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Dossier : 2015-1199(EI)

ENTRE :

CHANTAL CYR,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 20 octobre 2016, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Gaston Jorré


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me Amelia Fink

JUGEMENT

L’appel est rejeté et la décision que le ministre du Revenu national a rendue le 23 décembre 2014 sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 13e jour de février 2017.

« Gaston Jorré »

Juge Jorré


Référence : 2017 CCI 25

Date : 20170213

Dossier : 2015-1199(EI)

ENTRE :

CHANTAL CYR,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Jorré

Introduction

[1]  L’appelante, Chantal Cyr, exploite une école de musique. La question dont la Cour est saisie consiste à savoir si cinq professeurs de musique ont exercé un emploi assurable. Plus précisément, entre le 1er janvier 2013 et le 19 mars 2014, Amélie Poupart, Jessica Muneret [1] , Kim Derome, Maxime Capuano et Lionel Charles ont-ils exercé un emploi de cette nature?

[2]  L’appelante est d’avis que les professeurs étaient des entrepreneurs indépendants. Le ministre du Revenu national est d’avis qu’ils étaient des employés de l’appelante.

Le droit applicable

[3]  Il existe des principes bien établis pour faire la distinction entre un contrat de travail et un contrat d’entreprise ou de service – un entrepreneur indépendant – mais la diversité des modalités d’emploi et de travail est telle que, dans certains cas, il peut être difficile de les appliquer.

[4]  Aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, un emploi assurable est un « emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services […] exprès ou tacite ».

[5]  Cet alinéa ne définit pas ce qu’est un contrat de louage de services. Pour déterminer s’il existe un tel contrat, il est nécessaire de se reporter au droit civil général qui s’applique dans la province concernée afin de déterminer s’il existe un contrat de travail [2] .

[6]  Le Code civil du Québec (le « Code civil ») prévoit ce qui suit :

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

[7]  Dans la présente affaire, les professeurs accomplissent un travail pour lequel ils sont rémunérés. La question cruciale consiste à savoir s’ils ont travaillé sous la direction ou le contrôle de l’appelante, ce qui est le troisième élément exigé dans un contrat de travail.

[8]  Le Code civil définit un contrat d’entreprise ou de service en ces termes :

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer [3] .

[9]  Les principaux principes de droit qui permettent de distinguer ces deux types de relation ont été analysés dans de nombreuses décisions, dont les arrêts de la Cour d’appel fédérale Grimard c. Canada [4] et 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national) [5] ainsi que l’arrêt de la Cour suprême du Canada 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc [6] .

[10]  Je n’entends pas revoir en détail ces arrêts. Les points principaux de la jurisprudence sont les suivants :

1.  À l’instar de tous les contrats, l’intention des parties est toujours un facteur, mais elle ne saurait l’emporter sur les arrangements réels qui sont pris entre les parties s’ils ne concordent pas avec cette intention [7] .

2.  En droit civil, le principal critère qui s’applique à l’emploi est le contrôle ou la subordination du travailleur, la subordination juridique du travailleur. Ce qui compte, ce n’est pas si le contrôle est exercé mais si le payeur a le droit de l’exercer [8] .

3.  Les indices de contrôle en droit civil ont été analysés par Robert Gagnon, dans son ouvrage intitulé Le droit du travail du Québec [9]  :

92 – Notion – Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise [10] .

4.  Dans l’arrêt Grimard, précité, le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’il n’y a aucune antinomie entre le droit civil québécois et la common law pour ce qui est de déterminer s’il existe un contrat de travail ou non. Les approches conceptuelles des deux systèmes juridiques diffèrent, mais, d’un point de vue pratique, les indices qui servent à déterminer s’il existe ou non un contrôle ou une subordination en droit civil et ceux que l’on applique en common law sont sensiblement les mêmes [11] .

5.  Le genre de considérations dont fait état Robert Gagnon, précité, se comparent à celles que l’on applique en common law.

6.  Par exemple, dans l’arrêt Connor Homes, précité, la Cour d’appel fédérale écrit :

41 La question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour assurer les services le fait, concrètement, en tant que personne travaillant à son compte. Comme l’expliquent aussi bien les arrêts Wiebe Door que Sagaz, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et il n’y a pas de formule fixe qu’on puisse appliquer, dans l’examen qui permet de répondre à cette question. Les facteurs à prendre en considération varient donc selon les faits de l’espèce. Néanmoins, les facteurs que spécifient les arrêts Wiebe Door et Sagaz sont habituellement pertinents, ces facteurs étant le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit lui‑même son outillage, engage ses assistants, gère et assume des risques financiers, et peut escompter un profit de l’exécution de ses tâches.

7.  Cela ressemble aux propos que la Cour suprême du Canada a formulés dans l’arrêt Sagaz, précité :

47 Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

48 Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

8.  C’est donc dire que pour déterminer s’il existe ou non un contrat de travail, les principes qu’il convient d’appliquer sont les suivants :

a)  il faut examiner l’intention des parties et déterminer si le contrat proprement dit concorde avec cette intention;

b)  pour déterminer la nature du contrat, il faut chercher la présence ou l’absence d’indices de contrôle ou de subordination. Ce qui compte c’est le pouvoir de contrôler, et non s’il est exercé ou pas;

c)  il n’existe aucune liste fixe d’indices; tous les facteurs pertinents doivent être pris en compte; la pertinence et le poids des indices varieront en fonction du contexte;

d)  parmi les questions à prendre en considération figurent la présence obligatoire à un lieu de travail, l’attribution assez régulière des tâches, l’imposition de règles de conduite, la responsabilité en matière de gestion, l’obligation de produire des rapports d’activités, le contrôle exercé sur la quantité ou la qualité du travail accompli, la capacité d’embaucher des assistants, l’investissement fait par le travailleur, les chances de réaliser des bénéfices ou le risque de subir des pertes, de même que le degré de risque.

[11]  En gardant ces principes à l’esprit, voyons maintenant les éléments de preuve.

