Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Dossier : 2010-385(IT)G

ENTRE :

MINA KAWKAB YUNUS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appels entendus les 29 février 2012, 10 mai 2012

et les 4 et 5 décembre 2013 à Montréal (Québec)

par l'honorable juge Gaston Jorré

et décision rendue le 3 novembre 2015 par

 

L'honorable juge en chef adjointe Lucie Lamarre

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Normand Pépin

Avocat de l'intimée :

Me Emmanuel Jilwan

 

JUGEMENT

        Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 2002, 2003 et 2004 sont accueillis et les cotisations sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations sur la base suivante : les revenus additionnels sont réduits de 40 771 $ à 30 271 $ pour l'année 2002; de 31 443 $ à 30 443 $ pour l'année 2003; et de 10 698 $ à 9 698 $ pour l'année 2004. Les pénalités sont annulées.

 

        Chaque partie assumera ses propres dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de novembre 2015.

 

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre


 

 

Référence : 2015 CCI 272

Date : 20151103

Dossier : 2010-385(IT)G

ENTRE :

MINA KAWKAB YUNUS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge en chef adjointe Lamarre

[1]             L’appelante interjette appel à l’encontre de nouvelles cotisations, établies le 7 mai 2007 en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), concernant les années d’imposition 2002, 2003 et 2004 (années d’imposition en litige).

[2]             Lors de la production de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en litige, l’appelante a déclaré des revenus totaux de 22 520 $ pour l’année d’imposition 2002, de 9 153 $ pour l’année d’imposition 2003 et de 26 260 $ pour l’année d’imposition 2004.

[3]             Par ses nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national (ministre) a ajouté aux revenus de l’appelante un revenu additionnel de 40 771 $ pour l’année 2002, de 31 443 $ pour l’année d’imposition 2003 et de 10 697 $ pour l’année d’imposition 2004. Le ministre a établi ces revenus additionnels en utilisant la méthode des mouvements de trésorerie. Cette méthode de sélection consiste à comparer les revenus déclarés par le ménage (composé de la contribuable, de son conjoint et de ses enfants à charge) et les dépenses reliées à la détention d'actifs (mises de fonds et frais de financement) ainsi que le coût de la vie du ménage au cours de la période en litige[1].

[4]             En vertu du paragraphe 163(2) de la LIR, des pénalités ont été également imposées pour les trois années d’imposition[2].

[5]             L’appelante conteste devant la Cour l’ajout de ces revenus et l’imposition des pénalités.

[6]             Les appels ont été entendus par le juge Jorré en 2012 et en 2013. Les parties ont accepté par lettre en date du 16 juillet 2015 que la décision sur ces appels soit rendue par un autre juge de la Cour en se basant sur les transcriptions et les pièces au dossier de la Cour.

[7]             À titre de remarque préliminaire, il convient d’énoncer brièvement la façon dont le procès s’est déroulé. Les audiences ont eu lieu les 29 février et 10 mai 2012 ainsi que les 4 et 5 décembre 2013.

[8]             Le 29 février 2012, la Cour a entendu Naheed Kawkab Taufiq, la sœur de l’appelante, qui s’est déplacée de Californie pour venir témoigner. Pour des raisons personnelles, l’avocat de l’appelante a demandé d’ajourner l’audience à une date ultérieure une fois le témoignage de Mme Taufiq terminé (afin qu’elle puisse être libérée).

[9]             Le 10 mai 2012, l’avocat de l’intimée a commencé l’audience en faisant des remarques préliminaires. Celui‑ci soutenait qu’il y avait de nouvelles allégations qui n’avaient pas fait l’objet d’un avis d’appel modifié. Ainsi, l’appelante aurait informé l'intimée qu'elle entendait contester l’ensemble de la cotisation alors qu'initialement il n’y avait qu’une partie de l’écart de revenu qui était contestée. L’avocat de l’intimée a indiqué que l’appelante n'avait pas contesté jusque‑là les écarts de revenus, mais elle contestait plutôt la source des revenus. Le procureur de l’intimée a précisé qu’il s’était préparé pour une contestation portant sur une somme globale de 46 000 $ selon les réponses données dans le cadre de l'interrogatoire préalable[3]. Au-delà de ce montant, affirmait‑il, il était pris au dépourvu.

[10]        Le juge Jorré a été convaincu que l’intimée avait été prise au dépourvu et a accepté d'ajourner l'audience. Le 17 mai 2012, le juge Jorré a ordonné à l’appelante de payer 3 000 $ de frais à l’intimée pour la journée du 10 mai 2012 et pour la préparation de l’audience. Il a également ordonné à l’appelante de déposer un nouvel avis d’appel et à l’intimée de déposer une nouvelle réponse.

[11]        L’audience s’est par la suite poursuivie les 4 et 5 décembre 2013 et la cause a ensuite été mise en délibéré.

[12]        Plusieurs témoins ont été entendus pour l’appelante. Outre Naheed Kawkab Taufiq (sœur de l’appelante), l’appelante elle‑même, son fils Mustafa Yunus, son conjoint Mohammed Yumin Yunus et Noshin Kairzada (amie de l’appelante) ont également témoigné.

[13]        De son côté, l’intimée a fait témoigner Bernard Lafortune, vérificateur de l’Agence du Revenu du Québec (ARQ), qui a établi la cotisation pour l'Agence du revenu du Canada (ARC).

[14]        Lors de l’audience du 4 décembre 2013, l’exclusion des témoins a été ordonnée à la demande de l’avocat de l’intimée. Seuls l'appelante et M. Lafortune, ce dernier représentant l’intimée, en ont été exemptés aux termes de l'article 133 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

FAITS

[15]        L’appelante est d’origine afghane. Elle est arrivée à Montréal en 1984 en tant que réfugiée. Elle a suivi des cours de formation, en français, pendant trois ans à l'Université du Québec (UQAM) pour obtenir un certificat en enseignement de la petite enfance. Depuis 1995, elle travaille comme éducatrice dans une école privée[4].

[16]        Pour justifier l'écart entre son niveau de vie et le revenu qu'elle a déclaré, l’appelante allègue, entre autres, avoir reçu différents montants provenant d'un héritage reçu de son père. Selon le témoignage de l'appelante et de sa sœur Naheed, leur père est décédé en 1985 en Allemagne, un an et demi après avoir quitté l'Afghanistan[5]. Il était un commerçant qui faisait de l’importation et de l'exportation entre l’Allemagne et Kaboul[6]. La Cour a accepté en preuve le document déposé sous la cote A‑3, qui mentionne que le père est décédé en novembre 1985 à Hanovre en Allemagne.

[17]        La preuve de l’appelante repose en grande partie sur les témoignages. Il y a également de la preuve documentaire qui a été déposée au sujet de certains des transferts, mais cette preuve a été en partie contestée par l'intimée.

[18]        L'appelante allègue que sa part de l'héritage lui a été remise par différents membres de sa famille. Ces sommes auraient été déposées dans son compte bancaire personnel lorsqu'elle recevait des transferts d'argent des membres de sa famille résidant en Allemagne et aux États‑Unis. L’appelante soutient aussi avoir contracté un emprunt auprès d’une amie en plus d’avoir utilisé différentes cartes de crédit et une marge de crédit obtenues par son conjoint. Toutes ces sommes d'argent qu'elle recevait expliqueraient son niveau de vie.

[19]        Le dossier d’impôt de l’appelante a été sélectionné dans le cadre d’un projet de vérification appelé « Indices de richesse »[7].

