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Dossier : 2006-2748(CPP)

ENTRE :

LOGITEK TECHNOLOGY LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

_

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Logitek Technology Ltd. (2006‑2747(EI)) et de Mateen Zubairi (2006-2807(EI) et 2006-2809(CPP)), le 6 mai 2008 à Toronto (Ontario).

 

Devant l’honorable juge suppléant N. Weisman

 

Comparutions :

 

 

Représentant de l’appelante :

M. Gul Nawaz

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Bonnie Boucher

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée suivant les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 11e jour de juillet 2008.

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2008.

 

Danièle Laberge, LL.L.


 

 

Dossier : 2006-2809(CPP)

ENTRE :

MATEEN ZUBAIRI,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Logitek Technology Ltd. (2006‑2747(EI) et 2006-2748(CPP)) et de Mateen Zubairi (2006-2807(EI)), le 6 mai 2008 à Toronto (Ontario).

 

Devant l’honorable juge suppléant N. Weisman

 

Comparutions :

 

 

Représentant de l’appelant :

M. Gul Nawaz

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Bonnie Boucher

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée suivant les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 11e jour de juillet 2008.

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2008.

 

Danièle Laberge, LL.L.


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 331

Date : 20080711

Dossiers : 2006-2748(CPP)

2006-2809(CPP)

ENTRE :

LOGITEK TECHNOLOGY LTD.,

MATEEN ZUBAIRI,

 

appelants,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

 

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Weisman

 

 

[1]     Les deux présents appels sont interjetés à l’égard des décisions du ministre du Revenu national (le « ministre ») selon lesquelles l’appelant, Mateen Zubairi (« M. Zubairi »), occupait un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada[1] (le « Régime »), du 1er octobre 2003 au 4 janvier 2006, alors qu’il travaillait pour l’appelante Logitek Technology Ltd. (« Logitek »). Sur consentement, les appels ont été entendus ensemble sur preuve commune.

 

[2]     L’alinéa 6.(1)a) du Régime définit de la façon suivante un emploi ouvrant droit à pension :

 

a)         l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté;

 

[3]     La présente affaire se complique du fait que les appelants avaient entre eux un lien de dépendance au cours de la période visée puisque les actions de Logitek sont détenues en totalité par la sœur et le beau-frère de M. Zubairi. Pour ce motif, M. Zubairi occupait un emploi assujetti à une restriction au sens de l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance-emploi[2] (la « Loi »), et le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire prévu par l’alinéa 5(3)b) de la Loi lui permettant de conclure qu’il en était réputé autrement.

 

[4]     Il reste à déterminer si M. Zubairi occupait un emploi ouvrant à pension comme le ministre l’affirme ou s’il était un entrepreneur indépendant comme l’appelant le soutient. L’intention commune des parties était que M. Zubairi soit un entrepreneur indépendant puisqu’elles ont signé une entente à cet effet en septembre 2003. Toutefois, il a souvent été décidé que de telles ententes ne sont pas déterminantes quant à la relation entre les parties, laquelle est une question de droit[3] parce que la relation de droit entre un payeur et un travailleur peut avoir un effet sur les droits de tierces parties. Dans l’arrêt Sagaz, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

 

[…] La distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant est utile non seulement en matière de responsabilité du fait d’autrui mais aussi lorsqu’il s’agit d’appliquer diverses lois sur l’emploi, de déterminer si une action pour congédiement injustifié peut être intentée, d’établir des cotisations en matière d’impôt sur le revenu ou de taxe d’affaires, de dresser l’ordre de collocation dans le cas où un employeur devient insolvable ou d’appliquer des droits contractuels.

 

[5]     Pour régler cette question, qui a été caractérisée de différentes façons comme « importante[4] »; « centrale[5] »; et « essentielle[6] », il faut examiner la relation globale que les parties entretiennent entre elles[7] et la force combinée de l’ensemble des opérations[8]. À cette fin, la preuve dans la présente affaire doit être assujettie au critère à quatre volets énoncé comme lignes directrices[9] par Lord Wright dans Montreal City et adopté par M. le juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door. Les quatre lignes directrices sont les suivantes : le contrôle du payeur sur le travailleur, la question de savoir si c’est le travailleur ou le payeur qui possède les outils requis pour exécuter les tâches du travailleur, les possibilités de profits pour le travailleur et les risques de pertes pour le travailleur dans ses rapports avec le payeur.

 

[6]     Logitek conçoit des logiciels techniques qui aident à résoudre divers problèmes d’affaires comme la gestion des chaînes d’approvisionnement. Cela comprend, entre autres, l’émission rapide des commandes d’achat électronique et des reçus d’expédition, ce qui fait que l’utilisateur doit entreposer et financer moins d’articles d’inventaire.

 

[7]     M. Zubairi, un comptable général certifié, a commencé sa relation d’affaires avec Logitek le 1er octobre 2003, au moment où la compagnie était insolvable et avait besoin d’aide pour se réorganiser et prendre des arrangements avec ses banquiers et d’autres créanciers. Sur le site Web de la société, il était désigné comme son directeur des finances; il recevait une avance de 7 000 $ par mois sur les honoraires qu’on lui garantissait pour ses services. Sa rémunération correspondait à celle de l’ancien directeur des finances qui avait initialement été engagé pour veiller à la transformation avortée de Logitek d’une société privée en une société publique. Le montant des honoraires versés à M. Zubairi avait été calculé en multipliant les dix heures par semaine qu’il s’engageait à travailler pour Logitek par son taux moyen de facturation de 175 $ l’heure. En plus de ces appointements, il avait droit à une « allocation d’automobile » de 1 000 $ par mois, qui était en fait un remboursement des dépenses engagées au nom de Logitek, notamment les frais de représentation auprès des représentants de la banque. En septembre 2005, il a été mis fin à cette allocation et elle a été remplacée par une augmentation de 2 800 $ par mois de son avance sur ses honoraires, ce qui lui assurerait de la part de Logitek un revenu total annuel de 117 000 $.

