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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2000-946(GST)G

 

ENTRE :

 

VITO PERRICELLI,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appel entendu le 11 avril 2002, à Hamilton (Ontario), par

l'honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                         Me Glen W. McCann

Avocate de l'intimée :                          Me Sherry Darvish

 

 

JUGEMENT

 

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 9 septembre 1998 et porte le numéro 10932, pour la période du 31 juillet 1991 au 31 janvier 1996, est accueilli, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant ne devrait pas être tenu responsable en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi.


Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juin 2002.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de mai 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date:  20020605

Dossier: 2000-946(GST)G

 

ENTRE :

 

VITO PERRICELLI,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     À la fin des années 1980, l’appelant, M. Vito Perricelli, et deux amis, M. Cuthbert et M. Lishman, détenaient et exploitaient 642599 Ontario Limited (la société), une petite entreprise de nettoyage. Puisque celle-ci ne pouvait soutenir les trois hommes d’affaires sur le plan économique, M. Perricelli [TRADUCTION] « a quitté l’entreprise » au cours de l’été 1990. Lors des quelques années qui ont suivi, la société n’a pu s’acquitter de ses obligations relatives à la taxe sur les produits et services (TPS). En 1998, le ministre du Revenu national (le ministre) a tenté d’obtenir auprès de M. Perricelli, en sa qualité d'administrateur de la société, le paiement de la TPS en souffrance. La question à trancher est celle de savoir si M. Perricelli a cessé d’être un administrateur lorsqu’il a quitté la société en 1990. Dans la négative, a-t-il fait preuve de diligence raisonnable au cours des années qui ont suivi, de sorte qu’il peut se prévaloir de la protection du paragraphe 323(4) de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi)?


Faits

 

[2]     M. Cuthbert a été le premier des trois hommes d’affaires à s’impliquer dans la société. Depuis le début des années 1980, il y jouait un rôle de propriétaire et de gestionnaire. Au milieu des années 1980, M. Lishman s’est joint à la société en tant que vendeur et, en 1988, a acquis des actions auprès de M. Perricelli et de M. Cuthbert, de sorte que chacun d’eux détenait un tiers de la société. M. Perricelli s’est joint à la société en 1987; il a précisé y avoir investi un montant total de 11 000 $. M. Perricelli s’est joint à la société après avoir traité avec M. Cuthbert.  À l'époque, M. Perricelli travaillait à la Niagara Credit Union en tant que gérant des prêts. Lorsqu’il a décidé de se joindre à M. Cuthbert et à l’entreprise de nettoyage, M. Perricelli possédait déjà des années d’expérience dans l’industrie financière, les plus récentes au sein de la Niagara Credit Union, de 1981 à 1987.

 

[3]     En raison des antécédents de M. Perricelli, celui-ci jouait le rôle de directeur et d’agent financier au sein de la société. Il a été nommé secrétaire-trésorier. M. Lishman a déclaré que M. Perricelli était [TRADUCTION] « responsable de la paperasserie ». Ce dernier était le porte-parole principal auprès de la Niagara Credit Union et, dans la même veine, traitait avec le comptable de la société. Ainsi, MM. Cuthbert et Lishman pouvaient se concentrer sur les ventes.

 

[4]     Les trois propriétaires/employés de la petite entreprise ont signé une convention des actionnaires datée du 1er octobre 1989[1]. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

3.1       Convention.      Les parties conviennent de faire tenir les réunions de la société, de faire adopter les résolutions, de faire prendre les règlements administratifs, de faire signer les accords et autres documents et de faire exécuter les tâches nécessaires pour prévoir les arrangements suivants relativement aux affaires de la société.

 

a)         Nombre d’administrateurs. — La société est gérée par un conseil d'administration qui se compose de trois (3) administrateurs. Chaque actionnaire a le droit d’élire un seul administrateur.

 

[...]

 

d)         Voix des administrateurs — Les règlements administratifs de la société prévoient également que chaque administrateur dispose d’une (1) voix lors de toute réunion du conseil d’administration et que le président ne détient pas de voix additionnelle ou prépondérante.

 

e)         Réunions des administrateurs — Les règlements administratifs de la société prévoient également que trois (3) administrateurs constituent le quorum d’une réunion des administrateurs et que toutes les questions sont tranchées par un minimum de deux (2) voix exprimées sur la question. Il n’y a aucun second vote ni aucune voix prépondérante. Les règlements administratifs de la société autorisent les administrateurs à participer à une réunion des administrateurs par tout moyen technique, notamment le téléphone, permettant à tous les participants de communiquer oralement entre eux; ils sont alors réputés assister à la réunion.

 

f)          Assemblées d’actionnaires — Les règlements administratifs de la société prévoient également que trois (3) actionnaires représentés en personne ou par fondés de pouvoir constituent le quorum d’une assemblée des actionnaires de la société. Lors d’une assemblée d’actionnaires, toutes les questions sont tranchées par un minimum de deux actionnaires représentés lors de l’assemblée et ayant le droit de voter sur la question.

 

[...]

 

9.14     Modifications La présente Convention peut être modifiée par consentement unanime des parties aux présentes, lequel consentement lie les deux parties à la présente Convention.

 

[5]     Tant M. Lishman que M. Cuthbert ont précisé que M. Perricelli les avait rencontrés en juin 1990 pour leur annoncer son départ de l’entreprise, puisque celle-ci ne pouvait soutenir financièrement les trois hommes d’affaires. Une telle décision leur paraissait logique, puisque M. Perricelli pouvait se consacrer à d’autres activités. En 1990, il exploitait un restaurant avec son épouse, même si le restaurant, situé dans la région du Niagara, n’était ouvert que sur une base saisonnière. Il avait également un permis de concessionnaire qui lui permettait de se livrer au passe-temps, tel qu’il l’appelait, de la vente d’automobiles. En outre, il était propriétaire de quelques terrains sur lesquels il cultivait le raisin. Selon M. Perricelli, l’économie se dirigeait vers une récession et l’entreprise était mal équilibrée, puisque les trois hommes d’affaires puisaient tous dans la caisse de la société.

