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Référence : 2017 CCI 57

Date : 20170413

Dossier : 2015-3374(GST)G

ENTRE :

WJZ ENTERPRISES,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Jorré

[1]  L’appelante a déposé une requête sollicitant une ordonnance autorisant Walter Zulyniak à représenter la société dans le cadre du présent appel. Les parties conviennent que la requête devrait être jugée sur dossier.

[2]  La disposition pertinente est le paragraphe 30(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), qui est ainsi rédigé :

La partie à une instance qui n’est pas une personne physique se fait représenter par un avocat, sauf avec l’autorisation de la Cour et sous réserve des conditions que celle-ci fixe.

[3]  Il n’y est pas précisé à quel moment l’autorisation doit être accordée. La Cour a dû établir à cet effet des critères raisonnables prenant en considération diverses circonstances.

[4]  Il n’existe aucune liste officielle de facteurs à prendre en considération au moment de déterminer s’il convient d’autoriser une société à être représentée par une personne qui n’est pas un avocat [1] .Tout facteur pertinent peut être pris en considération.

[5]  Parmi les facteurs à prendre en considération, il y a les suivants :

1.  La société a-t-elle dûment autorisé le représentant proposé à agir en son nom? L’autorisation est obligatoire. Cela peut être très simple dans le cas de certaines petites entreprises qui, par exemple, ne comptent qu’un seul actionnaire qui en est aussi l’unique administrateur et dirigeant et que cette personne veut représenter son entreprise. Dans le cas d’une entreprise qui compte plusieurs administrateurs, il faut vraisemblablement une résolution des administrateurs.

2.  Y a-t-il un lien entre le représentant proposé et la société? La règle n’exige plus que la personne soit membre de la direction de la société, mais, normalement, elle devrait occuper un poste de dirigeant ou d’administrateur et, si possible, être un actionnaire important ou un employé clé de la société. Je m’empresse d’ajouter qu’une requête au titre du paragraphe 30(2) ne peut être utilisée comme un moyen détourné de retenir les services d’un représentant qui n’est pas un avocat.

3.  Les intérêts des différents actionnaires de la société sont-ils protégés adéquatement? Cette question peut dans certains cas être pertinente et aider à déterminer si une personne peut jouer le rôle de représentant. Par exemple, ce serait le cas dans une situation où, outre le litige fiscal en cours touchant une société, il y aurait un litige familial relativement à l’actionnariat en raison d’une succession, et les actionnaires ou les actionnaires potentiels pourraient ne pas s’entendre sur la stratégie à adopter dans l’appel en matière d’impôt.

4.  La société peut-elle payer les honoraires d’un avocat? Normalement, si une société réussit à démontrer à la Cour qu’elle n’en a pas les moyens, sa requête sera autorisée afin qu’elle ait accès à la justice. Il s’agit d’un facteur très important.

5.  Le représentant proposé devra-t-il comparaître en tant qu’avocat et en tant que témoin? Que le représentant proposé soit appelé à témoigner est un facteur plutôt défavorable à l’accueil de la requête. Généralement, ce facteur a un poids limité et ne justifie pas, à lui seul, le rejet de la requête.

6.  Le représentant proposé est-il, dans une mesure raisonnable, capable de représenter adéquatement la société? Autrement dit, est-il capable de comprendre les points en litige, de présenter adéquatement les éléments de preuve et de comprendre le droit? Cela dépendra de la complexité des lois applicables et de la complexité de la preuve.

7.  Dans le cas d’une petite société unipersonnelle, la Cour serait davantage portée à autoriser un représentant, toutes choses étant égales par ailleurs.

[6]  Deux observations s’imposent.

[7]  D’une part, il ne faut pas oublier que, bien que les services d’un avocat constituent une dépense pour la société, celle‑ci tire avantage de ces services. Par sa formation et ses compétences, l’avocat connaît bien le droit et il sait comment présenter et organiser la preuve de manière efficace. Les appelants, mais aussi la Cour, l’intimé et l’intégrité du processus d’instruction profitent également des compétences de l’avocat.

[8]  D’autre part, il convient de rappeler que la Cour peut imposer des conditions si elle autorise la société à être représentée par une personne qui n’est pas un avocat [2] .

[9]  Dans le cas qui nous occupe, selon son affidavit, M. Zulyniak est l’unique dirigeant, administrateur et actionnaire de la société [3] .

[10]  M. Zulyniak ajoute que les honoraires d’un avocat seraient exorbitants et que son fardeau financier est déjà assez lourd. Aucune information sur la situation financière de l’appelante n’a été fournie, et il n’a pas été allégué que la société est incapable d’assumer les coûts.

