marquée par l’implantation sur ce territoire d’un nouveau monopole commercial, créé cette fois par l’État colonial. Ce monopole —le Domaine du roi —marquera l’histoire du commerce dans cette région durant presque deux siècles. (page 40)

L’entente de principe d’ordre général

[74]        L’intimée a produit comme pièce A-3 une déclaration sous serment datée du 12 février 2009 de madame Natalie Aubin, une employée du Ministère des affaires indiennes et du Nord et négociatrice principale représentant le gouvernement du Canada à la table centrale de négociation du Conseil tribal Mamuitun mak Nutakuan (le « CTMN ») depuis janvier 2007. Au soutien de sa déclaration sous serment, madame Aubin a produit l’entente de principe d’ordre général (ci-après désignée comme l’« EPOG ») qui a été ratifié par le CTMN et par les gouvernements du Canada et du Québec en 2004.

[75]        Le CTMN est composé des communautés innues de Essipit, Mashteuiatsh et Nutakuan. Le but de l’EPOG est d’établir la structure, l’orientation générale ainsi que les principes qui guideront la rédaction d’un traité qui sera un accord global sur des revendications territoriales et un traité au sens des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[76]        Le CTMN est présentement la seule table de négociation au Québec rendue à l’étape de négociation d’un traité. L’EPOG ne crée par ailleurs aucune obligation légale pour les parties et ne porte pas atteinte aux obligations ou aux droits existants de celles-ci.

[77]        L’EPOG comprend 19 chapitres dont le tiers ont fait l’objet de négociations ininterrompues depuis 2007. Le chapitre 12 traite de la fiscalité et prévoit les mesures suivantes :

12.1  Le Traité prévoira que les assemblées législatives des Premières Nations auront le pouvoir de faire des lois en matière de taxation directe suivant les modalités fixées dans le Traité ou les ententes complémentaires.

12.2  Le Traité ou des ententes complémentaires prévoiront le traitement fiscal des Innu tshishe utshimaut et de leurs institutions publiques. Ce traitement fiscal pourrait s’exprimer par le biais d’immunités, d’exemptions ou de remboursements de taxes, dont les modalités seront déterminées avant la signature du Traité.

12.3  Les parties pourront conclure entre elles des ententes complémentaires sur le partage et la perception des taxes et des impôts. Le fardeau fiscal des contribuables et les frais d’administration seront pris en compte lors de la négociation de telles ententes.

12.4  Le Traité déterminera les règles de transition entre le régime fiscal prévu par l’article 87 de la Loi sur les Indiens et l’introduction d’un régime fiscal innu.

Analyse

[78]        Les points en litige font partie des cinq groupes de sujets suivants :

a)       le droit ancestral du commerce de la fourrure et l’autonomie gouvernementale;

b)      l’incompatibilité de la Loi sur les indiens et de la Loi sur la taxe sur les produits et services;

c)       l’équité procédurale;

d)      la prescription, les pénalités; et

e)       l’article 15 de la Charte des droits et libertés.

[79]        Avant d’entreprendre l’analyse des points en litige, il y a lieu de rappeler certains principes de base de la LTA. Toute personne qui effectue une fourniture taxable au Canada dans le cadre d’une activité commerciale qu’elle y exerce est tenue d’être inscrite pour l’application de la partie IX de la LTA (par. 240(1)). La personne tenue d’être inscrite en vertu du paragraphe 240(1) doit présenter une demande d’inscription au ministre avant le trentième jour suivant le jour où la personne effectue, autrement qu’à titre de petit fournisseur, une première fourniture taxable au Canada dans le cadre d’une activité commerciale qu’elle y exerce (par. 240(2.1). La demande d’inscription doit être présentée au ministre en la forme, selon les modalités et avec les renseignements déterminés par celui-ci (par.  240(5)). Dans le cas présent, l’appelant n’a jamais présenté une demande d’inscription au ministre mais la vérificatrice de Revenu Québec lui a fait émettre, en date du 22 octobre 2003, un numéro d’inscription à la TPS/TVH qui est entré en vigueur à compter du 1er juin 1993, dans le but de pouvoir cotiser l’appelant depuis 1993. La période de déclaration qui a été attribuée à l’appelant est une période de déclaration mensuelle dont la première déclaration portait sur la période du 1er juin 1993 au 30 juin 1993.

[80]        Selon la preuve, l’appelant n’a pas produit de déclaration de taxes pendant la période en litige et n’a pas réclamé de crédits d’impôt sur intrant sur ses achats. L’appelant n’a produit aucune pièce justificative lui permettant de réclamer des crédits d’impôt sur intrant sur ses achats. Par contre, il y a lieu ici de mentionner que les biens livrés sur une réserve indienne ne sont pas assujettis à la TPS étant donné qu’en vertu de l’article 87 de la Loi sur les indiens, ces derniers sont exemptés de payer les taxes sur ce qu’ils achètent à l’intérieur de leurs réserves.

[81]        L’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada, une taxe calculée au taux alors en vigueur sur la valeur de la contrepartie de la fourniture (par. 165(1)). La personne qui effectue une fourniture taxable doit, à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada, percevoir la taxe payable par l’acquéreur de la fourniture (par. 221(1)).

[82]        La personne tenue de produire une déclaration en application de la présente section V, doit y calculer sa taxe nette pour la période de déclaration qui y est visée (par. 228(1)). La personne est tenue de verser au Receveur général le montant positif de sa taxe nette pour une période de déclaration au plus tard le jour où la déclaration visant la période est à produire (par. 228(2)).

[83]        Au cours de la période en litige, l’appelant n’a pas perçu la taxe payable par les acquéreurs de fournitures taxables, soit celles effectuées à son commerce sur la réserve en faveur d’acquéreurs n’ayant pas le statut d’indiens. De plus, l’appelant n’a pas versé au Receveur général le montant positif de sa taxe nette pour chaque période de déclaration comprise dans la période en litige.

Le droit ancestral sur le commerce de la fourrure

[84]        L’appelant conteste la validité et l’applicabilité constitutionnelles de la section V intitulée « Perception et versement de la taxe prévue à la section II » (articles 221 à 251 de la partie IX de la LTA) et, plus spécifiquement, sans limiter la généralité de ce qui précède les articles 221, 222, 223, 228, 238 et 240 ainsi que l’article 286 de la section VIII intitulée « Application et exécution » de la partie IX de la LTA.

