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Dossier : 2007-4663(IT)I

ENTRE :

MARIA GAMBINO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 6 octobre 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

 

Me Miles D. O’Reilly, c.r.

Avocats de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

Me Ian Theil

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en application de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli et la cotisation est annulée.

 

          Par suite de l’entente intervenue entre les parties, les dépens de l’appelante sont fixés à 850 $.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de novembre 2008.

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de janvier 2009.

 

S. Tasset


 

 

 

Référence : 2008 CCI 601

Date : 20081105

Dossier : 2007-4663(IT)I

ENTRE :

MARIA GAMBINO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]     Madame Gambino est âgée de 78 ans. L’Agence du revenu du Canada a établi à son endroit une cotisation fondée sur l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à sept chèques de 1 500 $ qu’elle a encaissés à sa banque pour le compte de son fils.

 

I. Faits

 

[2]     Les faits ne sont pas contestés et la Couronne reconnaît, à tous les égards importants, que la preuve présentée par la contribuable est exacte. La Couronne n’a pas contesté la crédibilité de la contribuable.

 

[3]     En 2005 et au début de 2006, Mme Gambino a encaissé sept chèques de 1 500 $ émis au nom de son fils par Manulife Financial. À ce moment, son fils, Francesco, qui approchait de la cinquantaine, était atteint d’une infection à la jambe. Il ne travaillait pas et il était incapable de marcher. Il a demandé à Mme Gambino d’encaisser les chèques d’invalidité au fur et à mesure de leur réception. Elle se rendait donc à pied à un établissement de Canada Trust situé tout près et elle encaissait les chèques endossés par son fils après les avoir elle‑même endossés à la banque. On lui remettait le montant du chèque en espèces, elle retournait à la maison et elle donnait l’argent à son fils. Les endossements consistaient simplement en les signatures du bénéficiaire et de sa mère.

 

[4]     La Couronne fait valoir dans sa réponse que Mme Gambino déposait les chèques dans son propre compte. La réponse est muette sur ce qui se passait par la suite. En fait, les chèques et les carnets de banque de Mme Gambino montrent sans équivoque que les chèques n’étaient jamais déposés dans son compte. Il ressort en outre clairement des relevés bancaires visant chacune des sept opérations que la banque a remis à Mme Gambino des espèces en échange de son endossement des chèques, lesquels étaient déjà endossés par son fils, le bénéficiaire. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que ce fait a une quelconque incidence sur l’issue de la présente affaire.

 

[5]     Pour chacun des chèques, sauf un, Mme Gambino a rapporté les 1 500 $ en espèces qu’elle avait reçus de Canada Trust et les a remis à son fils le même jour. À une occasion, ce dernier lui a dit de conserver une somme de 500 $ sur le montant du chèque endossé en remboursement d’un prêt de cette somme qu’elle lui avait consenti. Dans ce cas, Canada Trust a crédité d’une somme de 500 $ le compte de Mme Gambino et celle‑ci a remis la différence de 1 000 $ à son fils. La Couronne ne conteste pas le fait que Mme Gambino ait prêté à son fils une somme de 500 $ dans le sens habituel du terme mais, et ce point est examiné plus loin, elle nie que l’opération a nécessairement donné lieu à un rapport juridique contractuel.

 

[6]     En ses propres termes (comme ils ont été traduits par l’interprète), Mme Gambino a encaissé les chèques pour son fils et elle lui rapportait l’argent pour qu’il achète ses médicaments ou d’autres choses.

 

[7]     Pendant le contre‑interrogatoire, la Couronne a fait en sorte que Mme Gambino confirme qu’elle aimait son fils et qu’elle encaissait les chèques de celui‑ci pour lui rendre service parce qu’il était malade et qu’elle avait pitié de lui. Mme Gambino a également confirmé au cours du contre‑interrogatoire qu’elle ne savait pas que son fils avait une dette fiscale de 85 000 $ à l’époque. Elle savait qu’il avait des dettes, mais elle ne se mêlait pas de ses affaires personnelles et elle n’était au courant d’aucun détail. La Couronne ne lui a pas posé d’autres questions.