 

[8]     En ce qui concerne ses fonctions, le témoignage de M. Zubairi à cet égard peut être correctement décrit comme un témoignage vague, comme c’était le cas pour un bon nombre de domaines pertinents de l’enquête. Il a d’abord déclaré dans son témoignage qu’il fournissait [traduction] « des services de conseils et de conseils financiers » à la société maintenant viable, et qu’il n’était pas véritablement son directeur des finances, la description apparaissant sur le site Web de la société étant une exigence de la banque. On affirme en outre sur le même site Web qu’il est chargé de la gestion financière et de la comptabilité de la société, même si la société a un employé qui s’occupe de la tenue de livres à l’interne et un comptable à l’externe. Dans son témoignage, M. Zubairi a pu préciser seulement trois domaines spécifiques de responsabilité : il agit à titre de consultant pour Logitek, il fait des prévisions quant à ses revenus et il traite avec ses banquiers.

 

[9]     La présente affaire se complique également du fait que M. Zubairi exploitait pour lui-même son entreprise de comptabilité au cours de la période visée. En tant que comptable général certifié, il a son propre bureau à Mississauga et il a d’autres clients que Logitek. Il leur facture de 150 $ à 200 $ l’heure pour ses services. Son bureau est situé dans les mêmes locaux loués en tant que boutique d’importation et de vente d’artefacts religieux exploitée sous le nom de « Amira Enterprises » qu’il possède à titre de propriétaire unique. La question soulevée par le scénario se rapportant à M. Zubairi est celle de savoir si un individu qui est un entrepreneur indépendant à une fin est par conséquent un entrepreneur indépendant à toutes les fins ou celle de savoir si une personne peut exercer une activité pour son propre compte dans une certaine relation de travail et en même temps être un employé dans d’autres relations de travail. À mon avis, c’est cette dernière possibilité qui l’emporte. M. Zubairi pouvait très bien travailler pour Logitek, tout en augmentant ses revenus dans ses temps libres au moyen d’un magasin de vente au détail et de son cabinet comptable.

 

[10]    Passant au critère à quatre volets énoncé dans Montreal City et dans Wiebe Door, j’estime qu’il est nécessaire d’examiner d’abord les décisions qui ont jusqu’à maintenant fait autorité afin de voir de quelle façon le « contrôle » est défini par les tribunaux, avant d’appliquer les faits de la présente affaire au critère du contrôle. En particulier, des questions sont soulevées quant à savoir si le contrôle requis est un contrôle de fait, de droit ou de fait et de droit, s’il y a des règles spéciales qui sont applicables dans les cas où il s’agit de travailleurs très qualifiés ou de professionnels, si la même définition régit les affaires suivant la common law et suivant le Code civil du Québec et si elle s’applique de la même façon aux affaires en matière de responsabilité du fait d’autrui et de droit du travail.

 

[11]    Le point de départ de notre recherche doit être la conclusion suivante du baron Bramwell dans Regina v. Walker[10] (« Walker ») : [traduction] « un mandant a le droit d’indiquer au mandataire ce qu’il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit, mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite ». Le contrôle a en outre été défini de la façon suivante par le juge Dixon dans Humberstone v. Northern Timber Mills[11]:

 

          [traduction]

La question n’est pas de savoir si en pratique le travail a été effectivement effectué sous une direction et un contrôle exercés par un véritable superviseur ou s’il était possible d’avoir une véritable supervision, mais celle de savoir si l’employeur a une autorité ultime sur l’homme quant à l’exécution de son travail, de sorte qu’il est assujetti aux ordres et aux directives de l’employeur.

 

[12]    On a tiré la même conclusion dans Ready Mixed. Le juge MacKenna, après un examen approfondi de la jurisprudence, déclare qui suit :

 

          [traduction]

Le contrôle inclut le pouvoir de décider quelle chose doit être faite, la manière dont elle doit être faite, les moyens à utiliser pour la faire, le moment auquel la faire et l’endroit où elle doit être faite. Tous ces aspects de contrôle doivent être pris en compte pour décider si le droit existe à un degré suffisant pour faire en sorte qu’une partie soit le commettant et que l’autre partie soit son préposé. Il n’est pas nécessaire que le droit soit sans restrictions. Ce qui importe, c’est l’autorité légale de commander, dans la mesure où il y a une portée à cet égard.

 

Il a été conclu dans les trois affaires que le contrôle de droit d’un commettant sur le travailleur est une condition essentielle à l’existence d’un contrat de louage de services. Il a également été conclu dans les affaires Walker et Ready Mixed que le commettant doit avoir le pouvoir d’ordonner non seulement ce que le travailleur fait, mais comment il le fait.

