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Dossier : 2015‑2089(IT)G

ENTRE :

WILLIAM RADELET,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 12 juin 2017, à Nanaimo (Colombie‑Britannique)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Paul Klippenstein

 

DÉCISION ET ORDONNANCE

  CONFORMÉMENT aux motifs de l’ordonnance ci‑joints, LA COUR ORDONNE :

  1. la renonciation T2029 datée du 31 janvier 2012, prolongeant la période normale de cotisation, est valide et le ministre du Revenu national (le « ministre ») peut l’opposer à l’appelant;

  2. le ministre avait le pouvoir, par suite de la renonciation, d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 2008 au‑delà de la période normale de nouvelle cotisation, qui expirait le 1er juin 2012;

  3. la partie II de l’appel, qui porte sur l’exactitude de la nouvelle cotisation, doit être entendue par la Cour à la première date disponible à Nanaimo (Colombie‑Britannique);

  4. le juge est saisi de la partie II de l’appel.

Signé à Toronto, Canada, ce 16e jour d’août 2017.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de septembre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 159

Date : 20170816

Dossier : 2015‑2089(IT)G

ENTRE :

WILLIAM RADELET,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Bocock

I. Introduction

[1]  L’appel en l’espèce porte sur la nouvelle cotisation établie à l’égard de M. William Radelet (« M. Radelet ») relativement à un gain en capital imposable de 222 776 $. Le gain en capital brut de 445 551 $ (le « gain en capital ») découlerait de la disposition par M. Radelet d’un immeuble à usage commercial de quatre unités à Parksville, en Colombie‑Britannique (l’« immeuble »). L’immeuble a été vendu en 2008.

a)  Partie II de l’appel : exactitude de la nouvelle cotisation

[2]  Le ministre du Revenu national (le « ministre ») affirme que M. Radelet n’a pas déclaré la vente de l’immeuble et le gain en capital, mais qu’il a déclaré une perte d’entreprise de 400 000 $ (la « perte enregistrée »), pour laquelle le ministre a refusé d’accepter une déduction. Ce gain en capital non déclaré et la déduction refusée au titre de la perte d’entreprise font l’objet de la partie de l’appel portant sur l’exactitude de la cotisation. Comme il est expliqué ci‑dessous, la partie II de l’appel porte sur ce volet du litige.

b)  Partie I de l’appel : cotisation au‑delà de la période normale

[3]  La partie I de l’appel porte sur le fait que la nouvelle cotisation a été établie au‑delà de la période normale de nouvelle cotisation. Les parties conviennent que la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2008 a expiré le 1er juin 2012. Le ministre a d’abord établi la nouvelle cotisation le 12 juillet 2012 sur le fondement d’un formulaire T2029 « Renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation […] ». Il n’est pas contesté que ce document a été signé par M. Radelet le 31 janvier 2012 (la « renonciation »). Le ministre, par l’entremise d’un avocat, concède qu’il a établi la nouvelle cotisation au‑delà de la période normale de nouvelle cotisation en se fondant uniquement sur la renonciation. M. Radelet affirme que la renonciation a été signée sous la contrainte ou la coercition, car cette signature a été apposée pendant une période d’incapacité mentale ou du fait qu’il n’a pas compris que la renonciation prolongeait la période normale de nouvelle cotisation.

c)  Raisons justifiant la séparation de l’audience en deux parties

[4]  Initialement, une journée et demie d’audience avait été prévue pour l’instruction de l’appel. Peu après le début de l’audience, la Cour a bien vu que M. Radelet avait besoin de pauses fréquentes et de mesures d’accommodement pour des raisons de santé et qu’il exprimait et montrait de la fatigue à l’égard du processus; il a aussi demandé expressément qu’une partie de l’affaire (la partie I) soit entendue et qu’une décision soit rendue sur celle‑ci avant que la deuxième partie (la partie II) ne soit entendue. Fait important, une conclusion portant que la renonciation est invalide ou inapplicable rendrait inutile la tenue de la deuxième partie de l’audience. Bref, le ministre serait privé du seul motif justifiant l’établissement d’une nouvelle cotisation au‑delà de la période normale si la renonciation était jugée inapplicable. De plus, la première journée d’audience a été entièrement consacrée à la partie I. La partie II, s’il y a lieu, nécessitera au moins une autre journée d’audience. L’affaire n’aurait donc pu être entendue dans le temps imparti. Pour ces motifs, la Cour a entendu tous les témoignages et toutes les observations portant sur la partie I. La partie II de l’affaire sera entendue plus tard, au besoin.

