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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 2003-2845(GST)G

ENTRE :

DOUGLAS CORKUM,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 30 septembre 2005 à Toronto (Ontario) par

 

l'honorable juge C. H. McArthur

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Suzanne M. Bruce

____________________________________________________________________

 


JUGEMENT

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 3 janvier 2002 et porte le numéro 56149, est accueilli, avec dépens, et la cotisation est annulée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de novembre 2005.

 

 

« C. H. McArthur »

Le juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de mars 2006.

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Référence : 2005CCI755

Date : 20051122

Dossier : 2003-2845(GST)G

ENTRE :

DOUGLAS CORKUM,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]     Douglas Corkum interjette appel d'une cotisation de taxe sur les produits et services (TPS) établie en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise. Selon cette disposition, les administrateurs de la personne morale qui a omis de verser une taxe nette au receveur général comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou 228(2.3) sont solidairement tenus, avec celle‑ci, de payer la somme impayée ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

 

[2]     L'administrateur d'une personne morale n'encourt pas de responsabilité pour un manquement visé au paragraphe 323(1) :

 

s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement [en question] que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[3]     Le ministre du Revenu national a établi à l'égard de l'appelant, le 3 janvier 2002, une cotisation pour des montants de 191 459,29 $ de taxe nette, de 62 917,59 $ d'intérêts et de 76 514,67 $ de pénalités, en raison du défaut de K.D.N. Distribution and Warehousing Ltd. (« K.D.N. » ou la « société ») de payer la taxe nette pour la période s'échelonnant du 25 janvier 1993 au 31 décembre 1995 (la « période pertinente »).

 

Contexte et faits

 

[4]     L'appelant, employé dans le domaine de l'entreposage et du transport depuis le début des années 1990, est le fils de Bernard Corkum. K.D.N. a été constituée le 9 novembre 1992, ou vers cette date, et Bernard Corkum a pris les mesures nécessaires pour que ses deux fils, Neil et Douglas, en soient administrateurs. Neil est décédé en 1994. En somme, l'appelant soutient qu'il n'avait de l'administrateur que le nom.

 

[5]     Douglas Corkum est diplômé du secondaire et il a fréquenté le Sheridan College durant un an dans le but de devenir « aide‑vétérinaire ». Toute son expérience professionnelle a été acquise dans un entrepôt, où il a conduit un chariot élévateur et supervisé d'autres conducteurs qui faisaient le même travail que lui. Il travaille à ce moment comme conducteur de chariot élévateur pour un salaire horaire d'environ 15 $.

 

[6]     Après la faillite de K.D.N., l'appelant a obtenu ce poste chez un tiers pour qui il travaille encore. Il va sans dire que Bernard Corkum a été le témoin principal de K.D.N. étant donné qu'il en contrôlait les activités, à l'exclusion de l'appelant, et ce, depuis la date de la constitution en société. Il a expliqué qu'il a mis K.D.N. aux noms de ses fils Neil et Doug parce qu'il éprouvait des difficultés financières à l'égard d'un propriétaire d'immeuble dans le contexte d'une autre de ses sociétés.

 

[7]     En avril 1997, Bernard Corkum négociait une marge de crédit d'exploitation de 2 000 000 $ avec la Banque de Hong Kong qui insistait pour qu'il soit le seul administrateur de la société. C'est pourquoi Douglas a démissionné. En 1998, K.D.N. a été mise sous séquestre, puis en faillite, par la Banque de Hong Kong. Bernard Corkum contrôlait seul les opérations bancaires et toutes les affaires financières de la société. Bien entendu, la Banque s'est rendu compte que Douglas était un administrateur dépourvu de toute autorité au sein de la société et a insisté pour qu'il démissionne et pour que son père soit nommé administrateur de manière à refléter la réalité. Bernard Corkum a affirmé[1] :

 

[TRADUCTION]

 

La Banque de Hong Kong refusait de nous accorder une marge de crédit d'exploitation de 2 millions de dollars sauf si je congédiais Doug de son poste de président et d'administrateur et si j'assumais moi-même ces postes au sein de la société, puisque c'est moi qui signais les documents et qui donnais ma maison en garantie pour la marge de crédit.

