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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2001-3700(IT)I

ENTRE :

 

PHILLIP J. STEELE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appels tranchés sur le fondement des observations écrites des parties par

l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Participants

 

Pour l'appelant :                                  L'appelant lui-même

Avocat de l’intimée :                           Me Michael Ezri

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en application de la Loi de l'impôt sur le revenu  pour les années d'imposition 1999 et 2000 sont admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant a droit, pour chacune des années, au crédit d'impôt pour personnes handicapées.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 2002.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juin 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020624

Dossier: 2001-3700(IT)I

 

 

ENTRE :

 

PHILLIP J. STEELE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     Les appels en l’instance interjetés par Phillip J. Steele sous le régime de la procédure informelle sont à l’encontre de la cotisation établie à son égard par laquelle le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé le crédit d’impôt pour personnes handicapées pour les années d’imposition 1999 et 2000. M. Steele réside en Australie. Comme il était dans l’impossibilité de venir assister à l’audition de son appel au Canada, les parties ont été appelées à soumettre leurs observations par écrit. Cela ne m’a malheureusement pas permis d’observer personnellement M. Steele, mais je crois cependant que les documents que M. Steele et l’intimée ont convenu de présenter décrivent bien la situation. Du reste, il ne m’appartient pas de me prononcer sur l’état de santé de M. Steele. Je dois accepter les renseignements fournis par les médecins et appliquer les principes juridiques aux faits décrits pour déterminer si l’appelant est admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées.

 

[2]     Il est un fait établi que M. Steele est atteint du trouble bipolaire, une déficience mentale, depuis plus de 20 ans. Il est incapable de travailler et il habite avec sa mère. Comme l’un des médecins l’a indiqué, il a besoin d’un environnement calme. M. Steele a demandé un crédit d’impôt pour personnes handicapées pour les années d’imposition 1999 et 2000. À cette fin, il a fourni deux certificats pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées signés par le Dr Robert Ah Hoon, l’un daté du 6 septembre 2000 et l’autre du 22 juin 2001. Dans le cadre des appels en l’instance, il a aussi soumis une lettre datée du 1er février 2002 portant la signature du Dr J. Earl, médecin d’établissement principal au service de psychiatrie du Coastal Community Adult Mental Health Service de Queensland. M. Steele soutient que l'appelant est presque toujours incapable de se souvenir et, en fait, qu’il n’arrive pas à se rappeler le lendemain ce qui s’est dit ou passé la veille et qu’il oublie les choses simples du quotidien.

 

[3]     L’intimée s’est appuyée sur les deux questionnaires reproduits ci‑après, datés du 10 octobre 2000 et du 4 avril 2001, qui ont été remplis par le Dr Robert Ah Hoon à la demande de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), de même que sur un questionnaire complémentaire du ministère de la Justice rempli par le Dr Ah Hoon le 26 février 2002.

 

[4]     Je vais reproduire les passages de ces documents que je juge les plus pertinents.

 

(i)         Certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées signé par le Dr Ah Hoon le 6 septembre 2000 :

 

             Q.       Votre patient est-il capable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, à l'aide de médicaments ou d'une thérapie si nécessaire?

 

             R.       Non.

 

             Q.       La déficience a-t-elle duré, ou devrait-elle durer au moins 12 mois consécutifs?

 

             R.       Oui.

 

             Q.       La déficience est-elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l'activité essentielle de la vie quotidienne même si le patient utilise des appareils appropriés, prend des médicaments ou suit une thérapie?

 

             R.       Oui.

 

(ii)       Questionnaire de l’ADRC rempli par le Dr Ah Hoon le 10 octobre 2000.

 

           [TRADUCTION]

 

             Q.       Votre patient pouvait‑il comprendre les concepts de temps, de danger et d’argent?

 

             R.       Oui.

 

Q.         Votre patient avait-il besoin d’une supervision continue pour s’occuper de ses soins personnels?

 

             R.       Non.

 

             Q.       Votre patient était‑il capable de travailler?

 

             R.       Non.

 

             Q.       Votre patient a‑t‑il reçu des soins thérapeutiques?

 

             R.       Oui.

 

             Q.       Votre patient devait‑il prendre des médicaments?

 

R.               Oui.

 

Q.       L’état ou la déficience de votre patient était‑il contrôlé à l’aide de médicaments ou d’une thérapie?

 

             R.       En partie.

 

             Q.       Pour l’année 1999, quel pourcentage du temps votre patient était‑il INCAPABLE de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, même avec l’aide de médicaments ou d’une thérapie?

