Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2013-2175(IT)G

ENTRE :

IVAN CASSELL LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 15 octobre 2015, à Corner Brook (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

Devant : L'honorable juge John R. Owen


Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Me Megan Seto

Avocate de l'intimée :

Me Melanie Petrunia

 

JUGEMENT

  Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, l'appel interjeté à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement aux années d'imposition 2008, 2009 et 2010, au moyen d'avis du 7 mai 2013 et du 3 juin 2011, est rejeté avec dépens à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2016.

« J. R. Owen »

Le juge Owen


Référence : 2016 CCI 53

Date : 20160303

Dossier : 2013-2175(IT)G

ENTRE :

IVAN CASSELL LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Owen

I. Introduction

[1]  Ivan Cassell Limited (« ICL ») interjette appel de nouvelles cotisations établies à l'égard des années d'imposition 2008, 2009 et 2010 [1] au moyen d'avis de nouvelle cotisation du 7 mai 2013 pour les années 2008 et 2009 et du 3 juin 2011 pour l'année 2010 (collectivement, les « nouvelles cotisations »). Au cours de ces trois années d'imposition (collectivement, les « années d'imposition »), M. Ivan Cassell a fourni des services à Western Petroleum Newfoundland Limited (« WPNL ») à titre de président d'ICL.

[2]  Dans les nouvelles cotisations, les demandes de déduction accordée aux petites entreprises en vertu du paragraphe 125(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR ») d'ICL ont été refusées, et la déduction de certaines dépenses engagées par ICL a également été refusée en application de l'alinéa 18(1)p) de la LIR, et ce, au motif que l'entreprise d'ICL, soit la prestation de services à WPNL, constituait une « entreprise de prestation de services personnels » (une « EPSP ») au sens du paragraphe 125(7) de la LIR.

[3]  ICL reconnaît que M. Cassell était un employé constitué en société et un actionnaire déterminé d'ICL pour l'application de la définition du terme « EPSP » et que les exceptions énoncées aux alinéas c) et d) de la définition ne s'appliquent pas. La seule question en litige dans le présent appel est de savoir s'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un cadre ou un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL.

II. Les faits

[4]  Monsieur Ivan Cassell a témoigné pour le compte d'ICL. L'intimée n'a fait appel à aucun témoin.

[5]  Les antécédents de M. Cassell touchent principalement le commerce au détail du pétrole et du gaz [2] . Au cours des années 1970 et au début des années 1980, il a travaillé notamment pour de grandes sociétés pétrolières et gazières, pour lesquelles il était habituellement responsable des relations avec des agents indépendants qui vendaient leurs produits au détail.

[6]  Monsieur Cassell a constitué ICL en société en août 1983 afin d'exploiter un commerce de vente de mazout de chauffage pour la Compagnie pétrolière Impériale. M. Cassell détient 75 % d'ICL, et sa conjointe et sa fille détiennent le reste. Après avoir exploité ce commerce pendant quelques années par l'entremise d'ICL, M. Cassell est allé travailler pour Ultramar pendant environ six ans en tant que superviseur. À ce titre, il était responsable des agents indépendants de vente au détail d'Ultramar situés sur la côte ouest de Terre‑Neuve et au sud du Labrador.

[7]  En 1990, M. Cassell a quitté son emploi chez Ultramar. À cette époque, Ultramar rationalisait ses activités au détail et proposait la vente de régions de vente au détail à l'extérieur des grands centres urbains à Terre‑Neuve. ICL a acquis une de ces régions en 1990. À partir de cette date, M. Cassell a concentré ses efforts sur la croissance du commerce au détail de pétrole et de gaz d'ICL, en grande partie grâce à l'acquisition par la société de postes d'essence dans les régions que les grandes sociétés pétrolières quittaient. De 1990 à 2005, les activités de commerce au détail de pétrole et de gaz d'ICL étaient exploitées sous le nom commercial Western Petroleum.

[8]  WPNL a été constituée en société en 2005. Les actionnaires directs de WPNL sont deux autres sociétés, qui détiennent chacune 50 % des actions ordinaires et 50 % des actions privilégiées émises de WPNL. Une des actionnaires de WPNL est Cassell Holdings Ltd. Les actions ordinaires émises de cette société sont détenues par la Cassell Family Trust (2005) et les actions privilégiées sont détenues à 50 % par ICL et à 50 % par la conjointe de M. Cassell. L'autre société actionnaire de WPNL appartient à des personnes sans lien de dépendance avec ICL et M. Cassell.

[9]  En 2005, ICL a transféré l'entreprise Western Petroleum à WPNL. WPNL a continué d'accroître l'entreprise Western Petroleum et, de 2005 à 2010, la société a étendu sa présence de la côte ouest de Terre‑Neuve à l'ensemble de l'île. M. Cassell a estimé qu'au cours des années d'imposition en cause, WPNL comptait de 50 à 67 employés, selon la période de l'année. M. Cassell a affirmé qu'ICL remplissait essentiellement les mêmes fonctions pour WPNL après le transfert de l'entreprise Western Petroleum à WPNL que celles qu'il remplissait en tant qu'employé d'ICL avant le transfert de l'entreprise [3] .