[11]  Il est en outre précisé dans l'affidavit que le litige ne porte ni sur des questions techniques ni sur des questions d’interprétation; ce sont plutôt des questions objectives et factuelles, et les observations de l’appelante reposent sur des documents concrets.

[12]  Dans ses observations, l’intimée soulève les réserves suivantes :

1.  L’intimée n’est pas d’accord avec l’intimée sur la façon de définir les points en litige.

2.  Il n’y a aucune information sur l’incapacité à payer de la société.

3.  M. Zulyniak serait le principal témoin de l’appelante lors de l’audition de l’appel.

4.  Enfin, M. Zulyniak a signé l’affidavit au Panama, et l’intimée craint que son absence du Canada nuise au déroulement de l’instance.

[13]  Je prends aussi note que l’avis d’appel, qui semble avoir été préparé par un cabinet comptable, est composé d’une liste de dépenses de quatre pages, qui n’explique aucunement ce qui est en litige, et de copies de certains documents que les parties se sont échangés, ce qui n’est pas du tout conforme aux Règles.

[14]  Lorsque l’appelante a déposé son avis de requête relativement à la présente demande, elle a omis de fournir un affidavit comme l’exigent les Règles. Elle a présenté un affidavit seulement après que la Cour le lui a demandé.

[15]  Selon la réponse à l’avis d’appel, il semblerait que l’écart entre les calculs des deux parties en ce qui a trait à la TPS/TVH nette pour les périodes concernées serait d’environ 100 000 $ si l’on tient compte des crédits de taxe sur les intrants additionnels réclamés dans l’avis d’opposition. De plus, des pénalités s’élevant à environ 17 000 $ ont été imposées, et il est possible que des intérêts courent sur le montant total. Le litige concerne principalement la taxe sur les extrants, et la période visée commence le 1er février 2009 et se termine le 31 juillet 2011.

[16]  Je constate que l’affidavit est signé par M. Zulyniak, mais les observations formulées au nom de la société semblent être signées par Kevin Sander, un comptable qui a travaillé pour le compte de la société à l’étape de l’opposition [4] .

[17]  En signant les observations, M. Sander n’a pas agi conformément au paragraphe 30(2) des Règles, et M. Zulyniak, qui doit avoir donné ses instructions à M. Sander, était disposé à laisser les choses ainsi.

[18]  La question de savoir si la société autorise le représentant proposé à agir ne se pose pas dans les circonstances, et le lien entre M. Zulyniak et la société est évident. Le critère concernant la protection des intérêts des différents actionnaires ne s’applique pas en l’espèce.

[19]  L’appelante n’a pas démontré qu’elle est incapable de payer les honoraires d’un avocat.

[20]  Étant donné que plus de 115 000 $ sont en jeu [5] , les frais judiciaires ne feront pas gonfler démesurément la somme en litige.

[21]  La présente affaire n’est pas aussi simple ni la preuve aussi facile à établir que l’appelante semble le croire. D’après les documents que l’appelante a joints à l’avis d’appel et la réponse du ministre, les sommes les plus importantes en litige semblent concerner la taxe sur les extrants. Ces documents révèlent que la cotisation est principalement fondée sur l’analyse par le ministre des sommes déposées dans le compte bancaire de l’appelante et dans celui de M. Zulyniak; l’appelante semble soutenir que les sommes versées dans le compte de M. Zulyniak sont liés à des activités commerciales de M. Zulyniak sans lien avec celles de l’appelante.

[22]  Il ne sera probablement pas simple ni facile de rassembler et d’organiser des éléments de preuve détaillés concernant tous les dépôts et tous les crédits de taxe sur les intrants en litige.

[23]  Tant dans les observations que l’affidavit de l’appelante, il est soutenu que [traduction] « toutes les observations de l’appelante sont purement des documents factuels » et que [traduction] « ces documents n’étaient pas disponibles au moment de la vérification ». Je ne suis pas certain que M. Zulyniak ait conscience qu’il devra fort probablement témoigner pour expliquer les documents et les mettre en contexte afin de montrer les erreurs commises dans l’analyse des dépôts bancaires et de justifier certains crédits de taxe sur les intrants.

[24]  Compte tenu de la situation, je ne suis pas convaincu que M. Zulyniak sera en mesure de représenter adéquatement l’appelante.

