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Dossier : 2004-4248(IT)G

ENTRE :

C.R.I. ENVIRONNEMENT INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 17 octobre 2006, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Bertrand Leduc

 

 

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998, 1999 et 2000 sont rejetés, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mai 2007.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


 

 

 

Référence : 2007CCI206

Date : 20070501

Dossier : 2004-4248(IT)G

ENTRE :

C.R.I. ENVIRONNEMENT INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]     Il s’agit d’appels interjetés sous le régime de la procédure générale de nouvelles cotisations établies à l'égard de l'appelante en rapport avec ses années d’imposition se terminant le 31 mars 1998, le 31 janvier 1999 et le 31 mars 2000 (les « années visées »). Par les nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé à l’appelante le crédit au titre des bénéfices de fabrication et transformation au Canada (le « crédit ») prévu à l’article 125.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour chacune des années visées.

 

[2]     La seule question en litige est la suivante : les marchandises fabriquées ou transformées par l’appelante étaient-elles destinées à la vente tel que le prescrit le paragraphe 125.1(3) de la Loi?

 

Les faits

 

[3]     L’appelante est active dans la gestion des matières dangereuses résiduelles (« résidus industriels »). Son centre de transformation (le « centre ») est doté d’un personnel hautement qualifié et d’équipements modernes permettant d’entreposer et de faire la consolidation de résidus industriels. L’appelante détient des diverses instances gouvernementales tous les permis et autorisations pour recevoir les résidus industriels, à l’exception des matières contaminées par des composés explosifs, radioactifs ou pathologiques.

 

[4]     Le centre reçoit ainsi des résidus industriels liquides, semi-liquides ou solides, de même que des eaux contaminées et des déchets domestiques dangereux.

 

[5]     L’activité principale de l’entreprise de l’appelante est d’entreposer ces résidus industriels et d'en faire la ségrégation et la consolidation d’une façon très sélective afin de les réexpédier transformés vers des destinations autorisées au Canada et aux États-Unis.

 

[6]     L’appelante entre en possession de ces résidus industriels lorsque le générateur les lui achemine, auquel cas, elle entreprend notamment les activités suivantes :

 

i) un représentant de l’appelante va chercher un échantillon des résidus industriels ou obtient des générateurs une fiche technique à soumettre au laboratoire de l’appelante;

 

ii) les résidus industriels ainsi échantillonnés sont caractérisés et analysés au laboratoire de l’appelante;

 

iii) un code de déchet est produit par l’appelante et une soumission est faite par lui au générateur;

 

iv) les résidus industriels sont transportés au centre de l’appelante pour y être contrôlés;

 

v) à leur arrivée, les résidus industriels sont échantillonnés et analysés par l’appelante de manière à vérifier leur conformité avec l’échantillon fourni;

 

vi) les résidus industriels sont, le cas échéant, ou acceptés, ou leur code est changé, ou ils sont refusés;

 

vii) les résidus industriels sont ensuite pesés et déchargés par l’appelante;

 

viii) un rapport de réception des résidus industriels est rempli par l’appelante;

 

ix) les résidus industriels sont ensuite extraits de leurs contenants, ségrégués puis traités pour les conditionner et/ou les stabiliser afin de respecter les critères d’admissibilité des diverses destinations vers lesquelles ils seront réexpédiés pour y être éliminés par incinération ou enfouissement;

 

x) les résidus industriels pouvant être optimisés sont acheminés vers une destination où ils seront valorisés, dans certains cas comme combustible d’appoint ou autrement;

 

xi) les contenants, une fois vidés de leur contenu, sont consolidés, ségrégués selon leur nature physico-chimique et les critères d’acceptabilité des centres de recyclage où ils sont réincorporés, s’il s’agit de métal, dans le cycle de fabrication de l’acier ou de l’aluminium.

 

[7]     L’appelante perçoit un paiement en argent des générateurs de résidus industriels aux fins de les traiter et de les éliminer.

 

[8]     L’appelante débourse des sommes d'argent pour que les résidus industriels qu’elle a traités soient expédiés une fois transformés vers des destinations autorisées au Canada et aux États-Unis.

 

[9]     Les résidus industriels sont à cette fin confiés à des sociétés de transport dont l’appelante a retenu les services pour que celles-ci les acheminent vers leur destination finale.

