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Dossier : 2010-366(IT)G

ENTRE :

VINCENZINA MATTACCHIONE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

ROBERTO MATTACCHIONE,

tierce partie.

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Roberto Mattacchione (2011-419(IT)G),

les 28, 29 et 30 septembre et les 1er, 2, 5 et 7 octobre 2015,

à Toronto (Ontario)

Devant : l’honorable juge Campbell J. Miller


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Joseph G. LoPresti, Me Brandon Rooney

Avocats de l’intimée :

Me Martin Gentile,

Me Christopher M. Bartlett

Pour la tierce partie :

La tierce partie elle‑même

 

JUGEMENT MODIFIÉ

Les appels interjetés de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejetés.

L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenue par l’année d’imposition 2005 est accueilli et renvoyé au ministre du revenu national pour nouvel examen en tenant pour acquis que le gain en capital imposable doit être réduit de 4.594.687 $.

L’intimée remettra des observations écrites relatives aux dépens au plus tard le 7 décembre 2015, et l’appelante et la tierce partie ont jusqu’au 31 décembre 2015 pour répondre par écrit.

Signé à Ottawa (Canada), ce 14e jour de janvier 2016.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller



Le présent jugement modifié remplace le jugement daté du 13 novembre 2015.

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de mai 2016.

François Brunet, réviseur


Dossier : 2011-419(IT)G

ENTRE :

ROBERTO MATTACCHIONE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Vincenzina Mattacchione (2010-366(IT)G)

les 28, 29 et 30 septembre et les 1er, 2, 5 et 7 octobre 2015,

à Toronto (Ontario)

Devant : l’honorable juge Campbell J. Miller


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocats de l’intimée :

Me Martin Gentile,

Me Christopher M. Bartlett

 

JUGEMENT

Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005 sont rejetés.

L’intimée remettra des observations écrites relatives aux dépens au plus tard le 7 décembre 2015, et l’appelant a jusqu’au 31 décembre 2015 pour répondre par écrit.


Signé à Ottawa (Canada), ce 13e jour de novembre 2015.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de mai 2016.

François Brunet, réviseur


Référence : 2015 CCI 283

Date : 20151113

Dossier : 2010-366(IT)G

ENTRE :

VINCENZINA MATTACCHIONE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

ROBERTO MATTACCHIONE,

tierce partie,

Dossier : 2011-419(IT)G

ENTRE :

ROBERTO MATTACCHIONE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge C. Miller

Introduction

[1]             Roberto Mattacchione (« Roberto ») et Vincenzina Mattacchione (« Vincenzina ») (maintenant remariée et appelée Vincenzina Palenchuk) étaient des amours de jeunesse qui se sont mariés jeunes. Roberto se qualifie dentrepreneur, visiblement intelligent et ayant le sens des affaires. Vincenzina était, pendant les années en cause, une épouse dévouée et aimante qui a rempli des fonctions administratives dans le cadre des activités commerciales de Roberto, dont certaines avaient trait à des arrangements liés à des dons de bienfaisance consistant en l’acquisition par une société de produits qui, par une série d’opérations, faisait ensuite l’objet d’une donation par cette société à une œuvre de bienfaisance, à une valeur considérablement plus élevée. Riel 1 et Riel 2 étaient les deux sociétés participant à ce programme d’achats à bas prix et de dons d’un montant élevé. Riel 1 a été constituée le 15 mai 2002 sous l’appellation de 2011363 Ontario Corp., et son nom a été changé pour Riel Enterprises Ltd. en septembre 2004, puis encore une fois pour ICC Riel International Inc. en août 2005. Riel 2 a été constituée le 29 octobre 2003 sous l’appellation de 2034931 Ontario Corp., et son nom a été changé pour Riel International Ltd. en septembre 2004.

[2]             Vincenzina était l’unique actionnaire de Riel 1 et de Riel 2. En 2003 et en 2004, Vincenzina a déclaré avoir reçu de Riel 1 et de Riel 2 des primes de 4,5 millions de dollars et de 4,4 millions de dollars respectivement. Elle a également déclaré avoir reçu de Riel 2 un salaire de 150 000 $ en 2004. Vincenzina a aussi demandé des crédits d’impôt fondés sur des dons de bienfaisance, effectués en 2003, de bâtons de hockey et de fournitures médicales à l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints pour la somme de 7 900 000 $, qu’elle avait acquis au coût de 115 000 $ pour les bâtons de hockey et de 110 812 $ pour les fournitures médicales. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les crédits.

[3]             Roberto a également demandé des crédits d’impôt pour les années 2003, 2004 et 2005 fondés sur les dons de bienfaisance qu’il prétend avoir faits, en 2003, de fournitures médicales évaluées à 1 515 100 $, qu’il avait acquises pour 31 581 $. Le ministre a refusé les crédits.

[4]             Roberto et Vincenzina ont tous deux interjeté appel des nouvelles cotisations du ministre. Roberto a été ajouté en tant que tierce partie à l’appel de l’impôt de Vincenzina pour permettre de décider d’une question en vertu de l’article 174 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), soit celle de savoir si les montants de 4 500 000 $ et de 4 550 000 $, déclarés par Vincenzina pour ses années d’imposition 2003 et 2004, ont été reçus par elle et s’ils constituaient un revenu qui pouvait lui être attribué ou si Roberto était tenu d’inclure ces montants dans ses déclarations de revenus de 2003 et de 2004.

[5]             Il a été décidé qu’il était préférable de répondre à cette question dans le cadre de deux appels entendus sur preuve commune. Les avocats de Vincenzina ont signalé que si je décidais que la prime d’environ 9 000 000 $ a bien été reçue par Vincenzina et déclarée par elle comme il convient, alors elle ne maintiendrait pas sa thèse voulant que ses dons de bienfaisance n’avaient pas été évalués à une valeur supérieure à ce qu’elle avait payé pour les acquérir. Cette stratégie met Roberto dans la position délicate d’avoir à soutenir que le don de bâtons de hockey et de fournitures médicales par Vincenzina avait été évalué comme il convenait, au cas où j’en arriverais à la conclusion que les primes constituaient son revenu à lui et que les dons étaient les siens.

[6]             Je n’ai pas pour habitude de rendre une décision avant de rendre des motifs, mais dans le cas présent, cela rendra le reste du jugement plus facilement compréhensible si je procède ainsi.

[7]             En ce qui concerne la question à trancher en vertu de l’article 174 de la Loi, je conclus que le revenu d’environ 9 000 000 $ constitué de primes et de salaire et déclaré par Vincenzina a été reçu par elle et déclaré correctement dans son revenu aux fins d’imposition. Étant donné la concession qu’elle a faite en ce qui concerne les dons de bienfaisance, la seule autre question à trancher quant à l’appel de Vincenzina est celle des pénalités, lesquelles, selon moi, ont été correctement calculées. En ce qui concerne l’appel de Roberto, je conclus que les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance qu’il a demandés ne peuvent pas être accordés en raison de l’absence d’intention de faire un don. Je conclus également que les pénalités ont été correctement calculées.

Faits

[8]             Vincenzina et Roberto se sont rencontrés à l’école, ils sont tombés amoureux et se sont mariés en 1989 lorsque Vincenzina avait 21 ans. Elle a terminé l’école secondaire et suivi un cours de secrétariat juridique de six mois avant d’obtenir un emploi de réceptionniste et d’administratrice à temps partiel auprès d’un avocat qui pratiquait seul. Par la suite, elle a été au service de Royal LePage. Elle a ensuite exercé des fonctions administratives au service de deux autres sociétés jusqu’à ce que le couple décide d’avoir des enfants. Ils ont eu un enfant né en 1994. Lorsque l’enfant a eu l’âge d’aller à la maternelle, Vincenzina est entrée au service d’Afra Corp., société dirigée par un certain Shahir. Elle a d’abord exercé les fonctions de réceptionniste. Ses tâches consistaient entre autres à vérifier des factures.

[9]             Roberto et son père travaillaient dans le secteur du bâtiment-travaux publics au sein d’une société connue sous le nom de AMRM Construction et, de fait, ont construit la maison de Shahir. Les activités de Shahir consistaient en partie à investir l’argent d’autrui. Les familles de Vincenzina et de Roberto ont investi environ 1 400 000 $ dans Afra Corp., en partie en raison de la confiance découlant du fait que Vincenzina collaborait avec Shahir et de la compréhension qu’avait Roberto des possibilités d’investissement.

[10]        À cette époque, Vincenzina luttait contre une maladie dont on croyait initialement qu’il s’agissait de la leucémie, mais qui a ensuite été diagnostiquée comme étant une maladie du sang qui nécessitait un suivi régulier.

[11]        En 2000, des inquiétudes au sujet de la viabilité des placements de la famille se sont manifestées, et Shahir a suggéré un stratagème pour récupérer les placements de la famille. Roberto a collaboré avec Shahir pour trouver un moyen de sauver les placements de la famille : Roberto a pris les dispositions pour qu’une société détenue par le beau‑frère de Vincenzina, 818437 Ontario Ltd., acquière des bandes dessinées auprès de l’une des sociétés de Shahir, et au moyen d’un « arrangement » lié à des dons de bienfaisance conclu avec une organisation connue sous le nom de Canadian Literary Initiative (« CLI »), il a pu récupérer la somme de 500 000 $ sur les placements de la famille avant la fin de l’année 2001. On ne sait pas si le solde des fonds investis par la famille a pu être récupéré par l’entremise du programme CLI en 2002. Le programme CLI s’est terminé avant la fin du mois de septembre 2002.

[12]        Toutefois, c’est grâce à ce programme que Vincenzina et Roberto ont fait la connaissance de plusieurs intervenants bien au fait du programme d’achat à bas prix et de dons d’un montant élevé, dont un M. MacGregor, un M. Black, un M. Taube et un M. Schneiderman. M. Taube, qui a témoigné, était un comptable expérimenté en matière d’abris fiscaux. Il avait étudié la possibilité d’un programme de dons qui utiliserait les bandes dessinées de Shahir en tant que produit à donner, et il était convaincu que cela pouvait marcher. C’était la première fois que Vincenzina et Roberto entendaient parler de ce programme, et les personnes qu’ils ont rencontrées ont continué à participer au déroulement du programme conçu par Roberto.

