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Date: 19990122

Dossier: 97-2305-IT-I

ENTRE :

HUN-MEDIPHARMA RESEARCH INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 12 janvier 1999 à Montréal (Québec) par l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Cet appel traite des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental (dépenses de “ R & D ”) demandées par l'appelante pour l'année d'imposition 1994.

[2] Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) s’est fondé en refusant une partie des dépenses de R & D demandées sont décrites aux paragraphes 1 et 3 de la réponse à l'avis d'appel (la “ réponse ”) :

[TRADUCTION]

1. Sauf dans les cas où il l'admet spécifiquement, il nie toute allégation de fait et conclusion de droit contenue dans l'avis d'appel, à l'exception de ce qui est indiqué ci-après.

...

3. En établissant ladite cotisation à l’égard de l'appelante, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a) pour l'année d'imposition 1994, l'appelante a demandé seulement les salaires à titre de dépenses de RS & DE et de dépenses admissibles au CII;

b) après avoir évalué les projets pour lesquels l'appelante a demandé des dépenses de RS & DE ainsi que le CII, notre investigateur scientifique en est arrivé à la conclusion que quelques-uns des projets n'était pas admissible en tant que projets de RS & DE;

c) par conséquent, pour l'année d'imposition en litige, le ministre a refusé la somme suivante à titre de dépenses de RS & DE :

Dépenses courantes

Salaires refusés 8 357 $

Moins le crédit d'impôt du Québec

ajusté en conséquence (3 343 $)

Total des dépenses de RS & DE refusées 5 014 $

d) pour l'année d'imposition en litige, le ministre a également refusé la somme suivante à titre de dépenses admissibles au CII et a réduit le CII déductible de l'appelante en conséquence :

Dépenses de RS & DE refusées 8 357 $

Montant de remplacement visé

par règlement refusé en conséquence 151 $

Moins le crédit d'impôt du Québec

ajusté en conséquence (3 343 $)

Dépenses non admissibles au CII 5 165 $

Réduction du CII déductible :

5 165 $ x 35 % = 1 808 $

[3] À mon avis, il est peu probable que la réponse soit conforme au paragraphe 6(1) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (Procédure informelle). Il n'est pas possible de déterminer, à la lecture de la réponse, les conclusions ou les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé en établissant sa cotisation. Il ne suffit pas de dire simplement que l'investigateur scientifique du ministre a refusé la demande de l'appelante.

[4] Il semble que l'appelante elle-même a changé d'idée quant à la nature exacte du travail accompli entre le moment de la présentation de sa demande (formulaire T661) et celui de l’examen de la demande par la Division des appels. Cela n’autorisait pas l’intimée à ne pas décrire en détail les faits tels que le ministre les a compris au moment de la cotisation et de la ratification.

[5] L'avis d'appel de l'appelante mentionne, entre autres, ce qui suit :

[TRADUCTION]

Quant au projet 1/b – comprimé antistress (pour usage humain)

Contrairement à ce que suggère le rapport du réviseur scientifique, nous n'avons pas demandé de dépenses (à titre d'activités de R & D admissibles) pour

·          la préparation d’une demande d'identification numérique de la drogue (DIN) adressée à Santé Canada

·          les frais d’administration ou

·          des réunions d’affaires

Mais nous avons demandé des dépenses de main-d'oeuvre à titre d'activité admissible au R & D pour l'analyse scientifique et médicale des données techniques, précliniques et cliniques disponibles, soit publiées soit non publiées et reçues du concepteur, et pour lesconclusions tirées de cette analyse afin de

1. déterminer la première indication médicale ou clinique qui convienne à l’enregistrement et qui puisse être enregistrée et ultérieurement servir aux fins de mise en marché médicale au Canada et aux États-Unis

2. à partir des conclusions tirées au cours de l'année d'imposition 1994, permettre un travail de conception logique et une conception de programme systématique pour le programme technique et clinique futur nécessaire pour l’enregistrement et pour la mise en marché médicale au Canada et aux États-Unis

...

Projet 2 : Produits médicaux pour le soin de la peau (pour usage humain)

À titre de réviseur scientifique, le Dr A. Michaelidou a été informée personnellement au cours de la rencontre pour l'examen que les formulations microsomiques des quatre produits médicaux pour le soin de la peau ont été conçus pour la première fois au Canada et sont le fruit des activités de R & D du chef de projet (Dr A.T.A. Fazekas) et de ses propres expérience, connaissances et liens dans les domaines pharmaceutique et dermatologique.

Le DIN est l'identification numérique de la drogue que l'on obtient de la Direction générale de la protection de la santé (DGPS) de Santé Canada.

[6] La preuve a été présentée par le président de l'appelante, M. Attila T.A. Fazekas, et par un témoin expert au nom de l'intimée, Mme Aliki Michaelidou Dansereau.

