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Date: 19981118

Dossier: 97-3115-IT-I

ENTRE :

GESTION CHOISY-TEK INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L’appelante en appelle des nouvelles cotisations du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) pour les années d’imposition se terminant le 30 avril 1993 et 1994 et de la cotisation du Ministre pour l’année d’imposition se terminant le 30 avril 1995.

[2] Le motif des cotisations du Ministre est que l’appelante n’a pas démontré que les sommes de 37 323 $ en 1993, 42 378 $ en 1994 et 11 951 $ en 1995 constituaient, aux fins du crédit d'impôt à l'investissement prévu aux paragraphes 127(5) et 127(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ), des sommes consacrées durant ces années à la recherche scientifique et au développement expérimental. Le paragraphe 2900(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement » ), définit ce qu'il faut entendre de « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » ( « RS & DE » ) et elles ne comprennent pas le développement d'un logiciel où il n'y a pas de progrès technologique. En conséquence, les crédits d’impôts à l’investissement réclamés en vertu du paragraphe 127(5) de la Loi, aux montants respectifs de 7 465 $, 8 476 $ et 4 183 $ ont été refusés. Le Ministre a accordé comme dépenses courantes, les dépenses de RS & DE demandées et refusées sous le paragraphe 37(1) de la Loi, pour des montants légèrement supérieurs, soit 40 515 $, 49 034 $ et 10 443 $ pour chacune des années en cause.

[3] L’avis d’appel dit ce qui suit :

Incertitude technologique :

Malgré toutes les tentatives d'expliquer aux différents vérificateurs que notre projet comportait des incertitudes technologiques, nous sommes toujours convaincus qu'il y a eu et qu'il a encore de grandes incertitudes technologiques face à ce projet.

Progrès technologique :

Nous croyons fermement qu'il y a un progrès technologique, car sans ce logiciel il n'existe rien sur le marché qui pourrait faire le travail de ce que le logiciel fait présentement. Personne n'a osé aller aussi loin dans le développement d'un tel logiciel.

L'adaptation :

Il ne s'agit pas de l'adaptation d'une pratique courante à une situation nouvelle, mais c'est seulement l'utilisation de cette plate-forme de programmation pour développer le logiciel « Mikado » . Nous aurions très bien pu utiliser une autre plate-forme pour arriver avec la même conclusion. C'est cette plate-forme qui semblait la mieux adaptée. Nous sommes donc convaincus qu'il ne s'agit pas de l'adaptation à ce projet d'une pratique courante ou situation nouvelle.

[4] Pour établir les cotisations, le Ministre s’est fondé sur les faits décrits aux paragraphes 3 et 4 de la Réponse à l’avis d’appel (la « Réponse » ). Je reproduis le paragraphe 3 i) et le paragraphe 4 :

3 i) le projet scientifique a été examiné une première fois par un conseiller scientifique, pour les années 1993 et 1994 et une deuxième fois par un autre conseiller scientifique, pour l'année 1995 et les deux sont arrivés à la même conclusion que le projet ne rencontre pas le critère de l'incertitude technologique;

...

4. Au stade de l'opposition, le projet fut présenté à un conseiller scientifique supérieur et ce dernier en est venu à la même conclusion que les deux autres scientifiques qui avaient examiné le présent dossier auparavant à l'effet que ledit projet de l'appelante ne rencontrait pas les critères d'incertitude technologique pour se qualifier comme dépenses de R & D.

[5] Monsieur Roger Lessard, administrateur et président de l’appelante et monsieur Pierre Richard Lavallée, directeur du développement chez l’appelante, ont témoigné pour l’appelante. Monsieur Roger Andria, ingénieur a témoigné pour l’intimée à titre de témoin expert.

[6] Monsieur Lessard explique que l’appelante travaille dans le domaine de la gestion d’entretien sanitaire. Aux fins d’un outil informatique pour les gestionnaires d’édifices, l'appelante a procédé au développement d'un logiciel d’entretien sanitaire dans le domaine hospitalier, scolaire et industriel. Ce logiciel contient sept ou huit modules. Ces modules identifient les différents lieux de l’édifice avec leurs matériaux et leur usage et permettent aux gestionnaires d'établir un plan de travail. L’entreprise aurait deux formes de revenus soit la vente du logiciel ou l'établissement d'un plan de travail pour les institutions à partir de son propre logiciel.