 

[8]     La Couronne reconnaît que Mme Gambino n’a jamais eu la propriété effective des fonds et qu’elle a toujours agi à titre de simple fiduciaire. À mon sens, cela signifie que les fonds ne lui ont jamais appartenu et qu’elle n’a jamais pu en faire ce qu’elle voulait à aucun moment entre son départ pour la banque et son retour à la maison et la remise de l’argent à son fils. La Couronne reconnaît qu’après avoir encaissé chacun des chèques, Mme Gambino revenait de la banque avec les fonds et les remettait à son fils le même jour. C’est ce qui se serait passé avec le montant total de six chèques de 1 500 $ et avec la somme de 1 000 $ pour le septième chèque de 1 500 $. La Couronne reconnaît que les 500 $ restants qui ont été crédités au compte de Mme Gambino par Canada Trust ont servi à rembourser une somme qu’elle avait prêtée à son fils.

 

II. Droit

 

[9]     Les parties pertinentes de l’article 160 de la Loi sont ainsi libellées :

 

     160 (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

[…]

 

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s’appliquent :

 

[…]

 

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i)                 l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii)        le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

III. Thèse des parties

 

[10]    La contribuable fait valoir qu’elle agissait uniquement comme mandataire de son fils lorsqu’elle a successivement encaissé les chèques de ce dernier. C’est‑à‑dire qu’à chacune des occasions où Francesco Gambino recevait un chèque de 1 500 $ de Manulife Financial, il apposait sa signature au verso de sorte que sa mère puisse aller à la banque et l’encaisser en son nom, ce qu’elle a fait chaque fois. Dans tous les cas, sauf un, il a reçu en espèces la totalité du montant du chèque lorsque sa mère revenait de la banque. Dans le dernier cas, sa mère lui a remis 1 000 $ en espèces et il a remboursé à celle‑ci la somme de 500 $ qu’il lui avait empruntée.

 

[11]    La thèse de la contribuable n’est pas dépourvue de bon sens ni d’intérêt puisque, chaque fois, le fils commençait la journée avec un chèque de 1 500 $ de Manulife émis à son nom et, dès que sa mère revenait de la banque, il obtenait ses fonds en espèces. Hormis le fait qu’il ne le remettait pas à sa mère, je ne sais pas comment il utilisait cet argent.

 

[12]    Selon la thèse de la Couronne, l’article 160 et le récent arrêt Livingston v. Her Majesty the Queen, 2008 D.T.C. 6233, de la Cour d’appel fédérale, lequel intéresse cette disposition, sont très techniques et doivent être appliqués de façon rigoureuse dans les situations où il existe un lien de dépendance. La Couronne soutient que ce doit être le cas malgré la sévérité du résultat parce que les opérations effectuées entre personnes ayant un lien de dépendance peuvent avoir pour effet de priver l’ARC de sa capacité à recouvrer des impôts exigibles.

 

[13]    La Couronne s’appuie en très grande partie sur les propos tenus par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Livingston, au paragraphe 21 :

 

     Le dépôt de sommes sur le compte bancaire d’une autre personne constitue un transfert de biens. Rappelons, pour lever toute ambiguïté, que le dépôt de sommes par Mme Davies sur le compte de l’intimée permettait à cette dernière de les en retirer n’importe quand. Le bien transféré était le droit d’exiger de la banque qu’elle remette à l’intimée la totalité des sommes déposées. La valeur de ce droit était la valeur totale desdites sommes.

 

[14]    La Couronne avance en l’espèce que, lorsqu’il a remis les chèques endossés à sa mère, M. Gambino a transféré à celle‑ci le droit d’exiger de la banque du payeur qu’elle lui verse la totalité des fonds. Selon la Couronne, il faut donc considérer, conformément à la même analyse que celle appliquée par la Cour d’appel fédérale à l’égard d’un véritable dépôt de fonds, qu’il y a eu transfert d’un bien de valeur de M. Gambino à Mme Gambino au moment où il lui a remis son chèque endossé.

 

[15]    La Couronne s’appuie en outre sur l’arrêt Livingston pour affirmer que même le transfert d’un droit de propriété nominale sans propriété bénéficiaire rendra le bénéficiaire du transfert responsable de l’entière valeur du bien suivant l’article 160. Sur ce point, la Couronne invoque le paragraphe 22 de l’arrêt Livingston. Bien que, dans ce passage, la Cour d’appel fédérale ne se prononce nullement sur la valeur du transfert d’un simple droit de propriété nominale, il ressort implicitement de la décision que la valeur de la propriété nominale dénuée de la propriété bénéficiaire correspond à la valeur totale du bien en cause dans cette affaire. Pour cette raison, la Couronne soutient que la responsabilité de Mme Gambino aux termes de l’article 160 n’a pas à être restreinte pour tenir compte de la somme en espèces qu’elle s’est empressée de remettre à son fils après avoir encaissé le chèque de ce dernier.