[13]         Parmi les abondants témoignages de Vincenzina et de Roberto, de M. Taube, de M. Wood et de M. Babiolakis au sujet de cette première entreprise, les faits pertinants sont que Roberto s’est familiarisé avec le programme et a noué des liens avec les personnes qui étaient susceptibles de l’aider à concevoir ultérieurement un programme similaire. Vincenzina et Roberto souhaitaient tous deux récupérer les fonds placés et ils ont tous deux rencontré des participants au programme d’achats à bas prix et de dons d’un montant élevé.

[14]        De l’expérience qu’il avait eue de ce premier arrangement comportant des dons de bienfaisance, lequel visait un produit consistant en des bandes dessinées, il était évident pour Roberto qu’un bon nombre des éléments clés des programmes d’achats à bas prix et de dons d’un montant élevé futurs étaient déjà présents. Il s’agissait d’avoir une œuvre de bienfaisance prête à collaborer qui avait besoin d’utiliser le produit, un produit qui pouvait être acquis pour un prix considérablement moindre que sa juste valeur marchande, une chaîne de distribution et de livraison, un réseau de commercialisation capable d’attirer des agents et des donateurs, et la capacité administrative de rassembler tous ces éléments.

[15]        Vincenzina et Roberto avaient été présentés à M. Babiolakis, administrateur de l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints, qui avait semblé prêt à étudier le produit à des fins philanthropiques. En plus de siéger au conseil d’administration de l’Église, officieusement puis officiellement, M. Babiolakis avait exercé dans le secteur du commerce international pendant de nombreuses années  ce qui est une bonne combinaison pour ce genre de programme. Vincenzina et Roberto ont également rencontré M. Taube, qui avait l’expérience des abris fiscaux et qui était prêt à commercialiser un programme d’achats à bas prix et de dons d’un montant élevé, compte tenu des nombreux contacts qu’il avait avec des agents de vente dans l’ensemble du pays. Il était aussi en mesure de mettre Roberto en contact avec des fournisseurs de produits.

[16]        Roberto a également rencontré M. Schneiderman, un avocat, et M. Wood, un comptable agréé, qui tous deux connaissaient bien le programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé. Le cabinet de M. Schneiderman était prêt à intervenir comme dépositaire légal. Vincenzina et Roberto connaissaient aussi la CLI, initiative que je qualifierai de facilitateur du programme et à laquelle participaient plusieurs autres personnes dont M. Black, M. MacGregor et M. Taube.

[17]        Avant d’entrer dans les détails en ce qui concerne qui a fait quoi dans les programmes auxquels Vincenzina et Roberto ont participé en 2002 et en 2003, il est utile de préciser de manière générale la structure des programmes d’achats à bas prix et de dons à montant élevé auxquels la famille Mattacchione a participé en 2002 et en 2003.

[18]        Les Mattacchione ont pris part à deux programmes en 2002 et en 2003. Le premier était un programme de dons non enregistré d’Initiatives Canada Corporation (« ICC ») et le second était un programme qui avait été enregistré à la suite du changement des lois fiscales qui en exigeaient l’enregistrement, lequel était considéré être le programme de dons avec abri fiscal d’ICC de 2003. Ce programme a été en vigeur du 18 février 2003 au 5 décembre 2003. À compter du 5 décembre 2003, des modifications ont été apportées à la Loi qui venaient restreindre les programmes de dons avec abri fiscal (les « changements législatifs ») en réputant la valeur d’un bien dont il est fait don comme étant sa juste valeur marchande ou son coût dans certains cas, selon le montant le moins élevé des deux (voir le paragraphe 248(35) de la Loi).

[19]        L’œuvre de bienfaisance participant aux programmes de l’ICC était l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints, petite paroisse à Toronto. M. Babiolakis a signalé qu’il a siégé officieusement au conseil d’administration de cette église pendant plusieurs années avant d’en devenir officiellement membre. Il intervenait comme conseiller principal du pasteur de l’église, le père John Koulouras. M. Babiolakis a témoigné que les réunions du conseil d’administration se déroulaient de façon assez informelle, et que c’est à l’occasion de l’une de ces réunions qu’il a été décidé que l’église participerait au programme à condition que le produit dont il serait fait don puisse être affecté de manière appropriée aux œuvres philanthropiques de l’église. M. Babiolakis a signalé qu’il avait usé de toute la diligence voulue pendant plusieurs mois afin de s’assurer que le programme puisse être structuré correctement. Il tenait à ce que l’église ait la possibilité d’inspecter tout produit qui ferait l’objet d’un don. Il a également déclaré qu’aucune autre autorisation n’était nécessaire de la part du conseil d’administration après cette réunion et que par la suite, c’est à lui qu’il appartenait de décider quels produits seraient acceptables pour l’église. C’est également M. Babiolakis qui signait les reçus de dons de bienfaisance pour le compte de l’église une fois les diverses étapes du programme mises en place. Il s’est également occupé de l’expédition des produits pour le compte de l’église, veillant à ce que les produits soient expédiés à leur destination finale.

[20]        ICC était l’intervenant clé du programme. Je n’ai jamais pu réellement savoir à qui appartenait ICC, mais selon M. Taube, directeur des ventes national pour le programme, Roberto y tenait un rôle de premier plan et M. Taube recevait ses instructions de Roberto, qu’il a qualifié de maître d’œuvre. Il a également décrit la hiérarchie du programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé, Roberto se trouvant au sommet de la pyramide, suivi de M. Schneiderman, le dépositaire légal, de M. Wood, le chef des finances d’ICC, puis de lui‑même. Il a témoigné qu’il avait sous ses ordres 40 ou 50 agents, lesquels avaient eux‑mêmes sous leurs ordres des sous‑agents. M. Taube a participé à de nombreux séminaires visant à commercialiser le programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé, ces séminaires étant offerts à la fois aux agents et aux membres du public. Les dons étaient obtenus dans une proportion de 80 % à l’occasion de ces séminaires. M. Taube s’est souvenu que Roberto l’avait accompagné à plusieurs de ces séminaires, alors que Roberto a semblé dire qu’il n’a pas assisté à autant de séminaires que cela.

[21]        M. Taube était lié par un accord de coentreprise avec Riel 2, dans le cadre duquel lui et Riel 2 avaient convenu d’acquérir les produits devant être utilisés dans le programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé. Il avait négocié cet arrangement avec Roberto, mais Vincenzina a signé l’entente à titre de représentante de Riel. Il était clair que M. Taube traitait principalement avec Roberto. Il a indiqué qu’aux premières étapes du programme, il n’avait pas l’impression que Vincenzina le comprenait très bien.

[22]        Les donateurs pouvaient s’inscrire lors des séminaires, ou des agents faisaient un suivi pour inscrire les donateurs. Le personnel d’ICC s’occupait de rassembler des trousses, et M. Wood en particulier veillait à ce que tous les documents soient bien organisés. Il est intervenu comme directeur de l’exploitation pour l’abri fiscal d’ICC de 2003. Jusqu’au mois de février 2003, les programmes n’avaient pas à être enregistrés comme abris fiscaux, mais ils devaient l’être après cette date.

[23]        M. Wood a témoigné qu’il n’est pas intervenu pour le compte de Riel 1 ou Riel 2, bien qu’il ait reconnu avoir reçu environ 80 000 $ en rémunération pour avoir repoussé des concurrents participant à des programmes similaires en enregistrant leur nom, ce qui m’a paru inhabituel.

[24]        En ce qui concerne les achats, c’est à Riel 1 et Riel 2, les deux entités constituées en société par Vincenzina, dont elle était propriétaire et pour lesquelles elle était également administrateur unique, qu’il revenait d’acheter les produits. Riel 1 a aussi exercé des activités de vente pour des programmes non liés à des dons en 2002, lesquels représentaient cependant moins de 4 % de toutes les ventes, la vaste majorité des achats ayant été réalisés aux fins du programme de dons.

[25]        Avant de m’attarder sur l’examen du volet achats du programme de dons, je voudrais développer mes observations sur la constitution en société et sur le fonctionnement de Riel 1 et de Riel 2. Ces deux sociétés ont été constituées de sorte que Vincenzina en soit le seul actionnaire et le seul administrateur. Elle a témoigné que c’est M. Wood qui avait fait toutes les démarches administratives, quoique la date des résolutions coïncide avec les constitutions en société alors qu’elle a indiqué ne les avoir effectivement signées qu’à un moment donné en 2005. La résolution précise que Vincenzina a versé 100 $ pour 100 actions, bien qu’elle ait indiqué qu’elle ne se souvenait pas avoir payé quoi que ce soit pour les actions. Elle a insisté sur le fait que c’était Roberto qui prenait les décisions pour les deux sociétés. Elle ne faisait que signer ce qu’on lui demandait de signer, sûre que Roberto avait les choses en main. Lorsqu’il lui a été demandé ce que, selon elle, signifiait le rôle d’administrateur, elle a répondu que cela démontrait qu’elle était la propriétaire. Les résolutions des sociétés signées par elle prévoyaient une fin d’exercice dont elle a affirmé encore une fois qu’elle avait été fixée par M. Wood et par Roberto.

[26]        Le produit que les sociétés Riel devaient se procurer devait être un produit que l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints pouvait utiliser, et il fallait que ce soit un produit qui pouvait être obtenu à un prix bien inférieur à sa valeur estimée et qui pourrait être immédiatement expédié en grande quantité pour maintenir les frais d’expédition à un niveau minimal. Roberto a consacré une bonne partie de son temps et de son énergie en 2003 à trouver un produit acceptable pour le programme, à l’importer, à veiller à ce que l’église obtienne une description des marchandises, à approuver le produit et à négocier ensuite un prix acceptable. Bien qu’il ait continué tout au long de l’année 2002 à travailler dans l’entreprise de construction que lui et son père possédaient, à la fin de l’année 2003, il consacrait presque toute son attention au programme de dons. Il devait compter sur les relations que M. Babiolakis, M. Taube ou d’autres personnes pouvaient avoir pour acquérir les produits.