 

             R        25 %.

 

             Q.       Croyez‑vous que la gravité des limites fonctionnelles de votre patient est susceptible de changer?

 

             R.       Non.

 

(iii)     Questionnaire de l’ADRC rempli par le Dr Ah Hoon le 4 avril 2001 :

 

           [TRADUCTION]

 

             Q.       Votre patient pouvait‑il comprendre les concepts de temps, de danger ou d’argent?

 

             R.       Pas quand il avait un épisode de psychose maniacodépressive.

 

             Q.       L’état de votre patient limitait‑il sa capacité de conduire un véhicule à moteur?

 

             R.       Non.

 

             Q.       Votre patient pourrait‑il vivre seul?

 

             R.       Non.

 

             Q.       Votre patient avait‑il besoin de supervision continue pour s’occuper de ses soins personnels?

 

             R.       Non.

 

             Q.       Veuillez indiquer qui assurait la supervision et à quelle fréquence.

 

             R.       Le patient n’a pas besoin de supervision continue pour s’occuper de ses soins personnels.

 

             Q.       Pour l’année 1999, quel pourcentage du temps votre patient a‑t‑il été INCAPABLE de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, même avec l’aide de médicaments ou d’une thérapie?

 

             R.       40 %.

 

Autres observations : le patient est atteint d’une déficience mentale grave — il a été hospitalisé 33 fois en 13 ans et il vit actuellement avec sa mère.

 

(iv)      Certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées signé le 22 juin 2001 par le Dr Ah Hoon.

 

           [TRADUCTION]

 

             Q.       Votre patient est‑il capable de percevoir, de réfléchir et de se souvenir?

                        Répondre non uniquement si, même à l’aide d’appareils, de médicaments ou en suivant une thérapie, votre patient est toujours ou presque toujours incapable de percevoir, de réfléchir ou de se souvenir. Par exemple, répondez non si votre patient ne peut pas s’occuper lui‑même de ses soins personnels sans supervision continue.

 

             R.       Non.

 

             Q.       Estce que la limitation marquée d’une activité courante de la vie quotidienne [...] a duré ou est‑il raisonnable de s’attendre à ce qu’il[sic] dure au moins 12 mois consécutifs?

 

             R.       Non.

 

             Q.       Est‑il raisonnable de s’attendre à ce que la déficience s’améliore suffisamment de sorte que votre patient ne soit plus limité de façon marquée dans une activité courante de la vie quotidienne [...]?

 

                        Laissé en blanc.

 

             Diagnostic

            

                        Trouble bipolaire (déficience mentale grave) (a été hospitalisé 33 fois en 13 ans – aucune hospitalisation au cours des deux dernières années)

 

(v)     Lettre datée du 1er février 2002 du Dr J. Earl, médecin d’établissement principal au service de psychiatrie du Coastal Community Adult Mental Health Service :

 

          [TRADUCTION]

 

          Objet : Phillip John STEELE

           

            Cet homme est atteint d’une déficience mentale grave et prolongée. À cause de cette déficience, sa capacité de réfléchir et de percevoir peut être limitée jusqu’à 40 % du temps. Je me dois de préciser qu’il a d’énormes problèmes de mémoire et qu’on doit donc tout lui mettre par écrit. Le diagnostic initial a été posé en 1980 et M. Steele a été hospitalisé 33 fois au cours des 12 dernières années pour cause de psychose maniacodépressive. Ce n’est que récemment qu’il est devenu l’un de nos clients mais il a été suivi pendant six ans par le service communautaire de santé mentale de l’hôpital Prince Charles. Son état est susceptible de durer à long terme.

 

(vi)     Questionnaire du ministère de la Justice rempli par le Dr Ah Hoon le 26 février 2002.

 

          [TRADUCTION]

 

           Q.       M. Steele était‑il assez bien pour exécuter des activités quotidiennes comme:

                        a) aller à l’épicerie;                                                                   Oui

                        b) s’occuper de l’entretien ménager;                                          Oui

                        c) préparer ses repas;   Impossible à dire, car il vivait avec sa mère

                        d) s’habiller seul;                                                                       Oui

                        e) entretenir une conversation avec une autre personne; Oui

 

             Q.       M.  Steele a‑t‑il eu des épisodes de maladie aiguë en 1999 et en 2000; le cas échéant, combien de temps ont‑elles duré?