II. Le processus d’établissement d’une (nouvelle) cotisation et signature de la renonciation

a)  Signature de la renonciation

[5]  Le processus d’établissement d’une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2008 s’est révélé quelque peu disjonctif. Il a véritablement commencé au début de novembre 2011. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a tenté de communiquer avec M. Radelet par téléphone. En 2011 et 2012, M. Radelet a passé l’hiver au Mexique. Il n’était pas disponible au Canada en personne ou, de façon générale, ne pouvait être rejoint par téléphone. Une lettre de l’ARC datée du 15 novembre 2011 et contenant des documents de travail a été envoyée par courrier recommandé à M. Radelet. À la fin du mois de novembre, l’avocat de M. Radelet, Me Fenton, a reçu la lettre. Me Fenton avait une procuration lui permettant d’ouvrir du courrier de cette nature et de recevoir de tels formulaires. Me Fenton a transmis le contenu et l’information à M. Radelet au Mexique.

[6]  Au début du mois de décembre, Me Fenton a envoyé un message à la vérificatrice de l’ARC, Mme Anderson. Ils ont discuté brièvement par la suite. M. Radelet a indiqué que son comptable était décédé. M. Radelet a déclaré qu’il était lui‑même en sevrage d’un analgésique narcotique. Il avait besoin d’une prolongation jusqu’à la mi‑janvier pour répondre à l’ARC. Une prolongation lui a été accordée jusqu’au 24 janvier 2012 pour qu’il puisse fournir les renseignements répondant à la demande.

[7]  En janvier 2012, l’ARC a fait un suivi auprès de M. Radelet. Le processus de récupération des documents ne s’était pas bien passé, car il n’avait pas accès à ceux‑ci. Il a répété que son comptable avait les documents, mais qu’il était décédé. La veuve du comptable ne pouvait pas l’aider. Son avocat, Me Fenton, ne devait pas intervenir. M. Radelet a indiqué qu’il avait récemment fait une chute et qu’il avait été victime d’un problème cérébral. C’était en plus de son sevrage des analgésiques narcotiques. Il a indiqué qu’une nouvelle prolongation jusqu’au 15 avril 2012 était nécessaire. À ce stade, l’agent de l’ARC a demandé une renonciation selon le formulaire T2029.

[8]  Le 27 janvier 2012, Mme Anderson de l’ARC et M. Radelet se sont parlé de nouveau. La représentante de l’ARC a exigé, en échange de toute prolongation, une renonciation permettant de prolonger la période normale de nouvelle cotisation de trois ans; cela est d’ailleurs confirmé dans ses notes. Elle lui a expliqué que la période normale de nouvelle cotisation expirerait peu après le retour de M. Radelet. Si une prolongation de la période de nouvelle cotisation n’était pas signée, la nouvelle cotisation décrite dans la lettre de proposition du 15 novembre 2011 (qui comprenait des pénalités pour faute lourde) s’appliquerait. À la suite de cette discussion, la logistique de la signature et de la télécopie de la renonciation a été établie entre Mme Anderson et M. Radelet. M. Radelet a signé le formulaire de renonciation T2029 le 31 janvier 2012. La vérificatrice de l’ARC l’a reçu par télécopieur le 1er février 2012.

