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Date: 19991110

Dossier: 97-2699-IT-G

ENTRE :

DOMINIC BIGAYAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les présents appels portent sur les cotisations des années d’imposition 1992, 1993 et 1994 de l’appelant. Par ces cotisations, le ministre du Revenu national a augmenté le revenu de l’appelant de 20 495,27 $, de 14 895,00 $ et de 42 031,78 $ respectivement, en utilisant la méthode de calcul du revenu fondée sur la valeur nette. Des pénalités ont également été imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[2] La méthode de la valeur nette est, comme on le faisait observer dans l’affaire Ramey v. The Queen, 93 DTC 791, une solution de dernier recours que l’on emploie lorsque tout le reste a échoué. On l’utilise souvent lorsqu’un contribuable a omis de produire des déclarations de revenus ou n’a pas conservé de documents. C’est un instrument imprécis, exact à l’intérieur d’un registre dont le champ est indéterminé. Elle repose sur le postulat selon lequel, si l’on soustrait la valeur nette d’un contribuable en début d’année à sa valeur nette en fin d’année, si l’on ajoute les dépenses du contribuable durant l’année et si l’on soustrait les encaissements non imposables et les plus-values d’actifs existants, alors le résultat net, après déduction de toute somme déclarée par le contribuable, doit être attribuable au revenu non déclaré gagné durant l’année, sauf si le contribuable peut apporter une preuve contraire. C’est au mieux une méthode insatisfaisante, qui est arbitraire et inexacte, mais quelquefois c’est le seul moyen d’arriver à un chiffre qui se rapproche du revenu d’un contribuable.

[3] Le meilleur moyen de contester une cotisation fondée sur la valeur nette est de produire la preuve de ce qu’est véritablement le revenu du contribuable. Un moyen moins satisfaisant, mais néanmoins acceptable, est décrit par le juge Cameron dans l’affaire Chernenkoff v. Minister of National Revenue, 49 DTC 680, à la page 683 :

[TRADUCTION]

En l’absence de documents, l’autre moyen offert à l’appelant consistait à prouver que, même après une application en règle de la formule de la valeur nette, les cotisations étaient erronées.

[4] Ce moyen de contester une cotisation fondée sur la valeur nette est reconnu, mais, même après que l’on a procédé aux rajustements, on reste avec le sentiment trouble que la vérité n’a pas été pleinement découverte. Il est peu probable que l’on rende parfait en le modifiant un instrument qui, par nature, est imparfait. L’appelant a choisi d’utiliser le deuxième moyen.

[5] M. Bigayan exerçait des activités dans le cadre d'une entreprise individuelle sous la raison sociale D.B. Erectors & Son, une entreprise qui s’occupait d’entretien d’édifices et de réparation de petits appareils. Il semble que la principale source de revenu consistait en honoraires d’entretien d’édifices versés par un gérant d’édifices de Regina, M. Adam Niesner.

[6] En 1992, M. Bigayan a déclaré un chiffre d’affaires de 21 882,67 $. En 1993, il a déclaré un chiffre d’affaires de 35 808 $, soit 19 780 $ au titre de l’entretien d’édifices, 6 428 $ au titre de la réparation d’appareils et 9 600 $ au titre des recettes de location. En 1994, il a déclaré un chiffre d’affaires de 23 200 $ (19 200 $ vraisemblablement attribuables à l’entretien d’édifices et 4 000 $ à la réparation d’appareils).

[7] Après ses dépenses et la dépréciation pour amortissement, il a déclaré un revenu net de 6 600 $ en 1992, de 11 467 $ en 1993 et de 1 362 $ en 1994.

[8] Le répartiteur de l’impôt, M. C. McEachern, a conclu que l’appelant, qui avait une épouse et trois enfants, n'aurait pas pu vivre avec le revenu qu’il avait déclaré. Il a demandé la remise de documents, mais, apparemment insatisfait, il a décidé d'établir une cotisation en se fondant sur la valeur nette, cotisation qui fait l’objet des présents appels.

