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2017 CCI 88

2016-3196(IT)I

ENTRE :

ANDRAY RENAUD,

APPELANTE,

ET

SA MAJESTÉ LA REINE,

INTIMÉE.

TRANSCRIPTION RÉVISÉE

DES MOTIFS DU JUGEMENT

Je demande que soit déposée la transcription révisée ci-jointe des motifs du jugement rendus à l’audience du 28 avril 2017 à Ottawa (Ontario).

Je demande également qu’une copie de la version originale de la transcription soit envoyée aux parties.

Signé à Ottawa (Ontario), le 26e jour de mai 2017.

« Gaston Jorré »

Juge Jorré


2017 CCI 88

No dossier : 2016-3196(IT)I

COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

ANDRAY RENAUD

appelante

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

* * * * *

AUDIENCE TENUE À LA

Cour canadienne de l’impôt

Ottawa (Ontario)

Le vendredi 28 avril 2017

* * * * *

DEVANT :

 

L’honorable juge Gaston Jorré

 

COMPARUTIONS :

 

Me Andray Renaud

pour l’appelante

Me Cédric Renaud-Lafrance

pour l’intimée

M. Craig Munro

greffier audiencier

International Reporting Inc.

41-5450 Canotek Road

Gloucester (Ontario)

K1J 9G2

www.irri.net

1-800-899-0006


(ii)

TABLE DES MATIÈRES

 

PAGE

Décision

1


Ottawa (Ontario)

TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU JUGEMENT[1]

--- L’audience débute le vendredi 28 avril 2017 à 8 h 57.

              M. MUNRO:  Veuillez vous lever.

              Devant la Cour... cette séance de la Cour canadienne de l’impôt à Ottawa est maintenant ouverte.  Devant la Cour, la décision au dossier numéro 2016-3196(IT)I entre Andray Renaud et Sa Majesté la Reine.  Pour l’appelante, maître Andray Renaud; pour l’intimée, maître Cédric Renaud-Lafrance.

              Votre Honneur.

              LE JUGE JORRÉ:  Merci.  Bonjour madame Renaud, bonjour...

              Mme RENAUD:  Bonjour.

              LE JUGE JORRÉ:  Bonjour, maître Renaud...

              Me RENAUD-LAFRANCE:  Bonjour.

              LE JUGE JORRÉ:  ... Maître Renaud-Lafrance.

              Je vais maintenant rendre ma décision.

              L’appelante est avocate, elle a été assermentée au Barreau du Québec en 1996 et avait entre autres pratiqué le droit à Repentigny à plein temps à son compte avant de déménager à la région de la capitale nationale à l’automne 2000.

              Je crois que la situation avant qu’elle déménage à la région de la capitale nationale était suffisamment différente et que sa situation professionnelle avant cette date n’a pas vraiment d’impact pour la question qu’on a à déterminer ici.  Et notamment, le fait que pendant la période avant qu’elle déménage où elle avait commencé une pratique à plein temps de droit, elle avait des pertes pendant ses trois premières années, n’a pas de pertinence ici.  C’était une période... si je peux me permettre l’anglicisme, de « start up ».

              L’appelante a déménagé à la région de la capitale nationale quand elle a obtenu un poste non juridique au Gouvernement du Canada à l’automne 2000.  Et par la suite en 2005, elle a obtenu un poste d’avocate au bureau des Transports du Canada où elle est toujours et où elle pratique dans un domaine du droit très spécialisé.  L’appelante a aussi une pratique privée de droit depuis qu’elle a déménagé.  Elle évite de pratiquer dans le domaine du droit de son emploi à plein temps.  Elle fait cette pratique privée à temps partiel depuis qu’elle a déménagé.  Finalement, elle a une troisième activité liée au droit, et ça depuis 2013 seulement, elle enseigne le droit à temps partiel à l’Université d’Ottawa.             

              La question en litige est la suivante : est‑ce qu’au cours des années 2011, 2012, 2013 et 2014 la pratique privée à temps partiel était une source de revenu ou non?  Cette question est en litige parce que le ministre du Revenu national a recotisé l’appelante pour refuser des pertes réclamées par l’appelante dans chacune des quatre années en question.

