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Dossier : 2016-1854 (GST)I

ENTRE :

DR BRIAN HURD DENTISTRY

PROFESSIONAL CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 25 mai 2017, à Hamilton (Ontario)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Andrew Ball

Avocat de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie au titre de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise pour la période du 8 janvier 2010 au 31 décembre 2012 est rejeté, sans frais.

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 26e jour de juillet 2017.

« Diane Campbell »

Juge Campbell


Référence : 2017 CCI 142

Date : 20170726

Dossier : 2016-1854 (GST)I

ENTRE :

DR BRIAN HURD DENTISTRY

PROFESSIONAL CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

Introduction

[1]              Le traitement fiscal des fournitures orthodontiques au titre de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») est au cœur du présent appel. Plus précisément, la question est de savoir s’il existe une fourniture de traitement orthodontique à un patient dentaire ou deux fournitures, l’une, consistant en un appareil orthodontique, et l’autre, en un service d’orthodontie. La caractérisation de la fourniture ou des fournitures déterminera si les fournitures effectuées doivent être exonérées ou détaxées. Le résultat de cette caractérisation a une incidence, car, si une fourniture est jugée exonérée, aucune taxe ne sera imposée au patient sur la fourniture du bien ou du service, et le vendeur de la fourniture, l’appelante, ne pourra pas demander des crédits de taxe sur les intrants (« CTI »). Cependant, si la fourniture est détaxée, là encore aucune taxe ne sera imposée au patient sur la fourniture du bien ou du service, mais le vendeur aura le droit de demander des CTI.

[2]              L’appelante a interjeté appel d’une cotisation sous le régime de la partie IX de la Loi pour la période du 8 janvier 2010 au 31 décembre 2012 (la « période »). Dans un avis de cotisation daté du 13 novembre 2014, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé des CTI de 17 357 $ réclamés à l’égard des dépenses et de 5 083 $ réclamés à l’égard des immobilisations corporelles pour la période. Le ministre a refusé ces CTI, au motif que l’appelante avait effectué une fourniture exonérée unique de services de santé, soit des traitements d’orthodontie, conformément aux articles 2 et 5 de la partie II de l’annexe V de la Loi. Par conséquent, l’appelante n’avait pas le droit de demander des CTI au titre des paragraphes 169(2) et 199(2) de la Loi.

Les faits

[3]              J’ai entendu deux témoins : le Dr Brian Hurd, propriétaire de la société appelante pendant la période pertinente, et M. Jeffrey Ball, comptable de l’appelante.

[4]              L’appelante est une personne morale professionnelle dispensant des soins de santé, autorisée à pratiquer la dentisterie dans la province de l’Ontario. Le Dr Hurd est un spécialiste de l’orthodontie qui, par l’intermédiaire de sa société, a fourni des services d’orthodontie visant à répondre à des besoins de santé bucco-dentaire spécifiques de nature médicale et reconstructive, mais pas exclusivement à des fins esthétiques. Ces traitements orthodontiques ont été utilisés pour traiter et corriger des problèmes liés à l’alignement irrégulier des dents d’un patient ou des problèmes à la mâchoire ou problèmes d’occlusion.

[5]              Le processus de traitement d’un patient comportait plusieurs étapes. Tout d’abord, il y a un examen initial qui comprenait la prise ainsi que la lecture de radiographies et d’images numériques, la préparation de moules, l’analyse du cas individuel et la discussion relative à un plan de traitement. Si un patient souhaite suivre le plan, des rendez-vous sont établis pour la mise en place d’un appareil, communément appelé « broches », sur les dents du patient. En règle générale, ils ne sont posés sur les dents supérieures que pour des raisons techniques et de confort, la mise en place de l’appareil sur les dents inférieures s’effectuant à une date ultérieure. À la suite de ces installations, des rendez-vous à intervalles réguliers sont fixés pour les réglages et l’entretien de l’équipement ou des appareils orthodontiques afin que l’on puisse obtenir un résultat dentaire spécifique pour ce patient.

[6]              Le Dr Hurd a également expliqué que, pour l’installation de ces appareils, les boîtiers et les bagues sont commandés auprès d’un fournisseur de matériel dentaire, puis les boîtiers individuels sont collés séparément sur chaque dent. Enfin, l’arc est inséré dans les boîtiers et sécurisé avec des ligatures. C’est l’ajustement de l’arc qui fournit la force permettant de déplacer les dents du patient au cours d’une période donnée. Le Dr Hurd a précisé que, si l’arc n’est pas continuellement ajusté, l’appareil cessera d’avoir un effet sur les dents.

[7]              En contre-interrogatoire, le Dr Hurd a convenu que l’appareil orthodontique, sans les autres services, ne serait pas utile en soi. Il ne peut être assemblé, installé ou ajusté et entretenu sans l’expertise d’un professionnel des soins dentaires. Le Dr Hurd a également convenu que les services d’orthodontie sans la mise en place de l’appareil dans la bouche du patient ne seraient pas utiles.

[8]              À l’exception des consultations, tous les services ne peuvent être dispensés que par un dentiste ou un orthodontiste autorisé à exercer sa profession, pendant que les patients sont dans le fauteuil dentaire. Le Dr Hurd a déclaré que les patients ne le consultent pas pour l’achat d’un appareil orthodontique; ils sont plutôt intéressés par le traitement dentaire global afin d’atteindre des objectifs précis. L’appelante ne « vend » pas d’appareils dentaires aux patients et, selon les lignes directrices du Collège royal des chirurgiens dentistes de l’Ontario, les produits « vendus » aux patients ne peuvent être vendus à un prix majoré.

