Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier: 2000-4052(IT)G

ENTRE :

LOU FERRO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.        

___________________________________________________________________

 

Appels entendus le 13 janvier 2003, à Toronto (Ontario)

 

          Devant : l'honorable juge Gordon Teskey

 

          Comparutions :

 

          Avocat de l'appelant :                Me Roger Taylor

 

          Avocate de l'intimée :                Me Marie-Thérèse Boris                                                                     ___________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la «Loi») pour les années d'imposition 1992 et 1995 sont admis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations pour les motifs suivants :

 

(1)     Pour l'année 1992, la somme de 341 428 $ doit être soustraite du revenu de l'appelant de sorte que son revenu pour l'année d'imposition 1992 s'établisse à 64 790,83 $;

 

(2)     Pour l'année 1995, la somme de 721 698 $ doit être soustraite du revenu de l'appelant de sorte que son revenu, pour la première période fiscale se terminant le 31 janvier 1995, s'établisse à 116 867 $  et, pour la deuxième période se terminant le 31 décembre 1995, s'établisse à 325 151 $, soit, au total, à 442 018 $. L'appelant a droit à la provision de 95 pour cent prévue au paragraphe 34.2(4) de la Loi, qui correspond à 308 893 $ de son revenu de 325 151 $ au 31 décembre 1995.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de février 2003.

 

 

    «Gordon Teskey»__

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur                      

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20030116

Dossier: 2000-4052(IT)G

ENTRE :

LOU FERRO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Teskey

 

[1]     L’appelant interjette appel à l’encontre des nouvelles cotisations d’impôt sur le revenu établies à son égard pour les années d’imposition 1992 et 1995, comprenant deux périodes de 12 mois, dont la première a pris fin le 31 janvier 1992 et la deuxième le 31 janvier 1995, ainsi que l’exercice raccourci allant du 1er février 1995 au 31 décembre 1995.

 

Questions en litige

 

[2]     L’appelant affirme dans son avis d’appel qu’il y a quatre points en litige, soit la question de savoir si le ministre du Revenu national (le « ministre ») a erronément ajouté les montants de 341 428 $ et de 721 698 $ au revenu de l’appelant pour 1992 et 1995, et notamment les questions suivantes :

 

a)       Même si le ministre avait raison de considérer que des sommes relatives à des débours non facturés ne pouvaient être déduites par Me Ferro, était‑il fondé à ajouter des montants au revenu de l’appelant plutôt qu’à refuser simplement les déductions (de 126 239 $ et de 222 049 $ pour 1992 et 1995 respectivement)?

 

b)      Quoi qu’il en soit, le ministre s’est‑il trompé en cherchant à refuser la déduction de débours que Me Ferro avait engagés et qui n’étaient pas facturables à ses clients durant la période?

 

c)       Le ministre a-t-il erronément refusé à Me Ferro la provision à laquelle ce dernier avait droit en vertu de l’article 34.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)?

 

[3]     Dans sa deuxième réponse modifiée à l’avis d’appel (la « Réponse »), déposée par consentement à l’ouverture de l’audience, l’intimée affirmait qu’il y avait un seul point en litige :

 

La question à trancher consiste à déterminer si l’appelant a mal calculé ses revenus bruts en déduisant des montants qui étaient déjà exclus du calcul du revenu en raison du choix fait par l’appelant en vertu de l’article 34.

 

Faits

 

[4]     L’appelant est un avocat qui travaille exclusivement pour des personnes ayant subi un préjudice personnel en raison d’un accident de la route.

 

[5]     Lorsqu’un client potentiel consulte pour la première fois l’appelant, ce dernier parle de l’affaire en vue d’inspirer confiance au client et de le mettre à l’aise, puis il discute de ce qui peut être fait pour le client.

 

[6]     Les modalités de tous les contrats que l’appelant conclut avec ses divers clients sont identiques.

 

[7]     Le contrat est un contrat conditionnel ne comportant aucun risque pour le client. L’appelant informe le client qu’il n’exige pas d’acompte et qu’il ne tient pas de feuilles de temps. De plus, il informe le client qu’il financera l’affaire et que la facture finale ne sera présentée qu’une fois l’affaire classée et qu’elle sera entièrement basée sur les résultats. En outre, il informe le client sur la formule habituelle, mais précise que celle‑ci sera révisée à la hausse ou à la baisse selon les résultats.