 

[16]    À titre subsidiaire, la Couronne avance que, si Mme Gambino n’agissait pas dans les limites d’une fiducie, mais plutôt dans un cadre s’apparentant au mandat ou au dépôt, les opérations pourraient être d’une nature autre que contractuelle. De plus, comme l’article 160 n’accorde au bénéficiaire du transfert qu’un crédit au titre de la « contrepartie » donnée à l’auteur du transfert et comme une contrepartie n’existe qu’en droit contractuel, ni les espèces que Mme Gambino a remises à son fils, ni aucune promesse en ce sens ne constituait nécessairement une contrepartie. La Couronne invoque l’arrêt Balfour v. Balfour, [1919] 2 K.B. 571, rendu en matière de droit de la famille par la Cour d’appel du Royaume-Uni en 1919, pour affirmer que les ententes conclues entre parents et reflétant des arrangements purement domestiques ne donnent pas nécessairement naissance à des droits contractuels s’il n’était pas de l’intention des parties de créer de tels droits. La Couronne poursuit en faisant valoir que, comme il incombe à Mme Gambino d’établir la juste valeur marchande de la contrepartie, quelle qu’elle soit, elle avait l’obligation de prouver que son consentement à encaisser les chèques pour son fils, son prêt de 500 $ à ce dernier et le remboursement de ce prêt visaient à établir une entente contractuelle et non un arrangement purement familial.

 

[17]    En outre, selon la Couronne, même si les sommes en espèces que Mme Gambino a remises à son fils constituaient une contrepartie, ces sommes n’ont pas été données au moment où le chèque endossé lui a été transféré, mais peut‑être seulement une ou plusieurs heures plus tard le même jour. Comme l’éventuelle responsabilité du bénéficiaire du transfert suivant l’article 160 n’est restreinte que par la valeur de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert à l’auteur de celui‑ci au moment où le débiteur fiscal transfère le bien, même si la somme en espèces donnée par Mme Gambino constituait une contrepartie, elle n’aurait pas pour effet de restreindre sa responsabilité selon l’article 160.

 

[18]    Quant à la somme de 500 $ que Mme Gambino a prêtée à son fils et que ce dernier lui a remboursée au moyen d’une partie du produit de l’un des chèques, la Couronne allègue qu’il n’a pas été établi que le règlement de ce prêt constituait une contrepartie à laquelle une valeur doit être attribuée pour l’application du sous‑alinéa 160(1)e)(i). La Couronne s’appuie à nouveau sur l’éventuelle application de l’arrêt Balfour v. Balfour pour affirmer que le prêt consenti par Mme Gambino ne visait peut‑être pas à créer des rapports contractuels juridiques puisqu’il était le fruit de l’amour et de l’affection naturels. La Couronne ne conteste nullement le fait que le prêt a été consenti et remboursé de cette façon. Elle avance qu’en l’espèce, la bénéficiaire du transfert, Mme Gambino, a le fardeau d’établir la juste valeur marchande de la contrepartie, quelle qu’elle soit, qui aurait été donnée en échange du bien transféré et qu’elle ne s’est pas acquittée de cette obligation puisque je ne dois pas présumer qu’un prêt contractuel est intervenu simplement parce qu’il y a eu prêt et remboursement d’argent au sein de la famille.

 

IV. Analyse

 

[19]    L’application du paragraphe 160(1) est assujettie à quatre critères. Ceux‑ci ont été énoncés dans la décision Williams v. Her Majesty the Queen, 2000 D.T.C. 2340, et approuvés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raphael v. Her Majesty the Queen, 2002 D.T.C. 6798, lequel a confirmé la décision de la présente cour rendue par M. le juge Mogan. Il s’agit des critères suivants :

 

1)                  il doit y avoir eu un transfert de biens;

2)                  il faut que l’auteur et le bénéficiaire du transfert aient un lien de dépendance;

3)                  le bénéficiaire du transfert ne doit pas avoir donné de contrepartie à l’auteur du transfert (ou doit lui avoir donné une contrepartie insuffisante);

4)                  l’auteur du transfert doit payer un montant en vertu de la Loi au cours de l’année dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année antérieure.