[9]              Le Dr Hurd a fourni plusieurs exemples de contrats de patients. Un contrat unique était signé pour l’ensemble du traitement, et le total des frais facturés à un patient incluait le coût de l’appareil orthodontique. Le coût de l’appareil était désigné dans le contrat comme la [traduction] « portion des frais […] pour l’appareil » et était calculé séparément à 35 p. 100 du total des frais, de manière à tirer parti de la directive/politique administrative (pièce A) de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Toutefois, il ne représentait pas le coût réel de l’appareil, et, en contre-interrogatoire, le Dr Hurd a confirmé que les montants figurant dans les contrats des patients pour l’appareil orthodontique ne représentaient pas son coût réel (transcription, page 47). La directive de l’ARC autorise les orthodontistes à demander des CTI à l’égard d’appareils orthodontiques en supposant que des fournitures multiples, soit un service dentaire exonéré et un appareil détaxé, sont réalisées. Selon cette directive, tant que les dentistes indiquent qu’il s’agit de deux fournitures distinctes et que la contrepartie liée à la fourniture de l’appareil est séparée de la contrepartie de la fourniture exonérée du service dentaire, ils peuvent demander des CTI, à l’égard de la contrepartie de la fourniture de l’appareil, en fonction de 35 p. 100 du total des frais facturés au patient pour le traitement.

Les points en litige

[10]         Il y a cinq questions, mais les deux dernières seront tranchées en grande partie par une résolution des trois premières :

(1)      L’appelante a-t-elle effectué une fourniture unique de traitement orthodontique à ses patients ou a-t-elle effectué des fournitures multiples consistant en un appareil orthodontique et le service d’orthodontie s’y rattachant?

(2)      S’il est conclu qu’une fourniture unique a été effectuée, la fourniture est‑elle exonérée ou détaxée?

(3)      S’il est conclu que des fournitures multiples ont été effectuées, ces fournitures sont‑elles exonérées ou détaxées?

(4)      L’appelante a-t-elle droit à des CTI de 17 357 $ à l’égard des dépenses engagées pour effectuer les fournitures?

(5)      L’appelante a-t-elle droit à des CTI de 5 083 $ à l’égard des immobilisations corporelles utilisées pour effectuer les fournitures?

La position de l’appelante

[11]         L’appelante soutient que la fourniture d’un traitement orthodontique aux patients consiste en deux fournitures distinctes : la création de l’appareil orthodontique ainsi que l’entretien et les ajustements de l’appareil dont un patient a besoin pendant une certaine période. L’appelante s’appuie sur la directive/politique de l’ARC pour étayer sa position relative à deux fournitures ainsi que sa position selon laquelle les appareils devraient être traités comme une fourniture détaxée unique. Les appareils sont facturés séparément des ajustements dans le cadre des frais totaux pour le patient. De plus, l’appareil ne peut être fabriqué que par des professionnels dentaires autorisés à exercer leur profession et assemblé dans la bouche d’un patient.

[12]         L’appelante a fait valoir que, si l’intimée a raison d’affirmer que la fourniture de l’appareil orthodontique fait partie d’une fourniture exonérée unique, l’expression « appareil orthodontique » ne figurerait pas expressément à l’annexe VI de la Loi comme fourniture détaxée. Par conséquent, la Loi prévoit qu’une partie du travail d’orthodontie doit être détaxée.

[13]         Subsidiairement, si la création de l’appareil ainsi que l’entretien et les ajustements se révèlent être une fourniture unique, elle devrait être détaxée avec les ajustements orthodontiques accessoires à la création de l’appareil.

La position de l’intimée

[14]         L’intimée affirme que l’appelante a effectué une fourniture unique de traitements orthodontiques pour une contrepartie unique, soit l’appareil orthodontique ainsi que l’entretien connexe et les ajustements continus. La fourniture de l’appareil était accessoire à la fourniture du traitement orthodontique, et l’appareil ainsi que le service d’orthodontie faisaient partie intégrante de la fourniture globale d’un traitement orthodontique. De plus, le traitement orthodontique est une fourniture exonérée au titre de l’article 5 de la partie II de l’annexe V, parce qu’il s’agit de la fourniture de services de consultation, de diagnostic ou de traitement ou d’autres services de santé, rendus par un médecin à un particulier.

[15]         Subsidiairement, s’il est conclu que l’appareil orthodontique est une fourniture distincte, l’intimée soutient alors qu’il s’agit d’une fourniture exonérée, conformément à l’article 2 de la partie II de l’annexe V, et que les services d’orthodontie associés à l’appareil seraient également une fourniture exonérée, conformément aux articles 2 et 5 de la partie II de l’annexe V. L’intimée soutient également que l’article 34 de la partie II de l’annexe VI ne permet pas de détaxer la fourniture d’un service incluse dans la partie II de l’annexe V, à l’exception de l’article 9. Par conséquent, l’appelante n’aurait pas le droit de demander des CTI à l’égard des dépenses au titre du paragraphe 169(1) ainsi que de la définition d’activité commerciale au paragraphe 123(1) de la Loi, parce que la fourniture est exonérée. De plus, puisque les immobilisations corporelles ont été utilisées pour la fourniture exonérée de traitements d’orthodontie, l’appelante n’a pas acquis les immobilisations corporelles en vue de les utiliser principalement dans le cadre des activités commerciales de l’appelante au sens du paragraphe 123(1) de la Loi. L’appelante n’aurait donc pas le droit de demander des CTI à l’égard des immobilisations corporelles au titre du paragraphe 199(2).

Analyse

Question 1 : l’appelante a-t-elle effectué une fourniture unique ou des fournitures multiples?

