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Dossiers : 2008-2759(IT)G

2008-2779(IT)G

2014-3231(IT)G

ENTRE :

V. ROSS MORRISON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 4 décembre 2015, à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable juge F.J. Pizzitelli

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui‑même

Avocat de l'intimée :

Me Ryan Gellings

 

ORDONNANCE

La requête de l'appelant est rejetée dans son intégralité, avec dépens à l'intimée quelle que soit l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 2015.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli


Référence : 2015 CCI 319

Date : 20151209

Dossiers : 2008-2759(IT)G

2008-2779(IT)G

2014-3231(IT)G

ENTRE :

V. ROSS MORRISON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Pizzitelli

[1]             L'avis de requête modifié de l'appelant déposé le 20 août 2015 déclare que :

[TRADUCTION]

LA REQUÊTE VISE À OBTENIR une ordonnance conformément aux articles 80, 81, 82, 88, 91 et 146.1 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) afin :

1.         que soient rendues des directives désignant les appels interjetés par les appelants comme des causes types pour les appels visant la Canadian Humanitarian Trust (la « CHT ») et la Canadian Gift Initiative (la « CGI »);

2.         que l'intimée dépose et signifie une autre liste de documents (communication partielle) plus complète, afin d'intégrer les renseignements et les documents indiqués au paragraphe 4 qui suit;

3.         subsidiairement, que l'intimée dépose et signifie une liste de documents (communication intégrale) afin d'intégrer les renseignements et les documents indiqués au paragraphe 4 qui suit;

4.         que l'intimée divulgue ou rende disponibles pour examen le nom et l'adresse municipale ou électronique de toutes les personnes ayant déposé un avis d'opposition aux nouvelles cotisations établies à l'égard des programmes de dons de la CHT et de la CGI dont l'opposition n'a toujours pas été tranchée (les « opposants en instance »);

5.         que l'intimée avise tous les opposants en instance que les appels de l'appelant à la Cour sont des causes types;

6.         subsidiairement, que l'appelant avise tous les opposants en instance que les appels de l'appelant à la Cour sont des causes types;

7.         que l'intimée remette à l'appelant des copies des transcriptions des interrogatoires préalables de l'intimée dans les causes types (comme les décrit l'affidavit de V. Ross Morrison déposé avec les présentes);

8.         que les interrogatoires préalables de l'appelant soient reportés d'une date qui n'est pas ultérieure au 21 septembre 2015 à une date qui n'est pas ultérieure au 22 janvier 2016 en attendant l'audition de la présente requête et la production desdites transcriptions et de la liste des documents comme il est indiqué ci‑dessus, et que l'ordonnance de l'honorable juge B. Paris du 2 avril 2015 soit modifiée en conséquence;

9.         que les dépens de la présente requête soient adjugés à l'appelant quelle que soit l'issue de la cause;

10.       que la Cour accorde tout autre redressement qu'elle estime juste et approprié.

[2]             Il convient de préciser, quant au redressement demandé au paragraphe 8 qui précède, qu'une ordonnance ultérieure rendue le 13 octobre 2015 par le juge Paris, responsable de la gestion de l'instance, a déjà reporté cette date au 22 janvier 2016. L'appelant fait toutefois valoir que compte tenu de la date à laquelle la présente requête est entendue, ladite date devrait être encore reportée à la fin mars.

[3]             Il est nécessaire d'exposer le contexte factuel de la requête. Les appels sont liés au refus du ministre du Revenu national (le « ministre ») d'accorder, en vertu du paragraphe 118.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance réclamés par l'appelant pour des dons de produits pharmaceutiques en vertu des abris fiscaux susmentionnés dénommés CHT et CGI pour les années d'imposition 2003, 2004 et 2005. Le juge Paris de la Cour est le juge responsable de la gestion des instances pour un groupe d'appels mettant en cause les trois promoteurs des programmes de dons et 12 autres appelants, qui ont d'abord été désignés comme causes types. Les autres appels, dont celui de l'appelant, ont été mis en attente. Une fois que les 12 appelants désignés eurent réglé ou retiré leurs appels, ce qui ne laissait que les appels des trois promoteurs des programmes de don, l'appel de l'appelant a été ajouté comme cause type par une ordonnance du 17 décembre 2014. En fait, il est le seul appelant qui ne soit pas un promoteur parmi les causes types. Il convient aussi de préciser que le cabinet d'avocats représentant les promoteurs, un important cabinet d'avocats national, s'est récemment retiré du dossier.