[10]  Monsieur Cassell était le président et l'un des administrateurs de WPNL pendant les années d'imposition. Durant cette période, le vice‑président de WPNL était M. Luke Reynolds, également administrateur de WPNL. M. Reynolds a ultérieurement accepté une prime et a pris sa retraite. Le siège social de WPNL se trouvait à Stephenville, à Terre‑Neuve.

[11]  Monsieur Cassell a indiqué qu'il n'avait pas de tâches précises à WPNL en tant que président et administrateur de WPNL. De plus, il ne touchait aucune rémunération de WPNL, n'avait de bureau dans aucun des emplacements de WPNL et ne se présentait pas comme dirigeant ou administrateur de WPNL dans ses contacts avec d'autres personnes. M. Cassell a tout de même signé des documents à titre d'administrateur de WPNL.

[12]  Monsieur Cassell a personnellement fourni des services de gestion à WPNL en sa qualité de président d'ICL. Selon M. Cassell, ICL n'a pas reçu de directive particulière de WPNL à l'égard de ces services. Habituellement, M. Cassell se réunissait chaque semaine avec M. Reynolds afin de décider de la direction de WPNL pour la semaine suivante. Lors du contre‑interrogatoire, M. Cassell a affirmé que [TRADUCTION] « tout ce que nous faisions au nom de WPNL faisait l'objet d'une consultation entre Luke Reynolds et moi‑même » [4] .

[13]  Monsieur Cassell utilisait une voiture ou une camionnette appartenant à WPNL. Ces véhicules étaient également mis à la disposition des employés de WPNL. Lorsque M. Cassell se rendait au siège social de WPNL, il travaillait à une table de fortune constituée d'un ordinateur placé sur des boîtes de documents.

[14]  Monsieur Cassell avait un bureau à son domicile de Steady Brook (Terre‑Neuve), soit à environ 90 km du siège social de WPNL, à Stephenville. Il y rédigeait des lettres et recevait des télécopies et des courriels. Toutes les lettres de WPNL étaient sur le papier à en‑tête de WPNL et toutes les lettres d'ICL étaient sur le papier à en‑tête d'ICL.

[15]  Monsieur Cassell a déclaré qu'après le transfert de l'entreprise Western Petroleum à WPNL, ICL offrait des services de [TRADUCTION] « gestion » à WPNL en vertu d'une entente orale. Lors du contre‑interrogatoire, M. Cassell a convenu que ces services étaient [TRADUCTION] « la participation aux négociations, les opérations bancaires, la négociation de contrats et les relations avec les fournisseurs » [5] . M. Cassell devait se déplacer pour rencontrer les fournisseurs.

[16]  Une entente écrite a supplanté l'entente orale entre ICL et WPNL à un moment donné après 2010. Une copie de cette entente écrite a été déposée en preuve par ICL en tant que pièce A‑1. M. Cassell a fait savoir que l'entente orale qui a précédé la signature de l'entente écrite [TRADUCTION] « était essentiellement la même que cette entente écrite » [6] . L'entente indiquait avoir été signée le [TRADUCTION] « 1er jour de février 2005 ». Lors du contre‑interrogatoire, M. Cassell a reconnu que l'entente avait été préparée après 2010, mais il a ajouté que cette entente [TRADUCTION] « devait être antidatée à cette date » [7] .

[17]  WPNL versait des honoraires mensuels à ICL pour les services de M. Cassell. Au cours de l'année d'imposition 2008 d'ICL, ces honoraires mensuels se chiffraient à 20 000 $. Au cours des années d'imposition 2009 et 2010 d'ICL, ces honoraires mensuels se chiffraient à 30 000 $. De plus, WPNL a versé à ICL des sommes supplémentaires de 400 763 $ en 2008, de 460 310 $ en 2009 et de 536 737 $ en 2010. M. Cassell a décrit ces paiements forfaitaires supplémentaires comme des [TRADUCTION] « primes au résultat » versées uniquement lorsque WPNL avait connu une bonne année et si ces paiements ne violaient pas les engagements pris par WPNL envers sa banque [8] .

[18]  Au cours des trois années d'imposition, ICL a eu des frais de bureau de 2 517 $, de 0 $ et de 121 $, et a versé des honoraires professionnels de 800 $, de 4 797 $ et de 12 641 $. ICL a également versé à la conjointe de M. Cassell une rémunération de 60 000 $, de 62 000 $ et de 125 000 $.

[19]  Lors du contre‑interrogatoire, M. Cassell a reconnu que l'entente écrite (pièce A‑1) prévoyait le versement d'honoraires mensuels, mais pas d'une [TRADUCTION] « prime au résultat ». De plus, bien que l'entente écrite exigeât qu'ICL envoie une facture mensuelle à WPNL, ICL n'a en fait envoyé aucune facture à WPNL en ce qui a trait aux services fournis au cours des années d'imposition. Il est ressorti du témoignage de M. Cassell que la question de la nécessité des factures avait été soulevée par un vérificateur de l'Agence du revenu du Canada après 2010.