[85]        Le fondement juridique des questions constitutionnelles soulevées par l’appelant a été précisé dans l’avis de questions constitutionnelles produit conformément à l’article 19.2 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt. Le fondement juridique est le suivant :

1.             La Loi sur la taxe d’accise (T.P.S.) est incompatible avec la Loi sur les indiens, vu l’article 88 de cette loi;

2.             En imposant plusieurs obligations à l’indien commerçant, dont des obligations de perception et de remise de taxes, c’est-à-dire des obligations d’agir à titre de mandataire et de fiduciaire de la Couronne fédérale, la Loi sur la taxe d’accise (T.P.S.) est incompatible avec la capacité limitée des indiens tel qu’établie dans la Loi sur les indiens et les lois antérieures à cette loi;

3.             La Loi sur la taxe d’accise (T.P.S.) est également contraire et irréconciliable avec les obligations de fiduciaire et de mandataire que la Couronne fédérale a envers les peuples autochtones, qui découlent entre autres de l’article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867;

4.             Ce serait inverser les rôles d’exiger l’indien à agir à titre de mandataire de la Couronne pour la perception de la taxe sur les produits et services (T.P.S.);

5.             La Loi sur la taxe d’accise (T.P.S.), est, par conséquent, inapplicable aux indiens;

6.             De plus, la Loi sur la taxe d’accise (T.P.S.) est inopérante à l’égard de l’appelant en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 en raison de l’existence de droits ancestraux au sens de l’article 35 de cette même loi;

7.             En effet, l’échange de fourrures contre de l’argent ou d’autres biens fait partie intégrante de la culture montagnaise distinctive qui existait avant le contact avec les européens;

8.             En imposant plusieurs obligations, contraintes et restrictions à l’indien commerçant, dont des obligations de perception et de remise de taxes, c’est-à-dire des obligations d’agir à titre de mandataire et de fiduciaire de la Couronne fédérale, la Loi sur la taxe d’accise (T.P.S.) porte atteinte au droit ancestral du montagnais concernant la traite des fourrures.

9.             Cette atteinte n’est pas justifiable, particulièrement en raison de l’incompatibilité avec l’obligation de fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones et l’existence d’autres alternatives ayant pour effet de porter le moins possible atteinte à ce droit.

10.         Dans le cadre de l’application de la Loi sur la taxe d’accise (T.P.S.), le commerçant indien est placé dans une position  inégale par rapport à tout autre commerçant non-indien, ce qui va à l’encontre des articles 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, 1982 ch. 11 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. ch. C-12;

11.         La Loi sur la taxe d’accise (T.P.S.) porte également atteinte au droit inhérent à l’autonomie gouvernementale que possède les montagnais en tant que droit ancestral;

12.         Ce droit à l’autonomie gouvernementale des montagnais du Lac St-Jean comprend le pouvoir d’adopter des lois et des politiques sur leur territoire et d’exercer l’autorité nécessaire pour s’administrer eux-mêmes;

13.         Avant le contact avec les européens, les montagnais avaient leur forme de gouvernement qui leur était propre et qui les distinguaient des autres nations, ce qui implique qu’ils ont conservé le droit de réglementer seul les activités de commerce qui se déroulent sur leur territoire, incluant le pouvoir souverain d’imposer des droits sur toute transaction commercial ou d’échange, plus particulièrement dans le domaine de la traite des fourrures;

14.         L’application de la taxe sur les produits et services (T.P.S.) et l’obligation imposée aux commerçant indiens d’agir à titre de mandataire de la Couronne et de percevoir en son nom des redevances sur leurs transactions commerciales ont pour effet de nier le droit à l’autonomie gouvernementale de la communauté autochtone de Mashteuiatsh.

[86]        La Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. 1985, app. II, no. 44, annexe B) a constitutionnalisé certains droits des peuples autochtones du Canada à son article 35 :

DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

35. (1) Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du canada sont reconnus et confirmés.

(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

[87]        Depuis l’adoption de cette loi constitutionnelle, la Cour suprême du Canada a été appelée à quelques reprises à interpréter le sens, la portée et l’étendue de cette garantie constitutionnelle accordée aux droits des autochtones mais, à ma connaissance, aucune décision ne porte spécifiquement sur la traite des fourrures.

[88]        Dans l’arrêt R. c. Van der Peet, (1996) 2 R.C.S. 507, la Cour suprême du Canada a fourni de nombreux renseignements concernant les droits ancestraux des peuples autochtones. La Cour a notamment rappelé que « le par. 35(1) doit recevoir une interprétation généreuse et libérale en faveur des autochtones »  (par. 233, page 536). La Cour a de plus justifié la reconnaissance des droits ancestraux par le fait bien simple suivant : « [. . .] quand les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, les peuples autochtones s’y trouvaient déjà, ils vivaient en collectivités sur ce territoire et participaient à des cultures distinctives comme ils l’avaient fait pendant des siècles. » (par. 30, page 538) Toujours selon la Cour « [. . .] le critère d’identification des droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) doit viser à reconnaître les éléments fondamentaux de ces sociétés distinctives préexistantes. Autrement dit, ce critère doit tendre à identifier les coutumes, pratiques et traditions fondamentales des sociétés autochtones qui existaient en Amérique du Nord avant le contact avec les Européens » (par. 44, page 548).

[89]        Au paragraphe 44 de l’arrêt Van der Peet, la Cour a dégagé le principe suivant :

Pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question (page 549) [. . .]

Pour faire partie intégrante d’une culture distinctive, une coutume, pratique ou tradition doit avoir une importance fondamentale pour la société autochtone concernée (par. 54, page 553) [. . .] 

[90]        Au paragraphe 59 de l’arrêt Van der Peet, la Cour a affirmé ce qui suit :

Constituent des droits ancestraux les coutumes, pratiques et traditions qui marquent la continuité avec les coutumes, pratiques et traditions qui existaient avant le contact avec les Européens. (page 554) [. . .]

[91]        Les autochtones qui veulent démontrer l’existence et la nature d’un droit ancestral relié à une activité qui est un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive de leur groupe doivent s’appuyer fermement « sur des sources historiques et anthropologiques incontestables qui attestent de la «  réalité »  de ce droit (voir l’arrêt Mitchell v. M.N.R., (2001) 1 R.C.S. 911 (par. 26)) tout en étant conscients que les sources historiques disponibles n’ont pas la même fiabilité que les écrits émanant des autochtones auraient pu avoir s’ils avaient existé pour la période pré-contact. Or, ces écrits sont inexistants.

Application au cas d’espèce

[92]        Avant l’arrivée des Européens, les Montagnais du Lac Saint-Jean étaient un peuple nomade qui vivait de la chasse aux gibiers et aux oiseaux, du piégeage, de la pêche et de la cueillette de baies. À l’été, ils se rassemblaient à des endroits stratégiques facilement accessibles et propices aux manifestations sociales de toutes sortes ainsi qu’à la tenue de « foires commerciales » favorisant les échanges de peaux de fourrure, de vêtements, de produits en écorce de bouleaux en contrepartie de produits alimentaires (maпs) et d’articles utilitaires (pointes de flèche, couteaux, vases pour le transport du maпs et de la farine) avec les tribus voisines. À l’automne, les autochtones se répartissaient en unités sociales plus petites, composées de quelques familles, pour se disperser sur leurs territoires de chasse respectifs.