[4]             Le redressement demandé par l'appelant vise trois questions principales : (1) la divulgation des noms et adresses d'autres contribuables qui n'en sont qu'à l'étape de l'opposition; (2) la divulgation des transcriptions des interrogatoires préalables de l'intimée menés par les autres appelants; (3) le report de la date de l'interrogatoire préalable de l'appelant. J'aborderai chacune des questions dans le contexte de l'argumentation de l'appelant.

1.     La divulgation d'autres opposants

[5]             L'appelant fait valoir qu'il a le droit de connaître le nom et l'adresse municipale de tous les contribuables qui ont participé aux programmes de dons en cause et qui ont déposé des avis d'opposition, mais qui pour diverses raisons n'en sont pas encore à l'étape de l'appel (les « opposants en instance » ou les « opposants »). Premièrement, l'appelant fait valoir que parce que sa cause est une cause type, il a le droit de connaître ces renseignements dont dispose le ministre, qui communique avec les opposants en instance. Deuxièmement, il fait valoir que ces opposants peuvent aider sa cause en matière de preuve, en témoignant ou en permettant à son cabinet de les représenter. Troisièmement, il fait valoir que le ministre a soulevé la question des opposants en y faisant allusion dans ses réponses modifiées et que, par conséquent, il a mis en cause le nombre et le statut des opposants, ce qui rend ainsi ces renseignements pertinents. Par ailleurs, l'appelant fait valoir que les noms et adresses des opposants ne sont pas des renseignements protégés par les dispositions sur la confidentialité à l'article 241 de la Loi qui sont invoquées par le ministre pour refuser la demande de renseignements de l'appelant. Finalement, l'appelant fait valoir que les opposants ont le droit de savoir que son cas est une cause type et que les avocats des promoteurs se sont retirés du dossier; l'appelant soutient que cela constitue un changement important dans les circonstances et que cela devrait être communiqué aux opposants.

[6]             Je ne souscris à ni l'un ni l'autre des arguments de l'appelant. L'appelant n'a pas fourni ni n'a fait valoir de jurisprudence pour étayer sa thèse sur l'une de ces questions. Il y a de nombreuses décisions qui militent contre cette thèse.

[7]             L'appelant invoque notamment les articles 80, 81, 82 et 88 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles ») pour étayer sa requête. L'article 80 dispose qu'une partie peut demander à une autre partie de produire un document ou de permettre l'examen et la copie d'un document qui est mentionné dans un acte de procédure ou une déclaration sous serment. Les actes de procédure et les affidavits ne contiennent aucune allusion à une quelconque liste de noms et d'adresses des opposants, de sorte qu'aucun document n'existe ni n'a été inscrit à une liste de communication partielle par l'intimée. Le simple fait que le ministre ait fait allusion, dans ses réponses modifiées, à un nombre important de contribuables ayant participé aux programmes de dons ne transforme pas par magie cette allusion en une liste de noms et d'adresses des opposants. Par ailleurs, il est bien établi qu'une partie n'est pas tenue de compiler, pour une autre partie, des analyses ou un document d'information qui n'existe pas déjà, comme cela a été énoncé dans Rezek c. La Reine, 2000 CanLII 138, [2000] A.C.I. no 101 (QL) (C.C.I.).