 

[6]     À l’époque, M. Perricelli croyait que la société se portait assez bien, puisque tous les paiements avaient été effectués jusqu’alors; l’entreprise était simplement trop petite. Bien que M. Perricelli n’ait pas démissionné par écrit de son poste d’administrateur ou d’agent, il se souvenait clairement d’avoir informé les autres de sa démission en août 1990.

 

[7]     Après l’été 1990, M. Perricelli a cessé de jouer un rôle quotidien actif dans l’entreprise. Il ne retirait plus de fonds de la société, exception faite d’un montant occasionnel de 100 $ par jour pour les travaux effectués sur l’équipement. En plus d’être [TRADUCTION] « responsable de la paperasserie », M. Perricelli possédait plus d’habiletés mécaniques que les deux autres, de sorte que l’on faisait appel à ses services pour les travaux de réparation. Une telle situation ne se présentait que rarement.

 

[8]     M. Perricelli a admis qu’il lui arrivait parfois de signer un chèque, s’il se trouvait au bureau pour effectuer des travaux de réparation. Il a également admis qu’il discutait à l’occasion, de façon informelle, de la santé de l’entreprise. Les trois hommes d’affaires n’ont pas fait savoir à la Niagara Credit Union que  M. Perricelli avait quitté l’entreprise, puisque ce dernier constituait le lien solide entre l’entreprise et la caisse populaire. En 1993, il y a eu regroupement des dettes de la société contractées auprès de la Niagara Credit Union. Les documents suivants datés du 22 novembre 1993[2] ont été produits :

 

—      une feuille de renseignements sur le compte d’affaires de la Niagara Credit Union où ne figurent que les noms de M. Cuthbert et M. Lishman;

 

—      une renonciation à protêt adressée à la Niagara Credit Union et signée par M. Lishman et M. Perricelli;

 

—      un règlement d’emprunt signé par M. Perricelli en tant que secrétaire et par MM. Perricelli, Cuthbert et Lishman en tant qu’administrateurs et actionnaires, avec la signature supplémentaire de Barbara Croft en tant qu’actionnaire (en réalité, elle n’a jamais été actionnaire; elle était plutôt la secrétaire du bureau);

 

—      un certificat d’autorité de la société adressé à la Niagara Credit Union et signé par M. Perricelli en tant que secrétaire;

 

—      une résolution des administrateurs ayant pour objet l’appellation commerciale, ne portant pas la signature d’un administrateur mais copie certifiée conforme par M. Lishman en tant que président et M. Perricelli en tant que secrétaire.

 

[9]     M. Perricelli a expliqué sans détour pourquoi il avait consenti à ce que son nom et sa signature apparaissent dans les documents ci-haut : il ne voulait pas que la caisse populaire sache qu’il avait quitté l’entreprise, par crainte qu’elle ne mette en jeu sa garantie. Le prêt a finalement été remboursé par la société en 1996. Outre les documents ci-haut, on a produit la copie d’une résolution des administrateurs[3], datée du 26 septembre 1994, se rapportant aux arrangements bancaires auprès de la Niagara Credit Union. Dans la résolution, M. Lishman figurait en tant que président, M. Cuthbert en tant que vice-président et M. Perricelli en tant que secrétaire; la résolution indiquait également que ces derniers avaient tous un pouvoir de signature.

 

[10]    En dernier lieu, on a produit une attestation de fonction[4] datée du 29 novembre 1994 et adressée à la Niagara Credit Union. Dans l’attestation, M. Perricelli figurait en tant que secrétaire-trésorier, mais seuls MM. Lishman et Cuthbert figuraient en tant qu’administrateurs.

 

[11]    Dans son témoignage, l’appelant a précisé que, dès 1990, il croyait ne plus être un administrateur. Après le départ de l’appelant, MM. Cuthbert et Lishman ont pris en charge les fonctions de M. Perricelli, bien qu’ils aient tous les deux admis qu’ils n’étaient pas portés à s’attarder aux détails. M. Terry Waud, un comptable agréé qui a commencé à s’occuper des états financiers de la société en 1991, a témoigné qu’il n’avait jamais traité avec M. Perricelli, qu’il l’avait rencontré pour la première fois le jour du procès et qu’il avait toujours présumé que seuls MM. Cuthbert et Lishman exploitaient l’entreprise. M. Waud n’a pu expliquer, autrement qu’en invoquant une inadvertance, pourquoi le nom de M. Perricelli figurait en tant que porte-parole dans la déclaration de revenus de la société pour 1994. Il a déclaré n’avoir eu aucun motif de croire, dans ses rapports avec la société, qu’il pouvait y avoir d’autres administrateurs que MM. Cuthbert et Lishman.

 

[12]    Dans son témoignage, M. Waud a également indiqué qu’il s’était présenté aux bureaux de Revenu Canada à Hamilton, avec MM. Cuthbert et Lishman, pour traiter de la responsabilité de verser la TPS. À ce moment-là, les représentants de Revenu Canada n’ont pas abordé la responsabilité des administrateurs. Toutefois, M. Waud a traité de la question séparément avec MM. Cuthbert et Lishman. M. Lishman a également rencontré des représentants de Revenu Canada sans M. Waud et a été informé de la responsabilité possible des administrateurs. Il n’a jamais fait parvenir de tels renseignements à M. Perricelli, car il ne croyait pas que les renseignements s’appliquaient à ce dernier. M. Perricelli a déclaré n’avoir pris connaissance du problème de la TPS que vers la fin de 1994, lors d’une conversation informelle avec M. Cuthbert. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pris aucune mesure à cet égard, M. Perricelli a répondu qu’il croyait ne pas disposer du pouvoir nécessaire pour s’attaquer au problème.