 

[8]     Le client ne court aucun risque et n’a aucune obligation envers l’appelant. Si des dépens sont alloués par un tribunal à l’encontre du client, ces frais sont payés par l’appelant personnellement et ne sont pas facturés au client.

 

[9]     Si la demande d’un client est rejetée par un tribunal, aucune facture n’est présentée par l’appelant au titre d’honoraires ou de débours.

 

[10]    Il y a bien des façons dont la demande d’un client peut être rejetée totalement ou en grande partie sans que ce soit la faute de l’appelant ou de son client.

 

[11]    Lorsqu’un règlement amiable est proposé, le client autorisera habituellement l’appelant à conclure un règlement en tenant compte du fait que le client recevra un montant net fixe. Ensuite, l’appelant entreprendra de calculer ses dépenses relatives à l’affaire et de déterminer de justes honoraires, puis il cherchera à conclure un règlement en vertu duquel sera versée une somme brute couvrant le montant net fixe du client, ainsi que les dépenses et honoraires de l’appelant. Si l’appelant n’arrive pas à avoir tout à fait les honoraires qu’il souhaitait ou s’il oublie une dépense qu’il avait engagée, c’est sa responsabilité. Le client obtient le montant fixe convenu. Si le règlement consiste en une somme forfaitaire avec dépens entre parties, le client obtient encore là le montant convenu, et l’appelant obtient ce qu’il peut négocier ou faire taxer, quel qu’en soit le montant.

 

[12]    Lorsque l’appelant conclut un contrat avec un client, il examine d’abord les prestations sans égard à la faute prévues dans la police d’assurance automobile, puis il examine toute assurance en matière d’emploi pouvant être disponible grâce à des polices de compagnies comme la Canada‑Vie ou la Great‑West ou grâce à l’employeur du client. Si le préjudice est grave ou permanent, l’appelant adopte une approche beaucoup plus agressive, et des informations sont recueillies.

 

[13]    La collecte d’informations est faite par le personnel et par des entrepreneurs externes comme Golden Horseshoe, soit une entreprise d’anciens agents de police, qui se rendent sur les lieux de l’accident, prennent des photos, interrogent tous les témoins possibles et cherchent à obtenir des déclarations écrites de tous les témoins. Le personnel obtient des rapports de tous les médecins traitants, de l’hôpital, de la RAMO et des ambulanciers. Des certificats de propriété relatifs aux divers véhicules sont également obtenus. Les frais engagés pour faire avancer le dossier jusque‑là sont payés intégralement par l’appelant.

 

[14]    Ensuite, l’appelant retient les services de Future Health Inc., dans laquelle il a une participation de 33 p. 100. L’infirmière, Ellen Helden (« Mme Helden »), qui a elle aussi une participation de 33 p. 100, fait une évaluation en cinq points du client. Bien que l’appelant et Mme Helden aient une relation personnelle, ce n’est pas pertinent aux fins du présent appel.

 

[15]    Cette évaluation en cinq points couvre les cinq aspects suivants :

 

(i)      la santé physique du client;

(ii)      la santé émotionnelle du client;

(iii)     les changements — s’il en est — relatifs au mode de vie du client;

(iv)     les problèmes financiers liés au travail : perte d’emploi, capacités réduites, etc.;

(v)     les changements — s’il en est — concernant la vie sociale et la vie familiale.

 

[16]    Selon le résultat de cette évaluation en cinq points, l’appelant peut s’arranger pour que son client soit examiné par un certain nombre de spécialistes comme des neurologues, des psychiatres, des psychologues ou des chirurgiens orthopédistes. L’un quelconque de ces médecins peut prescrire des examens radiographiques, des examens IRM ou des examens tomodensitométriques supplémentaires. De plus, Future Health Inc. peut être appelée à faire une autre évaluation approfondie. Tout ce travail est demandé par l’appelant, qui est responsable du paiement de ces services. À cause de problèmes de trésorerie, ces services ne sont payés qu’après l’obtention d’un règlement. La plupart de ces personnes exigent des intérêts sur leurs comptes, soit un autre élément dont l’appelant est responsable.

