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Date: 20000919

Dossier: 2000-993-IT-I

ENTRE :

MUMTAZ RANGWALA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Campbell, C.C.I.

[1] Le présent appel est interjeté à l’encontre d’une cotisation portant sur les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 de l'appelante, cotisation par laquelle le ministre du Revenu national a refusé le crédit pour taxe sur les produits et services (“ CTPS ”) réclamé par l'appelante en vertu de l'article 122.5 de la Loi de l'impôt sur le revenu et les prestations fiscales pour enfants réclamées par l'appelante en vertu des articles 122.6 et 122.61 de la Loi pour les années de base 1995, 1996 et 1997.

[2] Par un avis de nouvelle décision en date du 23 avril 1999, le ministre a informé l'appelante qu'un nouveau calcul de CTPS indiquait qu'il y avait eu un paiement en trop relativement au CTPS de l'appelante pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997.

[3] Par un autre avis de décision, en date du 9 juillet 1999, le ministre a en outre avisé l'appelante qu'elle n'avait pas droit non plus à un CTPS pour l'année d'imposition 1998. Dans la réponse du ministre à l'avis d'appel, il était concédé que, pour l'année d'imposition 1998, l'appelante vivait séparée du conjoint, car elle avait divorcé et avait emménagé dans sa propre résidence. Cette question n'était donc plus en litige.

[4] Par des avis relatifs à la prestation fiscale pour enfants en date du 20 mai 1999, le ministre a informé l'appelante que, relativement aux années de base 1995, 1996 et 1997, il avait rendu une nouvelle décision selon laquelle il y avait eu un paiement en trop au titre des prestations fiscales pour enfants reçues par l'appelante.

[5] En rendant ces nouvelles décisions, le ministre refusait à l'appelante les prestations fiscales pour enfants au motif que, suivant l'article 122.6 de la Loi, l'appelante et le conjoint cohabitaient et n'étaient pas considérés comme vivant séparément. Le CTPS a été refusé en vertu du paragraphe 122.5(1) de la Loi, le ministre ayant décidé que le conjoint de l'appelante était un “ proche admissible ”. Le revenu du conjoint devait donc être pris en considération.

[6] Voici les faits pertinents de l'espèce. L'appelante s'est mariée en décembre 1974 à Bombay, en Inde. Son conjoint et elle sont arrivés au Canada en 1975. Ils ont commencé à éprouver des problèmes conjugaux en 1988. Dès 1991, l'appelante envisageait la séparation, et elle a demandé un prêt-auto sans mentionner le revenu de son mari, pour établir du crédit à son propre nom. Son mari et elle ont consulté un psychologue-conseil, mais sans succès, et un accord de séparation a fini par être signé en 1993. Une fois cet accord signé, l'appelante a pris les mesures nécessaires pour aviser son employeur de son changement d'état matrimonial aux fins de son régime de retraite et de l’assurance-maladie. En fait, une des pièces que l'appelante a consignées en preuve était une lettre de son employeur confirmant qu'elle lui avait transmis une copie de son accord de séparation en avril 1993. L'appelante avait en outre fait modifier son REÉR pour que son garçon, Riaz, en soit le bénéficiaire.

[7] Les principaux actifs des époux étaient la résidence conjugale, qui était au nom des deux, et la pension du mari (dont aucune preuve de la valeur n'a cependant été présentée). La maison n'était pas hypothéquée. Au cours de son témoignage, l'appelante a dit qu'elle s'était fait une idée de ce que valait sa part de 50 p. 100 dans la maison. Elle avait déterminé la valeur de la maison en communiquant avec un agent immobilier, mais la maison n'a en fait jamais été évaluée. Comme l'appelante et son mari ne parvenaient pas à s'entendre sur la valeur de la maison et que le mari voulait garder la maison, l'appelante a continué à vivre dans la partie inférieure de cette maison à mi-étages latéraux. Elle avait une chambre à coucher, une salle de bains et un vivoir. Elle pouvait en outre utiliser la cuisine et la salle de lavage, ainsi que le téléphone. Elle avait son propre réfrigérateur dans sa partie de la maison. Elle étiquetait les produits alimentaires qui lui appartenaient et son mari et elle ne mangeaient jamais ensemble. En outre, elle ne faisait pas de travaux ménagers pour lui.