[8]             Il convient aussi de préciser qu'on a suivi l'article 81 sur la communication partielle, comme l'a ordonné le juge Paris. L'appelant n'a jamais déposé de requête visant à obtenir la communication intégrale en application de l'article 82, et même s'il demande à la Cour d'ordonner à l'intimée de produire une liste des noms et adresses des opposants en application de l'article 81 ou de l'article 82, il n'a pas déposé de requête conformément à l'article 82, tout comme il n'a pas indiqué la raison pour laquelle cette liste devrait lui être remise, ni abordé aucun des critères applicables, tout comme il ne s'est pas livré au processus d'interrogatoire préalable pour déterminer si cette divulgation est nécessaire. Par ailleurs, l'article 82 fait aussi allusion à la communication de documents qui sont ou ont été en la possession, sous le contrôle ou sous la garde de l'autre partie et, comme indiqué ci‑dessus, rien ne laisse supposer l'existence d'un quelconque document énonçant les noms et adresses des opposants.

[9]             L'appelant invoque évidemment l'article 88, qui permet à un tribunal d'ordonner la divulgation d'un document pertinent qu'une partie n'a pas mentionné dans son affidavit de documents (conformément à l'article 81 ou à l'article 82) et qui se trouve en sa possession, sous son contrôle ou sous sa garde, ou pour lequel la prétention au privilège n'est pas fondée.

[10]        Même si rien n'indique qu'un tel document existe et qu'on n'ait pas réclamé de privilège, je tiens à préciser que la première condition pour qu'un document soit divulgué est qu'il soit pertinent à la cause de l'appelant devant la Cour. Il est bien établi que la manière dont le ministre traite un contribuable n'a pas de lien avec la manière dont il traite un autre contribuable, comme l'a énoncé la Cour d'appel fédérale dans Ford Motor Co. of Canada, Ltd. c. M.R.N., [1997] 3 C.F. 103, aux paragraphes 48 et 49, où le juge Linden a conclu qu'« en principe, il incombe au contribuable de prouver qu'il satisfait lui-même aux conditions prévues par la loi ».

[11]        Comme l'a souligné l'intimée, les noms et adresses des opposants, et encore moins ceux de tout autre contribuable, ne sont pas pertinents aux questions soulevées par l'appelant dans son appel, qui consistent à déterminer si l'appelant a droit au crédit d'impôt pour don de bienfaisance à l'égard de ses prétendus dons de produits pharmaceutiques, à déterminer si les reçus sur lesquels il se fonde sont conformes aux exigences de la Loi et du Règlement et à déterminer quelle est ou était la juste valeur marchande de ces dons et quel est le calcul du gain en capital qui s'y rapporte.

[12]        La seule explication qui semble rendre pertinente la divulgation des noms et adresses se trouve dans la déclaration sous serment de l'appelant étayant sa requête, selon laquelle ces opposants pourraient souhaiter retenir les services du cabinet d'avocat de l'appelant. Honnêtement, cela est un motif totalement inapproprié pour déposer la présente requête.

[13]        L'appelant a même admis durant ses observations qu'il pourrait se passer des renseignements demandés, mais qu'il estimait qu'il y avait droit parce que son cas est une cause type.D'abord, il n'y a pas de fondement juridique pour établir ce droit présumé. De plus, l'appelant a en fait admis que de tels renseignements ne sont pas nécessaires à sa cause. J'ajouterais également que l'appelant a fait valoir qu'il croyait comprendre que plus de 200 contribuables ont déposé des avis d'appel, et ces renseignements à l'égard de ces contribuables sont publics. Il semble que l'appelant ait aisément accès à des centaines de contribuables qui pourraient l'aider en témoignant, s'il décidait de communiquer avec eux. Dans ces circonstances, je ne vois pas comment l'appelant peut faire valoir qu'il est indispensable que le ministre divulgue les renseignements confidentiels d'autres contribuables. Il devrait faire ses propres efforts pour compiler à ses fins personnelles les renseignements sur d'autres contribuables, soit en examinant les renseignements publics qui visent les contribuables qui ont interjeté appel, soit en faisant de la publicité pour obtenir de l'aide de ceux qui n'ont pas interjeté appel. L'appelant semble estimer qu'il a le droit de demander à l'intimée ou même à la Cour de faire son travail à sa place, sans qu'il n'ait lui‑même à faire de véritables efforts.