[7] Monsieur Lavallée a commencé en 1991 à travailler pour l’appelante. Au départ, l'appelante avait requis les services d'une firme spécialisée en informatique. Par la suite, il y avait quelques personnes qui travaillaient avec monsieur Lavallée au développement du logiciel. Cette équipe n’a eu qu’un programmeur à la fois.

[8] Les témoins de l'appelante s’appuient sur la circulaire d’information 86-4R3, intitulée Recherche scientifique et développement expérimental. Ils se réfèrent plus particulièrement au paragraphe 6 de ce bulletin : Activités admissibles dans les domaines de l'informatique et des technologies connexes. Ils font valoir que dans l’informatique il y a l’aspect logiciel et l’aspect matériel et que leurs activités se rapportaient à l'élaboration d'un logiciel. Ils citent les phrases suivantes au paragraphe 6.4 :

... Par contre, il y a incertitude technologique lorsque la solution n'est pas évidente pour une personne qui possède les connaissances et les techniques fréquemment utilisées dans le milieu commercial de l'entreprise. Seules les activités qui visent à dissiper des incertitudes technologiques sont admissibles.

[9] Ni monsieur Lessard ni monsieur Lavallée n'ont de formation académique dans les sciences de l'informatique. Ils ont acquis une expérience pratique. Dans les années en cause, l’appelante avait à son emploi un jeune informaticien, monsieur Sylvain Godin. Ce dernier aurait obtenu un bac en informatique de l’Université du Québec à Trois-Rivières, en 1995. Quand il a commencé à travailler avec l’entreprise, il était détenteur d'un diplôme d'études collégiales ou DEC en mai 1993. Il avait un an d’expérience de travail tout au plus. Les pièces I-3 et I-4 montrent que le jeune programmeur avait été engagé au plus tôt à la date mentionnée sur la demande de subvention, soit le 1er juin 1994.

[10] Il a été produit comme pièce I-2, une demande de subvention gouvernementale pour le salaire de monsieur Godin dont la teneur se lit comme suit :

TRAVAILLEUR : Godin, Sylvain 269 023 438

Favoriser l'intégration du jeune travailleur au marché du travail. Jeune diplômé en informatique, détenteur d'un DEC depuis mai 93 et ayant très peu d'expérience dans sa profession.

Vu récent diplômé, aucune formation remboursée à l'entreprise. Cependant, le travailleur recevra la formation aux besoins spécifiques de l'entreprise.

À la fin de l'entente, en novembre 94 le travailleur maîtrisera les différents logiciels utilisés dans l'entreprise actuellement et sera en mesure de les transformer au besoin. Sera également en mesure d'assumer le service technique à la clientèle.

...

[11] Monsieur Roger Andria est un ingénieur, conseiller scientifique à Revenu Canada. Son rapport est produit comme pièce I-8. Voici l'évaluation qu'il a faite de la recherche soumise :

ÉVALUATION

Selon la documentation ci-haut mentionnée, fournie par le client et les entretiens téléphoniques avec M. Lessard, le projet réclamé ne répond pas au critère d'incertitude technologique tel que décrit dans la circulaire d'information IC86-4R3 de Revenu Canada.

En effet les incertitudes telles que décrites par le contribuable se situent plutôt au niveau conceptuel relié à la codification des normes de travail et non à une implantation du programme informatique. Le problème relié à la versin Clipper 87 a nécessité beaucoup de travail mais aucune approche informatique impliquant une incertitude technologique n'a été prise. Le client a résolu le problème en créant des librairies pour écrans avec la version Clipper 5.2.

Pour qu'un projet soit admissible, il faut qu'il y ait une incertitude technologique telle que décrite dans le paragraphe 2.10.2 de la circulaire 86-4R3 ou du paragraphe 6.10-d de la même circulaire sur les logiciels d'application. Celle-ci doit être au niveau du développement de logiciel ou reliée à l'amélioration de matériel en informatique.

[12] Lors de son témoignage, monsieur Andria établit la distinction entre ce qui est un projet d'entreprise et un projet technologique et je le cite à la page 103 des notes sténographiques :

... il faut faire une grande différence entre ce qui est projet d'entreprise et projet technologique.

Dans un projet d'entreprise, c'est un projet dont le but est soit pour la gestion de l'entreprise ou soit commercial; à l'intérieur de ça, il peut y avoir un, zéro ou plusieurs projets technologiques et ce qu'on entend par projets technologiques, c'est l'ensemble des activités qui répondent à ces trois critères-là : l'incertitude technologique, l'avancement technologique et le contenu technique.