 

             R.       Épisodes de dépression (légère à modérée) qui peuvent durer jusqu’à deux semaines chaque fois.

 

             Q.       Y a‑t‑il eu des périodes en 1999 et en 2000 pendant lesquelles M. Steele a été incapable de se souvenir, de percevoir et de réfléchir normalement; le cas échéant, combien de temps ont‑elles duré?

 

             R.       Oui — durant les épisodes de dépression.

 

             Q.       M. Steele prenait‑il des médicaments pour contrôler sa maladie en 1999 et en 2000; le cas échéant, étaient‑ils efficaces?

 

             R.       Oui. Ils étaient très efficaces — il n’y a pas eu d’hospitalisation en 1999 et en 2000.

 

             Q.       M. Steele prétend avoir eu des problèmes de mémoire 90 % du temps en 1999 et en 2000. Est‑ce exact? Si non, pourriez‑vous indiquer l’envergure des problèmes de mémoire de M. Steele, le cas échéant; p. ex. avait‑il à la fois des problèmes de mémoire à court terme et des problèmes de mémoire à long terme? M. Steele est‑il simplement distrait ou a‑t‑il de la difficulté à se souvenir de choses comme ses activités de la veille, le fait qu’il a laissé le four allumé, etc. ?

 

             R.       M. Steele s’est plaint de problèmes de mémoire — qui tiennent peut‑être au fait qu’il consomme cinq verres d'alcool par jour depuis plus de 30 ans. Je ne crois pas qu’il ait été incapable de se souvenir 90 % du temps en 1999 et en 2000. Lorsque je lui ai fait subir des tests le 13 juin 2001, je n’ai constaté que des problèmes de mémoire mineurs.

 

[5]      Les dispositions portant sur le crédit d’impôt pour personnes handicapées sont énoncées aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) et sont libellées comme suit :

 

118.3 (1) . . . est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

 

a)          le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

 

          a.1)       les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

 

a.2)     l'une des personnes suivantes atteste, sur le formulaire prescrit, qu’il s’agit d’une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que la capacité du particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée :

 

(v)        s'il s'agit d'une déficience sur le plan de la perception, de la réflexion et de la mémoire, un médecin en titre ou un psychologue;

 

           b)          le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

 

           c)          aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

 

118.4(1)           Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe:

 

a)          une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

 

b)          la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

 

c)          sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier:

 

                         (i) la perception, la réflexion et la mémoire,

                            

                             [...]

 

           d)          il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

 

[6]      L’article 118.3 de la Loi établit les trois conditions qui doivent être réunies pour qu'un particulier ait droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées :

 

a)       Le particulier doit avoir une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

b)      Les effets de la déficience sont tels que sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

c)      Il doit fournir un certificat médical attestant qu’il remplit les conditions décrites aux paragraphes 1 et 2.

 

Par conséquent, même si j’en arrive à la conclusion que les conditions décrites aux paragraphes 1 et 2 ont été remplies, je dois quand même conclure qu’un médecin a attesté que M. Steele était presque toujours incapable de se souvenir. Ou, inversement, si je conclus que M. Steele a présenté un certificat médical en conformité avec les dispositions de l’article 118.3 (une attestation favorable), puis‑je alors faire volte‑face et rejeter le certificat en disant que le médecin s’est certainement trompé; à mon sens, M. Steele n’est pas atteint d’une déficience grave et prolongée, ou s’il l’est, l’effet de cette déficience n’est pas tel qu’il est presque toujours incapable de se souvenir (autrement dit, il n’a pas satisfait à l’une des deux premières conditions ou aux deux). Il me semble que c’est la conclusion à laquelle l’intimée voudrait que j’arrive. D’après ses observations, l’intimée voudrait, dans un premier temps, que je considère les certificats pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées du Dr Ah Hoon comme des attestations défavorables, ce qui mettrait un terme à l’affaire et, dans un deuxième temps, que je conclue que l’une des deux premières conditions, ou les deux, n’ont pas été remplies.