 

[13]    Dans Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security[12] (« Market Investigations »), le juge Cooke illustre une faiblesse inhérente au critère énoncé dans Walker et dans Ready Mixed. Il cite l’exemple d’un capitaine certifié d’un navire qui peut être employé clairement suivant un contrat de louage de services, mais sur lequel les propriétaires du navire non pas un contrôle de fait quant à la façon selon laquelle il dirige son bateau. La Cour reconnaît ce qui suit :

 

          [traduction]

[L]orsqu’une personne fait des affaires avec un homme de métier ou un homme possédant des aptitudes et une expérience particulières, il ne saurait être question pour l’employeur de dire à cet homme comment exécuter son travail; donc l’absence de contrôle et de directives en ce sens peut n’être que de peu d’utilité, voire d’aucune utilité, en tant que critère.

 

[14]    L’affaire Hôpital Notre-Dame de L’Espérance et Théoret c. Laurent et al.[13] (« Hôpital ») était une affaire de responsabilité du fait d’autrui suivant le Code civil du Québec qui concernait un médecin. La Cour suprême du Canada conclut que [traduction] « le critère essentiel destiné à caractériser les rapports de commettant à préposé est le droit de donner des ordres et instructions au préposé sur la manière de remplir son travail ». Elle reconnaît par conséquent que le contrôle de droit est essentiel, mais revient à la position adoptée dans Walker et dans Ready Mixed selon laquelle les employeurs doivent avoir le droit de dire aux employés non seulement ce qu’ils doivent faire, mais également comment le faire. La Cour ne mentionne pas la distinction tirée dans Market Investigations entre des professionnels et ceux qui occupent des emplois typiques, même si l’affaire dont elle était saisie se rapportait à un médecin.

 

[15]    Il a été conclu de la même façon dans Gallant c. M.R.N.[14], une autre affaire suivant le Code civil, que le contrôle de droit, plutôt que le contrôle de fait, est une condition essentielle à l’existence d’un contrat de louage de services; comme dans l’affaire Hôpital, on n’a pas fait la distinction entre des professionnels et des travailleurs hautement qualifiés et ceux qui ne sont pas autant qualifiés et qui occupent par conséquent des emplois typiques. En fait, la Cour d’appel ne nous donne pas d’information quant au niveau d’expertise du travailleur. La Cour d’appel déclare ce qui suit :

 

Quant au premier motif, il nous semble basé sur lidée fausse quil ne peut y avoir de contrat de louage de services à moins que lemployeur nexerce en fait un contrôle étroit sur la façon dont lemployé exécute son travail. Ce qui est la marque du louage de services, ce nest pas le contrôle que lemployeur exerce effectivement sur son employé, cest plutôt le pouvoir que possède lemployeur de contrôler la façon dont lemployé exécute ses fonctions.

 

[16]    Un mois plus tard, la Cour d’appel fédérale a tranché l’affaire Wiebe Door. Le juge MacGuigan, au nom de la Cour, reconnaît que le critère comme il est formulé dans l’affaire Hôpital « […] s’est révélé tout à fait inapplicable pour ce qui est des professionnels et des travailleurs hautement qualifiés qui possèdent des aptitudes bien supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger ». La Cour cite la conclusion suivante de Lord Wright dans Montreal City : [traduction] « Dans les situations plus complexes de l’économie moderne, il faut souvent recourir à des critères plus compliqués ». Elle a par conséquent adopté son critère à quatre volets du contrôle, de la propriété des instruments de travail, des possibilités de bénéfices et des risques de perte et de la recherche de la relation d’ensemble des parties.

 

[17]    Dans Hennick c. M.R.N.[15], la Cour devait se pencher sur une affaire dans laquelle une professeure de piano insubordonnée était décrite comme un esprit libre ayant exercé ses fonctions sans respect ou considération pour la structure créée par le Royal Conservatory of Music. Par conséquent, il n’était pas possible d’exercer à son endroit un contrôle de fait. La Cour souligne que puisque la travailleuse était une professionnelle, on ne pouvait pas lui dire comment exécuter ses fonctions. Toutefois, elle n’avait pas rempli les conditions minimales d’enseignement prévues par la convention collective entre les parties, qui manifestement constituaient un contrôle. La juge Desjardins déclare : « De plus, c’est le droit d’exercer un contrôle et non pas l’exercice réel de pareil contrôle qui est pertinent ».

 

[18]    Dans Silverside Computer Systems Inc. c. M.R.N.[16], la question était de savoir si un technicien en informatique hautement qualifié, que l’agence de placement appelante avait placé auprès de sa cliente Pitney Bowes, occupait un emploi assurable au sens de la Loi et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime. Il était nécessaire de décider s’il était assujetti aux modalités qui constituaient un contrat de louage de services ou qui étaient semblables à un tel contrat. Cela, à son tour, consistait à établir si la cliente dirigeait et contrôlait le travailleur. L’appelante soutenait que le juge de première instance avait commis une erreur du fait de ne pas avoir interprété le mot « contrôle » comme signifiant le droit de donner à l’employé des ordres et des directives à l’égard de la manière selon laquelle le travail doit être exécuté. La Cour d’appel rejette cet argument en affirmant ce qui suit : « Nous ne sommes pas persuadés que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur justifiant un contrôle judiciaire […] ».

 

[19]    Je conclus de ces trois affaires que, pour les personnes qui occupent des emplois typiques, le contrôle requiert habituellement que l’employeur ait le droit ou le pouvoir d’ordonner ce que le travailleur fera et la manière selon laquelle il le fera ou comment il le fera. Dans le cas de professionnels ou de travailleurs hautement qualifiés cependant, le contrôle nécessaire est établi si l’employeur a le droit de dire quoi faire au travailleur, même s’il ne peut lui dire comment le faire.