b)  Fourniture de renseignements par M. Radelet et nouvelle cotisation

[9]  Après plusieurs réunions et discussions, M. Radelet a fourni à Mme Anderson des documents relatifs au prix de base, à la déduction pour amortissement et à d’autres pertes. Au bout du compte, une nouvelle cotisation a été établie le 12 juillet 2012, mais la pénalité pour faute lourde initialement proposée en novembre 2011 et en janvier 2012 au titre du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1, dans sa forme modifiée (la « Loi ») n’y figurait pas.

c)  Contenu de la renonciation

[10]  M. Radelet admet avoir signé la renonciation. Les paragraphes essentiels sont les suivants :

Renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation ou de la période prolongée de nouvelle cotisation

À l’usage d’un contribuable pour renoncer à l’application de la période normale de nouvelle cotisation applicable à une année d’imposition, tel que défini au paragraphe 152(3.1), ou de la période de trois années supplémentaires prévue à l’alinéa 152(4)c), pendant laquelle le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou des cotisations supplémentaires en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[nom et adresse du contribuable]

[numéro d’assurance sociale du contribuable] Renonciation pour l’année d’imposition terminée le 31 décembre 2008

Cocher la case appropriée et remplir selon les directives :

La période normale de nouvelle cotisation prévue au sous‑alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu pendant laquelle le ministre peut établir une nouvelle cotisation ou des cotisations supplémentaires ou fixer des impôts, intérêts ou pénalités, en vertu de la Loi est, par la présente, renoncée pour l’année d’imposition susmentionnée, à l’égard de :

[TRADUCTION]

LA LETTRE DE PROPOSITION DU 15 NOVEMBRE 2011. EN RECEVANT LE PRÉSENT DOCUMENT, L’ARC ACCEPTE DE REPORTER AU 15 AVRIL 2012 LES DATES MENTIONNÉES DANS LA LETTRE DE PROPOSITION. [INITIALES]

[signature de M. Radelet]

[11]  Parallèlement, ou le lendemain, M. Radelet a envoyé une lettre de remerciements à Mme Anderson pour ses efforts et sa patience. Il a également écrit ceci à la main :

[TRADUCTION]

Madame Anderson,

Merci beaucoup de la patience dont vous avez fait preuve pour m’aider à régler le problème fiscal relatif à l’année d’imposition 2008. Je vous remercie plus particulièrement de me donner une certaine latitude en ce qui concerne les délais.

Dans mon cas, quelques commotions cérébrales à la suite de chutes, une autre commotion grave à la suite d’un accident de voiture, une fracture de la hanche, une fracture du pied et, maintenant, ce qui ressemble à un accident vasculaire cérébral ont accéléré mon vieillissement. Heureusement, j’ai toujours la plupart de mes facultés. Encore une fois, merci, et merci à vos collègues. Cette question a toute mon attention et sera réglée d’ici le 15 avril 2012.

Cordialement,

William Radelet

III. Validité et applicabilité de la renonciation

a)  Questions en litige

[12]  Il existe trois possibles questions en litige concernant la validité et l’applicabilité de la renonciation. Ces questions, exposées ci‑dessous, ont été soulevées par M. Radelet, directement ou indirectement, à l’audience :

(i) M. Radelet a‑t‑il été contraint de signer la renonciation sous la menace des pénalités prévues au paragraphe 163(2)?
(ii) M. Radelet avait‑il la capacité mentale nécessaire pour comprendre la nature et le caractère de la renonciation?
(iii) Indépendamment des points (i) et (ii) ci‑dessus, M. Radelet a‑t‑il compris que la renonciation, comme elle a été rédigée et signée, avait par son libellé pour effet de prolonger la période de nouvelle cotisation au‑delà de la date normale pour l’établissement d’une nouvelle cotisation?