[20]        Bernard Lafortune, le vérificateur dans le dossier d’impôt de l’appelante, a expliqué que ce projet consistait à enquêter sur des gens dont les revenus déclarés étaient peu élevés, mais qui avaient un grand train de vie. Dans ces situations, l’ARQ procède à une vérification plus approfondie et c’est ce qui est arrivé dans le cas de l’appelante[8].

[21]        Dans une première étape, M. Lafortune a envoyé à l'appelante et à son conjoint un questionnaire afin de déterminer toutes les entrées et sorties de fonds pour établir les variations dans leur patrimoine au cours de chacune des années en litige. M. Lafortune a expliqué que, si un écart important résulte de l’analyse des mouvements de trésorerie, l'écart est considéré comme un revenu non déclaré. Par ailleurs, lorsque les contribuables ne répondent pas ou donnent des réponses jugées non raisonnables aux questions posées, l'ARQ utilise les données de Statistique Canada[9].

[22]        M. Lafortune a également expliqué que la raison pour laquelle c’est l’appelante qui a fait l’objet de la cotisation plutôt que son conjoint, M. Yunus, est que c'est la personne qui possède les actifs dans le ménage qui fait l'objet de la cotisation, et, en l’instance, tous les actifs sont au nom de l’appelante.

[23]        Selon le rapport de vérification de M. Lafortune, le dossier de l'appelante a été sélectionné par l'ARQ le 14 juillet 2005. Le 29 juillet 2005, les questionnaires visant à établir les entrées et sorties de fonds de l'appelante pour les années d'imposition en litige ont été postés[10].

[24]        Le 6 septembre 2005, les réponses aux questionnaires ont été reçues par l'ARQ. Deux questionnaires distincts ont été remplis, l'un par l'appelante (pièce I‑1, onglet 24) et l'autre par son conjoint (pièce I‑5). L’appelante et son conjoint ont tous deux indiqué qu’ils n'avaient pas de marge de crédit et qu'ils n’avaient pas obtenu de prêts, incluant des prêts de membres de la famille.

[25]        M. Lafortune a commenté les montants indiqués à titre de dépenses d'épicerie sur le formulaire de dépenses personnelles rempli par les contribuables, sur lequel on indiquait 3 000 $ en dépenses d’épicerie pour l’année 2004[11]. M. Lafortune a dit que, lorsqu’un montant n’est pas raisonnable, le logiciel de l'ARQ le corrige en indiquant un montant provenant des données de Statistique Canada[12]. Ainsi, selon Statistique Canada, l’épicerie pour une famille de deux adultes et cinq enfants devait être, au minimum, de 7 192 $ pour l'année[13]. Lors de l'audience, l'appelante a dit qu'elle s'était trompée et que les dépenses pour l'alimentation s'établissaient plutôt à 500 $ par mois[14], ce qui donne un montant de 6 000 $ pour l'année.

[26]        L'ARQ a ensuite demandé davantage de renseignements à l'appelante. Des relevés bancaires et hypothécaires ont notamment été obtenus.

[27]        Par ailleurs, M. Lafortune a également expliqué que les diverses déclarations de personnes présentées pour soutenir les affirmations de l’appelante ne constituaient pas une preuve suffisante des dons, avances et cadeaux reçus et qu’il avait donc demandé des documents bancaires pour corroborer le contenu des déclarations faites par ces personnes[15]. Il a dit qu'à ce moment il n’avait pas été mis au courant d'un héritage qui aurait été reçu par l'appelante[16].

[28]        Le 20 janvier 2006, un projet de cotisation a été envoyé à l'appelante puisque l'ARQ a constaté d'importants mouvements de trésorerie qui ne cadraient pas avec les revenus déclarés[17].

[29]        Le 22 mars 2006, une rencontre entre M. Yunus et M. Lafortune a eu lieu. M. Yunus était alors accompagné d'un représentant[18]. M. Yunus a affirmé avoir fait un emprunt de 15 000 $ sur une marge de crédit et avoir reçu de l'argent en héritage par voie de transferts bancaires et en argent liquide durant la période vérifiée. L'ARQ lui a de nouveau demandé comme preuve les documents juridiques et bancaires, de même que les documents attestant les différents prêts et cadeaux reçus par l'appelante.

[30]        De ce qui lui a été transmis, M. Lafortune a expliqué qu’il n’a pu prendre en compte certains éléments. Par exemple, les transferts ayant eu lieu dans une année antérieure à la période en litige ne furent pas considérés. Aussi, les entrées d’argent non soutenues par la preuve nécessaire n’étaient pas comptabilisées comme des sources de revenus non imposables. Les relevés des cartes de crédit n'ont pas été retenus si les soldes au 31 décembre d'une année en litige n'étaient pas disponibles. Enfin, la marge de crédit (15 000 $ selon la pièce A‑9) au nom de la compagnie de M. Yunus, Canroyal Distribution Corporation (Canroyal), n’a pas été prise en compte, puisque l'on ne trouve aucune avance à l'actionnaire dans les bilans de la société[19].

[31]        Mme Naheed Kawkab Taufiq, l’une des sœurs de l’appelante, est venue de Californie pour témoigner. Lors de son témoignage, elle a expliqué que leur père a laissé 300 000 $ en banque lorsqu'il est décédé. C’est elle qui aurait été chargée de la succession, avec l’accord de leur mère. Le tout ne fut cependant pas légalement officialisé. Avant d’être distribué, l’argent était dans un compte de banque en Allemagne[20].

[32]        Elle a souligné que la loi islamique veut que l’héritage soit divisé entre les enfants. Selon la tradition, c’est la mère qui aurait dû avoir la charge de la succession. Toutefois, puisque sa mère traversait une période difficile, elle en aurait été chargée[21].

[33]        Mme Taufiq a raconté comment l’argent de son père a été distribué parmi les membres de sa famille. Chacun de ses frères et sœurs – ils sont sept enfants[22] – aurait reçu la somme de 30 000 $, à l’exception d’elle et de l’appelante, qui auraient chacune reçu la somme de 50 000 $ puisqu’elles avaient de plus grands besoins financiers[23]. Elle a ajouté que sa mère aurait reçu un montant de 20 000 $[24].

[34]        Mme Taufiq a déclaré avoir eu besoin d’argent pour acheter un commerce et que l’appelante lui avait prêté sa part de 50 000 $[25]. Elle a expliqué avoir progressivement remboursé l’appelante entre les années 2001 et 2004 de la façon suivante :[26]

—      En 2001, elle a transféré à l’appelante la somme de 13 800 $US par transfert bancaire. Toujours en 2001, elle a demandé à un ami du nom de Raouf Kawomi Kossimi, qui habite Toronto et à qui elle avait jadis prêté 5 000 $, de lui rembourser sa dette en payant l'appelante directement. 

—      Elle a affirmé avoir remis, en 2002, 9 500 $US en argent à Mustafa, le fils de l’appelante, lors de sa visite en Californie, afin qu’il remette cette somme à l'appelante.

—      Entre 2001 et 2004, elle a emprunté de l’argent à deux de ses sœurs vivant en Allemagne afin de pouvoir rembourser l’appelante. Un premier montant de 9 000 $US fut emprunté à Diba (sœur de l’appelante) et cette somme aurait été transportée au Canada par Miena Abas, la fille de Diba. Un second montant de 9 000 $US fut emprunté à Lida (l'autre sœur) et aurait été apporté au Canada par leur mère. Ces montants auraient été remis en argent comptant.

—      Enfin, entre 2001 et 2004, elle a remboursé à l’appelante les 3 700 $ restants par l’envoi de bijoux.