 

[20]    La Cour suprême du Canada a ensuite traité de la question du contrôle dans l’arrêt Sagaz. Il s’agissait d’une affaire dans laquelle Landow, l’actionnaire unique d’American Independent Marketing Inc. (« AIM »), a soudoyé Summers, le chef de la division automobile de la Société Canadian Tire, pour qu’il achète de Sagaz ses housses de sièges en imitation de peau de mouton. Si AIM était le représentant de Sagaz, cette dernière était indirectement responsable de la conduite délictueuse de Landow, mais ne l’était pas si ce dernier était un entrepreneur indépendant exerçant une entreprise pour son propre compte.

 

[21]    Le juge Major, pour la Cour suprême du Canada, a examiné entre autres les diverses décisions judiciaires Walker, Hôpital, Montreal City, Market Investigations, et Wiebe Door. Après avoir conclu que Landow et AIM avaient une possibilité de bénéfices et un risque de pertes dans leurs rapports avec Sagaz étant donné qu’ils travaillaient à commission seulement, il a conclu ce qui suit au paragraphe 55 :

 

Le degré de contrôle exercé sur AIM par Sagaz revêt une importance cruciale dans la présente analyse. Alors que Sagaz fixait les prix, les conditions et les autres modalités que AIM devait négocier pour le compte de Sagaz, c’est AIM qui, en définitive, décidait de l’aide apportée à Sagaz en vue d’obtenir la clientèle de Canadian Tire. Là encore, AIM décidait combien de temps elle consacrait respectivement à Sagaz et aux autres fournisseurs qu’elle desservait. Sagaz décidait de ce qu’il y avait à faire alors que AIM déterminait comment le faire.  Cela indique que Sagaz n’exerçait aucun contrôle sur M. Landow.

 

[22]    Cette affaire indique par conséquent que le critère à quatre volets utilisé pour distinguer un employé d’un entrepreneur indépendant s’applique aussi aux cas de responsabilité du fait d’autrui comme il le fait en droit du travail. Malheureusement, la Cour suprême ne s’exprime pas sur la question de savoir si elle a considéré que Landow était un professionnel ou un travailleur hautement qualifié ou s’il occupait un emploi typique. Sa conclusion selon laquelle le contrôle requiert que le payeur impose ce qui devait être fait et comment cela devait être fait fournit par conséquent peu d’indications. En outre, le langage utilisé par la Cour suprême semble indiquer que seul le contrôle de fait sur le travailleur est suffisant, mais ne traite pas de la portée juridique du contrôle de droit.

 

[23]    L’arrêt Wolf fournit la première possibilité contemporaine d’apprendre de la Cour d’appel fédérale si le « contrôle » a la même définition en common law qu’elle a dans le Code civil du Québec. Le travailleur en cause était un ingénieur en aéronautique hautement spécialisé. La juge Desjardins déclare ce qui suit au paragraphe 43 :

 

[…] un entrepreneur ou un prestataire de services, conformément aux articles 2098 et 2099 du Code civil du Québec, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service à un prix convenu. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat, et il n’existe entre les parties contractantes aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[24]    Elle cite ensuite l’arrêt Curley v. Latreille[17] dans lequel il a été souligné que la règle sur ce point est identique à la common law. Elle conclut que la distinction entre un contrat de louage de services suivant le Code civil du Québec peut être examinée à la lumière des critères établis au fil des ans tant en droit civil qu’en common law.

 

[25]    À l’égard de la différence entre le contrôle de fait et le contrôle de droit, et de l’emploi typique par rapport à l’emploi hautement qualifié, la juge Desjardins déclare ce qui suit au paragraphe 74 de l’arrêt Wolf :

 

[…] si le travailleur a un contrôle total sur l’exécution de son travail une fois qu’il lui a été attribué, ce facteur pourrait faire que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Par ailleurs, si l’employeur contrôle en fait l’exécution du travail ou a le pouvoir de contrôler la façon dont l’employé exécute ses fonctions (Gallant c. Canada (Ministère du Revenu national), [1986] A.C.F. n330 (C.A.) (QL)), le travailleur sera considéré comme un employé.

 

[26]    Après avoir par conséquent conclu que l’un ou l’autre du contrôle de fait et du contrôle de droit est suffisant, elle a ensuite reconnu que la distinction entre les fonctions exécutées et la façon de les exécuter est difficile à appliquer dans le cas de travailleurs hautement qualifiés ou de spécialistes dont l’expertise excède celle de l’employeur. Elle fournit à titre d’exemple le pilote qui est généralement un employé bien que personne ne lui dise comment piloter son avion et le médecin travaillant dans une clinique qui peut être un employé bien qu’il soit le maître de sa pratique professionnelle.

 

[27]    Le juge Décary, souscrivant à la décision, se joint aux juges qui ont décidé que le contrôle essentiel est le contrôle de droit, en déclarant ce qui suit au paragraphe 112 :

 

[…] ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d’un contrat de travail est l’absence dans le premier cas d’un « lien de subordination » entre le prestataire de services et le client (article 2099 C.C.Q.) et la présence dans le dernier cas du droit de l’employeur de « diriger et contrôler l’employé » […].

 

[28]    Le travailleur dans l’arrêt Wolf était un ingénieur en aéronautique hautement qualifié et spécialisé à qui on ne pouvait par conséquent pas dire comme exécuter son travail. Il était en outre quelqu’un qui prenait des risques en ayant choisi d’avoir une rémunération plus élevée, de même que la possibilité de déduire des dépenses admissibles à des fins fiscales et une liberté de mobilité par rapport à une sécurité d’emploi et à des avantages d’employé. Il a par conséquent été conclu qu’il était un entrepreneur indépendant.