b)  Coercition

(i) Observations de M. Radelet

[13]  M. Radelet a affirmé catégoriquement qu’il avait subi de la coercition au cours de son interaction avec l’ARC du fait que celle‑ci l’a menacé d’appliquer des pénalités sur l’impôt à payer, lui a adressé une demande de renseignements pendant qu’il était à l’étranger et a fixé des délais qui expiraient avant qu’il puisse revenir de l’étranger. Il a donc signé la renonciation sous la contrainte pendant une période où il était nécessaire qu’il reprenne des forces au Mexique en raison de son état de santé. Son comptable était décédé, et il n’avait pas accès aux documents. Bref, il n’avait pas de choix et il a été contraint de signer le document en raison des conséquences désastreuses que les pénalités qu’on menaçait de lui imposer auraient s’il ne signait pas le document. Pour que les pénalités et la nouvelle cotisation « disparaissent », selon le terme qu’il a utilisé, il avait besoin de temps pour revenir au pays, et pour trouver les documents et les présenter à l’ARC. C’est uniquement pour obtenir plus de temps pour présenter des observations et éviter les conséquences d’une nouvelle cotisation qu’il a signé la renonciation. Il a jugé « choquant »  le lien entre la menace de lui imposer des pénalités, les demandes répétées de production de documents et l’imposition unilatérale de délais lorsqu’il en a pris connaissance dans la lettre initiale de l’ARC, un organisme gouvernemental.

(ii) Le droit

[14]  Il est bien établi qu’une renonciation, comme celle dont M. Radelet demande l’annulation, ne peut être annulée pour cause de contrainte ou d’influence indue, à moins qu’il soit prouvé que l’ARC a tenté d’induire en erreur ou de menacer le contribuable ou encore d’exercer des pressions indues sur lui en ce qui concerne la renonciation (Nguyen c. SMR, 2005 CCI 697, au paragraphe 32). En outre, une telle renonciation est inapplicable au motif d’une coercition lorsque les éléments de preuve démontrent que, selon toute vraisemblance, le contribuable n’y a pas librement consenti ou qu’il a été victime de pressions indues (décision Nguyen, au paragraphe 33). Par conséquent, la question est de savoir si M. Radelet a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas librement consenti.

(iii) M. Radelet a‑t‑il fait l’objet de coercition?

[15]  Au vu des éléments de preuve présentés par M. Radelet lors de l’audience, la Cour conclut qu’il n’a pas fait l’objet de pressions indues, n’a pas été induit en erreur et qu’il n’a pas subi d’influence indue au point d’annuler le consentement qu’il a donné à la renonciation.

[16]  Les conclusions suivantes, établies à la lumière des éléments de preuve, constituent le fondement de la décision de la Cour.

[17]  Pendant la période qui a précédé la signature de la renonciation, M. Radelet et l’ARC ont exclusivement communiqué par téléphone, par lettre et par courrier électronique. Au cours de cette période, il n’y a pas eu de rencontres en personne qui auraient autrement révélé une intimidation physique ou circonstancielle.

[18]  Il n’était pas déraisonnable que l’ARC mentionne, dans la lettre initiale du 9 novembre 2011, la possibilité que M. Radelet se voie imposer des pénalités pour faute lourde, compte tenu du fait qu’elle croyait que la vente d’un immeuble de valeur en 2008 n’avait pas été divulguée dans la déclaration de revenus de cette année-là.

[19]  Hormis cela, la seule « menace » faite par l’ARC consistait à avoir informé M. Radelet qu’elle établirait la nouvelle cotisation après l’expiration de la date limite de janvier 2012 (qui est passée sans qu’il y ait de documents produits en réponse) et à avoir de nouveau demandé une renonciation en vue d’accorder une autre prolongation jusqu’au 15 avril 2012.

[20]  La demande de prorogation du délai pour répondre à la demande de l’ARC a été initiée par M. Radelet et il l’a par la suite précisée et a fait des suivis. L’ARC a tenu compte de ces demandes, les a fait examiner par divers agents et a accordé les prorogations dans chaque cas, mais à l’étape finale, elle l’a fait sous réserve de recevoir la renonciation en échange.

