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Date: 20010810

Dossiers: 2000-1748-IT-I, 2000-2109-IT-I

ENTRE :

BERNARD GAGNÉ, LUCIE TRUDEL,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

P.R. Dussault, J.C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus sur preuve commune selon la procédure informelle de cette cour.

[2]            Monsieur Bernard Gagné en appelle d'une détermination de prestations fiscales à l'égard de son fils, Félix-Léonard, pour les années de base 1996, 1997 et 1998. En effectuant cette détermination, le ministre du Revenu national (le " Ministre ") a révisé le montant des prestations et l'a établi à zéro.

[3]            Monsieur Gagné en appelle également de cotisations par lesquelles le Ministre a refusé de lui accorder le crédit d'impôt équivalent pour personne entièrement à charge à l'égard de son fils Félix-Léonard pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998.

[4]            Madame Lucie Trudel en appelle d'une détermination de prestations fiscales à l'égard de ses fils David et Samuel pour les années de base 1996, 1997 et 1998. En effectuant cette détermination, le Ministre a révisé le montant des prestations et l'a établi à zéro.

[5]            Madame Trudel en appelle aussi de cotisations pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 par lesquelles le Ministre lui a refusé le crédit d'impôt équivalent pour personne entièrement à charge.

[6]            Madame Trudel en appelle finalement de deux déterminations selon lesquelles le Ministre a établi qu'elle n'était pas admissible aux versements des crédits pour la taxe sur les produits et services (" TPS ") à l'égard des années d'imposition 1996 et 1997.

[7]            En effectuant ces déterminations et en établissant ces cotisations, le Ministre a tenu pour acquis que monsieur Gagné et madame Trudel vivaient en union de fait au cours des années 1996, 1997 et 1998. Par conséquent, la prise en compte du revenu familial net rend les deux appelants inadmissibles aux prestations fiscales pour enfants et rend madame Lucie Trudel inadmissible aux versements de crédits pour TPS. Le refus du Ministre d'accorder le crédit d'impôt équivalent pour personne entièrement à charge à l'égard de chacun des appelants est fondé sur le fait que chacun vivait avec un conjoint de fait au cours des années en litige.

[8]            En ce qui concerne madame Lucie Trudel, les faits tenus pour acquis par le Ministre, aux fins des cotisations et déterminations, sont relatés aux alinéas 12a) à e) de la Réponse à l'avis d'appel. Ces alinéas se lisent comme suit :

12.            Pour établir et maintenir les avis de nouvelle cotisation, les avis de prestations fiscales pour enfants, et les avis de nouvelle détermination, le ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a)              l'appelante et monsieur Bernard Gagné habitaient la même résidence au 1088, rue de Corbon à Boucherville, pendant les années en litige et continuent d'habiter la même résidence;

b)             la résidence de Boucherville ne comporte pas deux unités habitables distinctes;

c)              suite à une vérification du ministre, les renseignements suivants furent colligés :

i)               l'appellante et monsieur Bernard Gagné ont admis avoir déjà vécu comme conjoints de fait et madame habite la résidence du 1088, rue de Corbon à Boucherville depuis le mois de juillet 1992,

ii)              lorsque monsieur Bernard Gagné a travaillé à Sainte-Foy (du mois d'octobre 1992 au mois d'avril 1994), il a conservé son adresse postale rue de Corbon à Boucherville,

iii)             l'appelante, devant l'honorable juge Denis Durocher, J.C.S., en 1993, admettait qu'elle fréquentait un ami avec qui elle comptait vivre à Québec,

iv)            monsieur Bernard Gagné, en avril 1994, est revenu demeurer au 1088, rue de Corbon à Boucherville,

v)             malgré la prétention de monsieur Bernard Gagné alléguant que sa relation avec l'appelante ait été rompue, il accepte, depuis le mois d'avril 1994 jusqu'à ce jour, de vivre dans la même résidence avec ses enfants et ceux de l'appelante,

vi)            l'appelante accepte de vivre avec ses enfants dans la résidence de Boucherville, malgré le fait que le fils de monsieur Bernard Gagné ait présenté des problèmes de comportement,

vii)           il existait un partage de responsabilités financières pendant les années en litige,

viii)          il y a eu partage des biens et des ressources pendant les années en litige;

d)             l'appelante, d'une union avec monsieur Tony Bergamo, a eu trois enfants;

e)              le ministre considéra que l'appelante et monsieur Bernard Gagné ont vécu en union de fait pendant les années d'imposition 1996, 1997 et 1998, ce qui entraîna les changements suivants :

i)               refus d'accorder à l'appelante le crédit d'impôt de l'équivalent de personne mariée, pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998,

ii)              dans le calcul des prestations fiscales pour enfants, pour les années de base 1996, 1997 et 1998, la prise en compte du revenu net familial a réduit à néant la somme annuelle de la prestation fiscale pour enfants :