[14]        Je ne peux non plus souscrire à l'argument de l'appelant selon lequel l'article 241 de la Loi n'interdit pas à l'intimée de divulguer les noms et adresses des opposants.

[15]        L'article 241 est libellé ainsi :

241(1) Communication de renseignements. Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire :

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d'en permettre sciemment la prestation;

b) de permettre sciemment à quiconque d'avoir accès à un renseignement confidentiel;

c) d'utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l'application ou de l'exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance‑chômage ou de la Loi sur l'assurance‑emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

(2) Communication de renseignements dans le cadre d'une procédure judiciaire. Malgré toute autre loi ou règle de droit, nul fonctionnaire ne peut être requis, dans le cadre d'une procédure judiciaire, de témoigner, ou de produire quoi que ce soit, relativement à un renseignement confidentiel.

(3) Communication de renseignements en cours de procédures. Les paragraphes (1) et (2) ne s'appliquent :

a) ni aux poursuites criminelles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou sur acte d'accusation, engagées par le dépôt d'une dénonciation ou d'un acte d'accusation, en vertu d'une loi fédérale;

b) ni aux procédures judiciaires ayant trait à l'application ou à l'exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance‑chômage ou de la Loi sur l'assurance‑emploi ou de toute autre loi fédérale ou provinciale qui prévoit l'imposition ou la perception d'un impôt, d'une taxe ou d'un droit.

[Les paragraphes 3.1 à 3.3 ne sont pas reproduits parce qu'ils ne sont pas pertinents.]

(4) Divulgation d'un renseignement confidentiel. Un fonctionnaire peut :

a) fournir à une personne un renseignement confidentiel qu'il est raisonnable de considérer comme nécessaire à l'application ou à l'exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance‑chômage ou de la Loi sur l'assurance‑emploi, mais uniquement à cette fin;

[...]

[16]        Il est clair que les paragraphes 241(1) et 241(2) interdisent à tout fonctionnaire, y compris au ministre, de divulguer les renseignements confidentiels d'un contribuable ou de témoigner à cet égard. L'appelant fait toutefois valoir que les noms et adresses des opposants ne sont pas des « renseignements confidentiels » et que, de toute manière, le paragraphe 241(3) exclut l'application des paragraphes 241(1) et 241(2).

[17]        Le paragraphe 241(10) de la Loi définit le terme « renseignement confidentiel » ainsi :

(10) Définitions. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

[...]

« renseignement confidentiel » Renseignement de toute nature et sous toute forme concernant un ou plusieurs contribuables et qui, selon le cas :

a) est obtenu par le ministre ou en son nom pour l'application de la présente loi;

b) est tiré d'un renseignement visé à l'alinéa a).

N'est pas un renseignement confidentiel le renseignement qui ne révèle pas, même indirectement, l'identité du contribuable en cause.

[18]        Il est tout à fait clair que le terme « renseignement confidentiel » est défini de façon très vaste pour inclure un « renseignement de toute nature et sous toute forme », ce qui inclurait manifestement le nom et l'adresse; en outre, le fait que cette définition exclue un renseignement qui ne « révèle pas, même indirectement, l'identité du contribuable » montre bien que les noms et adresses des contribuables font l'objet d'une telle mesure de protection de l'identité.

