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Dossiers : 2012-1020(IT)G

2012-1921(IT)G

2012-4808(IT)G

ENTRE :

RIO TINTO ALCAN INC.,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Requête entendue le 14 septembre 2015 à Montréal (Québec).


Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

Comparutions :

Avocat de la requérante :

Me Yves St-Cyr

Avocates de l’intimée :

Me Nathalie Labbé

Me Susan Shaughnessy

 

ORDONNANCE

          Vu la demande présentée par la requérante afin que les deux questions suivantes soient tranchées en vertu de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) :

Question 1.

i) Est-ce que la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») autorisait la ministre du Revenu national (la « ministre ») à établir les nouvelles cotisations pour les périodes en litige, en refusant les dépenses et les crédits d’impôt à l’investissement (« CII ») réclamés par Rio Tinto Alcan Inc. (« RTA ») au titre de recherche scientifique et développement expérimental à l’égard des activités d’Aluminerie Alouette Inc. (« AAI »), sans avoir au préalable examiné les faits se rapportant à la requérante afin de déterminer son assujettissement à l’impôt et sans avoir fixé le montant de l’impôt payable en fonction d’une telle détermination?

ii) Dans la négative, les nouvelles cotisations sont-elles invalides à l’égard des dépenses et CII refusés relativement aux activités d’AAI?

Question 2.

i) Est-ce que la LIR autorisait la ministre à établir de nouvelles cotisations en dehors de la période normale de nouvelle cotisation à l’endroit de RTA le 19 avril 2013, le 3 septembre 2013 et le 3 octobre 2013, respectivement, pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 2006 et le 31 octobre 2007 à l’égard d’éléments autres que ceux expressément énumérés aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la LIR, dont plus spécifiquement, ceux mentionnés aux sous-alinéas 152(4)a)(ii), 152(4)b)(iii), 152(4.01)a)(ii) et 152(4.01)b)(iii)?

ii) Dans la négative, lesdites nouvelles cotisations sont-elles invalides à l’égard des éléments qui ne sont pas énumérés aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la LIR et, plus précisément, à l’égard des dépenses et CII refusés en totalité relativement aux activités d’AAI et à l’égard du report des pertes autres qu’en capital de l’année d’imposition 2005 à l’année d’imposition se terminant le 31 octobre 2007?

            ET après avoir entendu les parties;

          La requête est accueillie.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de février 2016.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 


Référence : 2016 CCI 31

Date : 20160204

Dossiers : 2012-1020(IT)G

2012-1921(IT)G

2012-4808(IT)G

ENTRE :

RIO TINTO ALCAN INC.,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge D’Auray

I. Contexte

[1]             En l’espèce, la requérante a déposé une requête auprès de la Cour en vertu de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») afin que soient tranchées avant l’audience des questions de droit et de fait.

[2]             Cette requête fait suite au dépôt par la requérante de trois appels auprès de cette Cour, dont l’appel pour l’année d’imposition 2006 se terminant le 31 décembre 2006 (2012-1020(IT)G), l’appel pour l’année d’imposition 2007 se terminant le 31 octobre 2007 (2012‑4808(IT)G), et l’appel pour la période du 1er novembre 2007 au 31 décembre 2007 (2012-1921(IT)G). J’appellerai les périodes visées par ces trois appels les « périodes en litige ».

[3]             Dans les avis d’appel pour les périodes en litige, la requérante conteste les nouvelles cotisations établies par la ministre du Revenu national (la « ministre »), lesquelles, entre autres, refusent en totalité les dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental (« RS&DE ») et les crédits d’impôt à l’investissement (« CII ») réclamés par la requérante relativement aux travaux de recherche entrepris par Aluminerie Alouette Inc. (« AAI »).

[4]             La requérante fait valoir dans ses avis d’appel que les activités d’AAI constituent de la RS&DE au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). Conséquemment, elle fait valoir qu’elle a valablement réclamé les dépenses de RS&DE et les CII qui lui sont attribuables relativement aux activités de RS&DE d’AAI.

[5]             La requérante fait aussi valoir que la ministre a établi des nouvelles cotisations pour les périodes en litige sans avoir au préalable examiné les faits se rapportant à la requérante afin de déterminer son assujettissement à l’impôt et sans avoir fixé le montant de l’impôt payable. Selon la requérante, la ministre n’a pas suivi le processus prévu par la LIR quand elle a établi les nouvelles cotisations pour les périodes en litige. Par conséquent, les nouvelles cotisations sont arbitraires et invalides.

[6]             De plus, la requérante fait valoir que, pour les années d’imposition 2006 et 2007, la ministre a établi les nouvelles cotisations à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation.

[7]             La requérante fait valoir que la décision sur les questions soulevées en vertu de l’article 58 relativement aux cotisations arbitraires et à la prescription aurait pour effet de régler en totalité ces questions. Elle fait également valoir qu’une audience sur la requête aurait aussi pour effet d’abréger substantiellement l’instance. De plus, il en résulterait une économie substantielle de frais.

[8]             L’intimée s’oppose à la requête fondée sur l’article 58 des Règles. Elle fait valoir que cette requête n’est pas le véhicule « approprié » pour décider les questions soulevées par la requérante. Selon l’intimée, la question relative aux cotisations arbitraires soulève des considérations factuelles importantes sur lesquelles devra se prononcer le juge qui présidera l’instance. Quant à l’allégation de la requérante que la ministre a établi des nouvelles cotisations à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation, l’intimée fait valoir qu’elle est sans fondement puisque l’ordonnance du 7 octobre 2014, rendue par le juge Favreau de cette Cour[1], confirme la validité des nouvelles cotisations. Ainsi, la requête n’aura pas pour effet d’abréger substantiellement l’audience ni de permettre une économie substantielle de frais.