[35]        Mme Taufiq a brièvement parlé des lettres déposées sous les cotes A‑1 et A‑2, dans lesquelles elle mentionne, d'une part, avoir envoyé 50 000 $ à l'appelante pour l'aider financièrement, et d'autre part, être exécutrice testamentaire de la succession de son père et avoir envoyé de l'argent à l'appelante depuis 2001. Dans son témoignage, elle s'est contentée d’expliquer avoir signé ces lettres à la demande de l'avocat de l’appelante[27].

[36]        En contre‑interrogatoire, elle a expliqué que leur père n’avait pas de testament écrit et que ses biens avaient été vendus avant qu’il ne quitte l’Afghanistan pour aller s’installer avec sa famille en Allemagne. Elle a témoigné que, lorsque son père est décédé, il possédait 300 000 $[28].

[37]        Mme Taufiq a ajouté qu’il n’est pas de coutume dans une famille afghane de tenir des comptes et de demander à un frère ou à une sœur quel montant il a reçu. Elle n'a pas su expliquer clairement quand et comment chacun de ses frères et sœurs a reçu sa part de l'héritage[29]. Une coutume semblable existe apparemment aussi à l'égard des amis proches, ce qui expliquerait l’absence de preuve écrite du prêt qu’elle avait fait à Raouf[30].

[38]        Mme Taufiq a expliqué que la lettre contenue dans la pièce I‑2, onglet 39 fait état d’un prêt de 8 500 $ qu’elle a consenti à l’appelante en 2003. Son témoignage n'était pas très clair à ce sujet, et l'on ne sait pas si ce montant fait partie ou non du remboursement du montant de 50 000 $[31]. Par ailleurs, la signature sur ce document pose problème en ce qu'elle diffère des autres documents signés par Mme Taufiq aux pièces A‑1 et A‑2.

[39]        De son côté, l’appelante a mentionné qu'elle a acquis en 1988 une première maison, à Saint‑Hubert sur la Rive‑Sud de Montréal, dans laquelle elle a vécu avec sa famille jusqu'à ce qu'elle acquière une nouvelle maison à Ville Saint‑Laurent en 2001. Elle dit avoir reçu alors de l’aide financière. Cette aide aurait été constituée de sa part de 50 000 $ de l’héritage qu’elle avait d’abord prêtée à sa sœur, Mme Taufiq. Ainsi, lorsqu’elle a décidé d’acheter la maison en 2001, elle a réclamé à sa sœur le remboursement du prêt[32]

[40]        L'appelante a repris essentiellement les mêmes propos que Mme Taufiq quant aux différents transferts d'argent[33]. L'appelante a indiqué que Mme Taufiq lui avait envoyé 14 000 $ par transfert bancaire. L’appelante a expliqué que le montant était de 14 000 $, mais qu’il y avait des frais[34]. Ensuite, un autre transfert bancaire aurait été effectué par Raouf, un ami de Mme Taufiq, d’un montant de 4 990 $[35]. Ces deux transferts ont été faits en 2001 (selon les états bancaires, pièce A‑5)[36].

[41]        L'appelante a ensuite mentionné que son fils Mustafa lui a rapporté 9 000 $ en devises américaines lorsqu’il est revenu de Californie en 2002[37].

[42]        L'appelante a également dit que sa sœur Diba Hoffmann‑Kawkab, qui réside en Allemagne, lui avait envoyé une somme de 9 000 $US en juillet 2003. C'est la fille de cette dernière, Miena Abas, qui aurait apporté avec elle cette somme lorsqu’elle est venue visiter l'appelante au Canada[38]. Sa sœur lui aurait envoyé une lettre confirmant qu’elle lui donnait cette somme d’argent (pièce A‑8)[39].

[43]        Elle a aussi témoigné qu’en 2002 ou en 2003, sa sœur Lida Kawkab lui avait envoyé 8 500 $US ou 9 000 $US. C’est la mère de l'appelante qui lui aurait apporté ce montant d'argent lorsqu'elle est venue au Canada[40]. Lida a fait une déclaration non assermentée selon laquelle elle avait fait une avance de 9 500 $ à l'appelante en 2002 (pièce I‑2, onglet 37).

[44]        L'appelante a soutenu que sa sœur, Mme Taufiq, lui avait envoyé par la poste des bijoux d’une valeur de 3 700 $[41]. Selon l'appelante, Naheed considérait alors qu'elle lui avait remboursé la totalité de sa part de l'héritage.

[45]        En 2003 ou en 2004, l’une de ses amies, Noshin Kairzada, lui aurait prêté une somme de 10 000 $[42]. L’appelante lui aurait laissé des bijoux en dépôt pour ce prêt. De son côté, Mme Kairzada a dit dans son témoignage qu'elle avait prêté 10 000 $ à l'appelante à l'été 2002. Elle aurait eu en sa possession une somme de 5 000 $ en argent comptant et aurait retiré une autre somme de 5 000 $ de la banque sur une période de deux ou trois jours. Elle ne savait pas toutefois en quelles coupures elle avait remis cette somme à l’appelante. Par ailleurs, elle a confirmé avoir reçu de l'appelante une boîte de bijoux en garantie, mais a mentionné n'avoir jamais ouvert cette boîte. L'appelante aurait remboursé Mme Kairzada l'année suivante par une traite bancaire (money order)[43]. Aucune preuve de cette traite bancaire n'a été produite.

[46]        L’appelante a aussi décrit ses différentes sources de revenu. Elle recevait des prestations fiscales pour enfants, ainsi que les loyers de la maison, dont elle est toujours propriétaire, située à Saint‑Hubert[44]. Quant à l’argent de l’héritage, l’appelante affirme l’avoir déposé à la banque pour payer les dépenses familiales[45]; c’est du moins ce qu’elle faisait avec l’argent américain (c’est‑à‑dire l’argent apporté par son fils, sa mère et sa nièce). Elle a également mentionné que son conjoint payait 15 % des dépenses familiales[46].

[47]        Elle affirme avoir fait en 2002 et en 2003 trois paiements de 10 000 $ qui ont été transférés de son compte à la Caisse populaire vers le compte hypothécaire[47]. (Ceci est corroboré par la Caisse populaire, pièce A‑6.) Selon elle, ces sommes provenaient de l’héritage[48].

[48]        Par ailleurs, elle a indiqué avoir fait des erreurs en remplissant les questionnaires. En effet, pour les dépenses de nourriture, elle soutient qu’il s’agit plutôt de 500 $ par mois[49]. Elle a toutefois affirmé qu’il n’y avait pas d’autres erreurs dans les formulaires que celles relatives au montant pour la nourriture[50].

[49]        En contre-interrogatoire, elle a mentionné que c’est son comptable qui s’est occupé de sa déclaration de revenus pour l’année 2002[51] et qu’elle n’a fait que la signer[52].

[50]        Le témoignage de Mustafa Yunus, le fils de l’appelante, concerne essentiellement le transfert de 9 000 $US survenu en 2002, alors qu’il était âgé de 19 ans [53]. À l’occasion des fiançailles de sa cousine, il était en visite chez sa tante, Mme Taufiq, en Californie aux États-Unis. Il a expliqué que celle‑ci lui a remis la somme de 9 000 $ en devises américaines afin qu’il la remette à sa mère, l’appelante. Mme Taufiq lui aurait expliqué qu’il s’agissait de l’argent de l’héritage. Il a précisé qu’il ne savait pas avant son départ pour la Californie qu’il allait devoir rapporter une somme d’argent pour sa mère. Il a transporté cette somme dans son bagage à main dans l’avion pendant le vol de retour. Il a affirmé ne pas avoir déclaré la somme d’argent aux douaniers canadiens. Il ne connaissait pas l’exigence de déclarer les sommes atteignant 10 000 $CAN et plus à la douane en entrant au Canada. Mustafa Yunus a indiqué être revenu avec cette somme d’argent et il a affirmé l’avoir ensuite remise à sa mère. Il a affirmé que sa mère a compté l’argent devant lui et qu’il s’agissait bien de 9 000 $US.