[21]  Les sentiments de menaces et de manipulation que M. Radelet a exprimés par la suite n’ont pas été communiqués à l’ARC pendant la période pertinente. Il a remercié l’ARC de sa « patience » dans sa lettre de février et de nouveau en avril, au téléphone. Toutes les notes relatives à la correspondance et aux conversations, dont l’exactitude a été confirmée par M. Radelet, reflètent des échanges cordiaux, normaux et réfléchis, visant à faire en sorte que M. Radelet présente aussitôt qu’il lui serait possible des documents en réponse à la demande de l’ARC. Cette civilité se maintient tout au long de la période de décembre 2011 à juin 2012. Il y a contradiction sur le plan factuel : ces échanges sont incompatibles avec le fait que M. Radelet s’est senti menacé, contraint ou manipulé au moment de signer la renonciation ou dans la période qui a précédé la signature.

[22]  M. Radelet a fait mention pour la première fois de menaces après que la nouvelle cotisation eut été établie en juillet 2012. Avant cela, la prorogation du délai lui avait donné l’occasion de soumettre suffisamment de documents pour obtenir des résultats positifs. Bien qu’il ait fait l’objet d’une nouvelle cotisation, les pénalités pour faute lourde n’ont jamais été imposées, et cela était directement lié au fait d’avoir signé une renonciation. Grâce à celle‑ci, M. Radelet a réussi à convaincre l’ARC de revenir sur sa position de lui imposer les pénalités. Il a obtenu un avantage découlant de la prorogation du délai qu’il a demandée, avantage qui lui a été accordé grâce à la renonciation. Le rapport de vérification de l’ARC fait expressément mention des observations présentées au cours de la période pertinente : [TRADUCTION] « Après un examen minutieux des faits liés à des omissions dans votre déclaration de revenus de particulier de 2008, y compris vos observations, nous avons décidé de ne pas imposer de pénalités […] au titre du paragraphe 163(2) de […] la Loi. »

[23]  L’indignation que M. Radelet a exprimée l’égard des « menaces » semble découler du fait qu’il conteste catégoriquement l’exactitude de la nouvelle cotisation et l’existence de motifs justifiant que l’imposition de pénalités ait été envisagée initialement. De même, il est persuadé que la possibilité qu’on lui impose des pénalités n’aurait pas dû être soulevée dans la lettre du 15 novembre 2011. Objectivement, les lettres et les thèses de l’ARC n’étaient pas incohérentes, déraisonnables ou particulièrement menaçantes étant donné que la disposition d’un bien en immobilisation d’une certaine valeur n’a pas été indiquée dans la déclaration de revenus de M. Radelet. La menace perçue est peut‑être liée à la détresse et à la situation particulière de M. Radelet : son comptable était décédé, il était lui‑même malade et il n’avait pas facilement accès aux documents au moment où a été faite de la demande de renseignements. Sa demande de prorogation du délai était raisonnable, et celle‑ci lui a été accordée sans condition. Quand il n’a pas respecté ce délai, il en a demandé un autre, trois fois plus long, ce qui était tout à fait raisonnable. Cette fois‑ci, compte tenu de ce contexte et du délai non respecté ainsi que de l’expiration prochaine du droit d’établir une nouvelle cotisation durant la période normale prévue à cette fin, l’ARC a, comme il convenait, accordé la prolongation, mais en échange d’une renonciation à l’application de la période de nouvelle cotisation qui tirait à sa fin. Cela semble une contrepartie normale supposant des avantages mutuels pour les deux parties.

[24]  M. Radelet a signé la renonciation au moment où elle a été demandée sans la contester ni la qualifier de draconienne, d’unilatérale ou de coercitive. Rien n’indiquait que M. Radelet, une personne raisonnablement intelligente et possédant une instruction au‑dessus de la moyenne, se soit senti manipulé, contraint ou indûment influencé en signant le document, correctement rempli de sa propre main, le 31 janvier 2012.

c)  Capacité mentale

(i) Observations de M. Radelet

[25]  M. Radelet souffre de diverses affections physiques. Il les a expliquées en détail devant la Cour. En ce qui concerne sa capacité mentale, M. Radelet a mentionné qu’il était en sevrage d’analgésiques narcotiques utilisés pour combattre certaines de ces affections et qu’il avait subi à l’époque un incident cérébral, peut‑être un accident vasculaire cérébral. Ces malaises sont également mentionnés dans les notes que Mme Anderson, vérificatrice de l’ARC, a prises au moment de la signature de la renonciation.

