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Référence : 2017 CCI 140

Date : 20170720

Dossier : 2016-3661(IT)G

ENTRE :

FRANÇOIS FULLUM,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Jorré

[1]  L’appelant a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance de cette cour qui obligerait l’intimée à se soumettre à un interrogatoire préalable oral en vertu du paragraphe 17.3(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (Loi). L’appelant accepte également de se soumettre à un interrogatoire oral si l’intimée en fait la demande.

[2]  Cette requête a procédé sur la base d’observations écrites en vertu de l’article 69 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (Règles).

[3]  L’appelant appelle de cotisations relatives aux années d’imposition 2007 à 2012 inclusivement.

[4]  L’article 17.3 de la Loi prévoit que :

17.3(1) Il ne peut y avoir d’interrogatoire préalable oral si le total de tous les montants en cause dans un appel interjeté sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu ou celui de la perte en cause déterminé aux termes du paragraphe 152(1.1) de cette loi sont respectivement égaux ou inférieurs à 50 000 $ et 100 000 $, sauf avec le consentement des parties ou sauf si, après avoir étudié la demande d’une partie, la Cour est d’avis que l’appel ne pourrait procéder sans un interrogatoire préalable oral.

(2) Il ne peut y avoir d’interrogatoire préalable oral si le montant en litige dans un appel interjeté sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise est égal ou inférieur à 50 000 $, sauf avec le consentement des parties ou sauf si, après avoir étudié la demande d’une partie, la Cour est d’avis que l’appel ne pourrait procéder sans un interrogatoire préalable oral.

(3) La Cour saisie d’une demande aux termes des paragraphes (1) ou (2) détermine dans quelle mesure l’appel aura vraisemblablement un effet sur un autre appel interjeté par la même personne ou porte sur une question commune à un groupe ou une catégorie de personnes.

(4) Dans un appel visé aux paragraphes (1) ou (2), la Cour ordonne un interrogatoire préalable oral à la demande d’une partie si celle-ci accepte d’être interrogée au préalable par l’autre partie et de payer, en conformité avec le tarif fixé par les règles de la Cour, les frais que l’interrogatoire souhaité peut occasionner à l’autre partie.

[5]  À la lecture du dossier de requête et des observations écrites de l’intimée, il est clair que dans chacune des années dont il est question le total des montants en cause, aux fins du paragraphe 17.3(1) de la Loi, est très en dessous du seuil de 50 000 $. Par contre, la totalité des montants en cause pour toutes les années en appel est de plus de 50 000 $.

[6]  Selon l’appelant, la requête devrait être accueillie :

1.  parce que les parties ont convenu de tenir un interrogatoire oral ou,

2.  alternativement, parce que l’ordonnance demandée serait appropriée dans les circonstances, car l’appel ne pourrait pas procéder en l’absence d’un tel interrogatoire.

[7]  Selon l’intimée, la requête doit être rejetée :

1.  parce que les parties n’ont pas convenu de tenir un interrogatoire oral,

2.  parce l’appel peut procéder en l’absence d’un tel interrogatoire et

3.  parce que l’appelant ne se conforme pas à l’une des conditions du paragraphe 17.3(4) de la Loi : il ne s’est pas engagé à payer, en conformité avec le tarif fixé par les règles de la Cour, les frais que l’interrogatoire souhaité peut occasionner à l’autre partie.

[8]  Il y a donc trois questions à trancher :

1.  Les deux parties ont-elles consenti à tenir un interrogatoire oral?

2.  Sommes-nous dans une situation où l’appel ne peut procéder sans un tel interrogatoire?

3.  Dois-je refuser d’émettre une telle ordonnance parce que l’appelant ne s’engage pas dans sa demande à payer les frais que l’interrogatoire souhaité pourrait occasionner à l’autre partie?

[9]  Je vais commencer par la troisième question. Le paragraphe 17.3(4) de la Loi n’ajoute pas une condition additionnelle à l’obtention d’une ordonnance en vertu du paragraphe 17.3(1). L’effet du paragraphe 17.3(4) est de permettre à une partie d’obtenir l’ordonnance sans que la partie soit obligée de convaincre la Cour que l’appel ne pourrait procéder sans un interrogatoire préalable oral à condition que la partie soit prête i) à payer les frais selon le tarif de l’autre partie et ii) à se soumettre également à un interrogatoire préalable oral. Autrement dit, une partie peut « acheter » un interrogatoire oral à condition de se soumettre également à un tel interrogatoire.