[51]        M. Mohammed Yumin Yunus est le conjoint de l’appelante. Lors de son témoignage, il a expliqué qu’il était propriétaire d’un « lave-auto »[54]. Il a aussi dit s’être lancé en affaires avec un autre homme, qui a dû cependant se retirer du projet d'entreprise pour cause de maladie. Ce dernier lui aurait fait divers petits prêts, mais rien n'a été déposé en preuve à ce sujet. M. Yunus a aussi dit avoir emprunté la somme de 15 000 $ sur une marge de crédit (pièce A‑9). Il a affirmé avoir utilisé environ 15 % de cette marge de crédit pour les dépenses familiales, soit environ 2 000 $. Il a aussi indiqué avoir deux cartes de crédit sur lesquelles il avait emprunté au total environ 6 500 $ (5 150 $ + 1 390 $) en 2004 (pièces A‑10 et A‑11). Je note qu'il s'agit d'états de compte du mois de janvier et du mois de mars 2004. Enfin, une personne qui travaille dans le même immeuble lui aurait apparemment prêté 2 000 $. Encore une fois, il n'y a rien d'autre en preuve attestant ceci.

[52]        M. Yunus a également mentionné avoir fait une demande pour une troisième carte de crédit à la fin de l'année 2005 (après la période en litige) pour pouvoir rembourser la dette accumulée sur ses deux autres cartes de crédit et sur sa marge de crédit, compte tenu de ses faibles revenus.

[53]        M. Yunus soutient avoir rencontré le vérificateur, M. Lafortune, à deux reprises et dit que celui-ci lui aurait montré un exemple de formulaire et lui aurait suggéré des montants à inscrire sur les formulaires de dépenses et revenus[55].

[54]        M. Lafortune ne se souvient pas d'avoir suggéré à M. Yunus des chiffres à inscrire sur les formulaires [56]. Il affirme ne pas se souvenir d'avoir donné de renseignements concernant les montants à inscrire sur les formulaires, que ce soit sur papier ou oralement, et dit qu'il ne donne pas de directives à cet égard[57].

Questions en litige

(1)     Est‑ce que l’inclusion des revenus non déclarés tels qu’ils sont établis par les nouvelles cotisations est justifiée?

(2)     Bien que la question ne soit pas soulevée dans l’avis d’appel, est‑ce que le ministre pouvait établir à l'égard de l'appelante une nouvelle cotisation, pour l'année d'imposition 2002 aux termes du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR?

(3)     Est‑ce que le ministre était justifié en imposant des pénalités pour faute lourde pour chacune des années d'imposition en litige en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR?

ANALYSE

1)      L'inclusion des revenus non déclarés était‑elle justifiée?

[55]        Dans l’arrêt Hsu c. Canada, 2001 CAF 240, paragraphe 22, la Cour d’appel fédérale a souligné que le ministre peut établir des cotisations arbitraires en employant toute méthode appropriée dans les circonstances : 

Le paragraphe 152(7) de la Loi permet au ministre d’établir des cotisations « arbitraires » en employant toute méthode appropriée eu égard aux circonstances. […]

Le paragraphe 152(8) énonce une présomption de bien-fondé de ces cotisations et impose initialement au contribuable la charge de réfuter les faits présumés par le ministre […]. Même si pareille cotisation est « arbitraire », le ministre est tenu de divulguer le fondement précis sur lequel cette cotisation repose […]. Autrement, le contribuable ne serait pas en mesure de s’acquitter de l’obligation initiale qui lui incombe de démolir les « présomption exactes qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus » […]

[56]        Dans l’arrêt Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241, 2008 DTC 6551, le juge Pelletier de la Cour d’appel fédérale s'exprimait ainsi dans le cas d'une cotisation établissant des revenus non déclarés par la méthode de l'avoir net, aux paragraphes 18 à 20 et 22 : 

18        À mon avis, cette jurisprudence n'établit pas le principe selon lequel le ministre ne peut ajouter au revenu d'un contribuable le revenu non déclaré qu'il constate à la suite de l'application de la méthode de l'avoir net que s'il est en mesure d'établir la source de ce revenu. Notre système de perception d'impôt sur le revenu est fondé sur la déclaration du contribuable quant au revenu qu'il a touché au cours d'une année d'imposition. S'il arrive que le ministre doute, pour quelque raison que ce soit, de l'exactitude de la déclaration de revenu produite par le contribuable, il peut entreprendre l'enquête qui lui semble nécessaire. Il peut par la suite établir une nouvelle cotisation. Si le contribuable s'oppose à la nouvelle cotisation par voie d'avis d'appel, le ministre n'a pas à faire la preuve des faits à l'origine de la nouvelle cotisation. Il n'a qu'à étayer dans sa réponse à l'avis d'appel les faits qu'il a tenus pour acquis en établissant la nouvelle cotisation. Le contribuable, qui sait tout ce qu'il y a à savoir au sujet de ses affaires, a le fardeau de "démolir" les présomptions du ministre sinon ces présomptions sont présumées être vraies.

19        Cette façon de procéder a reçu l'approbation de la Cour suprême à de nombreuses reprises, dont l'affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, n'est qu'un exemple. Dans cette cause, la Cour s'exprime ainsi aux paragraphes 92-93 :

92        ... En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions: (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l'É.), à la p. 1101), et la charge initiale de "démolir" les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486, Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à "démolir" les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

93        L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de "démolir" l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie : Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwin c. M.R.N., 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.) ... Il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite "démolit" les présomptions du ministre : voir par exemple MacIsaac c. M.R.N., 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.), à la p. 6381; Zink c. M.R.N., 87 D.T.C. 652 (C.C.I.) ...

20        L'application de la méthode de l'avoir net ne change rien à cette méthode de preuve. Dans la mesure où le ministre présume que le revenu constaté par l'application de la méthode de l'avoir net est un revenu imposable, il revient au contribuable de démolir cette présomption. Si celui-ci présente une preuve crédible que le montant en question n'a pas le caractère de revenu, le ministre doit alors aller au-delà de ses présomptions de fait et déposer la preuve de l'existence de ce revenu.

[…]

22        Le montant et le caractère du revenu non déclaré ayant été mis de l'avant par le ministre dans ses présomptions de fait, il incombait au contribuable de démontrer au juge de la Cour canadienne de l'impôt que les sommes constatées par l'application de la méthode de l'avoir net n'avaient pas le caractère de revenu imposable.

[57]        En l'espèce, le montant et le caractère des revenus non déclarés ayant été mis de l'avant par le ministre dans ses présomptions de fait, il incombe donc au contribuable de démontrer que les revenus ajoutés par le ministre n'avaient pas le caractère de revenus imposables.

Crédibilité des témoignages

[58]        En ce qui concerne les témoignages de l’appelante et de son conjoint, le fait que le français ne soit manifestement pas leur langue maternelle a représenté une difficulté. Il ressort de la transcription qu'il a parfois été difficile de les comprendre. Leurs témoignages ont été interrompus plus d’une fois pour les inviter à donner des réponses plus précises qui permettraient à la Cour de comprendre leurs propos.