              Il y a au paragraphe 7h) de la réponse à l'avis d’appel un tableau de revenus bruts et de pertes nettes à l’égard de la pratique privée, ce tableau n’est pas contesté.  Et comme j’ai dit, je ne crois pas que ça soit pertinent ce qui s’est passé avant le déménagement.

              Tandis qu’avant le déménagement la pratique était une pratique à plein temps, après, comme j’ai déjà dit, c'était une pratique à temps partiel.  Je n’ai pas l’intention de lire ce tableau, mais de 2001 à 2014 il y a des pertes déclarées toutes les années.  De 2001 à 2014 il n’y a que des pertes déclarées, pertes qui varient d’une perte de 1 956 $ en 2003 à une perte de 15 680 $ en 2012.  Et les revenus bruts déclarés pendant toute cette période sont très faibles.  Dans cette période le revenu brut maximum déclaré est de 3 850 $.  Il y a trois années où il n’y a aucun revenu, c'est-à-dire en 2005, en 2009 et en 2010.

              Pendant les quatre années en question, les montants de revenus, de dépenses et de pertes étaient les suivants : en 2011, il y avait un revenu professionnel brut de 2 500 $ et des dépenses d’entreprise de 15 113 $ pour une perte de 12 613 $.  En 2012, des revenus bruts de 850 $ et des dépenses de 16 530 $ pour une perte de 15 680 $.  En 2013, des revenus bruts de 850 $ et des dépenses d’entreprise de 4 864 $ pour une perte de 4 014 $.  Et en 2014, des revenus bruts de 3 850 $ et des dépenses de 10 512 $ pour une perte nette de 6 662 $.

              L’appelante a témoigné que dans sa pratique privée elle s’assure que les mandats qu’elle accepte ne prendront pas plus de temps qu’elle a disponible vu qu’elle pratique à temps partiel et elle a un emploi à plein temps.  Évidemment, elle s’assure également qu’il n’y a aucun conflit avec son travail à plein temps et qu’il s’agit d’un domaine du droit où elle a les compétences nécessaires.

              Sa pratique privée est relativement variée, elle fait du droit familial, civil, administratif, pénal.  Elle fait des consultations, des avis juridiques, des négociations.  Elle fait des cas devant la Régie du logement.  Elle fait du droit municipal; dans ce domaine il y a un avantage pratique pour elle, c'est que les auditions ont lieu en soirée.

              Les heures qu’elle consacre sont très variables, mais en moyenne ça peut représenter de cinq à 10 heures par semaine[2], ça c'est une moyenne sur toute l’année.  Son emploi à plein temps lui offre une certaine flexibilité quant au moment où elle doit faire son travail à plein temps.  Ceci, par moment, facilite sa pratique privée.

              Quand l’appelante a été questionnée sur le nombre des clients et le nombre des dossiers, les réponses n’étaient pas très précises.  Elle a témoigné qu’elle reçoit des demandes toutes les semaines.  Je présume que par « demande » il faut entendre des gens qui se présentent voulant obtenir des services juridiques.  Elle a témoigné qu’elle pouvait traiter de cinq à 10 choses différentes au cours d’un mois, mais il se peut aussi que ce soit les mêmes choses dont elle s’occupe le mois suivant.

              En général, elle ne facture pas le client pour le temps qu’elle consacre au client avant de décider si elle va prendre ou non la personne comme client.  Si un client potentiel se qualifie pour l’aide juridique, elle va envoyer ce client à l’aide juridique.  Elle ne prend pas de mandats de l’aide juridique.

              En décidant quel tarif elle va appliquer en prenant un dossier, elle tient compte des revenus de la personne et ajuste ses tarifs en conséquence.

              En contre-interrogatoire on a demandé à l’appelante si elle prenait des dossiers à perte.  Sa réponse a été non, elle couvrait toujours ses dépenses de déplacement et de temps pour le dossier, mais pas toutes ses dépenses.  Si un client ne paye pas le montant facturé, elle ne reprendra pas ce client une deuxième fois.