 

[29]    Le fait que le concept d’une relation de subordination contenu dans le Code civil a été bien incorporé à la common law est démontré par l’arrêt City Water International Inc. c. M.R.N.[18], dans lequel, au paragraphe 18, le juge Malone cite D & J Driveway à titre de décision faisant autorité à l’appui de la proposition suivante : « Un contrat d’emploi nécessite l’existence d’un rapport de subordination entre l’employé et l’employeur. La notion de contrôle est le facteur clé permettant de qualifier cette relation […]. »

 

[30]    Par contre, une conclusion d’un tribunal selon laquelle il existe une relation de subordination n’est pas elle-même suffisante pour établir qu’un travailleur est un employé. Dans Combined Insurance Co. of America c. M.R.N.[19], une affaire suivant le Code civil du Québec, la Cour d’appel fédérale renverse une décision d’un juge de la Cour de l’impôt qui, en se fondant sur l’article 2099 du Code, a conclu que le degré de contrôle exercé par l’appelante était tel qu’il existait entre l’intimée et l’appelante une relation de subordination qui était déterminante quant à l’existence d’un contrat de louage de services et qu’il n’était pas nécessaire, sauf pour le critère du contrôle, d’adopter les critères établis dans Wiebe Door et Sagaz.

 

[31]    Dans l’arrêt Le Royal Winnipeg Ballet, la juge Sharlow, au paragraphe 50, confirme ce qui suit : « Il est généralement accepté que, selon le Code, la distinction essentielle consiste dans l’élément de subordination ou de contrôle, mais selon la jurisprudence cette distinction doit également être examinée à la lumière des critères que l’on retrouve dans les arrêts Wiebe Door et Sagaz […] ». À l’égard du contrôle sur les danseurs de la compagnie, elle soutient ce qui suit au paragraphe 66 :

 

[…] Il me semble que le RWB exerce un contrôle étroit sur le travail des danseurs, mais ce contrôle ne dépasse pas ce qu’exige la présentation d’une série de ballets pendant une saison de spectacles bien planifiée. Si le RWB devait présenter un ballet en ayant recours à des artistes invités pour tous les rôles principaux, le contrôle qu’exercerait le RWB sur les artistes invités serait le même que si tous ces rôles étaient exécutés par des danseurs engagés pour la saison. Si l’on accepte (comme on doit le faire) le fait qu’un artiste invité peut accepter un rôle au sein du RWB sans pour autant devenir son employé, il faut en déduire que le facteur du contrôle exercé doit être compatible avec le fait que l’artiste invité est un entrepreneur indépendant. Il s’ensuit donc qu’on ne peut raisonnablement considérer comme incompatible avec l’intention des parties d’attribuer aux danseurs le statut d’entrepreneur indépendant le contrôle exercé en l’espèce sur les danseurs.

 

[32]    Ces observations peuvent se limiter aux situations de fait précises soumises à la Cour étant donné que dans l’arrêt Équipe de ski Capitale nationale Outaouais c. M.R.N.[20] (« Capitale nationale »), qui se rapportait à un skieur nommé Bélanger, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 14 : « De plus, la notion de contrôle présentait un aspect différent dans l’affaire RWB. Ce contrôle était exigé par « la présentation d’une série de ballets pendant une saison de spectacles bien planifiée » […]. En d’autres termes, le contrôle visait à orchestrer un spectacle chorégraphique. Ce n’est pas le cas de M. Bélanger. »

 

[33]    L’affaire Precision Gutters Ltd. c. M.R.N.[21] (« Precision ») concernait des travailleurs qui installaient des gouttières et qui par conséquent n’étaient pas personnes hautement qualifiées ou des professionnels. La Cour d’appel fédérale, au paragraphe 15, décrit simplement le critère du contrôle comme suit : « le degré de contrôle ou l’absence de contrôle de la part de l’employeur ». Malheureusement, la Cour ne précise pas si le contrôle en cause est un contrôle de fait ou de droit, pas plus qu’elle n’examine la distinction entre ce qui doit être fait et la manière dont cela doit être fait. Elle affirme simplement ce qui suit au paragraphe 22 :

 

Le juge de la Cour de l’impôt est arrivé à la conclusion, selon la preuve présentée, que le critère du contrôle favorisait la qualification des poseurs comme entrepreneurs indépendants. Le défendeur ne semble pas contester cette conclusion et je n’ai rien à redire à la conclusion du juge de la Cour de l’impôt.

 

[34]    Nous pouvons conclure de ce tour d’horizon de la jurisprudence que le contrôle de droit ou le contrôle de fait sur le travailleur est une condition d’existence d’un contrat de louage de services. De même, les exemples du capitaine d’un navire et du pilote d’un avion qui sont au-dessus du contrôle de leurs commettants, mais qui sont néanmoins clairement des employés, montrent qu’il y a maintenant une distinction nette entre un emploi typique et un emploi atypique hautement qualifié ou professionnel. Dans le premier emploi, l’employeur a le droit de dire au travailleur ce qu’il doit faire et comment il doit le faire ou la manière selon laquelle le travail doit être fait. Dans le deuxième emploi, il suffit que le payeur ait le droit d’imposer ce qui doit être fait. Il est en outre clair que le critère du contrôle est le même suivant la common law qu’il l’est suivant le Code civil du Québec, que le concept de « relation de subordination » est un emprunt utile au droit civil pour discerner ce qui constitue un contrat de louage de services et ce qui ne le constitue pas et que les critères élaborés dans le contexte de situation de responsabilité du fait d’autrui sont également applicables à des affaires portant sur le droit du travail, même si les considérations de principe sous-jacentes sont plutôt différentes.