[59]        L’avocat de l’intimée soutient que la Cour ne devrait pas retenir la preuve de l’appelante puisque les témoignages ne sont pas dignes de foi. Pour soutenir son appréciation des témoignages, il énonce les éléments suivants :

•        L'appelante et son conjoint auraient rempli les formulaires de dépenses de façon déraisonnable (il donne à titre d'exemple le fait de n'avoir rien inscrit comme dépense pour l'essence alors qu'ils possédaient des voitures (pièce I‑1, onglet 31).

•        Les déclarations fournies par l'appelante pour expliquer les sources de revenus ne sont pas des déclarations faites sous serment et proviennent de personnes liées à l'appelante.

•        Naheed Taufiq, la sœur de l'appelante qui est venue témoigner, a eu du mal à expliquer la déclaration, que l'on trouve à la pièce I‑2, onglet 39, qu'elle aurait faite concernant un prêt de 8 500 $ en 2003 par l'intermédiaire de son neveu. Elle n'a pas su expliquer si ce montant faisait partie du montant de 50 000 $, qu'elle devait rembourser à l'appelante, correspondant à sa part de l'héritage. L'avocat de l'intimée a aussi fait remarquer que la signature sur ce document n'était pas la même que sur les autres déclarations que Naheed Taufiq a également faites et qui ont été déposées sous les cotes A‑1 et A‑2.

•        De plus, l'appelante et son conjoint ont tous deux déclaré ne pas avoir de marge de crédit personnelle ni avoir emprunté à qui que ce soit (pièce I‑1, onglet 24 et pièce I‑5).

•        L'appelante et son conjoint n'ont jamais parlé de l'héritage au vérificateur avant que celui‑ci ne produise le projet de cotisation. L'avocat de l'intimée ajoute qu'il n'y a aucune preuve tangible de cet héritage.

•        Pour ce qui est de la marge de crédit de 15 000 $, celle‑ci a été obtenue par la société Canroyal et aucune preuve ne démontre qu'une partie de l'argent provenant de cette source a été octroyée à son actionnaire, M. Yunus.

•        Les paiements hypothécaires anticipés s'élèvent à 40 000 $ au cours de la période en litige. Selon l'intimée, cela démontre plutôt un niveau de vie élevé qui ne cadre pas avec les revenus déclarés par l'appelante.

•        Dans ses réponses à l'interrogatoire préalable écrit que l'on trouve à l'onglet 7 du « Cahier de procédures » déposé en preuve, l'appelante avait déclaré ne pas être propriétaire de la résidence principale ni de l'immeuble locatif alors qu'elle en est la propriétaire.

•        Elle a modifié sa version depuis le début de la vérification. Elle n'a parlé de l'héritage qu'après le projet de cotisation et, dans son avis d'appel modifié, elle a ajouté qu'elle avait emprunté à une amie et que les cartes de crédit avaient servi aux dépenses familiales.

•        Selon l'avocat de l'intimée, les témoignages provenaient de personnes liées, intéressées par l'issue de l'appel. De plus, ils étaient vagues, confus et contradictoires.

•        Finalement, l'avocat de l'intimée souligne que les 9 000 $US transportés au Canada par le fils de l'appelante équivalaient à un montant plus élevé que 10 000 $CAN au cours des années en litige et que ce montant devait être déclaré à la douane canadienne en vertu de l'article 12 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, et qu'aucune telle somme n'a fait l'objet d'une déclaration.

•        Il conclut que la preuve de l'appelante n'est pas crédible et que cette dernière a sciemment fait des énoncés erronés justifiant l'imposition de la pénalité pour faute lourde.

Analyse de la preuve

[60]        En premier lieu, je constate de la preuve que, sauf pour les dépenses d'épicerie, l'appelante ne conteste pas les sorties de fonds établies par le vérificateur et que l'on trouve dans son rapport sur le mouvement de trésorerie (pièce I‑1, onglet 19). En ce qui concerne l'épicerie, le vérificateur a établi un montant de 7 192 $ par année selon les chiffres de Statistique Canada (pièce I‑1, onglet 19, annexe 4 du rapport sur le mouvement de trésorerie). L'appelante, lors de son témoignage, a rectifié les dépenses d'épicerie en les fixant à 6 000 $ par année. Nous parlons ici d'une différence de 1 000 $ par année.

[61]        Le débat vise ainsi principalement les sources de revenu au cours des années 2002, 2003 et 2004. De la preuve, je retiens que l'appelante soutient avoir reçu, en 2002, 9 000 $US de sa sœur Naheed Taufiq et un autre 9 000 $US de sa sœur Lida en paiement d'une partie de l'héritage de son père.

[62]        Elle aurait également reçu un prêt de 10 000 $ de son amie Nashin Kairzada. Elle aurait toutefois remboursé ce dernier prêt en 2003. Or, ce débours de 10 000 $ n'apparaît pas dans les mouvements de trésorerie dressés par le vérificateur. Si je devais accepter la version de l'appelante et de Mme Kairzada, il faudrait ajouter un montant de 10 000 $ en 2003 aux sorties de fonds pour tenir compte du remboursement effectué par l'appelante; ce qui aurait pour effet d'augmenter l'écart de 10 000 $ en 2003.

[63]        Pour l'année 2003, l'appelante prétend avoir reçu la somme de 9 000 $US de sa sœur Diba, qui lui aurait transmis l'argent par sa fille, qui serait venue au Canada. Cette somme lui aurait été donnée à la demande de sa sœur Naheed Taufiq et représentait une autre partie de l'héritage. Par ailleurs, selon un autre document, Naheeb lui aurait également prêté 8 500 $ au cours de l'année 2003. Celle‑ci n'a pas été très explicite à ce sujet et l'on ne trouve aucune trace de ce prêt dans les états bancaires fournis en preuve. De plus, la signature sur le document en question (pièce I‑2, onglet 39) pose problème.

[64]        L'appelante soutient qu'en 2004 son conjoint aurait contribué 15 % sur un emprunt de 15 000 $ qu'il aurait fait par l'intermédiaire de la société Canroyal en 2004, ce qui équivaut à environ 2 000 $. On ne trouve aucune indication d'un prêt à l'actionnaire dans le bilan de cette société. De plus, si un tel prêt y figurait, il y aurait eu un avantage imposable du même montant.

[65]        Par ailleurs, le conjoint de l'appelante aurait déclaré des revenus nets de 338 $ en 2002, de 2 682 $ en 2003 et de 2 711 $ en 2004 (voir la première page de chacune des déclarations de revenus de l'appelante sur lesquelles apparaît le revenu net de son conjoint (pièce I‑1, onglet 1). Il aurait déclaré des revenus totaux de 1 015 $ en 2002, de 8 841 $ en 2003 et de 8 941 $ en 2004 (voir paragraphe 15 a)(iii) de la Réponse à l'avis d'appel modifié) (Réponse).

[66]        Selon les documents soumis en preuve, le conjoint aurait aussi contracté, en sus de petits prêts personnels, des dettes de l'ordre de 6 500 $ en 2004 sur ses cartes de crédit, lesquelles, selon lui, n'avaient toujours pas été remboursées après la période en litige. Les états de compte déposés en preuve ne permettent pas toutefois de vérifier quels étaient les montants encore dus à la fin de l'année 2004. De plus, tant l'appelante que son conjoint ont déclaré n'avoir emprunté de l'argent à personne ni à aucun membre de la famille; ils ont également déclaré n'avoir pas eu de marge de crédit personnelle.

