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Date: 20011010

Dossier: 96-3504-GST-G

ENTRE :

DAVID WILLIAM MOSIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Le présent appel s'applique à une cotisation établie en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise contre l'appelant à titre d'administrateur de T.R.S. Food Service Limited ( « TRS » ). En vertu du paragraphe 323(1) de la Loi, l'administrateur d'une société est responsable de la taxe nette sur les produits et services que la société a omis de payer.

[2]            Le paragraphe 323(3), qui permet à l'administrateur de recourir à une défense fondée sur la diligence raisonnable, se lit comme suit :

                L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[3]            Les trois administrateurs de TRS ont demandé à l'appelant de prendre en charge l'exploitation de la société, qui était aux prises avec des difficultés financières importantes. Du 1er août 1992 au 30 avril 1993, TRS n'a pas payé toute sa TPS exigible. La cotisation de l'appelant, qui était administrateur pendant cette période, a été établie à 594 715,16 $. L'intimée admet maintenant que, même si l'appelant est responsable en vertu de l'article 323, ce montant devrait être réduit de 59 120,79 $, plus les intérêts et les pénalités associés à ce montant.

[4]            Le présent appel soulève les questions suivantes.

1.              L'article 323 impose-t-il une responsabilité aux administrateurs de fait, par opposition aux administrateurs de droit?

2.              L'appelant était-il administrateur de fait pendant la période en question? Il est admis qu'il n'était pas administrateur de droit.

3.              S'il était administrateur de fait, a-t-il répondu au critère de diligence raisonnable établi au paragraphe 323(3)?

4.              Quoiqu'il en soit, si l'appelant était administrateur, la cotisation (qui a été établie le 18 septembre 1995) n'a-t-elle pas été établie plus de deux ans après la fin de son mandat?

[5]            Pour des raisons que j'expliquerai ci-dessous, j'en suis arrivé aux conclusions suivantes :

(a)            L'article 323 s'applique en effet aux administrateurs de fait.

(b)            L'appelant n'a jamais été administrateur de fait à TRS.

(c)            De toute façon, il a répondu au critère de diligence raisonnable du paragraphe 323(3).

(d)            Même si ses activités à TRS faisaient de lui un administrateur, son mandat a pris fin plus de deux ans avant le 18 septembre 1995.

[6]            Les faits sont plutôt complexes et, dans certains cas, contradictoires. De nombreuses preuves documentaires ont été présentées, et cinq personnes ont été appelées à témoigner. Une longue récitation des faits est inutile. Le résumé des points saillants suffira.

[7]            L'exploitation de TRS (qui est maintenant en faillite) a commencé en 1956. Cette société prospère offrait des services alimentaires par le biais de distributeurs automatiques, de cantines mobiles et de cafétérias. En 1990, elle comptait 600 employés et ses affaires en Ontario et au Québec lui rapportaient environ 24 000 000 $. Son plus important client était General Motors du Canada, qui avait recours à ses services de cafétéria dans diverses usines en Ontario et au Québec.

[8]            TRS était une filiale possédée en propriété exclusive par Esposito Holdings Limited[1] ( « EHL » ). EHL appartenait aux trois frères Esposito : Sam (qui est maintenant décédé), Tony et Rocco.

[9]            L'appelant a commencé à travailler pour TRS en 1973. Après avoir occupé divers postes dans les domaines de la vente et des relations publiques, il est devenu vice-président des services alimentaires le 8 octobre 1991 et a démissionné de ce poste en janvier 1992. L'appelant n'avait aucune éducation formelle et n'avait rien à voir avec les finances de la société.

[10]          Au début de 1992, TRS était aux prises avec des difficultés financières importantes en raison d'une mauvaise administration ou de disparitions importantes et inexpliquées d'argent. En mars 1992, un groupe de huit employés ( « les huit employés » ) a offert d'acheter les actions de TRS et EHL. L'appelant n'a jamais fait partie de ce groupe, qui était dirigé par Larry Fowler, vice-président exécutif et chef de la direction, ainsi que par James Grady, vice-président des finances. Les preuves qui m'ont été présentées démontrent que les huit employés géraient effectivement TRS. L'appelant a été renvoyé en avril 1992. Le 29 mai 1992, James Grady et Larry Fowler ont signé « en fiducie » (je suppose que cela signifie « en fiducie au nom des huit employés » ) une offre d'achat des actions de TRS et de EHL des frères Esposito, sous réserve de l'approbation d'un plan d'arrangement fait en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC » ). Le 9 juin 1992, le juge Rosenberg de la Cour de l'Ontario a approuvé la demande de TRS en vertu de la LACC et lui a demandé de déposer un plan d'arrangement, ce qu'elle a fait le 16 juin 1992.