II. Questions à trancher en vertu de l’article 58 des Règles

[9]             Les questions à trancher en vertu de l’article 58 des Règles, telles qu’elles sont formulées par la requérante, sont les suivantes :

A. Cotisations arbitraires

i) Est-ce que la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (« LIR ») autorisait le représentant du ministre à émettre les Nouvelles Cotisations pour la Période, en refusant les dépenses et les CII réclamés par la Requérante au titre de RS&DE à l’égard des activités d’AAI, sans avoir au préalable examiné les faits se rapportant à la Requérante afin de déterminer son assujettissement à l’impôt et sans avoir fixé le montant de l’impôt payable en fonction d’une telle détermination?

Dans la négative, les Nouvelles Cotisations sont-elles invalides à l’égard des dépenses et CII refusés relativement aux activités d’AAI?

B. Cotisations en partie invalides

Est-ce que la LIR autorisait le ministre à émettre de « nouvelles cotisations » en dehors de la période normale de nouvelle cotisation (152(3.1)(a) de la LIR) à l’endroit de la Requérante le 19 avril 2013 et le 3 octobre 2013, respectivement, pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 2006 et le 31 octobre 2007 à l’égard d’éléments autres que ceux expressément énumérés aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la LIR dont plus spécifiquement ceux mentionné [sic] aux sous-alinéas 152(4)(a)(ii), 152(4)(b)(iii), 152(4.01)(a)(ii) et 152(4.01)(b)(iii) de la LIR?

Dans la négative, lesdites nouvelles cotisations sont-elles invalides à l’égard des éléments cotisés qui ne sont pas énumérés aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la LIR et plus précisément à l’égard des dépenses et CII refusés en totalité relativement aux activités d’AAI (pour les années d’imposition se terminant le 31 décembre 2006 et le 31 octobre 2007) et à l’égard du report des PAC de l’année d’imposition 2005 à l’année d’imposition se terminant le 31 octobre 2007?

[10]        La requête vise à obtenir :

1. Cotisations arbitraires

Une ordonnance déclarant invalides les nouvelles cotisations établies à l’endroit de la requérante pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 2006, le 31 octobre 2007 et pour la période de novembre et décembre 2007, eu égard aux dépenses de RS&DE et aux CII réclamés par la requérante au titre de RS&DE se rapportant aux activités d’AAI, lesquels ont été refusés de façon arbitraire par l’Agence du revenu du Canada (« ARC »).

2. Cotisations en partie invalides

Une ordonnance déclarant en partie invalides les nouvelles cotisations établies à l’endroit de la requérante les 19 avril 2013 et 3 octobre 2013 respectivement pour les années d’imposition se terminant le 31 décembre 2006 et le 31 octobre 2007 au motif qu’elles ont été établies en dehors de la période normale de cotisation.

[11]        Je vais d’abord examiner si la question relative aux cotisations arbitraires se prête à une détermination en vertu de l’article 58 des Règles.

III. Question 1 - Cotisations arbitraires

[12]        La requérante est une des sociétés partenaires d’AAI.

[13]        AAI fut constituée en 1989 afin de gérer et d’exploiter la production d’aluminium à Sept-Îles, Québec.

[14]        Durant les périodes en litige, AAI regroupait cinq partenaires : la requérante (40%), Aluminium Austria Metall (Quebec) Inc. (20%), Société en commandite Hydro Aluminium Canada (20%), Albecour Inc. (13.33%) et Marubeni Métaux & Minéraux (Canada) Inc. (6.67%).

[15]        AAI entreprend au nom de ses partenaires des travaux de RS&DE.

[16]        Selon l’entente intervenue entre les partenaires d’AAI, les intrants et l’aluminium produit par AAI demeurent la propriété des partenaires, selon la proportion de leur participation respective. Également aux termes de cette entente, les dépenses engagées par AAI relativement aux travaux de RS&DE et les CII sont réclamés par chacun des partenaires en fonction de la proportion de leur participation dans AAI.

[17]        Pour les périodes en litige, la requérante a réclamé des dépenses au titre de la RS&DE et des CII. Certaines de ses dépenses étaient attribuables à de la RS&DE que la requérante avait elle-même entreprise et certaines dépenses de RS&DE étaient attribuables aux activités de recherche exercées par AAI. Les cotisations en litige dans la requête ne visent que la RS&DE effectuée par AAI.

a)  Position de la requérante

[18]        La requérante fait valoir que la ministre, en établissant les nouvelles cotisations, n’a pas suivi la procédure énoncée au paragraphe 152(1) de la LIR, c’est-à-dire que la ministre n’a pas, avec diligence, examiné les déclarations de revenus, ni fixé l’impôt pour les périodes en litige, ni déterminé le montant à rembourser ou le montant payable.

[19]        La requérante fait valoir que, lors de l’établissement des nouvelles cotisations par la ministre, cette dernière n’avait pas entamé l’évaluation des travaux de RS&DE d’AAI.

[20]        La requérante s’appuie sur les faits suivants :

        Le 8 juillet 2011, le Bureau des services fiscaux (« BSF ») de Québec faisait parvenir à M. Nadeau, qui était la personne contact d’AAI auprès de l’ARC, une lettre l’informant que l’examen des années d’imposition 2006 à 2009 relativement aux activités de RS&DE d’AAI débuterait à l’automne 2011. Selon la requérante, cette lettre du 8 juillet 2011 du BSF de Québec, ainsi qu’un énoncé dans le même sens dans un T2020 de M. Fournier du BSF de Québec, confirme le début du processus d’examen et de vérification pour les exercices 2006, 2007, 2008 et 2009 quant aux travaux de RS&DE d’AAI.