[20]  Monsieur Cassell a affirmé que selon ses souvenirs, à un moment donné en 2008 ou en 2009, WPNL n'avait pas versé la [TRADUCTION] « prime au résultat » à ICL en raison des engagements pris par WPNL envers sa banque [9] . Il a également indiqué que ces engagements n'avaient aucune incidence sur les primes versées aux cadres de WPNL, tels que le directeur de l'exploitation et le directeur des ventes. Lors du contre‑interrogatoire, M. Cassell n'était pas en mesure d'indiquer l'année ou les années précises de non‑paiement. Il a toutefois reconnu que WPNL avait versé à ICL un montant total de 640 763 $ au cours de l'année d'imposition 2008 d'ICL et de 820 310 $ au cours de l'année d'imposition 2009 d'ICL, et que ces montants comprenaient les honoraires mensuels payables pour ces années ainsi que des primes au résultat de 400 763 $ et de 460 310 $ [10] .

[21]  Dans son témoignage, M. Cassell a dit qu'ICL avait aussi donné des services de gestion et de conseils à une société dénommée West Coast Excavating Limited (« WCEL »), dont il était président. Il a décrit WCEL comme une entreprise de travaux qui effectue des travaux municipaux et qui fait des travaux de sable et de gravier. Lors du contre‑interrogatoire, M. Cassell a reconnu qu'il ne recevait aucune rémunération de WCEL en sa qualité de président de cette société. En ce qui concerne les services de conseils offerts par ICL, M. Cassell a reconnu qu'il n'y avait aucune entente écrite entre ICL et WCEL et qu'ICL n'envoyait pas de facture à WCEL pour ses services. Il a également reconnu qu'il n'y avait aucune distinction formelle entre sa nomination à titre de président de WCEL et l'embauche d'ICL comme société de conseils en gestion par WCEL.

[22]  Tout au long des années d'imposition, ICL détenait six immeubles commerciaux qui étaient loués à des parties sans lien de dépendance. La pièce A‑2 contient des copies de quatre baux qui, d'après M. Cassell, étaient liés à quatre de ces immeubles. Deux immeubles étaient loués par ICL en tant que postes d'essence, restaurants et dépanneurs, un immeuble était loué par ICL en tant que poste d'essence et dépanneur, et le quatrième immeuble était loué par ICL en tant que salon funéraire. En plus de ces immeubles, M. Cassell a affirmé qu'il y avait deux autres immeubles loués en tant que postes d'essence et dépanneurs. Les six immeubles se situaient dans les environs de Crabbes River, de Stephenville, de Deer Lake, de Springdale, de Roddickton et de Corner Brook, à Terre‑Neuve.

[23]  Monsieur Cassell a affirmé que les immeubles loués demandaient peu d'entretien, mais qu'ils exigeaient l'attention d'ICL environ toutes les six semaines ou tous les trois mois, [TRADUCTION] « s'il n'y avait aucun problème », par exemple, lorsqu'une pompe à essence avait besoin de réparation. De plus, un représentant d'ICL se rendait à chaque immeuble deux ou trois fois par année. Tous les immeubles sauf un se trouvaient à moins de deux heures de route de Steady Brook. Le sixième immeuble était beaucoup plus loin. Les courriels et la correspondance au sujet des six immeubles étaient envoyés du bureau à domicile de M. Cassell, à Steady Brook.

[24]  Lors du contre‑interrogatoire, M. Cassell a reconnu que certains des immeubles d'ICL généraient un revenu pour WPNL et que certains des locataires de ces immeubles ne payaient pas le loyer dû à ICL. Toutefois, ICL n'a pas poursuivi les locataires en défaut, puisque ces immeubles généraient des revenus pour WPNL. Lors du réinterrogatoire, M. Cassell a expliqué que les règlements provinciaux limitaient les marges de profit des exploitants de postes d'essence et qu'il était préférable pour ICL de renoncer au loyer en faveur de frais de gestion possiblement plus élevés plutôt que d'amener le locataire à fermer ses portes en exigeant le paiement du loyer. Il a également affirmé que certains locataires en défaut avaient fait l'objet de poursuites pour le loyer, et que la décision de poursuivre ou non un locataire en défaut était prise au cas par cas.

A. La thèse de l'appelante

[25]  L'appelante soutient qu'il ne serait pas raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un cadre ou un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL. M. Cassell ne pourrait pas être cadre, car les définitions des termes « charge » et « cadre » dans la LIR, prises ensemble, exigent que M. Cassell ait droit à un traitement ou à une rémunération fixe ou vérifiable pour être cadre. L'appelante soutient que M. Cassell n'a pas ce droit et qu'en l'absence d'ICL, il n'aurait droit à aucun traitement ni à aucune rémunération fixe.

[26]  En ce qui concerne la question de savoir si M. Cassell serait considéré comme un employé, l'appelante fait valoir que les facteurs énoncés dans la décision Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) (Wiebe Door Services), et confirmés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 59 (Sagaz Industries), s'appliquent. L'appelante précise que ces facteurs sont le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les possibilités de profit et les risques de perte. L'appelante soutient que, lorsque ces facteurs sont appliqués aux faits, il est clair que M. Cassell n'aurait pas été un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL. Plus précisément, M. Cassell n'était pas assujetti au contrôle de WPNL dans son travail; il travaillait de son bureau à domicile et il n'avait pas de bureau fourni par WPNL; ICL pouvait profiter de la prestation de services à WPNL en étant efficace. En ce qui concerne les risques de perte, l'appelante a invoqué le témoignage de M. Cassell au sujet du défaut de WPNL de payer ICL.