              L’appelante dit qu’elle fait son métier de façon professionnelle, mais elle ne fait pas de bénévolat ou de pro bono; elle adapte ses tarifs à la situation des clients.  L'appelante ne fait pas de publicité parce qu’elle a déjà assez de clients qui arrivent par la publicité faite de bouche à oreille pour remplir le temps qu’elle a disponible dans sa pratique privée. 

              Elle a l’intention d’augmenter les cours de droit qu’elle donne, et récemment elle s’est informée sur la possibilité de donner un cours à l’Université du Québec en Outaouais.  Elle envisage aussi de faire un peu de publicité dans un milieu lié aux chevaux où elle est active, elle a déjà quelques mandats qui proviennent de ce milieu.

              Comme j’ai déjà dit, en 2013, la troisième année en question ici, l’appelante a commencé à enseigner le droit à l’Université d’Ottawa.  En 2013 elle a reçu 1 000 $ de l’université.  En 2014 elle a enseigné plus de semestres et elle a reçu 3 000 $ de l’université.  Bien qu’elle inclut ces montants de 1 000 $ et de 3 000 $ dans son revenu, elle ne les a pas inclus dans les revenus bruts de sa pratique privée, et donc les chiffres que je viens de lire il y a quelques instants ne comprennent pas ces deux montants-là.

              Je vais parler plus tard brièvement des dépenses, mais je vais maintenant considérer le droit sur la question de source, et surtout la cause Stewart c. La Reine qui est la cause fondamentale sur cette question.  Il s’agit d’une décision de la Cour suprême du Canada en 2002, la référence neutre est 2002 CSC 46.  Il s’agit d’une cause traitant de pertes dans le cadre d’un projet immobilier, mais cette cause énumère des principes de base pour la question de source.

              Aux paragraphes 48 à 61 de la décision, la Cour suprême examine ces principes pour déterminer s’il y a ou non une source.  Je vais en lire certaines portions.  Je vais commencer à la dernière partie du paragraphe 50.

« 50 [...] Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s’il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d’entreprise ou de bien.

51 Assimiler la « source de revenu » à une activité exercée « en vue de réaliser un profit » concorde avec la définition traditionnelle du mot « entreprise » qui est donnée en common law, à savoir [...] « tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit » : Smith, précité, p. 258; Terminal Dock, précité.  De même, la distinction entre le revenu tiré d’une entreprise et le revenu tiré d’un bien repose généralement sur le fait qu’une entreprise exige un niveau d’activité plus élevé de la part du contribuable. [...]  Il est donc logique de conclure qu’une activité exercée en vue de réaliser un profit, quel que soit le niveau d’activité du contribuable, sera une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien.

52 Ce premier volet du critère vise simplement à établir une distinction entre les activités commerciales et les activités personnelles et, comme nous l’avons vu, il se peut fort bien que telle ait été à l’origine l’intention du juge Dickson lorsqu’il a mentionné l’« expectative raisonnable de profit » dans l’arrêt Moldowan.  Vus sous cet angle, les critères énoncés par le juge Dickson représentent une tentative de dresser une liste objective de facteurs permettant de déterminer si l’activité en cause est de nature commerciale ou personnelle.  Ces facteurs sont ce que le juge Bowman a qualifié d’« indices de commercialité » ou de « caractéristiques commerciales » : Nichol, précité, par. 13.  Ainsi, lorsque la nature de l’entreprise du contribuable comporte des aspects indiquant qu’elle pourrait être considérée comme un passe-temps ou une autre activité personnelle, mais que l’entreprise est exploitée d’une manière suffisamment commerciale, cette entreprise sera considérée comme une source de revenu aux fins d’application de la Loi.