[10]  Par conséquent, le fait de ne pas s’engager à payer les frais n’est pas, en soi, un obstacle à une demande en vertu du paragraphe 17.3(1) de la Loi. Par contre, c’est un obstacle à une demande en vertu du paragraphe 17.3(4) de la Loi.

[11]  Examinons la première question.

[12]  La lettre du 6 février 2017, signée par les deux parties, propose un échéancier à la Cour, y compris :

Interrogatoire

23 juin 2017

Engagements

25 août 2017

[13]  Dans sa déclaration sous serment, l’avocate de l’appelant explique qu’en signant la lettre du 6 février 2017 sa compréhension était que les parties consentaient à des interrogatoires préalables oraux. Elle dit également que son intention était toujours d’interroger oralement le vérificateur.

[14]  L’appelant avance que la compréhension de ses avocats est confirmée par l’utilisation du mot engagements, car avec des questions écrites il n’est pas nécessaire de séparer l’interrogatoire des engagements puisque les réponses seront accompagnées des pièces à l’appui des réponses.

[15]  Il n’est pas allégué que les parties se sont entendues pour déroger au paragraphe 17.1(3) et tenir des interrogatoires préalables oraux.

[16]  En l’absence d’entente explicite, je ne suis pas convaincu dans les circonstances qu’il soit raisonnable de conclure qu’il y a consentement de la part de l’intimée.

[17]  De plus, la simple mention des mots « interrogatoire » et « engagements »  est potentiellement ambiguë et ne signifie pas forcément un choix d’interrogatoire oral.

[18]  Étant donné que l’article 92 des Règles prévoit que « [l]’interrogatoire préalable peut être fait oralement ou par écrit, au gré de la partie interrogatrice, mais […] », le mot « interrogatoire » ne permet pas, en soi, de déterminer la nature de l’interrogatoire. Il est donc possible que le mot « interrogatoire » fasse référence à la date de signification des questions au sens de l’article 113 des Règles. 

[19]  Je note que fréquemment lorsqu’il s’agit d’interrogatoire écrit, les parties en parlent explicitement et proposent des dates différentes pour la signification des questions et pour la réponse aux questions; toutefois, il n’est pas nécessaire de prévoir une date limite pour les réponses vu le délai de 30 jours prévu à l’article 114 des Règles. Ce n’est nécessaire que pour varier ce délai [1] .

[20]  Quant au mot « engagements », bien que je sois d’accord avec l’appelant qu’il n’est pas nécessaire d’exprimer de date différente pour le faire, cela ne veut pas dire que les parties ne peuvent pas le faire [2] .

[21]  Cela dit, il est toujours préférable qu’un projet d’échéancier indique clairement qu’il s’agit soit d’un interrogatoire écrit ou d’un interrogatoire oral [3] .

[22]  Quant à la deuxième question, je commence en notant que le paragraphe 17.3(3) de la Loi prévoit que je peux tenir compte de l’effet que l’appel aura sur un autre appel interjeté par la même personne.

[23]  En impôt sur le revenu, il est bien établi que « le total de tous les montants en cause » s’applique pour chaque année d’imposition. Il est utile de se rappeler que sur le plan conceptuel un contribuable est cotisé pour chaque année d’imposition et qu’en conséquence le contribuable dépose un appel à l’encontre de chaque année d’imposition bien qu’il soit permis, et même souhaitable, qu’il dépose un seul document comme avis d’appel de plusieurs cotisations annuelles qui sont liées.

[24]  Ici, l’avis d’appel est déposé relativement à six cotisations (les années d’imposition 2007 à 2012 inclusivement); en conséquence, bien qu’il y ait un seul avis d’appel il s’agit de l’appel de six cotisations relativement à six années d’imposition.

[25]  Ayant lu l’avis d’appel modifié et la réponse à l’avis d’appel modifié, bien qu’il y ait des faits spécifiques à chacune des années, il n’y a aucun doute que les six cotisations sont assez liées et que l’appel relatif à chaque année aura un effet sur les autres années.

[26]  Vu cela et vu le paragraphe 17.3(3) de la Loi, il est approprié que j’examine les six années en litige comme un tout.