 

[13]    L’appelant a produit la copie d’une demande visant la valeur de rachat en espèces[5], datée du 12 octobre 1991 et présentée à la London Life en vue d’obtenir le retrait de M. Perricelli en tant qu’assuré. M. Lishman a précisé que l’assurance de M. Perricelli n’était plus nécessaire puisque celui-ci avait cessé d’être un administrateur. M. Cuthbert a déclaré que l’assurance n’était pas nécessaire parce que M. Perricelli n’était plus un associé.

 

[14]    En novembre 1991, la société a emprunté 12 000 $ à une société contrôlée par les beaux-parents de M. Lishman. Un billet à ordre de 12 000 $ a été produit[6]. Contrairement à M. Perricelli, MM. Cuthbert et Lishman ont avalisé le billet à ordre. La participation financière de M. Perricelli se limitait aux liens qu’il entretenait avec la Niagara Credit Union, notamment en se portant garant des dettes de la société. Sans le soutien de M. Perricelli, MM. Lishman et Cuthbert n’auraient pu continuer à se fier à la Niagara Credit Union.

 

[15]    M. Perricelli, M. Lishman et M. Cuthbert étaient tous persuadés que, après l’été 1990, M. Perricelli n’avait plus le pouvoir de gérer l’entreprise, de surveiller les employés, de déterminer l’identité des bénéficiaires, la manière dont les chèques étaient libellés ou le montant de ces derniers, ou de dire quoi que ce soit au sujet de la façon d’exploiter l’entreprise. Lorsqu’on a examiné la convention des actionnaires en leur présence, ils n’ont pu admettre que ce qui était inscrit dans le document. Aucune modification écrite n’a été apportée à la convention des actionnaires du 1er octobre 1989.

 

[16]    L’intimée a produit les formules de rapport annuel de la société déposées auprès de la Direction des compagnies de l’Ontario en mai 1993 et en janvier 1994. Dans ces formules, M. Perricelli figurait en tant qu’administrateur. Une des formules était signée par M. Cuthbert et l’autre par M. Lishman. M. Lishman a simplement expliqué qu’il s’agissait là d’une erreur. M. Cuthbert a admis qu’ils n’avaient jamais informé le cabinet d’avocats ayant préparé les rapports annuels que M. Perricelli avait quitté l’entreprise. M. Cuthbert se rendait au bureau de l’avocat lorsqu’on l’appelait, signait les documents laissés à la réception et quittait le bureau. Pour lui, il s’agissait là d’une question sans grande importance. M. Perricelli ne savait aucunement que des documents dans lesquels il figurait en tant qu’administrateur continuaient à être déposés auprès de la Direction des compagnies de l’Ontario.

 

[17]    En 1996, M. Cuthbert et M. Lishman ont tous les deux fait faillite.

 

[18]    Le 9 septembre 1998, le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelant pour les versements de TPS non effectués au cours de la période du 31 juillet 1991 au 31 janvier 1996.

 

Argument de l’appelant

 

[19]    L’appelant soutient qu’il a cessé d’être un administrateur au cours de l’été 1990 et, par conséquent, qu’il n’était pas un administrateur pendant la période pertinente pour les fins de l’évaluation de la responsabilité des administrateurs. Si je conclus qu’il était un administrateur, l’appelant prétend être exonéré de toute responsabilité  pour avoir fait preuve de diligence raisonnable.

 

[20]    Selon M. McCann, l’avocat de l’appelant, M. Perricelli n’a été administrateur de fait ou de droit en aucun temps après l’été 1990. En ce qui concerne la question de l’administrateur de droit, M. McCann a soutenu qu’il n’était pas nécessaire qu’un administrateur démissionne pour cesser d’être un administrateur; en effet, ni l’article 121 ni l’article 122 de la Loi sur les sociétés par actions[7] de l’Ontario ne s’appliquent. Ces derniers se lisent comme suit :

 

121(1)  Le mandat d'un administrateur prend fin lorsque se produit l'un des événements suivants

 

a)         il décède ou, sous réserve du paragraphe 119(2), il démissionne;

 

b)         il est destitué en vertu de l'article 122;

 

c)         il devient inhabile aux termes du paragraphe 118(1).

 

121(2)  La démission d'un administrateur prend effet à la date de réception par la société d'un écrit à cet effet ou à la date postérieure qui y est indiquée.

 

122(1)  Sous réserve de l'alinéa 120f), les actionnaires d'une société peuvent, à une assemblée annuelle ou extraordinaire, destituer un administrateur par voie de résolution ordinaire.

 

122(2)  Si les détenteurs d'une catégorie ou d'une série d'actions ont le droit exclusif d'élire un ou plusieurs administrateurs, l'administrateur ainsi élu ne peut être destitué que par voie de résolution ordinaire, adoptée à une assemblée des actionnaires de cette catégorie ou série d'actions.