 

[20]    Dans l’arrêt Livingston, la Cour d’appel fédérale fait état de ces quatre mêmes exigences, bien que dans un ordre et en des termes différents.

 

[21]    Dans la présente affaire, les deuxième et quatrième exigences ont manifestement été remplies et elles ne sont pas en litige.

 

[22]    En ce qui touche la première exigence, l’avocat de la contribuable affirme que, dans les circonstances en l’espèce, aucun bien ni droit d’aucune valeur n’a été transféré par le fils à sa mère lorsqu’il lui a remis son chèque signé pour qu’elle l’encaisse en son nom.

 

[23]    Quant à la troisième exigence relative à la contrepartie, la contribuable fait valoir que, s’il y a eu un transfert de propriété, elle a donné une contrepartie suffisante lorsqu’elle s’est empressée de faire ce qu’on lui demandait, à savoir remettre les espèces à son fils et rembourser le prêt qu’elle lui avait consenti.

 

[24]    Comme il a été mentionné précédemment, la Couronne s’appuie en très grande partie sur l’arrêt Livingston de la Cour d’appel fédérale. Cependant, il importe de signaler que les faits dans cette affaire sont bien différents de ceux présentés devant moi. Dans cet arrêt, on avait élaboré un stratagème visant à cacher des actifs pour échapper à des créanciers, et les parties avaient en réalité comploté en vue de léser l’ARC. Même si ce n’est pas une condition préalable à l’application de l’article 160, la Cour d’appel a précisé qu’il s’agissait d’un fait « crucial » dans le cadre de l’appel dont elle était saisie. Or, cette connaissance et cette intention font défaut en l’espèce. Dans l’arrêt Livingston, la Cour affirme au paragraphe 19 que cette connaissance et cette intention peuvent se révéler pertinentes pour apprécier le caractère suffisant de la contrepartie donnée.

 

[25]    Dans l’arrêt Livingston, la bénéficiaire du transfert avait ouvert un compte bancaire dans lequel la débitrice fiscale pouvait déposer ses chèques. La bénéficiaire du transfert a remis à la débitrice fiscale la seule carte bancaire du compte ainsi que des chèques en blanc signés sur ce compte afin de lui permettre d’en effectuer des retraits et de s’en servir comme s’il s’agissait de son propre compte, ce qu’elle a fini par faire. Les relevés bancaires étaient toutefois envoyés à la débitrice fiscale.

 

[26]    Dans cet arrêt, au paragraphe 27, la Cour énonce de la façon suivante l’objet visé par le paragraphe 160(1) :

 

         Sous le régime du paragraphe 160(1), le bénéficiaire d’un transfert de biens est redevable à l’ARC dans la mesure où la juste valeur marchande de la contrepartie donnée pour ces biens est inférieure à la juste valeur marchande de ceux‑ci. L’objet même du paragraphe 160(1) est d’assurer la conservation de la valeur des biens existants dans le patrimoine du contribuable aux fins de recouvrement par l’ARC. Dans le cas où le contribuable s’est entièrement dessaisi de ces biens, le paragraphe 160(1) prévoit la possibilité pour l’ARC d’exercer ses droits sur lesdits biens contre le bénéficiaire de leur transfert. Cependant, ce paragraphe n’est pas d’application lorsque l’auteur du transfert a reçu au moment de celui‑ci une somme équivalente à la valeur des biens transférés, c’est‑à‑dire une contrepartie à la juste valeur marchande. La raison en est qu’une telle transaction ne lèse pas l’ARC en tant que créancier. Si l’on applique ces principes à la présente espèce, il apparaît clairement que la transaction opérée entre l’intimée et Mme Davies n’a apporté à celle‑ci rien d’équivalent aux biens transférés qui aurait pu être recouvré par l’ARC, de sorte qu’on ne peut absolument pas dire qu’il y ait eu contrepartie.

[Non souligné dans l’original.]