 

[8]     Durant la période pertinente, Douglas était fondé de pouvoir à la Banque Royale du Canada pour signer les chèques de la société uniquement lorsque Bernard Corkum était à l'extérieur de la ville. Un cabinet de comptables agréés a préparé les états financiers de K.D.N. en se fondant exclusivement sur les directives de Bernard Corkum, qui traitait également avec les syndics de faillite et avec l'Agence des douanes et du revenu du Canada et qui s'occupait des procédures dans la présente affaire. Plusieurs employés de bureau, sous l'autorité de Bernard Corkum, étaient chargés de préparer les formulaires de versement à l'intention du ministre. Douglas n'était mêlé d'aucune façon au travail de bureau de K.D.N. Il travaillait sous l'autorité de son père. Lorsqu'on lui demandait de signer quelque chose, il le faisait sans comprendre et sans poser de question. Bien que ce fait ne soit pas pertinent pour la période en cause, Bernard Corkum a préparé l'avis d'appel pour Douglas, qui n'en comprenait pas toutes les subtilités.

 

[9]     Je me penche maintenant sur la question de savoir si l'appelant est responsable au sens de l'article 323 de la Loi, à titre d'administrateur de K.D.N., de l'omission de cette dernière d'avoir payé les taxes comme l'exige le paragraphe 228(2). Je vais également examiner la question de savoir si l'appelant a satisfait à l'exigence de la « diligence raisonnable » prévue au paragraphe 323(3) ou si l'établissement de la cotisation de l'appelant par le ministre était prescrit en vertu du paragraphe 323(5).

 

La diligence raisonnable — le paragraphe 323(3)

 

[10]    La question de savoir si un administrateur satisfait au critère prévu au paragraphe 343(3) est une question de fait et chaque cause doit être jugée selon ses propres faits et son propre fondement. Selon Soper c. La Reine[2], un administrateur externe aura moins de mal à satisfaire au critère de la diligence raisonnable qu'un administrateur interne. Je n'ai aucune difficulté à conclure que l'appelant était un administrateur externe.

 

[11]    Les faits de la présente affaire ressemblent à ceux de l'affaire Fitzgerald et al. c. M.R.N.[3] Dans cette affaire, le ministre a établi des cotisations pour plusieurs contribuables liés pour des retenues à la source impayées de Eugene Fitzgerald & Sons Ltd. Le juge Mogan de la présente cour a jugé que les contribuables ne pouvaient être tenus personnellement responsables dans la mesure où la société appartenait à leur père qui en était le seul gestionnaire et qui interdisait à ses enfants de s'impliquer de quelque façon que ce soit dans les affaires de l'entreprise. Le juge Mogan a affirmé[4] :

 

Il me semble que les appelants étaient administrateurs en droit (c'est-à-dire que leurs noms figuraient comme ceux des administrateurs dans le livre des procès-verbaux de la compagnie), mais non en fait. Il n'y a jamais eu de réunion du conseil d'administration. Les appelants n'ont jamais agi, seuls ou de concert, en qualité d'administrateurs. Ils ne savaient rien de la gestion et de l'administration des affaires de la compagnie. Ils ne détenaient aucune action de cette dernière. Ils n'avaient aucun moyen d'obliger le cinquième administrateur (Eugene Fitzgerald, actionnaire unique) à leur divulguer des renseignements sur les affaires financières de la compagnie. Ils étaient administrateurs en droit uniquement en raison de leur lien familial avec Eugene Fitzgerald. Ils auraient tous pu démissionner de leurs postes d'administrateurs s'ils y avaient pensé, mais cette démission aurait été une source de tension familiale et, du point de vue des trois fils, l'idée de quitter leurs postes d'administrateurs ne leur serait pas venue avant celle d'abandonner leurs emplois.