[7] La demande de l'appelante (formulaire T661) pour les dépenses de R & D effectuées au Canada a été déposée comme pièce R-3. En ce qui a trait au projet no 1/b, voici quels étaient les objectifs :

[TRADUCTION]

1.2. Objectifs

Le but final du projet total est d'établir des formulations pharmaceutiques et des produits finals pour usage humain dont des essais cliniques ont prouvé qu’ils ont pour effet, de façon efficace et sûre, d'accroître la tolérance au stress ou d’améliorer la gestion du stress et de prévenir ou gérer des troubles de stress chez les humains, tels que la nervosité, l'anxiété, la fatigue, la perte de concentration, les troubles du sommeil, la constipation, les problèmes digestifs et la dysfonction sexuelle chez les hommes et les femmes.

Après l'étape 1 (recherche du principal ingrédient médicinal) et l'étape 2 (développement d’un produit pharmaceutique), les objectifs de l'année de déclaration en question consistaient à préparer et à soumettre une présentation de drogue à la Direction générale de la protection de la santé de Santé Canada.

Sous le titre “ Progrès accompli jusqu'à maintenant ”, on lit ce qui suit :

[TRADUCTION]

3.0. PROGRÈS ACCOMPLI JUSQU'À MAINTENANT

Après le développement de la formulation, on a trouvé des produits appropriés; des échantillons des produits ont été produits pendant les années précédentes.

Une présentation de drogue a été préparée et soumise à la Direction générale de la protection de la santé de Santé Canada pour approbation au cours de cette année de déclaration.

[8] Mme Aliki Michaelidou Dansereau, la conseillère scientifique de Revenu Canada, a préparé un rapport d'admissibilité. Au sujet du projet 1/b, le rapport précise :

[TRADUCTION]

Évaluation du projet

Projet 1/b - médicament antistress (usage humain)

Dans le projet 1/b, la seule activité demandée dans l'exercice 1994 a été la préparation d’une présentation de drogue qu’on a, au cours de la visite, déterminée être une demande d’identification numérique de la drogue soumise le 11 février 1994 et reçue par la Direction générale de la protection de la santé le 23 du même mois. Toutefois, dans le registre de la compagnie, des activités de 13 à 14 jours sont mentionnées, y compris l’évolution du dossier. Selon le Dr Fazekas, ce dernier point comprend l’étude des données publiées et non publiées concernant la substance devant faire l'objet d'une demande aux fins de R & D, la recherche d’une indication clinique, la première identification d’une indication clinique et l'administration, y compris les travaux de secrétariat, réunions d’affaires, etc. Selon moi, vu qu’il n'y a eu aucune activité à l'exception de la demande de DIN, qui n'est pas en soi une activité admissible, le projet n'est pas admissible selon les exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[9] Mme Michaelidou Dansereau a précisé qu'elle avait rejeté le projet de l'appelante concernant les comprimés antistress, car il consistait uniquement en une analyse documentaire sur un sujet spécifique en vue de la préparation d'une demande de DIN adressée à la DGPS. De plus, aucun essai clinique n'avait été mené. Elle a émis les mêmes commentaires sur le projet pour le soin de la peau, quoiqu'elle a ajouté qu'un travail de conception avait été effectué dans ce projet. Elle a également précisé qu'elle ne mettait pas en question les titres de l'appelante.

[10] M. Fazekas a expliqué que les données avaient été rassemblées en Allemagne par rapport à un médicament utilisé à certaines fins. Le but poursuivi par l'appelante était différent et l'analyse était donc effectuée en conséquence. M. Fazekas a produit plusieurs documents pour montrer que l'analyse était systématique.

[11] Dans la première demande, l'appelante a déclaré que toutes les dépenses relatives au projet 1/b étaient en relation avec la préparation de la demande de DIN. Toutefois, au cours de la révision de Revenu Canada et de l’audition de cet appel, l'appelante a soutenu qu'en fait aucune dépense n'avait été demandée pour ce travail. La raison pour laquelle elle a dit le contraire au début, c’est qu’elle pensait qu’il fallait terminer le projet, sinon ce dernier ne serait pas admissible en tant que projet R & D. M. Fazekas a précisé que le but des travaux terminés était l'analyse de données pour l'avancement de la science médicale. Il a également ajouté que, contrairement à ce que la conseillère scientifique avait mentionné dans son rapport, l'analyse avait été suivie d'activités expérimentales.

[12] Le paragraphe 2900(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu (le “ Règlement ”) se lit comme suit :

(1) Aux fins de la présente partie et des alinéas 37(7)b) et 37.1(5)e) de la Loi “ recherches scientifiques et développement expérimental ” désigne une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse, c'est-à-dire,

a) la recherche pure, à savoir le travail entrepris pour l'avancement de la science sans aucune application pratique en vue,

b) la recherche appliquée, à savoir le travail entrepris pour l'avancement de la science avec une application pratique en vue, ou

c) la mise au point, à savoir l'utilisation des résultats de la recherche pure ou appliquée dans le but de créer de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou encore d'améliorer ceux qui existent,

et, lorsque ces activités sont entreprises pour appuyer directement les activités mentionnées à l'alinéa a), b) ou c), comprend les activités relatives au génie ou au dessin, à la recherche opérationnelle, à l'analyse mathématique ou à la programmation des ordinateurs et à la recherche psychologique, mais elle n'englobe pas les activités se rattachant à