 

[10]    Les ventes de carton et de métal obtenues à la suite de la transformation faite par l’appelante des contenants vidés de leur contenu n’excédent pas 5 % de son chiffre d’affaires.

 

[11]    Les dispositions pertinentes de la Loi pour les années visées se lisent comme suit :

 

125.1 Crédit au titre des bénéfices de fabrication et de transformation

 

(1) Toute société peut déduire de son impôt payable par ailleurs pour une année d'imposition en vertu de la présente partie 7 % du moins élevé des montants suivants:

 

a) l'excédent éventuel des bénéfices de fabrication et de transformation au Canada réalisés par la société pour l'année sur, si la société est tout au long de l'année une société privée sous contrôle canadien, le moins élevé des montants déterminés aux alinéas 125(1)a) à c) en ce qui concerne la société pour l'année;

 

b) l'excédent éventuel du revenu imposable de la société pour l'année sur le total des montants suivants:

 

(i) le moins élevé des montants déterminés aux alinéas 125(1)a) à c) en ce qui concerne la société pour l'année, si la société est tout au long de l'année une société privée sous contrôle canadien,

 

(ii) les 10/4 du total des sommes déduites, en application du paragraphe 126(2), de l'impôt payable par ailleurs par la société pour l'année en vertu de la présente partie,

 

(iii) le revenu de placement total, au sens du paragraphe 129(4), de la société pour l'année, si elle est une société privée sous contrôle canadien tout au long de l'année.

 

[12]    Nous devons aussi nous référer aux définitions suivantes pour déterminer quelles activités sont visées par la notion de « fabrication et transformation » pour les années visées, définitions que nous retrouvons au paragraphe 125.1(3) de la Loi :

 

« bénéfice de fabrication et de transformation au Canada »

 

S'agissant des bénéfices de fabrication et de transformation au Canada d'une société pour une année d'imposition, la partie du total des montants dont chacun est le revenu que la société a tiré pour l'année d'une entreprise exploitée activement au Canada, déterminé en vertu des règles établies à cette fin par règlement pris sur recommandation du ministre des Finances, qui doit s'appliquer à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location.

 

« fabrication ou transformation » Ne sont pas visés par ces termes :

 

l) toute fabrication ou transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location, si, pour une année d'imposition d'une société à l'égard de laquelle l'expression s'applique, moins de 10 % de son revenu brut tiré de toutes les entreprises exploitées activement au Canada provenait :

 

(i) de la vente ou de la location d'articles qu'elle a fabriqués ou transformés au Canada,

 

(ii) de la fabrication ou de la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location, autres que des articles qu'elle devait vendre ou louer elle-même.

 

[13]    Cette disposition nous renvoie au Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement »). Le Règlement 5202 est le seul pertinent aux fins du présent litige. Ce règlement concerne les activités admissibles ou non au crédit. Il se lit comme suit :

 

a) n'importe quelles des activités suivantes, lorsqu'elles sont exercées au Canada dans le cadre des opérations de fabrication ou de transformation au Canada (à l'exception des activités énumérées aux sous‑alinéas 125.1(3)b)(i) à (ix) de la Loi) de marchandises en vue de leur vente ou de leur location à bail :

 

(i) la conception technique des produits et des installations de production,

(ii) la réception et l'emmagasinage des matières premières,

(iii)    la production, l'assemblage et la manutention des marchandises en voie de transformation,

(iv)    l'inspection et l'emballage des produits finis,

(v)     la surveillance axiale,

(vi)    les activités de soutien de la production y compris la sécurité, le nettoyage, le chauffage et l'entretien de l'usine,

(vii)   le contrôle de la qualité et de la production,

(viii)   la réparation des installations de production, et

(ix)    la lutte antipollution,

b) toutes les autres activités qui sont exercées au Canada directement dans le cadre des opérations de fabrication ou de transformation au Canada (à l'exception des activités énumérées aux sous‑alinéas 125.1(3)b)(i) à (ix) de la Loi) de marchandises en vue de leur vente ou de leur location à bail, et

c) les activités de recherche scientifique et de développement expérimental, au sens de l'article 2900, effectués au Canada,

 

mais ne comprend aucune des activités suivantes :

 

d)      l'emmagasinage, l'expédition, la vente et la location à bail des produits finis,

e)      l'achat de matières premières,

f)       l'administration, y compris les activités relatives aux écritures et au personnel,

g)      les opérations d'achat et de revente,

h)      le traitement des données, et

i)       la fourniture d'installations aux employés, y compris les cafétérias, les cliniques et les installations de récréation;

 

[14]    Il ressort de ces dispositions législatives que, pour bénéficier du crédit, l’appelante doit respecter les conditions suivantes :

 

i)   elle doit exploiter activement une entreprise au Canada;

 

ii)  elle doit effectuer des activités de fabrication et de transformation de marchandises;

 

iii) les marchandises fabriquées ou transformées doivent être destinées à la vente ou à la location; et

 

iv) 10 % ou plus de son revenu brut pour l’année doit provenir de la fabrication ou de la transformation de marchandises destinées à la vente ou à la location.