                                1996                        1997                        1998

appelante                38 078                      29 033                      41 691

Bernard Gagné       45 877                      52 258                      53 926

                                83 955                      81 291                      95 617

iii)             pour les années d'imposition 1996 et 1997, la prise en compte du revenu net familial a fait en sorte que l'appelante n'est pas admissible aux versements du crédit pour la TPS.

[9]            En ce qui concerne monsieur Bernard Gagné, les faits tenus pour acquis par le Ministre, aux fins des cotisations et déterminations, sont relatés aux alinéas 8a) à e) de la Réponse à l'avis d'appel. Ils sont essentiellement les mêmes que ceux que l'on retrouve aux alinéas 12a) à e) de la Réponse à l'avis d'appel de madame Lucie Trudel, sous réserve des deux modifications suivantes :

                1)              l'alinéa 8d) se lit comme suit :

                l'appelant, d'une union avec madame Sylvie Vachon, a eu deux enfants, dont un garçon prénommé Félix-Léonard qui est né en 1982;

2)              il n'y a pas de sous-alinéa équivalent à celui que l'on retrouve au sous-alinéa 12e)iii) dans la Réponse à l'avis d'appel de madame Trudel.

[10]          Les sous-alinéas c)i) et c)v) à c)viii) sont niés par les appelants.

[11]          Madame Trudel et monsieur Gagné ont tous deux témoigné. Madame Louise Girard a témoigné pour l'intimée.

[12]          Madame Trudel a d'abord relaté les circonstances de sa rencontre avec monsieur Gagné. En 1988, madame Trudel s'était séparée de fait de son conjoint et avait conservé la garde de ses trois enfants. En 1989, un des enfants de madame Trudel était atteint de leucémie et celle-ci avait fréquemment recours à une gardienne disponible jour et nuit de façon à pouvoir s'occuper de son enfant malade. Or, monsieur Gagné, qui était célibataire, avait lui-même deux enfants qu'il faisait garder par la même personne. C'est alors que les appelants firent connaissance et se lièrent d'amitié sans qu'il soit toutefois question de fréquentation. À cette époque, le fils de madame Trudel était hospitalisé et celle-ci a du s'absenter de son travail pour une période de deux ans. Les enfants des deux appelants se voyaient fréquemment et madame Trudel a affirmé qu'elle et monsieur Gagné ont également commencé à se fréquenter puisqu'il lui manifestait beaucoup d'amitié et de tendresse. Elle a affirmé avoir alors confondu amour et amitié. Ainsi, au moment de prendre position quant au renouvellement de son bail, elle a accepté la proposition de monsieur Gagné d'aller habiter chez lui. Elle déménagea le 26 juin 1992 pour faire vie commune avec monsieur Gagné.

[13]          Madame Trudel a dit avoir compris que ce qu'elle croyait être de l'amour ne l'était pas en réalité. Elle a alors réalisé qu'il y avait d'importantes différences dans leur mode de vie, notamment à cause de ses nombreuses visites à l'hôpital. Les horaires des repas et la discipline familiale étaient également différents. De plus, tout en reconnaissant que monsieur Gagné avait de nombreuses qualités, elle a néanmoins fait état de son instabilité au niveau du travail, ce qu'elle trouvait inacceptable.

