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Dossier : 2014-3740(IT)G

ENTRE :

ROBERT K. GEICK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 23 mai 2017, à Sudbury (Ontario)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Gabrielle White

 

JUGEMENT

  CONFORMÉMENT aux motifs du jugement ci-joints, l’appel concernant l’année d’imposition 2012 est rejeté au motif que les frais judiciaires payés par l’appelant ne sont pas déductibles du revenu tiré d’une charge ou d’un emploi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juin 2017.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d’août 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 120

Date : 20170621

Dossier : 2014-3740(IT)G

ENTRE :

ROBERT K. GEICK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. Introduction

[1]  L’appelant, Robert Geick, a payé des frais judiciaires de 115 996 $ entre 2007 et 2011. Les parties s’entendent sur la somme que l’appelant a payée, la période au cours de laquelle les frais ont été payés et le fait qu’il s’agit de frais judiciaires. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a toutefois refusé la déduction des frais judiciaires du revenu d’emploi pour l’année 2012 au motif que l’appelant avait payé ces frais exclusivement pour se défendre contre des accusations criminelles.

[2]  M. Geick porte cette décision en appel et soutient qu’il y a trois fondements pour lesquels ces frais judiciaires sont déductibles. En résumé, ses motifs d’appel sont les suivants :

(i) toute déclaration de culpabilité à des accusations criminelles, à la défense contre lesquelles les frais judiciaires ont servi, aurait entraîné pour M. Geick la perte de son revenu d’emploi (« perte d’emploi »);
(ii) un processus long et ardu de demande de prestations de retraite, dans le cadre duquel M. Geick a payé des frais judiciaires, a donné lieu au versement, en 2012, de sommes converties en un paiement forfaitaire (« difficulté à recouvrer les prestations de retraite »);
(iii) la perte d’emploi de M. Geick aurait entraîné la saisie, par ses créanciers, de cinq biens locatifs puisque sa solvabilité aurait été anéantie (« saisie de biens »).

[3]  À l’opposé, le ministre soutient que l’appelant a déboursé les frais judiciaires uniquement pour se défendre contre les accusations criminelles. Le ministre affirme également que M. Geick n’a pas payé les frais judiciaires pour recouvrer une somme qui serait à inclure dans le calcul de son revenu ou pour établir un droit à une telle somme, comme le prévoit l’alinéa 8(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch.1, dans sa version modifiée (la « Loi »). En outre, le ministre soutient que l’appelant n’a pas payé les frais judiciaires pour recouvrer une prestation de retraite ou pour établir un droit à recouvrer une telle prestation à l’égard de l’emploi, comme l’exige l’alinéa 60o.1) de la Loi. Enfin, le ministre a jugé qu’il n’était pas probable que la perte éventuelle d’emploi entraîne la saisie des biens.

II. Les faits

[4]  M. Geick a été policier de 1990 à 2011. En 2006, à la suite de plusieurs accusations portées sous le régime du Code criminel en lien avec des incidents remontant à 2004, il a été suspendu avec paie. À peu près à la même époque, il a eu un accident de voiture qui lui a causé des blessures importantes et permanentes.

a)  Les accusations criminelles

[5]  M. Geick a retenu les services d’un avocat pour se défendre contre les accusations criminelles, à la suite de quoi certaines accusations ont été retirées. Il a été déclaré coupable d’au moins une accusation, ce qui a lui a valu une peine avec sursis comprenant une période de détention à domicile.

[6]  Les factures pour les services judiciaires ont été produites à l’audience. La première facture fait état d’honoraires d’avocat à partir du 8 juillet 2007, et la dernière facture, de services similaires se terminant le 12 août 2011. Lorsque les services sont décrits en détail, on mentionne des procédures pénales précises, à savoir des audiences sur la mise en liberté sous caution, une révision d’ordonnance de détention, des enquêtes préliminaires, des conférences préparatoires à l’audience, des requêtes préalables à l’audience, des demandes de séparation des chefs d’accusation, des requêtes fondées sur la Charte ainsi que des réunions avec les avocats de la Couronne. Certaines mentions sont plus générales : réunion avec le client, entrevue avec le client, rapport de la situation présenté au client. Ces factures ne font aucune mention de services juridiques pour des affaires de nature autre que pénale. Ces factures totalisent l’ensemble des frais judiciaires déduits initialement.