 

[15]    L’analyse portera essentiellement sur les deux dernières conditions et particulièrement sur la troisième puisque le ministre admet que les deux premières ont été respectées.

 

[16]    Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (le « C. c .Q. ») pour les fins du présent litige sont les articles 1708 et 2098. L’article 1708 définit ainsi la vente :

 

1708. La vente est le contrat par lequel une personne, le vendeur, transfère la propriété d'un bien à une autre personne, l'acheteur, moyennant un prix en argent que cette dernière s'oblige à payer.

 

Le transfert peut aussi porter sur un démembrement du droit de propriété ou sur tout autre droit dont on est titulaire.

 

[17]    L’article 2098 du C. c. Q. définit ainsi le « contrat de service » :

 

Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

Position de l'appelante

 

[18]    L'appelante soutient que :

 

          i)     l'ensemble de ses activités consistait à acquérir des résidus dangereux, qui étaient des produits dont la valeur était négative, à les transformer pour en réduire la valeur négative afin de les revendre toujours à un prix négatif mais inférieur afin de dégager un bénéfice.

 

          ii)    les contrats qui la liaient à ses fournisseurs et aux tiers acquéreurs n'étaient pas des contrats de service. En effet, l'appelante soumet qu'elle ne transformait pas les résidus dangereux d'un fournisseur pour les lui retourner afin que ce dernier en dispose ultérieurement. Selon l'appelante, le fournisseur des résidus dangereux ignorait totalement la nature des transformations qu'elle effectuerait à ces résidus dangereux et il n'exigeait aucunement qu'elle transforme ces résidus industriels. L'appelante soutient que la seule exigence du fournisseur était qu'elle devienne propriétaire des résidus dangereux du fournisseur afin que ce dernier soit libéré de sa responsabilité environnementale liée à leur détention. Au même titre, l'appelante soumet qu'elle n'exigeait du tiers acquéreur aucun service si ce n'est que ce dernier devienne propriétaire de résidus dangereux qu'elle avait transformés afin d'être libérée à son tour de la responsabilité environnementale liée à leur détention.

 

          iii)      le contrat par lequel le fournisseur lui transmettait la propriété des résidus dangereux était nécessairement un contrat de vente puisqu'il ne pouvait être qualifié de contrat de service. Au même titre, elle soumet que le contrat par lequel elle transférait aux tiers la propriété des résidus industriels qu'elle avait transformés était nécessairement un contrat de vente puisqu'il ne pouvait être qualifié de contrat de service.

 

          iv)      le seul objet de sa transformation des résidus dangereux transférés par le fournisseur était d'en réduire la valeur négative afin qu'elle puisse les revendre à un tiers acquéreur et ainsi réaliser un bénéfice en rappelant que, pour réaliser un bénéfice, il lui fallait tout simplement vendre à un prix négatif inférieur au coût de transformation et aux coûts d'acquisition (négatifs).

 

          v)       Le transfert aux tiers de la propriété des résidus dangereux transformés n'était pour ces raisons qu'une vente, bien que le prix était négatif.

 

Analyse et conclusion

 

[19]    Puisqu'il est admis que l'appelante effectuait de la fabrication ou de la transformation au Canada d'articles, la seule question en litige dans la présente affaire consiste à déterminer si les résidus industriels ainsi transformés ou fabriqués par l'appelante étaient destinés à la vente. Autrement dit, est-ce que des résidus industriels transformés par l'appelante étaient transférés aux tiers dans le cadre d'un contrat de vente?

