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Dossier : 2016-1657(IT)I

ENTRE :

FORMADRAIN INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Formadrain inc., 2016-1658(IT)I, les 8 et 9 décembre 2016, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Yves Hamelin

Avocat de l’intimée :

Me Gabriel Girouard

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2013 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national afin que la nouvelle cotisation soit modifiée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2017.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 


Dossier : 2016-1658(IT)I

ENTRE :

FORMADRAIN INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Formadrain inc., 2016-1657(IT)I, les 8 et 9 décembre 2016, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Yves Hamelin

Avocat de l’intimée :

Me Gabriel Girouard

 

JUGEMENT

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2012 est accueilli et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2017.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 


Référence : 2017 CCI 42

Date : 20170315

Dossiers : 2016-1657(IT)I

2016-1658(IT)I

ENTRE :

FORMADRAIN INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

I. INTRODUCTION

[1]             Le présent appel a trait à la réclamation par Formadrain inc. (« l’appelante ») de crédits d’impôt pour recherche scientifique et développement expérimental (« RS&DE ») qui ont été refusés par la ministre du Revenu national (la « ministre ») pour les années d’imposition 2012 et 2013 (« périodes en litige »).

II. APERÇU

[2]             L’appelante exploite une entreprise œuvrant dans le développement de technologies de réhabilitation, sans excavation, de conduits souterrains et de conduits de procédés industriels. Formadrain vend sa technologie au Canada et aux États-Unis.

[3]             Créée en 1994, l’appelante a d’abord développé un système qui consiste à tirer une gaine de fibre de verre et d’époxy pré imprégné dans un tuyau existant, à travers des accès existants afin de réparer des conduits souterrains sans excaver. En d’autres termes, un tuyau neuf est fabriqué à l’intérieur de l’ancien, sans creusage[1].

[4]             Pour ce faire, les conduits souterrains sont gainés avec un système cuit en place, mieux connu sous la désignation anglophone « Cured in Place Pipe »[2].

[5]             En 2012, l’équipe de l’appelante travaille sur deux projets qui consistent à développer des produits pour lesquels des dépenses en RS&DE et CII (« crédit d’impôt à l’investissement ») sont réclamés, soit :

1)    le développement d’une résine latente (« résine »);

2)    le développement d’un équipement permettant de faciliter l’installation de la gaine Formadrain, c’est-à-dire un mandrin léger à usage unique (« mandrin ») permettant l’installation en un seul accès au lieu de deux.

[6]             Le contexte de ces deux projets est le suivant. Il est difficile pour certains clients de l’appelante, soit des entrepreneurs en réparation d’égouts, de mettre en œuvre la technologie de l’appelante. Souvent, les conduits d’égout peuvent atteindre jusqu’à 200 pieds de long. Les petits entrepreneurs n’ont souvent pas l’espace requis pour dérouler la gaine et appliquer la solution de résine sur une telle surface.

[7]             L’appelante décide de développer une technologie clé en main. Ainsi, la gaine, incluant le mandrin, serait vendue pré imprégnée de résine. Les clients de l’appelante, soit les entrepreneurs, recevraient un produit prêt à réparer un égout.

[8]             Pour atteindre cet objectif, l’appelante doit développer une résine ayant un temps ouvert de 60 jours et pouvant être curé à la vapeur en 60 minutes ou moins, peu importe les conditions du sol, telles que la présence de l’eau et des températures variables. En 2012, la résine n’avait qu’une durée de quatre heures. À cet effet, le chimiste externe de l’appelante avait indiqué à l’appelante qu’elle ne serait pas en mesure de développer une résine qui aurait un temps ouvert de 30 jours et encore moins de 60 jours.

[9]             Toujours dans l’objectif de développer une technologie clé en main, en complémentarité à la résine, l’appelante voulait aussi développer un nouveau mandrin, soit un mandrin léger à usage unique. Ce nouveau mandrin permettrait à l’appelante de réparer les conduits souterrains sans creuser et de le faire en y accédant seulement par un accès soit, le « cleanout » se trouvant à l’intérieur du bâtiment plutôt que l’accès dans la rue soit par le « manhole ». De plus, un mandrin de type léger permettrait qu’on le pousse en place au lieu de le tirer.

[10]        Durant les années en litige, l’appelante utilisait un mandrin qui n’était pas à usage unique, qui était lourd et dispendieux. De plus, la méthode utilisée faisait qu’on tirait le mandrin et pour ce faire, il fallait avoir recours à deux accès.

[11]        Si l’appelante réussissait à développer ces deux produits qui vont de pair, cela permettrait de vendre cette technologie clé en main. Ainsi, la gaine pré imprégnée de résine ayant une durée ouverte de 30 jours à 60 jours, incluant le nouveau mandrin, serait transmise aux clients‑entrepreneurs. L’entrepreneur n’aurait qu’à procéder à la réparation. De plus, l’entrepreneur n’aurait pas à retourner le mandrin une fois les conduits d’égout réparés. Cette technologie faciliterait le travail des entrepreneurs et ouvrirait un nouveau marché à l’appelante.

[12]        Ces projets ont commencé en 2010, cependant la technologie n’était toujours pas à point en 2103. Donc, durant les années d’imposition 2012 et 2013, l’appelante a continué ses activités de recherche et développement quant à la résine et au mandrin léger à utilisation unique.

[13]        En 2013, un troisième projet s’ajoutait à ses activités de RS&DE, soit le développement d’un équipement et d’une méthode permettant d’effectuer le branchement du raccord des entrées de service avec l’égout principal municipal, donc le développement du mandrin en « T »[3].

[14]        En mai 2013, l’appelante a fait l’objet d’une vérification menée par M. Eduardo Turcott, conseiller en recherche et technologie (« CRT »), à l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») et Mme Michelle Lamarre, examinatrice financière (« EF ») à l’ARC, pour l’année d’imposition 2012.

[15]        En novembre 2014, l’appelante a aussi fait l’objet d’une vérification menée par M. Eduardo Turcott, CRT, et Mme Élaine Jacques, EF, pour l’année d’imposition 2013. 

[16]        Lors des vérifications, un document a été remis au CRT pour chacun des projets en litige, dans lequel étaient énumérés les tests effectués, les dates auxquelles ils avaient eu lieu, les personnes ayant participé à ces tests, la durée de ceux-ci ainsi que des photos. Suite à la réception de ces informations, l’ARC a demandé des documents additionnels.