[16]         Le critère permettant de déterminer si une opération est une fourniture unique ou des fournitures multiples a été établi par le juge Rip (tel était alors son titre) dans la décision O.A. Brown Ltd. c Canada, [1995] ACI no 678. Aux paragraphes 22 à 24, il a fait les commentaires suivants :

22        En tranchant cette question, il est d’abord nécessaire de décider ce qui a été fourni en contrepartie du paiement. Il faut alors se demander si la fourniture globale est composée d’une seule fourniture ou de plus d’une fourniture. Le critère qui ressort de la jurisprudence anglaise est de savoir si, au fond et en réalité, la présumée fourniture séparée fait partie intégrante ou est un élément constitutif de la fourniture globale. Il faut examiner la nature véritable de l’opération pour en déterminer les attributs fiscaux. Le critère a été énoncé par le Value Added Tax Tribunal de la façon suivante :

[TRADUCTION]

À notre avis, lorsque les parties concluent une opération en vertu de la laquelle une partie remet une fourniture à l’autre, la taxe (le cas échéant) exigible à cet égard doit être déterminée par rapport au fond de l’opération, mais le fond de l’opération doit être déterminé par rapport au caractère réel des accords conclus entre les parties.

23        Un facteur à prendre en considération est de savoir s’il est possible, en réalité, d’enlever de la fourniture globale la présumée fourniture séparée. Ce facteur n’est pas concluant, mais il aide à déterminer le fond de l’opération. Cette position a été formulée dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Ce qui devrait constituer une fourniture unique de services, par opposition à deux fournitures séparées, n’est pas établi expressément par les textes législatifs concernant la taxe sur la valeur ajoutée. Il serait donc erroné de tenter de proposer une définition stricte et précise non fondée sur la loi. Il nous semble qu’il faut simplement appliquer le libellé de la loi, en interprétant les termes qui y sont employés, dans la mesure où le sens ordinaire des mots le permet, de façon à faire du régime légal de la taxe sur la valeur ajoutée un régime pratique qui fonctionne bien. À cette fin, il faudrait se demander dans quelle mesure les services qui constitueraient apparemment une fourniture unique sont liés les uns aux autres, quelle est l’étendue de leur interdépendance et de leur enchevêtrement, et si chaque service fait partie intégrante d’un ensemble complet ou en constitue un élément. Il faut se demander si les services sont rendus en vertu d’un seul contrat, ou pour une seule contrepartie non divisée, mais, pour les motifs susmentionnés, ce facteur n’est pas concluant. Compte tenu de la nature, du contenu et de la méthode d’exécution des services, et de toutes les circonstances, par rapport à l’historique du régime de la taxe sur la valeur ajoutée et, en particulier, des méthodes employées pour comptabiliser et payer la taxe, s’il est jugé que les services sont si interdépendants et si enchevêtrés qu’ils font partie intégrante d’un ensemble complet ou en constituent de simples éléments ou composantes à un point tel qu’ils ne peuvent pas, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, être raisonnablement considérés comme des fournitures séparées de services, il faut considérer qu’en adoptant le régime de la taxe sur la valeur ajoutée, le Parlement a voulu le traiter comme un régime unique; autrement, ces services devraient être considérés, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, comme des fournitures séparées.

24        Le fait que des frais sont exigés séparément à l’égard d’un élément d’une fourniture mixte ne modifie pas les attributs fiscaux de celui-ci. La question de savoir si la taxe est exigée est régie par la nature de la fourniture. Dans chaque cas, il est utile de se demander s’il serait possible d’acheter chacun des divers éléments séparément et d’obtenir néanmoins un article ou service utile. Car si cela n’est pas possible, il faut alors nécessairement conclure qu’une fourniture mixte qui ne peut pas être divisée aux fins de la taxe est en cause.

[Renvois omis.]

[17]         En résumé, il faut analyser les faits pour déterminer la nature de ce qui a été fourni en échange d’une contrepartie et si, au fond et en réalité, la fourniture distincte alléguée fait à ce point partie intégrante de la fourniture globale qu’elle ne peut être enlevée ou séparée et toujours conserver sa valeur et être un élément utile en soi. Si les parties individuelles sont à ce point enchevêtrées ou liées les unes aux autres par rapport à l’arrangement global qu’elles ne peuvent pas être séparées de façon réaliste, elles seront alors considérées comme faisant partie d’un ensemble unique plutôt que comme des parties ou entités séparées et distinctes.

[18]         Le critère énoncé dans la décision O.A. Brown a été accepté par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hidden Valley Golf Resort Association c Canada, [2000] ACF no 869, et également approuvé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Calgary (Ville) c Canada, 2012 CSC 20, [2012] 1 RCS 689. En examinant la question de la fourniture unique par opposition aux fournitures multiples, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 42 :

[…] Il appert de la jurisprudence que lorsqu’une fourniture est préparatoire à une autre (un « intrant » de cette autre fourniture), elle fait partie de la fourniture unique globale.

[19]         La question de savoir si des éléments d’une opération constituent une fourniture unique ou des fournitures multiples est une question de fait, et les tribunaux ont approuvé une approche fondée sur le bon sens dans le cadre de cette détermination. Au paragraphe 18 de la décision rendue dans l’affaire Gin Max Enterprises Inc. c La Reine, 2007 CCI 223, la Cour a déclaré :

18        L’examen de la jurisprudence révèle que la question de savoir si deux éléments forment une fourniture unique ou deux ou de multiples fournitures exige une analyse de la nature véritable des opérations, et il s’agit d’une question de fait tranchée avec une généreuse dose de bon sens. Il faut examiner si au fond et en réalité le service de collecte et celui d’élimination sont si interreliés et interdépendants qu’ils doivent être fournis ensemble. Dans la décision 1219261 Ontario Inc., le juge Hershfield a précisé ces facteurs comme suit :

[traduction]