[27]        Parmi les fournisseurs figurait Mondo, une entreprise espagnole avec laquelle M. Babiolakis entretenait des relations depuis longtemps.

[28]        Une fois le produit approuvé par l’église, les sociétés Riel l’achetaient au bas prix négocié et le revendaient ensuite soit à Silver City Trading Corporation (dans le cadre du programme de dons non enregistré jusqu’au 18 février 2003), soit à ICC, principalement dans le cadre du programme de dons avec abri fiscal d’ICC de 2003 après le 18 février 2003. Roberto détenait le pouvoir de signature à l’égard de Silver City Trading et d’ICC. Le prix du produit était considérablement majoré par rapport à son bas prix d’achat. C’est évidemment cette majoration qui constituait les profits réalisés par Riel. M. Wood surveillait les profits de Riel afin de faire en sorte que les autres participants au programme d’ICC reçoivent leur juste part des profits. Un exemple donné à l’audience était un achat de bandes dessinées par Riel pour 440 000 $, lesquelles ont été vendues à Silver City pour 2 650 000 $ et revendues ensuite à des donateurs à un prix de nouveau majoré, la valeur estimée des bandes dessinées s’élevant à près de 19 000 000 $ au moment du don. Lorsque, pendant l’examen d’une feuille de calcul préparée par M. Wood, Vincenzina a été interrogée sur le fait de savoir comment un produit acquis de Mondo à 440 000 $ pouvait ensuite être facturé à Silver City pour 2 600 000 $, elle a répondu que c’étaient Roberto, M. Wood et M. Babiolakis qui avaient pris la décision. M. Wood a témoigné qu’il considérait en effet que Roberto était l’un des décideurs, aux côtés de M. Schneiderman pour le programme de dons en général.

[29]        Les donateurs libellaient leurs chèques à l’ordre du dépositaire légal, le cabinet de M. Schneiderman. Ils recevaient des actes de donation. Ils savaient au moment d’écrire leurs chèques que les biens étaient achetés à un montant plusieurs fois moindre que la valeur estimée à laquelle ils seraient donnés. Les fonds étaient libérés de l’entiercement lorsqu’il était clair que l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints prendrait le produit. Il semble que cela était un processus purement mécanique une fois que tous les éléments étaient en place. M. Babiolakis se chargeait de l’expédition, mais les coûts afférents étaient pris en charge par ICC. Les biens allaient aux destinataires désignés par M. Babiolakis pour le compte de l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints. Les fonds libérés de l’entiercement étaient remis à ICC pour couvrir les coûts, y compris le paiement à Riel, les coûts d’évaluation, etc. Roberto avait le pouvoir de signer les chèques tant au nom d’ICC que de Silver City.

[30]        Avant que les structures liées à Vincenzina et à Roberto eurent été mises en place, Roberto a expliqué à Vincenzina qu’étant donné sa future participation, il convenait de transférer la résidence familiale, qui était enregistrée à leurs deux noms, à son seul nom à lui, ce qui fut fait à la fin de l’année 2001. Vincenzina a reçu les conseils juridiques de l’avocat de Roberto à cet égard. De même, au début de l’année 2002, son nom a été retiré des comptes bancaires conjoints du couple, laissant les comptes uniquement au nom de Roberto, même si elle en est demeurée une signataire autorisée. Elle n’a pas ouvert de compte à son propre nom avant la séparation officielle du couple en 2008.

[31]        Ainsi, quels étaient les rôles respectifs de Vincenzina et de Roberto dans ces entreprises commerciales? Vincenzina a qualifié Roberto de maître d’œuvre, qui avait acquis l’expérience de ce genre de stratagème en observant comment le programme de dons de bandes dessinées qui avait été administré par l’entremise de la société familiale, leur avait permis de récupérer leur investissement. Elle avait elle aussi été exposée à cet arrangement, car l’entente avait été conclue pour récupérer l’investissement de la famille Mattacchione auprès de Shahir. Il est clair qu’elle avait peur que la famille ne récupère pas l’argent placé, de sorte qu’elle a assisté aux réunions tenues à cet égard avec les intervenants concernés afin de veiller à ce que cela n’arrive pas. Je n’ai nul doute que c’est Roberto qui fut le maître d’œuvre de cet arrangement initial. Nonobstant les arrangements visant à se protéger des créanciers, comme le fait de faire retirer son nom des comptes bancaires, il était clair que Vincenzina conservait l’accès à ces comptes. De plus, le couple discutait des achats importants. Par la suite, Vincenzina a d’ailleurs obtenu une procuration à l’égard du compte de TD Waterhouse Investment. J’en conclus que son accès aux finances familiales n’était pas restreint.

[32]        En ce qui concerne les sociétés Riel, engagées en 2002 et en 2003 dans le programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé, non seulement Vincenzina était-elle désignée comme unique actionnaire et administrateur, mais elle a joué un rôle actif dans l’administration, quoiqu’elle ne l’ait pas fait à temps plein étant donné ses problèmes de santé. Son numéro de cellulaire figurait sur les factures. L’adresse du domicile qu’elle partageait avec Roberto était celle des bureaux de Riel. Elle a signé des ententes pour le compte de Riel, par exemple une entente contractuelle datée du 22 juin 2002 entre Riel et Krishna sur l’attribution de certains mandats de comptabilité d’inventaire et d’évaluation pour faciliter les ventes faites à Silver City Trading Corp. Vincenzina a témoigné qu’elle n’intervenait pas dans les affaires de Silver City, car cela regardait Roberto, bien qu’elle ait aussi signé en 2003 une entente entre Riel et Silver City par laquelle cette dernière prenait en charge la dette de Riel envers la société de Krishna. Elle a également effectué de l’entrée de données pour Riel, mentionnant que la société utilisait le logiciel MYOB (Mind Your Own Business) qui autorisait, selon Vincenzina, M. Wood à faire des entrées de correction sans que le programme ne précise quand elles avaient été faites. Vincenzina a également signé les déclarations de revenus de la société, lesquelles étaient préparées par sa sœur, une aide‑comptable, à partir des renseignements fournis par M. Wood.

[33]        Vincenzina a également préparé les factures des produits vendus par les sociétés Riel à Silver City ou à ICC. Pour ce faire, elle a suivi les indications de M. Woods. Elle a toutefois soutenu ne pas avoir participé à l’acquisition des produits ou des stocks, car cela relevait entièrement de Roberto ou de M. Babiolakis.

[34]        Le seul client de Riel 2 était ICC. Au cours de son année d’imposition 2004, cette société a enregistré des profits bruts d’environ 4 300 000 $.

[35]        Le revenu de Riel 1 pour l’année prenant fin le 31 octobre 2003 s’élevait à environ 11 000 000 $, dont un profit brut d’environ 4 800 000 $. La société a déclaré une prime à la direction de 4 500 000 $ en faveur de Vincenzina. Cette prime a été autorisée par une résolution d’administrateur signée par Vincenzina, précisant que la prime devait être payée avant le 28 avril 2004. En réalité, le 31 octobre 2003, la prime accumulée a été facturée au compte de prêts à l’actionnaire que Vincenzina détenait auprès de Riel. Le montant n’a pas été tiré du compte de Riel avant le mois d’avril 2004 lorsque les fonds semblent avoir été transférés de Riel uniquement pour être immédiatement prêtés de nouveau à la société. En novembre 2005, un état de modification du financement en vertu de la LSM a été déposé auprès du ministère des Services aux consommateurs et aux entreprises de l’Ontario, état qui démontre l’existence d’une sûreté d’un montant de 4 500 000 $ au nom de Roberto.

[36]        En ce qui concerne les primes, M. Wood a témoigné que bien qu’il ne les ait pas préparées lui‑même, il a probablement demandé à Vincenzina ou à un autre membre du personnel de le faire. Il a reconnu que Roberto et Vincenzina lui ont posé des questions à propos des primes et il leur a expliqué « comment ça marche ».

[37]        Le revenu de Riel 2 pour l’exercice prenant fin le 30 septembre 2004 s’élevait à environ 7 400 000 $, y compris des profits bruts de 4 300 000 $. La société a déclaré une prime de 4 400 000 $ versée à Vincenzina, ainsi qu’un salaire de 150 000 $. Tout cela a aussi été approuvé par une résolution d’administrateur signée par Vincenzina, précisant que la prime devait être versée avant le mois de février 2005. Là encore, une somme de 4 400 000 $ a été imputée au compte de prêts à l’actionnaire de Vincenzina, et le solde du compte est ainsi passé d’un montant de 67 653 $ dû par Vincenzina à Riel, à un montant de 4 330 000 $ dû par Riel à Vincenzina. Ce montant a été versé le 14 avril 2005 dans un compte de fiducie de Toronto‑Dominion, n6234342, et peu après, la somme de 4 400 000 $ a été transférée sur un compte distinct, no 6259401. Les deux comptes étaient au nom de Roberto. Un chèque a été tiré sur le compte et déposé dans un compte de TD Waterhouse ouvert au nom de Roberto, compte sur lequel Vincenzina avait procuration. Les fonds ont été utilisés aux fins de placement.