53 Nous soulignons que ce critère de l’existence d’une source « en vue de réaliser un profit » ne doit faire l’objet d’une analyse que dans les situations où l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif.  En toute déférence, nous estimons que les tribunaux ont commis une erreur, dans le passé, en appliquant le critère de l’ERP à des activités comme l’exercice du droit et la restauration qui ne comportent aucun aspect personnel de cette nature : voir, par exemple, Landry, précité; Sirois, précité; Engler c. Canada [...].  Lorsqu’une activité est clairement de nature commerciale, il n’est pas nécessaire d’analyser les décisions commerciales du contribuable.  De telles démarches comportent nécessairement la recherche d’un profit.  Il existe donc par définition une source de revenu et il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin. »

              Je vais revenir à ce paragraphe tantôt et à la référence à la pratique du droit.

              Dans les cas où il y a un facteur personnel, il faut considérer les facteurs que la Cour suprême décrit aux paragraphes 54 et 55 de la décision.  Ensuite, aux paragraphes 56 à 58 la Cour suprême du Canada dit que le fait qu’il peut être question s’il y a ou non des déductions personnelles dans les dépenses qui ont été réclamées, et le fait qu’il y en a peut-être, ne doit pas changer le caractère de la source ou... plutôt son existence ou son inexistence.

              Après la Cour suprême résume ce qu’elle a dit et je vais lire deux passages.  Le premier est la première partie du paragraphe 60 de la décision.

« En résumé, la question de savoir si le contribuable a ou non une source de revenu doit être tranchée en fonction de la commercialité de l’activité en cause.  Lorsque l’activité ne comporte aucun aspect personnel et qu’elle est manifestement commerciale, il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin.  Lorsque l’activité peut être qualifiée de personnelle, il faut alors déterminer si cette activité est ou non exercée d’une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu.  Toutefois, refuser la déduction de pertes pour le seul motif que les pertes indiquent l’inexistence d’une entreprise (ou d’un bien) comme source de revenu va à l’encontre du texte et de l’économie de la Loi.  La question de savoir s’il existe une entreprise est distincte de celle de la déductibilité des dépenses. [...] »

              Et finalement, je note le paragraphe 61 qui répète encore un peu différemment le même sommaire.

« Comme nous l’avons vu, la question de savoir si l’activité exercée par un contribuable constitue une source de revenu est tranchée en se demandant si le contribuable a l’intention d’exercer cette activité en vue de réaliser un profit et s’il existe des éléments de preuve étayant cette intention.  De même, lorsqu’une activité est nettement commerciale et ne comporte aucun aspect personnel, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin.  De telles activités sont des sources de revenu. »

              Donc le grand principe derrière tout ça se trouvant au paragraphe 51 est celui-ci : s’agit-il d’une entreprise exercée en vue de réaliser un profit?  Et en premier lieu on doit se demander si l'activité est clairement de nature commerciale, car dans ce cas-là il n’est pas nécessaire d’analyser les considérations dont la Cour parle aux paragraphes 54 et 55.

              Je vais maintenant revenir au paragraphe 53 car selon l’appelante, vu ce qui est dit au paragraphe, l’exercice du droit est clairement commercial et ne peut jamais être questionné.  Et ça évidemment c'est la phrase où la Cour suprême dit:

« [...] En toute déférence, nous estimons que les tribunaux ont commis une erreur, dans le passé [...] », et je saute un peu, « [...] en appliquant le critère de l’ERP à des activités comme l’exercice du droit [...]. »

              Quelle est la portée de ce passage?  Ce passage doit être compris dans le contexte des principes énumérés par la Cour suprême, notamment que pour avoir une source une activité doit être exercée en vue d’un profit.  Évidemment, il ne faut pas que la Cour substitue son jugement quant à la conduite des affaires à celle du professionnel ou de la personne d’affaires. 

              Et évidemment, normalement l’exercice du droit ou l’autre exemple qui est donné, un restaurant, est opéré en vue d’un profit.  Normalement il n’y a pas lieu d’examiner plus attentivement une pratique de droit ou un restaurant.  Mais cela ne veut pas dire que cela ne peut jamais être la question.  La phrase en question au paragraphe 53[3] est de l’obiter, et il est utile de rappeler les principes qui s’appliquent aux obiter de la Cour suprême du Canada.