[11]          En juillet 1992, un des créanciers de la société EHL a présenté sans succès une requête de mise en faillite.

[12]          Les huit employés ayant retiré leur offre d'achat des actions TRS en juillet, les frères Esposito ont demandé à l'appelant de revenir à TRS pour tenter de la sortir de ses difficultés. L'appelant a accepté. Comme il ne faisait pas confiance aux états financiers vérifiés et n'avait aucune expérience dans le domaine financier, il a eu recours aux services d'un avocat, Me Alek Bolotenko, d'un comptable, Michael Laing, et d'un conseiller en gestion, M. Simmons.

[13]          Le 15 juillet 1992, les trois administrateurs et actionnaires contrôlants (par le biais de la société EHL) ont signé une résolution qui donnait à l'appelant le titre de président et chef de la direction et qui définissait ses tâches à ce titre. Ce document est important car il établit le fondement juridique de la supervision de l'appelant à TRS et probablement le fondement sur lequel l'intimée s'appuie lorsqu'elle prétend que l'appelant était administrateur de fait. Cette résolution se lit comme suit :

[TRADUCTION]

RÉSOLUTION DES ADMINISTRATEURS

DE

T.R.S. FOOD SERVICE LIMITED

                NOUS soussignés, administrateurs exclusifs de T.R.S. FOOD SERVICE LIMITED (ci-après la « société » ), adoptons par la présente les résolutions suivantes, comme en témoignent ci-après nos signatures, en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario, ce 15e jour de juillet 1992.

MODIFICATION AU RÈGLEMENT NO 1

IL EST DONC RÉSOLU QUE :

1.              conformément à l'alinéa 4 du règlement no 1 des règlements de la société, les administrateurs établissent que, à titre de président et chef de la direction de la société, DAVID MOSIER est par la présente autorisé à s'occuper de la supervision générale et de la gestion de toutes les activités et affaires de la société, à l'exception des activités et des tâches qui, en vertu de la loi, doivent être effectuées seulement par le conseil d'administration ou par les actionnaires au cours des assemblées générales, sous réserve des directives générales ou spécifiques du conseil d'administration.

2.              Sans limiter la portée générale de ce qui précède, le président et chef de la direction de la société est par la présente habilité à conclure tout contrat ou engagement au nom de la société, à embaucher et renvoyer tout agent ou employé de la société, à acheter, acquérir, vendre, transférer, transmettre ou disposer des actifs au nom de la société, (à emprunter et à négocier des emprunts au nom de la société ainsi qu'à signer et réaliser au nom de celle-ci des emprunts hypothécaires, des charges et d'autres créances s'appliquant à tout bien immobilier ou personnel de la société afin de garantir tout montant emprunté par elle), à signer et exécuter au nom de la société tout contrat, entente, acte de vente, acte de transport ou transfert (obligations garanties ou non garanties, billets à ordre et autres valeurs et obligations) et à y apposer le cachet de la société au besoin.

                EN FOI DE QUOI NOUS avons tous signé.

                                                                                              (signature)

ANTHONY N. ESPOSITO

                                                                                              (signature)

SAMUEL ESPOSITO

                                                                                              (signature)

ROCCO V. ESPOSITO

[14]          La première action de l'appelant a été de renvoyer la plupart des huit employés, y compris James Grady. Ce renvoi s'est fait en présence de Rocco et de Sam Esposito, et aussi de Tony, je crois. L'appelant a essayé de renvoyer Larry Fowler, mais Sam l'en a empêché. Il s'est cependant assuré qu'aucune tâche ne lui soit assignée, et il est parti peu de temps après.