[38]        Alors que Vincenzina a reconnu avoir signé les résolutions d’administrateur datées du 31 octobre 2003 et du 30 septembre 2004 visant les primes, elle ne se souvient pas l’avoir fait au cours de l’année 2005. Elle a présumé que M. Wood avait rédigé ces résolutions, ce qu’il a nié, bien qu’il ait admis qu’il est possible qu’il ait demandé à Vincenzina ou à un autre membre du personnel de les préparer, car il devait savoir que ces résolutions étaient nécessaires. M. Wood se souvient que Vincenzina et Roberto lui ont posé des questions au sujet des primes et qu’il leur a dit comment cela fonctionnait, tout en niant de nouveau avoir effectivement travaillé pour Riel. M. Wood a confirmé que même si Vincenzina ne possédait pas un compte personnel, elle avait la maîtrise de tous les comptes des Mattacchione.

[39]        Vincenzina semble avoir aussi eu la maîtrise des comptes de Riel. Elle a acheté une voiture de 70 000 $ à Roberto en guise de cadeau de Noël en puisant dans les fonds de Riel, par le truchement de son compte de prêts à l’actionnaire. Elle a témoigné initialement que le montant se rapportait à une voiture pour Roberto, mais ce n’est qu’au stade du contre‑interrogatoire qu’il est devenu clair qu’elle avait traité l’opération relative à la voiture comme un cadeau.

[40]        La sœur de Vincenzina, Mme Rosa, a préparé les déclarations de revenus de Vincenzina pour 2003 et 2004, lui indiquant le montant qu’elle devait à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), soit environ 506 000 $. Un chèque a été tiré sur le compte de Riel 1 pour ce montant en faveur de l’ARC le 30 avril 2004. La déclaration de revenus de 2003 constitue le premier témoignage de Vincenzina portant qu’elle connaissait les montants réels en jeu sur le plan des revenus (4 500 000 $) et des dons de bienfaisance (7 900 000 $), montants qu’elle a en partie reportés en 2004, même si elle savait qu’elle déclarerait des revenus importants et qu’elle utiliserait les dons de bienfaisance, car c’était la structure qu’avait conçue Roberto. Elle n’a pas contesté le fait que les revenus étaient les siens ni la nature des dons ou leur montant. Elle pensait que Roberto disposait d’évaluations appropriées et que tout cela faisait simplement partie de l’arrangement. Elle ne s’occupait pas trop de ce dont il était fait don, croyant que c’étaient des bâtons de hockey. Après avoir obtenu des conseils professionnels en 2008, elle avait le sentiment que les revenus n’étaient pas vraiment les siens. Elle pensait, toutefois, qu’elle devait déclarer ces revenus étant donné qu’elle était enregistrée comme propriétaire de Riel 1 et Riel 2. Elle n’a pas cherché à obtenir d’autres conseils, présumant encore une fois que Roberto s’occupait correctement de tout cela.

[41]        À la fin de 2005, le mariage a commencé à se désintégrer. Au début de 2006, Vincenzina a transféré l’administration de Riel à Roberto. En 2008, elle a renoncé à la procuration. Jusque là, le couple avait été uni. Plusieurs témoins ont affirmé qu’à leurs yeux, Vincenzina et Roberto formaient une équipe. Mme Rosa a dit de manière plus succincte qu’elle considérait que les deux ne faisaient qu’un.

[42]        J’en viens maintenant aux circonstances entourant les dons particuliers en cause. Il convient de préciser qu’ils ne faisaient pas partie du programme auquel des milliers de donateurs ont participé. Les dons dont je suis saisi étaient des dons individuels que Vincenzina et Roberto avaient faits hors du cadre du programme, mais avec les mêmes acteurs et le même principe de base d’achats à bas prix et de dons d’un montant élevé.

[43]        Dans sa déclaration de revenus de 2003, Vincenzina a voulu inclure comme dons de bienfaisance la somme de 4 100 000 $ fondée sur la juste valeur marchande des bâtons de hockey donnés à l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints, et la somme de 3 800 025 $ fondée sur la juste valeur marchande de fournitures médicales données encore une fois à l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints. Elle ne pouvait pas utiliser la totalité de ces dons de bienfaisance en 2003, de sorte qu’elle les a reportés dans sa déclaration de revenus de 2004.

[44]        Dans sa déclaration de revenus de 2003, Roberto a voulu inclure un don de bienfaisance de 1 590 100 $ fondé sur la juste valeur marchande de fournitures médicales, soit 1 515 100 $, et un don en espèces de 75 000 $ versé à l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints. Il n’a pas pu utiliser la totalité de ces dons de bienfaisance en 2003, de sorte qu’il les a reportés aux années 2004 et 2005.

[45]        En ce qui concerne tout d’abord les bâtons de hockey, M. Babiolakis entretenait des liens étroits avec une société espagnole, Mondo, dans le secteur du commerce international, et est intervenu pour le compte de celle-ci en négociant l’entente relative aux bâtons de hockey. Il ne pouvait pas se rappeler quand il a appris pour la première fois que les bâtons de bois étaient vendus à un bas prix par Jura, une société canadienne appartenant à M. Kligerman. Il pensait que l’église pouvait utiliser ces bâtons lors d’activités récréatives pour enfants à l’étranger. M. Babiolakis a déclaré avoir montré quelques bâtons à Vincenzina et à Roberto, sans discuter de leur valeur avec eux, leur demandant plutôt de se renseigner eux-mêmes.

[46]        M. Kligerman a témoigné avoir pris contact avec M. Babiolakis par l’entremise de son comptable, qui savait que M. Babiolakis cherchait à acheter des articles en gros. Au cours de l’été de 2003, M. Kligerman a fait savoir à M. Babiolakis qu’il possédait un vieux stock de bâtons et qu’il était prêt à lui faire un prix à condition que les bâtons ne soient pas revendus en Amérique du Nord. M. Kligerman avait pour rôle de fournir des bâtons pour des marques telles que Bauer et Sherwood, et il lui arrivait souvent d’en fabriquer plus que ce dont il avait en fin de compte besoin. Il n’avait le droit de vendre les bâtons qu’à la société dont ceux‑ci portaient la marque, d’où l’obligation qu’il imposait à M. Babiolakis de ne pas vendre les bâtons en Amérique du Nord.

[47]        M. Kligerman et M. Babiolakis ont conclu une entente au milieu de l’année 2003, bien que M. Kligerman ait indiqué que certaines des pièces en stock n’avaient pas encore été assemblées et devaient être préparées.

[48]        Ce n’est que le 12 mars 2004 que Jura a reçu 60 000 $ de Mondo pour l’achat des bâtons de hockey. Il existe au dossier une facture datée du 31 mai 2004 pour 6 000 bâtons à 15 $ le bâton pour un total de 90 000 $, indiquant un crédit de 60 000 $ et un solde dû de 30 000 $. Curieusement, il existe une seconde facture datée du 16 juin 2004 également pour 6 000 bâtons, indiquant aussi le dépôt de 60 000 $. M. Kligerman n’a pas pu expliquer pourquoi il y avait deux factures. Il y avait aussi un connaissement daté du 16 juin 2004 portant sur l’expédition d’un nombre de bâtons non communiqué.

[49]        M. Kligerman a informé l’ARC que M. Babiolakis avait passé deux commandes de bâtons, la première pour 6 000 pièces et la seconde pour 18 950 pièces. Il a reconnu que la deuxième commande a dû être passée après le mois de mai 2004. Nul document n’a été produit pour appuyer la vente des 18 950 bâtons supplémentaires. M. Kligerman a également déclaré qu’il n’aurait pas expédié les bâtons avant d’avoir été payé.

[50]        M. Kligerman a témoigné qu’à cette époque, ses bâtons se vendaient au détail entre 15 $ et 30 $ la pièce. Il a également signalé qu’il s’agissait d’une époque de transition entre les bâtons de bois et les bâtons en carbone composite, en fibre de verre ou en aluminium. Il a déclaré que la valeur de ses stocks de bâtons de bois à cette époque diminuait de mois en mois.

[51]        Une facture de Mondo adressée à Vincenzina est datée du 20 août 2003. Elle cite l’achat de [traduction] « 18 725 bâtons de hockey » pour 115 000 $. Un transfert électronique daté du 1er décembre 2003 révèle un paiement de 115 000 $ effectué par Vincenzina à Mondo.

[52]        Douze actes de donation datés du 24  ou du 30 novembre 2003 ont été produits en preuve, indiquant des dons de 24 950 bâtons effectués par Vincenzina en tranches de 1 900, 2 000, 1 850, 1 950, 2 000, 2 000, 800, 1 500, 2 500, 2 325, 3 200 et 3 025 bâtons pour une valeur totale de 4 100 000 $.

[53]        Roberto a produit un rapport d’évaluation adressé par Canam Appraiz Inc. à l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints et établissant la valeur des bâtons à 200 $, 150 $ ou 110 $ chacun. L’évaluateur n’a pas comparu comme témoin. Le rapport signalait que la juste valeur marchande était fondée sur l’obtention des prix de détail en vigueur sur le marché. Le rapport ne précisait pas où ces prix de détail avaient été obtenus et ne définissait pas le marché.

[54]        En ce qui concerne les fournitures médicales, M. Geoff Reid a témoigné. Il était le vice‑président (Finances) d’une société de fournitures médicale connue en 2003 sous le nom de Dumex. Il a expliqué de quelle manière la société, qui normalement fournissait des produits en gros aux hôpitaux ou aux cliniques, a tenté de pénétrer le marché de la vente au détail avec de nouveaux produits en utilisant l’Internet comme outil de commercialisation. Cela n’a pas été une réussite, et la société a cherché à se débarrasser des stocks invendus, mais pas encore expirés, en les vendant à un acheteur au rabais. Si la société n’avait pas été en mesure de vendre ces fournitures, elle en aurait simplement fait don.

[55]        Dumex avait fait des dons à l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints par le passé, et elle a pris de nouveau contact avec cette dernière, bien que M. Reid n’a pas pu se rappeler qui, de M. Babiolakis ou d’un M. Lucyk, a été contacté.