b)  Les prestations de retraite

[7]  Des communications pertinentes entre M. Geick et le fiduciaire du régime de retraite ont également été produites. Ces documents ont été échangés entre mai 2011 et mai 2012. Ils comprenaient les observations initiales de M. Geick sur sa demande de prestations de retraite mensuelles, puis sur le versement, en mars 2012, d’une somme correspondant à la valeur de rachat de ses prestations de retraite immobilisées. Le seul motif invoqué par M. Geick pour demander ses prestations de retraite est l’invalidité.

c)  Les revenus de location

[8]  En ce qui a trait aux biens locatifs, M. Geick a présenté une liste de cinq biens. Il a déclaré qu’il détenait chacun de ces biens conjointement avec une autre personne : trois avec son épouse, un avec sa sœur et le dernier avec son épouse et un certain M. Prévost. Les intérêts dans chacun des biens étaient divisés également entre les propriétaires. M. Geick a indiqué que chaque bien était grevé d’une hypothèque, mais qu’il ne se rappelait pas des montants des soldes hypothécaires ni des versements mensuels.

III. La perte d’emploi

a) Le droit applicable

[9]  L’extrait pertinent de la Loi est rédigé ainsi :

Éléments déductibles

8(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi [...] [l]es éléments suivants […]

Frais judiciaires d’un employé

b) les sommes payées par le contribuable au cours de l’année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a engagés pour recouvrer un montant qui lui est dû et qui, s’il le recevait, serait à inclure en vertu de la présente sous-section dans le calcul de son revenu, ou pour établir un droit à un tel montant;

[10]  L’objectif de cet article est clair : rendre déductibles les frais judiciaires payés par le contribuable pour recouvrer une somme qui lui est due ou pour établir un droit à une telle somme, laquelle, si le contribuable la recevait, constituerait un revenu d’emploi. On peut considérer qu’il s’agit bien d’un revenu « d’emploi » même si ce terme ne figure pas dans le libellé, car il y est fait expressément mention que la disposition s’inscrit dans le régime de la sous-section A de la Loi. Cette sous-section concerne le revenu ou la perte provenant d’une charge ou d’un emploi.

[11]  La question suivante demeure : les frais judiciaires payés par le contribuable pour « conserver » son emploi constituent‑ils un effort visant à recouvrer une somme qui lui est due et qui constituerait un revenu d’emploi ou à établir un droit à une telle somme? Pour les motifs qui suivent, ce n’est pas le cas.

[12]  À l’audience, M. Geick a affirmé avoir reçu son plein salaire de policier pendant qu’il se défendait contre les accusations criminelles. Aucune preuve n’indique que de l’argent lui était dû ou que des sommes ne lui avaient pas été payées pour ses activités de policier. Lorsqu’il a pris sa retraite du service de police, il a reçu une pension mensuelle d’invalidité, dont le versement a commencé le 1er septembre 2011. Avant cette date, il recevait son plein salaire. Il n’y avait tout simplement aucun manque à gagner qui s’expliquerait par une rémunération constituant un revenu d’emploi impayée, retenue ou contestée.

[13]  À cet égard, la Cour de l’impôt a toujours été claire, y compris dans des précédents concernant des policiers. Il est logiquement accepté que des policiers déclarés coupables d’une infraction criminelle soient congédiés. C’est ce que fait valoir M. Geick.

[14]  La Cour laissera de côté pendant un moment le fait que M. Geick n’ait pas été congédié après avoir été effectivement déclaré coupable d’au moins une des accusations portées contre lui. Plus précisément, ni la possibilité d’un congédiement ni le congédiement en tant que tel après une déclaration de culpabilité ne suffisent pour faire jouer le paragraphe 8(1). Le passage « recouvrer un montant qui lui est dû [...] ou pour établir un droit à un tel montant » est d’une importance considérable dans cette conclusion.