 

[35]    J’applique les principes précédemment mentionnés à la situation de fait qui m’est soumise, et je fais d’abord référence à la question du contrôle. Selon M. Latiq Qureshi, le président de Logitek, il n’y avait pas de contrôle exercé ou d’instructions données à l’égard du travail de M. Zubairi ou à l’égard de moments précis auxquels il devait se rendre au bureau de la société. Contrairement aux employés de Logitek, M. Zubairi pouvait aller et venir comme il le souhaitait, et ses heures de travail n’étaient aucunement intégrées dans les activités de Logitek et elles n’étaient pas non plus coordonnées avec ces activités.

 

[36]    Je suis conscient que de nombreux avocats ont avec des clients des ententes de services selon lesquelles ils reçoivent périodiquement des avances sur honoraires pour s’occuper des affaires juridiques de leurs clients de façon générale, mais qui conservent néanmoins leur statut d’entrepreneur indépendant. Cependant, dans la présente affaire, Logitek fournissait à M. Zubairi un bureau et un ordinateur ainsi qu’un téléphone cellulaire en plus de la ligne téléphonique qui lui était dédiée. Il bénéficiait en outre du même régime de prestations de maladie que les autres employés de la société, au même coût, et ses cours de perfectionnement professionnel étaient payés par Logitek. En outre, sa position bien en vue sur le site Web de la société le décrit comme un élément clé de l’équipe de gestion de la société, donnant ainsi l’impression qu’il est un employé intégré à la société. Tous ces éléments indiquent un degré de coordination aux activités de Logitek qui est compatible avec un contrat de louage de services[22].

 

[37]    Compte tenu de son expertise, la preuve donne à penser qu’on s’attendait à ce qu’il exécute personnellement les services qu’il fournissait à la société. En fait, il a déclaré dans son témoignage que c’est ce qu’il faisait. Cela a une certaine importance parce que, dans Ready Mixed, le juge MacKenna cite le professeur Atiyah sur la responsabilité du fait d’autrui comme suit : [traduction] « L’employé doit être tenu d’accomplir personnellement le travail et de fournir ses propres compétences. La liberté de faire un travail, de ses propres mains ou par l’entremise d’une autre personne, est incompatible avec un contrat de louage de services, bien qu’un pouvoir de délégation limité ou occasionnel puisse ne pas l’être ». En outre, aucun élément de preuve ne démontrait que M. Zubairi avait le droit de refuser d’exécuter les tâches que lui assignait Logitek[23]. Cela le plaçait envers Logiteck dans une relation de subordination qui est également caractéristique d’un contrat d’emploi[24].

 

[38]    En outre, bien que la preuve indique que Logitek exerçait peu de contrôle de fait ou aucun tel contrôle sur les allées et venues de M. Zubairi, je ne suis pas convaincu que Logitek n’avait pas un contrôle de droit sur ces allées et venues, compte tenu de l’avance sur honoraires de 117 000 $ qu’elle lui versait et de son intégration à la culture de l’entreprise. Elle a simplement choisi de ne pas exercer un tel contrôle. Finalement, à mon avis, il suffisait d’établir le contrôle requis selon lequel la société avait le droit de lui dire, à titre de professionnel, ce qu’il devait faire même si elle ne pouvait pas lui dire comment le faire. Je conclus que le facteur de contrôle tend à indiquer que M. Zubairi était un employé de Logitek au cours de la période visée.

 

[39]    La propriété des instruments est pertinente parce qu’elle se rapporte au contrôle. Le juge MacKenna dans Ready Mixed, aux pages 444 et 445, cite de la façon suivante le paragraphe 220(2) du American Restatement, Agency 2nd :

 

[traduction]

[…] si le travailleur utilise les outils ou instruments de son employeur, en particulier s’ils ont une grande valeur, il est habituellement entendu qu’il suivra les directives du propriétaire pour leur utilisation et cela indique que le propriétaire est un commettant. Ce fait n’a toutefois qu’une valeur probante.

 

Dans l’affaire dont je suis saisi, M. Zubairi avait un bureau, un ordinateur contenant tous les renseignements financiers de Logitek, un téléphone cellulaire et une ligne téléphonique terrestre comme cela a été précédemment mentionné. Il a soutenu qu’il devait périodiquement apporter à la maison les registres de la société et qu’il faisait sur son propre ordinateur et sur son équipement s’y rapportant du travail touchant ces registres, mais il était évasif quant à la nécessité de ce travail. Par conséquent, le facteur de la propriété des instruments indique également qu’il était un employé.

 

[40]    Par contre, il avait effectivement une possibilité de bénéfices dans ses rapports avec Logitek. Son taux de facturation habituel était de 150 $ à 200 $ l’heure, un chiffre qu’il a vraisemblablement établi parce qu’il couvrait ses frais d’exploitation fixes et variables et générait des bénéfices. L’avance sur honoraires de 117 000 $ par année versée par Logitek lui procurait un bénéfice très élevé de 280 $ l’heure compte tenu de son engagement à travailler 40 heures par mois. Le facteur de la possibilité de bénéfices indique par conséquent que M. Zubairi était un entrepreneur indépendant.