 

[7]      J’entends me pencher d’abord sur la question de savoir si une attestation médicale favorable a été présentée en application des dispositions de l’article 118.3. Le premier certificat pour le crédit d’impôt pour personnes handicapées daté du 6 septembre 2000 me laisse totalement perplexe. Il y est indiqué que M. Steele est incapable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, que la déficience a duré 12 mois d’affilée et qu’elle est suffisamment grave pour limiter presque toujours la capacité d’accomplir l’activité courante. Avant de remplir le second certificat, le DAh Hoon a répondu à deux questionnaires, lesquels, aux dires de l’intimée, fournissent suffisamment de précisions pour qu’on puisse conclure que le Dr Ah Hoon a commis une erreur en remplissant le premier certificat. Or, l’examen des questionnaires ne me permet pas d’en arriver à une telle conclusion. Dr Ah Hoon n’indique certainement pas expressément qu’il a commis une erreur. En fait, après avoir répondu aux deux questionnaires, il a rempli un second certificat le 22 juin 2001 attestant que M. Steele est presque toujours incapable de percevoir, de réfléchir et de se souvenir. Ce second certificat renferme certaines ambiguïtés car le Dr Ah Hoon répond par la négative à la question : « Est‑ce que la limitation marquée d’une activité courante de la vie quotidienne [...] de votre patient a duré ou est‑il raisonnable de s’attendre à ce qu’il[sic] dure au moins douze mois consécutifs? », mais il s’abstient de répondre à la seconde partie de la question relative à la « durée », qui est libellée comme suit : « Est‑il raisonnable de s’attendre à ce que la déficience s’améliore suffisamment de sorte que votre patient ne soit plus limité de façon marquée dans une activité courante de la vie quotidienne [...] ou n’ait plus besoin de suivre des soins thérapeutiques essentiels » ?

 

[8]      Je trouve que le libellé de la partie du certificat qui porte sur la nature prolongée de la déficience prête totalement à confusion. La question est libellée comme suit :

 

Est‑ce que la limitation marquée d’une activité courante de la vie quotidienne [...] de votre patient a duré ou est‑il raisonnable de s’attendre à ce qu’il[sic] dure au moins douze mois consécutifs?

 

Le mot « prolongée » est défini de la manière suivante à l’article 118.4 :

 

une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

 

La déficience dont il est question doit assurément être la maladie dont le particulier est atteint. L’effet de la déficience doit être tel que sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne, comme se souvenir, est limitée de façon marquée. La question que l’on retrouve dans le certificat confond les notions de limitation marquée et de déficience. C’est la déficience, autrement dit la maladie mentale, qui doit être prolongée, pas nécessairement la limitation marquée. Je me permets respectueusement de dire que la question ne concorde pas avec le libellé de la loi et qu’elle est en fait trompeuse, surtout lorsque le particulier en cause est atteint d’une maladie comme le trouble bipolaire[1].

 

[9]      Dans le premier certificat, où la question concorde en fait avec le libellé de la Loi, le Dr Ah Hoon a indiqué que la déficience était de nature prolongée, alors qu’il a écrit le contraire dans le second certificat, tout en indiquant que M. Steele avait été hospitalisé 33 fois en 13 ans, sauf les deux dernières années. La réponse du ministre à ce certificat a été de ratifier la cotisation refusant le crédit d’impôt. Ainsi que l’intimée l’a fait observer dans ses observations écrites :

 

          


[TRADUCTION]

 

En réponse à la cotisation refusant le crédit d’impôt pour personnes handicapées pour les années 1999 et 2000, l’appelant a soumis un second certificat daté du 22 juin 2001. Ce certificat, qui porte également la signature du DHoon, indique que l’appelant était presque toujours incapable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir.

 

Il n’a pas été établi à la satisfaction du ministre que l’état de l’appelant était tel qu’il était presque toujours incapable de réfléchir, de percevoir ou de se souvenir, de sorte que la cotisation refusant le crédit d’impôt pour personnes handicapées pour les années 1999 et 2000 a été ratifiée.