 

Je ne suis pas prêt à déclarer qu'en règle générale, un administrateur passif ou inactif échappe à la responsabilité énoncée au paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par exemple, la personne qui consent à être administrateur d'une corporation par complaisance pour un ami ou un client et qui omet ensuite de participer à titre d'administrateur à la gestion des affaires de la corporation reste, dans une très large mesure, assujettie aux obligations prévues au paragraphe 227.1(1). L'administrateur passif ou inactif n'est pas, en soi, dégagé de la responsabilité que prévoit le paragraphe 227.1(1). Cependant, lorsque l'administrateur passif ou inactif est devenu membre du conseil d'administration dans le cadre d'une entreprise familiale exploitée sous la forme d'une corporation placée sous la férule d'un patriarche inflexible, la responsabilité de préserver l'harmonie au sein de la famille s'entremêle à la responsabilité légale envers les tiers et, dans de telles circonstances, j'estime qu'il n'est pas raisonnable d'imposer la même norme de soin, de diligence et d'habileté à l'« administrateur familial » passif qu'à la personne qui est réellement libre de devenir administrateur et choisit de le devenir hors de tout contexte familial.

 

Si j'applique ce raisonnement aux faits de l'espèce, je conclus que les appelants satisfont au critère énoncé au paragraphe 227.1(3) parce qu'ils ont agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Je souligne les termes « dans des circonstances comparables » parce qu'une personne raisonnablement prudente, dans cette famille de type féodal, préserverait l'harmonie familiale en n'ayant d'administrateur que le titre et en laissant la gestion de l'entreprise entre les mains du patriarche résolu qui gérait cette dernière avec succès depuis 30 ans. […]

 

[12]    Le raisonnement qui précède s'applique également à la présente situation. Douglas n'avait aucune action de K.D.N., il n'avait aucun moyen d'en contrôler les activités financières. Il s'agissait de la société de son père et Douglas faisait ce qui lui était demandé. Même s'il avait accès aux dossiers, Douglas n'avait en outre ni les connaissances ni l'expérience pour déterminer si K.D.N. payait ses factures et versait la TPS au ministre. Il a pris conscience de la mise sous séquestre de K.D.N. pour la première fois au même moment que les autres employés d'entrepôt, soit lorsque le syndic de faillite les a informés qu'il prenait le relais des activités et qu'ils étaient tous congédiés. Ce seul fait suffit pour faire droit à l'appel. Il existe néanmoins un argument supplémentaire en vertu du paragraphe 323(5), qui se lit comme suit :

 

L'établissement d'une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur.

 

[13]    Je tire la conclusion de fait que l'appelant a démissionné du poste d'administrateur le 21 avril 1997 et je me réfère à la formule no 1 des sociétés de l'Ontario[5]. Manifestement, ce document avait été préparé par les avocats Cousins & Nadler au nom de l'appelant et de K.N.D., afin d'informer la Direction des compagnies du ministère de la Consommation et du Commerce que Douglas avait démissionné du poste d'administrateur le 21 avril 1997 et avait été remplacé par Bernard Corkum. Le dépôt de ce document auprès de la Direction des compagnies de l'Ontario n'a pas été mis en preuve, mais je ne doute pas de son authenticité.

 

[14]    J'accepte les témoignages non contredits de l'appelant et de Bernard Corkum selon lesquels Douglas a démissionné du poste d'administrateur et M. Corkum a été nommé à ce poste en avril 1997 comme suite à la demande insistante en ce sens de la Banque de Hong Kong qui en faisait une condition à l'octroi d'une marge de crédit de 2 millions de dollars à K.D.N. La pièce A‑1 est une copie d'une lettre à M. Bernard Corkum, datée du 1er mai 1997, émanant du cabinet de Me Donald P. Warren et signée par « Lynne », dont voici un extrait :

 

[TRADUCTION]

 