Comme l’a reconnu la jurisprudence anglaise citée dans la décision O.A. Brown Ltd., il serait erroné de tenter de proposer une définition stricte et précise d’une fourniture unique (mixte) non fondée sur la loi. Parmi ces facteurs, mentionnons la mesure dans laquelle les éléments constitutifs d’une fourniture sont liés les uns aux autres, l’étendue de leur interdépendance et la question de savoir si chaque élément fait partie intégrante d’un ensemble complet ou en constitue un élément. Il faut se demander si les services sont rendus en vertu d’un seul contrat, ou pour une seule contrepartie non divisée, mais ce facteur n’est pas concluant. Comment pourrait-il l’être? En conclure ainsi signifierait que le ministre ne pourrait jamais établir une cotisation à l’égard d’une fourniture taxable distincte lorsqu’elle est jumelée à une fourniture non taxable en vertu d’un seul contrat pour un seul prix.

[Renvoi omis.]

[20]         La question en l’espèce, à laquelle le critère énoncé dans la décision O.A. Brown doit être appliqué, est de savoir si, au fond et en réalité, la fourniture séparée alléguée d’un appareil orthodontique fait partie intégrante de la fourniture globale d’un traitement orthodontique. L’intimée soutient que l’appareil et les services sont des éléments d’une fourniture unique de traitement orthodontique, car ce n’est que si l’appareil et le service sont fournis ensemble qu’ils constituent un service utile pour la correction ou le traitement de l’alignement irrégulier des dents, de la mâchoire ou de l’occlusion chez un patient. L’appelante est d’avis que l’appareil est une fourniture distincte et séparée des services d’entretien ainsi que des ajustements et que, en fait, la politique de l’ARC appuie cette position.

[21]         Dans le présent appel, les faits appuient entièrement la position de l’intimée. L’appareil orthodontique en soi n’est pas un élément utile, pas plus que ne le sont les services d’entretien et d’ajustement sans l’appareil. Ni l’appareil ni le service ne peuvent, à eux seuls, permettre d’atteindre le but ou l’objectif du patient de corriger ou de traiter ses problèmes dentaires. Pour constituer un traitement utile pour le patient, l’appareil et les services doivent être combinés et fournis pour que le traitement soit couronné de succès. Pour utiliser plusieurs des adjectifs descriptifs employés dans la décision O.A. Brown, l’appareil et les services sont tellement « liés les uns aux autres » et « enchevêtrés » dans le traitement dentaire global que chacun est un élément nécessaire à la fourniture globale de traitement orthodontique. Pour que l’appareil fonctionne correctement et règle les problèmes dentaires de chaque patient, il exige un entretien et des ajustements conçus spécifiquement pour ce patient et administrés par un professionnel des soins dentaires au cours d’une période donnée. Un appareil à lui seul n’a aucune valeur pour un patient sans les services orthodontiques s’y rapportant fournis par un dentiste ou un orthodontiste. Si l’appareil est fixé sur les dents d’un patient sans les ajustements ultérieurs, il n’apporte aucun avantage à la correction des problèmes dentaires. Par conséquent, il est interdépendant de l’entretien et des ajustements au cours d’une période donnée, sinon il resterait un élément inutile pour le patient. De même, il ne peut y avoir aucun ajustement ni aucune correction en ce qui concerne les problèmes du patient sans l’installation préalable de l’appareil.

[22]         De plus, l’appareil et les services ont été fournis et achetés ensemble dans le cadre d’un contrat unique en échange d’une contrepartie unique. Bien que l’appareil orthodontique ait été indiqué individuellement dans les contrats pour chaque patient, il a simplement été indiqué comme correspondant à 35 p. 100 du total des frais afin que le tout soit conforme à la directive de l’ARC et à des fins comptables. Rien d’autre dans le contrat d’un patient n’indiquait au patient qu’il achetait en fait deux fournitures distinctes, à savoir un appareil et les services s’y rapportant. En fait, le Dr Hurd, en contre-interrogatoire, a admis que des patients venaient le voir afin d’obtenir un traitement pour leurs problèmes dentaires, et non pour acheter un appareil (transcription, page 43).

[23]         Les éléments du traitement orthodontique peuvent être fournis à des moments différents, mais chacun est une étape essentielle dans l’objectif du plan de traitement global pour chaque patient. Au départ, il peut y avoir une consultation, un diagnostic et un plan élaboré. Ensuite, un appareil sera fabriqué pour ce patient particulier et ultérieurement mis en place dans la bouche du patient. Il sera ensuite ajusté régulièrement de façon continue en fonction des besoins de chaque patient jusqu’à son retrait. Sans les ajustements continus connexes, un patient n’achèterait jamais un appareil seul, parce que c’est un élément inutile sans ces ajustements.

[24]         La véritable nature de l’opération entre le professionnel des soins dentaires et le patient, fondée non seulement sur les faits qui m’ont été présentés, mais également sur le bon sens, est la fourniture d’un traitement orthodontique, composé des éléments interdépendants que sont un appareil orthodontique et les services d’ajustement connexes, en échange d’une contrepartie unique. L’un sans l’autre n’est d’aucune utilité pour atteindre les objectifs d’un patient.

[25]         Bien qu’il soit impossible de séparer l’appareil orthodontique des services d’ajustement orthodontique selon les faits dont je dispose, il est concevable qu’ils puissent être achetés séparément, ce qui mènerait à une conclusion différente. Par exemple, un patient peut avoir atteint l’étape où l’orthodontiste ou le dentiste a fourni l’appareil et l’a fixé à ses dents et, en raison d’un déménagement géographique dans une autre région, les ajustements continus sont effectués par un autre professionnel des soins dentaires de la région où le patient a déménagé.