[26]  Plusieurs mois après la signature de la renonciation, en mai 2012, M. Radelet a consulté un médecin et un psychologue, qui ont fourni des lettres après le fait dans lesquelles il est écrit que M. Radelet a demandé un traitement pour un diagnostic de trouble de stress post‑traumatique (TSPT). D’une façon générale, l’opinion exprimée en juin 2012 était que les menaces externes perçues de préjudice potentiel avaient disparu.

[27]  M. Radelet affirme généralement que l’effet combiné du sevrage des opioïdes, d’autres affections physiques et du TSPT l’aurait privé de la fonction cognitive nécessaire pour comprendre la nature et le caractère des actions et des conséquences liées à la signature de la renonciation le 31 janvier 2012.

(ii) Le droit

a.  Admissibilité de certains rapports médicaux

[28]  L’avocat de l’intimée s’est opposé à l’admissibilité des lettres signées par le médecin et par le psychologue qui suivaient M. Radelet, et ce, pour deux motifs. Le premier est que chacune de ces lettres constituait un témoignage d’opinion de la part d’un expert qui n’était pas présent devant la Cour pour être contre‑interrogé. Le deuxième motif était qu’aucun avis n’avait été donné pour présenter de tels rapports d’expert et que ces lettres n’avaient pas été produites conformément à l’article 145 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »).

[29]  Mis à part ces objections fondées sur des motifs procéduraux, l’admissibilité des rapports est contestable pour un autre motif essentiel : la pertinence de leur contenu par rapport à la question que la Cour doit trancher. C’est la raison pour laquelle les lettres doivent être exclues. Aucune des lettres ne laisse croire que M. Radelet n’avait pas une capacité mentale suffisante. Elles ne font que préciser que M. Radelet souffrait d’un problème de santé pour lequel il devait entreprendre un traitement. De plus, même si le pronostic de rétablissement de M. Radelet était bon, il devait éviter les situations stressantes et traumatisantes à compter de mai et juin 2012.

[30]  Vraisemblablement, il s’agissait de la raison pour laquelle M. Radelet était au Mexique. Il n’y avait pas d’affirmations ou de conclusions pertinentes dans les lettres laissant croire qu’en raison de son TSPT, M. Radelet n’avait pas la capacité mentale voulue pour prendre des mesures, pour signer des documents ou, autrement, pour vivre sa vie.

b.  Capacité mentale en général

[31]  Il est présumé en droit que toutes les personnes ont la capacité de contracter. Lorsque quelqu’un, comme M. Radelet, veut annuler un contrat en raison d’une incapacité mentale, il doit faire la preuve de cette incapacité, car c’est lui qui l’allègue. Le fardeau de la preuve lui incombe.

[32]  M. Radelet doit présenter une preuve qui convainc la Cour que, tout compte fait, il n’avait pas, selon toute vraisemblance, la capacité requise pour signer la renonciation à la date même de sa signature (Wiens c. La Reine, 2011 CCI 152, au paragraphe 23).

(iii) Capacité mentale en date du 31 janvier 2012

[33]  Comme il est décrit ci‑dessus, indépendamment des questions d’admissibilité, les lettres du médecin et du psychologue de M. Radelet ne font nullement mention de sa capacité mentale, des effets du TSPT sur celle‑ci ou des conséquences de la signature de la renonciation au cours de manifestations symptomatiques du TSPT. Ces lettres sont dépourvues de pertinence quant à la question de la capacité mentale. Il aurait peut‑être été utile que des professionnels de la santé témoignent devant la Cour, mais cela n’a pas eu lieu.