Les faits

[12]  Le ministre a rendu sa décision en prenant pour base les éléments suivants [12]  :

L’appelante

a)  l’appelante exploitait une école de musique;

b)  l’appelante exploitait son entreprise à titre de propriétaire unique;

c)  l’appelante a enregistré l’entreprise le 15 octobre 1998;

d)  l’appelante a exploité son entreprise sous la raison sociale Vimont Musique;

e)  l’appelante avait entre 350 et 400 élèves;

f)  les heures d’ouverture étaient du lundi au vendredi de 14 h 30 à 21 h 30, et le samedi de 9 h à 17 h;

g)  l’appelante embauchait 20 professeurs et de 4 à 5 employés administratifs;

h)  l’appelante vendait des livres et du matériel liés aux cours;

Les travailleurs

i)  les travailleurs ont été embauchés par l’appelante comme professeurs de musique;

j)  Lionel Charles donnait des cours de basse, de guitare et d’ukulélé;

k)  Maxime Capuano donnait des cours de guitare;

l)  Kim Derome donnait des cours de piano;

m)  Jessica Muneret donnait des cours de guitare;

n)  Amélie Poupart donnait des cours de piano;

o)  les travailleurs donnaient des cours aux clients de l’appelante;

p)  les travailleurs et l’appelante n’avaient aucun lien de dépendance;

q)  les travailleurs donnaient leurs cours dans l’établissement de l’appelante;

r)  les travailleurs exécutaient leurs fonctions pendant les heures d’ouverture de l’école de musique;

s)  l’appelante fixait l’horaire des cours;

t)  l’appelante gérait les horaires des travailleurs;

u)  les travailleurs et l’appelante ont conclu des contrats écrits;

v)  l’appelante donnait aux travailleurs des instructions précises sur le travail à accomplir;

w)  l’appelante exigeait que la matière visée par les cours comprenne le solfège (lecture des notes), l’éducation de l’oreille et la théorie de la musique;

x)  l’appelante imposait un code vestimentaire;

y)  les travailleurs étaient tenus d’informer les parents des élèves des progrès de ces derniers;

z)  les travailleurs avaient besoin de la permission de l’appelante s’ils devaient s’absenter;

aa)  les travailleurs fournissaient leurs propres instruments de musique;

bb)  certains instruments, comme les pianos et les batteries, étaient fournis par l’appelante, afin de faciliter l’enseignement;

cc)  l’appelante fournissait les locaux dans lesquels les cours de musique étaient donnés;

dd)  les travailleurs étaient rémunérés entre 16 $ et 20 $ l’heure par l’appelante;

ee)  le tarif horaire des travailleurs était fixé par l’appelante;

ff)  le tarif horaire était fondé sur l’expérience, l’ancienneté et les études;

gg)  les travailleurs étaient rémunérés par chèque;

hh)  les travailleurs étaient rémunérés aux deux semaines;

ii)  l’appelante établissait le prix des cours;

jj)  les clients payaient environ 40 $ l’heure pour les cours;

kk)  les clients payaient les cours à l’appelante;

ll)  les travailleurs ne facturaient pas l’appelante;

mm)  l’appelante remettait à chaque travailleur un bordereau de paye pour la période de janvier à juin et un autre pour la période de septembre à décembre de chaque année;

nn)  les travailleurs devaient signer leur bordereau de paye;

oo)  les clients étaient exclusivement les appelantes [13] ;

pp)  l’appelante interdisait l’échange de numéros de téléphone ou de coordonnées entre les travailleurs et les clients;

qq)  les travailleurs n’engageaient pas de dépenses;

rr)  l’appelante considérait que les travailleurs étaient autonomes;

ss)  l’appelante a remis des feuillets T4 aux travailleurs en 2012.

[13]  L’appelante n’est pas d’accord avec un grand nombre des hypothèses de fait.

[14]  L’appelante a témoigné, de même que deux des travailleurs : Amélie Poupart et Kim Derome [14] .

L’intention

[15]  Je vais maintenant examiner les indices de supervision, comme l’illustre le comportement réel [15] . Cet examen mène à une conclusion claire quant à la nature de la relation contractuelle, même si je présume que, en l’espèce, l’intention était d’avoir un contrat de service.

[16]  Il n’est donc pas nécessaire de déterminer l’intention, encore qu’une partie de l’analyse et une partie des éléments de preuve mentionnés dans la présente section sont pertinentes en ce qui concerne les sections suivantes [16] .

[17]  Avant 2013, l’école considérait tous les professeurs comme des employés.

[18]  Il est clairement ressorti du témoignage de l’appelante que, vers la fin de l’année 2012, elle a décidé qu’à compter de 2013 l’école considèrerait les professeurs comme des entrepreneurs indépendants. Elle a déclaré que l’école avait informé les professeurs de ce changement au moyen d’une lettre accompagnant le dernier chèque de paye relatif à l’année 2012. Malheureusement, cette lettre n’a pas été déposée en preuve [17] .

[19]  L’appelante a expliqué ce changement. Quand elle a ouvert l’école, elle avait une vision particulière de la façon d’enseigner la musique et elle voulait que l’école fonctionne d’une manière conforme à cette vision. Toutefois, l’industrie changeait et elle a décidé que l’école fonctionnerait différemment.

[20]  Rien dans la preuve ne donne à penser qu’il y a eu une discussion quelconque avec les professeurs avant que l’école décide de changer le statut des employés. Le nouvel arrangement semble simplement avoir été imposé par le payeur, sans négociations.

[21]  En revanche, rien ne donne à penser que les professeurs se sont opposés aux nouveaux contrats, et ils les ont signés.

[22]  Les deux contrats signés qui ont été déposés en preuve, les pièces R‑1 et R‑2, sont des documents d’une seule page identiques, sauf pour ce qui est du professeur qui l’a signée et du fait que l’un d’eux était payé 0,25 $ de plus que l’autre, pour chaque cours de 30 minutes.

[23]  Les contrats montrent bien que c’est l’école qui est responsable du changement; ils sont intitulés [traduction] « Procédures et règlements 2013-2014 » et mentionnent, juste sous ce titre : [traduction] « Veuillez lire ce qui suit et signer en guise d’acceptation ».