 

[10]     À nouveau, le gouvernement, cette fois le ministère de la Justice, s’est employé à tirer au clair les renseignements fournis dans le certificat en partant probablement de l’hypothèse fondée qu’il y avait fort peu de chances qu’un médecin australien vienne témoigner devant la Cour canadienne de l’impôt. J’admets que l’appelant a donné son accord pour que les réponses écrites du Dr Ah Hoon me soient soumises en l’espèce, mais cela me pose sans contredit un dilemme pour établir la véracité de ces renseignements vu qu’il est impossible de procéder à un contre‑interrogatoire. Dans les réponses aux questions supplémentaires qui lui ont été adressées, le Dr Ah Hoon n’indique pas expressément qu’il a commis une erreur en remplissant le certificat.

 

[11]     Le Dr Ah Hoon a indiqué dans les deux certificats prescrits que la déficience mentale de M. Steele est suffisamment grave pour limiter presque toujours l’activité courante de la vie quotidienne. On ne saurait qualifier cette réponse d’ambiguë et je ne trouve rien dans les réponses fournies par lui aux questions qui lui ont été adressées par écrit ultérieurement qui peut être considéré  comme un aveu qu’il a commis une erreur en remplissant les certificats. Je ne vois dès lors aucune raison de rejeter cet aspect des certificats.

 

[12]     En ce qui concerne l’ambiguïté relevée dans le second certificat relativement à la durée prolongée de la déficience mentale, je ne vois rien dans les deux questionnaires complémentaires remplis par le Dr Ah Hoon qui indique que le trouble bipolaire dont M. Steele est atteint n’est pas une déficience prolongée. Les rapports font tous état d’une déficience de longue durée et continue. Le manque de clarté de la question que l’on retrouve dans le second certificat, combiné au fait que le Dr Ah Hoon a omis de répondre à la seconde partie de la question portant sur la « durée » de la déficience, m’incite à ne pas tenir compte de ce certificat. Je m’appuie principalement sur le premier certificat pour trancher la question de savoir s’il a été satisfait à la troisième condition prévue à l’article 118.3 de la Loi, soit fournir une attestation médicale. Si j’étais obligé de m’appuyer sur le second certificat, je considérerais celui‑ci comme une attestation favorable en raison de l’ambiguïté de la question. Le Dr Ah Hoon a répondu à une question portant sur la nature continue de la limitation marquée, non pas sur la nature continue de la déficience à proprement dit. Les renseignements fournis en réponse aux questionnaires ont confirmé que la déficience était prolongée.

 

[13]     Cela étant dit, c’est à moi qu’il revient à nouveau de déterminer si les deux premières conditions énoncées à l’article 118.3 de la Loi ont été remplies, même si je conclus que le particulier a présenté une attestation médicale pour satisfaire à la troisième condition. Je me pencherai d’abord sur la question de la déficience prolongée. La nature même du trouble bipolaire, ainsi que je comprends la maladie en ma qualité de profane, est que le particulier a des périodes d’excitation maniaque et des périodes de dépression. Le trouble à proprement dit ne disparaît jamais — il est de nature continue. Les manifestations aiguës de la maladie prennent la forme d’épisodes d’extrême agitation ou de dépression profonde. Je suis convaincu, après examen des explications fournies par le Dr Ah Hoon et le Dr Earl, que la maladie dont est atteint M. Steele est une déficience prolongée au sens de la Loi. Cette déficience dure depuis de nombreuses années et rien n’indique qu’elle disparaîtra un jour.

 

[14]     La deuxième condition, relativement à laquelle je dois conclure que M. Steele est presque toujours incapable de se souvenir, me pose quelques difficultés. Étant donné que la définition de ce qu’est une « activité courante » englobe la réflexion, la perception et le fait de se souvenir, et étant donné que le juge adjoint Bowman a conclu dans l’affaire Radage[2] que chacune de ces trois caractéristiques constitue une activité courante, je vais énoncer ce que la législation exige pour que la capacité d’accomplir une activité courante soit limitée de façon marquée, dans les termes suivants :

 

La capacité d’un particulier de se souvenir est limitée de façon marquée seulement si le particulier est incapable, toujours ou presque toujours, de réfléchir, percevoir ou se souvenir.