[93]        Les rapports des deux experts ne sont pas incompatibles et tendent à démontrer, qu’avant les contacts avec les Européens, les Montagnais participaient à des réseaux d’échange par lesquels ils se procuraient des biens et des produits qu’ils ne fabriquaient ou ne produisaient pas eux-mêmes. Selon ces experts, l’archéologie appuie l’idée d’une participation des autochtones du Lac Saint-Jean dans des réseaux d’échange et de circulation de biens à la fois est-ouest et nord-sud qui les mettaient en contact avec diverses autres nations autochtones à l’échelle du nord-est américain. Selon le professeur Gélinas, le commerce des fourrures entre autochtones existaient au Lac Saint-Jean avant l’arrivée des Européens, comme semblent en témoigner les vestiges archéologiques exogènes retrouvés sur les sites de la région et qui datent d’avant le 16e siècle et ce, même si l’acidité des sols en Amérique du Nord n’a pas permis de retracer des objets en os, en bois ou en cuir sur les sites archéologiques.

[94]        Le professeur Gélinas a même soutenu, qu’en dépit de toutes les limites que peuvent poser les sources de données disponibles pour le moment, il est raisonnable de croire que «  les autochtones du Lac Saint-Jean ont, de tout temps, entretenu une tradition de commerce des fourrures qui faisait intrinsèquement partie de leur culture et de leur mode de vie distinctifs en tant que stratégie d’adaptation à leur environnement » (conclusion no 1 de son rapport) et que « le commerce pratiqué par les autochtones du Lac Saint-Jean s’est inscrit dans une perspective de subsistance et de bonification de leur qualité de vie » (conclusion no 3 de son rapport).

[95]        Le tribunal est d’accord avec les conclusions du professeur Gélinas énoncées au paragraphe précédent et considère que le commerce de fourrures revêtait une importance fondamentale pour les Montagnais du Lac Saint-Jean parce que les échanges précontacts portaient sur les nécessités de la vie et a contribué au maintien d’un mode de subsistance et d’organisation sociale.

[96]        Le tribunal est conscient que les échanges (troc) d’avant contact auxquels les Montagnais du Lac Saint-Jean se livraient n’avaient rien de commercial au sens actuel du terme en ce sens qu’ils ne visaient pas la recherche de profits, ni l’accumulation de biens, ce qui aurait été incompatible avec leur mode de vie.

[97]        Ayant déterminé, vu la preuve produite au procès, que les Montagnais du Lac Saint-Jean avaient établi : a) l’existence de la pratique, tradition ou coutume précontact invoquée dans les actes de procédure pour étayer le droit revendiqué et b) le fait que cette pratique faisait partie intégrante de la société autochtone distinctive avant son contact avec les Européens, il importe maintenant de déterminer s’il y a une continuité raisonnable entre le droit contemporain revendiqué (soit le commerce des fourrures sous toutes ses formes) et la pratique précontact qui faisait partie intégrante de la société des Montagnais du Lac Saint‑Jean. Dans l’arrêt de la Bande Indienne des Lax KW’alaams c. Canada (P.G.), [2011] 3 R.C.S 535, le juge Binnie parlant au nom de la Cour suprême du Canada a expliqué la problématique de la façon suivante :

Autrement dit, le droit contemporain revendiqué est-il manifestement lié à la pratique précontact et raisonnablement considéré comme le prolongement de cette pratique? À cette étape, le tribunal doit adopter une approche libérale, mais réaliste, en associant les pratiques précontacts au droit contemporain revendiqué. Comme nous le verrons, les pratiques précontact doivent mettre en jeu les éléments essentiels du droit contemporain, bien que les deux n’aient évidemment pas à être parfaitement identiques. (par. 46, page 559).

[98]        Au paragraphe 49 de ce même arrêt, le juge Binnie a fait référence à l’évolution possible d’un droit ancestral en ces termes :

Si un droit ancestral est établi, il ne s’agit pas d’un droit figé depuis le contact avec les Européens : son objet et son mode d’exercice peuvent avoir évolué en fonction des faits. (page 560).

[99]        Le mode d’exercice du droit ancestral réclamé, soit le commerce des fourrures, ne présente pas de problème dans le cas présent même si les techniques de chasse, de trappage et du piégeage ont évolué avec le temps et que les techniques de préparation, de conservation et d’utilisation des peaux se sont grandement raffinés. Par contre, les territoires où les activités de chasse, de trappage et de piégeage étaient exercées ont été, de tous les temps, à peu près les mêmes et les lieux où le commerce de fourrures s’est exercé sont demeurés les mêmes dans une très large mesure. La réserve de Pointe-Bleue a toujours été un lieu stratégique pour le commerce des fourrures.

[100]   La situation est plus complexe lorsqu’on considère l’évolution de l’objet du droit ancestral. Les tribunaux ont reconnu la nécessité de permettre l’évolution des droits ancestraux à l’intérieur de certaines limites d’ordre quantitatif et qualificatif.

[101]   Dans l’arrêt de la Bande Indienne des Lax Kw’alaams, cité au paragraphe 97, le juge Binnie a repris les conclusions du juge du procès :

La juge du procès a conclu que la métamorphose du commerce précontact de la graisse d’eulakane en une pêche commerciale moderne procéderait non pas d’une « évolution », mais de la création d’un droit différent. Par conséquent, la revendication ne remplissait pas les critères de partie intégrante et de continuité du test établi dans Van der Peet. La preuve étayait ces conclusions. (par. 59, page  564)

[102]   La question à se poser ici est la suivante : le commerce de la fourrure, tel qu’exploité par l’appelant au cours de la période en litige, respecte-t-il les limites permises ou raisonnables pour qu’il puisse être considéré comme le prolongement ou l’évolution du commerce de fourrures, tel que pratiqué par les Montagnais du Lac Saint-Jean au cours de la période précontact avec les Européens?

[103]   La preuve au dossier démontre que les activités faisant partie du commerce de la fourrure exploité par l’appelant sont fort différentes de celles faisant partie du commerce de fourrures, tel que pratiqué par les ascendants de l’appelant. L’appelant n’effectue aucune activité de trappage qui était la pratique sans laquelle les Montagnais du Lac Saint-Jean n’auraient pu exploiter leur commerce de fourrures. La preuve démontre également que l’objet principal du commerce de fourrures pratiqué par les ascendants de l’appelant était les peaux brutes alors que les principaux articles du commerce de fourrures pratiqué par l’appelant sont les manteaux de fourrures remodelés et ceux fabriqués sur une base industrielle avec les peaux brutes d’animaux provenant à 90% de producteurs non autochtones dont plusieurs sont des producteurs étrangers. Selon la preuve, seulement 5% des peaux brutes utilisées par l’appelant provient de trappeurs Montagnais.

[104]   Sur la base de ces données, j’estime que la revendication du droit de faire le commerce de fourrures sur une base élargie comme le fait l’appelant ne faisait pas partie intégrante de la société des Montagnais au cours de la période précontact avec les Européens. Le droit ancestral reconnu aux fins des présentes de faire le commerce de fourrures doit être limité aux ventes de peaux brutes d’animaux provenant d’activités de trappage (par opposition aux peaux brutes d’animaux d’élevage). Il y a lieu de rappeler ici qu’aux fins de la cotisation en litige, les ventes de peaux brutes ont été considérées comme des ventes non taxables.

Autonomie gouvernementale

[105]   L’appelant, en tant que descendant des Montagnais du Lac Saint-Jean, peut-il se réclamer de droits ancestraux de nature commerciale pour soutenir sa thèse à l’effet qu’il puisse sur cette base prétendre avoir le droit constitutionnellement garanti par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 de commercer librement, ouvertement et sans être assujetti à quelque restriction ou règlementation que ce soit?