 

[17]    En annexe à la déclaration de revenu T1 générale 1992 figure un formulaire T2032, soit un état d’honoraires excluant les travaux en cours, ainsi qu’un calcul qui indique le montant des débours impayés au début de l’année et le montant à la fin de l’année. La différence est le montant engagé par l’appelant dans l’exercice 1992, soit 314 428 $ - 215 189 $ = 126 229 $, lequel montant a été déduit du revenu, ce qui donnait un revenu net de profession libérale de 64 790 $. Le montant de 126 229 $ est le montant des dépenses engagées dans l’exercice 1992 qui a été déduit du revenu pour arriver au revenu imposable net.

 

[18]    Dans la nouvelle cotisation établie pour 1992, le ministre a refusé la déduction de 126 229 $ au titre des débours non facturés qui avaient été engagés en 1992 et il a ajouté au revenu de 64 790 $ la somme de 314 428 $, soit le total des débours impayés à la fin de l’exercice 1992, lequel montant incluait des débours de 188 199 $ engagés avant l’exercice 1992, alors que l’appelant n’avait déduit du revenu que les débours de 126 229 $ engagés en 1992.

 

[19]    En raison de modifications de la Loi exigeant que tous les particuliers exerçant une profession libérale aient un exercice se terminant le 31 décembre, la déclaration de revenu T2 générale 1995 de l’appelant fait état de deux exercices, soit l’exercice allant du 1er février 1994 au 31 janvier 1995 et l’exercice raccourci allant du 1er février 1995 au 31 décembre 1995. En annexe à la déclaration de revenu figurent deux états des résultats des activités d’une profession libérale (T2032), c'est‑à‑dire un pour chaque période. Dans les deux états, ces dépenses au début de l’exercice et à la fin de l’exercice sont indiquées, ce qui donne le montant engagé pour l’exercice, soit le montant de 117 869 $ pour le premier exercice et le montant de 104 180 $ pour le second exercice, et ces deux montants ont été déduits du revenu.

 

[20]    Dans la nouvelle cotisation, le ministre a ajouté au revenu calculé par l’appelant le montant total de 1 063 126 $ au titre de débours impayés au 31 décembre 1995, moins le montant de 341 826 $ au titre des débours non facturés qui n’avaient pas été admis dans la nouvelle cotisation pour 1992, c'est‑à‑dire 1 063 126 $ - 341 826 $ = 721 698 $, alors que l’appelant n’avait déduit du revenu que les dépenses engagées dans les deux exercices faisant l’objet de la déclaration de revenu, soit 117 869 $ + 104 180 $ = 222 049 $.

 

[21]    Certaines réponses données lors de l’interrogatoire préalable de Lou Zavagos (« M. Zavagos »), le vérificateur ayant joué un rôle dans les nouvelles cotisations, montrent que plusieurs des hypothèses qui sont censées avoir été formulées à l’étape de la cotisation n’avaient pas été formulées et que, de toute façon, elles n’étaient pas pertinentes. Interrogé sur l’hypothèse Q, M. Zavagos a répondu qu’il ne savait pas comment on était arrivé à un montant de 478 896 $ ou d’où venait ce montant; quoi qu’il en soit, la preuve présentée par l’appelant montre quel était le montant approprié. Concernant les hypothèses formulées aux sous‑alinéas N, O, P et R, M. Zavagos s’était fondé sur les faits qui y étaient énoncés.

 

[22]    Tout cela n’est pas pertinent, car j’accepte intégralement la preuve présentée par l’appelant. L’appelant a présenté sa preuve d’une manière directe, sans équivoque, lors de l’interrogatoire principal et lors du contre‑interrogatoire. Le témoignage de vive voix qu’il a présenté à la barre des témoins n’a nullement été contesté par l’avocate de l’intimée.

 

Position de l’appelant

 

[23]    Les dépenses en cause sont engagées par l’appelant personnellement et non pour le compte d’un client; elles sont destinées à aider l’appelant à obtenir un résultat plus favorable. Le client ne court aucun risque relativement à ces services ou à ces dépenses. L’appelant ne recouvre les dépenses engagées à l’égard d’une affaire que si le montant d’un règlement négocié ou le montant obtenu au procès est suffisant pour cela.

 

[24]    Lorsqu’elles sont engagées, ces dépenses ne sont pas des sommes à recevoir des clients ni des sommes payables à l’appelant par les clients.