[14]          Effectivement, peu après, monsieur Gagné s'est retrouvé au chômage et a dû se chercher un emploi à l'extérieur de Boucherville. En octobre 1992, il a accepté un emploi à Ste-Foy près de Québec et a quitté la maison pour occuper ses nouvelles fonctions. Pour madame Trudel, il n'était pas évident de quitter Boucherville à cause du suivi médical de son fils à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont et aussi parce que celui-ci avait besoin d'un enseignement à domicile. Le fait que la gardienne résidait à proximité était également un élément important. Bien qu'il semble qu'elle ait pensé suivre monsieur Gagné à Québec, madame Trudel, qui connaissait alors certaines difficultés avec son ex-conjoint, a dit avoir choisi la stabilité et la sécurité. Ainsi, elle a décidé de continuer à résider à Boucherville avec ses enfants dans la maison de monsieur Gagné où elle occupait dorénavant seule la chambre des maîtres. Monsieur Gagné avait toutefois mis la maison en vente et y revenait " de temps en temps ". Madame Trudel a dit qu'elle était là pour les visites d'acheteurs potentiels et qu'elle payait alors un loyer.

[15]          En avril 1994, monsieur Gagné a de nouveau perdu son emploi et est revenu vivre dans sa maison à Boucherville. Madame Trudel a mentionné que la fille de monsieur Gagné a alors décidé d'aller habiter chez sa mère, libérant ainsi une chambre dans la maison. On ne sait pas précisément qui a occupé cette chambre à compter de ce moment. À la suite de discussions avec monsieur Gagné, madame Trudel a décidé de continuer à vivre dans la maison. Elle se considérait chez elle puisqu'elle payait un loyer et sa part des dépenses de la maison, comme celles qui se rapportaient à l'électricité et à la câblodistribution, par exemple. Pour le reste, elle a affirmé s'être occupée de ses propres enfants, ne pas avoir partagé les autres dépenses avec monsieur Gagné et ne pas avoir profité d'avantages financiers qu'il aurait pu lui procurer. Somme toute, selon madame Trudel, le partage existait quant aux dépenses de la maison, chacun étant autonome pour le reste, comme pour les automobiles par exemple. Madame Trudel a dit qu'elle s'occupait également de faire l'épicerie pour elle et ses enfants et qu'elle tenait une comptabilité mensuelle concernant les repas pris par monsieur Gagné et ses propres enfants, de façon à ce que chacun paie sa part des dépenses alimentaires.

[16]          Madame Trudel a aussi fait état d'une entente signée avec monsieur Gagné concernant la location de la résidence après son retour à Boucherville en 1994. Une entente, qui aurait été signée le 3 janvier 1995, est effectivement jointe à son avis d'appel. Elle prévoyait que " le montant de location à payer sera de 50 % soit la moitié du versement hypothécaire et variera si celui-ci change au cours des années ". L'entente prévoit également un préavis de 90 jours dans le cas de la vente de la maison ainsi que le droit pour la famille Trudel de continuer d'habiter la maison aux mêmes conditions durant une période d'un an, advenant le décès de monsieur Gagné.

[17]          Madame Trudel a aussi affirmé que le loyer qu'elle payait aujourd'hui était moins élevé que celui qu'elle avait déjà payé, puisque les versements hypothécaires avaient diminué et que monsieur Gagné avait accepté qu'elle paie effectivement un loyer moindre, vu ses ressources limitées. Par ailleurs, monsieur Gagné a admis n'avoir jamais déclaré de loyer dans sa déclaration de revenu.

[18]          Les appelants partageaient les dépenses se rapportant aux services d'une femme de ménage, à l'électricité, au téléphone et à la câblodistribution. L'ameublement provenait de ce que chacun possédait avant qu'ils n'aménagent ensemble en 1992. Les appelants reconnaissent également avoir acheté ensemble une laveuse et une sécheuse puisque chacun s'en servait. Madame Trudel avait vendu les siennes et celles de monsieur Gagné devaient être remplacées.