[17]        À cet égard, le 27 septembre 2013 l’appelante a fait parvenir un document dans lequel les informations suivantes étaient contenues à l’égard de chaque projet:

-         l’objectif global du projet

-         l’hypothèse globale du projet

-         les obstacles et incertitudes technologiques du projet

-         l’avancement technologique du projet

-         le contenu scientifique du projet

Ce document identifiait aussi, pour chacun des essais effectués :

-         l’objectif technologique

-         l’avancement technologique

-         l’incertitude scientifique et technologique

-         l’hypothèse destinée à dissiper l’incertitude scientifique ou technologique

-         la relation entre les essais conduits et l’avancement technologique visé

-         la quantité et le type de matériaux utilisés

-         le résultat de l’essai

-         le personnel impliqué et la nature des travaux réalisés

-         des photos

[18]        De plus, le 16 décembre 2014, l’appelante a aussi fait parvenir pour l’année d’imposition 2013, un document dans lequel les informations suivantes étaient contenues :

-         la liste des essais et dessins faits à la main

[19]        Étaient également identifiés dans ce même document, pour chacun des essais effectués :

-         l’incertitude scientifique et technologique

-         l’hypothèse destinée à dissiper l’incertitude scientifique ou technologique

-         la relation entre les essais conduits et l’avancement technologique visé

-         la quantité et le type de matériaux utilisés

-         le résultat des essais

-         le personnel impliqué et la nature des travaux réalisés

-         des photos

[20]        Suite à ces vérifications par l’ARC, des nouvelles cotisations ont été établies par la ministre refusant les dépenses de RS&DE réclamées par l’appelante. L’appelante s’est dûment opposée à ces nouvelles cotisations. Le 12 avril 2016, un avis de confirmation a été établi par la ministre, confirmant que les projets relatifs à la résine et au mandrin ne constituaient pas de la RS&DE, tel que défini par l’article 248 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), pour l’année d’imposition 2012.

[21]        Aucune décision sur opposition n’a été rendue par la ministre pour l’année d’imposition 2013, l’appelante ayant préféré se prévaloir de son droit de faire appel auprès de cette Cour après l’expiration des 90 jours qui suivent la signification de l’avis d’opposition sans que la ministre n’ait notifié au contribuable le fait qu’elle a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation selon l’alinéa 169(1)b) de la Loi.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[22]        Lors de l’audience, l’intimée a concédé que la résine constituait de la RS&DE, au sens de l’article 248 de la Loi pour les années d’imposition 2012 et 2013.

[23]        Par conséquent, les questions en litige sont les suivantes :

Est-ce que les activités de recherche et développement de l’appelante quant au mandrin pour les années d’imposition 2012 et 2013 constituent de la RS&DE, au sens de l’article 248 de la Loi ?

 

Est-ce que les activités de recherche et développement de l’appelante quant au développement d’une méthode/équipement permettant d’effectuer l’installation de la gaine Formadrain par un seul accès au lieu de deux accès, le mandrin en « T », constituent de la RS&DE au sens de l’article 248 de la Loi ?

IV. PREUVE LORS DE L’AUDIENCE

[24]        M. Therrien est à l’emploi de l’appelante depuis 1994. Il est devenu associé en 1999 et depuis le 30 septembre 2016, il occupe le poste de président de l’appelante. Il a succédé à M. Gérard Marc-Aurèle, soit le fondateur et ex‑président de l’appelante, qui est décédé en 2016.

[25]        M. Therrien est ingénieur en génie civil. Il a témoigné quant aux activités de recherche liées au développement du nouveau mandrin léger.

[26]        M. Carl Marc-Aurèle est aussi à l’emploi de l’appelante. Il est vice‑président de l’appelante et est un ingénieur chimiste. Il a témoigné quant aux activités de développement de la résine.

[27]        L’appelante a été créée en 1994 par M. Gérard Marc-Aurèle. M. Marc‑Aurèle n’était pas un ingénieur, mais il avait l’âme d’un inventeur avec une vision avant-gardiste. C’est suite à une expérience personnelle malencontreuse que ce dernier a eu l’idée, dans les années 1980, de développer un système permettant de réparer des égouts de résidences et bâtiments sans avoir recours à l’excavation.

[28]        L’idée de réparer des égouts sans excavation mûrit pendant une dizaine d’années, avant que M. Marc-Aurèle décide en 1993 de s’associer avec la firme d’ingénieurs Deblois Engineering, de l’Île d’Orléans. 

[29]        À cette époque, le système « sans excavation » était déjà utilisé à l’échelle des villes, mais l’idée de transposer ce système au niveau des égouts résidentiels était farfelue, étant donné le degré de complexité des accès aux conduits d’égouts et les changements de direction ainsi que les changements de diamètre de ces conduits. 

[30]        M. Therrien a indiqué qu’à partir de 1994, l’équipe de l’appelante a fait de la recherche et du développement afin de développer une technologie fonctionnelle. Cela n’a pas été une mince tâche. En 1996-1997, la technologie était boiteuse.

[31]        Cependant, graduellement, un manuel contenant la procédure fut élaboré par l’appelante dans le but d’avoir une meilleure compréhension du terrain et de mieux maîtriser l’éventail très large d’éléments non contrôlables qui s’y rattachent. Le témoin a donné à titre d’exemple les infiltrations d’eau et la dissipation de la chaleur. 

[32]        Ce n’est cependant qu’en 1998 que l’appelante a commencé à permettre à des entrepreneurs en réparation d’égouts d’utiliser sa technologie par voie de licences à travers l’Amérique du Nord.

[33]        L’appelante est maintenant une chef de file dans l’industrie de la réparation des égouts sans excavation. D’ailleurs, 36 licences permettant l’utilisation de la technologie développée par l’appelante ont été accordées à des entrepreneurs, dont 6 au Québec, 20 dans les autres provinces du Canada et 10 aux États-Unis[4].

[34]        En 2012, l’appelante comptait environ une vingtaine d’employés, dont trois ingénieurs, et son chiffre d’affaires était de l’ordre de 1,75 million de dollars.

A. Le produit

[35]        Le terme « mandrin » désigne le tube de caoutchouc qui sert de moule et qui permet de mettre en place la gaine « Formadrain » dans les conduits souterrains.