[106]   Ce qui est réclamé ici est une autre forme de droit ancestral, lequel doit nécessairement être assujetti au même fardeau de preuve. C’est d’ailleurs une des prémisses utilisée par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Pamajewon, [1994] 2 R.C.S. 821 :

La revendication des appelants comporte l'affirmation que le par. 35(1)  englobe le droit à l'autonomie gouvernementale, et que ce droit comprend le droit de réglementer les activités de jeux de hasard dans la réserve.  À supposer, sans toutefois en décider, que le par. 35(1)  vise les revendications du droit à l'autonomie gouvernementale, la norme juridique pertinente n'en demeure pas moins celle établie dans Van der Peet, précité.  À supposer que les revendications du droit à l'autonomie gouvernementale autochtone sont visées par le par. 35(1) , ces revendications doivent être examinées à la lumière des objets sous‑jacents de cette disposition et, par conséquent, être appréciées au regard du critère tiré de l'analyse de ces objets.  Il s'agit du critère établi dans Van der Peet, précité.  Dans la mesure où elles peuvent être présentées en vertu du par. 35(1) , les revendications d'autonomie gouvernementale ne diffèrent pas des autres prétentions à la jouissance de droits ancestraux, et elles doivent, de ce fait, être appréciées au regard de la même norme.

Dans Van der Peet, précité, le critère permettant de déterminer l'existence des droits ancestraux a été énoncé ainsi, au par. 46:

[…] pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d'une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question. (paras 24 et 25, pages 832 et 833).

[107]   Selon le professeur Gélinas, les Montagnais du Lac Saint-Jean n’ont jamais été contraints à quoi que ce soit. À la conclusion no 8 de son rapport, le professeur Gélinas énonce ce qui suit :

Rien n’indique qu’à aucun moment de leur histoire, les Montagnais aient été assujettis de quelque manière que ce soit à la Couronne française ou britannique, ni aux gouvernements du Canada et du Québec.

[108]   L’instauration de la réserve de Pointe-Bleue en 1856 constitue sans aucun doute le point de départ de l’emprise du gouvernement fédéral sur les Montagnais.

[109]   Les principales conclusions du rapport du professeur Gélinas concernant l’organisation sociale et les normes de vie en société des Montagnais sont les suivantes :

5.3     Durant la longue saison de chasse, les autochtones du Lac Saint-Jean étaient répartis en petits groupes de chasse composés de quelques familles généralement apparentées qui disposaient d’un territoire de chasse reconnu dont ils exploitaient les ressources sous la direction du « gestionnaire » du territoire, habituellement le chasseur le plus expérimenté;

6.1     Compte tenu que les autochtones du Lac Saint-Jean ont pratiqué le nomadisme, jusqu’au milieu du 20e siècle, leur mode de vie était peu propice à l’instauration d’un système complexe et coercitif de maintien de la paix;

6.3     Ce n’était que durant les quelques semaines ou toutes les familles étaient rassemblées qu’il y avait lieu de reconnaître un chef apte à parler au nom de tous dans le cadre des rapports avec les représentants d’autres bandes autochtones ou avec les occidentaux de divers horizons, et à intervenir comme médiateur lors de conflits entre membres de la bande;

6.4     Le pouvoir de ces chefs de bande se voulait très informel et dénué, pour l’essentiel, de toute connotation coercitive; chez les autochtones du Lac Saint-Jean, comme chez d’autres nations algonquiennes du Subarctique, c’était l’opinion publique qui, en bout de ligne, servait à la fois de principale gardienne de l’ordre social et de principale instance punitive en cas de dérogation aux comportements attendus;

7.             Dans les dernières décennies du 19e siècle, la création d’un conseil de bande et l’adoption d’un système électif à Pointe-Bleue, en vertu de la Loi sur les Indiens, n’a pas forcément modifié le mode de gouvernance traditionnel des Montagnais;

[110]   La manifestation la plus évidente de l’exercice de l’autorité gouvernementale des Montagnais sur le commerce des fourrures pendant la période précontact avec les Européens concernait l’attribution des territoires de chasse aux familles. Il n’y a aucune autre preuve au dossier que le commerce des fourrures ait jamais été l’objet d’une réglementation autochtone pendant la période en question. Par conséquent, la revendication de l’appelant d’un droit ancestral découlant de l’autonomie gouvernementale des Montagnais sur le commerce des fourrures en général et sous toutes ses formes m’apparaît être trop générale et doit être limitée à l’attribution et à la gestion des territoires de chasse, de pêche et de piégeage sur lesquels les Montagnais du Lac Saint-Jean peuvent exercer leur juridiction.

[111]   Dans ce contexte, l’autonomie gouvernementale des Montagnais ne pourraient leur conférer un droit exclusif de taxer des transactions commerciales sur leur territoire parce que cela porterait atteinte à la souveraineté de la Couronne. Dans l’arrêt de La Bande Indienne de l’Acadie c. Le Ministre du Revenu national, 2008 CAF 119, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une taxe à la consommation de 9% imposée par un règlement administratif du conseil de la Bande indienne de l’Acadie sur les produits et services rendus aux clients sur les terres de la réserve de la Première Nation de l’Acadie et obligeant toutes les entreprises et sociétés appartenant à la Première Nation de l’Acadie de percevoir la taxe et de la remettre au conseil de bande, n’était pas une expression contemporaine de la pratique, coutume ou tradition du « partage communautaire » et qu’elle ne constituait pas l’exercice d’un droit ancestral protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, les dispositions de la LTA qui imposent aux fournisseurs l’obligation de percevoir la TPS/TVH auprès des clients non-Indiens et l’obligation de verser cette taxe au Receveur général du Canada n’empiétait pas sur les droits ancestraux de la demanderesse.

[112]   La question de l’autonomie gouvernementale entraîne nécessairement l’examen des différents types de terres auxquels peuvent se rattacher des droits ancestraux. À cet égard, l’extrait suivant tiré des motifs de la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Van Der Peet, précité, au paragraphe 88 est pertinent :

Cela m’amène aux différents types de terres auxquelles peuvent se rattacher des droits ancestraux : les terres des réserves, les terres visées par un titre aborigène et les terres visées par un droit ancestral : voir Brian Slattery, « Understanding Aboriginal Rights », loc. cit., aux pp. 743 et 744. Ces terres ont en commun le fait que le législateur fédéral et, dans une certaine mesure, les assemblées législatives provinciales possèdent un pouvoir général de légiférer à l’égard des activités des autochtones, pouvoir qui découle de l’affirmation de la souveraineté britannique sur le territoire canadien. Cependant, des distinctions importantes doivent être faites entre ces divers types de terres quant aux lois qui leur sont applicables et aux droits ancestraux qui peuvent y être revendiqués.