[9] M. McEachern n’a pas été assigné comme témoin. De toute évidence, il avait quitté la fonction publique et avait déménagé en Colombie-Britannique. M. Mark Tomczak, vérificateur principal d’entreprises auprès du ministère du Revenu national, a témoigné. Il a été un témoin crédible et consciencieux, mais, abstraction faite de sa description des procédures afférentes à une cotisation fondée sur la valeur nette, son témoignage n’a consisté que de ouï-dire et n’a été guère utile. Un exemple frappant concernait une analyse que M. McEachern avait faite de certains imprimés fournis par le comptable d’Adam Niesner, imprimés qui indiquaient les honoraires reçus par l’appelant pour l'entretien d’édifices. Cette analyse portait la mention Pièce R-9, mais je n’y attache aucune valeur probante. Il s’agit là tout au moins d’un ouï-dire double. En fin de compte, M. McEachern n’a pas utilisé cette analyse, mais a décidé d’établir la cotisation en se fondant sur la valeur nette. Il est intéressant de noter cependant que le sommaire (non utilisé et non prouvé) de M. McEachern indique des honoraires de 23 981,57 $ reçus en 1992, comparativement aux 12 787,05 $ déclarés, des honoraires de 23 924,70 $ reçus en 1993, comparativement aux 19 780 $ déclarés, et de 31 249,07 $ reçus en 1994, comparativement aux 19 200 $ déclarés. Pourquoi cette information n’a-t-elle jamais été employée, ou pourquoi la preuve n'en a jamais été faite comme il convient, nul ne le sait.

[10] Puisque les deux parties semblent avoir accepté la méthode de la valeur nette, j’examinerai l’affaire sur cette base.

[11] Appliquant cette méthode, le ministre a conclu que le revenu de l’appelant, après rajustement de la valeur nette, était le suivant :

1992 1993 1994

48 722,27 $ 44 084,00 $ 55 234,78 $

À partir de ces chiffres, le ministre a déduit les sommes déclarées par l’appelant et son épouse :

appelant 6 600 $ 11 467 $ 1 362 $

épouse 21 627 $ 17 722 $ 11 841 $

Le revenu de l’appelant pour les trois années a donc été augmenté de 20 495,27 $, de 14 895,00 $ et de 42 031,78 $ respectivement.

[12] L’élément le plus important de la valeur nette concernait les dépenses personnelles de l’appelant. L’annexe B de la réponse à l’avis d’appel indique l’estimation des diverses dépenses de l’appelant, une estimation fournie par lui au ministère du Revenu national en 1996 (Pièce A-20), ainsi que les rajustements effectués par le ministre. Je ne décrirai pas ces dépenses dans le détail. Elles englobent plusieurs pages d’estimations concernant les frais d’alimentation, de logement, d’habillement, de transport, de soins médicaux, de soins d’hygiène personnelle, de loisirs, de matériel de réserve, d’éducation, de garantie, de cadeaux, de choses diverses et autres.

[13] Outre les chiffres apparaissant dans la réponse, l’appelant a revu son estimation dans certains cas durant le procès. Dans de nombreux cas, il a accepté les chiffres du ministre. Les totaux sont les suivants :

Estimation originale de

l’appelant

Rajustement du ministre

Montant révisé du

Ministre

Montant révisé de

l’appelant au

procès

1992

28 895 $

9 004 $

41 574 $

22 719 $

1993

32 613 $

9 004 $

45 453 $

28 198 $

1994

35 741 $

12 503 $

52 176 $

32 122 $

[14] J’ai ici devant moi deux ensembles de chiffres peu fiables. Le ministère du Revenu national a dans de nombreux cas utilisé les chiffres de Statistique Canada pour les dépenses d’une famille comprenant un homme, une femme et trois enfants. Aucun représentant de Statistique Canada n’a été assigné comme témoin, ni le répartiteur qui a utilisé ces chiffres. L’avocat de l’appelant n’a donc pas eu la possibilité de contre-interroger quiconque sur les chiffres employés. On ne m’a présenté aucune preuve de la manière dont les chiffres de Statistique Canada ont été obtenus. Les deux avocats se sont entendus pour dire que les chiffres de Statistique Canada constituent une « moyenne nationale » , quel que puisse être le sens de cette expression. Une foule de questions demeurent sans réponse, notamment les suivantes : Quels chiffres sont utilisés pour l’établissement de cette moyenne? Quelle méthode est employée? Quels secteurs sont considérés comme représentatifs? Une pondération a-t-elle été faite pour le secteur d’où les chiffres proviennent?

[15] Les estimations de l’appelant ne sont guère plus fiables. Les chiffres donnés en 1996 diffèrent notablement de ceux donnés en 1999 au procès. Je serais tenté de croire que les estimations antérieures sont sans doute plus exactes.

[16] Aussi franchement insatisfaisante que puisse être la méthode, je suis disposé à apporter certains rajustements aux cotisations fondées sur la valeur nette :

La cotisation de 1992 ne tient pas compte de trois REER détenus à la fin de 1991 par l’appelant, REER dont les sommes sont de 3 562 $, 3 950 $ et 3 961 $, et elle ne tient pas compte non plus d’un prêt de 3 800 $, pour un total de 15 273 $, non plus que d’un jugement du Manitoba au montant de 3 000 $ se rapportant à une dette contractée il y a longtemps.