[36]        L’appelante a entrepris le développement et la conception d’un mandrin qui serait poussé en place plutôt que tiré, permettant ainsi l’installation de la technologie Formadrain en un seul accès plutôt que deux[5]

[37]        L’appelante souhaitait être en mesure non seulement de réparer des conduits souterrains sans creuser, mais de le faire en y accédant seulement par le « cleanout », c’est-à-dire par l’accès aux conduits se trouvant à intérieur du bâtiment, plutôt que par les rues, qui sont souvent achalandées et où l’espace de travail est restreint.

[38]        De surcroît, l’appelante désirait que le mandrin soit le plus léger possible, pour qu’il soit exporté facilement et qu’il soit à usage unique. Ainsi, nul besoin pour les clients de retourner le mandrin après usage.

[39]        Le procédé d’installation du produit que tente de développer l’appelante peut se résumer en trois grandes étapes :

Premièrement, le produit déjà imprégné de résine, incluant le mandrin est poussé à l’intérieur du conduit de l’égout. 

Deuxièmement, un tuyau d’alimentation en vapeur est connecté au mandrin. La pression dans le mandrin fait gonfler la réparation à la taille de l’ancien tuyau et la chaleur fait durcir la résine pour qu’elle devienne parfaitement solide.

Troisièmement, une fois que la gaine est cuite, le mandrin est retiré de l’égout et peut être jeté[6].

B. Les essais

[40]        Pour arriver à un résultat dans un projet donné, M. Therrien estime qu’en moyenne une vingtaine d’essais par année sont effectués en atelier et une vingtaine d’essais sont effectués sur le terrain.

[41]        L’ancienne version du mandrin qui était utilisée par l’appelante était fabriquée en caoutchouc armé. Il était flexible et s’adaptait au diamètre des conduits, une fois étiré. Incidemment, le mandrin était lourd.

[42]        Pour développer son nouveau mandrin, l’appelante devait trouver des matériaux qui répondaient à ses critères de résistance de chaleur mécanique, de légèreté et de coût, étant donné qu’il était destiné à un usage unique. À cet effet, plusieurs démarches ont été faites afin de trouver un matériel qui satisfaisait ces critères.

(1) Projet de 2012 : développement d’une méthode/équipement permettant d’effectuer l’installation de la gaine Formadrain par un seul accès au lieu de deux accès[7].

[43]        Les essais effectués par l’appelante au cours de son année d’imposition 2012 sont inscrits dans son cahier de laboratoire, soit dans un document de 62 pages remis à la Cour, contenant des descriptions et des photos. M. Therrien a témoigné à l’effet que les notes s’y retrouvant étaient toujours inscrites de façon contemporaine.

[44]        En 2012, les travaux étaient orientés vers la conception d’un mandrin :

-         plus mince;

-         plus flexible;

-         plus léger;

-         capable de résister au stress causé par la pose d’une gaine par poussage (« push-in-place ») et par son extraction;

-         à usage unique, donc à plus faible coût qu’un mandrin réutilisable.

[45]        Plusieurs essais ont d’abord été faits avec un nouveau mandrin en nylon, conçu déjà plein diamètre, et qui n’avait pas besoin de stress pour s’étirer.

[46]        Cependant, le déploiement ne s’effectuait pas de manière uniforme au fil des essais. Certains endroits spécifiques n’étaient pas gainés, et par conséquent, ils gonflaient prématurément et d’une façon disproportionnée.

[47]        L’équipe de l’appelante a modifié de multiples paramètres afin de contrer les problèmes de déploiement de la gaine dus à la rupture du démoulant. À titre d’exemple, elle a tenté de modifier la vitesse de gonflement, d’utiliser divers types de lubrifiants pour réduire le frottement, ainsi que d’enduire le mandrin de silicone.

[48]        À cet effet, le mandrin en nylon a fonctionné en usine. L’appelante a alors décidé de faire un essai « in situs » sur le terrain. M. Therrien a expliqué que l’équipe tente en usine de reproduire les conditions trouvées sur le terrain, cependant, il est très difficile de reproduire toutes les variables qu’offre l’essai sur le terrain. Pour l’appelante, les essais sur le terrain sont importants et font partie du développement expérimental. Lors de ces essais, uniquement les coûts liés à la main-d’œuvre étaient facturés aux clients, incluant l’équipement et le temps requis pour l’installation.

[49]        L’expérience avec le mandrin de nylon « in situs » s’est avérée être un échec. L’appelante a dû recourir à une excavation suite à cet essai infructueux. Une partie de la gaine ne s’étant jamais déployée, l’appelante était dans l’impossibilité de sortir le mandrin qui avait été poussé dans le conduit[8]

[50]        Malgré cet échec, l’appelante a fait une autre tentative sur le terrain le 16 novembre 2012. Bien que plusieurs paramètres aient été modifiés, et que le mandrin ait été retiré sans problème, un incident avec la gaine a nécessité une deuxième excavation[9].

[51]        M. Therrien a témoigné que ces essais en usine et « in situs » ont permis de créer un avancement technologique. C’est grâce à ces recherches et ces essais que l’appelante a réussi à développer un nouveau mandrin qu’elle utilise présentement. Les essais ont permis à l’appelante de comprendre le mécanisme de gonflage et qu’il était impossible de développer un mandrin dans lequel il y avait un diamètre qui était égal à celui du conduit.

[52]        Je dois noter que selon le témoignage de M. Therrien, qui n’a pas été contredit, l’appelante est la seule société qui utilise la méthode de tirer la gaine, les compétiteurs utilisant la méthode de l’inversion. L’appelante ne peut donc pas recourir à des études ou techniques courantes et à des procédures habituelles. La technologie clé en main pour la réparation d’égouts sans excavation que voulait développer l’appelante n’existait pas en 2012 et 2013.  

(2) Projet de 2013 : continuité du projet de 2012, et nouveau projet relatif au développement d’un mandrin en « T »[10]

[53]        Suite aux essais infructueux survenus vers la fin 2012, l’appelante a repris ses travaux de recherche et développement en revenant à la base, soit de trouver un matériel avec des composantes précises.

[54]        L’appelante utilisait déjà du caoutchouc, mais du caoutchouc armé qui est lourd et dispendieux. L’équipe de l’appelante a convenu qu’il valait mieux poursuivre avec le caoutchouc. Le caoutchouc fonctionnait déjà pour l’appelante. Il fallait cependant, développer un caoutchouc beaucoup plus mince, qui pouvait répondre au stress mécanique et moins dispendieux que le caoutchouc armé, puisque l’objectif ultime était l’usage unique. 