[15]          L'appelant s'est immédiatement consacré au redressement de TRS. Il a rencontré un représentant de la Banque Royale, à qui TRS et EHL devaient un important montant d'argent. Il a aussi rencontré des fournisseurs pour leur demander, sans succès, de rétablir les modalités de crédit à 15-30 jours. Lorsque la banque a demandé le remboursement de son prêt, les fournisseurs ont insisté sur le fait qu'ils livreraient leurs marchandises contre remboursement seulement. L'appelant a demandé à M. Laing de faire une vérification des registres de TRS, et a découvert que l'endettement de TRS était au moins deux fois plus important que ce qu'indiquaient les états financiers les plus récents. Il a constaté qu'un nombre important de créanciers n'avaient pas été avisés de la demande de protection en vertu de la LACC. Il a rencontré des représentants de Revenu Canada pour établir un plan de paiement des arriérés de TPS. Revenu Canada a consenti à un paiement de 2 400 $ par semaine, et cet engagement a été respecté.

[16]          En plus de ses problèmes avec les fournisseurs, qui livraient leurs marchandises contre remboursement seulement, l'appelant était aux prises avec la banque, qui contrôlait tous les chèques émis et déterminait ceux qui étaient honorés et ceux qui ne l'étaient pas. Étant donné que les services de TRS étaient payés en grande partie en argent comptant, la banque a envoyé un de ses employés sur place. Lorsque de l'argent comptant était reçu par TRS, l'employé comptait l'argent et l'apportait simplement avec lui.

[17]          Après avoir conclu que la situation était désespérée, l'appelant a exhorté la banque à constater la faillite de TRS. La banque a refusé, prétendument parce qu'elle, parmi tous les créanciers, recevait ce qui lui était dû, donc n'avait aucune raison de constater la faillite de la société. L'appelant a demandé aux administrateurs de déclarer faillite, mais ils ont refusé de le faire avant d'être libérés des garanties personnelles qu'ils avaient données à la banque.

[18]          Enfin, l'appelant a donné sa démission aux administrateurs à la fin d'avril ou au début de mai 1993, a jeté ses clés sur la table et est sorti. Ce geste quelque peu dramatique a été corroboré par Rocco Esposito et j'ajoute foi au témoignage de l'appelant.

[19]          Le 22 juillet 1993, l'appelant a fait parvenir à TRS et à ses administrateurs un avis écrit de sa démission, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

DÉMISSION

DESTINATAIRE :                                 T.R.S. FOOD SERVICE LIMITED

AINSI QUE :                                          Les administrateurs de cette société

                Je soussigné DAVID MOSIER remet par la présente ma démission immédiate du poste de président de la société mentionnée ci-dessus.

                LETTRE DATÉE ce 22e jour de juillet 1993.

         (signature)

DAVID MOSIER

[20]          Un autre fait doit être pris en considération. M. Mosier était prêt à acheter les actifs de TRS mais seulement si TRS déclarait faillite, ce qui est finalement arrivé. Le 22 juin 1993, au cours d'une réunion des trois administrateurs, Sam, Rocco et Tony Esposito, il a été résolu que TRS ferait une cession de faillite volontaire. La cession officielle s'est faite le 15 septembre 1993, et un certificat de désignation en vertu de l'article 49 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité a été déposé à la cour le 20 septembre 1993. Par la suite, le fiduciaire a vendu les actifs de TRS à une société appartenant à M. Mosier.

[21]          Ce résumé plutôt stérile des faits suffit pour que je rende ma décision, quoiqu'il ne rende pas fidèlement la nature dramatique des événements qui ont été décrits pendant les témoignages.

[22]          Je reviens donc à la série de questions qui ont été énoncées au début des présents motifs du jugement.

[23]          1.              L'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise s'applique-t-elle aux administrateurs de fait? Je crois que oui, dans certaines circonstances, mais on doit faire très attention à la signification d' « administrateur de fait » . Dans la décision Dirienzo c. La Reine, C.C.I., no 98-2052(IT)G, 15 mai 2000 (2000 DTC 2230), j'ai déclaré de façon visiblement incidente que, dans les circonstances de cette affaire, l'unique actionnaire d'une société qui avait placé son neveu au poste d'administrateur et de mandataire fantoche était l'administrateur de fait. C'était un cas extrême, et je me suis basé sur l'arrêt La Reine c. Corsano (C.A.), [1999] 3 C.F. 173 (99 DTC 5658), selon lequel un administrateur qui est apparemment institué de façon légale ne peut se servir des irrégularités de sa nomination pour s'exonérer de sa responsabilité en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il existe une différence entre les deux décisions. Comme l'a affirmé la Chambre de la chancellerie dans l'affaire Re Lo-Line Electric Motors Ltd, [1988] 2 All ER 692, les administrateurs de fait peuvent être apparemment élus en bonne et due forme mais ne pas posséder toutes les capacités nécessaires en vertu de la loi sur les sociétés pertinente, et simplement assumer le rôle d'administrateur sans prétendre à aucune capacité juridique.