[56]        Dumex a conclu une entente avec le Trinity Group pour vendre les fournitures médicales énumérées pour 150 000 $, bien que ce prix ait ensuite été ramené à 99 000 $. Dans une lettre datée du 5 novembre 2003 (mais signée par M. Lucyk pour le compte de Trinity le 7 novembre 2003 et par M. Goodwin pour le compte de Dumex le 6 novembre 2003), la société a déclaré que ce prix représentait 4,648 pour cent de la valeur au détail globale. Je crois comprendre que ce prix était fondé sur le prix de chaque article pris individuellement plutôt qu’en vrac. Comme l’a expliqué M. Reid, la société ne pouvait pas obtenir plus. Il était clair que le produit ne pouvait pas être revendu à bas prix sur le marché nord-américain. Dans une lettre jointe, la société a affirmé qu’elle n’avait pas fait de déclarations à l’égard de la juste valeur marchande actuelle. Comme l’a déclaré M. Reid dans son témoignage, qui connaît la véritable valeur?

[57]        Le montant suggéré par l’évaluateur de Canam Appraiz, pour une certaine valeur (6 000 000 $), correspondait simplement à la liste des prix de détail par article pris individuellement. Là encore, l’évaluateur n’a pas témoigné.

[58]        Dumex a vendu les fournitures médicales à Trinity Group de Mississauga qui les a vendues à Mondo, qui les a vendues à Vincenzina et à Roberto pour 110 812 $ et 31 581 $ respectivement. Le moment où ces opérations ont eu lieu n’est pas connu avec certitude. Un virement électronique révèle que Vincenzina a transféré 110 812 $ à Mondo le 18 décembre 2003. Il existe plusieurs factures datant d’entre le 4 décembre 2003 et le 31 décembre 2003 de Dumex à Trinity pour les fournitures médicales. Il existe aussi des connaissements datés d’entre le 20 novembre 2003 et le 13 janvier 2004 pour des bandes de gaze.

[59]        Vincenzina a produit plusieurs actes de donation à l’Église orthodoxe grecque de Tous les Saints, datant d’entre le 14 novembre 2003 et le 24 novembre 2003 pour les fournitures médicales, à des valeurs se situant entre 238 000 $ et 378 000 $ et totalisant une valeur d’environ 3,8 millions de dollars.

[60]        Il est intéressant de noter la lettre datée du 13 novembre 2003 de M. Babiolakis pour le compte de l’église, qui remercie M. Goodwin de Dumex pour le don.

Première question : trancher la question

[61]        Comme je l’ai signalé dans l’introduction, je dois d’abord me prononcer sur la question relative à l’article 174 de la Loi; il s’agit de rechercher si Vincenzina a reçu les revenus de 4 500 000 $ et 4 550 000 $ et les a correctement déclarés pour les années d’imposition de 2003 et de 2004. Je conclus qu’elle l’a fait pour les motifs suivants.

[62]        Les avocats de Vincenzina ont soulevé trois thèses pour expliquer pourquoi le revenu n’était pas celui de Vincenzina aux fins d’imposition :

1.     la structure était une frime et la réalité était que Roberto est celui qui a gagné le revenu tiré du programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé;

2.     le paragraphe 56(2) de la Loi joue aux fins de réputer le revenu comme étant celui de Roberto;

3.     Roberto était le propriétaire effectif soit des sociétés Riel, soit des primes déclarées.

[63]        Ces thèses reposent toutes sur l’opinion voulant que Vincenzina ait simplement suivi les consignes de Roberto ou de M. Wood sans y avoir vraiment réfléchi par elle‑même et sans y avoir donné un consentement éclairé. L’appelante me demande d’assimiler Vincenzina à une participante inconditionnelle à l’arrangement commercial bâti par son mari, laissant toutes les décisions à Roberto; de fait, uniquement une épouse et non une associée en affaires. En ce qui concerne la constitution des deux sociétés Riel, le dépôt des déclarations de revenus, l’établissement des primes et les déclarations des dons de bienfaisance, elle a soutenu que tout cela était décidé par Roberto et qu’elle n’a fait qu’y acquiescer. Les sociétés étaient en fait celles de Roberto, les primes étaient les siennes ainsi que les dons. Ce n’est pas ainsi que je vois les choses.

[64]        J’aborderai brièvement la question de la crédibilité, car l’avocat de l’appelante a soutenu que je dois conclure que le témoignage de Roberto n’est pas aussi crédible que celui de Vincenzina. Il invoque les divergences entre le témoignage de Roberto et celui de M. Taube en ce qui concerne les séminaires comme exemple de la manière dont Roberto déguisait la vérité. Je conclus que ni le témoignage de Roberto ni celui de Vincenzina ne manquent à ce point de crédibilité que je doive écarter leurs déclarations. Effectivement, il y a certaines différences entre ces témoignages, mais Roberto n’était pas seul à cet égard. J’ai trouvé peu convaincante l’explication qu’a donnée Vincenzina durant son interrogatoire principal en ce qui concerne l’achat de la voiture, car il est apparu en contre‑interrogatoire que c’était elle, et non Roberto, qui avait effectivement acheté la voiture. Cela est important étant donné la thèse de Vincenzina selon laquelle elle ne faisait qu’écrire des chèques sous les ordres de Roberto et de M. Wood. Je conclus que tel n’était pas le cas.

[65]        La question de fait à trancher n’est pas liée à une question de crédibilité. Il s’agit de savoir quel était le rôle joué par Vincenzina dans l’organisation du programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé, en particulier en ce qui a trait aux sociétés Riel. À cet égard, les témoignages de Roberto et de Vincenzina ne sont pas aussi divergents que l’avocat de cette dernière voudrait bien me laisser croire.

[66]        Je conclus que Roberto avait un pouvoir décisionnel beaucoup plus important que celui de Vincenzina dans le programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé. Il ne l’a jamais nié. C’est lui qui se procurait les produits, M. Taube, le chef des ventes, relevait de lui, et il a travaillé en étroite collaboration avec M. Babiolakis – il était un rouage essentiel du programme. Je conclus aussi que c’est lui qui a pris la décision de traiter les profits de la famille Mattacchione par l’intermédiaire de sociétés, à savoir les sociétés Riel. Les avocats de l’appelante soutiennent que Roberto a utilisé Vincenzina comme prête-nom, sans qu’elle ait donné un consentement éclairé. Je conclus, cependant, que tant Roberto que Vincenzina connaissaient les avantages à tirer du programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé.

[67]        Ainsi, quand Vincenzina n’a-t‑elle pas donné de consentement éclairé? En fait, à quoi devait-elle consentir? À participer au programme d’achats et de dons en général? À accepter d’importantes primes futures? À déclarer des dons de plusieurs millions? À être l’unique actionnaire et administrateur de Riel 1 et de Riel 2? Je conclus que Vincenzina n’était pas aussi ignorante ou naïve sur ces questions que ce qu’elle aimerait bien nous faire croire. Je conclus qu’elle ne faisait pas simplement partie d’un couple, mais aussi d’un partenariat d’affaires. Cela dit, je reconnais que l’un des membres de l’équipe était plus dominant. Roberto était le cerveau du programme d’achats et de dons, et il a organisé les nombreuses pièces du casse-tête pour assurer le succès du programme et les profits considérables qui en ont découlé pour la famille Mattacchione. Mais Vincenzina n’était pas une victime innocente qui faisait ce qu’on lui disait sans discuter. Elle a consenti aux arrangements visant à se protéger des créanciers, sachant qu’elle n’aurait pas moins accès au partenariat financier de la famille. Elle a même obtenu une procuration sur le compte de placement de TD Waterhouse. Elle soutient que Roberto était seul à prendre les décisions financières, pourtant elle a pris les dispositions nécessaires pour l’achat d’une voiture comme cadeau de Noël à Roberto en se servant des fonds de Riel. Elle s’est occupée des tâches administratives, tout d’abord à partir du bureau du couple à domicile, et plus tard dans un bureau distinct. Elle connaissait les personnes impliquées, et ces dernières la considéraient comme faisant partie de l’équipe Mattacchione. Elle comptait une expérience administrative, elle a écrit des chèques, préparé des factures, conservé tous ses pouvoirs sur les finances de la famille, consulté Roberto sur les achats importants uniquement lorsque c’était nécessaire, signé les déclarations, signé les états financiers, et discuté non seulement avec Roberto, mais aussi avec M. Wood, et elle a signé les résolutions d’autorisation. Ce ne sont pas là les actes d’une femme qui va porter son déjeuner à son mari, comme le soutiennent ses avocats. Sa participation était très réelle.

[68]        Bref, Vincenzina savait ce qu’elle faisait et elle était contente de se prêter à une structure qui a dégagé des millions de dollars en peu de temps. Il ne fait nul doute que Roberto était le maître d’œuvre, mais je conclus qu’il n’avait pas la maîtrise de chacun des actes de sa femme. Elle comptait une certaine expérience des affaires et même si elle a exprimé une certaine confusion quant au rôle d’un actionnaire par rapport à celui d’un administrateur, je conclus qu’elle savait que les sociétés Riel étaient ses sociétés à elle. Elle a accepté que les primes lui soient attribuées jusqu’à ce que son mariage prenne fin.

[69]        Aussi, gardant à l’esprit ces conclusions de fait, je me pencherai sur les moyens de droit avancés par les avocats de Vincenzina.

A. Frime

[70]        A l’occasion de l’affaire Faraggi v La Reine[1], le juge Noël, de la Cour d’appel fédérale, s’est fondé sur les observations du juge Estey dans la décision Stubart Investments Ltd. c La Reine[2] qui définit la frime de la manière suivante :

57.       Par contre, les tribunaux se sont toujours sentis autorisés à intervenir face à ce qui est convenu d’appeler une frime. La définition « classique » d’une frime est celle formulée par Lord Diplock dans Snook, supra et reprise par la Cour suprême plusieurs fois depuis. Dans Stubart Investments Ltd. c. La Reine, 1984 CanLII 20 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 536, le juge Estey écrivait (p. 545) :

[…]cette expression nous vient de décisions du Royaume-Uni et signifie, de façon générale (non sans ambiguïté), une opération assortie d’un élément de tromperie de manière à créer une illusion destinée à cacher au percepteur le contribuable ou la nature réelle de l’opération, ou un faux-semblant par lequel le contribuable crée une apparence différente de la réalité qu’elle sert à masquer.