        Le 14 juillet 2011, le BSF de Montréal établit à l’égard de la requérante pour l’année d’imposition 2006 une nouvelle cotisation qui accordait à la requérante une partie de ses propres dépenses de RS&DE, mais qui refusait en totalité les dépenses de RS&DE et les CII réclamés par la requérante à l’égard d’AAI.

        Le 22 septembre 2011, pour l’année d’imposition 2007, et le 10 novembre 2011, pour les mois de novembre et décembre 2007, le BSF de Montréal établissait des nouvelles cotisations refusant également les dépenses de RS&DE et les CII réclamés par la requérante à l’égard d’AAI.

[21]        Selon la requérante, le BSF de Montréal était responsable de son dossier fiscal; c’est ce bureau qui établissait les cotisations relatives à la requérante. Le BSF de Québec était responsable des dossiers fiscaux d’AAI et des autres partenaires d’AAI. Ainsi, la question de savoir si AAI avait entrepris de la RS&DE au sens de la LIR était examinée par le BSF de Québec. Selon la requérante, le BSF de Montréal n’a jamais été impliqué dans l’examen des projets de RS&DE d’AAI.

[22]        Selon la requérante, les nouvelles cotisations établies le 14 juillet 2011[2], le 22 septembre 2011[3] et le 10 novembre 2011[4] par le BSF de Montréal l’ont été avant que ne soit entamé l’examen des travaux de RS&DE d’AAI par le BSF de Québec pour les périodes en litige. À ce sujet, la requérante fait valoir que l’établissement des nouvelles cotisations par le BSF de Québec à l’égard des autres partenaires d’AAI a eu lieu durant les mois d’octobre et de novembre 2013.

[23]        Selon la requérante, l’examen des travaux d’AAI afin de déterminer si elle avait effectué de la RS&DE au sens de la LIR aurait commencé en 2012.

[24]        La requérante fait valoir qu’une cotisation doit résulter d’une procédure au moyen de laquelle l’impôt est évalué; le montant établi par une cotisation doit être représentatif du produit de cette évaluation[5].

[25]        Le produit résultant de l’évaluation ne peut être déterminé qu’à partir de faits vérifiés, complets, précis, exacts et énoncés de façon honnête et franche afin que le contribuable sache clairement ce qu’il devra prouver. Le contribuable a un droit fondamental de connaître les bases sur lesquelles repose une cotisation pour être en mesure de la contester valablement[6].

[26]        Par conséquent, la requérante fait valoir que les nouvelles cotisations lui refusant, relativement aux dépenses de RS&DE et aux CII d’AAI, la proportion correspondant à sa participation dans AAI constituent des cotisations arbitraires et invalides.

[27]        La requérante fait valoir que, dans l’éventualité où la Cour déciderait que les nouvelles cotisations ne sont pas valides, « plus de la majorité du temps » à être fixé pour l’audience sur les dossiers d’appel n’aurait plus sa raison d’être, puisque la requérante n’aurait plus à faire la preuve, entre autres, par témoins experts, que ces dépenses constituent des activités de RS&DE d’AAI.

[28]        La requérante soutient également que trancher cette question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou entraîner une économie substantielle de frais.

[29]        La requérante fait valoir qu’aucun fait essentiel n’est contesté puisqu’elle s’appuie sur des énoncés qui ressortent des interrogatoires préalables, du T2020 et d’autres documents émanant des agents de l’ARC, dont Mme Martin, conseillère financière en RS&DE (« CF ») du BSF de Montréal, M. Dufour, conseiller technique en RS&DE (« CTR ») du BSF de Québec et M. Fournier, CF au BSF de Québec.

b) Position de l’intimée

[30]        L’intimée fait valoir qu’une détermination en vertu de l’article 58 ne va pas abréger substantiellement l’instance et qu’il ne va pas en résulter une économie substantielle de frais puisque les listes de documents ont été échangées et les interrogatoires préalables ont déjà eu lieu.

[31]        Selon l’intimée, les mêmes personnes devront témoigner dans le cadre de la détermination en vertu de l’article 58 et devant le juge qui présidera l’instance au fond. Selon l’intimée, ce serait de faire les choses deux fois plutôt qu’une.

[32]        De plus, l’intimée fait valoir que la question quant aux cotisations arbitraires ne se prête pas à une détermination en vertu de l’article 58 puisque les faits essentiels entourant le processus d’établissement des nouvelles cotisations sont contestés.

[33]        L’intimée fait valoir que les décisions relatives à l’article 58 des Règles indiquent qu’il est préférable de soumettre les questions qui portent sur les faits essentiels au juge qui entendra la cause au fond. Selon l’intimée, la détermination en vertu de l’article 58 ne devrait jamais être substituée à une audience au fond lorsqu’il y a des faits essentiels à apprécier afin de trancher une question de droit.