[24]          Le juge déclare ce qui suit aux pages 699-700 :

[TRADUCTION]

                L'avocat de M. Browning a cherché à faire la distinction entre deux types d'administrateurs de fait, soit (a) une personne qui a été nommée au poste d'administrateur, mais de façon non valide, et (b) une personne qui n'a jamais été nommée au poste d'administrateur. L'avocat a affirmé que si, contrairement à son premier argument, l'article 300 permettait de considérer la conduite d'un administrateur qui avait été nommé de façon non valide, il ne parlait pas de la conduite d'une personne qui n'avait jamais été nommée au poste d'administrateur. Il s'est reporté à la décision Morris v Kanssen [1946] 1 All ER 586 à la page 590, [1946] AC 459 à la page 471, dans laquelle la Chambre des pairs a fait exactement la même distinction pour soutenir le fait que le prédécesseur législatif de l'article 285 de la Loi de 1985 (validité des actes des administrateurs) ne validait pas les actes d'une personne qui n'avait jamais été nommée au poste d'administrateur. Je n'accepte pas cet argument. Pour les raisons que j'ai énoncées, le Parlement avait, à l'article 300, la simple intention de considérer la conduite d'une personne agissant à titre d'administrateur, qu'elle ait été nommée de façon valide ou non, ou qu'elle agisse à titre d'administrateur sans avoir jamais été nommée. Dans ce contexte, il n'est pas logique de faire la distinction avancée par l'avocat de M. Browning. L'affaire Morris v Kanssen concernait un article bien différent qui validait les actes d'un administrateur « peu importent les irrégularités qui puissent par la suite être découvertes dans le cadre de sa nomination ou de sa capacité » . Dans ce cas, le texte de l'article et le sens commun de la question n'étaient interprétés qu'en fonction des actes d'une personne qui avait été nommée au poste d'administrateur de façon non valide.

                Mon jugement doit donc, en vertu de l'article 300, prendre en considération la conduite de l'intimé à titre d'administrateur, qu'il ait été nommé de façon valide ou non, ou qu'il soit seulement administrateur de fait.

[25]          Cette affaire a été citée et approuvée par le juge Rip dans l'affaire Paton c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1990] A.C.I. no 765.

[26]          La législation anglaise diffère bien sûr de la nôtre, mais je cite l'affaire Lo-Line simplement pour illustrer que le concept de l'administrateur de fait est bien reconnu en droit, selon les circonstances. Il doit cependant être appliqué avec prudence, particulièrement en cas d'imputation d'une responsabilité.

[27]          2.              L'appelant était-il administrateur de fait? Il n'a pas été élu au poste d'administrateur, il ne détenait aucune action de TRS et il ne s'est jamais présenté comme administrateur. Les administrateurs, les frères Esposito, ne l'ont d'ailleurs jamais présenté comme administrateur à qui que ce soit. Il était soumis au contrôle légal d'administrateurs dûment élus, soit Tony, Sam et Rocco Esposito. Je ne crois pas qu'ils aient jamais renoncé à leur rôle d'administrateurs. Ils ont fait ce que les administrateurs font généralement : ils ont nommé l'appelant à un poste supérieur et ont pris la résolution de déclarer la faillite de la société. L'appelant n'a pas participé à ces actes des administrateurs. Il n'aurait en effet pu participer à ces actes purement directoriaux, ni même y prétendre. On peut imaginer une situation où l'actionnaire contrôlant d'une société prend toutes les décisions s'appliquant à l'entreprise et nomme des administrateurs fantoches. C'était le cas de l'oncle dans l'affaire Dirienzo, et ce dernier aurait eu bien du mal à se désister de sa responsabilité en tant qu'administrateur.