58.       Dans l’affaire Cameronsupra, la Cour suprême a adopté le passage suivant issu de Snook, supra, pour définir ce qu’était une frime en droit canadien (p.1068) :

[traduction] ... il signifie des actes faits ou des documents signés par les parties à la « frime », dans l’intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu’ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s’il en est) que les parties ont l’intention de créer.

59.       L’existence d’une frime en droit canadien exige donc en vue des définitions qui précèdent un élément de déception qui se manifeste en règle générale par une fausse représentation par les parties de la transaction réelle intervenue entre elles. Dans ces circonstances, les tribunaux retiendront la transaction réelle et mettront de côté celle qui fut représentée comme étant la vraie.

[71]        La juge Valerie Miller, dans une ordonnance rendue à l’occasion de l’affaire Coast Capital Savings Credit Union v R.[3], a interprété ces dispositions dans le contexte d’une affaire fiscale de la manière suivante :

24.       [traduction] À mon avis, dans une affaire fiscale, si c’est le ministre qui doit être trompé, alors seul le ministre peut plaider l’existence d’une « frime » et s’appuyer sur l’argument de la « frime » pour convaincre les tribunaux d’écarter une opération. Mon avis est conforté par l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Bonavia v The Queen, 2010 CAF 129.

[72]        En l’espèce, ce n’est pas le ministre qui s’appuie sur la doctrine de la frime, car le ministre ne soutient pas avoir été trompé. Une tromperie du ministre suppose une tromperie visant à diminuer les impôts qui auraient été payables sans la tromperie – à quoi d’autre pourrait bien servir une tromperie? Ici, rien n’est caché ni trompeur au sujet du montant des revenus des sociétés Riel ou des primes qui ont été versées à un particulier. Que cette personne ait été Roberto et non Vincenzina, fait peu de différence sur le plan des impôts à payer. En quoi le ministre a‑t‑il été trompé?

[73]        De plus, je conclus qu’il n’y avait aucune intention de la part de la contribuable, Vincenzina, de tromper le ministre. Elle pensait être la bénéficiaire des revenus constitués de la prime, elle a signé une résolution en ce sens et a signé ses déclarations de revenus rapportant ces revenus. J’estime également que Roberto n’avait pas non plus l’intention de tromper le ministre. Pourquoi l’aurait-il fait? La structure juridique était en place, à son avis, pour acheminer les fonds des sociétés appartenant à sa femme entre les mains de cette dernière à titre de primes. Je ne vois là aucune intention de tromper.

[74]        Comme l’a précisé la Cour d’appel fédérale par l’arrêt Antle v R[4], l’intention de tromper n’équivaut pas à une intention coupable, mais « il suffit que les parties à une opération la présentent comme différente de la réalité qu’elles connaissent ». Je ne puis conclure que Vincenzina ou Roberto savaient à l’époque que cet arrangement était différent de ce qu’il était. La doctrine de la frime n’est pas pertinente dans les circonstances.

B. Paragraphe 56(2) de la Loi

[75]        Le paragraphe 56(2) de la Loi se lit ainsi :

Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à une autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne  sauf la cession d’une partie d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou à une disposition comparable d’un régime provincial de pensions au sens de l’article 3 de cette loi — est inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

[76]        L’appelante soutient que le paragraphe 56(2) de la Loi pourrait jouer soit du fait que Roberto dictait les paiements faits aux sociétés Riel soit du versement de primes à partir des fonds des sociétés Riel en créditant le compte de prêts à l’actionnaire de Vincenzina. La première hypothèse suppose la conclusion de ma part constatant l’existence d’une frime, ce que je n’ai pas fait, aussi je m’en tiendrai à la deuxième hypothèse.

[77]        L’appelante soutient que quatre exigences doivent être réunies pour que les revenus de prime de Vincenzina soient rattachés à ceux de Roberto en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi :

                   i.            le paiement doit avoir été fait à une autre personne que le contribuable;

                 ii.            le paiement doit avoir été fait selon les directives de Roberto ou avec son consentement;

              iii.            le paiement doit avoir été fait au propre bénéfice de Roberto ou au bénéfice d’une autre personne à laquelle Roberto souhaitait que soit attribué l’avantage;

              iv.            le paiement aurait pu être inclus dans le calcul du revenu de Roberto s’il avait été reçu par Roberto au lieu de l’autre personne.

[78]        Je discuterai d’abord la quatrième condition. A l’occasion de l’affaire Neuman v M.N.R.[5], la Cour suprême du Canada fait les observations suivantes au sujet de la jurisprudence McClurg v M.N.R.[6] :

46        Notre Cour a statué que, en règle générale, le par. 56(2) ne s’applique pas aux revenus de dividendes étant donné que, jusqu’à ce qu’un dividende soit déclaré, les profits appartiennent à la société à titre de bénéfices non distribués. On ne saurait donc dire que la déclaration d’un dividende constitue un détournement d’un avantage dont le contribuable aurait autrement bénéficié (à la p. 1052).  Le juge en chef Dickson a expliqué cette décision de la façon suivante (à la p. 1052) :

Bien qu’il soit toujours loisible aux tribunaux de « percer le voile corporatif » afin d’empêcher les parties de profiter de techniques d’évitement fiscal de plus en plus complexes, je suis d’avis que le versement d’un dividende n’est pas visé par le par. 56(2). Ce dernier a pour objet d’assurer que les paiements qui auraient autrement été reçus par le contribuable ne soient pas détournés au profit d’un tiers comme technique d’évitement fiscal. Cet objet n’est pas contrecarré parce que, dans le contexte du droit des sociétés, les profits appartiennent à la société en sa qualité de personne juridique tant qu’un dividende n’est pas déclaré : [B. Welling, Corporate Law in Canada (1984), aux pp. 609 et 610]. Si aucun dividende n’avait été déclaré ni versé à un tiers, il n’aurait pas non plus été touché par le contribuable. Ce montant aurait plutôt simplement fait partie des bénéfices non distribués de la société. Par conséquent, en règle générale, le versement d’un dividende ne peut raisonnablement être considéré comme un avantage détourné par un contribuable en faveur d’un tiers au sens du par. 56(2).  [Je souligne.]

48        Une condition d’existence d’un droit, dans le sens que je lui ai donné, est compatible avec l’objet explicite du par. 56(2), qui est de prendre et d’attribuer au contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie les « recettes qu’il aurait autrement touchées » (McClurg, à la p. 1051). Le revenu de dividendes ne peut pas satisfaire au quatrième critère parce que les dividendes, s’ils ne sont pas versés à un actionnaire, continuent de faire partie des bénéfices non distribués de la société; le contribuable à l’égard duquel une nouvelle cotisation est établie, que ce soit à titre d’administrateur ou d’actionnaire de la société, n’a pas droit à cette somme d’argent.

49        C’est la seule interprétation logique qui évite une application absurde du par. 56(2), comme l’a fait remarquer le juge en chef Dickson (à la p. 1053) :

... le dividende continuerait à faire partie des bénéfices non distribués de la société, si ce n’était de la déclaration du dividende (et de sa répartition). On ne peut légitimement considérer que telle était l’intention du législateur au par. 56(2). Si notre Cour devait conclure le contraire, les administrateurs des sociétés pourraient vraisemblablement être tenus responsables des incidences fiscales de toute déclaration de dividendes faite à un tiers. [. . .] il s’agirait alors d’une interprétation irréaliste ne respectant ni l’objet, ni l’esprit de ce paragraphe. Cela violerait les principes fondamentaux du droit des sociétés ainsi que les réalités des pratiques commerciales, et cela irait au-delà de l’intention du législateur.

[79]        Bien que l’affaire dont je suis saisi ne porte pas sur les revenus de dividendes, l’enseignement vaut aussi lorsque les revenus de la société sont distribués à l’actionnaire unique sous forme de prime. Si la prime n’avait pas été attribuée à Vincenzina, elle n’aurait pas forcément été attribuée à Roberto. Les fonds seraient restés dans les bénéfices non répartis des sociétés.

[80]        Je conclus également que la condition (ii.) n’a pas été remplie. L’appelante soutient que la décision relative à la prime était en fait prise par Roberto, lequel exerçait le pouvoir décisionnel en général. Cet argument fait abstraction de la réalité juridique : c’était Vincenzina qui détenait la société et qui en était le seul administrateur. Il fait également abstraction de la preuve établie voulant que M. Wood ait discuté des primes avec Roberto et Vincenzina. Seule Vincenzina pouvait déclarer les primes sur le plan juridique. Je conclus qu’elle n’a pas agi uniquement sous les directives de Roberto sans avoir son mot à dire, se contenant en réalité de signer les documents qu’on lui présentait. Je conclus que le sujet des primes avait fait l’objet de discussions entre Roberto et elle, en tant qu’unique administrateur, et qu’à ce titre, c’est elle qui en a, au final, ordonné leur paiement. Il ne fait nul doute que Roberto a joué un rôle dans tout cela, mais pas au point d’usurper la responsabilité de Vincenzina sur le plan juridique. Cette dernière ne peut utilement s’appuyer sur les dispositions anti-évitement de la Loi, lesquelles normalement constituent une flèche à la panoplie de recours du ministre, pour faire passer des revenus qui sont les siens aux mains de son ancien mari. Je conclus que le paragraphe 56(2) de la Loi ne joue pas.

C. Propriété effective

[81]        Enfin, Vincenzina soutient que Roberto était le propriétaire effectif des sociétés Riel ou des primes découlant de ces deux sociétés. Son avocat a cité les définitions de [traduction] « beneficial owner » ou propriétaire effectif et de [traduction] « beneficial ownership » ou propriété effective, à partir du « Dictionary of Canadian Law » :

[traduction] BENEFICIAL OWNER OU PROPRIÉTAIRE EFFECTIF. … [L]e véritable propriétaire des biens, même si ceux‑ci se trouvent entre les mains d’une autre personne. Csak v Aumon (1990), 69 D.L.R. (4th) 567 à la page 570 (H.C. On.), juge Lane.