[34]        Au paragraphe 18 de ses observations écrites, l’intimée fait valoir ce qui suit :

a)   [L]’utilisation du qualificatif « arbitraires » faite par la requérante à la Partie A de sa requête, pour décrire les cotisations, est contestée par l’intimée. À ce sujet, l’intimée entend démontrer que le refus des réclamations de dépenses de la requérante était fondé sur l’absence de pièces justificatives présentées par la requérante malgré les demandes répétées de l’ARC à cet égard.

b)   Au paragraphe 16 de l’affidavit A de Jocelyn Paradis, il est mentionné que c’est le 19 février 2010 que l’ARC a demandé à la requérante de lui fournir les pièces justificatives à l’appui des réclamations de dépenses de RS&DE pour la Période. L’intimée entend prouver que c’est le 10 février 2009 que l’ARC a formulé sa demande auprès de la requérante pour obtenir les pièces justificatives.

c)   L’ARC a décidé d’examiner les réclamations de dépenses de RS&DE de la requérante pour la Période au moment où elle examinait les réclamations de dépenses de RS&DE de la requérante pour les années d’imposition 2003 à 2005 pour établir la vocation de l’équipement (18 cuves).

d)   Avant l’établissement des cotisations en litige, l’ARC a demandé à plusieurs reprises à la requérante de fournir les pièces justificatives à l’appui de ses réclamations de RS&DE pour la Période.

e)   L’intimée entend prouver que la requérante a refusé de fournir les pièces justificatives à l’appui de ses réclamations de RS&DE pour la Période, car la production de documents dépendait des conclusions de l’ARC à l’égard des réclamations de dépenses de RS&DE de la requérante pour les années d’imposition 2003 à 2005.

c)  Analyse

[35]        De 2004 jusqu’à la modification en 2014, l’article 58 des Règles prévoyait ce qui suit :

58 (1) Une partie peut demander à la Cour,

a) soit de se prononcer, avant l’audience, sur une question de droit, une question de fait ou une question de droit et de fait soulevée dans une instance si la décision pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement l’audience ou résulter en une économie substantielle des frais;

b) soit de radier un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucun moyen raisonnable d’appel ou de contestation de l’appel,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence.

(2) Aucune preuve n’est admissible à l’égard d’une demande,

a) présentée en vertu de l’alinéa (1)a), sauf avec l’autorisation de la Cour ou le consentement des parties;

b) présentée en vertu de l’alinéa (1)b).

(3) L’intimée peut demander à la Cour le rejet d’un appel au motif que,

a) la Cour n’a pas compétence sur l’objet de l’appel;

b) une condition préalable pour interjeter appel n’a pas été satisfaite;

c) l’appelant n’a pas la capacité légale d’intenter ou de continuer l’instance,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence.

[Je souligne.]

[36]        La version actuelle de l’article 58 des Règles, et celle qui s’applique en l’espèce, prévoit :

58. (1) Sur requête d’une partie, la Cour peut rendre une ordonnance afin que soit tranchée avant l’audience une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure, ou une question sur l’admissibilité de tout élément de preuve.

(2) Lorsqu’une telle requête est présentée, la Cour peut rendre une ordonnance s’il appert que de trancher la question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou résulter en une économie substantielle de frais.

(3) L’ordonnance rendue en application du paragraphe (1) contient les renseignements suivants :

a) la question à trancher avant l’audience;

b) des directives relatives à la manière de trancher la question, y compris des directives sur la preuve à consigner, soit oralement ou par tout autre moyen, et sur la méthode de signification ou de dépôt des documents;

c) le délai pour la signification et le dépôt d’un mémoire comprenant un exposé concis des faits et du droit;

d) la date, l’heure et le lieu pour l’audience se rapportant à la question à trancher;

e) toute autre directive que la Cour estime appropriée.

[Je souligne.]

[37]        On constate que les paragraphes 58(1) et 58(2) de la version actuelle, par suite de la modification de 2014, sont comparables à l’alinéa 58(1)a) de la version de 2004.

[38]        On retrouve sensiblement les mêmes conditions pour que l’article 58 s’applique, bien que, dans la version actuelle, on ait ajouté les termes « s’il appert », c’est-à-dire : « que la Cour peut rendre une ordonnance s’il appert que de trancher la question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie ».

[39]        Les parties n’ayant pas plaidé ce changement, je ne déciderai pas en l’espèce si la version actuelle de l’article 58 est plus permissive que celle de 2004.

[40]        Cependant, il y a une différence au niveau de la preuve. En vertu de l’alinéa 58(2)a) de la version de 2004, aucune preuve n’était admissible à l’égard de la demande présentée en vertu de l’article 58, sauf avec l’autorisation de la Cour ou avec le consentement des parties. Le dépôt d’une preuve était une exception. À mon avis, ce langage était contraignant puisque la version de l’article 58 en vigueur en 2004 permettait que des questions purement de fait soient tranchées sous le régime de l’article 58[7].

[41]        En vertu de la version actuelle, le dépôt de la preuve n’est plus un obstacle, à la deuxième étape de l’article 58. Dans l’ordonnance rendue en vertu de l’article 58, la Cour donnera des directives relatives à la manière de trancher la question, y compris des directives sur la preuve à consigner, soit oralement ou par tout autre moyen, et sur la méthode de signification ou de dépôt des documents.

[42]        Il va sans dire qu’en analysant la jurisprudence je dois tenir compte de cette modification.

[43]        Pour l’application de l’article 58 des Règles, la requérante doit satisfaire aux conditions suivantes :

i) Établir que les questions de droit et de fait sont soulevées dans les actes de procédure;

ii) Établir que de trancher la question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou résulter en une économie substantielle de frais.

[44]        Je vais donc analyser chaque condition.

i) Les questions de droit et de fait sont soulevées dans les actes de procédure.

[45]        La première condition est remplie. Les questions de droit et de fait sont soulevées dans les actes de procédure.