[67]        Par ailleurs, M. Yunus a témoigné avoir demandé une troisième carte de crédit à la fin de l'année 2005, pour lui donner un coussin supplémentaire, compte tenu des dettes accumulées sur ses deux autres cartes de crédit dans les années en litige.

[68]        Je conviens avec l'intimée que des contradictions ressortent de la preuve et que les témoignages proviennent en grande partie des membres de la famille (soit l'appelante, son conjoint et son fils), qui peuvent avoir un intérêt dans l'issue de la cause.

[69]        En outre, il m'est très difficile d'accepter sans réserve la preuve concernant l'héritage, qui ne lui aurait été remis qu'à compter de 2001. D'une part, ni l'appelante ni son conjoint n'en ont fait part à M. Lafortune lors de la vérification. Ce n'est qu'au moment où le projet de cotisation est sorti qu'ils en ont parlé. De plus, le père de l'appelante est décédé en 1985. Il me semble assez étrange que l'appelante n'ait touché sa part de l'héritage qu'à compter de 2001 (soit 16 ans plus tard). L'appelante et son conjoint sont arrivés au Canada comme réfugiés en 1984. Elle a reçu des prestations d'aide sociale pendant six mois, puis a travaillé comme coiffeuse avant de commencer ses études à l'UQAM[58]. J'ai peine à imaginer qu'ils n'ont pas eu besoin de l'argent de l'héritage au moment du décès du père, d'autant que, selon son témoignage, l'appelante a acheté une première propriété en 1988 dans laquelle la famille a vécu jusqu'à son déménagement à Ville Saint‑Laurent en 2001[59].

[70]        D'un autre côté, je réalise à la lecture de la preuve que l'appelante et son conjoint n'ont peut-être pas tout à fait saisi l'importance à accorder à la vérification qui a été faite dans leur cas. Je vais donc tenter d'analyser la probabilité réelle et plausible de chaque montant que l'appelante prétend avoir reçu au cours des années en litige, puisque les montants qu'elle dit avoir reçus avant 2002 ne peuvent servir à expliquer les revenus pour les années 2002 à 2004.

[71]        Naheed Taufiq, la sœur de l'appelante, s'est déplacée de Californie pour venir témoigner. Elle assure avoir versé en 2002 une somme de 9 500 $US en argent comptant au fils de l'appelante, lequel est venu confirmer cette version, en mentionnant toutefois un montant de 9 000 $US. Ce dernier dit avoir vu sa mère compter ladite somme et avoir constaté qu'il s'agissait bien de 9 000 $US. L'intimée souligne que cette somme n'a pas été déclarée à la douane canadienne, mais la preuve ne dit rien quant au taux de change entre le dollar canadien et le dollar américain à ce moment‑là. De toute façon, cet argument n'a pas été soulevé dans la Réponse, et il revenait donc à l'intimée de faire la preuve de cette affirmation.

[72]        Compte tenu de ces trois témoignages, je donne le bénéfice du doute à l'appelante et je suis donc prête à accepter que celle‑ci a reçu 9 000 $US de sa sœur Naheed en 2002, sans pour autant conclure que cette somme provenait de l'héritage de son père. Par ailleurs, l'appelante n'a pas mis en preuve le taux de change non plus. On a soutenu qu'un montant de 9 500 $CAN devait être pris en compte dans les entrées de fonds et je m'en tiendrai donc à ce chiffre (pièce I‑2, onglet 35).

[73]        L'appelante a dit avoir reçu en 2002 également un prêt de 10 000 $ de son amie, qui aurait été remboursé en 2003. Comme je le mentionnais plus haut, si j'acceptais cette version, ce montant aurait dû apparaître dans les sorties de fonds en 2003, mais ce prêt n'a jamais été signalé au vérificateur, ni avant ni après la sortie du projet de cotisation. C'est en cour que pour la première fois cette histoire a été racontée par Mme Kairzada, et ceci n'a même pas été corroboré par l'appelante.

[74]        L'appelante n'a pas démontré que cet argent avait été déposé dans son compte de banque et qu'il en était ressorti. Les retraits de 10 000 $ ont plutôt trait au remboursement de l'hypothèque. J'estime la preuve insuffisante et trop peu plausible pour que je puisse accorder du poids au témoignage de Mme Kairzada.

[75]        De même, en 2002 et en 2003, les deux sommes de 9 000 $US qui auraient été remises en argent comptant par la fille de sa sœur Diba et par sa mère, toutes deux venant d'Allemagne, souffrent d'un problème de preuve. Ces deux personnes ont fait des déclarations, mais non sous serment, et n'ont pas autrement témoigné, ce qui ne permettait pas à l'intimée de tester la véracité de leurs propos. Je crois comprendre que le dépôt de ces sommes n'a pas été retracé dans un compte bancaire de l'appelante. Il est vrai que sa sœur Naheed a mentionné qu'elle avait demandé à ses deux autres sœurs de transmettre ces sommes à l'appelante. Toutefois, il n'y a aucun moyen de vérifier si ces sommes sont parvenues à l'appelante et j'estime que l'explication de l'héritage n'est pas suffisamment plausible pour donner foi à cette explication.

[76]        Quant au prêt de 8 500 $ qui aurait été effectué par Naheed, la preuve à cet égard n'est pas digne de foi. D'une part, le document attestant ce prêt porte une signature qui ne correspond pas à la signature de Naheed que l'on retrouve aux pièces A‑1 et A‑2. D'autre part, le témoignage de cette dernière était très nébuleux sur ce point. Finalement, tant l'appelante que son conjoint ont déclaré n'avoir reçu aucun prêt de membres de leur famille.

[77]        J'estime donc que, outre le montant de 9 500 $ reçu de Naheed en 2002, l'appelante n'a pas démontré avoir reçu, selon la prépondérance des probabilités, les autres montants, qu'elle dit avoir hérités ou obtenus en prêt de sa famille ou de son amie, Mme Kairzada.

[78]        Par ailleurs, l'appelante et son conjoint n'ont pas fait la preuve que l'emprunt de 15 000 $ sur la marge de crédit en 2004 avait servi à payer les dépenses dans une proportion de 15 %. L'emprunt a été effectué au nom de la société Canroyal, dont le conjoint était actionnaire (pièce A‑9). Si la version de l'appelante était avérée, le montant aurait été de toute façon imposable comme un avantage imposable provenant de la société.

[79]        Finalement, j'estime que l'appelante et son conjoint n'ont pas fait la preuve que ce dernier était toujours endetté pour un montant d'environ 6 500 $ sur ses cartes de crédit à la fin de 2004. Ce montant ne peut donc pas être pris en compte pour expliquer les écarts entre le niveau de vie du ménage selon les mouvements de trésorerie et les revenus déclarés. De plus, j'estime la preuve insuffisante quant aux divers petits prêts qui auraient été octroyés au conjoint au cours de la période en litige.

[80]        En conclusion, j'estime que la différence de 1 000 $ par année dans les dépenses d'épicerie est minime et peut être accordée en faveur de l'appelante.

[81]        De plus, j'accepte qu'un montant de 9 500 $ a été reçu par l'appelante de sa sœur Naheed en 2002, mais, quant au reste, la preuve soumise est insuffisante et hautement improbable et ne peut justifier la diminution des revenus additionnels imposables.

[82]        En conséquence, les cotisations pour les années 2002, 2003 et 2004 devront être modifiées de la façon suivante. Le revenu additionnel doit être réduit :

de 40 771 $ à 30 271 $

pour l'année 2002

de 31 443 $ à 30 443 $

pour l'année 2003

et de 10 698 $ à 9 698 $

pour l'année 2004

2)      Est-ce que le ministre pouvait établir à l'égard de l'appelante une nouvelle cotisation pour l'année 2002 aux termes du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR?