[19]          Tant madame Trudel que monsieur Gagné ont soutenu être autonome et ne pas avoir de conjoint. Ils ont décrit leur situation comme étant celle de colocataires prenant chacun à sa charge ses dépenses personnelles quant à sa famille respective. Madame Trudel a affirmé ne pas avoir de relation particulière avec quiconque. Monsieur Gagné a affirmé avoir des amis des deux sexes. Aucune relation spéciale n'a été mentionnée. Toutefois, les appelants ont admis avoir fait, à l'occasion, des sorties ensemble même s'ils ont affirmé en faire également avec d'autres. Selon leur témoignage, ils auraient fait un certain nombre de voyages avec leurs enfants respectifs mais plutôt rarement ensemble. Un voyage fait par les deux familles, en Gaspésie, a été mentionné. Madame Trudel a aussi mentionné un autre voyage qu'elle a fait seule avec monsieur Gagné à Détroit, San Francisco, Vancouver et Banff. Son billet d'avion aurait été payé grâce aux points accumulés par monsieur Gagné qui voyageait beaucoup. Par ailleurs, elle aurait acquitté sa part des dépenses de ce voyage. Madame Trudel a aussi mentionné qu'ils auraient pu passer une fin de semaine ensemble, à l'occasion, au chalet des parents de monsieur Gagné, par exemple. À la question de savoir s'ils avaient eu des relations sexuelles ensemble, les appelants ont d'abord préféré ne pas répondre à cette question. Par la suite, madame Trudel s'est ravisée et a admis qu'ils en avaient eues, mais en de rares occasions seulement. Selon elle, cela serait survenu environ une fois par année, après un repas d'anniversaire, par exemple.

[20]          Après l'audition, les appelants ont, avec le consentement de l'avocate de l'intimée, fait parvenir à la Cour des livrets et relevés bancaires, des registres bancaires personnels ainsi que des factures d'épicerie. Plusieurs de ces documents se rapportent à des années autres que les années en litige. Toutefois, dans un registre bancaire personnel portant la mention " Lucie Trudel - nov. 95 @ juillet 96 " et qui semble couvrir en réalité la période de novembre 1995 à juillet 1997, on peut constater l'inscription de paiements réguliers aux deux semaines, tantôt à monsieur Gagné directement, tantôt à la banque CIBC comme versement hypothécaire. Ces documents démontrent, par exemple, que madame Trudel a fait des paiements de 254 $ à toutes les deux semaines jusqu'en février 1997 et de 226,93 $ par la suite. Les paiements sont ensuite descendus à 208,56 $, puis sont finalement montés à 222,33 $ en 2000 et 2001. Bien que l'on constate que chacun des appelants avait son propre compte de banque, on ne peut manquer de remarquer que monsieur Gagné semble avoir acquitté lui-même de nombreuses dépenses, dont certaines pour madame Trudel personnellement, que celle-ci lui remboursait ensuite par chèque[1]. J'ajouterai simplement ici que de tels arrangements financiers semblent aller bien au-delà du simple paiement d'un loyer et du partage des dépenses de la maison comme le feraient des colocataires.

[21]          Quant aux factures de nourriture, il s'agit de factures courantes et non de factures se rapportant aux années en litige. Elles sont simplement accumulées dans une enveloppe sur laquelle est indiqué le nombre de repas pris chaque jour par l'un et l'autre des appelants et par leurs enfants. Lors de son témoignage, madame Trudel a expliqué que chacun contribuait ainsi au budget alimentaire en fonction de ce calcul un peu sommaire de la consommation respective.

[22]          Madame Louise Girard, chef d'équipe (prestation fiscale pour enfants) à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, a témoigné pour l'intimée. Les notes au dossier font état de ses conversations avec madame Trudel et avec monsieur Gagné. Elles confirment la relation initiale entre les appelants, le départ de monsieur Gagné en 1992, son retour en 1994, la cohabitation et l'utilisation commune des espaces de la maison par les deux familles. Madame Trudel aurait cependant déclaré que monsieur Gagné dormait dans ce qu'elle aurait désigné comme étant son bureau, ce qui n'a pas été mentionné lors de l'audition. Madame Trudel a aussi révélé à madame Girard qu'elle payait un loyer à monsieur Gagné et qu'elle acquittait la moitié des dépenses d'électricité, de téléphone et de câblodistribution. Il en était de même pour les services d'une femme de ménage, rendus à toutes les deux semaines. Elle a également mentionné l'achat en commun de la laveuse et de la sécheuse. Madame Trudel aurait affirmé que c'était habituellement elle qui s'occupait de faire l'épicerie. Les repas n'étaient pas nécessairement pris ensemble. Toutefois, si monsieur Gagné et ses enfants étaient présents à l'heure d'un repas, tous mangeaient ensemble et les frais étaient partagés. Des sorties occasionnelles au restaurant ou au cinéma avec ou sans les enfants ont aussi été mentionnées.