B. La thèse de l'intimée

[27]  L'intimée soutient que, dans un cas comme l'espèce, les facteurs énoncés dans Wiebe Door Services doivent être abordés avec prudence et il importe d'examiner la totalité des circonstances. Si on le fait, il est clair que M. Cassell aurait été un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL. Plus précisément, l'intimée a fait remarquer que, lors du contre‑interrogatoire, M. Cassell a admis que WPNL ne faisait aucune distinction entre le rôle de M. Cassell en tant que président et son rôle en tant que fournisseur de services au nom d'ICL. L'intimée a soutenu qu'en raison de la décision W. B. Pletch Company Limited c. La Reine, 2005 CCI 400 (Pletch), du juge Hershfield, le fait de ne pas faire de distinction entre les rôles de M. Cassell en tant que président de WPNL et en tant que fournisseur de services d'ICL a porté un coup fatal à la cause de l'appelante.

[28]  L'intimée a fait valoir que, même si l'on applique les facteurs énoncés dans Wiebe Door Services, la conclusion est toujours qu'ICL était une EPSP au cours des années d'imposition. En ce qui concerne le degré de contrôle, l'intimée invoque l'exigence de l'entente de services écrite voulant qu'ICL effectue les services à la satisfaction de WPNL ainsi que les réunions hebdomadaires entre MM. Cassell et Reynolds au cours desquelles on décidait de la direction à suivre pour la semaine suivante. L'intimée soutient également que, comme l'a indiqué la juge V. Miller dans la décision 1166787 Ontario Limited c. La Reine, 2008 CCI 93 (1166787), on s'attend peu à ce que les services de gestion fournis par un professionnel de haut niveau soient étroitement supervisés.

[29]  L'intimée fait valoir que la propriété des instruments de travail n'est pas particulièrement pertinente, en raison de la nature des services fournis. Toutefois, la fourniture d'une voiture est conforme au statut d'employé. En ce qui concerne les risques de perte, l'intimée soutient qu'il y avait très peu de risques de perte étant donné qu'ICL avait le droit d'être indemnisée pour certaines dépenses. Pour ce qui est de la possibilité de profit, les honoraires mensuels et la prime annuelle payables à ICL sont semblables à l'entente dans la décision 1166787, dans laquelle la juge V. Miller a décrit la structure de paiement comme n'ayant « rien à voir avec les risques de perte et les chances de profit du propriétaire d'une entreprise ». L'intimée fait également valoir que l'absence d'investissement (mis à part le temps consacré) et de promotion démontre un risque entrepreneurial minime, ce risque étant seulement l'échec possible de WPNL.

III. Analyse

[30]  Il s'agit en l'espèce de savoir si l'entreprise de prestation de services de gestion d'ICL à WPNL constitue une « entreprise de prestation de services personnels » ou « EPSP ». Si tel est le cas, le revenu tiré de cette entreprise ne donne pas droit à la déduction accordée aux petites entreprises prévue au paragraphe 125(1) de la LIR, et les dépenses engagées en vue de tirer un revenu de l'entreprise sont assujetties aux restrictions énoncées à l'alinéa 18(1)p) de la LIR.

[31]  La définition du terme « entreprise de prestation de services personnels » au paragraphe 125(7) se lit :

« entreprise de prestation de services personnels » S'agissant d'une entreprise de prestation de services personnels exploitée par une société au cours d'une année d'imposition, entreprise de fourniture de services dans les cas où :

a) soit un particulier qui fournit des services pour le compte de la société — appelé « employé constitué en société » à la présente définition et à l'alinéa 18(1)p);

b) soit une personne liée à l'employé constitué en société,

est un actionnaire déterminé de la société, et où il serait raisonnable de considérer l'employé constitué en société comme étant un cadre ou un employé de la personne ou de la société de personnes à laquelle les services sont fournis, si ce n'était de l'existence de la société, à moins :

c) soit que la société n'emploie dans l'entreprise tout au long de l'année plus de cinq employés à temps plein;

d) soit que le montant payé ou payable à la société au cours de l'année pour les services ne soit reçu ou à recevoir par celle‑ci d'une société à laquelle elle était associée au cours de l'année.

[32]  ICL reconnaît que M. Cassell est un « employé constitué en société » et un « actionnaire déterminé » d'ICL pour l'application de la définition du terme « EPSP » et que les exceptions énoncées aux alinéas c) et d) de la définition ne s'appliquent pas. ICL nie qu'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un cadre ou un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL.

[33]  La définition du terme « EPSP » a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Dynamic Industries Ltd. c. La Reine, 2005 CAF 211 (Dynamic Industries). En ce qui concerne l'historique des dispositions pertinentes de la LIR, la juge Sharlow a fait remarquer ce qui suit (aux paragraphes 39 et 44) :

Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux entreprises de prestation de services personnels ont été adoptées pour refuser certains avantages fiscaux que l'on peut obtenir en fournissant des services par l'intermédiaire d'une société plutôt que personnellement. Ces dispositions visent surtout une situation semblable à celle de l'affaire Sazio c. Ministre du revenu national [...]