[46]        En ce qui concerne la deuxième condition, il faut répondre à la question suivante :

ii) Est-ce que trancher les questions en vertu de l’article 58 aurait pour effet de régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou résulter en une économie substantielle de frais?

[47]        La requérante doit établir qu’elle satisfait à une de ces conditions énoncées au paragraphe 58(2) des Règles.

[48]        La requérante a plaidé qu’elle satisfaisait aux trois conditions du paragraphe 58(2) des Règles, alors qu’une condition suffit. Je vais examiner les trois conditions.

[49]        En l’espèce, la requérante a fait valoir que la réponse à la question 1 réglera en totalité ou en partie l’instance.

[50]        Je suis d’accord avec la requérante, que si la Cour décidait, à la deuxième étape de l’article 58, que les nouvelles cotisations sont valides ou invalides, la requérante ne pourrait débattre à nouveau la question de cotisation arbitraire devant le juge qui présidera l’instance, et ce, en vertu de la doctrine de la chose jugée. Une décision en vertu de l’article 58 des Règles réglera donc en totalité ou en partie l’instance. Je m’explique.

[51]        En l’espèce, à la deuxième étape de l’article 58, si la Cour décidait que les nouvelles cotisations établies par la ministre sont invalides, le juge qui présidera l’instance n’aurait pas à décider la question quant aux cotisations dites arbitraires, mais, de plus, il n’aurait pas à déterminer si AAI effectuait de la RS&DE au sens de la LIR. Ainsi, la décision à la deuxième étape de l’article 58 réglerait en totalité l’instance quant aux questions portant sur la RS&DE.

[52]        Cependant, si la Cour décidait, à la deuxième étape de l’article 58, que les nouvelles cotisations établies par la ministre sont valides, la requérante ne pourrait pas soulever devant le juge qui présidera l’instance la question 1, soit est-ce que les cotisations sont arbitraires? Cependant, la requérante devra prouver devant le juge qui présidera l’instance que les travaux effectués par AAI constituaient de la RS&DE au sens de la LIR. Ainsi, la décision à la deuxième étape de l’article 58 réglerait en partie l’instance.

[53]        La requérante fait valoir également que l’audience pourrait être substantiellement abrégée et qu’il en résulterait également une économie substantielle de frais.

[54]        Je suis d’accord avec la requérante. Si à la deuxième étape de l’article 58 la Cour décidait que les nouvelles cotisations ne sont pas valides, le juge présidant l’instance n’aurait pas à entendre les questions relatives à la RS&DE. Il va sans dire que cela abrégerait substantiellement l’instance. Les questions de RS&DE se rapportent à plusieurs projets d’AAI. De plus, tous les coûts associés au litige qui n’ont pas encore été engagés seraient évités, y compris les frais pour les témoins experts.

[55]        Cela étant dit, le juge a toujours un pouvoir discrétionnaire et peut décider, en s’appuyant sur d’autres motifs, que la question ne se prête pas à une détermination en vertu de l’article 58 des Règles[8].

[56]        L’intimée fait valoir que, bien que des questions de fait et de droit puissent être tranchées en vertu de l’article 58, la question de savoir si les cotisations sont arbitraires ne se prête pas à une telle décision, car il y a trop de considérations factuelles importantes qui entourent le processus de cotisation qui sont contestées. De plus, il faudrait faire entendre des témoins, et le juge présidant l’instance au fond aurait tous les éléments pertinents pour apprécier la preuve et décider du bien-fondé des réclamations de dépenses de la requérante.

[57]        L’intimée fait valoir qu’au moment de l’établissement des cotisations l’ARC avait demandé à plusieurs reprises à M. Nadeau d’AAI de fournir les pièces justificatives à l’appui des travaux effectués par AAI. L’ARC n’ayant reçu aucun document permettant de justifier les dépenses réclamées par la requérante, la ministre a établi les cotisations pour les périodes en litige.

[58]        En réponse à l’intimée, la requérante fait valoir que l’ARC n’a jamais demandé à la requérante de lui fournir des documents justifiant les dépenses de RS&DE à l’égard des travaux effectués par AAI. Elle fait valoir que toutes les demandes de documents ont été faites à AAI. Elle reconnaît, cependant, que M. Nadeau était la personne chargée de traiter des dossiers fiscaux d’AAI avec l’ARC. De plus, la requérante soutient que les demandes d’information qui ont été faites avant juillet 2010 se rapportaient toutes à la vérification des années d’imposition 2003 à 2005 et non pas aux vérifications relatives aux années d’imposition 2006 et 2007.

[59]        Ainsi, selon la requérante, l’ouverture de la vérification a eu lieu le 8 juillet 2011, et l’examen visant à déterminer si les travaux effectués par AAI constituaient de la RS&DE aurait été entamé en juillet 2012, alors que l’intimée prétend que les agents de l’ARC ont demandé que soient fournis des documents relatifs aux périodes en litige dès 2009.

[60]        Tel que l’a souligné l’intimée, cette Cour a déterminé dans plusieurs décisions qu’une question ne se prête pas à une détermination selon l’article 58 des Règles quand la question à déterminer porte sur des faits contestés. Ainsi, l’intimée prétend qu’une détermination selon l’article 58 dans le cas en l’espèce devrait être refusée puisque les faits entourant l’établissement des nouvelles cotisations sont contestés. Conséquemment, il n’y aurait pas d’économie et une détermination selon l’article 58 n’abrégerait pas l’audience.