[8] Leur fils avait gardé sa chambre à coucher dans la partie supérieure de la maison, occupée par son père. Comme l'appelante et son mari s'étaient entendus sur la garde conjointe, chacun était chargé un mois sur deux de préparer les repas de l'enfant et de veiller à ce qu'il soit satisfait à ses besoins. L'appelante était également responsable des dépenses de l'enfant concernant les sports, le camp et l'habillement. Au cours de son témoignage, elle a dit que, bien qu'exerçant un emploi, elle n'avait pas les moyens de déménager sans avoir reçu l’argent provenant de sa part de la maison. De plus, elle estimait que leur fils ne voudrait pas rester avec elle un mois sur deux si elle n'avait qu'un appartement d'une chambre à coucher.

[9] Au cours du contre-interrogatoire, elle a témoigné que, lorsqu'elle s'était fait opérer en 1995, elle avait inscrit son fils comme étant son plus proche parent. Son frère était à cette époque venu des États-Unis pour l'aider. Elle a témoigné qu'elle ne savait pas si son mari avait été malade, car elle ne s'occupait pas de lui, et cela ne l'intéressait pas vraiment. En réponse à une question, elle a dit qu'elle n'était jamais sortie avec un homme à l’époque où elle vivait à la maison et qu'elle ne savait tout simplement pas si son mari sortait avec quelqu'un.

[10] L'accord de séparation de 1993 faisait état d'une pension alimentaire pour enfant de 200 $ par mois que le mari devait payer. Ce dernier a effectué les paiements jusqu'à un moment donné en 1994. L'appelante a témoigné qu'elle n'a jamais demandé à son mari de continuer à faire les paiements mensuels parce qu'elle était simplement trop fière et qu'il aurait été traumatisant pour l'enfant d'entendre ses parents se disputer à ce sujet. Pendant le temps où la pension était versée, l'appelante utilisait cet argent pour les vêtements de son fils, pour le camp de ce dernier, etc. Lorsque le mari a cessé de verser la pension, l'appelante a continué à payer ces frais pour son fils en empruntant de l'argent à la banque et en s'abstenant de prendre des vacances.

[11] L'appelante a témoigné qu'il n'y avait aucune communication entre son mari et elle, si ce n'est qu'ils avaient occasionnellement des discussions au sujet du bien-être de leur fils. Le seul témoin appelé à la barre par l'appelante a déclaré qu'il semblait n'y avoir aucune communication entre l'appelante et son mari. Ce témoin était une amie de l'appelante et de son mari. Elle a affirmé qu'elle s'était rendu compte, vers la fin des années 1980, qu'il y avait un problème conjugal. Elle a dit que, si elle les invitait à une réception, ils étaient invités séparément, arrivaient dans des voitures distinctes avec des cadeaux distincts et n'échangeaient aucun propos durant la réception. Si elle les fréquentait dans un autre cadre, elle les fréquentait séparément.

[12] L'appelante a dit qu'elle ne versait aucune contribution à l'égard de la résidence, si ce n'est pour ses appels interurbains, car elle tenait compte du fait qu'elle ne faisait pas payer d'intérêts à son mari - et ne lui en ferait pas payer - sur l'argent qu'elle s'attendait éventuellement à recevoir au titre de sa part dans la résidence. C'est elle qui a décidé de renoncer aux intérêts sur l'argent auquel elle estimait avoir par ailleurs droit en 1993, lorsque les parties se sont séparées. Elle considérait donc que cela faisait plus que compenser la contribution que l'on se serait par ailleurs attendu qu'elle verse à l'égard des dépenses du ménage. Cette question n'a jamais été discutée avec le mari. L'appelante a tout simplement pris cette décision elle-même. Ce point n'a probablement jamais été discuté, car les parties ne se parlaient jamais, si ce n’est qu’occasionnellement à propos de leur fils.

[13] L'accord de séparation de 1993 précisait que tous les actifs avaient été divisés entre l'appelante et son mari. Rien ne saurait être plus loin de la vérité. L'appelante a témoigné qu'elle avait informé son avocat à l'époque de la rédaction de l'accord qu'elle ne renoncerait pas à sa part dans la maison tant qu'elle n'aurait pas reçu une certaine somme et que, en attendant, elle vivrait dans une partie de la maison. J'accepte son témoignage à cet égard, car elle m'a semblé directe et honnête. Il est étonnant que l'avocat n'ait pas tenu compte de l'information transmise par sa cliente et qu'il ait rédigé un accord ne reflétant nullement la situation des parties. Je n’admets pas que l'accord de séparation parle de lui-même.