Grâce au rejet du critère de l'objet commercial, il semblait plus facile de fournir pour une personne des services par l'intermédiaire d'un modèle de type Sazio, plutôt que personnellement, et d'ainsi obtenir les avantages fiscaux afférents. Le gouvernement estimait toujours que ce résultat n'était pas raisonnable. L'adoption de la définition d'« entreprise de prestation de services personnels » et les dispositions connexes tel l'alinéa 18(1)p) visaient à refuser, en partie, les avantages fiscaux découlant de ce type d'arrangements. [...]

[34]  La juge Sharlow a ajouté que la question que soulève la définition — en l'espèce, celle de savoir s'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un cadre ou un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL — nécessitait un examen des décisions Wiebe Door Services et Sagaz Industries (au paragraphe 50) :

La présente affaire nécessite un examen de la décision Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553, [1986] 2 C.T.C. 200, 87 D.T.C. 5025 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, les arrêts de principe portant sur la question centrale de savoir si un individu fournit des services à titre d'employé ou d'entrepreneur travaillant à son compte (ce que j'appellerai la « question Sagaz » (Sagaz, paragraphe 47)). Les facteurs à prendre en considération pour répondre à la question Sagaz dépendent des particularités de l'affaire, mais normalement il faut se demander si l'employeur exerce un contrôle sur les activités du travailleur, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

[35]  Par souci d'exhaustivité, j'ajouterais aux deux arrêts mentionnés par la juge Sharlow la décision ultérieure rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Ministre du Revenu national, 2013 CAF 85 (Connor Homes).

[36]  Dans l'arrêt Sagaz Industries, il était question de savoir si la responsabilité du fait d'autrui de Sagaz Industries était engagée en raison du système de pots‑de‑vin établi par son consultant. Dans ces circonstances, il fallait déterminer si le consultant était un employé de Sagaz Industries ou un entrepreneur indépendant.

[37]  Dans son examen de la question, le juge Major a d'abord décrit les raisons de politique générale pour que Sagaz Industries soit responsable des actes d'un employé, mais non des actes d'un entrepreneur indépendant :

[...] La responsabilité du fait d'autrui est équitable en principe parce qu'une entreprise doit assumer elle-même les risques qu'elle entraîne. Il n'est donc pas logique d'imputer à un employeur la responsabilité des actes accomplis par un entrepreneur indépendant qui, par définition, exploite une entreprise pour son propre compte. En outre, l'employeur n'exerce pas sur un entrepreneur indépendant le même contrôle que sur un employé et n'est pas, de ce fait, en mesure de réduire les accidents et les fautes intentionnelles au moyen d'une organisation et d'une supervision efficaces. Toutes ces considérations de politique générale se rattachent à la capacité de l'employeur de contrôler les activités de l'employé, une dimension qui est généralement inexistante ou insuffisante dans le cas d'un entrepreneur indépendant. [...] Le contrôle n'est toutefois pas le seul facteur à considérer pour décider si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. Pour les raisons exposées plus loin, l'application de ce seul facteur risque d'induire en erreur, et il y a lieu de tenir compte d'autres facteurs pour en décider [11] .

[38]  Il convient de souligner que, même si le juge Major a indiqué que le contrôle était une raison de politique générale importante pour qu'un employeur soit responsable du fait de son employé, il n'a pas conclu que le contrôle était l'unique fondement pour décider si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. En fait, il a fait remarquer que « l'application de ce seul facteur risque d'induire en erreur ». C'est particulièrement vrai dans le cas de services fournis par un professionnel ou par un propriétaire ou un cadre supérieur de l'entreprise qui reçoit les services.

[39]  Le juge Major a ensuite entrepris un examen détaillé de la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant. Il a commencé par faire remarquer que, dans Wiebe Door Services, qu'il cite et approuve à maintes reprises dans son examen de la question, le juge MacGuigan avait rigoureusement examiné la jurisprudence pertinente. Dans son examen, le juge MacGuigan avait présenté les divers critères qui avaient été adoptés par les cours depuis le milieu du XIXe siècle : le critère du contrôle, le critère de l'entreprise, le critère de l'organisation et le critère du risque de l'entreprise. En fin de compte, cependant, en s'appuyant sur l'analyse du juge MacGuigan, le juge Major a conclu qu'il n'existait aucun critère universel :

À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Lord Denning a affirmé, dans l'arrêt Stevenson Jordan, précité, qu'il peut être impossible d'établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [TRADUCTION] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d'apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416). Je partage en outre l'opinion du juge MacGuigan lorsqu'il affirme — en citant Atiyah, op. cit., p. 38, dans l'arrêt Wiebe Door, p. 563 — qu'il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

[TRADUCTION] [N]ous doutons fortement qu'il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d'identifier les contrats de louage de services [...] La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui‑même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches [12] . [Non souligné dans l'original.]

[40]  Plus récemment, dans Connor Homes, la Cour d'appel fédérale a réaffirmé l'approche appropriée lors de l'analyse du critère de l'employé ou de l'entrepreneur indépendant, tout en abordant le rôle que joue l'intention commune :

La question fondamentale à laquelle il faut répondre pour déterminer si une personne donnée travaille comme employé ou comme entrepreneur indépendant est trompeusement simple : il s'agit de savoir si elle assure les services en question en tant que personne travaillant à son compte [...]