 

122(3)  Sous réserve des alinéas 120 a) à d), toute vacance découlant de la destitution d'un administrateur peut être comblée à l'assemblée des actionnaires qui a prononcé la destitution ou, à défaut, aux termes de l'article 124 […] 

 

[21]    M. McCann a soutenu que M. Perricelli n’était pas un administrateur parce que les actionnaires ne l’avaient jamais nommé à ce titre après l’été 1990 et car il revient aux actionnaires de nommer les administrateurs. Par ailleurs, M. Perricelli n’a jamais accepté, après l’été 1990, d’agir en tant qu’administrateur. Quant à la convention des actionnaires qui, semble-t-il, prévoyait encore que l’appelant était un administrateur, M. McCann m’a demandé avec insistance de conclure que la convention unanime des actionnaires avait été modifiée verbalement et à l’unanimité pour tenir compte de la destitution de M. Perricelli en tant qu’administrateur.

 

[22]    En ce qui a trait aux déclarations de revenus et aux rapports annuels dans lesquels M. Perricelli figurait en tant qu’administrateur jusqu’en 1994, M. McCann a indiqué qu’il y avait eu erreur; quoi qu’il en soit, le dépôt de déclarations d’une société n’a pas d’effet déterminant sur la question de savoir si une personne est un administrateur. M. Cuthbert et M. Lishman ont tous les deux admis qu’ils étaient assez inefficaces lorsqu’il s’agissait de tenir des dossiers, ce qui explique leur manque de diligence à cet égard.

 

[23]    M. McCann a également fait valoir que M. Perricelli n’était pas un administrateur de fait. Le rôle d’un administrateur consiste à assurer ou à surveiller la gestion des affaires et des activités d’une société. D’après M. McCann, M. Perricelli n’a aucunement assumé un tel rôle après l’été 1990. Qui plus est, il n’a jamais cru disposer d’un tel pouvoir. L’argument a été corroboré tant par M. Cuthbert que par M. Lishman. Le seul problème que présente l’argument a trait aux rapports continus entre M. Perricelli et la Niagara Credit Union. M. McCann a passé en revue tous les documents présentés en preuve se rapportant à la Niagara Credit Union. Il a fait valoir que M. Perricelli ne figurait clairement en tant qu’administrateur que dans le document prévoyant l’adoption du règlement administratif, mais que ce document comportait lui-même des lacunes puisque les noms d’actionnaires qui y étaient inscrits étaient inexacts.

 

[24]    En outre, quant aux déclarations faites à la Niagara Credit Union d’une façon générale, M. McCann a soutenu que la Niagara Credit Union pouvait peut-être se servir de la doctrine de la préclusion promissoire contre la société et M. Perricelli, en ce qui concerne le poste de M. Perricelli en tant qu’administrateur, mais qu’une tierce partie telle que l’Agence des douanes et du revenu du Canada ne pouvait s'en prévaloir. M. McCann a passé en revue chacun des documents de la Niagara Credit Union datés du 22 novembre 1993 et a fait remarquer que certains d’entre eux étaient ambigus.

 

[25]    En ce qui a trait à l’argument de la diligence raisonnable, M. McCann ne s’est pas fondé sur la distinction entre l’administrateur interne et l’administrateur externe soumise par le juge Robertson dans l’affaire Soper c. Canada (C.A.)[8]. Il a fait valoir que M. Perricelli avait simplement agi de la manière dont une personne raisonnablement prudente, ne se considérant pas comme un administrateur, aurait agi dans les mêmes circonstances. À n’en pas douter, les mesures prises par M. Perricelli alors qu’il croyait être un administrateur se sont avérées concrètes, en ce sens qu’il a quitté la société, ce qui a eu pour effet de réduire considérablement les dépenses salariales de la société.

 

[26]    L’avocat de l’appelant s’est fondé sur les commentaires suivants du juge Christie, dans l’affaire Cybulski c. M.R.N.[9] :

 

[...] En adoptant le paragraphe 227.1(3), le Parlement a prévu une norme de conduite libératoire dont la présence s'apprécie selon les faits pertinents de chaque cas particulier et non en imputant au contribuable la connaissance d'un point du droit des sociétés passablement obscur que, dans les faits, un bon nombre de praticiens du droit ignorent probablement. Bien qu'au premier abord le paragraphe 227.1(3) semble exiger du contribuable qui en invoque l'application qu'il ait pris des mesures concrètes, cela n'est pas toujours le cas. Il peut arriver qu'un contribuable n'ait pas accompli de gestes précis, mais que l'on puisse considérer qu'il a exercé le degré de soin, de diligence et d'habileté attendu d'une personne raisonnablement prudente, qui fait naître l'exonération de responsabilité prévue au paragraphe en cause. C'est le cas en l'espèce. Je suis convaincu que l'appelant avait des motifs raisonnables de croire que la démission remise au président de la compagnie et acceptée par ce dernier rompait les liens qui le rattachaient à la compagnie à titre d'administrateur et de secrétaire-trésorier, et mettait fin à la responsabilité qu'il assumait à cet égard. Il n'est donc pas responsable du défaut de la compagnie de remettre les retenues à la source, d'autant plus qu'en l'espèce, la personne effectivement chargée de la direction des affaires a empêché l'appelant d'exercer toute influence sur la gestion de la compagnie après qu'il a remis sa démission.

 

[27]    On m’a également renvoyé aux commentaires du juge Hamlyn dans l’affaire Ferguson c. Canada[10], où ce dernier a conclu que la preuve documentaire ou de vive voix était insuffisante pour réfuter l’hypothèse selon laquelle les appelants étaient administrateurs. Toutefois, le juge Hamlyn a convenu que les appelants se considéraient comme des administrateurs et a précisé ce qui suit :

 

            Je conclus, en l'espèce, que les appelants, étant donné leur point de vue personnel selon lequel ils n'étaient pas administrateurs, n'exerçaient aucun pouvoir ou contrôle sur la conduite de la société et que, du point de vue de la société, on ne s'attendait pas qu'ils le fassent. De plus, il n'y a guère d'éléments de preuve autres que la pièce R-1, section 7, qui amènent à conclure que les appelants ont fait preuve d'un aveuglement délibéré quant à leur rôle ou quant à leurs devoirs ou obligations. Je conclus donc qu'ils ne peuvent être tenus responsables du manquement de la société à l'obligation de verser de la TPS.