 

[25]    Les dépenses sont déductibles pour l’année dans laquelle elles ont été engagées. En moyenne, une affaire peut s’étaler sur une période de deux ans et demi à quatre ans. Ces dépenses sont engagées du début jusqu’à la fin, c'est‑à‑dire jusqu’à ce qu’il y ait eu règlement, arbitrage et règlement ou procès. Les dépenses sont la responsabilité absolue de l’appelant, et des dépenses sont engagées continuellement; certaines sont payées en totalité immédiatement et certaines font l’objet de paiements différés. Ces dépenses sont engagées en vue de gagner un revenu et sont déductibles pour l’année dans laquelle elles ont été engagées. Si une affaire n’est pas couronnée de succès, l’appelant ne reçoit pas d’honoraires, et les dépenses demeurent à sa charge.

 

[26]    Le choix fait par l’appelant en vertu de l’article 34 de la Loi permet à l’appelant de n’inclure dans le calcul de son revenu aucun montant pour le travail en cours. Paraphrasée, cette disposition dit : Dans le calcul du revenu d’un avocat, aucun montant n’est inclus pour le travail en cours à la fin de l’année, si l’avocat en fait le choix dans sa déclaration de revenu.

 

Position de l’intimée

 

[27]    L’intimée a fait référence à l’article 9 de la Loi, concernant le bénéfice, et aux alinéas 12(1)a) et b), soit des alinéas prévoyant l’inclusion d’éléments dans le revenu, et elle argue que ces dépenses sont des sommes à recevoir pour l’appelant, sous réserve que ce dernier y renonce. Ainsi, l’appelant devrait, pour chaque année, déclarer comme sommes à recevoir les dépenses qu’il a engagées pendant l’année relativement à des dossiers de clients.

 

[28]    Cela a été argué malgré le fait que la seule question soulevée dans la Réponse était la question de la déduction de ces dépenses.

 

[29]    La première thèse de l’intimée est que la cotisation pour 1992 est bien fondée même si le ministre a ajouté au revenu les dépenses impayées totales de 341 418 $ plutôt que seulement les dépenses de 126 428 $ engagées en 1992 et passées en charges par l’appelant. Cette thèse est si manifestement erronée qu’elle ne mérite pas d’être commentée.

 

[30]    Pour ce qui est de la première thèse subsidiaire, donnons un exemple. Une dépense de 300 $ est engagée dans la première année, et des honoraires de 1 000 $ sont gagnés et facturés dans la deuxième année. Le montant de 300 $ doit être indiqué comme somme à recevoir et ajouté au revenu pour la première année, et, pour la deuxième année, le montant de 300 $ est passé en charges et les honoraires de 1 000 $ sont déclarés comme revenus, de sorte que de l’impôt est payé sur le montant net de 700 $.

 

[31]    En ce qui a trait à la thèse subsidiaire suivante, supposons encore là qu’une dépense de 300 $ soit engagée dans la première année et que des honoraires de 1 000 $ soient gagnés et facturés dans la deuxième année. Pour la première année, le montant de 300 $ n’est pas passé en charges, et, pour la deuxième année, le montant de 300 $ est passé en charges, et aussi bien les honoraires que la dépense de 300 $ sont intégrés au revenu, de sorte que de l’impôt est payé sur le montant net de 700 $.

 

[32]    L’intimée attire l’attention sur le libellé des états financiers, et notamment sur des termes comme « Débours non facturés à recevoir de clients » et « Les débours effectués au nom de clients sont enregistrés comme débours non facturés en attendant le remboursement », et elle argue que cela caractérise bien les sommes en cause. L’appelant n’a pas été contre‑interrogé sur ce point.

 

Le droit

 

[33]    La décision de la Cour de l’Échiquier M.N.R. v. John Colford Contracting Company Limited, en date du 16 juin 1960 ([1960] Ex. C.R. 433 (Q.L.)), laquelle décision a été confirmée en appel devant la Cour suprême du Canada, traitait d’un contrat en vertu duquel un certificat d’achèvement devait être délivré par un architecte avant que la contribuable ait droit à de l’argent.