(page 579)

[113]   La juge L’Heureux-Dubé a précisé aux paragraphes 118, 121 et 122 de l’arrêt Van Der Peet précité, ce qu’étaient les terres des réserves et les terres visés par un droit ancestral qui sont les deux seuls types de terres pertinents aux fins du présent litige :

Les terres des réserves sont les terres qui sont réservées par le gouvernement fédéral pour l’usage exclusif des Indiens.  Ces terres sont régies par la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5.  S’appliquent sur ces terres et les lois fédérales, conformément au par. 91(24)  de la Loi constitutionnelle de 1867, et les lois provinciales d’application générale, conformément à l’art. 88  de la Loi sur les Indiens.  Cependant, les conseils de bande peuvent, en vertu de l’art. 81  de la Loi sur les Indiens, décréter des règlements administratifs pour les fins particulières précisées dans cette disposition.  Ces règlements administratifs remplacent les lois provinciales incompatibles ‑ même celles édictées en vertu de l’art. 88 de la Loi ‑ ainsi que les lois fédérales incompatibles ‑ dans la mesure où le ministre des Affaires indiennes ne désavoue pas les règlements administratifs en question conformément à l’art. 82 de la Loi.  […]

(pages 579 et 580)

[…]

Enfin, les terres visées par un droit ancestral sont les terres auxquelles ne peuvent se rattacher que des droits ancestraux spécifiques (p. ex., le droit de chasser à des fins alimentaires, sociales et rituelles), parce que l’occupation et l’utilisation des terres par le groupe autochtone concerné sont trop limitées et, en conséquence, ne respectent pas le critère applicable en vue de la reconnaissance, en common law, d’un titre aborigène.  Dans de tels cas, les droits ancestraux visant ces terres se limitent aux aspects résiduels du titre aborigène -‑ tel le droit de chasser, de pêcher ou de piéger ‑- ou à d’autres aspects ne se rapportant pas au territoire.  Ces droits ne comportent donc pas le plein droit de propriété sui generis d’occuper et d’utiliser les terres.

Tant le législateur fédéral que les assemblées législatives provinciales peuvent édicter, conformément à leur pouvoir général respectif de légiférer, des mesures législatives applicables aux activités des autochtones sur les terres visées par des droits ancestraux.  […]

(page 581)

[114]   Bien que dans cet appel, il n’y ait pas de réclamation territoriale, les précisions apportées concernant les types de terres pouvant être possédés et/ou occupés par les autochtones aident à bien cerner les interventions que les législatures fédérales et provinciales peuvent effectuer pour réglementer les activités des autochtones.

Atteinte aux droits ancestraux

[115]   L’existence de droits ancestraux ayant été reconnue aux Montagnais du Lac Saint-Jean, il importe maintenant de déterminer si l’application de la LTA aux biens et services fournis par l’appelant sur la réserve de Pointe-Bleue à des non-Indiens, constitue à première vue une atteinte aux droits ancestraux existants? Ce critère de l’atteinte à première vue a été énoncé dans l’arrêt R.C. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 en ces termes :

La première question à poser est de savoir si la loi en question a pour effet de porter atteinte à un droit ancestral existant.

(page 1111)

[116]   À première vue, la LTA ne porte pas atteinte aux droits ancestraux des Montagnais du Lac Saint-Jean. La LTA n’empêche pas les Montagnais du Lac Saint-Jean de faire le commerce de peaux de fourrures brutes ou d’exercer leur autonomie gouvernementale sur les territoires de chasse. Au plus, la LTA impose un simple inconvénient administratif à l’appelant, soit de percevoir et remettre la taxe à l’égard des fournitures de biens et services aux non-Indiens.

[117]   Dans l’arrêt R. v. Lefthand, 2007 ABCA 206, la cour d’appel de l’Alberta a résumé de la façon suivante le fardeau de la preuve des autochtones qui allèguent un empiètement d’un droit ancestral :

In summary, to show a prima facie infringement, the defendants must show some unreasonableness, hardship or interference with their preferred way of exercising their rights at the level set out in the cases.

(Paragraph 126, page 47)

[118]   L’arrêt Lefthand, précité, nous enseigne également que ce ne sont pas toutes les interventions gouvernementales affectant les droits ancestraux qui constituent un empiètement prima facie de ces droits :

Not every act of the government that has some impact on an aboriginal right amounts to a breach of that right, or amounts to what is termed a ‘prima facie infringement’. Aboriginal rights are not immune from government regulations.

(Paragraph 121, page 45)

[119]   C’est exactement le cas dans cet appel, les dispositions de la LTA créent un fardeau administratif à l’appelant qu’on pourrait qualifier de simple inconvénient. La question de savoir si la cotisation établie à l’égard de l’appelant sur la base de la LTA parce qu’il n’a pas perçu et qu’il n’a pas versé la TPS devant être payée par ses clients non-Indiens sur les biens et services qu’il leur a fournis, constituait l’équivalent d’une taxe sur ses biens situés dans une réserve ou une taxe à l’égard de laquelle il a été assujetti à l’égard de ces biens, a été considérée à plusieurs reprises par les tribunaux dans les arrêts suivants :

-       Renvoi relatif à la T.P.S., [1992] 2 R.C.S. 445;

-       Re Bernard and The Queen, 1986, 31 D.L.R. 303;

-       Chahalis Indian Band v. B.C., 1988 CanLII 3172 (BC CA);

-       Tsashaht Band v. British Columbia, 1992 CanLII 5970 (BC CA);

-       R. v. Johnson, 1993 CanLII 3181 (NS CA);

-       Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Vincent, (1996) R.J.Q. 239 (C.A.);

-       Pictou v. Canada, [2000] T.C.J. No. 321 et confirmé par Pictou v. Canada, [2003] 2 F.C. 737;

-       Obonsawin v. Canada, [2010] T.C.J. No. 152; and

-       Obonsawin c. R.; [2011] C.A.F. 152.

[120]   Dans l’arrêt Leclaire c. Agence du revenu du Québec, (2013) QCCS 6083 (CanLII), le juge Louis Crête a fait l’étude de la question et en est arrivé à la conclusion suivante au paragraphe 337 :

Compte tenu de ce qui précède, le tribunal conclut que rien dans la législation relative à la perception et la remise des taxes de vente fédérale et provinciale ne vient anéantir ou même affecter le droit des commerçants Indiens de ne pas être assujettis à la taxation de leurs biens sur leurs réserves.  Les requérants ne sont pas taxés, ils sont simplement assujettis à l’obligation de percevoir et de remettre aux autorités fiscales les taxes au paiement desquelles leurs clients non-Indiens sont légalement tenus.  C’est là toute la différence.  À ce sujet, constatons que les réserves ne sont pas des zones franches et que les commerces qui s’y trouvent ne sont pas non plus des boutiques hors-taxes pour les non-Indiens qui y passent.

(page 86)

[121]   Je suis d’accord avec cette conclusion mais je me dois de mentionner ici que cette décision est présentement en appel à la Cour d’appel du Québec.

L’incompatibilité des lois

[122]   La question à se poser à cet égard est la suivante : est-ce-que la LTA est incompatible avec l’article 88 de la Loi sur les indiens ? L’article 88 de la Loi sur les indiens prévoit ce qui suit :

Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi fédérale, toutes les lois d’application générale et en vigueur dans une province sont applicables aux Indiens qui s’y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec la présente loi ou la Loi sur la gestion financière des premières nations ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou texte législatif d’une bande pris sous leur régime, et sauf dans la mesure où ces lois provinciales contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou la Loi sur la gestion financière des premières nations ou sous leur régime.