[15]  La juge Woods (tel était alors son titre) s’est penchée sur les deux situations. En premier lieu, elle a conclu qu’à moins que les frais judiciaires aient été payés pour recouvrer des montants (appelés auparavant « traitement ou salaire ») « dus » par l’employeur, ces frais ne sont pas déductibles en application de l’alinéa 8(1)b). La protection d’une source de revenu futur ne suffit pas : Esposito c. La Reine, 2004 CCI 102, aux paragraphes 6 et 7. En deuxième lieu, même si le congédiement s’ensuit, les frais judiciaires payés pour se défendre initialement contre ce congédiement ou demander d’être rétabli dans son emploi ne sont pas déductibles. Dans une autre affaire dont la Cour a été saisie, la juge Woods a également conclu que les dommages-intérêts pour congédiement injustifié ne constituaient pas un revenu d’emploi, mais plutôt des dommages-intérêts accordés pour violation d’un contrat qui ne constituent pas un « traitement ou salaire » : Blackburn c. La Reine, 2010 CCI 69, aux paragraphes 23 à 27.

[16]  Le même appelant a déjà tenté en vain, dans des affaires distinctes devant la Cour de l’impôt, de faire valoir que les frais judiciaires payés pour contester des accusations portées sous le régime de la Loi sur les services policiers devraient être déductibles en application du paragraphe 8(1) de la Loi. Dans ces deux appels distincts, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Blagdon c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 269, a été invoqué. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale énonce la condition sine qua non de la déductibilité des frais judiciaires en application du paragraphe 8(1) : l’existence d’un salaire impayé. Sans salaire impayé, la déduction n’est pas autorisée et l’appel doit être rejeté. En l’espèce, aucun traitement ou salaire n’était dû ou impayé. L’appelant ne peut donc pas avoir gain de cause à cet égard.

IV. La difficulté à recouvrer les prestations de retraite

a) Le droit applicable

[17]  Les passages pertinents de la Loi, portant sur les frais judiciaires déductibles concernant les prestations de retraite, sont rédigés ainsi :

Déductions dans le calcul du revenu

Autres déductions

60 Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d’un contribuable […]

Idem

o.1) l’excédent éventuel du moins élevé des montants suivants :

(i) le total des frais judiciaires ou extrajudiciaires [...] payés par le contribuable au cours de l’année ou de l’une des sept années d’imposition précédentes pour recouvrer l’un des montants suivants ou pour établir un droit à ceux-ci :

(A) une prestation prévue par quelque régime ou caisse de pensions [...] en raison de l’emploi du contribuable [...],

(B) une allocation de retraite du contribuable ou d’un particulier décédé [...]

[18]  Le contribuable a le droit de déduire des frais judiciaires payés pour recouvrer des prestations de retraite ou pour établir un droit aux prestations de retraite. M. Geick a reçu sa pension d’invalidité mensuelle complète le 1er septembre 2011. Il a entamé le processus de recouvrement de cette pension plus tôt la même année. Comme il est mentionné, il était depuis 2006 en congé d’invalidité pour des raisons médicales à la suite d’un accident d’automobile. Aucune inscription dans les factures de services juridiques n’indique que des conseils juridiques ont été demandés ou reçus concernant le recouvrement ou la demande de recouvrement d’une prestation de retraite ou l’établissement d’un droit à une prestation de retraite. La demande de pension de M. Geick a été traitée en même temps qu’il se défendait contre les accusations criminelles.

[19]  Quant au dernier argument, selon lequel des accusations criminelles établies en soi peuvent généralement compromettre les prestations de retraite, il n’existe tout simplement aucun élément de preuve indiquant que M. Geick risquait de perdre ses prestations de retraite en raison des accusations criminelles. Selon les éléments de preuve produits par l’appelant, sa demande de prestations de retraite a été traitée sans anicroche, mis à part l’obligation habituelle de fournir des renseignements et de satisfaire aux exigences médicales. Sa demande de pension coïncidait avec les dernières étapes des procédures pénales. Aucun élément de preuve ne montre qu’il aurait été congédié s’il avait été déclaré coupable des accusations criminelles. Compte tenu de ces faits, la Cour ne peut pas reconnaître que M. Geick n’aurait pas reçu les prestations de retraite auxquelles il avait droit – et il les a effectivement reçues – indépendamment de la déclaration de culpabilité à l’égard d’une des accusations criminelles.