[61]        J’ai analysé les décisions citées par l’intimée[9]. Dans ces décisions, les juges de cette Cour ont refusé une détermination en vertu de l’article 58 parce que les faits contestés étaient liés à des faits que le juge de l’instance devait déterminer de toute manière lors de l’audience ou que la question proposée était relative à des faits qui portaient sur le fond du litige.

[62]        Je suis cependant d’avis que tel n’est pas le cas en l’espèce. Les faits entourant l’établissement des nouvelles cotisations n’ont rien de commun avec la question de fond, soit celle de savoir si les activités d’AAI constituaient de la RS&DE. La question à trancher dans cette requête est d’ordre préliminaire.

[63]        De plus, il ressort également de certaines des décisions citées par l’intimée, que les juges ont refusé d’appliquer l’article 58, faute de preuve. Il est important de noter que ces décisions portent sur la version de 2004 où lors d’une demande en vertu de l’article 58, aucune preuve n’était admissible, sauf avec l’autorisation de la Cour ou avec le consentement des parties.

[64]        À la lecture de l’alinéa 58(3)b) de la version de 2014, il n’y a plus d’obstacles quant à la preuve. Le juge peut émettre des directives quant à la preuve à consigner, soit documentaire ou orale.

[65]        Dans Suncor Energy Inc. v The Queen[10], soit une décision qui porte sur la version actuelle de l’article 58, le juge Rossiter indique que l’existence d’un litige factuel n’est plus un obstacle absolu à une décision de faire droit à une demande, mais demeurera pertinente relativement à la question de savoir si la décision abrégera substantiellement l’audience ou s’il en résultera une économie substantielle de frais.

[66]        Ainsi, je suis d’avis que la seule question que la Cour doit se poser en vertu du paragraphe 58 (2) est la suivante : « est-ce qu’il appert que de trancher la question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou résulter en une économie substantielle de frais? »

[67]        Ce n’est pas parce que des faits sont contestés que l’article 58 ne s’applique pas. Cela étant dit, quand une question porte sur des faits qui sont contestés et que ces faits sous-tendent la question de droit, il est fort possible que les critères du paragraphe 58(2) ne seront pas remplis[11].

[68]        À la lumière de ces commentaires, je suis d’avis que la question en l’espèce se prête à une détermination sous le régime de l’article 58 des Règles. Je suis d’avis que la requérante a établi qu’elle satisfaisait aux conditions énoncées aux paragraphes 58(1) et 58(2) des Règles.

IV. Question 2 - Cotisations en partie invalides

[69]        Le 24 mars 2014, la requérante a déposé deux requêtes avec le consentement de l’intimée, demandant à cette Cour des directives afin de déterminer si la nouvelle cotisation en date du 19 avril 2013 pour l’année d’imposition 2006 et les nouvelles cotisations en date du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013 pour l’année d’imposition 2007 constituaient des nouvelles cotisations ou des cotisations supplémentaires.

[70]        Lors de l’audience de la requête, la requérante faisait valoir que les nouvelles cotisations étaient des cotisations supplémentaires, alors que l’intimée faisait valoir qu’elles étaient des nouvelles cotisations.

[71]        En date du 7 octobre 2014, le juge Favreau a décidé que la nouvelle cotisation du 19 avril 2013 pour l’année d’imposition 2006 et les nouvelles cotisations en date du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013 pour l’année d’imposition 2007 constituaient des nouvelles cotisations et non pas des cotisations supplémentaires.

[72]        Malgré que la nouvelle cotisation en date du 19 avril 2013 ait été établie par la ministre à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation, la requérante ne conteste pas l’autorité de la ministre à établir cette cotisation. La ministre avait l’autorité de refuser à la requérante la déduction relative à des pertes de sociétés étrangères affiliées en vertu du sous-alinéa 152(4)b)(iii) de la LIR.

[73]        Cependant, la requérante fait valoir que la cotisation du 19 avril 2013 n’est valide qu’à cet égard. Selon la requérante, la ministre n’avait pas l’autorité, en établissant la nouvelle cotisation du 19 avril 2013, de refuser également la totalité des dépenses de RS&DE et des CII réclamés par la requérante à l’égard des travaux d’AAI pour son année d’imposition 2006. Selon la requérante, aucune disposition de la LIR ne permettait à la ministre d’établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation à l’égard d’autres éléments que ceux visés par le sous-alinéa 152(4)b)(iii) de la LIR.

[74]        Quant à l’année d’imposition 2007, la requérante avait présenté à la ministre une renonciation en vertu du sous-alinéa 152(4)a)(ii) de la LIR. À cet effet, suite à une demande de la requérante pour des ajustements, des nouvelles cotisations en date du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013 ont été établies par la ministre à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation. Ces nouvelles cotisations ont eu pour effet de réduire l’impôt payable par la requérante.

[75]        La requérante fait valoir que la ministre avait l’autorité d’établir les nouvelles cotisations datées du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013, mais seulement à l’égard des éléments visés dans la renonciation.

[76]        La requérante fait valoir que la renonciation ne couvrait ni le report des frais de transaction relatifs au « spin-off » Novelis ni la RS&DE et les CII réclamés à l’égard d’AAI. Par conséquent, la requérante prétend que la ministre ne pouvait établir une nouvelle cotisation visant ces éléments. Elle fait donc valoir que les nouvelles cotisations du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013 pour son année d’imposition 2007 ne sont valides que pour les ajustements faits par la ministre dans le cadre de la renonciation et que, pour tous les autres éléments, ces nouvelles cotisations sont invalides.