[123]   L’incompatibilité des lois découle du fait, qu’en vertu de la LTA, le commerçant autochtone a l’obligation d’agir en tant que mandataire et de fiduciaire de la Couronne fédérale pour la perception et la remise de taxes, alors qu’en vertu de la Loi sur les indiens et les lois antérieures à cette loi, il ne jouit que d’une capacité juridique limitée, équivalente à celle d’une personne mineure ou à un pupille de l’État.

[124]   À première vue, cette situation peut sembler être aberrante mais en pratique, elle ne l’est pas. Il n’y a pas véritablement de conflit entre ces deux lois. L’appelant en a fait la preuve puisqu’il opère son commerce depuis une dizaine d’années tout en respectant ses obligations en vertu de la LTA.

[125]   L’appelant est un homme d’affaires expérimenté qui a toutes les connaissances nécessaires pour respecter ses obligations en vertu de la LTA. L’appelant a invoqué des difficultés à obtenir du financement de la part d’institutions financières pour verser au Receveur général du Canada les montants de TPS qu’il n’a pas perçu auprès de ses clients non-Indiens. Selon l’appelant, ces difficultés résultent de l’article 89 de la Loi sur les indiens qui empêche les institutions financières de saisir les biens d’un Indien situés sur une réserve. L’article 89 de la Loi sur les indiens se lit comme suit :

89. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande.

(1.1) Par dérogation au paragraphe (1), les droits découlant d’un bail sur une terre désignée peuvent faire l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution.

(2) Une personne, qui vend à une bande ou à un membre d’une bande un bien meuble en vertu d’une entente selon laquelle le droit de propriété ou le droit de possession demeure acquis en tout ou en partie au vendeur, peut exercer ses droits aux termes de l’entente, même si le bien meuble est situé sur une réserve.

[126]   En principe, la LTA n’entraîne pas d’obligations financières de la part des commerçants. Ce ne sont pas eux qui doivent payer la TPS. Par contre, si le commerçant ne perçoit pas ou ne remet pas la TPS lorsque requis, il devient alors personnellement responsable de la TPS qu’il aurait dû percevoir et remettre. Les problèmes financiers de l’appelant ne sont pas attribuables à l’application de l’article 89 mais découlent plutôt de la cotisation elle-même. L’appelant n’a pas démontré qu’il n’a pu obtenir du financement à cause de l’article 89. Le financement aurait probablement été disponible mais à un coût plus élevé.

L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »)

[127]   L’appelant invoque l’argument qu’il est dans une position inégale par rapport à tout autre commerçant non-Indien dans le cadre de l’application de la LTA ce qui contrevient à l’article 15 de la Charte. Selon l’appelant, il serait discriminé par rapport aux commerçants non-Indiens, puisqu’en vertu de l’article 89 de la Loi sur les Indiens, il ne pouvait obtenir le crédit nécessaire pour avancer la TPS payable. L’article 15 de la Charte se lit comme suit :

(1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[128]   Comme on l’a vu ci-dessus, l’objectif de l’article 89 de la Loi sur les Indiens est la sauvegarde du patrimoine des personnes détenant le statut d’Indien en empêchant la saisie de leurs biens situés sur une réserve.

[129]   Dans l’arrêt Bande indienne d’Ermineskin c. Canada, [2009] 1 R.C.S. 222, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la constitutionnalité des articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens aux motifs qu’ils portaient atteinte aux droits garantis au paragraphe 15(1) de la Charte. Le litige concernait la gestion de sommes d’argent provenant principalement des redevances tirées de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières découvertes sous la surface des réserves des bandes indiennes, lesquelles appartenaient aux bandes indiennes et que la Couronne détenait en fiducie pour leur compte. Les bandes indiennes ont soutenu que l’impossibilité pour la Couronne de faire des placements leurs a infligé un désavantage économique en obtenant des rendements inférieurs à ceux que pouvaient obtenir les non-Indiens. Dans ce cas, la Couronne a appliqué à l’égard des sommes d’argent sous gestion des taux d’intérêts fixés par des décrets pris en application de la Loi sur les Indiens plutôt que de les investir de façon prudente dans un portefeuille d’actions ou d’obligations diversifié.

[130]   La Cour suprême du Canada a conclu que les dispositions contestées de la Loi sur les Indiens qui interdisent à la Couronne d’investir les redevances créent une distinction entre les Indiens et les non-Indiens mais que cette distinction n’est pas discriminatoire en ce sens qu’elles ne créent pas un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes. Voici quelques extraits de cette décision :

[188]  La jurisprudence de notre Cour sur le droit à l’égalité établit clairement que toute distinction n’est pas discriminatoire.  Le fait que des groupes soient traités différemment ne constitue pas en soi une atteinte aux droits garantis au par. 15(1).  Comme notre Cour l’a dit dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 182 (et réaffirmé dans l’arrêt R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 28), le plaignant doit démontrer « non seulement qu’il ne bénéficie pas d’un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu’elle offre, mais encore que la loi a un effet discriminatoire sur le plan législatif » (je souligne).  La méthode d’analyse établie dans l’arrêt Andrews comporte deux volets : premièrement, la loi établit-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et, deuxièmement, la distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

[189]  Dans les circonstances du présent pourvoi, la première exigence est manifestement remplie : la loi contestée crée une distinction entre Indiens et non-Indiens étant donné qu’elle ne s’applique qu’aux premiers.

[190]  Il faut donc se demander si les dispositions régissant la gestion de l’argent des Indiens, qui empêchent la Couronne d’investir cet argent, perpétuent un préjugé ou l’application de stéréotypes.  Il faut selon moi répondre par la négative.

[...]

[201]  Au vu de ce qui précède, je ne puis convenir que les dispositions contestées de la Loi sur les Indiens portent atteinte aux droits garantis au par. 15(1) de la Charte suivant le critère établi dans l’arrêt Andrews et confirmé dans l’arrêt Kapp : « (1) [l]a loi crée t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue (2) [l]a distinction crée t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? » (Kapp, par. 17).  Une distinction est établie entre Indiens et non-Indiens, mais elle n’est pas discriminatoire.  [..]

[202]  Je suis donc d’avis que les dispositions contestées de la Loi sur les Indiens, qui interdisent à la Couronne d’investir les redevances, ne créent pas une distinction perpétuant un préjugé ou l’application de stéréotypes.  Il n’y a pas eu violation du par. 15(1) de la Charte.

[131]   Dans cet appel, l’application de l’article 89 n’a pas comme conséquence de désavantager l’appelant ou de lui créer un quelconque préjudice. Certes, l’article 89 peut occasionner certaines difficultés à obtenir du financement mais, d’un autre côté, cette disposition assure aux Indiens une protection au niveau de leurs actifs. Un entrepreneur autochtone qui n’a pas besoin de la protection offerte par l’article 89 peut sortir du cadre de l’application de la Loi sur les Indiens en exploitant son entreprise au moyen d’une société.