[28]          Ce n'est pas le cas ici. Les administrateurs ont nommé l'appelant à un poste supérieur et lui ont donné des responsabilités et des pouvoirs importants. Cette nomination ne faisait pas de lui un administrateur, que ce soit de fait ou de droit. Dans les grandes sociétés publiques, de vastes pouvoirs sont conférés aux cadres supérieurs par les administrateurs au cours des assemblées semi-annuelles. De telles personnes ont le pouvoir et la responsabilité de superviser les activités quotidiennes de la société, mais elles ne deviennent pas des administrateurs pour cette raison.

[29]          M. Wegenast, dans son document de référence Canadian Companies sur le droit des sociétés, discute des administrateurs de fait de façon approfondie et avisée aux pages 408 à 411. Je ne cite qu'un court passage de la page 411 qui est, à mon avis, utile dans cette affaire (les notes complémentaires ont été omises) :

[TRADUCTION]

                Il doit cependant y avoir eu plus qu'une simple usurpation de fonction. Il doit y avoir eu quelque chose qui ait permis à des parties extérieures de croire, de façon justifiée, que les personnes en question avaient été dûment élues ou agissaient avec l'assentiment des actionnaires, car la doctrine des administrateurs de fait n'est qu'une application de la doctrine de préclusion ou de « simulation » .

                Un administrateur non autorisé ne peut bien sûr pas se prévaloir de l'objection aux administrateurs de fait, par exemple pour s'exonérer d'une responsabilité de payer les dividendes à partir du capital ou d'une une autre action fautive, pour s'exonérer d'une responsabilité statutaire de verser un salaire à des ouvriers, pour omettre de payer une somme due au gouvernement ou, vraisemblablement, pour réclamer une rémunération ou une indemnité; car un administrateur de fait est dans la même position qu'un exécuteur de son tort, étant soumis à tous les fardeaux de son poste sans en retirer aucun des bénéfices. Il ne peut d'ailleurs pas établir, par le biais d'une objection, que la non-validité de son élection découle d'un appel téléphonique ou de la déclaration d'une déchéance pour un poste auquel il s'intéresse.

[30]          Je suis porté à croire que le concept des administrateurs de fait a quelque peu évolué depuis que M. Wegenast a rédigé ces lignes en 1931. Peu importe comment un administrateur de fait est défini - une personne qui assume le rôle d'administrateur par usurpation ou par défaut ou dont l'élection est irrégulière -, il est évident que M. Mosier n'en était pas un.

[31]          3.              Si l'appelant était administrateur de fait, a-t-il répondu au critère de diligence raisonnable établi au paragraphe 323(3)? Même si j'ai tort en concluant que l'appelant n'était pas un administrateur de fait, je crois qu'il a fait preuve, pour éviter la faillite de la société, du même degré approprié de soin, de diligence et de compétence dont une personne raisonnablement prudente aurait fait preuve dans des circonstances semblables.

[32]          Un des faits saillants de cette affaire est que la banque contrôlait rigoureusement les finances de la société. En plus de prendre autant d'argent reçu par la société qu'elle le voulait, elle avait[2] le pouvoir absolu d'opposer son veto au paiement de tous les chèques qui étaient émis. L'appelant a établi avec l'ACDR qu'un paiement de 2 400 $ par semaine serait versé pour payer les arriérés de taxes. À une occasion, il a persuadé la banque de laisser passer un chèque plus important à l'ACDR en menaçant d'abandonner toute l'affaire si elle n'y consentait pas. La banque ne voulait pas qu'il quitte son poste, car sa chance d'être remboursée augmentait s'il assurait la reprise des affaires de la société ou, ce qui était encore mieux, s'il l'achetait - une perspective toujours présente qui n'a pas abouti avant que TRS déclare faillite. À l'exception de ce léger relâchement, l'appelant était incapable d'assurer le remboursement à l'ACDR. Il a dû faire preuve de délicatesse pour parer aux attaques qui lui venaient de toutes parts - de la banque, des fournisseurs, des autres créanciers, du syndicat et des employés. S'il ne réussissait pas, la société ne se relèverait pas et tout le monde serait perdant, y compris l'ACDR et les 600 employés.

