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Dossier : 2003-1107(IT)I

ENTRE :

HUGUETTE LECLAIRE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu le 3 novembre 2003 à Trois-Rivières (Québec)

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Michel Tessier

Avocat de l'intimée :

Me Claude Lamoureux

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante a droit au crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique grave et prolongée, le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Edmundston, Canada, ce 12e jour de décembre 2003.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2003CCI852

Date : 20031212

Dossier : 2003-1107(IT)I

ENTRE :

HUGUETTE LECLAIRE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie pour l'année 2001 par laquelle le ministre du Revenu national a refusé à l'appelante le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique grave et prolongée qu'elle avait demandé en vertu de l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « la Loi » ), le motif du refus étant que l'appelante ne se trouvait pas, du fait de sa déficience, limitée de façon marquée dans sa capacité d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne au sens des articles 118.3 et 118.4 de la Loi.

[2]      L'appelante a subi une délicate intervention chirurgicale au cerveau en 1990. Comme séquelle de cette intervention, l'appelante fait maintenant des crises d'épilepsie. Au début, la fréquence des crises était très élevée. Elle a donc dû être hospitalisée 122 fois. Après avoir essayé différents médicaments, dont certains à fortes doses, la fréquence des crises a diminué, mais l'appelante en fait encore à raison d'une ou deux fois par mois.

[3]      L'appelante dit que ces crises débutent sans avertissement et qu'elle en perd complètement le contrôle de sa personne. Il lui arrive parfois de perdre connaissance, de tomber, ou encore de bouger sans être consciente de ses gestes. Les crises sont de durée variable et de différents degrés d'intensité. Elles provoquent chez l'appelante une très grande fatigue et elle ne peut s'orienter. Suivant une telle crise, elle n'a plus le contrôle de son système digestif.

[4]      En raison de cette affection, l'appelante ne travaille plus depuis l'intervention. Elle demeure avec sa mère âgée parce qu'elle ne peut rester toute seule. Lors d'une crise, sa mère appelle à l'aide le frère ou la soeur de l'appelante. En fait, l'appelante ne fait rien seule. Elle doit toujours être accompagnée dans sa vie de tous les jours et dans toutes les activités qu'elle entreprend.

[5]      Pour maîtriser les crises, elle doit prendre des médicaments dont les effets secondaires affectent son équilibre et sa vue et lui occasionnent des douleurs aux articulations.

[6]      Le frère de l'appelante est venu confirmer le témoignage de celle-ci. Il a prétendu que l'état de l'appelante est la cause d'inconvénients majeurs en ce sens que les crises se produisent sans avertissement, qu'elle n'a pas à ce moment-là le contrôle de sa personne et qu'elle ne peut pas être seule. Elle doit être sous surveillance en tout temps, car sa vie peut être en danger. Que ce soit au moment du bain ou lorsqu'elle marche dans la rue, elle doit être surveillée. Son frère a été témoin de 8 ou 9 crises par année et a dit qu'elle en fait plus. Elles sont d'une durée de cinq à 30 minutes et d'intensité variable. Ce sont des crises non contrôlées.

[7]      Deux attestations de ses médecins sur des formulaires prescrits ont été produites en preuve, de même qu'un questionnaire additionnel qu'on a demandé à l'un des médecins de remplir à la suite de l'opposition déposée par l'appelante. Ces attestations confirment que l'appelante souffre depuis 1990 d'épilepsie non contrôlée nécessitant une supervision en tout temps à domicile et à l'extérieur du domicile. Il n'y a rien qui indique que l'état de l'appelante va s'améliorer. Les médecins répondent cependant par l'affirmative aux questions posées sur les formulaires prescrits d'attestation.

[8]      Étant incapable de travailler depuis 1990, l'appelante est admissible à une pension en vertu de la Loi sur le régime des rentes du Québec et reçoit de l'aide sociale. Le fait qu'elle soit admissible à une telle pension ou à d'autres formes de prestations n'est pas un facteur déterminant quant à son droit à un crédit d'impôt en vertu de l'article 118.3 de la Loi.