[26]         Comme l’a souligné l’avocat de l’intimée, il y a un manque de jurisprudence pertinente à ces faits particuliers. Dans l’affaire Buccal Services Ltd. c Canada, [1994] ACI no 928, un dentiste a demandé des CTI sur des fournitures taxables et détaxées, soutenant que certaines fournitures étaient prévues à l’annexe VI et étaient donc détaxées. Le dentiste a fait valoir que certaines fournitures dentaires fournies figuraient dans cette annexe, parce qu’elles ne pouvaient pas être séparées des services liés à l’installation, à la réparation ou à la modification des appareils précisés dans les sections pertinentes de cette annexe. Les CTI ont été refusés, au motif que la contribuable fournissait uniquement des services de santé qui étaient une fourniture exonérée. La Cour a statué que la contribuable dans l’affaire Buccal ne s’était pas acquittée de la charge de fournir des éléments de preuve suffisants pour étayer que les services visés à l’annexe VI avaient été fournis.

[27]         Dans la décision rendue par le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) dans la décision Dr. James Singer Inc. c La Reine, 2006 CCI 205, la question que la Cour devait trancher était de savoir si la fourniture de couronnes, de ponts dentaires et de prothèses dentaires par un dentiste dans le cadre de la prestation de services dentaires était une fourniture détaxée, exonérée ou taxable. L’appel a été rejeté, au motif qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté pour décrire la nature des services fournis ou pour justifier les chiffres déclarés par la contribuable. Cependant, le juge en chef Bowman a continué à analyser les arguments juridiques qui lui avaient été soumis, bien qu’il ait reconnu que ses commentaires étaient simplement des remarques incidentes. Sa conclusion, aux paragraphes 10 et 11, était que la fourniture et l’installation d’une dent artificielle seraient détaxées aux termes des articles 11 et 34 de la partie II de l’annexe VI. Par conséquent, il n’était pas d’accord avec la position de la Couronne selon laquelle, bien que le coût d’une dent artificielle soit détaxé aux termes de l’article 11 de la partie II de l’annexe VI, le coût de l’installation ne l’est pas. Dans le cadre de mon analyse de la question 3, j’aborderai plus en détail les commentaires ci-dessus et les raisons pour lesquelles l’intimée demande à la Cour de ne pas les suivre.

[28]         En dernier lieu, l’intimée a fourni un arrêt de la Cour suprême de l’Alabama, Haden (Commissioner of Revenue) v. McCarty, 275 ALA 76. La question dans cette affaire était de savoir si la fourniture d’une prothèse dentaire par un dentiste à un patient était une vente d’un bien meuble corporel assujetti à la taxe. Cette cour a statué que le transfert d’une prothèse dentaire n’est pas une vente et, par conséquent, n’est pas une fourniture taxable; elle est plutôt accessoire au traitement global qui est fourni par le dentiste. Bien que l’intimée m’ait exhortée à suivre cette décision, je fais observer qu’elle provient d’un autre ressort, mais, fait plus important encore, le tribunal américain traitait d’une loi entièrement différente. Dans l’affaire Haden, la question était de savoir si la vente de la prothèse était un bien meuble corporel [traduction] « au sens du Sales Tax Act ». Ce sont les dispositions de la Loi sur la taxe d’accise que je dois examiner. Il convient cependant de souligner certains commentaires de cette cour. Elle conclut que les dentistes n’étaient pas des commerçants de marchandises engagés dans une entreprise de commercialisation; il s’agissait plutôt d’une relation médecin-patient, et non de marchand-client. Fournir une prothèse dentaire à un patient est donc une partie indissociable des services professionnels fournis à un patient.

[29]         En résumé, je conclus que, selon les faits dont je dispose, la réponse à la première question est que l’appelante a fourni à chaque patient une fourniture unique de traitement orthodontique en échange d’une contrepartie unique ou pour des frais uniques. Le total de ces frais pour le traitement a été précisé à l’avance. Certains patients ont payé d’avance tandis que d’autres ont effectué des paiements au cours de la période d’entretien et d’ajustement ou, dans certains cas, plus longtemps. La fourniture de l’appareil orthodontique n’était pas distincte ou séparée des services connexes, sauf à des fins comptables. Les éléments de preuve étayent ma conclusion selon laquelle l’appareil ainsi que les services d’ajustement et d’entretien connexes étaient si dépendants l’un de l’autre que les objectifs de traitement ne pouvaient être atteints; les deux services devaient être rendus pour que les problèmes dentaires du patient soient corrigés et résolus. En fait, lors du contre-interrogatoire du Dr Hurd, celui-ci a confirmé que les patients demandaient un traitement orthodontique et des soins professionnels lorsqu’ils le consultaient et qu’ils ne voulaient pas acheter un appareil orthodontique seul. Il a également convenu que les frais facturés et payés par le patient étaient pour le traitement qu’il fournissait. Le Dr Hurd a également souscrit à la proposition de l’avocat de l’intimée selon laquelle les services d’orthodontie sans l’appareil seraient inutiles et inversement. Il ne peut y avoir qu’une conclusion en l’espèce : l’appareil et les services sont des éléments indispensables de la fourniture unique d’un traitement orthodontique à un patient.