 

Argument de l’intimée

 

[28]    Quant à la question de savoir si M. Perricelli était un administrateur, l’intimée a écarté l’application de l’article 119 ou de l’article 122 de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, puisqu’il n’était question ni d’une élection au conseil d’administration ni de la destitution d’un administrateur; il fallait simplement déterminer si M. Perricelli avait ou non donné sa démission conformément à l’article 121. En l’absence d’une démission présentée par écrit, aucune démission valable n’a été donnée; par conséquent, M. Perricelli est demeuré administrateur de droit.

 

[29]    Par ailleurs, en donnant l’impression à la Niagara Credit Union qu’il était administrateur en 1993 et en n’avisant pas les avocats de la société de sa démission, M. Perricelli est demeuré administrateur de fait. Selon l’intimée, un tel argument est renforcé par le fait que M. Perricelli a continué à signer des chèques et n’a rien fait pour se retirer de la convention des actionnaires. L’intimée est allée plus loin en soutenant que M. Perricelli était un administrateur interne au sens de l’affaire Soper. À l’appui de cette prétention, l’intimée a cité le jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Stein c. La Reine[11], confirmé en appel, en particulier l’extrait suivant :

 

[…] La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Soper explique que la responsabilité des administrateurs d'une corporation n'est pas la même pour tous. Cette décision fait la distinction entre l'administrateur interne et l'administrateur externe. Cette décision énonce également qu'à l'égard de chacune des deux catégories il faut prendre en compte l'expérience personnelle et le rôle de l'administrateur au sein de la corporation. La Cour d'appel fédérale n'a pas défini ce qu'elle entendait par l'administrateur externe. Elle a toutefois défini ce qu'elle entendait par administrateur interne. Il s'agit de l'administrateur qui s'occupe quotidiennement de l'administration et qui détermine le cours des affaires de l'entreprise (paragraphe 33 de l'arrêt Soper, ci-avant cité). Je peux accepter que l'appelante ne s'occupait pas de la gestion quotidienne de l'entreprise. Toutefois, comme elle avait garanti la marge de crédit de l'entreprise, qu'elle était la seule autre actionnaire et qu'elle avait le pouvoir de signer les chèques, il serait plus difficile d'accepter qu'elle n'ait pas participé à la détermination du cours des affaires de l'entreprise. Dans ces circonstances, elle pourrait être considérée comme un administrateur interne […]

 

[30]    D’après l’intimée, M. Perricelli pouvait imprimer sa marque sur la gestion financière de la société en maintenant ses rapports avec la Niagara Credit Union. Un tel intérêt direct dans le bien-être de la société était suffisant pour lui donner une certaine influence, qu’il a choisi de ne pas exercer. Quant à la diligence raisonnable, l’intimée prétend que M. Perricelli connaissait ou aurait dû connaître les problèmes financiers de la société, surtout ceux se rapportant aux versements de TPS, mais qu’il n’a pris aucune mesure à cet égard. Les faits en l’espèce se distinguaient de ceux dans l’affaire Cybulski, dans laquelle l’administrateur en question avait été empêché de faire quoi que ce soit par les autres administrateurs.

 

Analyse

 

Administrateur de droit

 

[31]    Pour traiter de la responsabilité de M. Perricelli aux termes de l’article 323 de la Loi, il faut tout d’abord déterminer s’il était un administrateur pendant la période pertinente. En premier lieu, je me pencherai sur son statut en tant qu’administrateur de droit. Pour ce faire, il faut examiner les dispositions de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario. L’intimée soutient qu’il n’est possible de démissionner qu’en conformité avec le paragraphe 121(2) de la Loi, lequel se lit comme suit :

 

121(2)  La démission d'un administrateur prend effet à la date de réception par la société d'un écrit à cet effet ou à la date postérieure qui y est indiquée.

 

[32]    Je suis convaincu que M. Perricelli a démissionné au cours de l’été 1990. Il l’a fait lorsque les trois administrateurs et actionnaires étaient tous ensemble. Il faut déterminer si la démission a pris effet conformément aux lois de l’Ontario. L’un des trois hommes a-t-il déclaré : « Nous renonçons à l’avis de convocation »? Probablement pas. MM. Cuthbert et Lishman ont-ils dit : « Nous acceptons la démission de M. Perricelli et nous nous élisons tous les deux en tant qu’administrateurs permanents »? Là encore, probablement pas. Toutefois, les trois hommes ont-ils quitté la réunion en sachant bien que M. Perricelli ne remplirait plus ses fonctions d’administrateur? Oui, sans aucun doute.

 

[33]    L’effet de la réunion peut être interprété sous deux angles. Premièrement, il y aurait eu démission verbale immédiate. L’avocate de l’intimée m’informe que le paragraphe 121(2) devrait être interprété de manière à imposer une exigence stricte selon laquelle la démission doit être donnée par écrit pour être valable. Elle me renvoie à l’affaire Mastromonaco c. La Reine[12], bien qu’à mon avis, la Cour d’appel fédérale ne soit pas allée aussi loin. Le juge Stone a déclaré ce qui suit :

 

            Le juge de la Cour de l'impôt a estimé que l'appelant était bien devenu administrateur de la société le 1er août 1992 et l'était demeuré au cours des périodes visées par les cotisations.  En tirant cette conclusion, il était évidemment influencé par l'absence de preuve documentaire au soutien de l'affirmation de l'appelant selon laquelle celui-ci avait cessé d'être administrateur en mars 1993.  À notre avis, eu égard à la preuve dont il disposait, le juge de la Cour de l'impôt pouvait rendre cette décision.  Elle semble d'ailleurs résulter dans une grande mesure de son appréciation de la crédibilité de l'appelant en tant que témoin.                      (Je souligne.)