BENEFICIAL OWNERSHIP OU PROPRIÉTÉ EFFECTIVE. Comprend la propriété détenue par l’entremise d’un fiduciaire, d’un représentant légal, d’un mandataire ou d’un autre intermédiaire.

[82]        Bien qu’ils aient reconnu avoir quelque difficulté à conclure à une relation de fiducie ou de mandat, les avocats de Vincenzina ont soutenu que je pouvais m’appuyer sur la notion de propriété par le biais d’un intermédiaire. S’appuyant sur l’enseignement d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt rendue par le juge Hogan à l’occasion de l’affaire Fourney v R.[7], ils ont soutenu que l’on a la propriété effective de biens lorsque l’on possède les trois attributs du droit de propriété (usus, fructus, abusus – le droit d’utiliser le bien, le droit d’en recevoir les fruits et produits et le risque). De sorte que malgré le fait que les biens (soit les actions des sociétés Riel ou les primes créditées à son compte de prêts à l’actionnaire) étaient enregistrés au nom de Vincenzina, les attributs du droit de propriété demeuraient entre les mains de Roberto dans la mesure où Vincenzina servait uniquement d’intermédiaire, vraisemblablement le genre d’intermédiaire qui ne possédait pas les attributs du droit de propriété. C’est là un argument nouveau et curieux, qui s’apparente à la notion, en droit des sociétés, de levée du voile corporatif afin de savoir qui est propriétaire. Comme je l’ai conclu, cependant, Vincenzina n’était pas un intermédiaire. C’est elle qui assumait le risque relatif à la propriété en étant aussi engagée dans les affaires de Riel qu’elle l’était, non seulement comme actionnaire et administrateur, mais aussi comme dirigeant de première ligne. Elle n’était tout simplement pas un pantin. Elle n’a pas plaidé le moyen de défense « non est factum ». On ne lui a pas retiré tout son pouvoir décisionnel. Je concède qu’elle n’était pas le maître d’œuvre du programme d’achats et de dons, mais elle en était un rouage volontaire et essentiel, et elle n’était pas une simple intermédiaire qui n’assumait nul risque.

[83]        Quant aux éléments relatifs au droit d’utiliser et de percevoir les fruits et produits, c’est le compte de prêts à l’actionnaire de Vincenzina qui a été crédité, peu importe que les fonds aient été par la suite acheminés vers ce que je considère être les coffres de la famille. Je ne retiens pas la thèse portant qu’elle n’ait jamais pu utiliser les fonds.

[84]        Les avocats de Vincenzina ont attiré mon attention sur les observations qu’a faites l’ancien juge en chef Bowman à l’occasion de l’affaire Savoie v La Reine, même si elle porte sur un contexte différent de celui dont je suis saisi :[8]

[traduction] 12.       En l’espèce, la situation diffère de celle des époux qui, en toute connaissance des effets juridiques de leurs gestes, choisissent de détenir un bien conjointement, ou individuellement, ou selon tout autre mode de propriété. Des choix aussi réfléchis doivent être respectés puisque la forme juridique correspond alors à la réalité économique et aux intentions averties des parties.

[85]        Bien que les avocats de Vincenzina soutiennent que la forme juridique ne correspond pas à la réalité économique et que Vincenzina n’a pas donné un consentement éclairé, je tire une conclusion différente. La réalité économique est que les sociétés Riel ont fait beaucoup d’argent au cours d’une très brève période, et qu’une structure a été mise en place pour acheminer les revenus entre les mains de la famille Mattacchione par l’intermédiaire de sociétés, dont Vincenzina était l’unique propriétaire. Il est soutenu que ces montants importants ne correspondent pas à ses revenus réels, car c’est Roberto qui a fait tout le travail pour dégager ces revenus des sociétés Riel. Si l’ARC ne soutient pas que le paiement des primes à Vincenzina est déraisonnable et doit être attribué comme il se doit d’une autre manière, alors je ne suis pas disposé à admettre que l’unique actionnaire et administrateur, après une séparation acrimonieuse avec son mari, puisse demander à l’ARC de faire maintenant abstraction d’une structure dont l’organisation a délibérément été établie à des fins fiscales.

[86]        Les trois moyens de Vincenzina sont imbriqués, car ils sont tous fondés sur l’idée que les apparences sont trompeuses. Et, très simplement, je ne puis retenir une telle idée. Je conclus que les Mattacchione, lorsqu’ils formaient un couple marié et heureux, ont délibérément et conjointement organisé leurs affaires pour atteindre leurs propres fins. Cela signifiait que Vincenzina était l’actionnaire et l’administrateur des sociétés Riel, et qu’elle recevait et déclarait les primes et réclamait le crédit d’impôt pour dons de bienfaisance. Au fond, je n’ai pas été convaincu que ce n’était pas de prime abord ce que cela voulait être. C’est aussi simple que cela.

[87]        Par conséquent, je réponds par l’affirmative à la question de savoir si Vincenzina a reçu des revenus de 4 500 000 $ et de 4 550 000 $ comme elle l’a rapporté dans ses déclarations pour l’année 2003 et l’année 2004.

[88]        Étant donné les observations des avocats de Vincenzina selon lesquelles la question des dons de bienfaisance n’est pas controversée et selon lesquelles Vincenzina accepte le fait que les dons sont limités aux coûts engagés pour acquérir le produit dont il est fait don, cela met un terme à l’appel de Vincenzina, sinon réduire le gain en capital évalué de 4.594.687 $ puisqu’il n’y a nul gain.

[89]        Il ne me reste plus qu’à décider de la question de savoir si Roberto a droit aux crédits d’impôt pour dons de bienfaisance selon la valeur qu’il attribue aux fournitures médicales, qui est plus élevée que leur coût. L’intimée soutient que Roberto n’y a pas droit pour trois raisons :

                   i.            il n’a pas eu l’intention de faire un don;

                 ii.            le soi-disant don a été fait en 2004, soit après les modifications législatives;

              iii.            la juste valeur marchande des fournitures médicales n’était pas plus élevée que le coût que Roberto a engagé pour les acquérir.

[90]        Nonobstant la récente décision rendue par la Cour d’appel fédérale à l’occasion de l’affaire Castro v R.[9], dans laquelle la Cour a fait une observation incidente sur la question de l’intention de faire un don, le droit demeure quelque peu flou en ce qui concerne la question de savoir si un reçu de don de bienfaisance peut constituer un avantage qui vicie un don. Le juge Scott a résumé la décision de la juge Woods de la Cour de l’impôt comme suit :

[traduction]

23.       La juge a passé en revue la jurisprudence la plus récente y compris la décision suivante de notre Cour, Canada v. Berg, 2014 CAF 25, [2014] 3 C.T.C. 1 [Berg]. Elle a conclu qu’elle n’éclaircissait pas la question de savoir si un reçu gonflé constitue un avantage. La juge s’est fondée sur la décision du juge Sexton de la Cour d’appel dans l’arrêt Canada v. Doubinin, 2005 CAF 298, [2005] D.T.C. 5624 [Doubinin], aux paragraphes 14 à 17, pour conclure qu’un reçu gonflé ne doit pas en règle générale être considéré comme un avantage qui annule un don.

37.       Le fondement de la conclusion du juge selon laquelle les intimés n’ont pas reçu un avantage qui vicie les dons qu’ils ont faits à CanAfrica était triple. Tout d’abord, le juge s’est fondé sur les témoignages des intimés concernant la somme dont ils ont chacun fait don à CanAfrica ainsi que sur la conclusion de la Cour dans la décision Doubinin, aux paragraphes 14 à 17. Le juge a également refusé d’entendre un nouvel argument soulevé par le ministre voulant que les intimés n’avaient pas manifesté l’intention de faire un don, parce que cette question n’était pas clairement soulevée dans la réponse du ministre à l’avis d’appel. Ce dernier moyen a été plaidé de nouveau devant nous. Il doit être encore une fois rejeté.

[91]        La question de savoir ce qui constitue un avantage est particulièrement délicate lorsqu’il s’agit de dons de biens, par opposition à des dons d’argent. Par exemple, le contribuable qui a acquis des biens pour 10 $ et en fait don avec l’intention d’obtenir, et obtient en fait, un reçu officiel de don de bienfaisance d’un montant de 400 $, a reçu un avantage tel qu’il n’a jamais eu l’intention de s’appauvrir et par conséquent ce n’est pas un don. Je peux très bien imaginer le cas où un collectionneur de souvenirs sportifs obtient une carte de recrue de Wayne Gretzky il y a 30 ans pour 10 $ et en fait don au Temple de la renommée du hockey pour en obtenir un reçu officiel de 400 $ pour don de bienfaisance. Je ne considérerais pas ce don comme étant hors-jeu en raison du reçu officiel. Cette question a été réglée par les modifications législatives. Il semble que telle est l’approche de la Cour d’appel fédérale, et je cite de nouveau les observations du juge Scott dans Castro :

[traduction]

47.       La juge était fondée à conclure que la décision Berg n’a pas répondu à la question dont elle était saisie, car la Cour n’a pas décidé que le reçu gonflé constituait à lui seul un avantage. …

[92]        La Cour d’appel fédérale confirme que, sans autre élément, un reçu gonflé ne constitue pas à lui seul un avantage qui annule un don. Ainsi, quel est ce petit quelque chose de plus que le reçu lui‑même sur lequel peut se fonder le tribunal pour décider de l’existence d’un avantage conféré au donateur qui de ce fait annulera le don? Dans l’affaire Berg, cet élément consistait en ce que la Cour d’appel fédérale a qualifié de simulacres de reçus. Dans l’affaire Webb c La Reine[10], il s’agissait de ristournes.