[27]  Selon les plaidoiries il y a toute une série de questions soulevées relativement, entre autres, à certaines cotisations établies hors délai, à certaines pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu et à des montants de revenus établis par méthode d’estimation alternative. Le litige semble surtout être factuel et il y a potentiellement beaucoup de détails qui pourraient être pertinents.

[28]  Vu le niveau de détails factuels qu’il semble y avoir dans ces appels, je crois qu’il serait très difficile de tenir convenablement un interrogatoire écrit. De plus, dans ce cas je ne suis pas sûr qu’un interrogatoire écrit soit nécessairement plus efficace et moins coûteux qu’un interrogatoire oral, surtout quand on tient compte de la flexibilité relative d’un interrogatoire oral qui permet d’ajuster ses questions en fonction des réponses et de la possibilité très réelle en cas d’interrogatoire écrit qu’il soit nécessaire d’avoir une deuxième étape de questions supplémentaires [4] . Je crois que cela est aussi vrai pour l’intimée que pour l’appelant [5] .

[29]  Le paragraphe 17.3(1) de la Loi prévoit que je dois être « d’avis que l’appel ne pourrait procéder sans un interrogatoire préalable oral » (je souligne). À première vue, ce texte semble assez catégorique; s’il fallait lire le texte littéralement, il faudrait que je conclue que l’appelant n’a pas démontré que les conditions du paragraphe 17.3(1) sont remplies, c’est-à-dire qu’il est impossible de procéder par interrogatoire écrit.

[30]  Toutefois, ce n’est pas la bonne façon de lire le texte. D’une part, le paragraphe 4(1) des Règles prévoit que :

Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

[31]  D’autre part, le texte anglais du paragraphe 17.3(1) de la Loi prévoit que je dois être d’avis que l’appel « could not properly be conducted without that examination for discovery » (je souligne).

[32]  Il faut donc comprendre le texte du paragraphe 17.3(1) comme signifiant que je dois être d’avis que l’appel ne pourrait procéder convenablement (ou raisonnablement) sans un interrogatoire préalable oral.

[33]  Dans les circonstances, vu la complexité factuelle du dossier, je suis d’avis que l’appel ne pourrait procéder convenablement sans un interrogatoire préalable oral [6] .

[34]  Ce n’est pas décisif, mais un élément additionnel qui penche en faveur de la requête de l’appelant est le fait que la totalité des montants en litige pour les six années en question excède 50 000 $ [7] .

[35]  En conséquence, la requête est accueillie et l’intimée et l’appelant se soumettront à un interrogatoire préalable oral [8] .

[36]  Les frais suivront l’issue de la cause.

[37]  Il est nécessaire de modifier l’échéancier. Pour accélérer le processus, je vais tout simplement fixer un nouvel échéancier sans consulter les parties [9] . Si cet échéancier ne convient pas aux parties, elles pourront demander une prorogation de délai. L’ordonnance du 22 février 2017 est modifiée de la façon suivante :

Si ce n’est pas déjà fait, les parties devront s’échanger les documents qui figurent dans leurs listes au plus tard deux semaines avant le début des interrogatoires préalables oraux.

Les interrogatoires préalables oraux doivent être terminés au plus tard le 29 septembre 2017.

Les engagements découlant des interrogatoires préalables oraux doivent être respectés au plus tard le 29 novembre 2017.

Les parties doivent communiquer par écrit avec le coordonnateur des audiences au plus tard le 8 janvier 2018 afin d’informer la Cour si la cause est réglée, s’il est souhaitable de tenir une conférence de règlement, ou si une date d’audience doit être fixée. Dans ce dernier cas, les parties doivent produire avant cette même date une demande commune pour fixer la date et le lieu de l’audience conformément à l’article 123 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

Signé à Ottawa (Ontario), ce 20e jour de juillet 2017.

« Gaston Jorré »

Juge Jorré


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 140

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-3661(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

FRANÇOIS FULLUM c. LA REINE

DATE DE TRANSMISSION DU DOSSIER AU JUGE :

Le 18 mai 2017

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :

L’honorable juge Gaston Jorré

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 20 juillet 2017

AVOCATS DES PARTIES :

 

Avocat de l’appelant :

Me Danny Galarneau

Avocat de l’intimée :

Me Gabriel Girouard

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

Me Danny Galarneau

Cabinet :

Joli-Cœur Lacasse

Québec (Québec)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 



[1] Ce que la Cour peut faire en vertu de l’article 12 des Règles.