 

[34]    À mon sens, le recours au commentaire selon lequel le juge Beaubier était influencé par l’absence de preuve documentaire n’appuie pas solidement l’exigence stricte de la démission donnée par écrit. Tel que la Cour l’a indiqué, la crédibilité a nettement joué un rôle dans la décision. En l’espèce, je n’ai aucun motif de mettre en doute les témoignages de MM. Cuthbert, Lishman et Perricelli, selon lesquels M. Perricelli a cessé d’être un administrateur dès l’été de 1990.

 

[35]    À n’en pas douter, en cas de démission donnée par écrit, le moment où celle-ci prend effet est régi par le paragraphe 121(2). À mon avis, la disposition n’empêche pas qu’il y ait démission valable dans des circonstances telles que celles en l’espèce, lorsque tous les actionnaires, qui constituent par ailleurs l’ensemble des administrateurs, se rencontrent et conviennent qu’un des leurs ne doit plus être administrateur. Le libellé du paragraphe 121(2) est suffisamment ambigu. On ne m’a pas renvoyé à un jugement dans lequel la disposition a été interprétée de manière à ce qu’une démission juridiquement valable doive nécessairement être donnée par écrit et que, par conséquent, une démission verbale en présence de tous les administrateurs et actionnaires ne soit pas valable.

 

[36]    Je dois toutefois traiter d’un jugement qui n’a pas été mentionné par les parties : la décision rendue par le juge Rip de la présente cour dans l’affaire Giglio c. La Reine[13], dans laquelle il a déclaré ce qui suit :

 

[...] M. Giglio n'a jamais rédigé de lettre de démission ni délivré quelque document écrit à un dirigeant de la Nu-West en vue de signifier son intention de démissionner de son poste d'administrateur de la société; il a uniquement agi comme s'il avait démissionné. La Nu-West n'a jamais reçu avis de la démission effective de M. Giglio, quoi qu'il se peut fort bien que ce dernier ait informé M. Decaria, le président de la société, qu'il avait l'intention de démissionner. La seule chose qui est arrivée, c'est que M. Giglio avait chargé son avocat de préparer la documentation relative à la démission; aucun élément de preuve ne permet d'établir qu'une telle documentation ait été préparée. Il a été établi que l'appelant n'a jamais signé de lettre ou d'avis de démission. Par ailleurs, l'appelant était une personne bien informée qui s'était rendu compte que pour que sa démission prenne effet, elle devait être faite par écrit. (Elle devait en outre être remise à la Nu-West.) C'est la raison pour laquelle il avait donné pour instructions à Me Magerman de préparer les documents nécessaires.                                                                                                                        (Je souligne.)

 

À mon avis, il ne s’agissait pas là d’une interprétation non restrictive du paragraphe 121(2) de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario exigeant que la démission soit dans tous les cas donnée par écrit pour être valable. Il s’agissait davantage de la reconnaissance du fait que M. Giglio s’était rendu compte, dans son cas, de la nécessité d’un avis écrit. M. Giglio ne s’est pas présenté à une réunion de tous les administrateurs et actionnaires pour y annoncer son départ. Le juge Rip n’a pas abordé une telle situation, puisqu’il n’en était pas question.

 

[37]    On peut interpréter sous un deuxième angle ce qui s’est passé au cours de l’été 1990, lorsque les trois actionnaires et administrateurs se sont rencontrés : il y aurait eu une élection en vertu de laquelle les trois actionnaires n’auraient élu que deux administrateurs. Les paragraphes 119(6) et (7) de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario traitent d’une telle élection et se lisent comme suit :

 

119(6)  Le mandat d'un administrateur élu pour une durée non expressément déterminée prend fin à la clôture de la première assemblée annuelle qui suit son élection.

 

119(7)  Malgré les dispositions du présent article, le mandat des administrateurs, à défaut d'élection de nouveaux administrateurs à une assemblée des actionnaires, se poursuit jusqu'à l'élection de leurs remplaçants.

 

[38]    Je ne puis conclure que les trois actionnaires aient dans les faits lancé un appel de candidatures et procédé à un vote à mains levées. Il m’est cependant possible de conclure que les trois administrateurs et actionnaires étaient tous d’avis, par suite de leur réunion, que MM. Cuthbert et Lishman conservaient leurs fonctions d’administrateurs, contrairement à M. Perricelli. Pour que leur opinion soit soutenue en droit, il faut conclure que la réunion constituait une assemblée annuelle des actionnaires au cours de laquelle une élection des administrateurs a eu lieu. Dans ce cas (et seulement dans ce cas), M. Perricelli pourrait se fonder sur le paragraphe 119(6) pour soutenir que son mandat d’administrateur a pris fin. Je suis convaincu que les trois actionnaires ont tenu une assemblée et renoncé, de par leur présence, à tout avis nécessaire. Je suis également convaincu que les trois actionnaires ont convenu que M. Perricelli ne participerait plus de façon continue aux questions de gouvernance ou de gestion, sauf en demeurant, pour des motifs économiques, le porte-parole auprès de la caisse populaire.