[55]        Tel que l’a expliqué M. Therrien, le caoutchouc mince existe, cependant en l’espèce, l’incertitude technologique était de savoir si un mandrin en caoutchouc mince pouvait résister au stress mécanique à l’insertion et à l’extraction, si le caoutchouc pouvait mouler différentes configurations, des changements de direction jusqu’à 45 degrés et s’adapter à la chaleur. De plus, le caoutchouc devait avoir une certaine résistance au déchirement puisque les égouts à réparer ne sont pas lisses, ils sont souvent très rouillés et il peut y avoir des aspérités et des tubercules qui sont importants. Ainsi, le caoutchouc requis ne se trouvait pas sur le marché.

[56]        L’appelante a embauché la société Pro-Flex afin qu’elle produise les tubes en caoutchouc qui lui serviraient de mandrins. Pro-Flex est une société experte en fabrication de produits de caoutchouc.

[57]        Bien que l’appelante soit spécialiste de la recherche et développement, et que M. Carl Marc-Aurèle soit ingénieur-chimiste, les caoutchoucs comportent des propriétés chimiques très complexes qui dépassaient le champ d’expertise du personnel de l’appelante.

[58]        Le mandat confié à Pro-Flex n’était pas simple, puisque le tube de caoutchouc en question devait être en mesure de répondre à une quantité impressionnante de contraintes, le mandrin devant résister à de multiples sources de stress au cours de son installation.

[59]        Pro-Flex a d’abord fourni deux types de caoutchouc à l’appelante : un à base de SVR et l’autre à base d’ÉPDM. 

[60]        La difficulté rencontrée au niveau du moulage du mandrin à base d’ÉPDM résidait dans sa capacité de s’adapter aux changements de diamètres des conduits.

[61]        Typiquement, les égouts de bâtiments de 4 pouces de diamètre sont branchés aux égouts extérieurs de 6 pouces de diamètre, d’où la transition.

[62]        Malgré plusieurs essais effectués par l’appelante en atelier avec les prototypes de mandrins fournis par Pro-Flex, ceux-ci se sont avérés inaptes à s’adapter aux différents diamètres des conduits.

[63]        En 2013, l’appelante a également lancé son projet de développement d’un équipement ou d’une méthode permettant de sceller l’égout du bâtiment à l’égout municipal en faisant simultanément les entrées de service[11]

[64]        Ceci dit, ce projet était encore au stade embryonnaire. Il fut développé davantage dans les années 2014 et 2015.

[65]        M. Therrien a indiqué qu’avant d’entamer un projet de recherche et développement, les ingénieurs de l’appelante faisaient toujours des recherches sur Internet afin de déterminer si un procédé n’était pas déjà développé. Par exemple, pour les choix des matériaux du mandrin, les ingénieurs de l’appelante ont consulté les fiches techniques des matériaux disponibles sur Internet. Ceux-ci se servaient également de leur expérience pour éliminer certains matériaux, sachant d’avance qu’ils ne seraient pas appropriés pour l’application qu’ils voulaient en faire.

[66]        L’appelante, à la lumière de son expertise, ne s’est pas impliquée au niveau de la formulation chimique du caoutchouc. C’est plutôt Pro-Flex qui s’occupait de trouver la bonne formulation chimique, en fonction des barèmes imposés par l’appelante.

[67]        Toutes les hypothèses, les itérations et les résultats des tests étaient notés dans le cahier de laboratoire de l’appelante. M. Therrien a expliqué que les hypothèses posées initialement étaient faites en fonction de l’objectif global à atteindre, soit une technologie clé en main. Les autres hypothèses étaient modulées en fonction des nouvelles incertitudes technologiques qui ressortaient des essais effectués. Une fois les hypothèses formulées par l’équipe de l’appelante, cette dernière procédait à des tests. Les résultats de ces tests apportaient d’autres incertitudes technologiques.

[68]        Le cahier de laboratoire démontre que plusieurs tests ont dû être effectués relativement à l’épaisseur du matériel utilisé pour le mandrin. Il fallait que caoutchouc soit mince et qu’il résiste à une force mécanique, qu’il ne se rupture pas, mais qu’il soit flexible pour s’adapter aux différents diamètres des tuyaux d’égouts. Le mandrin devait être à usage unique ainsi les coûts devaient être proportionnels à cet usage unique.

[69]        Certains autres essais étayés dans le cahier de laboratoire de l’appelante constituaient des « essais intermédiaires », servant davantage à collecter des données qu’à vérifier des hypothèses précises. À titre d’exemple, le 2 août 2013, l’appelante a procédé à un essai intermédiaire afin de vérifier si le lien mécanique de caoutchouc vulcanisé[12] sur du nylon Oxford pouvait résister aux contraintes imposées par la cure de la gaine[13]

[70]        Que ce soit dans l’optique de diminuer les coûts de production, d’avoir un procédé ayant moins d’impacts environnementaux, ou d’en apprendre davantage sur le comportement de certains matériaux dans des conditions spécifiques, les tests intermédiaires faisaient partie intégrante de la recherche de l’appelante. Ce sont ces tests qui ont permis à l’appelante de développer la nouvelle technologie qu’elle utilise actuellement, soit les mandrins en « T ». 

[71]        M. Therrien a indiqué que l’appelante n’avait pas de plan détaillé établi d’avance. Cependant, les recherches et les essais étaient toujours faits en fonction de leur objectif global. De plus, chaque essai pris individuellement était planifié avant sa réalisation, mais la série d’essais ne l’était pas. Les résultats obtenus à la suite de chacun de ces essais menaient fréquemment à d’autres essais, qui eux, étaient impossibles à prévoir. L’objectif de l’appelante était clair, soit de développer un mandrin à usage unique capable de répondre au stress mécanique (pression, chaleur, déformation mécanique) tant à l’insertion qu’à l’extraction et en mesure de mouler différentes configurations d’égouts.

[72]        L’intimée a fait témoigner M. Eduardo Turcott, le CRT assigné au dossier de l’appelante.

[73]        M. Turcott a indiqué que les dépenses de RS&DE avaient été refusées parce qu’il considérait que les renseignements recueillis ne lui permettaient pas de déterminer si les activités de l’appelante constituaient de la RS&DE au sens de l’article 248 de la Loi.

MR. TURCOTT: My conclusion in the report is that I don’t have sufficient evidence to say that there is no project, nor to say that there is a project. And that is called a non-corroborated decision. My conclusion, it mentions that based on the information that I received and the discussions during the interview and the meeting, plus the study or analysis of the documentary information supplied, I was not able to pronounce myself if there was a project or there was not a project.