 

[34]    Dans cette décision, le juge Kearney disait, au paragraphe 22 :

 

[TRADUCTION]

22        Comme la Loi ne définit pas ce qu’est un montant « recevable », je pense qu’il convient d’essayer de trouver le sens ordinaire de ce terme dans le domaine dans lequel il est employé. Si l’on recourt à une définition de dictionnaire, on constate que, dans le Shorter Oxford, troisième édition, le mot anglais « receivable » (à recevoir) est défini comme désignant quelque chose qui est « susceptible d’être reçu ». Cette définition est si vaste qu’elle n’aide guère à trouver une solution. Elle désigne une chose quelconque pouvant être transmise à quelqu’un qui est susceptible de la recevoir. Cela pourrait s’appliquer à un legs prévu dans le testament d’un testateur vivant, mais personne ne considérerait un tel legs comme un montant « recevable » pour un légataire potentiel. En l’absence d’une définition législative contraire, le « bénéficiaire » doit avoir davantage qu’un droit précaire à la réception du montant en question; il doit être clair qu’il a un droit légal à la réception du montant, quoique ce droit puisse ne pas nécessairement être immédiat. Une autre définition, mentionnée par J. Cameron, est « à recevoir », et Eric L. Kohler, dans A Dictionary for Accountants, édition de 1957, à la p. 408, définit le mot anglais « receivable » comme signifiant « recouvrable, qu’il s’agisse ou non d’une somme due ». Je pense que ces deux définitions sous‑entendent l’existence d’un droit.

 

Aux paragraphes 29 et 30, le juge Kearney poursuivait en disant :

 

[TRADUCTION]

29        Il est prévu à l’article 3 du contrat du Bureau fédéral de la statistique que le montant de la retenue doit représenter 15 p. 100 des paiements progressifs, et l’article 3 se termine par les termes :

 

Le paiement final doit être fait dans les 30 jours suivant l’achèvement satisfaisant de l’ensemble de l’immeuble et l’acceptation par l’architecte.

 

Bien que cet article n’ajoute pas qu’un tel achèvement et qu’une telle acceptation par l’architecte sont des conditions préalables devant être remplies avant que la contribuable ait droit au versement final de la retenue, je suis d’avis que, en vertu de la jurisprudence, une telle signification doit être considérée comme implicite. J’estime donc que la retenue n’a pas, en ce qui concerne la contribuable, le caractère d’une somme à recevoir tant que le travail n’a pas été accepté par l’architecte. Cela ne règle toutefois pas la question relative au contrat considéré en l’espèce.

 

30        Comme l’indique le contrat, l’entreprise Ross, Patterson, Townsend & Fish avait été désignée par le propriétaire comme étant l’« architecte »; le 9 mars 1953, l’entreprise susmentionnée a, par l’intermédiaire de J. K. Ross, attesté par voie de certificat que tout le travail relatif au Bureau fédéral de la statistique, qui représentait environ 6 000 000 $ au total, avait été achevé par l’entrepreneur principal selon les plans et devis et qu’aucune retenue ne devait être bloquée. Le certificat susmentionné couvrait évidemment le travail accompli par plusieurs sous‑traitants, y compris la contribuable. On voit donc que la condition préalable a cessé d’exister avant la fin de l’exercice 1953 de la contribuable et que les retenues payables en vertu du certificat ont acquis le caractère d’une somme à recevoir à la date du certificat. Il ne faut pas oublier que le paiement final devait devenir exigible 30 jours après la délivrance du certificat, ce qui nous amènerait dans l’exercice suivant de la contribuable, et que ce paiement a en fait été effectué le 11 avril 1953. Je ne pense pas que la contribuable puisse invoquer le délai de paiement comme justification pour inclure le montant de la retenue dans l’exercice dans lequel il est devenu exigible. À mon avis, une créance à terme ou à tempérament doit être incluse dans l’année d’imposition dans laquelle on pourrait dire que cette créance avait le caractère d’une somme à recevoir, car l’alinéa 85B(1)b) prévoit que cela doit être inclus ainsi, « nonobstant le fait que le montant n’est pas recevable avant une année subséquente ».

 

[35]    Dans l’affaire Argus Holdings Ltd. c. Canada, C.A.F., n° A‑216‑99, 10 novembre 2000 (2000 DTC 6681), le juge McDonald a dit, aux paragraphes 14, 15, 23 et 24 :

 

[14]      En outre, il est bien établi que ce n’est pas la qualification comptable d’un montant qui détermine sa déductibilité, mais plutôt sa nature véritable. Même si les livres comptables de l’appelante ne qualifient pas les montants de provisions il peut néanmoins s’agir de provisions dans les faits. Voir par exemple Dixie Lee (Maritimes) Ltd. c. La Reine, 88 D.T.C. 6108 (C.F. 1re inst.) et Monsieur Silencieux Ltée c. La Reine, [1974] 2 C.F. 671, 74 D.T.C. 6615 (C.F. 1re inst.).