[24]  Comme les professeurs ont souscrit aux conditions exposées dans les pièces R‑1 et R‑2, il y a entente commune sur ces conditions et, partant, intention commune sur les conditions que comporte ce document.

[25]  Je vais paraphraser ou décrire le contrat [18]  :

Le contrat est intitulé [traduction] « Procédures et règlements 2013-2014 » et il comporte le sous-titre suivant : [traduction] « Pour tous les professeurs autonomes de Vimont Musique ».

Sont ensuite énumérées les clauses suivantes :

1.  Les enseignants sont tenus d’être ponctuels et de faire part à l’école de tout changement à l’horaire d’enseignement.

2.  Les professeurs sont tenus de fournir leur propre matériel d’enseignement, y compris l’instrument de musique (à l’exception des pianos et des batteries), de même que les partitions musicales destinées aux élèves.

3.  Nous vous demandons de donner un cours complet, ce qui inclut la lecture de notes, l’éducation de l’oreille et la théorie de la musique. Les élèves ont été informés que cela ferait partie du cours.

4.  Il est important de tenir les parents au courant des progrès de leur enfant. Il est essentiel de parler aux parents après le cours et de les informer du travail à faire à la maison.

5.  Pendant les heures de cours, les appels téléphoniques personnels sont interdits, à moins d’une urgence.

6.  Bien qu’il soit parfois difficile de rester patient, aucune impolitesse envers les élèves, leurs parents ou les autres professeurs ne sera tolérée.

7.  Aucune sollicitation des élèves ne sera tolérée. Il est interdit de vendre quoi que ce soit entre les professeurs et les élèves à l’école. Les élèves qui souhaitent acheter un produit doivent le faire par l’intermédiaire de l’école.

8.  Il est interdit aux professeurs et aux élèves de s’échanger leurs numéros de téléphone et leurs coordonnées. Les élèves qui ont des questions à poser sur le cours qu’ils suivent doivent le faire en communiquant par téléphone avec la réception de l’école. L’échange de renseignements par l’entremise de Myspace, Facebook ou des sites semblables est interdit.

9.  La neuvième clause impose un code vestimentaire destiné à rehausser l’image professionnelle de l’école.

10.  Chaque élève à droit à deux séances de rattrapage par année, à condition d’avoir fait part de son absence au moins 24 heures à l’avance. La clause suggère ensuite aux professeurs de prévoir de travailler ou de s’exercer lors des périodes où ils n’ont pas de cours à donner.

11.  Cette clause prévoit un tarif horaire de 9,50 $ (ou 9,75 $ dans l’autre contrat) pour chaque cours de 30 minutes en compagnie d’un élève seul, et un tarif de 8 $ par élève pour les cours de groupe.

12.  Chaque professeur autonome est tenu de fournir un reçu pour les paiements reçus aux environs de Noël, à la fin de l’année scolaire et, s’il quitte avant ce moment-là, à son dernier jour de travail. Les paiements seront faits par chèque, aux deux semaines.

13.  Cette clause exige que les professeurs s’assurent de la propreté des salles de cours et leur interdit de porter des bottes en classe l’hiver.

14.  Cette clause indique que la cuisine est ouverte aux professeurs, mais qu’il leur incombe de s’occuper des tâches de lavage et de nettoyage nécessaires. Elle dit aussi de ne pas se servir des pianos comme tables.

[26]  Enfin, à la suite de ces clauses figure un énoncé, juste avant les lignes de signature, où il est indiqué que le professeur convient d’avoir lu le document et reconnaît que le fait de ne pas se conformer aux règlements indiqués peut mener à la perte de ses élèves, sans préavis.

[27]  Il faut se rappeler que ce qui compte dans le contrat ce sont les conditions dont conviennent les parties et pas juste les mots qu’elles ont choisis pour qualifier la nature de ce contrat. Comme l’a déclaré le juge Mainville de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Connor Homes, précité : « Autrement dit, il ne suffit pas d’énoncer dans le contrat que le travailleur assure ses services en tant qu’entrepreneur indépendant pour que ce soit effectivement le cas [19]  ».

[28]  Bien que les références faites à un professeur autonome, à la deuxième ligne et au début de la clause 12 [20] , concorde avec l’existence d’un contrat de service, les conditions réelles du contrat ne sont pas aussi claires.

[29]  Les conditions du contrat imposent aux professeurs de nombreuses règles, dont l’enseignement du solfège, l’éducation de l’oreille et la théorie de la musique, ainsi qu’un code vestimentaire. Sans le mot [traduction] « autonome », ces règles ressemblent beaucoup à celles que l’on imposerait à des professeurs dans le cadre d’un contrat de travail.

[30]  En revanche, on peut aussi considérer qu’un certain nombre de conditions donnant à penser qu’un contrôle est exercé concordent avec le fait que les professeurs travaillent dans le cadre d’un contrat de service; par exemple, étant donné que l’école fournit les locaux, il est normal qu’elle soit informée des changements d’horaire, de façon à ce qu’elle puisse attribuer une salle de cours, et qu’elle impose des conditions relatives à l’utilisation de ses installations (les nettoyer après usage).

[31]  Dans le même ordre d’idées, l’obligation qu’ont les professeurs de fournir leur propre instrument de musique – à l’exception des batteries et des pianos – concorde, en soi, avec l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat de service. Il est fréquent que les musiciens possèdent leur propre instrument, qu’ils soient employés ou travailleurs indépendants [21] .

[32]  Dans l’ensemble, les conditions du contrat font que celui-ci ressemble davantage à un contrat de travail qu’à un contrat de service; cependant, il est clair que la majeure partie de l’arrangement proprement dit n’est pas exprimé dans le contrat et, suivant la totalité des conditions du contrat proprement dit [22] , les conditions de ce dernier pourraient concorder avec l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat de service. En ce sens, les conditions réelles du contrat écrit ne sont pas concluantes.

[33]  Les deux autres facteurs à signaler en lien avec l’intention sont les suivantes :

1.  Dans son témoignage, Kim Derome a mentionné qu’une chose qui avait changé était les dépenses qu’elle pouvait déduire aux fins de l’impôt sur le revenu. Selon moi, elle faisait référence à la déduction de dépenses supplémentaires à titre d’entrepreneur indépendant. Il s’agit là d’une conduite qui concorde avec une intention d’être un entrepreneur indépendant. Cela ne change pas les conditions du contrat.