 

[15]     Pour se prononcer sur la question de la capacité d’un particulier à se souvenir, ce n’est pas tant sur une définition de « se souvenir » qu’il faut s’appuyer, que sur l’évaluation personnelle du particulier, confirmée ou rejetée par ses amis et sa famille, ainsi que par du personnel médical qualifié. Il s’agit, dans ce dernier cas, d’une exigence de la Loi, laquelle, je peux juste supposer, a été intégrée à la Loi parce qu’on a tenu pour acquis que les membres de la profession médicale sont ceux qui sont le mieux en mesure de déterminer quelle proportion du temps un particulier est capable de se souvenir. Or, je ne suis pas tout à fait convaincu que la médecine a fait suffisamment de progrès dans la compréhension des rouages complexes du cerveau, en ce qui concerne les fonctions de réception, de conservation et de rappel de l’information, pour qu’un psychiatre puisse affirmer qu’un particulier est incapable de se souvenir 25 %, 50 % or 90 % du temps. Cependant, la législation exige qu’il soit établi que M. Steele est presque toujours incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne.

 

[16]     En dépit du fait que le Dr Ah Hoon a rempli deux certificats attestant que M. Steele était presque toujours incapable de se souvenir, les précisions fournies ultérieurement ne confirment pas totalement ses premières affirmations, mais les contradictions ne sont pas suffisantes pour que je considère l’attestation favorable à cet égard comme une attestation défavorable. Pour comprendre comment un tribunal peut en arriver à une telle conclusion contraire, je renvoie à la décision rendue récemment dans l’affaire Buchanan[3], où la Cour d’appel fédérale a statué que la décision rendue par le juge Campbell de la Cour canadienne de l’impôt constituait justement une conclusion contraire. Dans cette affaire, le juge Campbell en était arrivé à la conclusion qu’une attestation défavorable était en fait une attestation favorable parce que le médecin n’avait manifestement pas compris le véritable sens des questions. En eût‑il saisi la réelle portée juridique, il aurait certainement fourni des réponses différentes et le certificat pourrait dès lors être considéré comme une attestation favorable.

 

[17]     Dans l’affaire qui nous occupe, je m’appuie sur les principes énoncés par le juge en chef suppléant Bowman dans la décision rendue dans l’affaire Radage, plus particulièrement le principe suivant :

 

a)         L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

 

b)         La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique.

 

[...]

 

c)         S'il existe un doute quant à savoir de quel côté de la limite se situe une personne demandant le crédit, on doit accorder à cette personne le bénéfice du doute.

 

[18]     Même s’il subsiste certains doutes quant à la mesure dans laquelle M. Steele est capable de se souvenir, je lui accorde le bénéfice du doute en m’appuyant principalement sur le passage de la lettre du Dr Earl, où il est dit que M.  Steele :

 

           [TRADUCTION]

 

[...]a d’énormes problèmes de mémoire et [on] doit donc tout lui mettre par écrit.

 

Cela ne ressemble pas à un simple problème de distraction. En réponse aux questions écrites que lui a adressées le ministère de la Justice, le Dr Ah Hoon a indiqué qu’il mettait en doute la prétention de M. Steele selon laquelle il était incapable de souvenir 90 % du temps. Ce doute ne l’a pas amené à modifier son certificat en ce qui concerne la capacité de M. Steele à se souvenir. En réalité, le Dr Ah Hoon a indiqué que l’appelant était incapable de se souvenir 40 % du temps. Je ne peux pas déterminer si, en indiquant que M. Steele était incapable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir 40 % du temps, il voulait dire : a) que chaque fois que des données sont communiquées à M. Steele, il y a 40 % de chances qu’il les oublie; b) que, pendant 60 % de l’année ou sept mois, M. Steele peut se souvenir de tout; c) que quatre jours sur sept, il oublie tout; ou, d) que c’est seulement durant les épisodes de psychose maniacodépressive, qui représentent environ 40 % du temps, qu’il est incapable de se souvenir de quoi que ce soit. Étant donné que M. Steele a fait valoir que, depuis des années, il ne se rappelle plus le lendemain de ce qui s’est dit ou passé la veille, je suis enclin à conclure que l’hypothèse a) est l’interprétation la plus plausible. Quel terrible handicap que celui de ne pas savoir, chaque fois qu’une information est communiquée, si notre cerveau sera capable de la conserver et de la rappeler ultérieurement. Il n’est pas surprenant que tout devait être mis par écrit. Je n’accepte dès lors pas la prétention selon laquelle le pourcentage de 40 % indiqué par le Dr Ah Hoon m’empêche de quelque façon que ce soit de conclure que la capacité de M. Steele d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne, à savoir réfléchir, percevoir et se souvenir, était presque toujours limitée de façon marquée.