[74]        De plus, M. Turcott était d’avis qu’en l’espèce, il n’y avait pas eu d’investigation systématique. Lors de son témoignage, il a indiqué qu’après avoir entendu la preuve de l’appelante lors de l’audience, il ne pouvait toujours pas percevoir une séquence logique dans les essais.

[75]        Selon M. Turcott, l’appelante a démontré qu’elle avait fait des essais, mais pas pourquoi elle les faisait, quelle variable elle modifiait et quelles étaient les formules chimiques précises qu’elle utilisait.

[76]        De plus, M. Trucott a signalé que parmi les dépenses réclamées, 33 000 $ en 2012 ne constituait pas une dépense de RS&DE. Cette dépense avait été faite pour payer les dépenses d’excavation suite aux essais infructueux avec le mandrin de nylon. Selon l’intimée, cette dépense n’avait pas été engagée pour des activités de développement expérimental.

V. ANALYSE DU DROIT

[77]        La RS&DE est définie au paragraphe 248(1) de la Loi, comme suit :

« activités de recherche scientifique et de développement expérimental » Investigation ou recherche systématique d’ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d’expérimentation ou d’analyse, c’est-à-dire:

a) la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l’avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b) la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l’avancement de la science avec application pratique en vue;

c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l’intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l’amélioration, même légère, de ceux qui existent.

[…]

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes:

e) l’étude du marché et la promotion des ventes;

f) le contrôle de la qualité ou la mise à l’essai normale des matériaux, dispositifs, produits ou procédés;

g) la recherche dans les sciences sociales ou humaines;

h) la prospection, l’exploration et le forage fait en vue de la découverte de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel et leur production;

i) la production commerciale d’un matériau, d’un dispositif ou d’un produit nouveau ou amélioré, et l’utilisation commerciale d’un procédé nouveau ou amélioré;

j) les modifications de style;

k) la collecte normale de données.

[78]        En l’espèce, l’appelante soutient que ses activités constituent du développement expérimental en vertu de l’alinéa c), alors que l’intimée invoque les exclusions décrites aux alinéas f) et i) de cette même définition.

[79]        Pour déterminer si les activités entreprises par un contribuable répondent à la définition d’activité de RS&DE énoncée dans la Loi, il est nécessaire de répondre par l’affirmative aux cinq questions suivantes:

1.     existait-il une incertitude scientifique ou technologique?

2.     est-ce que des hypothèses visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude ont été formulées?

3.     est-ce que l’approche globale adoptée était conforme à une investigation ou recherche systématique, incluant la formulation et la vérification des hypothèses par voie d’expérimentation ou d’analyse?

4.     est-ce que l’approche globale adoptée visait à réaliser un avancement scientifique ou technologique?

5.     est-ce qu’un registre des hypothèses vérifiées et des résultats a été maintenu au cours des travaux?

[80]        Ces cinq critères furent édictés en 1998 par le juge en chef Bowman (tel était son titre), qui s’était appuyé sur son interprétation des concepts étayés dans la circulaire 86-4R3, pour rendre une décision dans l’affaire Northwest Hydraulic Consultants Limited c Sa Majesté la Reine[14] (ci-après « Northwest Hydraulic Consultants Ltd »). Ce faisant, il a établi l’approche dite en « cinq questions », qui fut confirmée dans les décisions RIS‑Christie[15] et C.W. Agencies[16].

[81]        La circulaire 86-4R3, qui a d’abord été remplacée par la circulaire du 19 décembre 2012 et ensuite par la circulaire du 24 avril 2015, a toujours été considérée comme étant « un guide utile et digne de foi » compte tenu que cette politique était le résultat de longues consultations entre le gouvernement et la collectivité scientifique, tant au sein de l’industrie que dans les universités.

[82]        En vue de déterminer si le projet de l’appelante relatif au mandrin pendant les années d’imposition 2012 et 2013 constitue une activité de RS&DE, il convient d’analyser les cinq questions précitées à la lumière des faits propres à cette affaire.

(1) Existait-il une incertitude scientifique ou technologique?

[83]        Les parties ont soumis des thèses opposées sur la question de savoir s’il existait une incertitude technologique au cours des années d’imposition 2012 et 2013 relativement au projet du mandrin.

[84]        Il est clair dans l’esprit de l’appelante que les multiples paramètres qui entraient en ligne de compte à l’occasion du développement de son « mandrin poussé à usage unique » ne constituaient pas des incertitudes qui pouvaient être éliminées par des études courantes ou par les procédures habituelles. Ce type mandrin n’existait pas.

[85]        L’incertitude technologique résidait dans le fait que le matériel choisi devait être mince, abordable et résister au stress mécanique à l’insertion et à l’extraction. De plus, le matériel devait être assez flexible pour mouler différentes configurations, soit des changements de diamètres et des changements de direction jusqu’à 45 degrés, ainsi que de s’adapter à la chaleur.

[86]        De plus, le matériel devait avoir une certaine résistance au déchirement puisque les égouts à réparer ne sont pas lisses, ils sont souvent très rouillés et il peut y avoir des aspérités et des tubercules qui sont importants. Tel que M. Therrien l’a indiqué, il n’y a pas de doute que du caoutchouc mince existait sur le marché, mais il n’existait pas de caoutchouc mince capable de s’adapter à toutes ces contraintes.

[87]        L’intimée, de son côté, a accordé beaucoup d’importance au fait que l’appelante ait utilisé Pro-Flex, pour l’élaboration de la formule chimique du caoutchouc qui a servi à la fabrication du mandrin.

[88]        Selon l’intimée, la source d’incertitude technologique de ce projet résidait entièrement dans la composition chimique du matériel, tâche qui fut déléguée à un fabricant de caoutchouc.

[89]        J’ai de la difficulté avec l’argument de l’intimée parce que l’alinéa d) de la définition d’activités de recherche et développement au paragraphe 248(1) de la Loi inclut les activités de développement exercées au Canada entreprises directement pour le compte du contribuable.

[90]        De plus, la Politique sur les dépenses relatives aux contrats de recherche et développement de décembre 2014 énonce que les travaux effectués au terme d’un contrat de sous-traitance pour le compte de l’exécutant sont tout autant admissibles que s’ils avaient été conduits par l’exécutant lui-même.