2.  Mme Derome a témoigné au sujet des reçus faisant partie de la pièce R‑4. Elle a déclaré que ces deux documents avaient été établis par l’école, qui les lui avait remis. Amélie Poupart a déclaré que dans les années qui ont suivi la période en litige, elle a fourni des factures de façon sporadique. Pour les périodes en question, elle en était moins sûre, mais il se pouvait, a-t-elle pensé, qu’ils l’aient été à la fin de l’année. Habituellement, on s’attendrait à ce qu’une personne qui fournit un service facture le client au moment du paiement ou plus tôt. Le fait de fournir des reçus après le fait n’est pas conforme à cette pratique.

[34]  En résumé :

1.  Il y avait une intention de la part de l’appelante d’engager les travailleurs dans le cadre d’un contrat de louage de services, et l’appelante a rédigé un contrat qui, croyait-elle, traduisait cette intention.

2.  Les employés ont souscrit au contrat et l’ont signé.

3.  Cependant, les conditions du contrat écrit sont, en soi, peu concluantes quant à la nature de ce dernier.

[35]  Comme je l’ai dit plus tôt, il est inutile que je tire une conclusion au sujet de l’intention [23] .

Les indices de supervision, la réalité objective — Les éléments de preuve et l’analyse

Le contrôle

[36]  Les élèves étaient clients de l’école et payaient à cette dernière les cours de musique. Les cours étaient donnés dans les locaux de l’école.

[37]  Pendant la période en question, l’école exploitait son entreprise à heures fixes. Dans le cadre de ces heures fixes, les professeurs faisaient part à l’école des jours et des heures au cours desquels ils étaient disponibles pour la séance en question [24] .

[38]  Cependant, même si les professeurs se rendaient disponibles pour certaines heures et avaient plus de souplesse que dans le passé, c’était l’école qui attribuait le travail en assignant des élèves à des professeurs particuliers à des moments précis. Il n’y avait aussi aucune garantie qu’il y aurait du travail pendant toutes les heures que les professeurs proposaient et il y avait certaines périodes de cours où des professeurs étaient disponibles mais où des élèves ne leur étaient pas assignés [25] . L’attribution du travail était, bien sûr, liée à la demande des élèves en cours de musique.

[39]  Avant 2013, l’école imposait nettement plus de contenu de cours qu’après 2012, quand les professeurs ont eu relativement le choix de décider comment enseigner et quelle musique choisir pour les cours. Les professeurs étaient contractuellement tenus d’inclure dans leurs cours le solfège, l’éducation de l’oreille et la théorie de la musique, mais il est ressorti de la preuve que si un élève résistait à l’idée d’apprendre ces matières, le professeur pouvait y accorder moins d’importance. Les professeurs étaient également assujettis au code vestimentaire. Cette exigence contractuelle dénote effectivement le droit d’exercer un certain contrôle [26] .

[40]  L’appelante a expliqué que lorsqu’elle embauchait des professeurs, l’école s’assurait que la personne possédait une expérience et des titres de compétence appropriés. Elle a aussi expliqué qu’on demandait aux candidats professeurs comment ils donneraient le cours afin de veiller à ce qu’ils cadrent avec l’une des philosophies d’enseignement que l’école acceptait.

[41]  En décidant d’engager à contrat des professeurs dont la philosophie d’enseignement est alignée sur l’une des philosophies qu’accepte l’école, on réduit la nécessité d’exercer réellement un contrôle.

[42]  Dans l’ensemble, le fait de donner les cours à l’école et le fait que l’appelante attribuait le travail et fixait directement certaines exigences en matière de contenu sont tous des indices de contrôle qui font pencher la balance en faveur d’un contrat de travail, mais pas de beaucoup [27] .

La propriété des outils/l’investissement

[43]  Les locaux de l’école où les cours sont donnés constituent un investissement important.

[44]  À part l’école, les principaux outils utilisés pour les cours étaient des instruments de musique. Quand l’élève apprenait comment jouer à la batterie ou au piano, c’était l’école qui fournissait l’instrument.

[45]  Pour d’autres instruments, selon la preuve, les élèves possédaient leur propre instrument et les professeurs possédaient le leur aussi.

[46]  Comme les professeurs sont des musiciens, ils posséderaient au moins un instrument dont ils joueraient; il s’agirait là d’un fait caractéristique, qu’ils soient élèves, employés ou entrepreneurs indépendants, ou n’importe quelle combinaison de ces trois situations. Rien ne donne à penser qu’ils achetaient expressément un instrument dans le seul but d’enseigner la musique [28] .

[47]  Mme Derome était professeur de piano; dans son cas, contrairement aux quatre autres professeurs, elle donnait ses cours en se servant d’un instrument de l’école.

[48]  Il est également ressorti de la preuve que les professeurs se servaient de leur propre ordinateur, par exemple pour obtenir des partitions. Là encore, nul n’a laissé entendre que ces ordinateurs avaient été achetés expressément pour une entreprise d’enseignement.

[49]  Dans l’ensemble, l’investissement fait par l’école dans ses locaux est un investissement supérieur à celui des enseignants. Cela fait pencher quelque peu la balance en faveur d’un contrat de travail.

Les assistants

[50]  Il y a eu une preuve que si un professeur ne pouvait pas donner un cours, il pouvait s’organiser pour que quelqu’un le remplace. Ce qu’ont déclaré les deux professeurs qui ont témoigné donne à penser que la première chose que faisaient les professeurs qui ne pouvaient pas donner un cours était de vérifier s’ils pouvaient le déplacer, une mesure qui n’était peut-être pas si difficile à prendre s’ils enseignaient à un seul élève. Si cela était impossible, ils trouvaient un remplaçant, souvent un autre professeur de l’école mais aussi, parfois, quelqu’un qui ne l’était pas à ce moment-là. Ce suppléant était payé soit par le professeur, soit par l’école.