[23]          Quant au retour de monsieur Gagné en 1994 et à sa relation subséquente, madame Trudel aurait déclaré qu'elle avait fait sa place dans la maison durant ces années et que les enfants acceptaient mieux la situation depuis qu'elle et monsieur Gagné ne vivaient plus en relation conjugale. Madame Trudel aurait aussi mentionné qu'elle n'avait pas " d'ami de coeur " et qu'elle ne savait pas ce qui en était en ce qui concerne monsieur Gagné.

[24]          Quant à monsieur Gagné, il aurait déclaré être demeuré chez ses parents à Longueuil, de novembre 1997 à juin 1998, alors que son fils fréquentait une école dans cette ville. Il aurait expliqué qu'il revenait à Boucherville le week-end ou qu'il allait chez ses parents dans le nord de Montréal. Il n'aurait cependant fourni aucune preuve à l'appui de ces affirmations. Lors de l'audition, ce fait a été évoqué, mais aucune date précise ni aucune explication détaillée n'a été fournie à cet égard.

[25]          Madame Girard a conclu que les appelants, qui cohabitaient, vivaient en union conjugale parce qu'il y avait un partage des responsabilités financières ainsi qu'un partage des biens et des ressources.

Analyse

[26]          Le paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu[2](abrogé par L.C. 2000, chap. 12, par. 141(2), applicable aux années d'imposition 2001 et suivantes) définissait le terme " conjoint " dans les termes suivants pour les années en litige :

252(4) Dans la présente loi :

a) les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa (1)e) ou du sous-alinéa (2)a)(iii); pour l'application du présent alinéa, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble en union conjugale sont réputées vivre ainsi à un moment donné après ce moment, sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur union, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné; [...]

[27]          La notion de conjoint de fait découle donc, selon cette définition, de celle d'" union conjugale ", laquelle fut examinée par la juge Lamarre Proulx dans l'affaire Milot v. R., [1996] 1 C.T.C. 2247; version originale française [1995] A.C.I. no 412 (QL). Se référant à l'analyse des auteurs Knoppers, Bernard et Shelton, Les personnes et les familles, Tome 2, Les éditions Adage, la juge Lamarre Proulx affirme, au par. 11, que " la cohabitation est fondamentale à l'union de fait ainsi que le comportement conjugal. Ce comportement se constate par les relations sexuelles, l'échange affectif et intellectuel, le soutien financier et la notoriété ". Sur cette question, la juge se réfère plus particulièrement, au par. 12, à l'analyse des auteurs Payne et Payne, Introduction to Canadian Family Law, Carswell, 1994, lesquels reprennent les sept facteurs énoncés par la Cour de district de l'Ontario dans l'affaire Moldowich v. Penttinen, (1980) 17 R.F.L. (3d) 376. Ces mêmes facteurs ont été repris dans l'affaire Lavoie v. Canada, [2000] 2 C.T.C. 2137; version originale française [1999] A.C.I. no 688 (QL).

[28]          Aux pages 38 et 39 de leur analyse, les auteurs Payne et Payne énoncent ces facteurs de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Ce ne sont pas toutes les situations dans lesquelles un homme et une femme vivent ensemble et ont des rapports sexuels qui feront naître, aux termes de la loi, des droits et des obligations alimentaires.28 Comme l'a fait remarquer le juge Morrison de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse :

Not all arrangements whereby a man and a woman live together and en­gage in sexual activity will suffice to trigger statutory support rights and obligations.28 As was observed by Morrison J.A., of the Nova Scotia Court of Appeal :

Je crois qu'il est exact de dire que, pour qu'il y ait union de fait, il doit exister des relations stables qui comportent non seulement des rapports sexuels, mais aussi l'engagement des intéressés l'un envers l'autre. Il faudrait normalement qu'ils vi­vent sous le même toit, qu'ils se partagent les tâches et les res­ponsabilités du ménage et qu'ils se soutiennent financièrement.29

I think it would be fair to say that to establish a common law relationship there must be some sort of stable relationship which involves not only sexual activity but a commitment between the parties. It would normally ne­cessitate living under the same roof with shared household du­ties and responsibilities as well as financial support.29

On trouve dans un jugement de la Cour de district de l'Ontario30 un énoncé plus précis de ce qui consti­tue de la cohabitation ou des rela­tions conjugales ou assimilables au mariage. Le juge Kurisko de la Cour de district y dresse en effet la liste suivante des points pertinents :

More specific judicial guidance as to what constitutes cohabitation or a conjugal or marriage-like relation­ship is found in a judgment of the Ontario30 District Court, wherein Kurisko D.C.J. identified the fol­lowing issues as relevant:

1.              Logement

a)              Les intéressés vivaient-ils sous le même toit?

b)             Couchaient-ils dans le même lit?

c)              Y avait-il quelqu'un d'autre qui habitait chez eux?