[77]        Selon la requérante, le paragraphe 152(5) de la LIR ne donne pas ouverture à l’établissement de nouvelles cotisations après la période normale de nouvelle cotisation. De plus, selon la requérante, la ministre aurait pu établir des cotisations supplémentaires afin de se conformer au sous-alinéa 152(4)a)(ii) et à la restriction imposée par le sous-alinéa 152(4)b)(iii) de la LIR, mais elle a opté pour des nouvelles cotisations, tel qu’en fait foi l’ordonnance du juge Favreau.

[78]        De plus, la requérante soutient qu’elle ne peut pas être assujettie à deux cotisations, soit, en partie, la cotisation du 3 octobre 2013 et, en partie, la cotisation établie à l’intérieur de la période normale de nouvelle cotisation.

[79]        La requérante fait aussi valoir qu’une détermination en vertu de l’article 58 réglerait définitivement la question de la prescription, car elle ne pourrait pas être soulevée de nouveau devant le juge qui présidera l’audience. De plus, une économie substantielle de frais en résulterait, car la requérante n’aurait pas à aller de l’avant avec les questions de RS&DE et la question relative au report de frais de transaction pour les périodes en litige.

[80]        Pour sa part, l’intimée fait valoir qu’une détermination selon l’article 58 n’est pas nécessaire, car la question n’a aucun fondement juridique.

[81]        Selon l’intimée, la ministre ne pouvait pas établir une cotisation supplémentaire en 2006, car les nouvelles cotisations établissaient l’impôt payable pour l’année et non pas un impôt supplémentaire. Quant à l’année d’imposition 2007, la ministre ne pouvait établir une cotisation supplémentaire parce que la cotisation diminuait l’impôt payable de la requérante.

[82]        Selon l’intimée, une nouvelle cotisation établie à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation, notamment en vertu du sous-alinéa 152(4)a)(ii) de la LIR (renonciation) ou encore en vertu de l’alinéa 152(4)b)(iii) de la LIR (revenu étranger accumulé tiré de biens), n’annule pas les ajustements faits par la cotisation précédente établie dans la période normale de nouvelle cotisation.

[83]        L’intimée fait valoir que, si le raisonnement de la requérante était correct, toutes les fois que la ministre établit une cotisation qu’elle est autorisée à établir en vertu de la LIR après la période normale de nouvelle cotisation, un contribuable serait libéré de l’obligation de payer l’impôt qui avait été fixé par une cotisation établie à l’intérieur de la période normale de nouvelle cotisation. Selon l’intimée cette position est intenable.

[84]        À cet égard, l’intimée fait valoir que le paragraphe 152(5) de la LIR est clair. Selon ce paragraphe, il n’est pas permis d’ajouter, lors de l’établissement d’une nouvelle cotisation, notamment en vertu des sous-alinéas 152(4)a)(ii) ou 152(4)b)(iii) de la LIR, des montants se rapportant à des éléments qui n’étaient pas inclus dans les cotisations établies pendant la période normale de nouvelle cotisation. A contrario, il ressort de ce paragraphe que les montants se rapportant à des éléments ayant déjà été cotisés durant la période normale de nouvelle cotisation doivent être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable.

[85]        Selon l’intimée, le principe qu’elle fait valoir se reflète dans l’ordonnance du juge Favreau quand il écrit ce qui suit, au paragraphe 12 de ses motifs, en ce qui a trait à l’année d’imposition 2006, et aux paragraphes 20 à 22 de ses motifs, pour ce qui est de l’année d’imposition 2007 de la requérante :

2006

[12] Tel qu’indiqué au formulaire T7W-C, le point de départ de la nouvelle cotisation du 19 avril 2013 est le « revenu net aux fins de l’impôt antérieurement cotisé » au montant de 1 694 939 106 $, lequel montant comprenait les ajustements effectués par la cotisation précédente du 14 juillet 2011 pour l’année d’imposition 2006 de la requérante. Aucune modification n’a été apportée à ces ajustements.

2007

[20] En vertu de la nouvelle cotisation datée du 3 septembre 2013, le total de l’impôt fédéral à payer par la requérante en vertu de la Partie I de la Loi a été diminué de 5 492 114 $ par rapport au montant d’impôt à payer établi par la nouvelle cotisation datée du 11 mai 2012.

[21] En vertu de la nouvelle cotisation datée du 3 octobre 2013, le total de l’impôt fédéral à payer par la requérante en vertu de la Partie I de la Loi a été diminué d’un montant additionnel de 1 053 087 $ par rapport au montant d’impôt à payer établi par la nouvelle cotisation datée du 11 mai 2012.

[22] Suite à ces nouvelles cotisations datées du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013, l’impôt à payer sur le revenu en vertu de la Partie I de la Loi, est passé de 99 413 327 $ à 92 867 526 $, établi par la nouvelle cotisation datée du 11 mai 2012.

[86]        L’intimée fait valoir que ni le refus des dépenses de RS&DE à l’égard d’AAI ni le refus du report dans l’année d’imposition 2007 des pertes autres qu’en capital (« PAC ») subies par la requérante en 2005 relativement au « spin‑off » Novelis n’ont été visés par les nouvelles cotisations établies par la ministre à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation à la demande de la requérante, soit les nouvelles cotisations du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013. Les montants se rapportant aux dépenses de RS&DE à l’égard d’AAI et au refus du report de perte en 2007 ont été cotisés par la ministre durant la période normale de nouvelle cotisation.