Alinéa 152(4)a) LIR :

(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a)   le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

(ii) soit a présenté au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, au cours de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année.

[83]        Ainsi pour établir une nouvelle cotisation en dehors de la période de nouvelle cotisation, comme c'est le cas ici pour 2002, le ministre doit établir que l'appelante a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, puisqu'il n'y a pas eu de renonciation par l'appelante.

[84]        L'intimée n'a que vaguement soulevé ce point dans son argumentation en disant que, puisqu'elle n'avait pas été informée par l'appelante dans son avis d'appel qu'elle entendait contester ce point, l'intimée n'avait pas à en faire la preuve[60].

[85]        Que cet argument soit soulevé ou non dans l'avis d'appel, il demeure que le fardeau repose sur l'intimée de démontrer (1) qu'il y a eu présentation erronée des faits et (2) que celle‑ci résulte de négligence, inattention ou omission volontaire (Dao c. La Reine, 2010 CCI 84).

[86]        Le simple fait de faire une déclaration inexacte est une présentation erronée (Francis c. La Reine, 2014 CCI 137, au paragraphe 20). Quant à savoir s'il y a eu négligence, inattention ou omission volontaire, il suffit au ministre de démontrer la négligence du contribuable à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable dans la préparation et la production de sa déclaration de revenus (Venne c. Canada, [1984] A.C.F. n314 (QL), 84 DTC 6247. La norme requise est celle d'une personne sage et prudente (Canada c. Regina Shoppers Mall Ltd., [1991] A.C.F. no 52 (QL), [1991] 1 C.T.C. 297 (FCA)).

[87]        En l'instance, j'estime que l'écart entre les revenus établis selon les mouvements de trésorerie et les revenus déclarés est suffisant pour constater qu'il y a eu présentation erronée des faits. De plus, une personne sage et prudente se serait souciée davantage du revenu à déclarer dans ses déclarations de revenus.

[88]        Au cours de la période en litige, l'appelante et son conjoint étaient au Canada depuis près de 20 ans, ils ont fait affaire avec un comptable, avaient acheté deux propriétés. L'appelante a étudié et est devenue enseignante. Son conjoint exploitait une petite entreprise. J'estime qu'ils avaient le bagage nécessaire pour s'informer davantage de leurs obligations fiscales. En contre‑interrogatoire, l'appelante a reconnu avoir laissé le comptable remplir ses déclarations de revenus et s'être simplement contentée de signer. Il y a certainement eu inattention et pour cette raison j'estime que la preuve a été faite par le ministre que la cotisation pouvait être établie en dehors de la période normale de nouvelle cotisation pour l'année 2002.

3)      Est‑ce que le ministre était justifié en imposant des pénalités pour faute lourde pour chacune des années en litige en vertu du paragraphe 163(2) LIR?

[89]        Le paragraphe 163(2) de la LIR permet au ministre d’imposer des pénalités à toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration de revenus. Le paragraphe 163(2) de la LIR se lit en partie comme suit :

163(2) Faux énoncés ou omissions — Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants : […]

[90]        En vertu du paragraphe 163(3) de la LIR, il incombe au ministre de prouver les circonstances justifiant l’imposition d’une pénalité pour faute lourde. Le paragraphe 163(3) se lit comme suit :

(3) Charge de la preuve relativement aux pénalités — Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d'une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article ou de l'article 163.2, le ministre a la charge d'établir les faits qui justifient l'imposition de la pénalité.

[91]        Dans l’affaire Venne c. Canada, précitée, le juge Strayer a précisé ce que l’on doit entendre par la notion de « faute lourde » : 

[…] La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. […]

[92]        Dans l’arrêt Lacroix c. Canada, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que le contribuable avait commis une faute lourde parce qu'il n’avait pas été en mesure de fournir une explication crédible quant à la source de revenus qu’il n’avait pas déclarée :

[29] […] En l’instance, le ministre constate un revenu non déclaré qu’il demande au contribuable de justifier. Celui-ci fournit une explication que ni le ministre ni la Cour canadienne de l’impôt ne jugent crédible. Il n’y a donc pas d’hypothèse viable et raisonnable qui pourrait porter le décideur à accorder le bénéfice du doute au contribuable. La seule hypothèse offerte est jugée non crédible.

[30] Les faits en preuve, dans un tel cas, sont que la déclaration de revenu du contribuable fait une présentation erronée des faits et que la seule explication offerte par le contribuable est jugée non crédible. Évidemment, il doit y avoir une autre explication pour ce revenu. Il faut donc conclure que le contribuable a une source de revenu qu’il n’a pas déclarée, qu’il est au courant de cette source et qu’il refuse de la divulguer puisque les explications qu’il a offertes n’ont pas été jugées crédibles. En de telles circonstances, la conclusion que la fausse déclaration de revenu a été produite sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde me semble inéluctable. Cela justifie non seulement l’imposition d’une pénalité mais aussi l’établissement de la nouvelle cotisation hors de la période statutaire.

[93]        Il est important de souligner que, s'il incombe au contribuable de démontrer que les revenus additionnels constatés par l'application de la méthode utilisée ici n'avaient pas le caractère imposable, il revient à l'intimée d'établir que l'appelante a fait un faux énoncé sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Par ailleurs, il est établi que le genre de conduite d'un contribuable qui justifie la réouverture par le ministre du dossier concernant les années prescrites, aux termes du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR, ne justifie pas nécessairement l'imposition de pénalités aux termes du paragraphe 163(2) LIR. De fait, les dispositions du paragraphe 163(2) sont de nature pénale et appellent un degré de culpabilité plus élevé. (Voir la décision Dao c. La Reine, précitée, paragraphe 39.)

[94]        En l'instance, j'ai conclu que l'appelante n'a pas su justifier qu'une partie de l'écart constaté par l'ARC provenait d'une source de revenu non imposable. J'en suis venue à cette conclusion principalement parce que la preuve était insuffisante dans les circonstances. Cependant, de la preuve je retiens que ces revenus additionnels auraient tout aussi bien pu être attribués au conjoint de l'appelante, lequel exploitait une entreprise.

[95]        Si je reprends les propos complets du juge Strayer dans l'affaire Venne c. La Reine, précitée, ce dernier disait ceci :

Quant à la possibilité d'une faute lourde, j'ai conclu, après hésitation, qu'elle n'a pas non plus été établie ici. La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. Je ne conclus pas à l'existence d'un tel degré de négligence en rapport avec les faux énoncés de revenus commerciaux. Certes, le contribuable n'a pas fait preuve de la prudence d'un homme raisonnable et, comme je l'ai déjà fait remarquer, il aurait au moins dû réviser ces déclarations de revenus avant de les signer. […]

[96]        Également, dans l'arrêt Lacroix, la Cour d'appel fédérale reprenait les propos du juge Bowman dans Farm Business Consultants Inc. :

[28]      Dans la même ligne de pensée, dans l'affaire Farm Business Consultants Inc. c. Sa Majesté la Reine, [1994] 2 C.T.C. 2450, 95 D.T.C. 200, le juge Bowman s'exprima ainsi au paragraphe 27 :

27        Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller… Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité…

[97]        De même, dans l'affaire Udell v. M.N.R., 70 DTC 6019, (C. de l'É.), le juge Cattanach a fait les observations suivantes à la page 6025 :

[TRADUCTION]

Il ne fait aucun doute que le paragraphe 56(2) est une disposition de nature pénale. Lorsque l'on interprète une telle disposition, il convient de tenir compte des observations sans faille de lord Esher dans l'affaire Tuck & Sons v. Priester, (1887) 19 Q.B.D. 629 : lorsque le texte d'une disposition de nature pénale est susceptible à la fois d'une interprétation qui mènerait à l'imposition de la pénalité prévue, et d'une autre qui n'y mènerait pas, c'est cette dernière qui prévaut. Voici ce qu'il dit à la page 638 :

Il faut interpréter cette disposition avec grand soin car elle mène à l'imposition d'une pénalité. S'il existe une interprétation raisonnable qui permettra d'éviter la pénalité dans une cause particulière, c'est celle-là qu'il faut retenir.