[25]  Dans l’ensemble, vu qu’il n’est pas nécessaire d’autoriser l’appelant à se faire représenter par une personne qui n’est pas un avocat en raison d’une incapacité à payer les honoraires d’un avocat, que la somme en litige est considérable, que je ne suis pas convaincu que M. Zulyniak sera capable de représenter adéquatement l’appelante et qu’il faut tenir compte de l’intérêt du public et assurer ainsi une instruction efficace dans le but de limiter les coûts [6] , il n’est pas judicieux en l’espèce d’autoriser la société à nommer un représentant qui n’est pas un avocat.

[26]  Par conséquent, la requête de l’appelante est rejetée. Les dépens suivront l’issue de l’affaire.

[27]  L’appelante devra retenir les services d’un avocat dans les 28 jours suivant la date de la présente ordonnance. L’avocat devra immédiatement aviser la Cour que ses services ont été retenus et lui fournir son adresse aux fins de signification, son numéro de téléphone, son numéro de télécopieur et son adresse courriel.

[28]  Une dernière question doit être examinée. Il faut modifier l’échéancier établi dans l’ordonnance de la Cour du 23 novembre 2016.

[29]  Les parties devront se consulter en vue de fixer de nouvelles dates pour chaque étape énoncée aux paragraphes 2 à 7 de l’ordonnance de la Cour datée du 23 novembre 2016. Elles devront transmettre à la Cour leur échéancier proposé [7] dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 13e jour d’avril 2017.

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de mai 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 57

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-3374(GST)G

INTITULÉ :

WJZ ENTERPRISES c. LA REINE

REQUÊTE DE L’APPELANTE DÉPOSÉE :

Le 29 décembre 2016

OBSERVATIONS DE L’INTIMÉE REÇUES :

Le 17 janvier 2017

AFFIDAVIT À L’APPUI DE LA REQUÊTE ET MOTIFS DE L’APPELANTE DÉPOSÉS :

Le 9 février 2017

OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES DE L’INTIMÉE REÇUES :

Le 24 février 2017

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Gaston Jorré

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 13 avril 2017

COMPARUTIONS :

[EN BLANC]

Représentant de l’appelante :

M. Walter Zulyniak

Avocate de l’intimée :

Me Karen A. Truscott

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[EN BLANC]

Pour l’appelante :

[EN BLANC]

Nom :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 



[1] Voici des exemples de décisions pertinentes à cet égard : la décision de la juge V.A. Miller dans Dundurn Street Lofts Inc. c. La Reine, 2008 CCI 558, au paragraphe 3; la décision du juge Webb (tel était alors son titre) dans Soneil International Limited c. La Reine, 2008 CCI 148; la décision du juge Bocock dans International Hi-Tech Industries inc. c. La Reine, 2014 CCI 198, au paragraphe 5. Il convient aussi de mentionner les observations du juge Boswell dans Extend-A-Call Inc. c. Granovski et al., 2009 CanLII 33047 (CSON), aux paragraphes 17 à 19, et du juge Minnema dans Murphy c. Stefaniak, 2014 ONSC 4396. Je note également que, depuis la modification des Règles en 2007 (DORS/2007-142, le 14 juin 2007), la disposition n’est plus aussi restrictive qu’auparavant.

[2] On dispose ainsi d’une grande souplesse. La Cour peut également modifier son ordonnance si des faits subséquents le justifient.

[3] Je prends note que, selon la réponse du ministre à l’avis d’appel, Pacific Evergreen Holdings Inc. est l’unique actionnaire de l’appelante et que M. Zulyniak est l’unique actionnaire de Pacific Evergreen.

[4] Je tire cette conclusion du fait que la signature sur la lettre d’observations datée du 9 février 2017 ressemble à celle de M. Sander sur la feuille d’envoi par télécopieur des observations et de l’affidavit à l’appui. La signature sur la lettre d’observations ne correspond pas du tout à la signature de M. Zulyniak sur l’affidavit.

[5] Plus les intérêts, si la somme est impayée.

[6] Je tiens à m’attarder quelque peu sur cette question. Nous vivons à une époque où les contraintes financières sont bien réelles. La Cour doit souvent composer avec des appelants qui plaident leur propre cause, et il est évident que, dans de nombreux cas, la Cour consacre plus de temps à l’affaire que si l’appelant avait été représenté par un avocat. Par conséquent, il est approprié de prendre en considération ce facteur et ces contraintes financières au moment d’accueillir ou de rejeter une telle demande.

[7] Ou l’informer de leur incapacité à s’entendre sur un nouvel échéancier.

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