[34]  En outre, en ce qui concerne ses autres problèmes de santé et la fin de son traitement, M. Radelet a fourni une déclaration qu’il a lui‑même rédigée, de manière plutôt habile d’ailleurs, concernant la prorogation qui présentait le plus d’intérêt à ses yeux, soit celle du délai pour présenter ses observations. Cela supposait également la prorogation de la période de nouvelle cotisation quant à l’année d’imposition suivant la lettre de proposition du 15 novembre 2011 citée ci‑dessus. Qui plus est, la renonciation lui a aussi procuré un succès partiel : la suppression par l’ARC des pénalités pour faute lourde dans la nouvelle cotisation établie le 12 juillet 2012. La Cour juge que ses lettres écrites à l’époque sont claires, sensées et efficaces. M. Radelet a réussi à imprimer, à remplir et à signer le formulaire et à le faire envoyer. Il a également agi, dans sa correspondance à tout le moins, d’une manière efficace, professionnelle et courtoise, comme en témoignent ses lettres et ses conversations téléphoniques. En contre‑interrogatoire, en réponse à des questions concernant le ton de ses échanges, il a laissé entendre qu’il ne faisait qu’« amadouer » Mme Anderson. Cet effort supplémentaire, s’il était stratégique et habile, n’était pas astucieux. De fait, pris ensemble, les éléments de preuve présentés à la Cour concernant la capacité mentale de M. Radelet en date du 31 janvier 2012 tendent à démontrer qu’il était tout à fait apte mentalement.

d)  M. Radelet a‑t‑il eu l’intention de renoncer à la période normale de nouvelle cotisation?

[35]  La période normale de nouvelle cotisation, selon le sous‑alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi, a expiré le 1er juin 2012. Les parties s’entendent à ce sujet. Normalement et habituellement, pour la prolonger, une renonciation est soumise à l’aide du formulaire T2029. C’est qui a été fait en l’espèce. M. Radelet admet avoir signé la renonciation. En fait, il a ajouté des renseignements essentiels et pertinents avant de la signer et de la retourner à l’ARC. Cela non plus n’est pas contesté.

[36]  Indépendamment des questions relatives à la coercition et à la capacité mentale analysées ci‑dessus, M. Radelet a affirmé qu’il ignorait qu’il renonçait à ses droits de faire valoir par la suite l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation en ce qui concerne la lettre de proposition initiale du 15 novembre 2011. Il prétend que cela n’a jamais été discuté, voulu ou expressément demandé.

[37]  Comme il est indiqué dans les observations, pour interpréter une renonciation, il convient de vérifier l’intention que les parties y ont exprimée en tenant compte des circonstances pertinentes révélées par les éléments de preuve (Ruzmmin Remtilla c. SMR, 2015 CCI 200, au paragraphe 35, citant la décision Solberg c. Canada, [1992] ACF no 709 (QL), 2 CTC 208 (CF 1re inst.), confirmée dans l’arrêt Mitchell c. Canada, 2002 CAF 407, au paragraphe 37). À son tour, l’intention doit être vérifiée du point de vue d’un observateur objectif et raisonnable (Noran West Developments Ltd. c. R., 2012 CCI 434, au paragraphe 74).

[38]  Dans la présente affaire, M. Radelet laisse entendre que le formulaire T2029, qui constitue à première vue une renonciation quant à l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, devrait être annulé, parce qu’il n’a pas compris que le document était à cet effet ou qu’il ne s’en est pas rendu compte. Les éléments de preuve qui suivent amèneraient un tiers raisonnable à tirer la conclusion opposée, à savoir que M. Radelet devait ou aurait dû savoir que le formulaire T2029 constitue une renonciation en faveur du ministre et qu’il a pour effet de prolonger son propre droit de présenter des observations avant que le ministre procède à une nouvelle cotisation.