[132]   L’article 89 ne peut trouver application dans le cadre d’opérations se situant, comme en l’espèce, dans le « marché ordinaire » (« commercial mainstream ») Ce principe a été clairement énoncé dans l’arrêt R. v. Sewell, 2006] O.J. No. 2218 de la façon suivante :

Mr. Sewell holds himself out as a retailer prepared to do business with non-Indians. He is prepared to remit the collected GST, but does not want to provide the documents to verify the accuracy of the collected tax. Non-Indian businesses similar to that of Mr. Sewell have to comply with various government reporting schemes. Such is part of the operating expenses of any business. To allow Mr. Sewell not to incur operating expenses in relation to the GST return would give him a competitive advantage over similar businesses owned by non-Indians. It was not the intention of section 89 to provide a competitive advantage in the commercial marketplace in relation to non-Indian businesses. If Mr. Sewell chooses to do business with non-Indians, then he must comply with the rules that apply to businesses of this nature. The historical context of section 89 is a shield against interference on the use and rights in property. There is no historical basis to support the use of section 89 as a sword to obtain a commercial competitive advantage. Mr. Sewell cannot expect to deal with property in the commercial mainstream on different terms than his fellow citizens. (par. 30, page 11)

(soulignement du juge J.D. Keast)

[133]   Le fondement de ce principe semble provenir des commentaires suivants formulés par le juge La Forest dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85 (à la page 138) :

La situation des biens personnels acquis par des Indiens au cours d’opérations commerciales ordinaires est nettement différente ; il s’agit simplement de biens que toute autre personne aurait pu acquérir et je ne vois aucune raison pour laquelle dans ces circonstances les Indiens ne devraient pas être traités de la même façon que toute autre personne.

À la lecture de l’al. 90(1)b), il ne fait aucun doute que cette disposition ne s’appliquerait pas aux biens personnels qu’une bande indienne pourrait acquérir par suite d’un accord commercial ordinaire conclu avec un particulier. Les biens de cette nature ne seront protégés que lorsqu’il sera démontré qu’ils sont situés sur une réserve. Par conséquent, toute opération effectuée sur le marché commercial relativement aux biens acquis de cette façon sera régie par les lois d’application générale. Les Indiens ne profiteront d’aucune exemption de taxe à l’égard de ces biens et seront libres de les aliéner de la même manière que tout autre citoyen. De plus, pourvu que les biens ne soient pas situés sur une réserve, les tiers seront libres de les saisir. J’estime qu’il serait vraiment paradoxal qu’il en soit autrement.

[134]   Dans l’arrêt Bastien (Succession) c. Canada, [2011] 2 R.C.S. 710, le juge Cromwell a réitéré les commentaires du juge La Forest de la façon suivante :

[54] On a vu que, dans Mitchell, le juge La Forest a également mentionné que l'objet de la loi n'est pas de permettre aux Indiens "d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens" : p. 131. Toutefois, il a affirmé clairement que, même si un Indien acquérait un bien dans le cadre d'un accord purement commercial conclu avec un particulier, l'exemption s'appliquerait quand même si le bien était situé sur une réserve. Comme l'a souligné le juge La Forest, "[i]l faut se rappeler que les protections des art. 87 et 89 s'appliqueront toujours aux biens situés sur une réserve" : p. 139.

L’absence d’équité procédurale

[135]   L’appelant invoque dans son avis d’appel modifié en date du 14 octobre 2011, le principe bien établi en jurisprudence que l’administration gouvernementale se doit d’agir équitablement envers ses administrés, en respectant les règles fondamentales de justice naturelle dans le cadre de l’adoption d’une décision susceptible d’affecter leurs intérêts. Selon l’appelant, l’Agence du Revenu du Canada (l’«  ARC ») par le biais de son mandataire n’a pas respecté les règles de justice naturelle envers l’appelant, soit le principe d’une équité procédurale et l’application de la théorie de l’expectative législative de l’administré qui s’est fié sur l’obligation de diligence et de bonne foi à laquelle l’administration gouvernementale est astreinte.

[136]   Contrairement aux prétentions de l’appelant, je ne vois aucun manquement à l’équité procédurale de la part de l’ARC et de son mandataire dans la conduite de la vérification et dans l’établissement des cotisations. Les arguments avancés par l’appelant ne peuvent affecter d’aucune façon la validité des cotisations établies à l’égard de l’appelant.

[137]   L’appelant a refusé de remettre aux autorités fiscales les documents nécessaires pour procéder à une vérification de ses livres et registres pendant plus de deux ans et ce n’est, que suite à des demandes péremptoires faites à des institutions financières, que les autorités fiscales ont pu établir les cotisations initiales, basées sur les états financiers obtenus des institutions financières.

[138]   Les autorités fiscales québécoises ont mis beaucoup de pression sur l’appelant en réclamant le paiement des sommes cotisées mais les mesures de recouvrement n’ont débuté qu’en janvier 2003. Ce n’est que suite à ces procédures de recouvrement que l’appelant a finalement accepté d’ouvrir ses livres et de permettre la vérification de ses affaires. Contrairement à la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »), la LTA ne prévoit pas de restrictions au recouvrement de la TPS et n’a pas d’équivalent à l’article 225.2 de la LIR.

[139]   À partir du moment où l’appelant a accepté d’ouvrir ses livres, le processus de vérification et de cotisation s’est déroulé de façon normale et expéditive. Des nouvelles cotisations ont été établies en date du 8 mai 2003, soit environ un mois après la vérification. L’appelant a produit des avis d’opposition datés du 29 mai 2003, suite auxquels de nouvelles cotisations ont été établies en date du 17 février 2004.

[140]   L’appelant reproche aux autorités fiscales d’avoir tardé a traité les avis d’opposition datés du 4 octobre 2002 produits suite aux cotisations initiales. L’intimée a reconnu le retard à y donner suite mais a invoqué, à la décharge des autorités fiscales, que l’appelant était en grande partie responsable du délai en ne produisant pas ses avis d’opposition selon le formulaire prescrit et en ne l’adressant pas à la bonne direction. Quoi qu’il en soit, lesdits avis d’opposition ont été traités comme des avis d’opposition produits en bonne et due forme. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas le préjudice que l’appelant a pu subir suite à ce retard dans le traitement de ses avis d’opposition. Il aurait pu exercer ses droits d’appel à la Cour vu l’absence de réponse de la part des autorités fiscales pendant plus de 180 jours.

[141]   Compte tenu de la position prise par l’appelant en refusant toute collaboration pour permettre la vérification de ses affaires, je ne crois pas qu’il puisse se plaindre du traitement qui lui a été réservé.

Prescription et pénalités

[142]   À l’égard des années en litige, l’appelant n’a jamais perçu, ni versé au Receveur général du Canada, la TPS sur les ventes faites à des non-Indiens, n’a jamais produit de déclarations de taxes, n’a jamais réclamé de crédits sur intrants sur ses achats et n’était pas un inscrit aux fins de la LTA. Madame Rathé de Revenu Québec lui a fait émettre un numéro d’inscription avec effet rétroactif à l’année 1993, lequel numéro a été révoqué le 16 septembre 2003. L’appelant a obtenu un nouveau numéro d’inscription le 22 octobre 2003.