              Faisons un peu l’historique.  Il y avait une époque où on citait la fameuse phrase de Lord Halsbury qui disait qu’une décision ne faisait autorité que pour exactement ce qu’elle tranchait et rien de plus.  Il est clair que cette époque est révolue depuis longtemps.  Et la Cour suprême exprimait dans l’arrêt Sellars c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 527, que les cours inférieures doivent prendre très sérieusement une décision de la Cour suprême même quand il s’agit d’obiterSellars a été appliqué d’une façon très forte.  Et plus récemment la Cour suprême a senti le besoin d’expliquer un peu plus la portée de Sellars

              Elle l'a fait dans la décision La Reine c. Henry, 2005 CSC 76.  Au paragraphe 57 la Cour suprême dit ceci :

« Pour reprendre la formulation du comte Halsbury, il faut se demander chaque fois quelles questions ont été effectivement tranchées.  Au‑delà de la ratio decidendi qui est généralement ancrée dans les faits, comme l’a signalé le comte Halsbury, le point de droit tranché par la Cour peut être aussi étroit que la directive au jury en cause dans Sellars ou aussi large que le test établi par l’arrêt Oakes.  Les remarques incidentes n’ont pas et ne sont pas censées avoir toutes la même importance.  Leur poids diminue lorsqu’elles s’éloignent de la stricte ratio decidendi pour s’inscrire dans un cadre d’analyse plus large dont le but est manifestement de fournir des balises et qui devrait être accepté comme faisant autorité.  Au‑delà, il s’agira de commentaires, d’exemples ou d’exposés qui se veulent utiles et peuvent être jugés convaincants, mais qui ne sont certainement pas « contraignants » comme le voudrait le principe Sellars dans son expression la plus extrême.  L’objectif est de contribuer à la certitude du droit, non de freiner son évolution et sa créativité.  La thèse voulant que chaque énoncé d’un jugement de la Cour soit traité comme s’il s’agissait d’un texte de loi n’est pas étayée par la jurisprudence et va à l’encontre du principe fondamental de l’évolution de la common law au gré des situations qui surviennent. »

              Il en résulte que la phrase au paragraphe 53 de Stewart ne doit pas être lue de façon absolue, et ne s’applique pas automatiquement quelle que soit la situation d’une pratique de droit ou d’un restaurant.

              Ici je crois que factuellement nous sommes dans une situation assez exceptionnelle.  Examinons les faits.  Je suis satisfait que la pratique privée de l'appelante n’est tout simplement pas exercée en vue de réaliser un profit.  J’arrive à cette conclusion pour les raisons suivantes : en premier lieu, il y a les revenus bruts.  L’appelante nous dit qu’elle travaille de cinq à 10 heures par semaine dans sa pratique privée en moyenne et sur toute l’année[4].  Donc l’ordre de grandeur est de 10 heures par semaine.  Pour faciliter l’arithmétique je vais supposer 50 semaines de travail, cela fait un ordre de grandeur de 500 heures par an. 

              Dans les quatre années en question les revenus bruts déclarés sont 2 500 $, 850 $, 850 $ et 3 850 $ en 2011, en 2012, en 2013 et en 2014 respectivement.  Mathématiquement ça fait des revenus bruts de 5 $ par heure en 2011, 1,70 $ par heure travaillée en 2012, de même en 2013 et 7,70 $ par heure pour chaque heure travaillée en 2014.  Ceci n'est même pas le salaire minimum.  Avec la meilleure gestion au monde, ce n’est pas possible de faire des revenus nets dans une pratique de droit avec ce niveau de recettes.  Je note aussi qu’en 2009 et en 2010 il n’y avait aucun montant de revenu.  Cela n’est pas du tout comme une pratique de droit comme on l’entend normalement, même en prenant ça d’une façon très large.  Avec un tel niveau de revenu, ça ne peut pas être exercé en vue d’un profit.

              De plus, dans la preuve il n’y a rien qui indique par exemple qu’il y aurait des dossiers engagés qui pourraient à l’avenir mener à des revenus beaucoup plus importants mais qui à court terme ne pouvaient pas être facturés, par exemple un dossier pris sur une base contingente.  La preuve ne révèle pas que dans la période en question on cherchait à modifier les pratiques de tarification d’une façon significative ou de modifier un peu la clientèle recherchée de façon à augmenter le revenu.