[39]  M. Radelet a demandé les prorogations en vue de fournir des renseignements. Ce n’est pas le ministre qui lui a offert de procéder de cette manière. C’est en réponse aux demandes de M. Radelet que le ministre a exigé la renonciation (formulaire T2029). Pour ce faire, M. Radelet a inséré tous les renseignements essentiels : les renseignements le concernant, l’année d’imposition, l’objet de la nouvelle cotisation proposée et la concession accordée par le ministre, en échange de la renonciation, concernant le délai pour recevoir des observations avant l’établissement de la nouvelle cotisation. Les mots mêmes ajoutés par M. Radelet, de sa propre main, reflétaient la portée de la nouvelle cotisation proposée qui était visée par la renonciation. Ces ajouts manuscrits ont précisément été insérés pour tenir compte des discussions entre l’ARC et M. Radelet. Un observateur objectif ne pourrait s’attendre à ce que ces mots aient été insérés sans que l’auteur ne soit conscient de leur effet.

[40]  M. Radelet avait auparavant obtenu une prorogation en l’absence d’une renonciation selon le formulaire T2029. M. Radelet insiste sur le fait qu’on lui accordait simplement une prorogation. Raisonnablement, un observateur objectif demanderait alors pourquoi M. Radelet, qui avait précédemment obtenu une prorogation sans avoir signé un formulaire T2029, n’a pas cherché à savoir pourquoi ce formulaire était nécessaire à ce stade. Au lieu de cela, M. Radelet l’a méticuleusement rempli de façon à ce que la renonciation et le délai pour la nouvelle cotisation y figurent, et l’a signé. La raison logique expliquant cette nouvelle exigence est que, cette fois, le ministre voulait quelque chose en contrepartie, après s’être fait promettre que des documents seraient transmis à une date limite antérieure et n’avoir reçu aucun document. Compte tenu de ces circonstances, un observateur objectif conclurait que M. Radelet comprenait tout cela, de même que le marché qu’il a conclu avec le ministre.

[41]  Enfin, des choix et des solutions de rechange s’offraient à M. Radelet. Il avait un avocat, Me Fenton, qui était son mandataire en vertu d’une procuration valide. M. Radelet affirme qu’il n’avait reçu aucun avis juridique au moment de la signature de la renonciation. Pourtant, à l’époque, il a informé l’ARC de ne plus traiter avec son avocat. Selon toute vraisemblance, M. Radelet n’a pas consulté Me Fenton parce qu’il n’avait pas besoin de le consulter ou ne pensait pas qu’il devait le faire ou encore parce qu’il savait exactement ce que la renonciation lui permettait d’obtenir. Certes, la renonciation est rédigée en petits caractères, mais elle concerne une question fiscale relativement simple. On peut raisonnablement et objectivement conclure, compte tenu de la facilité relative, de la précision et de la minutie avec lesquelles M. Radelet a rempli le formulaire sans consulter son avocat, qu’il était au courant de son contenu, particulièrement du fait qu’elle comportait une renonciation à l’application de la période de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2008, visant à faire en sorte qu’il ait le temps de fournir des observations écrites.

[42]  Indépendamment des questions de coercition et de capacité mentale analysées séparément, M. Radelet souhaitait par ailleurs que le formulaire T2029 lui permette de renoncer à l’application de la période de nouvelle cotisation, comme il est décrit dans la renonciation.

IV. Conclusion

[43]  Pour les motifs énoncés ci‑dessus, la renonciation est exécutoire et peut être invoquée pour rejeter la thèse de M. Radelet selon laquelle la cotisation datée du 12 juillet 2012 établie relativement à son année d’imposition 2008 est devenue prescrite. Par conséquent, la partie I de l’appel a été tranchée. L’instruction sera reprise. La partie II de l’appel sera inscrite au rôle à Nanaimo, en Colombie‑Britannique, à la première occasion possible.


[44]  La Cour reporte sa décision sur la question des dépens jusqu’à la conclusion de la partie II de l’appel.

Signé à Toronto, Canada, ce 16e jour d’août 2017.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de septembre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 159

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2015‑2089(IT)G

INTITULÉ :

WILLIAM RADELET ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Nanaimo (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juin 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 août 2017

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée :

Me Paul Klippenstein

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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