Le juge MacGuigan a reformulé le critère de l'intégration en précisant qu'il ne jouait que du point de vue du travailleur, et il en a considérablement limité l'utilisation. Chose importante, cependant, le juge MacGuigan a consacré le principe que, s'il n'existe pas de critères particuliers propres à trancher la question, « il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles » (Wiebe Door, page 563). Il a conclu qu'il n'y a en fait qu'un seul critère : « Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé ci‑dessus “l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations”, et ce, même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés » (ibid., page 562). Essentiellement, il s'agit de répondre à la question « À qui appartient l'entreprise? » (ibid, page 563).

Le juge Major, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sagaz, a approuvé la démarche proposée par le juge MacGuigan par l'arrêt Wiebe Door, ajoutant que « [l]a question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte » (Sagaz, paragraphe 47). Aux fins de décider cette question, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et aucune formule fixe n'est applicable. Les facteurs à prendre en considération peuvent donc varier selon les faits de l'espèce, et la liste doit en rester ouverte. Néanmoins, certains facteurs sont habituellement pertinents, à savoir le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit son propre outillage, s'il engage lui‑même ses assistants, s'il gère et assume des risques financiers, et s'il peut escompter un profit de l'exécution de ses tâches.

[...]

La question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour assurer les services le fait, concrètement, en tant que personne travaillant à son compte. Comme l'expliquent aussi bien les arrêts Wiebe Door que Sagaz, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et il n'y a pas de formule fixe qu'on puisse appliquer, dans l'examen qui permet de répondre à cette question. Les facteurs à prendre en considération varient donc selon les faits de l'espèce. Néanmoins, les facteurs que spécifient les arrêts Wiebe Door et Sagaz sont habituellement pertinents, ces facteurs étant le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit lui‑même son outillage, engage ses assistants, gère et assume des risques financiers, et peut escompter un profit de l'exécution de ses tâches [13] .

[41]  En ce qui concerne l'intention commune, la Cour a dit que :

[...] Royal Winnipeg Ballet enseigne que le premier point à prendre en considération est celui de savoir s'il y a chez les parties une entente ou une intention commune touchant leur relation. Lorsque l'on constate une telle intention commune, qu'elle soit d'établir une relation de client à entrepreneur indépendant ou d'employeur à employé, il convient d'appliquer le critère consacré par la jurisprudence Wiebe Door en examinant les facteurs voulus à la lumière de cette intention afin d'établir si, tout bien pesé, les faits pertinents cadrent avec celle‑ci et la confirment. [...]

[...] la démarche consacrée par la jurisprudence Royal Winnipeg Ballet, bien comprise, met tout simplement l'accent sur le principe notoire selon lequel toute personne a le droit d'organiser ses affaires et ses relations comme bon lui semble. Les rapports des parties à un contrat sont généralement régis par lui. Les parties peuvent donc fixer dans leur contrat leurs obligations et responsabilités respectives, les modalités de la rémunération des services à fournir et toutes sortes d'autres aspects de leurs rapports. Cependant, l'effet juridique ainsi produit, c'est‑à‑dire l'effet juridique du contrat en tant que celui‑ci crée une relation d'employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant, n'est pas une question que les parties peuvent décider par une simple stipulation. Autrement dit, il ne suffit pas d'énoncer dans le contrat que le travailleur assure ses services en tant qu'entrepreneur indépendant pour que ce soit effectivement le cas [14] .

[42]  Je vais d'abord examiner le rôle de l'intention commune lors de l'application de la définition du terme « EPSP ». Comme l'a fait remarquer le juge Mainville dans l'arrêt Connor Homes, l'importance d'une entente ou d'une intention commune est fondée sur le principe selon lequel toute partie a le droit d'organiser ses affaires et ses relations comme bon lui semble. Il est important d'ajouter, toutefois, que l'entente ou l'intention commune est seulement pertinente lors de l'analyse si les parties ont conclu une entente (écrite ou orale) entre elles [15] . En l'espèce, l'entente pertinente a été conclue entre ICL et WPNL. Dans de telles circonstances, il n'y a aucune entente mutuelle ou intention commune à examiner pour déterminer s'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL. La situation hypothétique prescrite par la définition du terme « EPSP » pour atteindre son objectif anti‑évitement fait obstacle à une telle analyse [16] .

[43]  Quant à savoir s'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un cadre ou un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL, la jurisprudence précitée établit clairement qu'« aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant » et qu'« aucune formule fixe n'est applicable ». Les facteurs à prendre en considération peuvent varier selon les faits et la liste doit rester ouverte. Cette approche convient particulièrement à l'interprétation de la définition du terme « EPSP », qui nécessite l'évaluation de la relation dans une situation hypothétique (c'est‑à‑dire l'inexistence d'ICL). Une telle situation hypothétique ne peut être évaluée adéquatement que si tous les faits et toutes les circonstances sont examinés pour déterminer si l'« employé constitué en société » agissait comme le ferait un employé de l'entité recevant les services ou comme le ferait un entrepreneur indépendant.