1.              Shelter

(a)            Did the parties live under the same roof?

(b)            What were the sleeping arrangements?

(c)            Did anyone else occupy or share the available ac­commodation?

2.              Comportement sexuel et personnel

a)              Les intéressés avaient-ils des rapports sexuels? Si non, pourquoi?

b)             Étaient-ils fidèles l'un à l'autre?

c)              Quels étaient leurs sen­timents l'un pour l'au­tre?

d)             Existait-il une bonne communication entre eux sur le plan person­nel?

e)              Prenaient-ils leurs repas ensemble?

f)              Que faisaient-ils pour s'entraider face aux problèmes ou à la mala­die?

g)             S'offraient-ils des ca­deaux à des occasions spéciales?

2.              Sexual and Personal Behav­iour:

(a)            Did the parties have sex­ual relations? If not, why not?

(b)            Did they maintain an at­titude of fidelity to each other?

(c)            What were their feelings toward each other?

(d)            Did they communicate on a personal level?

(e)            Did they eat their meals together?

(f)             What, if anything, did they do to assist each other with problems or during illness?

(g)            Did they buy gifts for each other on special oc­casions?

3.              Services

Comment les intéressés agis­saient-ils habituellement en ce qui concerne :

a)              la préparation des repas;

b)             le lavage et le raccom­modage des vêtements;

c)              les courses;

d)             l'entretien du foyer;

e)              les autres services mé­nagers?

3.              Services:

What was the conduct and habit of the parties in relation to:

(a)            preparation of meals;

(b)            washing and mending clothes;

(c)            shopping;

(d)            household maintenance; and

(e)            any other domestic serv­ices?

4.              Relations sociales

a)              Les intéressés partici­paient-ils ensemble ou séparément aux activités du quartier et de la col­lectivité?

b)             Quelle était la nature des rapports de chacun d'eux avec les membres de la famille de l'autre et comment agissaient-ils envers ces derniers, et inversement, quel était le comportement de ces familles envers les intéressés?

4.              Social:

(a)            Did they participate to­gether or separately in neighbourhood and com­munity activities?

(b)            What was the relationship and conduct of each of them toward members of their respective families and how did such families behave towards the par­ties?

5.              Attitude de la société

Quelle attitude et quel com­portement la collectivité avait-elle envers les intéres­sés, considérés individuel­lement et en tant que cou­ple?

5.              Societal:

What was the attitude and conduct of the community to­ward each of them and as a couple?

6.              Soutien (économique)

a)              Quelles dispositions fi­nancières les intéressés prenaient-ils pour ce qui était de fournir les cho­ses nécessaires à la vie (vivres, vêtements, lo­gement, récréation, etc.) ou de contribuer à les fournir?

b)             Quelles dispositions prenaient-ils relative­ment à l'acquisition et à la propriété de biens?

c)              Existait-il entre eux des arrangements financiers particuliers que tous deux tenaient pour dé­terminants quant à la nature de leurs relations globales?

6.              Support (economic):

a)              What were the financial arrangements between the parties regarding the pro­vision of or contribution toward the necessities of life (food, clothing, shel­ter, recreation, etc.)?

b)             What were the arrange­ments concerning the ac­quisition and ownership of property?

c)              Was there any special fi­nancial arrangement be­tween them which both agreed would be determi­nant of their overall rela­tionship?

7.              Enfants

Quelle attitude et quel com­portement les intéressés avaient-ils à l'égard des en­fants?

7.              Children:

What was the attitude and conduct of the parties con­cerning the children?

Comme l'a dit en outre le juge Kurisko, la mesure dans laquelle il sera tenu compte de chacun des sept élé­ments énumérés ci-dessus sera néces­sairement fonction des circonstances de chaque cas.

As Kurisko D.C.J. further observed, the extent to which each of the aforementioned seven different com­ponents will be taken into account must vary with the circumstances of each particular case.