[33]          On doit se demander ce qu'il aurait pu faire d'autre. La réponse : absolument rien. Cette affaire me rappelle de bien des façons l'affaire Holmes c. R., C.C.I., no 1999-2182(IT)I, 19 avril 2000 ([2000] 3 C.T.C. 2235), dans le cadre de laquelle les administrateurs n'étaient pas en mesure d'assurer le remboursement de l'ACDR car les finances de la société étaient entièrement contrôlées par son fournisseur. Aux pages 8 et 9 (C.T.C. : aux pages 2241 et 2242), je me suis reporté à une décision antérieure qui se lit comme suit :

                J'ai présenté dans l'affaire Cloutier c. M.R.N., C.C.I., no 90-3532(IT), 23 mars 1993, aux pages 4 et 5 (93 DTC 544, aux pages 545 et 546), mon approche dans ces affaires.

Il s'agit donc de trancher une question de fait; la Cour doit essayer, dans la mesure du possible, de déterminer ce qu'une personne raisonnablement prudente aurait dû et aurait pu faire à l'époque dans des circonstances comparables. Les tentatives faites par les tribunaux pour évoquer l'hypothétique personne raisonnable ne se sont pas toujours soldées par une réussite incontestable. Des critères ont été élaborés, affinés et réitérés de manière à donner au processus une apparence de rationalité et d'objectivité, mais, en fin de compte, le juge chargé de rendre une décision doit appliquer ses propres notions du bon sens et de l'équité. Il est facile de faire preuve de sagesse après coup. Le tribunal doit essayer d'éviter de se demander : qu'aurais-je fait en sachant ce que je sais maintenant? Ce n'est pas ce genre de jugement ex post facto qu'il nous faut porter en l'espèce. Bien des décisions subjectives qui se révèlent ultérieurement mauvaises n'auraient pas été prises, si, au moment de les prendre, la personne avait su ce qui allait se passer ensuite.

L'article 227.1 en fournit un exemple. Cet article impose aux administrateurs une norme de soin qui les oblige à faire preuve d'une prudence et d'une habileté raisonnables pour veiller à ce que les fonds obtenus grâce au programme de CIRS servent bel et bien à des travaux de recherche scientifique, faute de quoi l'impôt de la partie VIII doit être payé soit à l'aide des fonds ainsi obtenus, soit par d'autres moyens. Pour déterminer si cette norme a été satisfaite, il faut se demander si, à la lumière des faits existant à l'époque dont l'administrateur avait ou aurait dû avoir connaissance et en fonction des différentes voies qui s'offraient à lui, l'administrateur a choisi celle qu'une personne raisonnablement prudente aurait choisie dans les circonstances et dont on pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'elle permette de s'acquitter de l'obligation fiscale. Le fait que la voie choisie ne se soit pas révélée la bonne n'est pas déterminant. Dans les affaires de ce genre, l'omission de payer l'impôt de la partie VIII découle habituellement soit d'un mauvais choix fait de bonne foi, soit d'un manquement ou d'un aveuglement délibéré de la part de l'administrateur.

                Je considère comme avéré que M. et Mme Holmes n'auraient vraisemblablement rien pu faire pour éviter la faillite. Ils me semblent être des gens convenables et honnêtes qui ont fait de leur mieux pour s'assurer que la société s'acquitte de ses obligations, mais les circonstances économiques leur ont rendu la tâche impossible.

[34]          Cette approche que j'ai suivie dans d'autres affaires est, à mon avis, compatible avec la série d'affaires de la Cour d'appel fédérale qui ont invariablement modifié les normes rigoureuses appliquées par cette cour. Les affaires de la Cour d'appel fédérale que je mentionne sont La Reine c. Corsano (précitée), Worrell c. La Reine (C.A.), [2001] 2 C.F. 203 ([2000] G.S.T.C. 91), Smith c. La Reine, C.A.F. no A-154-00, 26 mars 2001 (2001 DTC 5226), Cameron c. La Reine, C.A.F., no A-763-99, 19 juin 2001 (2001 DTC 5405) et Soper c. Canada (C.A.), [1998] 1 C.F. 124 (97 DTC 5407).

[35]          Il m'est inutile de citer ces affaires. Elles soutiennent la proposition visant à établir qu'en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et du paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise, les administrateurs ont seulement l'obligation d'agir de façon raisonnable. Ils ne demandent pas l'impossible. Je n'ai donc aucune hésitation à adopter cette approche.