 

[19]     Pour les motifs exposés précédemment, et même si un doute subsiste, j’accorde le bénéfice du doute au contribuable.

 

[20]     L’intimée m’a renvoyé à une autre affaire de trouble bipolaire, soit l’affaire Larivière[4], dans laquelle le juge Mogan a conclu que la déficience de l’appelant n’était pas suffisante pour lui donner droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Dans cette affaire, cependant, le médecin en cause a répondu par l’affirmative à la question : « Votre patient est‑il capable de percevoir, de réfléchir et de se souvenir? » Dans l’affaire dont je suis saisi, le Dr Ah Hoon a toujours répondu par la négative à cette question.

 

[21]     En résumé, je ne suis pas disposé à voir autre chose dans le premier certificat signé par le Dr Ah Hoon qu’une attestation favorable. En ce qui concerne le second certificat, je conclus que le libellé maladroit et imparfait de la question portant sur la durée de la déficience, ainsi que l’omission du Dr Ah Hoon de répondre à toutes les questions posées dans cette partie du certificat créent une ambiguïté que je résous encore une fois en accordant le bénéfice du doute au contribuable en raison des réponses claires et précises fournies dans le premier certificat et de l’absence de preuve convaincante fournie par le Dr Ah Hoon pour contredire catégoriquement le premier certificat. La décision rendue récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Buchanan, précitée, confirme que la présentation d’un certificat médical demeure l’une des conditions de l’article 118.3 de la Loi qu’un particulier doit remplir pour avoir droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Cependant, il est possible de prouver qu’un certificat n’est pas ce qu’on prétend qu’il est, dans des circonstances particulières; dès lors, dans l’affaire Buchanan, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’attestation défavorable était en fait une attestation favorable après avoir entendu le témoignage du médecin. Le juge Stone a fait observer ce qui suit :

 

Toutefois, la Cour doit respecter le libellé de la Loi, qui exige qu'un médecin délivre une attestation favorable. Cela veut dire que la tâche du juge de la Cour de l'impôt ne consiste pas à substituer son avis à celui du médecin, mais à déterminer, en se fondant sur la preuve médicale, si une attestation défavorable doit être considérée comme une attestation favorable.

 

Cependant, je ne crois pas que cela signifie que le juge de la Cour canadienne de l’impôt ne peut pas conclure qu’un contribuable ne remplit pas les conditions requises pour avoir droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées même s’il a fourni une attestation favorable. Le libellé de l’article 118.3 de la Loi indique expressément que les trois conditions que j’ai mentionnées au début doivent être remplies. Bien entendu, je tiendrai compte de l’attestation favorable d’un médecin; toutefois, comme c’est le cas en l’espèce, je crois quand même que je dois en arriver à une conclusion relativement aux deux premières conditions.

 

[22]     Dans le cas de M. Steele, je considère que le premier certificat satisfait aux exigences incontournables de la Loi. Je conclus également que les deux premières conditions, à savoir la nature prolongée de la déficience et la capacité limité de façon marquée de M. Steele de se souvenir, ont été remplies; j’admets dès lors les appels et je défère l’affaire au ministre pour nouvelle cotisation en tenant compte du fait que M. Steele a droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées dans chacune des années en cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 2002.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de juin 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]           On peut facilement imaginer qu’une personne atteinte d’une déficience prolongée comme le trouble bipolaire puisse mener une vie normale, si je peux dire, pendant une période de trois à quatre semaines. Il peut en résulter des interruptions de la période continue de limitation marquée, mais non pas de la période continue de la déficience à proprement dit. La limitation marquée pourrait être telle que le particulier satisfait quand même au critère de l’incapacité à presque toujours se souvenir. Ce particulier, qui mérite d’avoir droit à un crédit d’impôt pour personnes handicapées, pourrait être privé de ce crédit à cause de la question mal formulée dans le certificat.

[2]           Radage c. La Reine, C.C.I., no 95-1014(IT) I, 12 juillet 1996 (96 D.T.C. 1615).

[3]           Buchanan c. La Reine, dossier n: A-416-01 daté du 31 mai 2002.

[4]           Larivière c. La Reine, C.C.I., no 95-566(IT)I, 21 août 1995 ([1995] 2 C.T.C. 2742).

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