[91]        Je suis d’avis que l’appelante a démontré qu’il y avait une incertitude technologique. Au paragraphe 16 de sa décision dans l’affaire Northwest Hydraulic Consultants Ltd, le juge en chef Bowman a illustré ce qui, selon lui, constituait une incertitude technologique :

a) Lorsqu’on parle de « risque ou [d’]incertitude technologique » dans ce contexte, on laisse implicitement entendre qu’il doit exister une incertitude quelconque qui ne peut pas être éliminée par les études techniques courantes ou par les procédures habituelles. Je ne parle pas du fait que dès qu’un problème est décelé, il peut exister un certain doute au sujet de la façon dont il sera réglé. Si la résolution du problème est raisonnablement prévisible à l’aide de la procédure habituelle ou des études techniques courantes, il n’y a pas d’incertitude technologique telle que cette expression est utilisée dans ce contexte.

b) Qu’entend-on par « études techniques courantes »? C’est cette question (ainsi que celle qui se rapporte au progrès technologique) qui semble avoir divisé les experts plus que toute autre. En résumé, cela se rapporte aux techniques, aux procédures et aux données qui sont généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine.

[92]        Dans la Politique de 2015 il est indiqué que :

Une incertitude scientifique ou technologique existe si la probabilité d’atteindre un objectif ou un résultat donné, ou la façon d’y parvenir ne peuvent être connues ou déterminées d’après l’expérience ou les connaissances scientifiques ou technologiques généralement disponibles. Plus spécifiquement, il est impossible de prévoir si les objectifs pourront être réalisés, ou quelles solutions (par exemple, approches, démarches, études, configurations de l’équipement, architecture des systèmes, techniques de circuit, etc.) permettront d’atteindre les objectifs, à partir de la base de connaissances scientifiques ou technologiques existantes. […]

Les incertitudes technologiques peuvent découler des déficiences ou des limites dans l’état actuel de la technologie, ce qui empêche le développement d’une capacité nouvelle ou améliorée. Autrement dit, l’état actuel de la technologie peut être insuffisant pour résoudre un problème qui survient en cours de développement.

Il est important de reconnaître que cette question ne se limite pas simplement à identifier qu’on ne sait pas comment atteindre les objectifs. On doit être en mesure d’identifier spécifiquement ce qui manque à la base de connaissances scientifiques ou technologiques et qui génère cette incertitude.

[Je souligne.]

[93]        En d’autres mots, il faut que les connaissances manquantes soient réellement inexistantes dans la base de connaissances scientifiques ou technologiques et non uniquement inconnues du demandeur.

[94]        Dans la décision de cette Cour, soit Les Abeilles Service De Conditionnement inc[17], le juge Jorré a indiqué ce qui suit concernant le critère de l’incertitude technologique :

142 […] La première considération, l’incertitude technologique, est une façon d’aborder le critère du progrès technologique; il peut difficilement être question d’un avancement technologique si on sait déjà comment obtenir le résultat. […]

[95]        En l’espèce, les facteurs et les paramètres à contrôler par l’appelante pour le développement du mandrin à usage unique se situaient tant au niveau de la composition matérielle du mandrin qu’au niveau du procédé lui permettant de le pousser en place à partir d’un seul accès.

[96]        Il semble que réduire le projet entier de l’appelante relatif au mandrin à l’unique aspect de la recherche de la formulation chimique du caoutchouc constitue une vision simpliste des travaux qui ont réellement été effectués.

[97]        Le témoignage de M. Therrien n’a pas été contredit quand il a soutenu que les techniques connues en la matière et pratiquées dans l’industrie de la réparation d’égouts de bâtiments consistent toutes à utiliser la méthode de l’inversion.

[98]        Ceci dit, la nouvelle technique proposée par l’appelante a fait émerger de nouvelles contraintes, qui elles, ne pouvaient être éliminées par les études techniques courantes ou par les procédures habituelles. Par conséquent, elles sont qualifiées d’incertitudes technologiques.

[99]        L’intimée semble faire valoir que je dois analyser le projet en silo, et que chaque manœuvre prise individuellement doit résulter en une incertitude technologique.  Je ne suis pas d’accord avec cette approche.

[100]   Or, il s’agit précisément d’un aspect sur lequel s’est prononcé le juge Jorré à l’occasion de l’affaire Les Abeilles Service De Conditionnement inc, lequel a rejeté cette conception :

128 Enfin, le projet 2009-02 concernant la finition d’imprimerie était également incertain. Le fait que chacun des éléments séparés ait le potentiel d’atteindre les objectifs voulus n’empêche pas qu’il y ait incertitude quant à l’objectif global de tout faire fonctionner ensemble.

129 M. Gariépy insiste sur le fait qu’il faut regarder les projets « au niveau le plus élevé », c’est-à-dire qu’il faut regarder un projet dans son ensemble. Regarder chaque petite étape équivaudrait à dénaturer le projet. Il précise qu’il est possible qu’un objectif secondaire ne représente pas d’incertitude, ce qui n’empêche pas la qualification du projet dans son ensemble. Plus loin dans son témoignage, M. Gariépy affirme que, selon son interprétation des directives de l’Agence du revenu du Canada, il faut regarder le projet à partir du début, et non seulement pour l’année fiscale concernée

135 M. Gariépy critique le rapport de M. Kooi, l’expert de l’intimée, au motif que ce dernier regardait les projets de beaucoup trop près, plutôt que de les regarder du niveau le plus élevé.

152 Je suis entièrement d’accord qu’il faut qu’il y ait du développement expérimental dans l’année en question. Toutefois, cela n’a pas comme conséquence qu’on ne peut pas examiner l’historique d’un projet qui a commencé dans une année précédente en examinant la question si, dans l’année particulière en litige, il y a eu du développement expérimental au sens de la Loi.

153 De plus, il faut considérer chaque projet globalement dans l’année et non chaque essai individuellement.

[Je souligne.]

[101]   En l’espèce, il est clair que l’appelante ne savait pas au départ comment elle ferait pour développer et installer un mandrin à usage unique en le poussant à l’intérieur d’un conduit. Vu dans son ensemble, le projet de l’appelante comportait de multiples incertitudes technologiques qui résidaient tant au niveau de la composition chimique du mandrin, de son épaisseur et de sa longueur, que des stress mécaniques qui lui permettaient d’être inséré et extrait du conduit.

[102]   Les ingénieurs qui travaillaient sur les projets avaient plusieurs années d’expérience dans le domaine de la réparation d’égout sans excavation. Considérant cette expertise et leurs connaissances dans ce domaine, il est clair que les essais en usine et « in situs » étaient effectués en raison d’une réelle incertitude technologique.