 

[41]    Inversement, puisque la société remboursait à M. Zubairi toutes les dépenses qu’il effectuait en son nom, son entente avec Logitek ne comportait pas de risques de perte. Il prétendait qu’il était « responsable » s’il donnait des mauvais conseils à la société, mais il était évasif quant aux ramifications financières dans cette éventualité. Lorsqu’on lui a demandé s’il pouvait avoir une assurance quant à une telle responsabilité, il a soutenu, chose incroyable, qu’il n’avait pas les moyens de payer la prime annuelle de 850 $. Le facteur de risque amène également à conclure que, au cours de la période visée, M. Zubairi travaillait pour Logitek suivant un contrat de louage de services.

 

[42]    Même si l’intention commune des parties selon laquelle M. Zubairi était un entrepreneur indépendant dans leur relation de travail n’est pas déterminante quant à la nature légale comme cela a été précédemment mentionné, la juge Desjardins, dans l’arrêt Le Royal Winnipeg Ballet, fournit au paragraphe 81 les directives suivantes quant à sa pertinence :

 

[…] le juge de la Cour canadienne de l’impôt aurait dû prendre acte du témoignage non contredit relatif à l’interprétation commune des parties selon laquelle les danseurs étaient des entrepreneurs indépendants et se demander ensuite, en se fondant sur les facteurs de l’arrêt Wiebe Door, si cette intention avait été réalisée.

 

Dans l’affaire dont je suis saisi, ce n’était manifestement pas le cas étant donné que trois des quatre directives de l’arrêt Wiebe Door indiquent que M. Zubairi était un employé de Logitek.

 

[43]    Comme je l’ai précédemment énoncé, il faut, pour régler la question dont la Cour est saisie, que j’examine dans son ensemble la relation entre les parties. Dans Precision, au paragraphe 14, il a été décidé que l’intégration n’est pas l’un des éléments du critère à quatre volets de Wiebe Door, et qu’il s’agit d’un critère tout à fait séparé. En suivant Market Investigations et de Wiebe Door, la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 30, indique au juge de première instance de traiter de la question de savoir si : [traduction] « la personne qui s’est engagée à accomplir ces tâches les accomplit en tant que personne dans les affaires à son compte ». Cela comporte l’examen de la question de savoir si M. Zubairi a intégré son travail dans l’entreprise de Logitek ou s’il a intégré les besoins de Logitek dans son entreprise.

 

[44]    Lorsqu’on lui a demandé quelle portion de ses revenus annuels provenait de Logitek et quelle portion provenait de ses autres clients et de sa boutique, M. Zubairi a soutenu ne pas avoir une ventilation de ses revenus; cela semble être inhabituel pour un comptable. Sa déclaration de revenus T1 générale pour l’année 2005 nous renseigne plus à cet égard. Elle montrait des honoraires professionnels bruts de 92 000 $ à une époque où il percevait 95 200 $ de Logitek seulement. Il a tenté d’expliquer l’insuffisance d’autres revenus en disant que ses revenus étaient traités selon une comptabilité de caisse plutôt que selon une comptabilité d’exercice et qu’il se pouvait bien qu’il y ait eu à la fin de l’exercice du travail en cours qui comblait la différence. Quoi qu’il en soit, il est évident que ses revenus autres que ceux provenant de Logitek représentent une portion négligeable de ses revenus. Il est par conséquent clair que M. Zubairi a intégré son travail à l’entreprise de Logitek. De ce fait, je conclus que M. Zubairi consacrait son temps libre à travailler comme entrepreneur indépendant dans son cabinet comptable et dans sa boutique de vente au détail tout en étant un employé de Logitek suivant un contrat de louage de services.

 

[45]    En outre, même si M. Zubairi avait un gérant à temps plein au magasin (qu’il considérait également comme un entrepreneur indépendant), en 2005 ses enfants ont perçu 20 000 $ du magasin de vente au détail à titre d’entrepreneurs indépendants qui avaient exécuté des services non précisés, ce qui a contribué à une perte d’entreprise d’environ 36 000 $. Au cours de la même période, son épouse a reçu du cabinet comptable de M. Zubairi un autre 20 000 $ pour des services dont la description est, de nouveau, vague. Je conclus que le cabinet privé et le magasin étaient des véhicules commodes conçus afin de fournir aux membres de sa famille une source de revenus et de faire en sorte que la « perte » en résultant soit disponible à titre de déduction sur l’impôt sur le revenu par ailleurs payable sur la rémunération reçue de Logitek.

 

[46]    Dans les présentes affaires, il appartient aux appelants de démolir les hypothèses énoncées par le ministre dans sa réponse à leurs avis d’appel[25]. Il doit être tenu pour acquis que les hypothèses du ministre sont vraies jusqu’à ce que le contraire soit démontré[26]. La seule hypothèse que les appelants ont réussi à démolir est l’hypothèse 7(k) dans laquelle ils soutiennent ce qui suit : [traduction] « Avant l’embauche de l’appelant, les mêmes fonctions étaient exécutées par le directeur des finances ». Comme il a été précédemment mentionné, l’ancien directeur des finances avait été engagé pour convertir Logitek en une société ouverte alors que le rôle de M. Zubairi consistait à superviser la réorganisation de la société par suite de son insolvabilité. Les autres faits qui n’ont pas été démolis sont suffisants pour appuyer en droit les décisions du ministre[27].