[19]        En ce qui concerne l'argument de l'appelant selon lequel l'alinéa 241(3)b) est une exception à la divulgation des renseignements confidentiels, puisque l'appel qu'il a interjeté est une procédure judiciaire ayant trait à l'application de la Loi, l'appelant n'a malheureusement pas saisi que le paragraphe 241(4) s'applique aussi, et qu'il ne permet clairement que la divulgation de renseignements considérés comme « nécessaires » à l'application ou à l'exécution de la Loi, et « uniquement » à cette fin. Comme il a été mentionné ci‑dessus, l'appelant a admis que de tels renseignements ne sont pas nécessaires, et j'estime qu'il n'est ni nécessaire ni pertinent que l'appelant détienne ces renseignements pour l'exécution de la Loi à son encontre.

[20]        Dans la décision Rezek, précitée, le juge Bowman a conclu que le nom des autres contribuables qui ont pris part aux mêmes opérations ne pouvait être divulgué, et dans la décision Penn West Petroleum Ltd. c. La Reine, 2006 CCI 82, le juge Beaubier a conclu que la question de savoir si d'autres contribuables avaient fait l'objet d'une nouvelle cotisation était un renseignement visé expressément par l'interdiction de la divulgation. Ces deux décisions sont compatibles avec l'arrêt Ford, précité, de la Cour d'appel fédérale, selon lequel il incombe au contribuable de prouver qu'il satisfait lui-même aux conditions prévues par la Loi, et que la situation d'autres contribuables n'est pas pertinente.

[21]        Selon les principes qui précèdent, il n'est pas nécessaire d'aviser les opposants que l'appel de l'appelant est une cause type et que les anciens avocats des promoteurs se sont retirés du dossier. Puisque ces renseignements sont publics, tous les contribuables y ont accès. Chaque contribuable a évidemment le droit de mener son opposition et son appel comme il l'entend. Il pourra notamment décider de déposer ou non un avis d'appel si le ministre n'a pas ratifié la cotisation dans le délai de 90 jours prévu à l'alinéa 169(1)b) de la Loi, ou décider s'il se fera représenter par un avocat et, le cas échéant, par quel avocat. La Cour n'a pas compétence pour s'ingérer dans les affaires de contribuables qui n'ont pas déposé un avis d'appel, à moins que cela soit expressément précisé dans la Loi ou dans d'autres dispositions légales applicables, tout comme elle n'a pas compétence pour dicter au ministre les renseignements qu'il doit mettre à la disposition de telles parties au titre de ses fonctions et de ses tâches à l'endroit des contribuables qui en sont aux étapes précédant l'appel. Il appartient au ministre d'en décider et aux contribuables de s'en occuper, si c'est ce qu'ils choisissent. L'appelant n'a pas la qualité requise pour parler ou plaider au nom de tels contribuables; en fait, il agirait de manière inappropriée s'il essayait de le faire sans leur consentement, même par altruisme. De plus, le fait que le ministre communique avec des contribuables ayant pris part à des opérations semblables avant l'étape de l'appel ne signifie pas, en soi‑même, que leurs renseignements sont pertinents pour les autres appelants, comme semble le prétendre l'appelant.

2.     La divulgation des transcriptions des interrogatoires préalables de l'intimée

[22]        Je ne peux faire droit à la demande de l'appelant que j'ordonne à l'intimée de divulguer les transcriptions de ses interrogatoires préalables menés par les autres appelants sans le consentement de ces autres parties ni sans présenter une requête visant à obtenir des renseignements sur ces autres parties après en avoir informé les autres appelants. Je suis d'avis que les obligations du ministre découlant des dispositions relatives à la confidentialité de l'article 241, dont il a été question ci‑dessus, ainsi que la règle bien établie de l'« engagement implicite » ont pour effet d'interdire une telle divulgation.

[23]        Dans l'arrêt Juman c. Doucette, [2008] 1 R.C.S. 157, 2008 CSC 8, aux paragraphes 23 à 27, la Cour suprême du Canada a expliqué la justification de la règle de l'engagement implicite, à savoir protéger la vie privée et favoriser la tenue d'un interrogatoire préalable exhaustif et franc. Aux paragraphes 27 et 30, le juge Binnie a résumé l'analyse en ces termes :

[27]      À juste titre donc, la loi impose aux parties à un litige civil un engagement envers la cour de ne pas utiliser les documents ou les réponses pour toute autre fin que la recherche de la justice dans l'instance civile au cours de laquelle ils ont été obtenus [...]