[14] En calculant les prestations fiscales pour enfants et le CTPS pour les années d'imposition pertinentes, le ministre a tenu compte du revenu du conjoint de l'appelante. L'appelante soutient que le revenu du conjoint n'aurait pas dû être pris en considération, car son mari et elle vivaient séparément, quoique sous le même toit.

[15] Il faut donc se reporter au paragraphe 252(4) de la Loi et à la définition de “ conjoint ”. Dans la définition figurant à ce paragraphe, on parle de cohabitation en union conjugale.

[16] Il est reconnu en droit qu'il est possible que des conjoints vivent séparément même s'ils habitent sous le même toit. Le jugement Rushton v. Rushton, [1969] 66 W.W.R. 764, 2 D.L.R. (3d) 25 (C.-B.), est cité comme un des jugements faisant jurisprudence à l'appui de cette proposition.

[17] Les causes où il est question de conjoints vivant séparément ont été examinées à fond par le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire Kelner c. Canada, [1995] A.C.I. no 1130. Le juge Bowman affirmait que, pour l’application de la Loi, le fait de vivre séparément avait le même sens que celui qu’il avait aux termes de la Loi sur le divorce.

[18] En précisant ce à quoi correspond le fait de vivre séparément, le juge Bowman, de la C.C.I., a cité les propos suivants tenus par le juge Holland dans l'affaire Cooper c. Cooper, (1973) 10 R.F.L. 184 (H.C. de l'Ont.), à la p. 187 :

[...] De toute évidence, des conjoints qui vivent sous un même toit peuvent bien, en fait, vivre séparément. Le problème a souvent été examiné dans des actions fondées sur le sous-alinéa 4(1)e)(i) de la Loi sur le divorce et, en général, il a été conclu que les parties vivaient séparément dans les circonstances suivantes :

(i) Les conjoints occupent des chambres à coucher distinctes.

(ii) Les conjoints n'ont pas de relations sexuelles.

(iii) Il y a peu de communication entre les conjoints, pour ne pas dire aucune.

(iv) La femme n'effectue pas de travaux ménagers pour le mari.

(v) Les conjoints prennent leur repas séparément.

(vi) Les conjoints n'ont pas d'activités sociales communes.

[19] Dans l'affaire M.R.N. c. Longchamps, C.C.I., no 84-7678(IT), 16 septembre 1986 (86 DTC 1694), le juge en chef Couture, de la C.C.I., a conclu que la question de savoir si des conjoints vivent séparément est une question de fait et que chaque cas doit être tranché selon les faits qui lui sont propres.

[20] L'affaire Milot c. Canada, [1995] A.C.I. no 412, concernait le terme “ conjoint ” au sens du paragraphe 252(4) de la Loi et le concept d'“ union conjugale ” dans le contexte de ce paragraphe. À cet égard, Mme le juge Lamarre Proulx, de la C.C.I., a fait référence au jugement Moldowich v. Penttinen, (1980) 17 R.F.L. (3d) 376 (C. de dist. de l'Ont.). Ce jugement énonçait les critères pertinents devant servir de guide dans la détermination de ce qu'est la cohabitation ou de ce qu'est une union conjugale.

[21] En appliquant la jurisprudence pertinente aux faits de la présente espèce, j'estime que, de 1993 à 1998, l'appelante ne vivait pas en union conjugale avec son conjoint. L'avocate du ministre me demandait de prêter une attention particulière aux arrangements financiers entre les parties (c.-à-d. au fait que l'appelante ne payait pas de loyer et qu'elle ne versait aucune contribution à l'égard des dépenses du ménage, si ce n'est qu'elle payait ses appels interurbains).

[22] L'avocate du ministre a cité plusieurs passages du jugement Macmillan-Dekker v. Dekker, [2000] A.O. no 2927. Je ne vois rien dans ce jugement qui étaye la proposition selon laquelle il conviendrait d'accorder plus d'importance à la présence ou à l'absence d'une contribution financière qu'à l'un quelconque des autres critères précités. En fait, dans ce jugement, le juge Wilson dit :

[TRADUCTION]

Se basant sur une synthèse de la jurisprudence, la Cour a établi une liste faisant état de sept facteurs à utiliser pour déterminer si une union conjugale existe ou existait. Ces questions d'organisation permettent au juge présidant un procès de voir la relation globalement pour déterminer si les parties vivaient ensemble comme conjoints. Le fait de tenir compte de ces sept facteurs permettra d'éviter que l'accent soit mis à tort sur un facteur à l'exclusion d'autres facteurs et de faire en sorte que tous les facteurs pertinents soient pris en considération.