__________

28              Voir Jansen v. Montgomery (1982), 30 R.F.L. (2d) 332 (C. cté N.-É.).

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28              See Jansen v. Montgomery (1982), 30 R.F.L. (2d) 332 (N.S.Co. Ct.).

29              Soper v. Soper (1985), 67 N.S.R. (2d) 49, à la p. 53 (C.A.).

29              Soper v. Soper (1985), 67 N.S.R. (2d) 49, at 53 (C.A.).

30              Molodowich v. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (3d) 376, aux pp. 381 et 382 (C. dist. Ont.). Voir aussi Gostlin v. Kergin (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 264, aux pp. 267 et 268 (C.A.).

30              Molodowich v. Penttinen (1980), 17 R.F.L. (3d) 376, at 381-382 (Ont. Dist. Ct.). See also Gostlin v. Kergin (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 264, at 267-268 (C.A.).

[29]          Dans l'affaire M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a endossé les facteurs énoncés dans l'affaire Moldowich, spécifiant aux pp. 50-51 que " ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et que tous ne sont pas nécessaires pour que l'union soit tenue pour conjugale ". À la page 51, la Cour ajoute ce qui suit :

                                Un couple de sexe différent peut certainement, après de nombreuses années de vie commune, être considéré comme formant une union conjugale, même sans enfants ni relations sexuelles. Évidemment, le poids à accorder aux divers éléments ou facteurs qui doivent être pris en considération pour déterminer si un couple de sexe différent forme une union conjugale variera grandement, presque à l'infini.

[30]          Dans la présente affaire, les appelants ont admis avoir déjà vécu en union conjugale en 1992. Après une absence d'environ un an et demi, monsieur Gagné est revenu vivre avec madame Trudel dans sa maison de Boucherville où ils ont cohabité avec leurs enfants respectifs au cours des années en litige, sauf pour ce qui est de la fille de monsieur Gagné qui serait allée vivre chez sa mère. Les appelants prétendent que leur relation a changé à compter de ce moment et qu'ils ne vivaient plus en union conjugale. Selon eux, chacun est autonome et madame Trudel n'est qu'une locataire alors que monsieur Gagné est le propriétaire. La preuve révèle une organisation de la vie commune de deux familles qui va bien au-delà de ce que chacun affirme. D'abord, les appelants partageaient les dépenses de la maison, chacun pour moitié, bien qu'ils aient fait valoir qu'il ne s'agissait que d'une entente concernant un loyer que madame Trudel s'engageait à verser. En réalité, madame Trudel payait la moitié des versements hypothécaires et monsieur Gagné a effectivement accepté qu'elle paie un montant moindre, dans la mesure où les versements avaient diminué, à cause de la réduction des intérêts. Selon madame Trudel, il aurait accepté cet arrangement parce qu'elle avait des ressources limitées. Les espaces étaient utilisés par les deux familles et l'ameublement provenait de ce que chacun possédait avant la cohabitation. Les appelants ont également acheté ensemble des appareils électroménagers, soit une laveuse et une sécheuse. Il s'agit certes là d'un partage des ressources et d'un certain soutien financier de la part de monsieur Gagné quant au montant de " loyer " qu'il exigeait de madame Trudel.

[31]          Pour ce qui est de la nourriture, c'est madame Trudel qui faisait l'épicerie et préparait les repas, d'abord pour elle et sa famille. Toutefois, monsieur Gagné et ses enfants prenaient leurs repas en même temps lorsqu'ils étaient présents. Monsieur Gagné remboursait madame Trudel au prorata de sa consommation. Encore ici, il s'agit d'une mise en commun avec partage des frais.

[32]          Les relevés bancaires personnels font également état de nombreux remboursements faits par madame Trudel à monsieur Gagné, soit pour des dépenses qu'il aurait engagées pour elle et ses enfants, soit pour payer sa partie de certaines dépenses. Dans une famille reconstituée dans laquelle chacun s'amène avec sa propre progéniture, il ne m'apparaît pas anormal que l'on partage pour moitié ou au prorata les dépenses reliées à l'habitation et à la nourriture et que chacun des parents demeure responsable, au premier titre, des autres dépenses propres à lui-même ou à ses enfants. Pour que l'on considère des personnes comme vivant en union conjugale, il n'est pas nécessaire qu'il y ait partage absolu et égal à tous égards.