[51]  Nul n’a laissé entendre que le suppléant touchait ce que le professeur aurait gagné pour avoir enseigné le cours en question s’il avait été présent.

[52]  À part le fait que dans ce cas-ci le suppléant était parfois payé par le travailleur, cela n’est pas si différent de ce qui se passe souvent dans des situations de travail. Il n’est pas rare qu’un employeur réponde au besoin qu’a un employé de changer son horaire dans des circonstances où cet employé s’arrange pour être remplacé par un employé, habituellement un autre employé existant.

[53]  La pratique de l’école accordait une souplesse supplémentaire aux travailleurs, mais la situation n’est pas la même que celle dans laquelle l’entrepreneur a le loisir d’embaucher des travailleurs pour accomplir une partie, voire la totalité, du travail pour lequel ses services ont été retenus à contrat et dont le taux de rémunération est fixé de manière à accroître la rentabilité de l’entrepreneur. Je suis tout à fait convaincu que si un enseignant, tout juste engagé par l’école pour donner des cours le semestre suivant, changeait d’idée aussitôt après avoir été engagé et embauchait quelqu’un d’autre pour donner tous ses cours, l’école, pour dire le moins, aurait été surprise et se serait vigoureusement opposée à ce que la session tout entière soit confiée en sous-traitance; il est évident que l’école se souciait de la qualité de l’enseignement, un aspect dont elle prenait soin au moment de choisir ses professeurs.

[54]  Ce que nous avons ici, c’est la capacité qu’a chaque professeur de trouver un remplaçant quand les circonstances l’exigent. Il ne s’agit pas d’une capacité complète d’embaucher des assistants. Dans l’ensemble, il ne s’agit pas d’un indicateur clair, d’une façon ou de l’autre.

Les chances de profit/les risques de perte

[55]  L’arrangement ne donne aux professeurs aucune possibilité réelle d’accroître leur rentabilité.

[56]  S’ils enseignent pendant plus d’heures ils peuvent gagner davantage, mais cela n’est pas différent d’un employé quelconque. Comme ils sont rémunérés en fonction de la quantité de temps qu’ils consacrent à l’enseignement, ils ne peuvent pas augmenter leur revenu à l’heure même s’ils trouvent un moyen d’arriver à un résultat donné en enseignant à des élèves plus vite qu’auparavant.

[57]  Comme nous l’avons vu lors de l’analyse concernant les assistants, un professeur ne peut pas réduire les frais en engageant des travailleurs à moindre coût afin qu’ils accomplissent la totalité ou une partie du travail pour laquelle il a signé un contrat.

[58]  Il y a fort peu d’autres frais que les professeurs pourraient réduire de façon à accroître leurs bénéfices [29] .

[59]  Je signale qu’étant donné que, normalement, ils possèdent déjà leur propre instrument de musique, ces coûts sont relativement fixes et modestes et, de toute façon, suivant les circonstances de chaque professeur, ce n’est pas la totalité de ses coûts qui sont nécessairement liés à l’enseignement qu’il dispense [30] .

[60]  Les professeurs n’ont donc aucune chance importante de réaliser des bénéfices ni aucun risque important de subir des pertes et, de ce fait, la balance penche manifestement en faveur d’un contrat de travail.

Autres facteurs

[61]  L’appelante fait remarquer que les professeurs avaient d’autres possibilités de gagner des revenus à l’école. Par exemple, ils pouvaient donner ce que l’on appelle un [traduction] « cours de maître » aux élèves que cela intéressait; lorsqu’ils le faisaient, ils étaient payés par les élèves, et non pas l’école. Ils pouvaient aussi gagner de l’argent comme accompagnateurs d’élèves donnant un récital. Ils pouvaient aussi vendre des enregistrements de leur propre musique.

[62]  La preuve ne révèle pas à quelle fréquence un cours de maître était donné ou si cela représentait de revenus importants pour les enseignants en question. Les professeurs qui ont témoigné ont tous deux dit qu’ils n’avaient jamais donné un tel cours.

[63]  Ces occasions ne semblent pas importantes. Je ne vois pas en quoi le fait d’autoriser les professeurs à vendre leurs propres enregistrements aide à qualifier la relation. Je ne suis pas convaincu que ces faits font une grande différence pour la question qui est en litige en l’espèce. De plus, lorsqu’un professeur accompagnait un élève lors d’un récital, il était engagé par l’élève; cela se faisait en dehors de la relation contractuelle avec l’école.

[64]  Habituellement, une personne qui exploite une entreprise doit consacrer certains efforts à sa gestion. Les cinq professeurs dont il est question en l’espèce ne font pas vraiment beaucoup de gestion; une fois qu’ils ont fait part à l’école de leurs disponibilités, c’est essentiellement l’école qui prend les décisions en matière de gestion.

[65]  Il est vrai qu’une fois que les élèves et l’horaire sont attribués, les professeurs, dans le cadre très général que fixe l’employeur [31] , recourront dans une très large mesure à leurs propres compétences, leur propre expérience et leur propre jugement pour donner les cours de musique, mais ce fait n’est pas exclusif à un entrepreneur indépendant; les travailleurs spécialisés et les professionnels le font souvent, qu’ils soient employés ou qu’ils exécutent un contrat de service. Lorsqu’ils enseignent et qu’ils préparent leurs cours, les travailleurs exécutent le travail; ils ne le gèrent pas.

[66]  Au cours de la période pertinente, d’après la preuve qui m’a été soumise, même si les professeurs ont semblé avoir d’autres activités en tant que musiciens et même s’il leur était loisible d’enseigner ailleurs ou en privé, dans la mesure où ils n’enseignaient pas à des élèves de l’école, il y a peu de preuves sur la mesure dans laquelle les cinq professeurs l’ont fait et peu de raisons de conclure que ces derniers donnaient beaucoup de cours ailleurs. De plus, le fait d’enseigner dans une autre école ne nous dit pas à quel titre cela est fait; ce pourrait être dans le cadre d’un contrat de travail ou dans celui d’un contrat de service [32] .