 

[47]    Le rôle d’un juge de la Cour canadienne de l’impôt qui entend un appel d’une décision du ministre consiste à vérifier l’existence et l’exactitude des faits allégués et l’évaluation qui en a été faite par le ministre ou ses fonctionnaires et, par la suite, à décider à la lumière des vérifications effectuées si la décision du ministre demeure une décision objectivement raisonnable[28]. Dans l’exercice de ce rôle, le juge doit accorder au ministre un certain degré de déférence, à l’égard de l’évaluation initiale, et il ne peut pas simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre à moins qu’il y ait des faits nouveaux ou de nouveaux éléments de preuve établissant que les faits connus ont été mal compris ou erronément évalués[29].

 

[48]    Je souligne que ces directives ont initialement été énoncées par la Cour d’appel fédérale dans Légaré et Pérusse qui étaient deux affaires dans lesquelles on demandait au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire prévu par l’alinéa 5(3)b) de la Loi. L’affaire Livreur Plus établit que ces directives s’appliquent également à toutes les distinctions faites par les tribunaux entre les entrepreneurs indépendants et ceux qui occupent des emplois assurables en vertu de la Loi et des emplois ouvrant droit à pension en vertu du Régime. Une fois de plus, bien que Légaré et Pérusse aient été entendus suivant le Code civil du Québec, Valente c M.R.N.[30] prévoit que les règles y énoncées s’appliquent de la même façon aux affaires entendues suivant la common law.

 

[49]    Par conséquent, les appelants ne se sont pas acquittés du fardeau de démolir les hypothèses énoncées dans les réponses du ministre à leur avis d’appel; rien ne démontre qu’il existe des faits nouveaux ou que le ministre a mal compris ou a évalué erronément les faits connus et je conclus par conséquent que les décisions de ce dernier sont objectivement raisonnables[31].

 

[50]    Les deux appels sont rejetés et les décisions du ministre sont confirmées.

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 11e jour de juillet 2008.

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2008.

 

Danièle Laberge, LL.L.


 

 

RÉFÉRENCE :

2008 CCI 331

 

No DES DOSSIERS DE LA COUR :

2006-2748(CPP) et

2006-2809(CPP)

 

INTITULÉ :

Logitek Technology Ltd.,

Mateen Zubairi et

Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 11 juillet 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Gul Nawaz

 

Avocate de l’intimé :

Me Bonnie Boucher

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] L.R.C. 1985, ch. C‑8, et modifications.

[2] L.C. 1996, ch. 23.

[3] Ready Mixed Concrete (South East) Ltd. v. Minister of Pensions and National Insurance, [1968] 1 All E.R. 433 (Q.B.D.) (« Ready Mixed »); Wiebe Door Services v. M.N.R. (1986), 87 DTC 5025 (CAF) (« Wiebe Door »); Standing c. M.R.N., [1992] A.C.F. no 890; 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] A.C.S. no 61 (« Sagaz »); Wolf c. Canada (C.A.), [2002] 4 C.F. 396 (CAF) (« Wolf »); D & J Driveway Inc. c. M.R.N., 2003 CAF 453 (« D & J Driveway »); Livreur Plus Inc. c. M.R.N., [2004] A.C.F. no 267 (C.A.F.) (« Livreur Plus »); Le Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., [2006] CAF 87 (« Le Royal Winnipeg Ballet »).

[4] Wiebe Door.

[5] Sagaz.

[6] Le Royal Winnipeg Ballet.

[7] Wiebe Door.

[8] Montreal City v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al., [1947] 1 D.L.R. 161 (« Montreal City »).

[9] Charbonneau c. M.R.N., [1996] A.C.F. no 1337 (C.A.F.) (« Charbonneau »).

[10] (1858), 27 L.J.M.C. 207, à la p. 208.

[11] (1949), 79 C.L.R. 389, à la p. 404.

[12] [1968] 3 All E.R. 732, à la p 736 (Q.B.D.).

[13] [1978] 1 R.C.S. 605, à la p. 613.

[14] [1986] A.C.F. no 330 (C.A.F.).

[15] [1995] A.C.F. no 294 (C.A.F.).

[16] [1997] A.C.F. no 1591 (C.A.F.).

[17] (1920), 60 S.C.R. 131.

[18] 2006 CAF 350.

[19] [2007] A.C.F. no 124.

[20] [2008] A.C.F. no 557.

 

[21] [2002] A.C.F. no 771.

[22] Canada c. Rousselle, [1990] A.C.F. no 990 (C.A.F.).

[23] Livreur Plus au para. 40; Precision, au para. 27.

[24] Charbonneau; D & J Driveway; Livreur Plus, au para. 18.

[25] Johnston v. M.N.R., [1948] S.C.R. 486; Hickman Motors Ltd. v. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, aux para. 92-93.

[26] Livreur Plus; Équipe de ski Capitale nationale Outaouais c. M.R.N.; Dupuis c. M.R.N., [2003] A.C.F. no 1410 (C.A.F.)

[27] Jencan Ltd. c. M.R.N., [1997] A.C.F. no 876 (CAF)

[28] Légaré c. M.R.N., [1999] A.C.F. no 878 (« Légaré »); Pérusse c. M.R.N., [2000] A.C.F. no 310 (« Pérusse »); Massignani c. M.R.N., 2003 CAF 172; Bélanger c. M.R.N., 2003 CAF 455; Livreur Plus

[29] Pérusse, au para. 15.

[30] [2003] A.C.F. no 418 (CAF).

[31] Légaré; Pérusse; Livreur Plus.

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