[9]      Le paragraphe 118.4 de la Loi décrit comme suit les circonstances qui limitent de façon marquée la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne :

118.4(1) Déficience grave et prolongée - Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

a)          une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b)          la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c)          sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher;

d)          il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

[10]     En l'espèce, il n'y a aucun doute que la maladie dont est atteinte l'appelante en est une qui réduit l'autonomie de celle-ci en ce sens qu'elle doit avoir avec elle une personne pouvant l'aider au cas où une crise d'épilepsie la prendrait. En temps normal, selon l'attestation des médecins, l'appelante est en pleine possession de ses facultés et de ses sens et peut en conséquence accomplir elle-même les activités courantes de la vie quotidienne. La difficulté se présente au niveau de son incapacité à vivre seule ou encore à s'occuper elle-même de ses soins personnels ou de son hygiène personnelle de tous les jours sans une supervision constante. La possibilité d'une crise d'épilepsie entraînant l'incapacité à tous les égards est en quelque sorte une bombe à retardement qui compromet l'accomplissement des activités courantes de la vie quotidienne. Sans la présence d'une autre personne, sa vie est en danger. De plus, même si quelqu'un est présent, cela n'empêche pas la crise de se produire. La présence d'une autre personne ne remédie pas, tel un appareil, une prothèse ou une thérapie, au mal dont souffre l'appelante. Cette présence constante est toutefois essentielle à la survie de l'appelante et cela, à mon avis, fait d'elle une personne qui, à la limite, peut satisfaire aux exigences des articles 118.3 et 118.4.

[11]     En l'espèce, l'appelante a témoigné de façon franche et honnête. Je ne crois pas qu'elle ait exagéré son état. Sa vie dépend de la présence d'une autre personne et elle ne peut rien faire sans être accompagnée. Cette situation est due à ses crises d'épilepsie non contrôlées.

[12]     Il s'agit en l'espèce, tel que je l'ai mentionné, d'un cas limité, et lorsqu'il y a un doute, on doit accorder le bénéfice du doute à la personne demandant le crédit comme la Cour d'appel fédérale l'a fait remarquer notamment dans l'arrêt Johnston c. Canada, [1998] A.C.F. no 169 (QL) (angl. 98 DTC 6169).

[13]     Je cite également un passage du juge Bowman (maintenant juge en chef adjoint) dans l'affaire Radage c. Canada, [1996] A.C.I. no 730 (QL) (angl. 96 DTC 1615. Au paragraphe 46 (DTC: page 1625), il a écrit :

[. . . ] Chaque cas dépend des faits qui lui sont propres et, jusqu'à un certain point, de la perception de la Cour quant à la gravité du problème. À la question de savoir où il convient de fixer les limites, je ne puis que répondre que, dans une affaire donnée, je fixe les limites là où le bon sens me l'indique, selon la preuve présentée et d'un point de vue compatissant par rapport au but que visait à mon avis le législateur à l'article 118.3.

5)          Je veux pas dire par là que la détermination doit se fonder sur une réaction instinctive, arbitraire et subjective. Elle doit être basée non seulement sur les faits propres à un cas, mais également sur les principes juridiques appropriés. J'essaierai d'énoncer brièvement les principes sur lesquels se fonde ma décision en l'espèce :

a)          L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

b)          La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique.

[14]     Ces principes s'appliquent en l'espèce. J'en conclus que la déficience présentée par l'appelante satisfait aux critères des articles 118.3 et 118.4. L'appel est donc accueilli.

Signé à Edmundston, Canada, ce 12e jour de décembre 2003.

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :

2003CCI852

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-1107(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Huguette Leclaire et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 3 novembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :

le 12 décembre 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :

Me Michel Tessier

Pour l'intimé(e) :

Me Claude Lamoureux

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant(e) :

Nom :

Me Michel Tessier

Étude :

Bergeron, Martin, Tessier et Falaise

Drummondville (Québec)

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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