Évaluation générale des indices

[67]  Si l’on évalue les indices, notamment l’absence de toute chance réelle de réaliser des bénéfices ou de tout risque de subir des pertes, l’investissement et le responsable de la gestion, ainsi que le fait que l’école assigne les élèves aux professeurs [33] , il est évident que les travailleurs qui donnent des cours de musique pour l’appelante agissent dans le cadre d’un contrat de travail. Les cours donnés à Vimont ne font pas partie d’une entreprise d’enseignement des travailleurs [34] .

[68]  En conséquence, il est clair que le ministre a rendu la bonne décision, et je me dois de rejeter l’appel.

[69]  Avant de conclure, j’aimerais traiter des deux affaires que l’appelante a invoquées : Wincza Vitek c. M.R.N. [35] et Lomness-Seely c. M.R.N. [36] .

[70]  Dans Lomness-Seely [37] , l’appelante était une danseuse professionnelle qui estimait qu’elle n’était pas une employée d’une école de danse. Il y a dans cette affaire un certain nombre de parallèles avec la situation dont il est ici question; cependant, il existe un certain nombre de différences marquantes sur le plan du contrôle exercé. Dans la décision Lomness-Seely, l’appelante « exerçait un contrôle absolu sur la classe [38]  ». Ce n’est pas le cas en l’espèce où, par exemple, il y a l’obligation contractuelle d’enseigner le solfège, l’éducation de l’oreille et la théorie de la musique et il y a  un certain nombre de règles, comme le code vestimentaire, que le contrat impose aux professeurs. Une autre différence marquante est que Mme Lomness-Seely était en fait capable d’augmenter ses revenus. Non seulement négociait-elle son tarif horaire, mais était parvenue à renégocier un tarif supérieur si le succès de son cours avait pour résultat qu’un plus grand nombre d’élèves s’y inscrivaient [39] . Elle était donc en mesure d’accroître sa rentabilité par heure d’enseignement, ce qui lui donnait une chance de réaliser des bénéfices.

[71]  Cette situation-là est différente de celle dont il est question ici. Je suis persuadé que la décision Lomness‑Seely ne s’applique pas aux circonstances de l’espèce.

[72]  La décision Wincza Vitek est une affaire intéressante, qui met en cause des professeurs de musique du Hamilton Conservatory for the Arts. À certains égards, je trouve cette décision surprenante car le contrat reproduit [40] semble imposer un contrôle considérable aux professeurs [41] .

[73]  Elle est moins surprenante lorsque je prends en compte les conclusions que la Cour a tirées à propos de ce qu’elle considérait comme les caractéristiques les plus importantes [42] . Celles-ci comprennent, notamment, le fait que les travailleurs fixaient les frais que les élèves devaient payer, que les travailleurs payaient au conservatoire un montant fixe par heure de cours, que les professeurs payaient leurs propres dépenses de publicité en vue de recruter des élèves et que le conservatoire prélevait la rémunération des travailleurs (c.-à-d. les frais des élèves) auprès des élèves pour le compte des travailleurs, tout en ne conservant que ses frais fixes de 10 $ l’heure [43] . C’était comme si, essentiellement, la Cour considérait le conservatoire comme un prestataire de service aux enseignants – même s’il ne l’a pas exprimé en ces termes.

[74]  Cette affaire est plutôt différente, et la décision Wincza Vitek ne s’applique pas aux circonstances de l’espèce.

Conclusion

[75]  Pour ces motifs, je conclus que le ministre a décidé avec raison que les travailleurs étaient engagés aux termes d’un contrat de louage de services, et l’appel est rejeté [44] .

Signé à Ottawa (Ontario), ce 13e jour de février 2017.

« Gaston Jorré »

Juge Jorré


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 25

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-1199(EI)

 

INTITULÉ :

CHANTAL CYR c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Gaston Jorré

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 février 2017

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Pour appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocate de l’intimé :

Me Amelia Fink

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[EN BLANC]

 

Pour l’appelante :

Nom :

[EN BLANC]

 

Cabinet :

[EN BLANC]

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 



[1]  Dans le cas de Jessica Muneret, la période s’étend du 1er janvier au 31 octobre 2013.

Tant la réponse à l’avis d’appel que le mémoire introductif de l’appelante indiquent que la période en litige, pour les cinq employés, s’étend du 1er janvier 2013 au 19 mars 2014. Cependant, au moment du dépôt de l’avis d’appel, la personne qui représentait l’appelante à l’époque a joint à cet avis ce qui semble être une copie de la décision du ministre; selon cette décision, la période applicable à Jessica Muneret s’étendait du 1er janvier au 31 octobre 2013.

Étant donné que, à proprement parler, la décision du ministre n’a pas été produite en preuve, et compte tenu à la fois du mémoire de l’appelante et de la réponse, j’ai demandé au greffe de vérifier l’exactitude de la date auprès des parties; il leur a été demandé de répondre avant le 16 janvier 2017 au plus tard. L’intimé a répondu au greffe le 9 janvier 2017 et il a confirmé que le 31 octobre 2013 était la fin de la période pour Mme Muneret. À la date à laquelle j’ai signé les présents motifs, l’appelante n’avait donné aucune réponse.

Les appels en matière d’assurance-emploi dont la Cour est saisie sont instruits sous le régime d’une version modifiée des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle). Le paragraphe 18.29 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt prévoit que certaines dispositions de la procédure informelle s’appliquent aux appels en matière d’assurance-emploi, et cela inclut le paragraphe 18.15(3). Compte tenu du fait que ce paragraphe indique que « la Cour n’est pas liée par les règles de preuve lors de l’audition de tels appels; ceux-ci sont entendus d’une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent », compte tenu de la réponse de l’intimé, compte tenu de la date indiquée sur ce qui était apparemment la décision du ministre jointe à l’avis d’appel et compte tenu du fait qu’il s’agit là d’un point peu important, je suis convaincu qu’il y a lieu de rendre dès à présent une décision, sans devoir se renseigner davantage auprès de l’appelante sur la question.

[2]  Voir l’article 8.1 de la Loi d’interprétation. L’article reflète le droit qui était en vigueur avant son adoption.