[23] Le juge dit en outre ceci :

[TRADUCTION]

[...]

Je conclus qu'il n'y a pas un seul et unique modèle statique d'union conjugale ou de mariage. Il y a plutôt un groupe de facteurs reflétant la diversité des unions conjugales et mariages qui existent dans la société canadienne moderne. Chaque cas doit être examiné selon les faits objectifs qui lui sont propres.

[24] L'avocate a également cité l'affaire Lavoie c. Canada, [1999] A.C.I. no 688, à l'appui de l’argument de l'importance des arrangements financiers. Dans cette cause-là, le juge Dussault, de la C.C.I., en appliquant les sept critères énoncés dans l'affaire Moldowich, semblait accorder une plus grande importance aux critères du soutien économique et des arrangements financiers entre les parties. Les faits de cette cause-là peuvent être distingués de ceux de la présente espèce. Dans l'affaire Lavoie, les parties avaient acheté une part dans une résidence et avaient un compte bancaire conjoint sur lequel les paiements hypothécaires étaient faits.

[25] Si l’on examine la jurisprudence pertinente, il est clair que chacun des critères doit recevoir le poids qu'il convient de lui accorder dans le contexte de chaque cause particulière pour qu’on puisse déterminer si une union conjugale existe ou non. De par sa nature, chaque cas présente un ensemble unique de faits auxquels doivent être appliqués les sept critères établis dans l'affaire Moldowich. Cette approche est destinée à assurer une certaine souplesse pour ce qui est de la décision à rendre dans chaque cas.

[26] L'aspect le plus difficile de la présente espèce était l'arrangement financier. L'épouse a apporté une contribution à l'égard des dépenses du ménage en payant ses appels interurbains et, en 1996, en payant pour un toit neuf. Par ailleurs, elle payait ses frais de nourriture, de voiture, etc. Un mois sur deux, elle avait la charge de son fils, pour qui elle achetait la nourriture, préparait les repas, etc. L'appelante considérait que les intérêts théoriques auxquels elle renonçait sur sa part dans la maison tenaient lieu de contribution à l'égard des dépenses du ménage. Elle estimait que son mari avait les moyens de la payer, car il était comptable de profession, et elle a dit que, malgré le fait qu'ils étaient incapables de discuter de quoi que ce soit, encore moins de négocier la part qu'elle détenait dans la maison, elle considérait qu'en [TRADUCTION] “ restant à la maison et en continuant à lui faire face ”, elle finirait par obtenir le règlement qu'elle voulait. Elle estimait qu'en renonçant à toute réclamation à l'égard de la pension de son mari et en renonçant aux intérêts qu'elle aurait par ailleurs reçus sur l'argent, elle apportait une contribution suffisante à l'égard des dépenses du ménage. À la lumière de la preuve, il n'est pas étonnant qu'il n'y ait eu aucune discussion entre l'appelante et son mari au sujet de cet arrangement.

[27] Dans l'affaire Kelner c. Canada, le juge Bowman, de la C.C.I., avait conclu à l'existence d'une “ séparation tant physique que psychologique ” concernant l'union en cause. Tel est assurément le cas dans la présente espèce. Toutes les circonstances considérées ensemble à la lumière des critères du jugement Moldowich établissent que l'appelante et son mari vivaient séparément en raison d'une rupture du mariage. Ils partageaient la même adresse, et c'était à peu près tout.

[28] Les appels sont admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation de manière à accorder à l'appelante le crédit pour taxe sur les produits et services et les prestations fiscales pour enfants pour les périodes pertinentes. Le crédit pour taxe sur les produits et services pour l'année d'imposition 1998 admis au paragraphe 8 de la réponse du ministre à l'avis d'appel est également une question qui est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon ce qui est admis au paragraphe 8 de la réponse du ministre à l'avis d'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de septembre 2000.

“ Diane Campbell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de février 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

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