[15]      Dans Monsieur Silencieux Ltée, le juge Walsh fait les remarques suivantes concernant l’importance à accorder aux écritures dans les états financiers : Le fait que la demanderesse ait, dans ses états financiers, désigné la somme mise de côté comme : "provision pour marchandises vendues non livrées" alors qu’il ne s’agit peut-être pas à proprement parler d’une vraie réserve, au sens où l’emploi de ce terme est recommandé par les auteurs faisant autorité en matière de comptabilité, n’a pas trop d’importance. Ce qui importe, ce n’est pas la qualification donnée à la somme mise de côté, mais le but pour lequel elle l’a été et il faut déterminer s’il s’agit d’une réserve que la Loi de l’impôt sur le revenu permet de déduire du revenu aux fins d’imposition. [Non souligné dans l’original.]

[...]

 

[23]      Assujettir à l’impôt le solde du compte « Frais d’adhésion différés » pour l’année d’imposition 1992 déformerait sensiblement l’image du revenu de l’appelante, car ce solde a été gagné en partie au cours d’années d’imposition antérieures. L’appelante n’a ni gagné ni touché la somme de 441 154 $ en entier pendant son année d’imposition 1992. Des parties de ce montant se rapportent à d’autres années d’imposition. En somme, le montant ne représente pas le bénéfice tiré par l’appelante de son activité commerciale en 1992, mais celui réalisé pendant les années d’imposition 1982 à 1991. Partant, inclure en totalité la somme de 441 154 $ dans le calcul du revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 1992 ne donnerait pas une image fidèle du revenu de la contribuable.

[24]      Avec égards, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en tentant de remédier aux montants insuffisants inclus dans le calcul du revenu déclaré par l’appelante de 1982 à 1991 par l’ajout de ces montants au revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 1992. Il a omis de déterminer si, en incluant en totalité le montant de 441 154 $ dans le calcul du revenu pour l’année 1992, il en résulterait une image fidèle du revenu de l’appelante.

 

[36]    Dans l’affaire West Kootenay Power and Light Company, Limited c. Sa Majesté la Reine, C.A.F, n° A‑246‑91, 6 décembre 1991 (92 DTC 6023), le juge MacGuigan a dit, à la page 15 (DTC : à la page 9) :

 

Il n’est pas souhaitable, à mon avis, d’ériger la conformité entre les états financiers et les déclarations de revenus en exigence absolue, et j’ai la conviction que ce n’est pas ce que font les décisions précitées.  Elles établissent plutôt que la méthode applicable est celle qui donne l’image la plus fidèle du revenu du contribuable, qui le représente le plus fidèlement et proprement et qui permet le meilleur « rattachement » des charges et des produits.

 

Décision

 

[37]    Je suis convaincu que la position de l’appelant en droit et son interprétation des faits de l’espèce sont bien fondées.

 

[38]    À la lumière de récentes décisions, il semble que le principe de rapprochement ne soit plus un facteur déterminant.

 

[39]    L’arrangement que l’appelant concluait avec chacun de ses clients était conditionnel jusqu'à ce qu’une affaire soit couronnée de succès. Jusqu’à ce moment‑là, il n’y avait pas de responsabilité pour le client, et il ne peut donc y avoir une somme à recevoir qu’à la naissance du droit de recouvrer le montant, c'est‑à‑dire une fois obtenu un règlement négocié ou un jugement d’un tribunal; si une requête ou une demande est rejetée par un tribunal avec frais, le client ne paie rien, et l’appelant doit prendre en charge non seulement ses dépenses, mais aussi les frais alloués à l’encontre du client.

 

[40]    Les sommes en cause sont exclusivement des dépenses de l’appelant, qu’elles soient payées ou non, et doivent être passées en charges pour la période pendant laquelle elles ont été engagées; lorsque l’appelant classe l’affaire et facture ses services, le montant total du recouvrement est inclus dans le revenu.

 

[41]    Les appels sont admis, avec dépens, et les deux cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux présents motifs du jugement.

 

[42]    L’avocat de l’appelant rédigera un projet de jugement, obtiendra l’approbation de l’avocate de l’intimée et présentera le tout de sorte qu’un jugement définitif soit rendu.

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 16e jour de janvier 2003.

 

 

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de décembre 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.