[3]  Dans un contrat de service, il est loisible à l’entrepreneur de choisir les moyens de fournir les services, comme l’indique le Code civil :

2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[4]  2009 CAF 47.

[5]  2013 CAF 85.

[6]  2001 CSC 59, aux par. 33 à 48. Un jugement également utile est l’arrêt de la Cour d’appel du Québec Bermex International inc. c. Agence du revenu du Québec, 2013 QCCA 1379, surtout aux par. 39 à 56.

[7]  Voir les par. 32 et 33 de l’arrêt Grimard et les par. 39 et 40 de l’arrêt Connor Homes.

[8]  Voir le par. 5 de la décision du juge Noël (tel était alors son titre) dans Canada (Procureur général) c. Groupe Desmarais Pinsonneault & Avard Inc., 2002 CAF 144.

[9]  Sixième édition, Cowansville : Éditions Yvon Blais, aux p. 68 et 69. Dans le même ordre d’idées, voir Fernand Morin, Jean‑Yves Brière, Dominic Roux et Jean‑Pierre Villaggi, Le droit de l’emploi au Québec, 4e édition, Montréal : Wilson & Lafleur, section 2.2 à II‑54 et II‑55, surtout le second par. de II‑55.

[10]  En fait, nous vivons dans un monde où non seulement, comme l’écrit Robert Gagnon : « [l]a diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail », mais aussi les employeurs, même s’ils sont en mesure d’assurer un contrôle au jour le jour, considèrent qu’il est efficient et efficace de s’en remettre aux connaissances, aux compétences et au jugement de leurs employés.

[11]  Voir les par. 27 à 44 de l’arrêt Grimard.

[12]  Voir le par. 7 de la réponse traduite à l’avis d’appel, qui expose les hypothèses de fait du ministre.

[13]  C’est de cette façon que se lit, en anglais, la présomption oo). Il manque vraisemblablement, toujours dans la version anglaise, une apostrophe. Nul ne conteste que les étudiants en musique étaient les clients de l’appelante, et non ceux des enseignants.

[14]  Les pièces A-1 à A-20 ainsi que R-1 à R-5 ont été déposées. De plus, l’appelante a remis à la Cour un document de onze pages intitulé [traduction] « Mémoire introductif de l’appelante », un aide-mémoire exposant de façon générale la position de l’appelante au sujet des faits et du droit.

[15]  La réalité objective.

[16]  Prendre en considération : Lippert Music Centre Inc. c. M.R.N., 2014 CCI 170, où le juge Graham a écrit, au par. 11 : « Je dis simplement que, même en donnant au critère de l’intention l’interprétation la plus favorable à Lippert qui soit, celle‑ci n’aurait toujours pas gain de cause dans l’appel, de telle sorte qu’il n’est pas nécessaire de considérer une interprétation moins favorable ». Dans ce contexte, le juge Graham faisait référence à l’intention la plus favorable du point de vue de l’intimé.

[17]  Si j’ai bien compris la preuve, à l’époque où la lettre annonçant le changement a été envoyée, les professeurs avaient tous déjà convenu d’enseigner au cours de la période commençant en janvier 2013. Dans la mesure où des contrats avaient peut-être déjà été conclus pour la période commençant en janvier, il pourrait y avoir un certain nombre de questions intéressantes à propos du changement d’un statut à l’autre à l’époque où un contrat existait déjà. Aucune question de cette nature n’a été soulevée.

[18]  Le contrat est libellé en français.

[19]  Au par. 36, qui indique également :

[…] Les rapports des parties à un contrat sont généralement régis par lui. Les parties peuvent donc fixer dans leur contrat leurs obligations et responsabilités respectives, les modalités de la rémunération des services à fournir et toutes sortes d’autres aspects de leurs rapports. Cependant, l’effet juridique ainsi produit, c’est‑à‑dire l’effet juridique du contrat en tant que celui‑ci crée une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant, n’est pas une question que les parties peuvent décider par une simple stipulation. Autrement dit, il ne suffit pas d’énoncer dans le contrat que le travailleur assure ses services en tant qu’entrepreneur indépendant pour que ce soit effectivement le cas.

[20]  « Professeur autonome », compte tenu du fait que les contrats sont libellés en français.

[21]  En fait, assez fréquent pour que l’alinéa 8(1)p) de la Loi de l’impôt sur le revenu autorise les musiciens employés à demander une déduction pour amortissement à l’égard de leurs instruments, sous réserve de certaines limites.

[22]  Par exemple, il est implicite que les professeurs devaient enseigner la musique, et toutes les parties le comprenaient; toutefois, non seulement le contrat ne précise pas qu’il faut enseigner de la musique, mais il n’indique pas non plus à qui, pas plus que de quelle façon il faut déterminer les élèves à qui enseigner. Je ne pense pas qu’il faille accorder une grande importance à ce fait, mais cette absence de détails fait légèrement pencher la balance en faveur d’un contrat de travail, car cela implique que le payeur a le pouvoir d’attribuer les élèves. Habituellement, on s’attendrait à voir un peu plus de détails s’il s’agissait d’un contrat de service.

[23]  Deux autres commentaires :

Premièrement, l’expression « professeur autonome » que l’on trouve dans le contrat est, dans le présent contexte, la même que si les parties avaient utilisé les mots « entrepreneur indépendant », ou s’ils avaient fait mention d’un « contrat de service ». Il n’est pas nécessaire que je décide si le simple emploi de cette expression, de pair avec un contrat dont les conditions sont peu concluantes, justifierait la conclusion qu’il y avait, en substance, une intention de conclure un contrat de service.

Deuxièmement, s’il était nécessaire de répondre à cette question, il serait peut-être possible de le faire. La Loi sur la preuve au Canada indique, à l’article 40 :

Dans toutes les procédures qui relèvent de l’autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exercées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d’un mandat, d’une sommation, d’une assignation ou d’une autre pièce s’appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois fédérales.

Il est donc possible de compléter la loi fédérale par la loi provinciale, et le Code civil indique, à l’article 2864 :

La preuve par témoignage est admise lorsqu’il s’agit d’interpréter un écrit, de compléter un écrit manifestement incomplet ou d’attaquer la validité de l’acte juridique qu’il constate.