 

[39]    Bref, en ce qui concerne la question de l’administrateur de droit, M. Perricelli n’a présenté aucune démission par écrit ni aucune preuve d’une élection réelle par vote à mains levées. Toutefois, il a présenté un témoignage, corroboré par les deux autres administrateurs et actionnaires, selon lequel il a été décidé, lors d’une réunion avec ces derniers pendant l’été 1990, qu’il cesserait d’être un administrateur. Qu’il s’agisse là de la démission de M. Perricelli ou de l’élection des deux autres administrateurs, je suis convaincu que, dans les circonstances, il est déjà prouvé que M. Perricelli a abandonné son poste d’administrateur. Si le principe qui sous-tend l’abandon valable du poste d’administrateur est celui de la communication utile avec la société, un tel principe a certes été observé en l’espèce, malgré l’absence de documentation.

 


Administrateur de fait

 

[40]    Dans l’affaire Canada c. Corsano (C.A.)[14], la Cour d’appel fédérale a tranché le point de droit de la manière suivante :

 

[...] en utilisant le terme « administrateurs » sans restrictions au paragraphe 227.1(1), le législateur a voulu qu'il recouvre tous les genres d'administrateurs reconnus en droit des sociétés, notamment les administrateurs de droit et de fait.

 

[41]    Même si j’accepte que M. Perricelli a cessé d’être un administrateur de droit au cours de l’été 1990, les mesures qu’il a prises par la suite, ainsi que celles des deux autres administrateurs, n’ont pas pour effet de corroborer entièrement l’abandon de son poste en tant qu’administrateur de fait. À cet égard, la preuve va dans les deux sens. Les faits suivants (après l’été 1990) corroborent l’abandon de son poste d’administrateur :

 

—      il se présentait rarement au travail; lorsqu’il s’y présentait, ce n’était que sur une base contractuelle et pour effectuer des réparations;

 

—      il ne recevait aucun revenu ni aucune autre forme de rémunération, exception faite du montant de 100 $ par jour pour les travaux de réparation;

 

—      il n’a joué aucun rôle de surveillance ou de gestion;

 

—      il a abandonné toutes ses fonctions administratives, notamment en ne communiquant plus avec les comptables ou Revenu Canada;

 

—      il n’a pas signé la garantie au titre de l’emprunt subséquent de la société, comme l’ont fait les deux autres administrateurs;

 

—      il s’est vu retirer son statut d’assuré dans le cadre de la police d’assurance-vie de la société;

 

—      il ne se considérait pas comme un administrateur, en raison de son retrait au cours de l’été 1990.

 

[42]    Toutefois, les faits suivants tendent à démontrer une certaine participation continue :

 

—      il lui arrivait parfois de signer des chèques s’il se trouvait au bureau;

 

—      il est demeuré le porte-parole auprès de la Niagara Credit Union et a signé des documents en 1993; il figurait en tant qu’administrateur dans l’un des documents (mais pas dans l’autre);

 

—      son nom n’a pas été supprimé des documents déposés auprès de la Direction des compagnies de l’Ontario;

 

—      aucune modification écrite prévoyant son retrait n’a été apportée à la convention unanime des actionnaires.

 

[43]    L’intimée soutient que l’appelant ne peut gagner sur les deux tableaux, en ce sens qu’il ne peut faire croire aux banquiers et avocats de la société qu’il est encore un administrateur tout en le niant devant l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Toutefois, les mesures prises par MM. Perricelli, Cuthbert et Lishman à cet égard peuvent faire l’objet d’une explication plausible. Premièrement, M. Perricelli a admis qu’il ne voulait pas que la Niagara Credit Union pense qu’il avait quitté la société, par crainte que la caisse populaire ne rompe les liens avec la société, ce qui aurait obligatoirement entraîné la mise en jeu de sa garantie. Deux éléments indiquent que la banque pouvait raisonnablement croire à la participation continue de M. Perricelli : la signature occasionnelle de chèques et la signature des documents de novembre 1993. Il se peut que M. Perricelli ait conservé un certain pouvoir de signature sans toutefois être un administrateur. Les documents de novembre 1993 sont, au mieux, contradictoires, puisqu’il n’y a qu’un seul endroit où M. Perricelli figure bel et bien en tant qu’administrateur. Cette seule inscription, après l’été 1990, n’est pas suffisante pour me permettre de conclure que M. Perricelli était un administrateur de fait.

 

[44]    Je conclus également que le peu d’attention porté à la paperasserie juridique, telle que les rapports annuels et la convention unanime des actionnaires, ne constitue qu’un manque d’attention. M. Cuthbert et M. Lishman étaient des hommes d’affaires modestes qui tentaient d’assurer la survie de leur entreprise. Ils ignoraient la nécessité de voir à ce que tous les documents soient en règle en vue de s’assurer de la mise au point des aspects juridiques du retrait de M. Perricelli. À n’en pas douter, ils se seraient moqués de l’idée d’encourir des frais d’avocat pour apporter une modification écrite à leur convention unanime des actionnaires. Il s’agissait là de questions juridiques qui étaient simplement ignorées de tous. Bien que je ne ferme pas les yeux sur une telle indifférence à l’égard des documents nécessaires, je conclus qu’elle ne visait pas à tromper.

 

[45]    Je suis convaincu que les explications offertes par MM. Perricelli, Cuthbert et Lishman relativement à la Niagara Credit Union et aux rapports annuels de la société diminuent le poids des facteurs ci-haut en tant que facteurs ayant un effet déterminant sur le statut d’administrateur de M. Perricelli. Tout compte fait, il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que M. Perricelli était un administrateur de fait. L’élément le plus révélateur est son témoignage crédible selon lequel, après l’été 1990, il ne se considérait plus comme un administrateur et ne croyait en aucun moment disposer du pouvoir nécessaire pour donner des conseils ou exercer une influence ou un contrôle relativement à la gestion ou l’administration de la société. Je conclus que M. Perricelli n’était pas un administrateur après l’été de 1990.