(2) Est-ce que des hypothèses visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude ont été formulées?

[103]   L’analyse de la deuxième question est intrinsèquement liée à la première, puisqu’une incertitude est nécessaire à la formation d’une hypothèse.

[104]   À l’intérieur du cahier de laboratoire de l’appelante et pour chacune des années en litige se retrouvent de nombreuses hypothèses, posées par les ingénieurs de l’entreprise préalablement aux essais. 

[105]   À l’occasion de l’affaire Northwest Hydraulic Consultants Ltd et concernant ce deuxième critère, le juge en chef Bowman a indiqué au paragraphe 16 de sa décision :

Il est important de reconnaître que, bien qu’une incertitude technologique doive être définie au départ, la détermination de nouvelles incertitudes technologiques au fur et à mesure que les recherches avancent et l’emploi de la méthode scientifique, et notamment l’intuition et la créativité, et parfois l’ingéniosité en découvrant, en reconnaissant et en mettant fin à de nouvelles incertitudes, font partie intégrante de la RS & DE.

[106]   La preuve a clairement démontré que ce critère était rempli par l’appelante.

(3) Est-ce que l’approche globale adoptée était conforme à une investigation ou recherche systématique, incluant la formulation et la vérification des hypothèses par voie d’expérimentation ou d’analyse?

[107]   L’intimée a soutenu que l’appelante menait ses recherches par « essais et erreurs », sans que les tests effectués ne soient ordonnés selon un plan systématique préétabli.

[108]   Dans la Politique de 2015, cette approche est décrite comme suit :

Dans ce cas, l’objectif visé consiste à résoudre un problème fonctionnel plutôt que d’aborder le problème associé à la technologie sous-jacente qui a pu causer ce problème fonctionnel. La conclusion tirée de chaque itération de l’approche par « essais et erreurs » est simplement « qu’une option n’a pas fonctionné ». Il n’y a pas d’autre analyse des raisons pour lesquelles cela n’a pas fonctionné afin de pouvoir appliquer cette conclusion dans un contexte plus large. […] Le processus progresse simplement d’une itération à l’autre, sans essayer de comprendre ou de résoudre le problème associé à la technologie sous-jacente. La résolution de problèmes par « essais et erreurs » ne constitue pas une expérimentation ou une analyse dans le cadre d’une investigation ou recherche systématique.

[Je souligne.]

[109]   Il ressort de la preuve que les ingénieurs de l’appelante tentaient clairement de comprendre les problèmes associés à la technologie sous-jacente, en les analysant dans le contexte du produit final qu’ils tentaient de développer, un produit clé en main. 

[110]   De surcroît, la façon de mener les recherches pour la partie « résine » du projet et pour la partie « mandrin » était sensiblement la même : les essais étaient décrits à l’intérieur du même cahier de laboratoire et structurés de la même façon.

[111]   En consentant à jugement pour la partie du projet relative à la résine, l’intimée admettait que l’approche globale adoptée par l’appelante dans le cadre de ses recherches était conforme au troisième critère qu’est l’investigation ou la recherche systématique.

[112]   Ainsi, il serait incohérent de tirer une conclusion différente pour la portion liée au mandrin quant au projet de recherche de l’appelante pour ses années d’imposition 2012 et 2013.

(4) Est-ce que l’approche globale adoptée visait à réaliser un avancement scientifique ou technologique?

[113]   Bien que le projet de l’appelante relatif au mandrin n’ait pas abouti en 2013 à une technologie qui était utilisable, il n’en demeure pas moins que les recherches ont permis à l’appelante d’avancer ses connaissances scientifiques et technologiques.

[114]   Dans la Politique de 2015, il est indiqué que :

En démontrant pourquoi une certaine approche échouera ou ne permettra pas d’atteindre les objectifs visés, l’avancement scientifique ou technologique est encore possible. Dans certaines circonstances, les objectifs du projet peuvent ne pas avoir été atteints, mais, au cours du processus, de la RS&DE a été réalisée pour comprendre les raisons de l’échec. Ainsi, un avancement scientifique ou technologique peut être réalisé même si les objectifs du projet ne sont pas atteints.

Le rejet d’une hypothèse constitue un avancement puisque cela élimine une solution possible.

[115]   À la fin 2012, l’appelante a procédé à deux essais sur le terrain qui se sont avérés infructueux. Cependant, les recherches auxquelles elle s’est adonnée par la suite lui ont permis de comprendre le mécanisme de gonflage et qu’il serait impossible de développer un mandrin dans lequel il y avait déjà un diamètre. 

[116]   En 2013, la technologie n’était toujours pas au point, mais elle était davantage comprise et mieux maîtrisée par l’appelante. Par exemple, l’appelante est retournée au caoutchouc après avoir testé le nylon et le silicone. L’appelante savait à la lumière des tests effectués que le caoutchouc fonctionnerait, puisque son mandrin actuel fonctionnait. Cependant, l’appelante devait utiliser une autre formulation de caoutchouc étant capable de résister aux nombreuses contraintes. Ce caoutchouc mince et nécessaire au bon fonctionnement du mandrin n’existait pas sur le marché. À cet effet, une formulation de caoutchouc satisfaisant à tous les critères élaborés par l’appelante n’avait pas été développée. Les essais ont tous été infructueux.

[117]   Lors de l’audience, M. Therrien a indiqué que l’appelante avait maintenant réussi à développer un mandrin léger en utilisant un caoutchouc mince pouvant être utilisé pour certaines réparations en le poussant au lieu de le tirer. De plus, le mandrin en « T » avait aussi été développé par l’appelante. 

(5) Est-ce qu’un registre des hypothèses vérifiées et des résultats a été maintenu au cours des travaux?

[118]   Cette Cour[18], ainsi que la Cour d’appel fédérale[19] semblent avoir interprété uniformément ce cinquième critère à l’effet qu’il n’est pas obligatoire que la preuve soit documentaire et qu’une preuve testimoniale peut être présentée. Bien que des risques sont associés au fait de ne pas documenter adéquatement une démarche dans un projet de RS&DE, la preuve testimoniale est acceptée.

[119]   En l’espèce, le cahier de laboratoire de l’appelante, soit le registre complet des recherches avec photos, prouve que l’appelante a posé des hypothèses et a utilisé une méthode systématique pendant ses années d’imposition 2012 et 2013 dont l’objectif global était de développer une technologie clé en main, pour la réparation des égouts.