[30]         Enfin, en ce qui concerne le recours de l’appelante à la directive et à la politique de l’ARC à cet égard, bien qu’il puisse s’agir d’une ligne directrice, la Cour n’est pas liée par celle-ci. Je crois que c’est incorrect et trompeur pour les contribuables. L’avocat de l’intimée a présenté un argument plutôt faible quant aux raisons pour lesquelles l’appelante ne se conformait pas aux exigences de cette politique. Il a soutenu que les contrats de l’appelante avec les patients n’indiquaient pas le coût du service dentaire séparément du coût de l’appareil. En fait, à des fins comptables, afin de tirer profit de cette directive et de pouvoir demander des ITC conformément à la directive en ce qui concerne l’appareil, la contrepartie de l’appareil a été fixée à 35 p. 100 du total des frais payés pour le traitement. Des calculs et une logique simples mènent inévitablement à la conclusion que les 65 p. 100 restants du total des frais se rapportent aux services connexes, sans que cela soit expressément mentionné dans le contrat. Au bout du compte, l’énoncé de politique de l’ARC est tout simplement erroné et, fait plus important encore, il est trompeur et ne peut être défendu de la manière que l’intimée voudrait que je le fasse. Je la rejette simplement et je n’ai pas l’intention de la suivre.

Question 2 : la fourniture unique est-elle une fourniture exonérée ou une fourniture détaxée?

[31]         Selon l’intimée, si une fourniture unique de traitement orthodontique a été effectuée, comme je l’ai conclu, elle sera alors exonérée, parce que les services et la pratique dentaire de l’appelante relèvent des articles 2 et 5 de la partie II de l’annexe V de la Loi. L’argument de l’appelante est que, si les traitements sont des fournitures uniques, ils ont été détaxés, parce que les ajustements continus sont accessoires à la création de l’appareil.

[32]         Étant donné que j’ai conclu que la fourniture était une fourniture unique d’un traitement orthodontique, il s’agit d’une fourniture exonérée plutôt que d’une fourniture détaxée. D’après la preuve, l’appelante exploitait une clinique dentaire spécialisée dans la prestation de traitements orthodontiques aux patients. Le Dr Hurd était un orthodontiste autorisé à exercer sa profession qui a fourni les traitements et a été rémunéré pour ces services fournis par la société appelante.

[33]         L’article 5 de la partie II de l’annexe V de la Loi exonère « la fourniture de services de consultation, de diagnostic ou de traitement ou d’autres services de santé, rendus par un médecin à un particulier ». Le terme « médecin » est défini à l’article 1 : « personne autorisée par la législation provinciale à exercer la profession de médecin ou de dentiste ». Par conséquent, l’article 5 s’applique aux services dentaires.

[34]         Il ressort de la preuve que la portée des traitements orthodontiques comprenait des consultations, un diagnostic et le traitement de problèmes de santé ou de reconstruction liés aux dents, à la mâchoire ou à l’occlusion. Le mot « traitement » n’est pas défini dans la Loi de 1991 sur les dentistes, L.O. 1991, chap. 24, ni dans la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées, L.O. 1991, chap. 18, de l’Ontario, mais l’article 3 de la Loi de 1991 sur les dentistes définit le champ d’application de la pratique d’un dentiste qui fait référence au « traitement » de la manière suivante :

3  L’exercice de la dentisterie consiste dans l’évaluation de l’état physique du complexe oro-facial et dans le diagnostic, le traitement et la prévention des maladies, troubles ou dysfonctions du complexe oro-facial.

Dans l’Oxford English Dictionary, [traduction]« traitement » est ainsi défini : [traduction] « gestion dans l’application de remèdes; application ou service médical ou chirurgical ».

[35]         En tant qu’orthodontiste autorisé à exercer sa profession en Ontario, le Dr Hurd a le droit d’exercer la profession de dentiste, et il est donc médecin au titre de l’article 1 de la partie II de l’annexe V. Il ressort du témoignage du Dr Hurd que les appareils étaient utilisés pour traiter et corriger des problèmes liés aux dents, à la mâchoire ou à l’occlusion d’un patient. Par conséquent, un médecin, le Dr Hurd, fournissait un traitement à des patients d’une clinique dentaire exploitée par l’appelante. Selon les définitions d’« établissement de santé » et de « services de santé en établissement » figurant à l’article 1 de la partie II de l’annexe V, la clinique dentaire était un établissement où étaient donnés des soins médicaux et, selon l’alinéa h) de la définition de services de santé en établissement, ces services étaient rendus par le Dr Hurd, qui a été rémunéré par la société appelante, une société professionnelle, qui exploitait l’établissement. La fourniture de traitements orthodontiques était des services de soins dentaires consistant en une fourniture de services de consultation, de diagnostic, de traitement ou d’autres services de santé, rendus par un médecin à des patients, et, à ce titre, il s’agit de fournitures exonérées, selon les paramètres de l’article 5 de la partie II de l’annexe V. En outre, la fourniture unique de traitement orthodontique par l’appelante dans sa clinique dentaire était une fourniture exonérée au titre de l’article 2 de la partie II de l’annexe V de la Loi, parce que la fourniture a été effectuée par un exploitant d’un établissement de santé par rapport à des services de santé en établissement rendus à un patient de l’établissement.

Question 3 : s’il est établi qu’il s’agit de fournitures multiples, celles-ci sont-elles exonérées ou détaxées?

[36]         Cette troisième question est ne se pose plus, puisque j’ai établi que l’appelante avait effectué une fourniture unique de traitement orthodontique, et non des fournitures multiples. Toutefois, vu le temps considérable que l’avocat de l’intimée a consacré à cette question dans ses observations orales, je vais aborder brièvement certains des points les plus pertinents.

[37]         Les parties ne contestent pas que, conformément au libellé clair de l’article 34 de la partie II de l’annexe VI, si la Cour avait conclu que l’appelante effectuait des fournitures multiples consistant en des services d’orthodontie et d’appareils orthodontiques (ce qu’elle n’a pas conclu), la fourniture des services d’orthodontie est une fourniture exonérée, et non une fourniture détaxée.