[20]  Par conséquent, il n’y a pas eu en l’espèce de recouvrement d’une prestation de retraite ou d’établissement d’un droit à recouvrer une telle prestation ayant nécessité le paiement de frais judiciaires.

V. La saisie des biens

[21]  M. Geick soutient qu’il a dû payer des frais judiciaires afin de protéger ses revenus tirés de biens de location. Il affirme que le financement relatif à ses cinq biens détenus conjointement était précaire. La perte de son emploi de policier aurait rendu le renouvellement des prêts hypothécaires impossible ou, du moins, hautement improbable. Sans renouvellement des prêts hypothécaires, le remboursement des prêts aurait été exigé, puis les biens auraient été saisis ou, même si on ne le mentionne pas, il y aurait eu vente forcée des biens à une valeur réduite.

[22]  La Cour ne peut pas souscrire à cet argument pour justifier la déductibilité, et ce, pour plusieurs motifs :

(i) Il n’est fait mention nulle part dans les factures pour les services juridiques fournis pendant la période des accusations des biens locatifs, de l’entreprise connexe ou de la gestion des risques indirects liés à la perte d’emploi.

(ii) L’appelant n’a présenté que très peu d’éléments de preuve quant à ces biens. Ces éléments de preuve se résumaient à une liste de cinq adresses municipales et à une brève description de chaque bien (immeuble à trois, à deux ou à quatre logements, etc.). Aucune des précisions suivantes n’a été fournie pour l’une ou l’autre des unités d’habitation : description officielle, montant du prêt hypothécaire, date d’échéance, créancier hypothécaire, propriétaire inscrit et débiteur hypothécaire, durée du prêt hypothécaire, valeur des biens, relevé de la valeur nette des codébiteurs, registre des loyers, état des flux de trésorerie.

(iii) M. Geick a confirmé que le copropriétaire de chaque bien était policier ou infirmier et avait un emploi rémunéré.

(iv) Tous les prêts hypothécaires étaient en règle, et aucun élément de preuve n’indiquait qu’il était impossible que les versements soient effectués à partir des revenus de location ou par les autres copropriétaires, dont aucun n’a été appelé à témoigner.

[23]  En résumé, ces seuls éléments de preuve ne peuvent étayer l’existence ou l’étendue de l’intérêt de M. Geick dans les biens locatifs. La Cour n’est saisie d’aucun des éléments de preuve habituels établissant le droit de propriété, par exemple un registre parcellaire, un acte notarié, un certificat d’assurance, une entente de copropriété ou un rôle d’imposition.

[24]  En outre, même si des éléments de preuve suffisants avaient été présentés quant à l’existence des biens locatifs, il aurait été nécessaire de présenter des éléments de preuve objectifs provenant de tiers, comme les créanciers hypothécaires ou d’autres prêteurs, relativement aux risques possibles liés au renouvellement des prêts hypothécaires. Étant donné qu’il y avait des revenus de location ainsi que des copropriétaires ayant des emplois rémunérés, il aurait été nécessaire qu’un prêteur type ou même les copropriétaires présentent des éléments de preuve objectifs établissant au contraire qu’il y avait des risques liés aux prêts. De tels éléments de preuve n’ont pas été présentés.

[25]  En conclusion, l’appel est rejeté. M. Geick a payé des frais judiciaires uniquement pour protéger sa source de revenu futur en tant que policier. Il a acquis le droit à une pension dont il a commencé à recevoir les prestations dès sa retraite, cette dernière faisant elle‑même suite à une déclaration de culpabilité relativement à au moins une accusation portée contre lui. Il n’a jamais risqué de perdre les prestations de retraite, et celles‑ci n’ont jamais été dues, seulement à payer. De plus, aucune preuve n’a été présentée relativement à l’intérêt vaguement décrit dans des biens locatifs ni aux risques de saisie s’il avait perdu son emploi.

[26]  Les dépens sont adjugés à l’intimée conformément au tarif établi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juin 2017.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d’août 2018.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 120

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-3740(IT)G

INTITULÉ :

ROBERT K. GEICK c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Sudbury (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 mai 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 juin 2017

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Gabrielle White

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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