VI. DÉPENSES D’EXCAVATION DE 33 000 $ - Année d’imposition 2012

[120]   L’intimée prétend que l’appelante ne peut réclamer un montant de 33 000 $ engagé suite aux deux essais avec le mandrin en nylon qui se sont avérés infructueux. Selon l’intimée, cette dépense n’a pas été engagée pour des activités de développement expérimental. 

[121]   L’appelante fait valoir que cette dépense d’excavation est en lien avec les essais liés au développement expérimental. Selon elle, sans essais « in situs », cette dépense n’aurait pas été engagée par l’appelante.

[122]   Je suis d’avis qu’une partie des dépenses engagées relève de l’application de l’alinéa c) du paragraphe 2900(2) du Règlement de l’impôt sur le revenu, (le « Règlement ») puisque ces dépenses sont directement liées aux activités de recherche et développement menées par l’appelante lors ses essais « in situs », par exemple, une partie de l’excavation est liée au retrait du mandrin. Cependant, je suis d’avis que les dépenses engagées pour réparer les égouts en utilisant la manière traditionnelle ne relèvent pas de l’application du paragraphe 2900(2) du Règlement, car ces dépenses ne sont pas directement liées aux activités de recherche. Lors de l’audience, la ventilation de ces dépenses n’a pas été faite par les parties. Eu égard au montant en jeu, j’ai décidé d’accorder la moitié du montant réclamé soit, 16 500 $ à titre de dépenses directement attribuables aux activités de recherche et développement pour l’année 2012. Cette approche est à mon avis raisonnable, eu égard aux faits présentés lors de l’audience sur cette question.

VII. DISPOSITION

[123]   Étant donné que l’intimée a concédé que les activités de recherche et développement de l’appelante quant à la résine constituaient des activités de RS&DE pour les années d’imposition 2012 et 2013.

[124]   Étant donné que j’ai conclu que les activités de recherche et développement de l’appelante quant au nouveau mandrin et mandrin en « T », constituaient des activités de RS&DE pour les années d’imposition 2012 et 2103.

[125]   Par conséquent, l’appel relatif à l’année d’imposition 2012 est admis quant aux montants réclamés pour les activités de RS&DE de la résine et du mandrin, sauf qu’en vertu de ma conclusion sur les dépenses d’excavation de l’ordre de 33 000 $, un montant de 16 500 $ ne qualifiera pas à titre de dépense de RS&DE.

[126]   L’appel relatif à l’année d’imposition 2013 est admis.

[127]   L’appelante a choisi de procéder selon la procédure informelle. Par conséquent, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, reproduit ci-après, les montants en litige ne peuvent être réduits de plus de 25 000 $, par année d’imposition.

18.1 Le jugement qui fait droit à un appel visé au paragraphe 18(1) est réputé comporter une disposition ordonnant que le total de tous les montants en cause ne soit pas réduit de plus de 25 000 $ ou, selon le cas, que le montant de la perte en cause ne soit pas augmenté de plus de 50 000 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2017.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray

 


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 42

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-1657(IT)I

2016-1658(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

FORMADRAIN INC. c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 8 et 9 décembre 2016

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 mars 2017

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Yves Hamelin

Avocat de l’intimée :

Me Gabriel Girouard

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelante:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           Vidéo de Formadrain visionnée lors de l’audience.

[2]           Technologie développée en Angleterre dans les années 1970 et brevetée en 1975 - Rapport d’examen de la RS&DE, 11 décembre 2013, page 4 (pièce I-1, onglet 1, page 4).

[3]           Le mandrin est un tube qui sert de moule et permet de mettre en place la gaine Formadrain dans les conduits souterrains. Aux fins de précisions, en 2012, les coûts reliés au projet qui comprenait la partie-résine et la partie mandrin, représentaient un montant de 91 904 $, tel qu’il appert de la pièce A-1, onglet 6, page 4. En 2013, les coûts reliés à la continuité du projet de 2012 représentaient un montant de 34 587 $, alors que les coûts reliés au nouveau projet sur le mandrin en « T » représentaient un montant de 2 840 $, tel qu’il appert de la pièce A-1, onglet 13, page 5. (Notes sténographiques, volume 1, p. 88-89).

[4]           Rapport d’examen de la RS&DE, pièce I-1, onglet 1, page 4.

[5]           Bien qu’aucune preuve n’ait été faite à ce sujet par le représentant de l’appelante, ce dernier a soutenu que les techniques connues en la matière et pratiquées dans l’industrie consistent toutes à tirer les mandrins (Notes sténographiques, volume II, p. 177).

[6]           Informations tirées de la vidéo de présentation du produit Formadrain, contenue sur la clé USB (pièce A-2).

[7]           Le cahier de laboratoire de l’appelante pour 2012 est à l’onglet 8 de la pièce A-1. La partie 2 du projet relative au mandrin débute à la page 49.

[8]           Voir la pièce A-1, onglet 8, p. 67.

[9]           Voir la pièce A-1, onglet 6, p. 71 et pp. 67 et 68.

[10]          Le cahier de laboratoire de l’appelante pour 2013 est à l’onglet 14 de la pièce A-1. La partie 2 du projet relative au mandrin débute à la page 16.

[11]          Voir la pièce A-1, onglet 13, pages 5 et 8.

[12]          Le témoin a défini le terme « vulcanisé » comme signifiant une cuisson sous pression à la vapeur dans un autoclave. (Notes sténographiques, volume 1, p. 131, lignes 12-13).

[13]          Voir la pièce A-1, onglet 14, page 18.

[14]          Northwest Hydraulic Consultants Ltd v R, 1998 CarswellNat 3632, [1998] 3 CTC 2520, 98 DTC 1839, [1998] TCJ No. 340 (Cour canadienne de l’impôt).

[15]          RIS-Christie v The Queen, [1999] 1 CTC 132, 99 DTC 5087.

[16]          C.W. Agencies Inc v The Queen, 2001 FCA 393, [2002] 1 CTC 212, 2002 DTC 2740.

[17]          Les Abeilles Service De Conditionnement inc c R, 2014 CarswellNat 4174, 2014 CCI 313, 2014 DTC 1219 (Fr), 2014 TCC 313, 2015 DTC 1140 (Eng).

[18]          Zeuter Development Corp v R, 2006 CCI 597 (Cour canadienne de l’impôt [procédure informelle]), par.28.

[19]          RIS-Christie Ltd v R, 1998 FCJ No. 1890 (Cour d’appel fédérale), par.14-15.

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