[2] D’ailleurs, j’ai déjà eu l’occasion de constater que les avocats des parties proposaient un échéancier pour un interrogatoire écrit avec une date différente pour la signification de documents que les parties se seraient engagées à produire. Toutefois, dans le dossier dont il était question l’échéancier proposé était très explicitement un échéancier pour un interrogatoire écrit (dossier 2016-3282(IT)G, lettre du 13 janvier 2017 des parties à la Cour).

[3] Si les parties veulent retarder leur choix entre un interrogatoire écrit ou oral, tout en déposant un échéancier, elles peuvent proposer un échéancier qui comprend les deux possibilités; de temps à autre la Cour reçoit de tels projets d’échéancier.

[4] Voir l’article 116 des Règles et, en particulier, le paragraphe 116(1).

[5] Il y a aussi la question de l’impact de l’interrogatoire préalable sur l’efficacité du procès et le temps que prendra le procès. En général, un meilleur interrogatoire préalable augmente les chances de règlement et, même s’il n’y a pas de règlement, il augmente souvent l’efficacité du procès.

[6] L’arrêt Boast c. La Reine, 2005 CCI 316, est une décision intéressante de l’ancien juge en chef Bowman, car il y a certaines similitudes avec cette cause.

J’en profite également pour noter les commentaires suivants au paragraphe 11 des motifs du juge Bowman :

Néanmoins, je crois que les faits et les questions en cause sont suffisamment complexes pour que l’appelant ait le droit d’interroger un fonctionnaire de la Couronne afin de bien défendre sa cause. Je ne suis pas insensible au poids des arguments avancés par l’avocate de l’intimée. J’ai tendance à avoir les mêmes doutes que l’avocate concernant l’utilité ou la pertinence d’interroger un fonctionnaire de la Couronne au sujet des conversations qu’un répartiteur peut avoir eu avec l’appelant. Les appels en matière d’impôt sont accueillis ou rejetés en fonction de faits objectifs et non pas en fonction de ce qu’un [vérificateur] peut avoir dit ou pensé. Il est toutefois important de ne pas dresser devant un contribuable, particulièrement un contribuable se représentant lui-même, d’obstacles procéduraux qui l’empêcheraient de présenter sa cause comme il le souhaite.

[Je souligne.]

La version française du paragraphe 11 des motifs utilise « répartiteur » où j’ai mis « vérificateur ». Il me semble que « vérificateur » soit préférable comme traduction du mot anglais « assessor ».

[7] Le but du paragraphe 17.3(1) de la Loi est de tenter de limiter les coûts dans certaines causes avec des montants relativement modestes en litige. Considérant l’article 4 des Règles et la proportionnalité, si le législateur a décidé de choisir un seuil de 50 000 $ et, en même temps, a édicté au paragraphe 17.3(3) que la Cour doit tenir compte d’autres appels relatifs à d’autres années d’imposition si l’appel devant la Cour « aura vraisemblablement un effet » sur ces autres années, logiquement, si la totalité des montants en litige pour toutes les années excède le seuil de 50 000 $ et s’il y a des questions ayant vraisemblablement un effet sur les différentes années, le fait que les montants en litige n’excèdent pas 50 000 $ dans chaque année considérée individuellement a une moins grande portée que si ce n’était pas le cas.

[8] Bien que cela n’ait aucune application ici, il est intéressant de constater que l’approche dans différentes juridictions peut varier quant à la façon de limiter les coûts. Par exemple, en Ontario pour les causes procédant en vertu de la procédure simplifiée, la règle 76.04 des Règles de procédure civile (R.R.O. 1990, Règlement 194 édicté en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires) interdit l’interrogatoire préalable au moyen de questions et de réponses écrites et, de plus, limite chaque partie à un interrogatoire préalable oral d’une durée maximale de deux heures (à moins que le tribunal proroge le délai en vertu de la règle 3.02).

La procédure simplifiée en Ontario peut être utilisée pour certains types de causes où le montant en question est de 100 000 $ ou moins; par comparaison, la Cour des petites créances en Ontario a une juridiction de 25 000 $ ou moins.

[9] Comme l’ancien juge en chef Bowman l’a fait au paragraphe 16 de Boast.

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