[143]   En matière de TPS, la période normale de cotisation est, en vertu du sous-alinéa 298(1)(a)(i) de la LTA, de quatre ans après le dernier en date du jour où la personne était tenue par l’article 238 de produire une déclaration pour la période et du jour de la production de la déclaration de la taxe nette pour sa période de déclaration. Le sous-alinéa 298(1)(a)(i) prévoit ce qui suit :

298.(1)  Sous réserve des paragraphes (3) à (6.1), une cotisation ne peut être établie à l’égard d’une personne en application de l’article 296 après l’expiration des délais suivants :

a)  s’agissant d’une cotisation visant l’un des montants suivants, quatre ans après le dernier en date du jour où la personne était tenue par l’article 238 de produire une déclaration pour la période et du jour de la production de la déclaration :

(i) la taxe nette de la personne pour sa période de déclaration,

[144]   Par contre, il n’y a pas de période de prescription dans le cas d’une présentation erronée des faits, d’une fraude ou d’une renonciation. Ces exceptions sont prévues au paragraphe 298(4) de la LTA qui se lit comme suit :

(4) Une cotisation peut être établie à tout moment si la personne visée a :

a) fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire ;

b) commis quelque fraude en faisant ou en produisant une déclaration selon la présente partie ou une demande de remboursement selon la section VI ou en donnant, ou en ne donnant pas, quelque renseignement selon la présente partie ;

c) produit une renonciation en application du paragraphe (7) qui est en vigueur au moment de l’établissement de la cotisation.

[145]   Dans le cas présent, le paragraphe 298(4) ne peut s’appliquer puisque l’appelant n’a pas fait de présentation erronée des faits, n’a pas commis de fraude et n’a pas renoncé au délai de prescription. Pour déterminer la période normale de cotisation, il faut donc s’en remettre à l’alinéa 298(1)(a).

[146]   L’intimée soutient que le délai de quatre ans n’a jamais commencé à courir parce que l’appelant n’a pas produit de déclarations de taxes. Par conséquent, le ministre avait la discrétion de cotiser toutes les années à partir de l’année où l’appelant est devenu propriétaire du commerce.

[147]   De son côté, l’appelant prétend que la prescription a commencé à courir à compter de la date où il était tenu de déposer ses déclarations, sans égard au fait qu’il ne les a jamais produites.

[148]   Cette question a été examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Paquet c. Canada, 2004 CAF 391. L’interprétation suggérée par l’appelant a été rejetée selon les termes suivants :

(3) Il faudrait ignorer les mots clairs et non équivoques de cette disposition pour en arriver à cette interprétation, chose que la Cour s’est refusée de faire dans l’affaire Déziel c. Canada [2004] A.C.F. No 528, décision par laquelle nous sommes par ailleurs liées.

[149]   Toujours concernant le paragraphe 298(1), l’appelant prétend que cette disposition ne pouvait s’appliquer qu’aux personnes inscrites pour fins de taxes. Selon l’appelant, la LTA ne contient pas de dispositions claires et précises pour une personne qui n’est pas un inscrit et qui ne fait pas de déclarations de taxes. Par conséquent, il y a là un vide juridique qui ne peut être suppléé que par le Code civil du Québec qui prévoit une période de prescription de trois ans.

[150]   L’intimée pour sa part prétend que le paragraphe 298(1) s’applique à la fois aux inscrits comme aux non-inscrits et qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre ces deux catégories de personnes. Selon l’intimée, le problème est de toute façon purement théorique puisque l’appelant s’est fait octroyer un numéro d’inscription applicable à compter de l’année 2003. Par conséquent, le paragraphe 298(1) s’applique dans son cas.

[151]   Pour être inscrit aux fins de la LTA, le contribuable doit présenter une demande au ministre (art. 241) mais le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour inscrire rétroactivement un contribuable qui exerce des activités commerciales. Les inscrits et les non-inscrits ont l’obligation de retenir et de remettre la TPS applicable aux fournitures taxables. (art. 238 et 245). Les contribuables non-inscrits ont également l’obligation de produire des déclarations. Dans leur cas, la période de déclaration est mensuelle (alinéa 238(1)(b)) et ils n’ont pas le choix d’utiliser une autre période de déclaration.

[152]   La pénalité imposée à l’appelant est celle visée au paragraphe 280(1) de la LTA qui prévoit ce qui suit dans sa version en vigueur le 20 octobre 2000 :

280. (1) Pénalités et intérêts - Sous réserve du présent article et de l’article 281, la personne qui ne verse pas ou ne paie pas un montant au Receveur général dans le délai prévu par la présente partie est tenue de payer la pénalité et les intérêts suivants, calculés sur ce montant pour la période commençant le lendemain de l’expiration du délai et se terminant le jour du versement ou du paiement :

a) une pénalité de 6 % par année;

b) des intérêts au taux réglementaire.

[153]   L’intimée a le fardeau d’établir que les conditions d’application du paragraphe 280(1) sont rencontrées. En cas de non-production de déclarations de taxes, la pénalité s’applique de façon automatique, sauf si le contribuable a fait preuve de diligence raisonnable pour prévenir ou empêcher le défaut.

[154]   Selon la preuve, l’appelant n’a rien fait pour remédier au défaut d’autant plus qu’il connaissait très bien les obligations de retenues et de versements de la TPS et les obligations de production des déclarations de taxes compte tenu de son implication dans la société Fourrures Micheline Inc.

[155]   L’appelant n’a pas daigné consulter un expert ou un comptable en fiscalité pour obtenir leur avis quant à ses responsabilités face à la LTA ou pour se faire conseiller quant aux mesures à prendre pour se conformer à la LTA. Il n’a pas pris d’arrangements financiers avec les autorités fiscales pour la remise sous protêt ou sous toutes autres conditions des taxes non perçues. Ce n’est qu’au mois de février 2004 que l’appelant a finalement conclu une entente intérimaire avec les autorités fiscales pour la perception et la remise de la TPS à l’égard des fournitures taxables effectuées auprès des non-Indiens.

[156]   Dans ces conditions, je ne crois pas que l’appelant ait réussi à démontrer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable.

[157]   Pour toutes ces raisons, l'appel à l’encontre de la nouvelle cotisation datée du 17 février 2004 concernant les périodes de déclaration du 1er juin 1996 au 31 mai 2002 de l'entreprise de l'appelant est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 2015.

« Réal Favreau »

Juge Favreau






 


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 219

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-2266(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Édouard Robertson et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L’AUDIENCE :

Alma (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 27, 28, 29 mai et les 4, 5, 6, 10, 11 et 12 juin 2014

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

le 10 septembre 2015

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me François Bouchard

Me Jean-François Delisle

Avocat(es) de l'intimée :

Me Anick Pelletier

Me Patrick Vézina

Me Nancy Bonsaint

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Noms :

Me François Bouchard

Me Jean-François Delisle

Cabinet :

(Québec)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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