Au total, le revenu de l’appelant pour 1992 devrait être ramené de 27 095 $ à 8 822 $.

La cotisation de 1993 devrait être réduite de 2 000 $ (un prêt) et d’une somme de 3 415 $ reçue de la Saskatchewan Government Insurance ( « SGI » ) relativement à une lésion corporelle, pour un total de 6 415 $, de telle sorte que le revenu de 1993 devrait être ramené de 26 362 $ à 20 947 $.

La cotisation de 1994 devrait être réduite de 1 790 $ au titre d’un prêt, et d’une somme de 2 903 $ [5 753 $ - 2 850 $] reçue de la SGI (la somme de 2 850 $ avait déjà été prise en considération). Au total, le revenu de l’appelant pour 1994 devrait être ramené de 43 393 $ à 38 700 $.

[17] Je ne suis pas disposé à rajuster de quelque façon les dépenses personnelles. Si peu fiables que puissent être les chiffres de Statistique Canada, ils représentent en tout cas les hypothèses du ministre, et il appartenait à l’appelant de les réfuter. Les estimations de l’appelant, six ans après les faits, estimations qui diffèrent sensiblement de ses estimations de 1996, sont tout simplement trop contestables pour qu’on puisse leur accorder foi.

[18] Dans certains cas, les chiffres du ministre étaient fondés sur les estimations de l’appelant. Même si j’accepte l’ensemble des rajustements de l’appelant pour 1994 (y compris une réduction des dépenses personnelles, qui passeraient de 52 176 $ à 32 122 $), nous nous retrouvons quand même avec un écart entre la somme à laquelle on arrive si l’on utilise le rajustement de valeur nette de l’appelant, soit 14 688 $ (et non comme l’a indiqué l’appelant 11 835 $), rajustement qui ne tient pas compte du paiement de 2 850 $ de la SGI.

[19] L’appelant a aussi prétendu que la valeur nette pour les trois années devrait être réduite de 2 600 $, soit le prêt contracté par le fils de l’appelant pour ses études. En l’absence d’une preuve attestant que les prêts pour études aient jamais fait partie des actifs familiaux ou aient jamais été utilisés pour payer telle ou telle facture de la famille, je ne puis accepter cette affirmation.

[20] Également, pour 1992, si j’acceptais la totalité des rajustements de l’appelant, y compris une réduction des dépenses personnelles, lesquelles passeraient de 41 572 $ à 22 716 $, nous aurions obtenu un revenu net de moins 10 034 $, alors que l’appelant a déclaré un revenu de 6 600 $. La même anomalie se produirait pour 1993.

[21] Ces considérations jettent de sérieux doutes sur l’estimation faite par l’appelant concernant ses dépenses personnelles.

[22] Deux autres points devraient être mentionnés. La cotisation de 1992 a été établie en dehors de la période normale des nouvelles cotisations, et il appartiendrait en principe à l’intimée de prouver une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou de prouver une fraude, aux fins du sous-alinéa 152(4)a)(ii). Le point n’a pas été soulevé dans l’avis d’appel, et l’intimée n’a donc pas été informée qu’elle avait une preuve à apporter.

[23] Le deuxième point concerne les pénalités qui ont été imposées en vertu du paragraphe 163(2). Il appartient clairement à l’intimée de justifier les pénalités en question. Le répartiteur qui a procédé à cette cotisation, M. McEachern, n’a pas été assigné comme témoin, et il ne suffit pas que quelqu’un d’autre, en l’occurrence M. Mark Tomczak, qui n’est jamais intervenu dans la cotisation, vienne, à titre de témoin, déclarer que les documents de M. Bigayan étaient incomplets ou inadéquats.

[24] Je ne suis pas d’avis que l'intimée a établi la faute lourde nécessaire pour justifier l’établissement de pénalités, même si je ne suis pas convaincu que les revenus déclarés par M. Bigayan soient un modèle d’exactitude. De la même manière que j’ai conclu que l’appelant ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve lorsqu’il a contesté l’hypothèse du ministre concernant ses dépenses personnelles, je suis d’avis que le ministre du Revenu national n’a pas lui non plus établi les facteurs nécessaires pour justifier l’imposition de pénalités.

[25] Les appels sont admis et les nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994 sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations :

après réduction du revenu de l’appelant de la manière indiquée dans les présents motifs;

(b) après suppression des pénalités imposées.

[26] Les résultats des présents appels sont partagés, et il ne sera pas adjugé de dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 1999.

« D.G.H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour d'avril 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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