Il est clair que le contrat dont il est question en l’espèce est incomplet et que, d’après l’article 2864, il est permis de recourir à des témoignages pour le compléter et aider à l’interpréter.

Il n’y a eu aucun témoignage ou aucune preuve écrite au sujet de l’existence de conditions non écrites du contrat, en tant que telles. Cependant, il y a eu, au sujet de la relation, une preuve qui faisait état d’une compréhension commune allant au-delà du contrat écrit. Cette compréhension commune, pourrait-on dire, pourrait servir à inférer des conditions supplémentaires qui complèteraient le contrat et permettraient d’arriver à une conclusion définitive quant à savoir s’il s’agissait d’un contrat de service ou non.

[24]  L’appelante a souligné que les professeurs ont eu plus de liberté pour choisir à quel moment travailler après 2012 qu’avant parce qu’ils étaient parfaitement libres de choisir leurs heures, alors qu’auparavant on s’attendait généralement à ce qu’ils soient disponibles durant les heures d’ouverture de l’école, les jours où ils travaillaient. Il y avait sans aucun doute un quart de travail, mais il ressortait clairement de la preuve qu’il n’était pas aussi important que l’appelante le laissait entendre. Il est clair qu’avant 2013 non seulement les professeurs pouvaient travailler seulement certains jours de la semaine, mais ils avaient aussi un peu de souplesse même un jour donné de la semaine. Par exemple, Mme Derome a déclaré que dans sa première année, soit 2007, elle avait travaillé le samedi seulement et, dans sa deuxième année, le mercredi soir; elle a aussi déclaré qu’elle pouvait demander de donner ses cours à des heures qui lui permettaient de terminer avant l’heure de fermeture de l’école. Je signale que, d’un point de vue pratique, les exigences opérationnelles et les considérations pratiques limiteraient également la souplesse. Par exemple, il n’était pas nécessaire que les professeurs soient disponibles au même moment chaque semaine. Un professeur qui ne vit pas à proximité de l’école ne voudra vraisemblablement pas y venir pour une heure seulement et, en tout état de cause, il ne serait peut-être pas facile pour l’école d’intégrer dans l’horaire une demande de travail d’une heure seulement si c’était en période de pointe.

[25]  Comme nous l’avons vu, la clause 10 du contrat, la pièce R-1, suggère aux professeurs de prévoir quelque chose à faire au cours de ces périodes creuses.

[26]  Je signalerais seulement, une fois de plus, que c’est la capacité de contrôler plutôt que l’exercice réel du contrôle qui importe. Mme Poupart a déclaré qu’elle avait décidé d’enseigner la théorie de la musique et elle convenait que le code vestimentaire était approprié. Le fait que Mme Poupart était d’accord avec ces deux exigences et s’y était conformée volontairement n’atténue d’aucune manière le pouvoir de contrôle présent dans les dispositions contractuelles.

[27]  Je dis « pas de beaucoup » parce qu’il s’agit d’une question d’équilibre général et que les facteurs qui précèdent sont proches les uns des autres. Par exemple, il y a une mince ligne de démarcation entre le fait de définir la matière à enseigner et la manière de l’enseigner.

[28]  Comme il a été signalé dans une note antérieure, il est suffisamment fréquent que les musiciens employés possèdent leur propre instrument pour que la Loi de l’impôt sur le revenu comporte une disposition précise qui les autorise à demander une déduction pour amortissement — l’alinéa 8(1)p). Dans la décision Dynamex Canada Corp. c. M.R.N., 2010 CCI 17, le juge Archambault a tenu compte du fait qu’un travailleur aurait, en tout état de cause, possédé une automobile.

[29]  Il y a eu de légers frais pour des dépenses telles que des autocollants et de petits cadeaux aux élèves. L’un des professeurs a fait mention du coût des feuilles de musique, tandis que l’autre a dit que c’était les élèves qui payaient ces feuilles. Ces dépenses n’ont pas été quantifiées.

[30]  Par exemple, si les professeurs sont actuellement des élèves ou sont employés ailleurs et se servent de l’instrument à ces fins-là aussi.

[31] Je parle de l’obligation d’enseigner le solfège, l’éducation de l’oreille et la théorie de la musique.

[32]  Un professeur qui donne des cours privés a son propre groupe de clients pour ces cours et, en donnant ces cours, ce professeur fournirait un service dans le cadre d’un contrat de service. En soi, le fait de donner de tels cours privés ne nous dirait pas grand-chose sur la relation entre un professeur et une école, sauf si la preuve montrait que l’enseignement de cours privés et l’enseignement à Vimont faisaient partie d’une seule entreprise du professeur.

À cet égard, il est utile de rappeler qu’une personne peut être employée d’une personne tout en fournissant des services à d’autres personnes, qui sont des clients.

[33]  En agissant ainsi, elle attribuait le travail.

[34]  Dans la présente affaire, les chances de réaliser des bénéfices ou le risque de subir une perte sont manifestement le facteur le plus important.

[35]  2005 CCI 338.

[36]  2007 CCI 653.

[37]  La décision a été rendue relativement peu de temps après le jugement de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 87, et avant des décisions ultérieures de la Cour d’appel fédérale, telles que Connor Homes, précité.

[38]  Voir le par. 17.

[39]  Voir le par. 17.

[40]  Au par. 5 de la décision.

[41]  Y compris, selon le contrat, le fait que le Conservatoire attribue les élèves.

[42]  Et qui figurent, en partie, au par. 4 de la décision.

[43]  Voir la quatrième phrase du par. 9 ainsi que la référence faite au par. 13 au « travail administratif qui était effectué par le conservatoire pour le compte des professeurs ».

[44]  Dans des affaires comme celle-ci, la ligne de démarcation entre un contrat de travail et un contrat de service n’est pas facile à tracer pour les payeurs et pour les bénéficiaires. Bien qu’il soit presque impossible de toujours tracer cette ligne de façon bien nette, il serait peut-être utile que le Parlement et le gouvernement voient s’il ne serait pas possible de modifier la Loi sur l’assurance-emploi de façon à atténuer le degré d’incertitude.

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