d) la prospection du marché ou la stimulation de la vente;

e) le contrôle de la qualité ou l'échantillonnage normal des matériaux, des dispositifs ou des produits;

f) la recherche dans les sciences sociales ou les humanités;

g) la prospection, l'exploration ou le forage fait en vue de découvrir ou d'exploiter des minéraux, du pétrole ou du gaz naturel;

h) la production commerciale d'un matériau, d'un dispositif, ou d'un produit nouveau ou meilleur, ou l'utilisation commerciale d'un procédé nouveau ou plus efficace;

i) les modifications de style; ou

j) l'obtention ordinaire de renseignements.

[13] L'appelante a prétendu que le paragraphe du Règlement cité ci-dessus ne limite pas les activités de recherche scientifique et de développement expérimental à des expériences faites par le demandeur, mais permet qu’elles consistent en analyses. M. Fazekas croyait qu'il s'agissait d'une investigation systématique d’ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d’analyse. Il s'agissait de recherche appliquée, à savoir d’un travail entrepris pour l'avancement de la science avec une application pratique en vue. Il s'est référé à la Circulaire d’information 86-4R3, plus précisément au paragraphe 5.1, qui se lit comme suit :

5.1. Pour que les activités liées à la collecte ou au contrôle des données soient admissibles, les données doivent être recueillies directement en vue de résoudre une incertitude scientifique ou technologique liée à une activité admissible. Souvent, l’analyse de données recueillies en grande quantité sert à résoudre une incertitude technologique, même si les données en question ne sont pas rassemblées spécialement ou directement aux fins de l’activité de recherche scientifique et de développement expérimental admissible. Dans les cas de ce genre, seules sont admissibles les activités liées à l’analyse des données et non liées à leur collecte proprement dite. Pour que les activités soient admissibles, il faut que la collecte ait fait l’objet d’une démarche systématique, c’est-à-dire d’un plan d’étude, et que cette démarche ait fourni uniquement la quantité de données nécessaire pour dissiper l’incertitude scientifique ou technologique en cause. Autrement dit, le plan d’étude systématique visera à fournir la somme de renseignements qui convient à la résolution du problème. Plus précisément, l’envergure des collectes de données dont on veut déduire le coût doit correspondre aux besoins qu’il est possible d’établir en se basant sur les normes statistiques généralement employées pour élaborer les projets expérimentaux.

[14] L'avocat de l'intimée s'est référé à la décision du juge Sarchuk de cette Cour dans Sass Manufacturing Limited v. M.N.R., 88 DTC 1363, dans laquelle il précise à la page 1371:

La preuve est loin de démontrer l'existence d'une investigation ou recherche systématique d'ordre technologique effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse. À mon avis, le règlement 2900 exige que l'appelante produise des preuves convaincantes des expériences ou des analyses effectuées. Les mots “ recherche systématique ” impliquent l'existence d'expériences surveillées, la prise de mesures extrêmement précises et la confrontation des théories du chercheur à des preuves empiriques. La recherche scientifique doit s'entendre d'une entreprise visant à expliquer et à prédire, ainsi qu'à approfondir les connaissances relatives au domaine dont relève l'hypothèse formulée. Ce processus doit nécessairement s'accompagner d'expériences répétées pendant lesquelles on note avec soin les étapes suivies, les changements apportés et les résultats obtenus.

L'avocat de l'intimée croyait qu'une investigation systématique exigerait certainement une forme quelconque d'expérimentation clinique. Il a également précisé que l'appelante n'avait accompli aucune expérimentation de la sorte durant la période en question.

[15] L'audition de cet appel aurait été plus expéditive si l’on avait bien défini dans la réponse à l'avis d'appel le lien entre les hypothèses de fait et les points en litige : i) l'incertitude technologique ou scientifique; ii) la méthode d'investigation et sa valeur; iii) ou d'autres points pertinents relatifs aux raisons pour lesquelles les dépenses de R & D ont été refusées.

[16] Je considère que les dépenses de R & D demandées par l'appelante semblent, selon la prépondérance des probabilités, correspondre au sens du paragraphe 2900(1) du Règlement. Elles ont été engagées en vue d’une investigation systématique d’ordre scientifique, effectuée par voie d’analyse et entreprise pour l'avancement de la science avec une application pratique en vue. L'intimée s'est appuyée sur le fait que l'appelante n'avait pas mené d'expériences cliniques. Il ne semble pas que le paragraphe 5.1 de la Circulaire d’information 86-4R3 établit une telle exigence. Par-dessus tout, selon mon interprétation, le texte même du paragraphe 2900(1) du Règlement n’exige pas que l’investigation systématique soit effectuée à la fois par voie d’expérimentation et par voie d’analyse. Elle peut être effectuée par voie d’expérimentation ou par voie d’analyse, à condition qu'il s'agisse en fait d'une investigation systématique.

[17] L'appel est admis sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 1999.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

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