[33]          Si l'on tient compte de la cohabitation, de l'utilisation des espaces et des meubles par les deux familles, de l'achat conjoint de certains appareils électroménagers, de la prise de certains repas ensemble, du partage des frais de logement et de nourriture, de l'échange de services et de l'organisation financière au niveau des achats (madame Trudel acquittait les dépenses d'épicerie et se faisait rembourser et monsieur Gagné faisait de même en ce qui a trait à d'autres dépenses communes ou à des dépenses personnelles de madame Trudel et de ses enfants), il n'est pas possible de conclure que chaque famille fonctionnait de façon individuelle et autonome comme l'a affirmé madame Trudel.

[34]          Si on ajoute à cela les voyages, les fins de semaines et les sorties au cinéma et au restaurant ensemble, ne serait-ce que sur une base occasionnelle, il devient encore plus difficile de conclure que les appelants ne vivaient pas en union conjugale. Et, puisqu'il faut le mentionner, le fait qu'ils aient continué d'avoir des relations sexuelles, même si ce n'était que très rarement au cours des années en litige, n'appuie certainement pas cette conclusion. La durée de la relation est également un élément à mentionner.

[35]          Certes, il est difficile de préciser, dans le cas présent, la véritable nature des relations qu'entretenaient ensemble les deux appelants. Toutefois, j'estime qu'ils n'ont pas apporté une preuve suffisante pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités et à la lumière des facteurs retenus jusqu'ici par les tribunaux, qu'ils ne vivaient pas en union conjugale au cours des années en litige. Partant, ils doivent être considérés comme conjoints au cours des années d'imposition et des années de base 1996, 1997 et 1998.

[36]          En conséquence, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'août 2001.

" P. R. Dussault "

J.C.C.I.

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :                   2000-1748(IT)I

                                                                                                2000-2109(IT)I

INTITULÉS DES CAUSES :                                                BERNARD GAGNÉ,

LUCIE TRUDEL et

                                                                                                Sa Majesté La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 26 avril 2001

                                                                                               

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                                         l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :                                                      le 10 août 2001

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :                                                              Les appelants eux-mêmes

Pour l'intimée :                                                                       Me Annick Provencher

AVOCAT INSCRIT AUX DOSSIERS :

Pour l'intimée :                                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada.

2000-1748(IT)I

ENTRE :

BERNARD GAGNÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Lucie Trudel (2000-2109(IT)I)

le 26 avril 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Pour l'appelant :                                  L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                          Me Annick Provencher                        

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont rejetés.

L'appel d'une détermination de prestation fiscale pour enfant à l'égard des années de base 1996, 1997 et 1998 est rejeté.

Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'août 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.


2000-2109(IT)I

ENTRE :

LUCIE TRUDEL,

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Bernard Gagné (2000-1748(IT)I)

le 26 avril 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Pour l'appelante :                                L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :                          Me Annick Provencher                        

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont rejetés.

L'appel d'une détermination de prestation fiscale pour enfant à l'égard des années de base 1996, 1997 et 1998 est rejeté.

Les appels de déterminations concernant les versements de crédits pour la taxe sur les produits et services (" TPS ") à l'égard des années d'imposition 1996 et 1997 sont rejetés.

Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'août 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.




[1] Dans le registre bancaire personnel intitulé Lucie Trudel — nov. 95 @ juillet 96, qui semble plutôt couvrir, comme il a été mentionné, la période de novembre 1995 à juillet 1997, on retrouve de nombreux exemples, dont les suivants : 16 février 96 (chèque #026) 455,32 $, 15 mars 96 (chèque #35) 1 001,00 $, 23 mars 96 (chèque #43) 445,36 $, 28 avril 96 (chèque #61) 728,80 $, 3 juin 96 (chèque #79) 491,07 $, 10 septembre 96 (chèque #131) 251,89 $, 17 octobre 96 (chèque #135) 852,98 $, 7 décembre 96 (chèque #153) 593,60 $, 29 décembre 96 (chèque #161) 829,21 $, 23 janvier 97 (chèque #167) 294,00 $, 22 janvier 97 (chèque #176) 102,49 $. On retrouve également de nombreux exemples de cette façon de procéder dans le registre bancaire personnel " Lucie Trudel — juillet 98 — avril 2001 ", bien que celui-ci se rapporte en grande partie à des années qui ne sont pas ici en litige.

[2] L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée [ci-après la Loi].

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