 

[20]    La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] CSC 36, a eu l’occasion de se pencher sur le sens et la portée de la notion de « vente » dans l’expression « biens [...] devant être utilisé directement ou indirectement par lui au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location » dans le cadre de l’application de la déduction pour amortissement accéléré pour les biens de la catégorie 39. Bien que cela ne soit pas exactement pas le cas qui nous occupe, je suis d’avis que les enseignements de la Cour suprême du Canada dans cet arrêt sont tout à fait utiles pour régler le présent litige. Le juge Major, pour la majorité, reconnaissait les divers courants jurisprudentiels qui prévalaient alors et concluait ainsi à l’égard de cette expression :

 

Fabrication ou transformation de marchandises à vendre

 

19  Il ressort de la jurisprudence canadienne deux interprétations divergentes des activités comportant fabrication et transformation de marchandises à vendre. Il peut être utile, sans examiner de façon approfondie la jurisprudence pertinente, d'exposer brièvement les affaires qui illustrent ces deux écoles de pensée.

 

20  L'un des deux points de vue est exprimé dans Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 219 (1re inst.), qui invoque des distinctions issues de la common law et du droit provincial en matière de vente de marchandises pour définir l'admissibilité aux stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation. Seuls sont admissibles les biens en immobilisation utilisés pour fabriquer ou transformer des marchandises fournies en exécution de contrats comportant uniquement la vente de ces marchandises. Un bien utilisé pour fabriquer ou transformer des marchandises fournies dans le cadre de la prestation de services, c'est-à-dire en exécution d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux, n'est pas considéré comme utilisé directement ou indirectement au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation d'articles destinés à la vente et n'ouvre donc pas droit à la déduction pour amortissement accéléré ou au crédit d'impôt à l'investissement.

 

[...]

 

22  L'autre école de pensée se dissocie du point de vue exprimé dans Crown Tire et se refuse à appliquer les règles issues des lois et de la common law en matière de vente de marchandises pour déterminer à quels biens en immobilisation s'appliquent les stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation. Elle préconise plutôt une interprétation littérale du mot « vente », de telle sorte que la prestation d'un service accessoire à la fourniture d'un article fabriqué ou transformé n'empêche pas le contribuable de bénéficier des stimulants. Le transfert de propriété contre valeur suffit. Voir Halliburton Services Ltd. c. La Reine, 85 D.T.C. 5336 (C.F. 1re inst.), conf. par 90 D.T.C. 6320 (C.A.F.), et La Reine c. Nowsco Well Service Ltd., 90 D.T.C. 6312 (C.A.F.).

 

23  Dans Halliburton et Nowsco, le type de contrat entre le contribuable et le client n'a pas été jugé pertinent. Dans les deux cas, la Cour d'appel fédérale a cité et approuvé ce que disait le juge Reed, en première instance, dans Halliburton, semblant recommander un autre critère fondé sur la source du bénéfice du contribuable (à la p. 5338) :

·       ... je ne trouve aucune exigence selon laquelle le contrat qui donne lieu au bénéfice du contribuable doive être d'une nature particulière par ex.: un contrat pour la vente de marchandises et non un contrat d'une nature plus étendue qui comprend le travail et la main-d'oeuvre ainsi que les marchandises ou les matériaux qui sont fournis. À mon avis, c'est la source du bénéfice, (qui découle de la transformation) qui est importante [...] et non la nature du contrat du contribuable avec ses clients.

 

24  L'arrêt Rolls-Royce (Canada) Ltd. c. La Reine, 93 D.T.C. 5031 (C.A.F.), tente de concilier les deux courants jurisprudentiels opposés en limitant le raisonnement tenu dans Crown Tire aux circonstances n'établissant pas la fabrication d'un article distinct et identifiable avant la prestation d'un service ou simultanément à celle-ci. Comme le dit le juge MacGuigan (à la p. 5034) :

·       La distinction cruciale entre les affaires Crown Tire et Halliburton me semble [...] [tenir au fait] que la transformation en cause dans l'affaire Crown Tire « ne comportait pas la création d'une marchandise avant son emploi dans la prestation d'un service » [...] Dans l'affaire Crown Tire, les bandes de caoutchouc n'étaient pas, selon la preuve, fabriquées ou transformées par la contribuable, alors que dans l'affaire Halliburton, le ciment était fabriqué par la contribuable, il l'était même sur mesure selon des stipulations très précises.