[87]        De plus, l’intimée fait valoir que, si les cotisations du 19 avril 2013, du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013 étaient annulées en partie, les cotisations précédentes seraient rétablies. Ainsi, le montant payable demeurerait le même, soit le montant établi par la partie valide de la cotisation et le montant relatif à la cotisation précédente.

a) Analyse

[88]        Les parties m’ont donné plusieurs décisions à analyser portant sur la prescription. Cependant elles ont reconnu qu’il n’y avait aucune décision qui portait sur la question proposée par la requérante. Ainsi, je ne peux dire que la position juridique de la requérante n’a aucune chance raisonnable de succès. À mon avis, la question mérite d’être analysée à la deuxième étape de l’article 58, si elle rencontre les conditions prévues à l’article 58.

[89]        Quant aux conditions de l’article 58 des Règles, la prescription relative aux nouvelles cotisations a été soulevée dans les actes de procédure.

[90]        De plus, si la question relative à la prescription était tranchée sous le régime de l’article 58, la décision serait définitive en vertu de la doctrine de la chose jugée. Ainsi, la requérante ne pourrait pas soulever cette question devant le juge présidant l’instance.

[91]        Si les nouvelles cotisations étaient jugées invalides car prescrites, et que les cotisations précédentes ne s’appliquaient pas, je suis d’avis qu’il en résulterait une économie substantielle au niveau des frais et du temps. Les questions relatives aux travaux de RS&DE entrepris par AAI n’auraient pas à être entendues par le juge présidant l’instance. Tel que l’a fait valoir l’intimée, je ne peux présumer que la requérante fera témoigner des experts. Cela étant dit, la requérante, lors de sa plaidoirie, a évoqué l’économie substantielle de frais et de temps qui en résulterait si elle n’avait pas à faire témoigner des experts.

[92]        Somme toute, je suis d’accord avec la requérante qu’il serait malheureux de procéder à une instance qui porterait en même temps sur la question de nature préliminaire, soit celle de la prescription, et sur la question de fond, soit celle de la RS&DE, si la requérante obtenait gain de cause sur la question préliminaire.

[93]        Je suis d’avis que les conditions de l’article 58 des Règles sont satisfaites.

V. Conclusion

[94]        La requête est accueillie, les questions à trancher en vertu de l’article 58 des Règles seront les suivantes :

Question 1.

i) Est-ce que la LIR autorisait la ministre à établir les nouvelles cotisations pour les périodes en litige, en refusant les dépenses et les CII réclamés par RTA au titre de RS&DE à l’égard des activités d’AAI, sans avoir au préalable examiné les faits se rapportant à la requérante afin de déterminer son assujettissement à l’impôt et sans avoir fixé le montant de l’impôt payable en fonction d’une telle détermination?

ii) Dans la négative, les nouvelles cotisations sont-elles invalides à l’égard des dépenses et CII refusés relativement aux activités d’AAI?

Question 2.

i) Est-ce que la LIR autorisait la ministre à établir de nouvelles cotisations en dehors de la période normale de nouvelle cotisation à l’endroit de RTA le 19 avril 2013, le 3 septembre 2013 et le 3 octobre 2013, respectivement, pour ses années d’imposition se terminant le 31 décembre 2006 et le 31 octobre 2007 à l’égard d’éléments autres que ceux expressément énumérés aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la LIR, dont plus spécifiquement, ceux mentionnés aux sous-alinéas 152(4)a)(ii), 152(4)b)(iii), 152(4.01)a)(ii) et 152(4.01)b)(iii)?

ii) Dans la négative, lesdites nouvelles cotisations sont-elles invalides à l’égard des éléments qui ne sont pas énumérés aux paragraphes 152(4) et 152(4.01) de la LIR et, plus précisément, à l’égard des dépenses et CII refusés en totalité relativement aux activités d’AAI et à l’égard du report des pertes autres qu’en capital de l’année d’imposition 2005 à l’année d’imposition se terminant le 31 octobre 2007?

[95]        Les directives prévues à l’alinéa b) du paragraphe 58(3), soit celles concernant la preuve à consigner, seront données dans une ordonnance séparée, qui fixera également le délai pour la signification et le dépôt d’un mémoire, ainsi que la date, l’heure et le lieu pour l’audience sur la question à trancher.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de février 2016.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 31

Nº DES DOSSIERS DE LA COUR :

2012-1020(IT)G

2012-1921(IT)G

2012-4808(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

RIO TINTO ALCAN INC. c LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2015

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 4 février 2016

COMPARUTIONS :

Avocat de la requérante :

Me Yves St-Cyr

Avocates de l’intimée :

Me Nathalie Labbé

Me Susan Shaughnessy

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour la requérante :

Nom :

Me Yves St-Cyr

Cabinet :

Dentons Canada S.E.N.C.R.L.

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           2014 CCI 288.

[2]               Pour l’année d’imposition 2006.

[3]               Pour l’année d’imposition 2007.

[4]               Pour les mois de novembre et décembre 2007.

[5]           Paragraphe 5 de la requête de la requérante, sous la rubrique « cotisations arbitraires ».

[6]           Paragraphe 6 de la requête de la requérante, sous la rubrique « cotisations arbitraires ».

[7]         Il faut se rappeler que la version de 1990 ne permettait pas des questions de fait, mais permettait seulement des questions de droit. Selon cette version de 1990, une partie pouvait demander à la Cour qu’une preuve soit déposée.

[8]           Perera c Canada, [1998] 3 CF 381.

[9]           Ces décisions portent sur la version de 2004 de l’article 58 des Règles.

[10]          2015 TCC 210.

[11]          La Cour pourrait tout de même utiliser sa discrétion et conclure que la question proposée ne se prête pas à une détermination selon l’article 58 des Règles.

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