[44]  Je note également que, même si la définition du terme « EPSP » exige qu'on se demande s'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un cadre ou un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL, le critère de base dans la jurisprudence consiste à déterminer si la personne fournissait les services en cause en tant que personne travaillant à son compte. Je crois toutefois qu'il suffit d'adapter ce critère à la définition du terme « EPSP » en déterminant si, compte tenu de toutes les circonstances, il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme exploitant sa propre entreprise si ce n'était de l'existence d'ICL.

[45]  En l'espèce, les circonstances m'amènent inexorablement à conclure que, si on faisait abstraction de l'existence d'ICL, il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un employé de WPNL. Je tire cette conclusion pour les raisons suivantes :

  1. L'objectif déclaré pour lequel M. Cassell fournissait des services à WPNL était de faire croître les activités de WPNL. M. Cassell n'a fait aucune mention de la croissance de l'entreprise de services d'ICL, et aucune preuve n'a été fournie pour démontrer que la croissance de l'entreprise de services d'ICL était un objectif important pour M. Cassell. Si on ne tenait pas compte d'ICL, l'objectif de la prestation de services demeurerait la croissance de l'entreprise de WPNL et non la croissance de l'entreprise de services de M. Cassell.

  2. Pour les années d'imposition en cause, ICL n'a pas exploité son entreprise de services d'une façon commerciale. Plus précisément, ICL n'a pas conclu d'entente écrite avec WPNL; ICL a facturé les services fournis à WPNL; ICL n'a ni facturé ni perçu la TVH sur les frais qui lui ont été versés par WPNL; ICL n'a fait aucune publicité pour son entreprise de services. Si on ne tenait pas compte de l'existence d'ICL, il n'y aurait aucune preuve d'activités commerciales permettant de conclure qu'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme fournissant des services en tant que personne travaillant à son compte.

  3. Dans son témoignage, M. Cassell a aussi affirmé avoir offert des services de gestion à WCEL en sa qualité de président d'ICL. Cependant, ICL n'a conclu aucune entente écrite avec WCEL et ne lui a présenté aucune facture. De plus, aucune preuve n'a été présentée pour démontrer qu'ICL a en fait reçu des paiements de WCEL pour tout service offert. Par conséquent, la prestation de services à WCEL ne permet pas de conclure qu'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme exploitant une entreprise de services de gestion à son compte, si ce n'était de l'existence d'ICL.

  4. ICL louait des immeubles à des personnes sans lien de dépendance. Cette activité était distincte de l'activité de prestation de services de gestion d'ICL. Néanmoins, les revenus de location tirés par ICL étaient clairement subordonnés à la rentabilité de l'entreprise de WPNL, comme le démontre le fait que M. Cassell n'a pas entrepris de démarche relative aux défauts de paiement de loyer, puisque cela aurait nui à la rentabilité de l'entreprise de WPNL. Ces faits ne font que confirmer que M. Cassell se concentrait uniquement sur la rentabilité de l'entreprise de WPNL. Une personne travaillant à son propre compte n'agirait pas ainsi.

  5. M. Cassell a confirmé que les fonctions qu'il a exercées pour WPNL à la suite du transfert de l'entreprise Western Petroleum à WPNL étaient les mêmes que celles qu'il avait exercées à titre de cadre d'ICL lorsque l'entreprise Western Petroleum appartenait à ICL. Il a aussi confirmé que l'objectif de ces fonctions était de faire croître l'entreprise Western Petroleum.

  6. L'indemnité reçue par ICL était semblable à l'indemnité qui aurait été versée à un cadre de WPNL, soit un montant mensuel fixe et un montant additionnel (que je vais appeler « prime au résultat ») fondé sur la rentabilité de l'entreprise de WPNL. En outre, la prime au résultat semble être versée à la discrétion de WPNL puisqu'il n'y a aucune disposition concernant la prime dans l'entente écrite entre ICL et WPNL [17] . Si on ne tenait pas compte de l'existence d'ICL, la forme de la rémunération indiquerait que M. Cassell était un employé de WPNL plutôt qu'un entrepreneur indépendant. Plus précisément, il est peu probable qu'un entrepreneur indépendant négocie une prime au résultat à la discrétion du bénéficiaire de services.

  7. La forme de la rémunération était telle que toute occasion de réaliser un profit découlant de la prestation des services à WPNL était liée au succès de l'entreprise de WPNL et non aux services d'ICL offerts à WPNL par l'intermédiaire de M. Cassell. Cela est conforme à la conclusion voulant que tout profit réalisé par ICL découlait de l'entreprise de WPNL et non d'une entreprise qu'il serait raisonnable de considérer comme exploitée par M. Cassell à son propre compte, si ce n'était de l'existence d'ICL.

  8. La forme de la rémunération était aussi telle qu'ICL n'était pas exposée à un risque de perte. Si l'on exclut le salaire versé à l'épouse de M. Cassell, les dépenses d'ICL étaient minuscules en comparaison avec les honoraires mensuels payés à ICL par WPNL. De plus, le seul risque économique substantiel auquel ICL était exposée était le risque inhérent à l'entreprise de WPNL, qui régissait la capacité de WPNL à payer les honoraires mensuels. Si on ne tenait pas compte de l'existence d'ICL, M. Cassell n'assumerait aucun véritable risque de perte aux termes de l'entente d'indemnisation conclue avec WPNL. Le fait que WPNL aurait pu ne pas verser de « prime au résultat » pour une ou plusieurs années ne modifie pas cette conclusion étant donné la nature et l'ampleur des dépenses engagées pour offrir des services à WPNL et l'ampleur des honoraires mensuels versés par WPNL pour ces services.