[36]          4.              La dernière question vise à savoir, si l'appelant était administrateur de fait, s'il avait cessé de travailler pour la société à ce titre plus de deux ans avant la cotisation du 18 septembre 1995. Comment quelqu'un cesse-t-il d'être un administrateur de fait[3]? Il est évident qu'on ne peut cesser d'être quelque chose qu'on n'a jamais été. Cependant, si nous acceptons l'hypothèse de la Couronne à l'effet qu'il a été administrateur de fait à un moment donné, est-il suffisant de jeter ses clés sur la table, de dire « Je démissionne » , de s'en aller puis de signer sa démission?

[37]          Je crois que oui. Ces gestes n'ont pas été simplement posés à des fins théâtrales sans signification aucune. Ils avaient un sens. La démission d'un administrateur de droit peut être assujettie à son acceptation par le conseil, mais je ne connais aucun élément en droit des sociétés qui impose une telle exigence aux administrateurs de fait. L'appelant a remis ses clés à la fin d'avril ou au début de mai 1993 puis signé et soumis sa lettre de démission le 22 juillet 1993, donc plus de deux ans avant l'établissement de la cotisation. La Couronne prétend que ces événements théâtraux étaient trompeurs, car l'appelant a continué de signer des chèques bien après le 22 juillet 1993. Plus ça change, plus c'est la même chose. Je ne crois pas que cet argument prouve qu'il a continué d'être administrateur de fait jusqu'à la faillite de la société, s'il l'a jamais été. Dans tous les cas, je pense que l'argument décisif est le fait que ces événements se sont produits avant le 18 septembre 1993. Le 22 juin 1993, soit un mois avant la démission officielle de l'appelant, les trois administrateurs ont signé une résolution pour que TRS fasse une cession de faillite volontaire. Le 15 septembre 1993, la cession de faillite officielle a été signée par Rocco Esposito à titre de président de TRS. Dans sa déclaration sous serment du 15 septembre 1993 visant à appuyer une ordonnance permettant la vente immédiate des actifs de TRS, Rocco se décrit comme le président de TRS. L'entente entre le syndic de TRS et T.R.S. Foods (1993) Ltd. (la société de l'appelant) a été signée le 15 septembre 1993. La requête a été présentée le vendredi 17 septembre 1993. La cession a été déposée à la cour le 20 septembre 1993 et l'ordonnance du juge Houlden a été rendue ce même jour.

[38]          Je crois qu'aucune importance n'est accordée aux événements suivant le 20 septembre 1993. Peu importe le poste factuel ou légal qu'occupait l'appelant à TRS, les événements décrits ci-dessus établissent, que ce soit individuellement ou cumulativement, qu'il avait quitté ce poste bien avant cette date. Ces faits sont irréconciliables avec les arguments soutenant que l'appelant était administrateur de fait à TRS jusqu'au 18 septembre 1993 inclusivement.

[39]          Pour toutes les raisons précédentes, et nonobstant la présentation toujours détaillée et adroite de la position de la Couronne par Me Bornstein, le présent appel est admis avec dépens, et la cotisation établie en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'octobre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 2e jour d'octobre 2002.

                         

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

96-3504(GST)G

ENTRE :

DAVID WILLIAM MOSIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 24, 25 et 26 septembre 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Michael Gasch

Avocat de l'intimée :                             Me Arnold Bornstein

JUGEMENT

                L'appel interjeté à l'égard de la cotisation établie en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 18 septembre 1995 et porte le numéro 04563, est admis avec dépens et la cotisation est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'octobre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 2e jour d'octobre 2002.

                         

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           Leur déclaration est relativement correcte, quoiqu'il doive être souligné que, lorsque TRS a commencé à avoir des problèmes de trésorerie au début des années 1990, certains employés (mais pas l'appelant) ont accepté de recevoir des actions pour remplacer une partie de leur salaire.

[2]           Ou du moins l'appliquait - le pouvoir légal qu'avait la banque de contrôler le paiement des chèques n'a jamais été clairement défini, mais il est certain qu'elle avait un pouvoir économique accablant.

[3]           Je suis conscient du fait que les administrateurs de droit légalement nommés ne cessent pas d'être administrateurs simplement parce qu'un séquestre de la société est nommé. La Reine c. Kalef, C.A.F., no A-11-95, 1er mars 1996 (96 DTC 6132).

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