[38]         L’appelante soutient que l’article 11.1 de la partie II de l’annexe VI détaxe spécifiquement les appareils orthodontiques. Puisque la seule façon d’assembler un appareil consiste en la mise en bouche du patient par un professionnel des soins dentaires autorisé, il faut comprendre qu’il doit être détaxé.

[39]         Toutefois, l’intimée a soutenu que, même s’il était conclu que l’appelante avait effectué des fournitures multiples d’appareils orthodontiques et de services d’orthodontie, la fourniture des appareils demeurerait une fourniture exonérée aux termes de l’article 2 de la partie II de l’annexe V, et ne serait pas détaxée au titre de l’article 11.1 de la partie II de l’annexe VI.

[40]         L’intimée a fait référence au document intitulé Taxes sur les produits et services – Document technique (août 1989) du ministère des Finances, publié par l’honorable Michael H. Wilson, et a fait valoir que les fournitures détaxées de l’annexe VI visaient les fournitures concernant les fabricants et les producteurs de marchandises. Le document technique, aux pages 89 à 91, énumère les « appareils médicaux » qui sont détaxés et les « services de santé » qui sont exonérés. L’intimée a soutenu que le législateur voulait que la fourniture d’un appareil médical par un orthodontiste ou un médecin à un patient soit une fourniture exonérée au titre de la partie V, et que la fourniture d’un appareil médical par un fabricant à un dentiste soit détaxée au titre de la partie VI.

[41]         L’intimée a également examiné de façon approfondie si un appareil orthodontique était visé par l’expression « prothèse médicale » à l’alinéa b) de la définition de « services de santé en établissement ». Étant donné qu’aucun des termes « prothèse médicale » ou « appareil orthodontique » n’est défini dans la Loi, l’intimée soutient que ces termes doivent être interprétés dans leur sens grammatical et ordinaire. Selon la définition de [traduction] « prothèse » contenue dans le dictionnaire médical de Merriam Webster, le terme inclut un appareil orthodontique. Puisque cette prothèse ou cet appareil est assemblé et installé dans le fauteuil dentaire de la clinique dentaire en relation avec d’autres services de diagnostic, l’installation d’un appareil est un « service de santé en établissement », au sens de l’alinéa b) de l’article 1 de la partie II de l’annexe V. De plus, l’assemblage de l’appareil était effectué pour les patients de la clinique, ce qui fait de la fourniture d’un appareil orthodontique une fourniture exonérée au titre de l’article 2 de la partie II de l’annexe V. À partir de cette conclusion et de l’intention du législateur d’exonérer la majorité des services de santé fournis par un établissement de santé ou un médecin et les appareils médicaux détaxés lorsqu’ils sont fournis par un fabricant ou un producteur, l’intimée soutient que l’article 11.1 de la partie II de l’annexe VI ne s’applique pas à la fourniture d’un appareil orthodontique dans la présente affaire, puisque l’appelante est non pas une fabricante ou une productrice, mais plutôt une exploitante d’un établissement de santé.

[42]         L’intimée affirme en outre que, même si les annexes V et VI s’appliquent, l’annexe V prime sur l’annexe VI ou, d’une autre manière, l’exonération l’emporte, et aucun CTI ne peut être demandé. En effet, l’expression « activité commerciale » au paragraphe 123(1) exclut la réalisation de fournitures exonérées. Cette interprétation est corroborée par la décision Buccal, au paragraphe 12, où la Cour a statué que l’exonération prévue l’emportait sur les dispositions relatives aux fournitures détaxées.

[43]         Dans la décision Singer, le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) a déclaré en remarque incidente que la fourniture et l’installation d’une dent artificielle étaient détaxées aux termes des articles 11 et 34 de la partie II de l’annexe VI. L’intimée a fait valoir que la décision rendue dans l’affaire Singer devait faire l’objet d’une distinction pour plusieurs raisons, notamment le fait qu’il s’agissait d’une décision rendue sous le régime de la procédure informelle et ne présentant guère de valeur de précédent et que ses commentaires avaient été faits de façon incidente. Plus précisément, l’intimée affirme que la conclusion de la Cour dans l’affaire Singer est fondée sur le libellé précis de l’article 34 de la partie II de l’annexe VI, qui annule le libellé général entre parenthèses. Cependant, le libellé de l’article 34 n’est pas contradictoire. L’intimée s’est fondée sur la décision rendue dans l’affaire Barrington Lane Developments Ltd. c La Reine, 2010 CCI 388, pour le principe selon lequel une disposition particulière l’emportera sur une disposition générale lorsque les deux sont contradictoires. Toutefois, l’intimée soutient que, pour que ce principe fonctionne, il faut d’abord qu’il y ait une contradiction entre les dispositions. S’appuyant sur le raisonnement dans la décision Barrington, l’intimée était d’avis qu’il était inapproprié que la Cour, dans la décision Singer, invoque cette analyse lorsqu’une disposition est assujettie à une autre disposition, comme c’est le cas à l’article 34. Il est expressément mentionné que, si un service est exonéré aux termes de la partie II de l’annexe V, il ne sera pas détaxé au titre de l’article 34. Enfin, l’intimée soutient que, si le raisonnement dans la décision Singer est correct (c’est-à-dire que le texte à l’extérieur des parenthèses à l’article 34 l’emporte sur le texte qui se trouve entre parenthèses), il rendrait les mots entre parenthèses, ce qui constitue l’exception, sans signification en ce qui concerne les installations. S’il est exact que les mots à l’extérieur des parenthèses devraient prévaloir, cela signifierait que l’exception ne s’appliquerait jamais et que tous les services rattachés aux appareils médicaux seraient détaxés. En général, les tribunaux devraient éviter les interprétations qui privent de sens les mots contenus dans une disposition. L’intimée soutient que, si l’interprétation dans la décision Singer est acceptée, alors les éléments comme l’installation d’une hanche artificielle seraient détaxés aux termes des articles 25 et 34 plutôt que d’être exonérés. Ce résultat irait à l’encontre de l’intention de l’annexe V, qui vise à exonérer la majorité des services de santé.