  9. WPNL n'exerçait pas un contrôle important sur M. Cassell. Par contre, ce dernier tenait des réunions hebdomadaires avec M. Reynolds pour discuter de l'orientation de l'entreprise de WPNL pour la semaine suivante. Ce degré de contrôle est semblable à celui qui serait exercé sur un cadre de WPNL.

  10. En raison de la nature des activités qu'il effectuait pour WPNL, M. Cassell n'avait pas à fournir d'instruments de travail. Cependant, on avait accordé à M. Cassell le droit d'utiliser de manière non exclusive les voitures de WPNL pour qu'il puisse se déplacer pour mener l'entreprise de WPNL.

  11. M. Cassell n'avait pas son propre bureau dans les locaux de WPNL. Il avait cependant un poste de travail temporaire, au besoin.

  12. M. Cassell avait un bureau à domicile, mais cela peut s'expliquer par le fait qu'ICL avait aussi des biens locatifs à gérer.

[46]  Compte tenu de tous ces facteurs, j'ai conclu qu'il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un employé de WPNL si ce n'était de l'existence d'ICL. En utilisant les termes de la question principale exposée dans les arrêts Wiebe Door, Sagaz et Connor Homes, je ne vois rien dans l'ensemble des circonstances qui laisse penser que M. Cassell pourrait raisonnablement être considéré comme exploitant une entreprise de services à son propre compte si ce n'était de l'existence d'ICL. L'entreprise qui est l'objet principal et la raison d'être des activités de M. Cassell est l'entreprise de WPNL. Si ICL n'existait pas, la seule entreprise à laquelle les services seraient liés serait WPNL, et il serait raisonnable de considérer M. Cassell comme étant un employé de cette entreprise. Par conséquent, l'entreprise de prestation de services de gestion d'ICL à WPNL pendant les années d'imposition 2008, 2009 et 2010 était une « entreprise de prestation de services personnels ». L'appel est donc rejeté avec dépens à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2016.

« J. R. Owen »

Le juge Owen


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 53

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-2175(IT)G

INTITULÉ :

IVAN CASSELL LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Corner Brook (Terre-Neuve-et-Labrador)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 15 octobre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge John R. Owen

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Me Megan Seto

Avocate de l'intimée :

Me Melanie Petrunia

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Me Bruce S. Russell, c.r.

 

Cabinet :

McInnes Cooper

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]   L'exercice d'ICL s'étendait du 1er février au 31 janvier. Par conséquent, l'année d'imposition 2008 d'ICL était du 1er février 2007 au 31 janvier 2008, celle de 2009, du 1er février 2008 au 31 janvier 2009, et celle de 2010, du 1er février 2009 au 31 janvier 2010.

[2]   M. Cassell a décrit le secteur du commerce au détail du pétrole et du gaz comme comprenant la livraison de mazout de chauffage domestique, le carburant diésel commercial, l'essence au détail, la livraison du diésel marin et toute autre activité liée au commerce au détail. Le secteur n'englobe pas les puits de pétrole ou de gaz ou la production de pétrole ou de gaz.

[3]   Lignes 17 à 21 de la page 59 de la transcription de l'audience tenue à Corner Brook (Terre‑Neuve‑et‑Labrador) le 15 octobre 2015 (la « transcription »).

[4]   Ligne 28 de la page 44 et lignes 1 et 2 de la page 45 de la transcription.

[5]   Lignes 4 à 8 de la page 51 de la transcription.

[6]   Lignes 13 et 14 de la page 15 de la transcription.

[7]   Lignes 3 à 8 de la page 50 de la transcription.

[8]   Lignes 12 à 15 de la page 27 de la transcription.

[9]   Lignes 16 à 28 de la page 27 et lignes 1 à 21 de la page 28 de la transcription.

[10] Lignes 5 à 28 de la page 48 et lignes 1 à 9 de la page 49 de la transcription.

[11]   Sagaz Industries, précité, au paragraphe 35.

[12] Arrêt Sagaz Industries, précité, aux paragraphes 46 et 47.

[13]   Arrêt Connor Homes, aux paragraphes 23, 28, 29 et 41.

[14]   Arrêt Connor Homes, aux paragraphes 33 et 36.

[15]   Dans l'arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a confirmé que le but de l'interprétation des contrats consiste à discerner « l'intention des parties et la portée de l'entente » (la Cour a renvoyé à l'arrêt Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d'assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744, au paragraphe 27, et a aussi renvoyé à l'arrêt Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, aux paragraphes 64 et 65). En l'absence d'une entente entre les parties qui serait pertinente pour l'analyse sur la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant, il n'y a rien à discerner.

[16] Voir aussi l'analyse de la juge Lyons dans la décision C.J. McCarty Inc. c. La Reine, 2015 CCI 201.

[17]   Dans son témoignage, M. Cassell a affirmé que l'entente écrite produite en preuve sous la cote A‑1 reflétait les modalités de l'entente orale qui était en vigueur pendant les années d'imposition en cause et que cela expliquait pourquoi l'entente écrite était antidatée à février 2005.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.