 

25  Dans Hawboldt Hydraulics, précité, la contribuable intimée se fonde sur l'interprétation, dans Rolls-Royce, de la décision Crown Tire pour demander la déduction pour amortissement accéléré selon la catégorie 29 et le crédit d'impôt à l'investissement prévu au par. 127(5) à l'égard d'un bien utilisé pour fabriquer des pièces devant servir dans la prestation de services de réparation. La cour a débouté la contribuable et est revenue à la position adoptée initialement dans Crown Tire. Le juge en chef Isaac écrit (à la p. 847) :

·       La règle moderne d'interprétation des lois nous invite à donner à ces mots leur sens ordinaire. Mais il s'agit en l'espèce d'une loi commerciale et dans le monde du commerce, les mots ont un sens bien compris. [...] Le juge Strayer avait raison, à mon humble avis, de dire ceci dans la décision Crown Tire, à la page 225 :

·       ...il faut supposer que le Parlement en parlant « d'articles destinés à la vente ou à la location » a voulu, par une référence au droit général en matière de vente ou de louage, donner à cette expression une plus grande précision dans des cas particuliers.

            [...]

 

29  Malgré cette absence de précision, vente et location ont un sens bien établi en droit. Comme il est signalé dans Crown Tire et Hawboldt Hydraulics, le législateur connaissait le sens de ces termes et était conscient des conséquences de leur emploi. Il s'ensuit que les stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation ne visent que les biens utilisés pour la fourniture de marchandises à vendre, à l'exclusion des biens utilisés principalement pour la fourniture de marchandises en exécution de contrats de fourniture d'ouvrage et de matériaux.

 

            [...]

 

31  Interpréter en l'espèce le mot vente selon son « sens ordinaire » supposerait que la Loi s'applique en vase clos sans tenir aucun compte de la qualification juridique des rapports commerciaux plus généraux qu'elle vise. Il ne s'agit pas d'un code du commerce qui s'ajoute à une loi fiscale. Notre Cour a tenu pour acquis, dans des arrêts antérieurs, qu'il faut s'en remettre aux règles plus générales du droit commercial pour attribuer un sens à des mots qui, indépendamment de la Loi, sont bien définis. Voir Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298. Voir également P. W. Hogg, J. E. Magee et T. Cook, Principles of Canadian Income Tax Law (3e éd. 1999), à la p. 2, où les auteurs signalent :

·       [TRADUCTION] La Loi de l'impôt sur le revenu se fonde implicitement sur le droit commun et plus particulièrement sur le droit des contrats et le droit des biens [...] Le fait qu'une personne soit un employé, un entrepreneur indépendant, un associé, un mandataire, le bénéficiaire d'une fiducie ou l'actionnaire d'une société par actions a généralement une incidence sur l'obligation fiscale et dépend de notions du droit commun, soit généralement du droit provincial.

 

32  Il est également conforme au principe moderne de l'interprétation des lois en fonction de leur objet de s'en remettre au contexte plus large du droit commercial pour déterminer le sens à donner aux termes employés dans la Loi. Comme le dit E. A. Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87 :

·       [TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

 

Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1. R.C.S. 27, au par. 21. Pour l'interprétation des lois fiscales, notre Cour a appliqué la méthode moderne. Voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1993] 3 R.C.S 804, au par. 5, le juge Bastarache, et au par. 50, le juge Iacobucci; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 578.

 

[21]    Il ressort de cet arrêt qu’il faut supposer que le législateur, en parlant de vente, a voulu qu’on interprète ce mot en se référant au droit général en matière de vente.

 

[22]    En l’espèce, le concept de « vente » doit être analysé, à mon avis, à la lumière du droit civil québécois lorsque le droit provincial applicable est celui du Québec. Il suffit, à cet égard, de consulter l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans St-Hilaire c. Canada, [2004] 4 C.F. 289 (C.A.F.) et l’article 8.1 de la Loi d’interprétation (L.R.C. ch. I-21) pour s’en convaincre.

 

[23]    Ainsi, selon l’article 1708 du C. c. Q., il y a vente lorsque :

 

i)  le vendeur transfère la propriété d’un bien à une autre personne, l’acheteur; et qu'

 

ii) en contrepartie du transfert de la propriété du bien, l’acheteur s’oblige à payer au vendeur un prix en argent.

 

[24]    L'article 1708 du C. c. Q. nous amène donc à examiner les deux questions suivantes :

 

          i)  premièrement, l'appelante a-t-elle acquis de ses fournisseurs la propriété des résidus industriels non transformés? Les lois environnementales qui s'appliquaient, pendant les années visées, à la détention de ces résidus industriels faisaient-elles en sorte que l'appelante était plutôt en possession temporaire de ces résidus industriels et qu'ainsi elle ne pouvait transférer la propriété des résidus industriels transformés à des tiers?