[93]        Dans l’affaire dont je suis saisi, je conclus que Roberto a reçu, à l’occasion de l’acquisition et du don des fournitures médicales, une évaluation à un montant beaucoup plus important. Il est clair que pour son entreprise d’achat à bas prix et de dons à montant élevé, et il ne fait nul doute qu’il s’agissait là d’une entreprise commerciale, sans l’évaluation des fournitures médicales, Roberto n’aurait pas été intéressé à faire don de ces fournitures. Mais cela devient quelque peu tortueux et me ramène à la carte de recrue de Gretzky. Si le collectionneur avait fait évaluer la carte et, en se fondant sur cette évaluation, avait décidé de faire don de la carte, avec la ferme intention de tirer parti d’un crédit d’impôt pour don de bienfaisance, dans quelle mesure est-il si différent de Roberto? Comme c’est le cas de bon nombre de notions juridiques, tout dépend des circonstances. Et en l’espèce, les circonstances, selon moi, sont la nature de l’entente en général, le moment de l’acquisition et du don, et la légitimité de l’évaluation.

[94]        Quelle était la nature de l’entente entourant l’acquisition et la disposition des fournitures médicales? Selon M. Reid, elles ont en fait été liquidées à un prix très inférieur au prix par pièce affiché sur Internet. La simple raison était cependant qu’ils ne pouvaient pas les vendre. Elles ne pouvaient pas être commercialisées. Dumex en aurait tout simplement fait don si M. Babiolakis ou son associé à Trinity n’était pas intervenu. Même Dumex, dans sa lettre au Trinity Group, après avoir indiqué le prix de détail de 3 200 000 $, précise ce qui suit :

[traduction] Nous ne faisons aucune déclaration et n’émettons aucun avis relativement à la juste valeur marchande actuelle des stocks précités.

[95]        En ce qui concerne le moment, il ne s’agissait pas de savoir si les biens avaient été détenus pendant un certain temps durant lequel leur valeur a pu augmenter, mais il s’agissait plutôt d’une acquisition et d’une disposition immédiates, la disposition n’étant pas faite sur le marché auquel les biens étaient destinés, mais directement en faveur d’une œuvre de bienfaisance. Les préoccupations liées à l’établissement de la juste valeur marchande dans ces circonstances auraient dû être évidentes.

[96]        Enfin, Roberto évoque l’évaluation de Canam Appraiz, soutenant qu’il n’avait pas eu tort de s’y fier. L’évaluation de Canam Appraiz indiquait :

[traduction] La juste valeur marchande était fondée sur l’obtention du prix de détail figurant sur la liste de prix de Dumex et la comparaison de ce prix avec les prix du marché.

L’évaluation ne fournit aucun renseignement sur les comparaisons en cause. Le rapport ne mentionne pas non plus que les Mattacchione ont acquis les fournitures médicales à un coût qui semble être d’environ 1/50e de la valeur estimée. Il n’indique pas la réserve de Dumex au sujet de la valeur. Il est daté du 6 novembre, soit un jour après le document prouvant l’achat des fournitures médicales par Trinity pour 150 000 $. Ce genre d’évaluation faisait partie intégrante du programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé. Il est facile de porter un regard critique sur ces évaluations après coup, mais, des circonstances de l’époque, je conclus que cette évaluation arrangeait plus les Mattacchione qu’elle ne présentait un portrait véritable de la juste valeur marchande. En tirant cette conclusion, je ne ferme pas la porte à la possibilité que les biens auraient pu tout à fait être acquis dans une situation précaire et auraient très bien pu être commercialisés à un montant plus élevé. Je n’ai pas été convaincu, cependant, que les fournitures médicales en cause sont de cette nature. Je suis aussi convaincu que le fait pour Roberto de se fonder sur l’évaluation était déraisonnable dans les circonstances.

[97]        Pour boucler la boucle, le reçu officiel, gonflé 50 fois par rapport au coût payé par Roberto, est-il un avantage qui annule le don fait par Roberto à l’organisme de bienfaisance? Il l’annule effectivement, mais seulement parce qu’il ne peut être pris isolément et qu’il fait partie d’une opération parallèle qui consistait à fournir une évaluation douteuse dans des circonstances qui exigeaient une prudence accrue. Je suis convaincu que Roberto n’avait pas l’intention de s’appauvrir de quelque manière que ce soit lorsqu’il a transféré ces fournitures médicales à l’œuvre de bienfaisance. Son activité consistait à tirer parti des programmes d’achats à bas prix et de dons à montant élevé, et cette opération particulière concordait davantage avec l’intention de faire un profit qu’avec celle de faire un don de bienfaisance. Je conclus qu’il n’avait pas l’intention de faire un don.

[98]        Étant donné cette conclusion, je n’ai pas besoin de discuter les autres arguments soulevés par l’intimée en ce qui concerne le moment du don des fournitures médicales ou leur juste valeur marchande. Cependant, j’aimerais faire de brèves observations à ce sujet.

[99]        Les preuves au sujet du moment ne sont pas claires. Il existe des factures et des connaissements plus tard en décembre, allant même jusqu’au 31 décembre 2003, qui sont adressés à Trinity et non aux Mattacchione. Comment Roberto peut-il soutenir avoir acquis les biens avant le 5 décembre et en avoir fait don avant cette date? Selon la prépondérance des preuves, je ne puis conclure qu’il l’a fait.

[100]   En ce qui concerne la juste valeur marchande, comme il ressort clairement sans aucun doute de mes conclusions précédentes, si j’avais à fonder ma décision sur la question de la valeur des fournitures médicales, encore une fois, selon la prépondérance des preuves, je conclurais que l’évaluation n’est pas utile et que Roberto ne m’a pas prouvé que les fournitures médicales étaient évaluées à un montant plus important que celui qu’il a payé pour ces fournitures.

[101]   Je pourrais faire des observations similaires en ce qui concerne les dons de bâtons de hockey et les questions du moment et de la valeur, mais il n’est pas utile de le faire dans les circonstances.

Pénalités

[102]   Le paragraphe 163(2) de la Loi se lit comme suit :

163(2)  Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

[103]   Les déclarations fausses en cause sont les prétentions par les appelants qu’ils ont fait des dons de bienfaisance d’environ 7 900 000 $ dans le cas de Vincenzina et de 1 500 000 $ dans le cas de Roberto. À l’époque où ils ont fait ces déclarations, s’ils savaient qu’elles étaient fausses ou s’ils les ont faites dans des circonstances équivalant à une faute lourde, alors ils doivent payer les pénalités.

[104]   En ce qui concerne Vincenzina, étant donné qu’elle a admis dans le présent contentieux que la valeur des bâtons de hockey et des fournitures médicales était équivalente à leur coût, elle confirme qu’elle sait maintenant que les déclarations étaient fausses. Puis‑je rattacher cette connaissance au moment où elle a fait les déclarations? Oui. Au moment où elle a produit ses déclarations de revenus, Vincenzina savait très bien ce qu’elle avait payé pour les bâtons de hockey et les fournitures médicales, et elle savait très bien qu’elle demandait une déduction d’une valeur considérablement supérieure à ce coût. Elle a présumé, étant donné son degré de connaissance du programme d’achats à bas prix et de dons à montant élevé, que cette demande de déduction correspondait simplement à l’objectif prescrit d’un crédit d’impôt important, sans faire d’autre recherche. Je conclus qu’elle savait que la demande de déduction était artificiellement élevée. Même si je ne concluais pas à une connaissance réelle, je serais prêt à conclure à un aveuglement délibéré qui, dans les circonstances, constitue une faute lourde.

[105]   En ce qui concerne Roberto, je tire la même conclusion, mais pour des raisons légèrement différentes qui découlent de ma conclusion précédente selon laquelle Roberto n’avait pas l’intention de faire un don. Il savait qu’il ne faisait pas un don : sa demande de déduction constituait une fausse déclaration. Si ce n’était pour cette raison, je tirerais à la même conclusion pour des motifs analogues à ceux que j’ai donnés à l’égard de Vincenzina, à savoir qu’il savait que la valeur n’était pas de très nombreuses fois plus élevée que le coût.

[106]   Les appels de Roberto Mattacchione sont rejetés. L’appel de Vincenzina Mattacchione pour l’année 2003 est rejeté et son appel pour l’année 2004 est renvoyé au ministre pour nouvelle cotisation en tenant pour acquis que le gain en capital imposable est réduit de 4.594.687 $. Les présents motifs du jugement modifiés remplacent les motifs du jugement datés du 13 novembre 2015.


Signé à Ottawa, Canada, le 13e jour de novembre 2015.

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de mai 2016.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 283

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2010-366(IT)G, 2011-419(IT)G

INTITULÉ :

VINCENZINA MATTACCHIONE ET LA REINE ET ROBERTO MATTACCHIONE

ROBERTO MATTACCHIONE ET LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 28, 29 et 30 septembre 2015 et les 1er, 2, 5 et 7 octobre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 novembre 2015

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante,

Vincenzina Mattacchione :

Pour la tierce partie :

Pour l’appelant,

Roberto Mattacchione :

Me Joseph G. LoPresti, Me Brandon Rooney

La tierce partie elle‑même

L’appelant lui‑même

Avocats de l’intimée :

Me Martin Gentile,

Me Christopher M. Bartlett

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Noms :

Me Joseph G. LoPresti,

Me Brandon Rooney

 

Cabinet :

LoPresti Law

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           2008 CAF 398.

 

[2]           [1984] 1 R.C.S. 536 (CSC).

 

[3]           2015 CCI 195.

 

[4]           2010 CAF 280.

 

[5]           1998 CarswellNat 685.

 

[6]           [1990] 3. R.C.S. 1020 (CSC).

 

[7]           2011 CarswellNat 4734.

 

[8]           1993 CarswellNat 1015.

 

[9]           2015 FCA 225.

 

[10]          2004 CCI 619.

 

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