Et dans ce qui m'a été présenté, la documentation était beaucoup plus axée sur le produit de l'entreprise, à savoir les fonctions que le projet doit avoir, mais qu'est-ce qu'il apporte, mais non pas ce qu'il apporte au point de vue technologique, comme avancement, et comme incertitude technologique dans le dossier, dans le document, ça ...

[13] Lors de son contre-interrogatoire, les témoins lui ont cité la phrase suivante du bulletin au paragraphe 6.8 :

Les travaux consistant à améliorer ou à perfectionner l'interface usager d'un système informatique, y compris l'élaboration d'objectifs technologiques en la matière, peuvent constituer des activités de développement expérimental admissibles.

[14] À cette phrase, le témoin explique qu'il faut lire ces affirmations dans leur contexte et il se réfère à la phrase suivante :

... Elles sont admissibles lorsqu'elles sont entreprises directement à l'appui d'une activité reconnue comme étant admissible. ...

[15] Les rapports des deux autres experts mentionnés à la Réponse font état d'un travail difficile mais qui ne déborde pas la pratique professionnelle courante en informatique.

Analyse

[16] Le paragraphe 2900(1) du Règlement se lit comme suit :

Pour l'application de la présente partie ainsi que des articles 37 et 37.1 de la Loi, « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » s'entend d'une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse, c'est-à-dire :

a) la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b) la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science avec application pratique en vue;

c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent;

d) les travaux relatifs à l'ingénierie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l'analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) et servent à les appuyer directement.

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes :

e) l'étude du marché ou la promotion des ventes;

f) le contrôle de la qualité ou la mise à l'essai normale des matériaux, dispositifs, produits ou procédés;

g) la recherche dans les sciences sociales ou humaines;

h) la prospection, l'exploration ou le forage fait en vue de la découverte de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel, ou la production de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel;

i) la production commerciale d'un matériau, d'un dispositif ou d'un produit nouveau ou amélioré, ou l'utilisation commerciale d'un procédé nouveau ou amélioré;

j) les modifications de style;

k) la collecte normale de données.

[17] L’avocat de l’intimé s’est référé à la décision de notre Cour dans Sass Manufacturing Limited c. M.R.N., 88 DTC 1363, et plus particulièrement au passage suivant à la page 1371 :

La preuve est loin de démontrer l’existence d’une investigation ou recherche systématique d’ordre technologique effectuée par voie d’expérimentation ou d’analyse. À mon avis, le règlement 2900 exige que l’appelante produise des preuves convaincantes des expériences ou des analyses effectuées. Les mots « recherche systématique » impliquent l’existence d’expériences surveillées, la prise de mesures extrêmement précises et la confrontation des théories du chercheur à des preuves empiriques. La recherche scientifique doit s’entendre d’une entreprise visant à expliquer et à prédire, ainsi qu’à approfondir les connaissances relatives au domaine dont relève l’hypothèse formulée. Ce processus doit nécessairement s’accompagner d’expériences répétées pendant lesquelles on note avec soin les étapes suivies, les changements apportés et les résultats obtenus. En l’espèce, on n’a pas prouvé qu’un tel processus a été observé, que ce soit dans le contexte de la recherche appliquée ou dans celui de la mise au point. Je ne saurais faire droit à l’appel relativement à cette question.

[18] Il faut faire la démonstration ainsi que l'entend l’article 2900 du Règlement, qu’il y a une investigation ou recherche systématique d’ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d’expérimentation ou d’analyse.

[19] Les différents experts sont d'accord pour trouver qu'il s'agit de personnes qui ont beaucoup d'habileté dans le monde de l'informatique. Mais dans ce champ spécialisé, ce n'est pas parce que l'on réussit à surmonter des difficultés que l'on a fait une découverte technologique. Je trouve bien exprimé par monsieur Andria l'importance de distinguer entre le projet d'entreprise et le projet en recherche scientifique et en développement expérimental. Il s'agit ici d'un projet d'entreprise. Il me faut dire aussi que l'absence de témoignages d'experts du côté de l'appelante ne peut que faire douter de l'avancement technologique apporté par le développement du logiciel en cause. Les personnes occupées à développer le logiciel n'étaient pas des diplômés des sciences de l'informatique à l'exception du jeune diplômé et dans ce dernier cas, cette personne n'avait pas encore obtenu un premier diplôme universitaire et avait très peu d'expérience de travail.

[20] L'appelante n'a pas établi selon la prépondérance de la preuve que le développement de son logiciel constituait une activité de recherche scientifique et de développement expérimental au sens du paragraphe 2900(1) des Règles. En conséquence, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de novembre, 1998.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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