 

          ii)  deuxièmement, les tiers s'étaient-ils obligés à payer leur prix en argent à l'appelante en contrepartie du transfert de la propriété des résidus industriels transformés.

 

[25]    Bien que la première question soit fort intéressante, je suis d'avis qu'elle n'a pas besoin d'être résolue pour déterminer si les contrats qui liaient l'appelante à ses fournisseurs ou encore si les contrats qui liaient l'appelante aux tiers étaient, en l'espèce, des contrats de vente au sens de l'article 1708 du C. c. Q. En effet, même si je concluais que les fournisseurs avaient transféré à l'appelante la propriété des résidus industriels et qu'ainsi l'appelante pouvait à son tour transférer la propriété des résidus industriels transformés à des tiers, il n'en demeure pas moins que ces contrats ne pourraient pas être qualifiés de contrats de vente puisque l'appelante ne s'était pas engagée à payer un prix en argent à ses fournisseurs dans le premier cas et puisque les tiers ne s'étaient pas engagés à payer un prix en argent à l'appelante dans le deuxième cas. En effet, la preuve a révélé, dans le premier cas, que c'était plutôt les fournisseurs qui avaient payé l'appelante pour qu'elle acquière la propriété ou prenne possession de leurs résidus industriels alors que, dans le deuxième cas, la preuve a révélé que c'était plutôt l'appelante qui avait payé les tiers pour qu'ils acquièrent la propriété ou prennent possession de ses résidus industriels transformés.

 

[26]    Quant au raisonnement implicite de l'appelante, à l'effet que les contrats qui la liaient aux fournisseurs ou aux tiers, selon le cas, étaient nécessairement des contrats de vente parce qu'ils ne pouvaient être qualifiés de contrats de service, il est, à mon avis, erroné. En effet, en aucune manière les dispositions du C. c. Q. ne nous permettent de conclure que nous sommes nécessairement en présence d'un contrat de service si le contrat concerné ne peut être qualifié de contrat de vente.

 

[27]    Quant au raisonnement implicite de l'appelante, à l'effet que les contrats qui la liaient à ses fournisseurs ou aux tiers ne pouvaient être qualifiés de contrats de service parce qu'ils laissent entendre, dans les deux cas, un transfert de propriété des résidus industriels entre les parties concernées, je suis d'opinion qu'il est tout aussi erroné. En effet, l'article 2098 du C. c. Q. ne prévoit aucunement qu'il ne peut s'agir d'un contrat de service dès qu'il y a un transfert de propriété entre les parties.

 

[28]    En l'espèce, les contrats qui liaient l'appelante aux tiers étaient, à mon avis, des contrats de service au sens de l'article 2098 C. c. Q. en ce que les tiers s'engageaient à devenir propriétaires ou à prendre possession des résidus industriels qu'elle avait transformés dans le but de la libérer de sa responsabilité environnementale liée à leur détention moyennant un prix que l'appelante s'obligeait à leur payer.

 

[29]    Nul doute qu'en l'espèce l'appelante a transformé les résidus industriels et qu'elle en a tiré un bénéfice. Toutefois, le bénéfice que l'appelante a tiré de la transformation de ces résidus industriels n'a définitivement pas été réalisé dans le cadre d'un contrat de vente, mais plutôt dans le cadre d'un contrat de service. Autrement dit, je ne peux accorder à l'appelante le crédit parce que les résidus industriels transformés n'étaient pas destinés à la vente et qu'ils ne sont donc pas visés par le paragraphe 125.1(3) de la Loi.

 

[30]    L’industrie de l’appelante mériterait peut-être d’être encouragée dans le contexte du débat lié à la survie de notre planète. Si le législateur en décidait ainsi, il devrait, à mon avis, retenir un autre critère que celui lié « aux biens destinés à la vente » soit celui fondé sur la source des bénéfices du contribuable.

 

[31]    Pour ces motifs, les appels sont rejetés avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mai 2007.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI206

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-4248(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              C.R.I. Environnement Inc.c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 17 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 1 mai 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Bertrand Leduc

 

 

Avocat de l'intimée :

Me Jean Lavigne

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Bertrand Leduc

                 Cabinet :                           Miler Thomson Pouliot, avocats

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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