              À l’audition, l’appelante a dit qu’elle cherchait à enseigner plus, cela semble récent.  Mais je noterais qu’enseigner le droit est une source distincte de la pratique du droit.  À l’audition, il a été également question que l’appelante va faire de la publicité dans le milieu lié aux chevaux, comme je viens de lire.  Toutefois, peu avant ça pendant son témoignage elle avait dit qu’elle ne faisait pas de publicité parce qu’elle recevait déjà suffisamment de clients pour occuper tout le temps qu’elle avait.  Mais sans chercher d’une façon ou d’une autre à avoir des revenus un peu plus importants, je ne vois pas comment on peut dire que cela est fait en vue d’un bénéfice.

              L’appelante dit qu’elle ne fait pas de bénévolat ou de pro bono parce qu’elle charge tous ses clients quelque chose, bien que parfois certains ne payent pas, mais elle ne les reprend pas comme clients.  Ce n'est peut-être pas du bénévolat au sens strict, mais c'est très près du bénévolat.  D’ailleurs, je tiens à insister qu’une pratique de droit peut très bien faire du pro bono comme une partie de sa pratique, mais il faut, normalement, dans une pratique de droit qu’on vise à faire du profit.  On n’en fait pas toujours.  Des avocats essaient de lancer des pratiques et parfois ça ne fonctionne pas, mais ça a été fait en vue de profits.

              Donc, sur les faits devant moi je ne vois pas comment je peux éviter de conclure que ce que l'appelante cherche dans sa pratique privée c'est d’essayer d’aider des gens de moyens modestes, tout en faisant un travail professionnel et en essayant de réduire un peu ce que ça lui coûte faire cette activité.  C'est très louable, c'est très, très louable, mais je ne vois pas comment cela peut être clairement commercial.  Et en conséquence, je ne vois pas comment il peut y avoir de source.  Et en l’absence de source, les pertes ne sont pas déductibles, donc je dois rejeter l'appel.

              Avant de terminer, je veux brièvement parler des dépenses.  Au cours du procès l’intimée a tenté de démontrer que certaines dépenses réclamées relatives à la pratique privée n’étaient pas valablement déductibles comme dépenses liées à la pratique ou qu’elles étaient personnelles.  D’une part, je ne suis pas sûr que cette question a été valablement soulevée dans la réponse à l’avis d’appel.

              D’après la réponse, la base de la cotisation est qu’il n’y avait aucune source de revenu.  Aucun des faits tenus pour acquis n’allègue que certaines dépenses réclamées n’étaient pas liées à la pratique ou étaient de nature personnelle.  Il n’y a pas d’allégations dans ce sens non plus dans la partie A de la réponse.  C'est seulement dans la dernière partie de l’argumentation que c'est soulevé dans l’alternative qu’il y aurait des dépenses personnelles. 

              D’autre part, même en mettant de côté cet aspect-là, quand je me suis mis à relire la preuve et à considérer si l’intimée avait démontré que certaines dépenses n’étaient pas valablement liées à la pratique de droit, je me suis aperçu que de la façon que tout a été présenté, il était impossible pour moi de faire une telle détermination, car ce que j’ai constaté c'est que les deux volumes de reçus déposés totalisent plus que les montants réclamés. 

              Et en l’absence de documents indiquant ce qui avait été réclamé, je ne vois pas comment je pourrais arriver à une conclusion d’une façon ou d’une autre vis-à-vis les dépenses, puisque même si une dépense dans les deux volumes était personnelle, je n’ai pas de moyen de savoir si c'est parmi les dépenses réclamées.  Donc je ne crois pas que pour ces deux raisons la Cour peut vraiment examiner les dépenses dans ce cas.