[44]         À mon avis, si j’avais conclu que l’appelante avait effectué des fournitures multiples, puis en appliquant une analyse textuelle, contextuelle et téléologique comme je devrais le faire, vu l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601, la fourniture de l’appareil orthodontique serait détaxée aux termes de l’article 11.1 de la partie II de l’annexe VI de la Loi. À mon avis, l’expression « prothèse médicale », comme elle est utilisée dans la partie II de l’annexe V, ne comprend pas un appareil orthodontique. Le terme « appareil orthodontique » figure à l’annexe VI, d’une façon séparée et distincte du mot « prothèse ». Il n’est utilisé nulle part à l’annexe V. Une prothèse médicale peut être soit exonérée, soit détaxée, selon les circonstances. Il peut s’agir d’une fourniture exonérée si elle est installée conjointement avec des services rendus contre rémunération (article 1, « services de santé en établissement », alinéas b) et h) et article 2 de la partie II de l’annexe V). Elle peut également être détaxée aux termes de l’article 25 de la partie II de l’annexe VI. Selon la décision rendue dans l’affaire Buccal Services, l’annexe V l’emporte toutefois sur l’annexe VI dans le cas où une fourniture est visée par l’une de ces annexes. Le terme « appareil orthodontique » ne figure qu’à l’annexe VI et n’apparaît nulle part à l’annexe V. Bien qu’une prothèse puisse, selon les définitions médicales de « prothèse, orthodontie et appareil », inclure un appareil orthodontique, la Loi a établi le régime relatif à un appareil orthodontique entièrement séparé et distinct des dispositions qui s’appliquent à une prothèse. De plus, la preuve, qui n’a pas été contestée, donne à penser que la seule façon de fabriquer ou d’assembler un appareil orthodontique est dans la bouche du patient. Par conséquent, la fourniture d’un appareil orthodontique, soit un appareil médical assemblé dans la bouche d’un patient par un professionnel des soins dentaires autorisé à exercer sa profession, relève du régime des fournitures détaxées figurant à l’annexe VI. Cette interprétation est également conforme aux notes explicatives du ministère des Finances sur l’article 11.1 de la partie II de l’annexe VI, qui détaxe sans condition un appareil.

Questions 4 et 5 : l’appelante a-t-elle droit aux CTI demandés à l’égard des dépenses et des immobilisations corporelles?

[45]         Ma conclusion à l’égard de ces questions découle de mon règlement des questions 1 et 2 des présents motifs.

[46]         L’appelante a effectué une fourniture unique de traitements orthodontiques consistant en un appareil orthodontique et des services orthodontiques connexes. De plus, le traitement orthodontique est une fourniture exonérée aux termes de l’article 5 de la partie II de l’annexe V, parce qu’il s’agit d’un service de consultation, de diagnostic, de traitement ou d’un autre service de santé offert par un médecin à un patient, à un établissement dentaire.

[47]         Il est possible de demander un CTI lorsque trois conditions sont remplies :

a)       la personne qui fait la demande est inscrite;

b)       la personne qui fait la demande a acquis le bien ou le service pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de son activité commerciale;

c)       la personne qui fait la demande a payé ou est légalement tenue de payer la TPS/TVH pour l’acquisition du bien ou du service.

Seule la deuxième exigence est en cause. L’appelante n’exerce aucune activité commerciale selon la définition figurant au paragraphe 123(1), du fait qu’elle effectue des fournitures exonérées.

[48]         Par conséquent, l’appelante n’aura pas le droit de demander des CTI à l’égard des dépenses aux termes du paragraphe 169(1) et de la définition d’« activité commerciale » au paragraphe 123(1), parce que la fourniture est exonérée.

[49]         Conformément à l’alinéa 199(2)a) de la Loi, un CTI ne peut être demandé à l’égard des biens meubles utilisés comme immobilisations (les immobilisations corporelles), à moins que ces biens n’aient été acquis en vue d’être utilisés principalement dans le cadre des activités commerciales de l’inscrit. Étant donné que les immobilisations ont été utilisées pour la fourniture exonérée de traitements orthodontiques, ces immobilisations n’ont donc pas été acquises par l’appelante en vue d’être utilisées principalement dans le cadre de ses activités commerciales conformément à la définition d’« activité commerciale » au paragraphe 123(1) de la Loi. Elle n’aura donc pas le droit de demander des CTI à l’égard des immobilisations corporelles aux termes du paragraphe 199(2) de la Loi.

Conclusion

[50]         Compte tenu de mes décisions selon lesquelles l’appelante a effectué une fourniture unique de traitement orthodontique, qui est une fourniture exonérée, l’appel est rejeté. L’intimée n’a pas demandé de dépens en l’espèce, et je n’adjuge donc aucuns dépens. Si j’avais statué que l’appelante avait effectué des fournitures multiples consistant en un appareil orthodontique et un service d’orthodontie, je suis d’avis que l’article 138 ne s’appliquerait pas dans ces circonstances, autrement une fourniture unique aurait été réputée effectuée. La fourniture d’un appareil orthodontique seul serait donc une fourniture détaxée.

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 26e jour de juillet 2017.

« Diane Campbell »

Juge Campbell


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 142

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-1854(GST)I

INTITULÉ :

DR BRIAN HURD DENTISTRY PROFESSIONAL CORPORATION ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 mai 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

Le 26 juillet 2017

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

M. Andrew Ball

Avocat de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

[BLANK/ EN BLANC]

 

Cabinet :

[BLANK / EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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