 

Diligence raisonnable

 

[46]    Si j’avais conclu que M. Perricelli était un administrateur, il aurait alors pu se fonder sur le moyen de défense de la diligence raisonnable prévu au paragraphe 323(3) de la Loi, lequel se lit comme suit :

 

323(3)  L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[47]    On a qualifié ce qui précède de critère objectif subjectif. Pour établir la norme à appliquer, il faut déterminer si l’administrateur est un administrateur interne ou externe. Évidemment, selon l’intimée, étant donné ses liens financiers et, par conséquent, sa capacité d’imprimer sa marque sur la gestion, M. Perricelli était un administrateur interne. Je conclus qu’il est inutile d’adopter l’analyse énoncée dans l’affaire Soper, précitée, car, peu importe la norme appliquée, ce qui importe est le fait que M. Perricelli ne se considérait pas comme un administrateur. Il n’a pas été consulté par M. Cuthbert ou M. Lishman au sujet du problème de la TPS et ne s’est jamais présenté au bureau de l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Il n’a pas traité avec les comptables de la société pendant la période pertinente. Qui plus est, lorsqu’il a pris connaissance du problème concernant les versements de TPS, celui-ci était déjà devenu un problème de défaut de versement. Il était trop tard pour que M. Perricelli puisse prendre des mesures concrètes. M. Perricelli ne croyait pas jouer un rôle continu et pensait encore moins disposer du pouvoir d’un administrateur. Il a donc agi en conséquence. Selon l’intimée, étant donné l’influence de M. Perricelli sur les arrangements bancaires, celui-ci pouvait imprimer sa marque sur la gestion et l’administration de la société mais a simplement choisi de s’en abstenir. Je n’accepte pas une telle interprétation. À vrai dire, M. Perricelli a peut-être involontairement pris une mesure concrète pendant la période pertinente en s’assurant que la société continue à entretenir des liens avec son banquier. Or, il n’a pas pris une telle mesure pour s’assurer que la TPS soit payée (puisqu’il n’était pas au courant du problème de la TPS), mais plutôt pour protéger sa propre situation financière.

 

[48]    Les avocats ont présenté certains jugements rendus depuis l’arrêt Soper qui traitent de la question de l’administrateur interne ou externe. J’estime qu’il est inutile de les examiner. La question plus pertinente est celle de savoir si une personne raisonnablement prudente, ne se considérant pas comme un administrateur, aurait agi avec plus de soin, de diligence et de compétence que M. Perricelli. Je ne puis voir comment cela aurait été possible.

 

[49]    J’irais même plus loin en disant qu’une personne raisonnablement prudente n’aurait pas su qu’il était un administrateur. Il ne participait pas aux activités quotidiennes de la société, n’était pas tenu au courant de la situation dans laquelle se trouvait la société, avait communiqué verbalement sa démission de la société aux deux autres administrateurs et actionnaires et n’entretenait plus aucun lien avec les comptables. Étant donné que, tout compte fait, j’ai conclu que M. Perricelli avait cessé d’être un administrateur en 1990, on peut raisonnablement accepter la position de M. Perricelli selon laquelle il ne se considérait pas comme un administrateur. Même si j’avais conclu que M. Perricelli était un administrateur, il existerait encore suffisamment de facteurs sur lesquels M. Perricelli, peu versé dans les aspects juridiques d’un poste d’administrateur, pourrait se fonder pour que je conclue qu’il n’était plus un administrateur.

 

[50]    Tenir responsable un administrateur ayant démontré qu’il ne se considérait pas en tant que tel revient à l’assujettir à la même norme que celle qui s’applique à un administrateur qui savait ou aurait dû savoir qu’il devait et pouvait prendre des mesures concrètes pour empêcher le défaut de versement. Il s’agit là d’une attente irréaliste imposée à l’administrateur involontaire. Si vous ne croyez pas être un administrateur et si cette opinion est fondée sur des motifs raisonnables, vous devriez alors être exonéré de toute responsabilité en vertu du paragraphe 323(3) de la Loi. Bien que les circonstances dans l’affaire Cybulski, précitée, diffèrent de celles en l’espèce, le principe énoncé par le juge Christie dans l’extrait cité plus haut s’applique; c’est-à-dire, si l’appelant a des motifs raisonnables de croire qu’il a rompu les liens qui le rattachaient à titre d’administrateur, il est exonéré de la responsabilité du fait d’autrui relativement aux retenues à la source. À mon sens, un tel scénario décrit la situation dans laquelle se trouve M. Perricelli.

 

[51]    J’accueille l’appel et je défère la question au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que M. Perricelli n’est pas responsable en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi. Les dépens sont adjugés à l’appelant.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juin 2002.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de mai 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Pièce A-1, onglet 4.

[2]           Pièce R-1, onglets 6 à 10.

[3]           Pièce R-1, onglet 11.

[4]           Pièce R-1, onglet 12.

[5]           Pièce A-1, onglet 9.

[6]           Pièce A-1, onglet 10.

[7]           L.R.O. 1990, chapitre B-16.

[8]           [1998] 1 C.F. 124.

[9]           C.C.I., no 87-793(IT), 12 juillet 1988 (88 D.T.C. 1531).

[10]          [1999] A.C.I. no 203.

[11]          C.C.I., no 97-1180 (GST)G, 22 juin 1991 ([1999] G.S.T.C. 64), confirmé par C.A.F., nA-579-99, 8 janvier 2001 ([2001] G.S.T.C. 14).

[12]          2001 C.A.F. 135.

[13]          C.C.I., no 97-2465 (IT)G, 10 mars 1999, à la page 12 (99 D.T.C. 854, aux pages 859 et 860).

[14]          [1999] 3 C.F. 173 ([1999] 2 C.T.C. 395).

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