[...]

[30]      L'engagement est imposé pour protéger le droit de la personne interrogée à sa vie privée ainsi que l'intérêt qu'a le public dans le déroulement efficace des litiges civils. Toutefois, ces valeurs ne sont pas absolues. Elles peuvent, à leur tour, céder le pas devant un intérêt public plus impérieux. Ainsi, en cas de non-consentement de la partie interrogée, la partie liée par l'engagement peut demander au tribunal l'autorisation d'utiliser les renseignements ou les documents pour une autre fin que celle de l'action, comme il est indiqué dans Lac d'Amiante, par. 77 :

Avant d'employer l'information, la partie concernée devra cependant présenter une demande à cette fin. Cette dernière précisera les buts de l'utilisation et les motifs qui la justifient et sera ensuite débattue contradictoirement.

Dans le cadre d'une telle demande, le juge a accès aux documents et transcriptions en question.

[24]        Je remarque que l'intimée a indiqué qu'elle ne s'oppose pas à la divulgation de ces courtes transcriptions qui, a‑t‑elle affirmé, n'existent que pour deux autres appelants, si la Cour l'ordonne ou si les autres appelants y consentent, mais les interrogatoires préalables ont été menés par ces autres appelants à leur frais pour les appels qu'ils ont interjetés à la suite d'actions entre le ministre et eux, et ces interrogatoires préalables ne devraient pas être divulgués à une autre partie sans le consentement des appelants ou sans qu'un tribunal rende une ordonnance à la suite d'une requête convenable à laquelle les autres appelants ont eu l'occasion de participer pour défendre soit leur vie privée, soit l'intérêt public. Il n'appartient pas à une partie de simplement enfreindre cet engagement implicite sans le consentement de l'autre partie. Par ailleurs, puisque ce n'est pas l'intimée qui cherche à faire annuler, en l'espèce, l'engagement implicite, les règles de confidentialité énoncées dans la Loi imposent à l'intimée le devoir de ne pas divulguer ces renseignements, qui peuvent sans doute contenir de l'information sur les contribuables, sans qu'une ordonnance du tribunal ne lui permette de le faire par nécessité. Même si je reconnais que la divulgation de ces renseignements pourrait être utile pour l'appelant, je ne vois franchement pas pourquoi cette divulgation serait nécessaire. Compte tenu de mes observations qui précèdent et du fait que l'appelant doit encore mener son propre interrogatoire préalable de l'intimée, il me semble que cette demande est peut‑être prématurée, sinon redondante. Toutefois, l'appelant est libre d'aller de l'avant, si c'est ce qu'il choisit de faire, après avoir présenté une requête appropriée à la Cour et après avoir donné un avis aux autres appelants ayant mené un interrogatoire préalable et à l'intimée.

3.     Le report de l'interrogatoire préalable de l'appelant

[25]        À la lumière de ce qui précède, et puisque je ne souscris pas à la position de l'appelant sur les autres mesures de redressement demandées dans la présente requête, je ne vois aucun motif pour modifier l'ordonnance du juge Paris qui a prolongé le délai pour l'interrogatoire préalable de l'appelant jusqu'au 22 janvier 2016.

Conclusion

[26]        La requête de l'appelant est rejetée dans son intégralité, avec dépens à l'intimée quelle que soit l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 2015.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 319

NUMÉROS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2008-2759(IT)G

2008-2779(IT)G

2014-3231(IT)G

INTITULÉ :

V. ROSS MORRISON ET LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 4 décembre 2015

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

L'honorable juge F.J. Pizzitelli

DATE DE L'ORDONNANCE :

Le 9 décembre 2015

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Ryan Gellings

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

S. O.

 

Cabinet :

 

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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