              J’ai une deuxième observation à faire relativement aux dépenses.  L’appelante a porté à mon attention la décision du juge Hershfield de cette Cour dans l’arrêt Spearing c. Canada, [2001] A.C.I. no 32 (QL), et notamment le paragraphe 29.  J’ai lu attentivement ce paragraphe et je peux comprendre la situation difficile dans laquelle se trouvait le juge Hershfield dans Spearing, mais je ne vois pas là-dedans de règle de droit qui a d’effet sur ce que j’ai à faire ici.  Il n’exprime pas de règle de droit qui dit que le ministre doit vérifier les dépenses avant de se poser des questions sur l’existence ou non d’une source.  Il exprime les difficultés que ça a causées dans la cause qu’il avait devant lui et que ça peut causer dans d’autres causes.

              D’ailleurs, je noterais que le ministre du Revenu national, bien qu’il y a beaucoup d’employés, par rapport aux responsabilités du ministre, ses ressources disponibles sont en fin de compte modestes.  La Loi de l’impôt sur le revenu n’exige pas qu’il vérifie tout.  Et il est tout à fait normal, vu les ressources modestes quand on les compare à ce qu’il a à faire, qu’il choisit sélectivement de vérifier certaines choses.  D’ailleurs, ça va, je crois, de soi avec un système qui est à sa base un système d’autocotisation.  D’ailleurs, j’ajouterai que rien n’empêche un contribuable de porter à l’attention du ministre une correction à ses revenus, à sa déclaration, s’il y a lieu.  En tout cas, je voulais juste faire ces commentaires vis-à-vis les dépenses.

              Mais pour revenir à la question de base, pour les raisons que j’ai énumérées il y a quelques instants, je conclus qu’il n’y a pas de source et donc l’appel doit être rejeté.

              Merci.

              M. MUNRO:  Veuillez vous lever. 

              Mme RENAUD:  Est-ce que je peux juste poser une question?  Est-ce qu’il y a des dépens?  Est-ce que je dois...

              LE JUGE JORRÉ:  Il n’y a aucun dépens.

              Mme RENAUD:  D’accord.

              LE JUGE JORRÉ:  Nous sommes en procédure informelle et il n’y a pas de dépens, normalement. Il y a des exceptions. Non, dans ce cas-ci, il n’y a pas de dépens.

              Mme RENAUD:  Parfait.  Merci.

              M. MUNRO:  Cette séance de la Cour canadienne de l’impôt à Ottawa est maintenant terminée.

--- L’audience est ajournée à 9 h 41.


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 88

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-3196(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ANDRAY RENAUD c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

31 janvier 2017 (appel)

28 avril 2017 (décision)

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Gaston Jorré

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 avril 2017

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT RENDUS ORALEMENT :

Le 28 avril 2017

DATE DE LA TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU JUGEMENT :

Le 26 mai 2017

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Cédric Renaud-Lafrance

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 



[1] Note du juge : J’ai révisé cette version des motifs; j’ai fait des changements mineurs pour améliorer le style et la clarté et pour corriger des erreurs mineures. Il n’y a aucune modification sur le fond. J’ai également demandé au greffe d’envoyer aux parties avec cette version révisée une copie de la transcription originale.

En révisant les motifs rendus à l’audience, je me laisse guider par les commentaires du juge Rouleau de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Wang, 2010 ONCA 435, aux paragraphes 8 à 13.

[2] Note du juge : Je note que deux fois dans cette transcription je parle de cinq à 10 heures. C’est effectivement ce que j’ai dit, mais quant au nombre « 10 » il s’agit d’un lapsus de ma part. Selon la position de l’appelante dans son avis d’appel et le témoignage de l’appelante relativement au nombre d’heures, que j’ai accepté, il était très clair qu’il s’agissait d’une moyenne de cinq à 15 heures. En m’inspirant du paragraphe 12 de R. v. Wang, 2010 ONCA 435, je laisse « 10 », mais j’ajoute cette note.

[3] Note du juge : La transcription dit 54. Je ne sais pas si j’ai dit par inadvertance 54 plutôt que 53 ou s’il s’agit d’une erreur de transcription, mais je crois que, dans le contexte, c’est assez clair qu’il s’agit d’une référence au paragraphe 53.

[4] Voir la note 2.

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