[...]

Il est clair que selon moi lorsqu'il est question d'imposer un impôt ou un droit, et plus encore une pénalité, s'il existe un doute raisonnable il faut interpréter la loi de manière à accorder le bénéfice du doute à la partie à qui l'on cherche à imputer le montant en question.

[98]        J'estime dans le cas présent que l'écart de revenu qui a été attribué à l'appelante aurait pu être attribué à son conjoint, qui exploitait une entreprise. Ainsi, il pourrait y avoir une hypothèse viable et raisonnable qui permettrait d'accorder le bénéfice du doute à l'appelante. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que l'appelante a elle‑même fait un faux énoncé dans des circonstances équivalant à faute lourde, puisqu'elle aurait pu penser que ces revenus additionnels devaient être inclus dans la déclaration de revenus de son conjoint. (Voir Dridi c. La Reine, 2006 CCI 199, 2006 DTC 3268, au paragraphe 22.) J'estime donc que l'intimée ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve et je vais annuler la pénalité.

[99]        Les appels sont accueillis et les cotisations sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations sur la base suivante : les revenus additionnels sont réduits de 40 771 $ à 30 271 $ pour l'année 2002; de 31 443 $ à 30 443 $ pour l'année 2003; et de 10 698 $ à 9 698 $ pour l'année 2004. Les pénalités sont annulées.

[100]   Compte tenu de l'issue du litige, j'estime raisonnable que chaque partie assume ses propres dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de novembre 2015.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 272

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2010-385(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MINA KAWKAB YUNUS c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 29 février et 10 mai 2012

et les 4 et 5 décembre 2013

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'hon. juge en chef adjointe Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

le 3 novembre 2015

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Normand Pépin

Avocat de l'intimée :

Me Emmanuel Jilwan

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante:

Nom :

Me Normand Pépin

Cabinet :

Normand Pépin, LL.B, Avocat

Montréal, Québec

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 



[1]           Voir rapport de vérification, pièce I‑1, onglet 19, à la page 3.

[2]           Dans son argument, l'avocat de l'intimée (transcription, 5 décembre 2013, page 63) a mentionné que l’appelante n’avait pas soulevé la question de la prescription de la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'année d'imposition 2002. De la réponse à l’avis d’appel, je peux inférer que l’appelante aurait fait l'objet d'une nouvelle cotisation en dehors de la période de nouvelle cotisation en 2002 (soit plus de trois ans après l'envoi d'un avis de première cotisation, selon l'alinéa 152(3.1)b) LIR). Ceci est permis seulement si le ministre démontre que c'est justifié aux termes du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la LIR. Toutefois, l’intimée ne soulève pas cette question dans sa réponse. J’en reparlerai plus loin dans mes motifs.

[3]           Transcription, 10 mai 2012, aux pages 16-17.

[4]           Transcription, 4 décembre 2013, aux pages 38‑39 et 113.

[5]           Transcription, 29 février 2012, aux pages 8, 28 et 52; transcription, 4 décembre 2013, à la page  28.

[6]           Transcription, 4 décembre 2013, à la page 35.

[7]           Transcription, 4 décembre 2013, à la page 160; rapport de vérification, pièce I‑1, onglet 19, à la page 3).

[8]           Transcription, 4 décembre 2013, à la page 161.

[9]           Ibid., aux pages 162-164.

[10]          Rapport de vérification, pièce I‑1, onglet 19, à la page 4. Voir aussi la transcription, 4 décembre 2013, aux pages 89 et 172-173.

[11]          Pièce I‑1, onglet 31.

[12]          Transcription, 4 décembre 2013, à la page 165.

[13]          Pièce I‑1, onglet 19, annexe 4.

[14]          Transcription 4 décembre 2013, aux pages 89‑100.

[15]          Ibid., aux pages 175‑176.

[16]          Ibid., à la page 177.

[17]          Pièce I‑1, onglet 19, à la page 4.

[18]          Transcription, 4 décembre 2013, à la page 169.

[19]          Transcription 4 décembre 2013, aux pages 192-194; rapport de vérification, pièce I‑1, onglet 19, page 5, ainsi que le rapport sur le mouvement de trésorerie au même onglet; pièce I‑2, onglet 62.

[20]          Transcription, 29 février 2012, aux pages 9, 10 et 53.

[21]          Ibid., aux pages 9 et 52.

[22]          Il ressort du témoignage de l’appelante que celle‑ci a quatre sœurs et deux frères. Transcription, 4 décembre 2013, à la page 19.

[23]          Transcription, 29 février 2012, aux pages 15‑16, 21, 59‑61 et 83‑85.

[24]          Ibid., aux pages 84‑85.

[25]          Ibid., aux pages 15‑18 et 31.

[26]          Transcription 29 février 2012, aux pages 32‑43.

[27]          Ibid., aux pages 47 et suivantes.

[28]          Ibid., aux pages 51‑52.

[29]          Ibid., aux pages 60 à 62.

[30]          Ibid., aux pages 64 et 72.

[31]          Ibid., aux pages 71‑75.

[32]          Transcription, 4 décembre 2013, aux pages 40‑44, 46‑48.

[33]          Ibid., aux pages 46‑63.

[34]          Ibid., aux pages 47‑48.

[35]          Ibid., à la page 48.

[36]          Ibid., aux pages 48-49. Ces transferts sont documentés au moyen d'une page d'un document bancaire (pièce A‑5).

[37]          Ibid., à la page 56.

[38]          Ibid., aux pages 57-60.

[39]          Ibid., aux pages 84‑85.

[40]          Ibid., à la page 61.

[41]          Ibid., aux pages 62-63.

[42]          Ibid., aux pages 64-65.

[43]          Transcription, 5 décembre 2013, aux pages 3‑11.

[44]          Transcription, 4 décembre 2013, aux pages 68‑70.

[45]          Ibid., aux pages 70‑73.

[46]          Ibid., aux pages 67‑73.

[47]          Ibid., à la page 79.

[48]          Ibid., aux pages 74‑79.

[49]          Ibid., aux pages 89-90.

[50]          Ibid., aux pages 99‑100.

[51]          Pièce I‑2, onglet 71.

[52]          Transcription, 4 décembre 2013, à la page 108.

[53]          Ibid., aux pages 8 à 16.

[54]          Ibid., aux pages 118 à 132.

[55]          Ibid., aux pages 143-144 et 152.

[56]          Ibid., aux pages 171-172.

[57]          Ibid., aux pages 218 et 220.

[58]          Transcription, 4 décembre 2013, aux pages 38‑39.

[59]          Ibid., aux pages 40‑41.

[60]          Transcription, 5 décembre 2013, aux pages 62 et 63. Bigayan c. La Reine, 97‑2699(IT)G, 2000 DTC 1619 (CCI).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.