Comme vous le savez, j'ai discuté aujourd'hui de la présente affaire avec Me Warren et je comprends qu'il s'est également entretenu avec vous. Selon les directives qu'il m'a données, nous devons vous nommer président de K.D.N. Nous préparons à ce moment la documentation nécessaire pour accepter la démission de Doug du poste de président et pour vous nommer à ce poste — avec le 21 avril 1997 comme date de prise d'effet (date antérieure au 22 avril, soit la date à laquelle vous avez signé la lettre d'engagement à titre de président de K.D.N.). Doug conservera le poste de secrétaire de K.D.N. et continuera à en être actionnaire. Maître Warren estime qu'il n'est pas nécessaire pour le moment que vous soyez actionnaire de K.D.N. Je vous téléphonerai dès que les documents seront complétés, de manière à ce que vous puissiez passer les prendre et les signer, tel qu'il est requis de le faire.

 

Bien que l'auteur de cette lettre n'ait pas témoigné, l'authenticité de cette dernière n'a pas été remise en cause. Cela satisfait à l'exigence du paragraphe 121(2) de la Loi sur les sociétés par actions, dont voici un extrait :

 

La démission d'un administrateur prend effet à la date de réception par la société d'un écrit à cet effet ou à la date postérieure qui y est indiquée.

 

[15]    C'est une lettre de Bernard Corkum, datée du 1er juillet 2003 et adressée à l'ADRC, qui résume le mieux la situation[6] :

 

Douglas Corkum a été administrateur de K.D.N. du 9 novembre 1992 au 21 avril 1997. Durant cette période, il n'a jamais agi comme administrateur. De même, il n'a été impliqué dans aucune démarche administrative ou financière chez K.D.N. Il gérait un entrepôt.

 

C'est moi, Bernard Corkum, qui gérais l'ensemble des activités de K.D.N., notamment toutes les opérations financières de la société.

 

Le 21 avril 1997, j'ai été nommé seul administrateur de K.D.N. (voir la copie ci‑jointe).

 

Toute la correspondance avec le vérificateur et Revenu Canada avait été rédigée par Bernard Corkum. Le vérificateur a même affirmé savoir que Doug Corkum ne gérait pas K.D.N. et que c'est moi qui m'acquittais de cette tâche.

 

Quant au dernier paragraphe de la page 2 de votre lettre datée du 2 juin 2003, K.D.N. Distribution and Warehousing Ltd. a été mise en faillite par la Banque de Hong Kong le 31 mars 1998. L'assemblée des créanciers a eu lieu le 29 avril 1998 à 14 h (voir la copie ci‑jointe).

 

[16]    Le ministre a établi à l'égard de l'appelant un avis de cotisation daté du 3 janvier 2002, soit bien plus de deux ans après la date à laquelle Douglas a démissionné. La cotisation était donc prescrite.

 

[17]    Pour ces motifs, l'appel est accueilli, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de novembre 2005.

 

 

« C. H. McArthur »

Le juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de mars 2006

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :                         2005CCI755

 

DOSSIER DE LA COUR :       2003-2845(GST)G

 

INTITULÉ :                              Douglas Corkum et Sa majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :        Le 30 septembre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :                    Le 22 novembre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Suzanne M. Bruce

 

AVOCATS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom : N/A

 

                   Cabinet :      N/A

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, C.R.

                             Sous-procureur général du Canada

                             Ottawa (Ontario)

 



[1]           Transcription, page 6, ligne 25, et page 7, lignes 1 à 6.

[2]           [1998] 1 C.F. 124, [1997] 3 C.T.C. 242. Un administrateur externe est en droit de se fier que les gestionnaires de l'entreprise se chargeront de payer les créances de cette dernière.

 

[3]           no 88‑2357(IT), 30 octobre 1991, 92 D.T.C. 1019.

 

[4]           Précité, aux pages 8 et 9 (D.T.C. : à la page 1021).

 

[5]           Pièce A-1, page 5

 

[6]           Pièce A-6.

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