 

[27]    Au paragraphe 18 de ses motifs, la Cour avait déjà renvoyé aux propos qu’elle a tenus dans l’arrêt Medland v. Her Majesty the Queen, 98 D.T.C. 6358, selon lesquels l’objet et l’esprit de ce paragraphe « consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint [ou encore à un mineur ou à une personne avec qui il a un lien de dépendance] afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû ».

 

[28]    La Couronne a également invoqué la décision Logiudice v. Her Majesty the Queen, 97 D.T.C. 1462, du juge Bowie. Dans cette affaire, on déclare aussi que l’article 160 a pour objet d’empêcher les contribuables de se soustraire à leurs obligations sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu en plaçant leurs passifs et leurs actifs entre les mains de parents ou d’autres personnes avec lesquelles ils ont un lien de dépendance, et donc hors de la portée immédiate du percepteur d’impôt.

 

[29]    Or, aucune intention de cette nature n’existe en l’espèce. De même, la Couronne n’a pu, lorsqu’elle en a eu l’occasion, préciser comment l’ARC aurait pu être lésée par le fait que Mme Gambino encaisse les chèques de son fils avant que celui‑ci ne dépense l’argent au lieu que ce dernier encaisse lui‑même ses chèques avant de dépenser l’argent. Si l’ARC avait eu connaissance du fait que Manulife versait des prestations à intervalles réguliers à Francesco Gambino, elle aurait pu efficacement saisir‑arrêter les sommes en délivrant une demande formelle de paiement à l’institution financière. Dès lors que Francesco Gambino avait en sa possession les sommes en espèces visées par les chèques, l’ARC aurait pu prendre des mesures d’exécution avant qu’il ne les dépense. Il en aurait été ainsi qu’il eut encaissé les chèques lui‑même ou qu’il eut demandé à sa mère de le faire pour lui. On n’a jamais sérieusement laissé entendre que, n’eût été du fait que Mme Gambino avait apporté les chèques à la banque et les avait encaissés pour son fils, l’ARC aurait pu prendre à n’importe quel moment des mesures d’exécution visant les chèques de Manulife ou les sommes en espèces reçues au titre de ceux‑ci. Francesco Gambino aurait tout aussi bien pu prendre lui‑même d’autres dispositions. En l’espèce, il n’existe aucun lien de causalité entre l’absence de recouvrement de ces sommes par l’ARC auprès de Francesco Gambino et le fait que la mère de ce dernier ait marché jusqu’à la banque pour encaisser ses chèques en son nom. L’argent ne s’est même à aucun moment retrouvé dans le compte de Mme Gambino.

 

[30]    La thèse avancée par le ministre est totalement dépourvue de sens commun. Signe de son évidente inexactitude, elle aurait pu être invoquée par le ministre contre Mme Gambino même si Francesco Gambino avait utilisé les fonds pour payer l’ARC afin de réduire sa dette fiscale. Plus ridicule encore, les arguments techniques présentés par la Couronne auraient pu être avancés même si le fils de Mme Gambino avait remis à cette dernière les chèques endossés de Manulife et lui avait demandé de les apporter au bureau fiscal de l’ARC pour que les sommes en cause soient appliquées au crédit de sa bien plus importante dette fiscale.

 

[31]    J’accepte le fait que Mme Gambino ait eu l’intention et se soit empressée de rapporter à son fils les espèces obtenues au titre des chèques encaissés. Je reconnais aussi qu’il était de l’intention de Mme Gambino que son fils lui rembourse le prêt de 500 $ qu’elle lui avait consenti. J’accepte qu’elle n’ait pas pensé que son fils avait eu l’intention de lui faire un don de l’une quelconque de ces sommes. Je suis convaincu qu’une contrepartie, au sens où ce terme est employé à l’article 160, a été donnée pour chacune des sommes qui ont brièvement passé entre ses mains. Je suis également convaincu que son engagement à cet effet ou, quoi qu’il en soit, son intention d’effectivement agir ainsi, existait au moment où les chèques endossés lui ont été transférés.

 

[32]    Compte tenu des circonstances et pour les raisons susmentionnées, l’appel de Mme Gambino est accueilli à tous les égards et la cotisation est annulée.

 

[33]    Selon l’entente des parties, les dépens sont fixés à 850 $ en faveur de Mme Gambino.

 

[34]    Je ne puis terminer sans exprimer la profonde déception que m’inspire le gouvernement pour avoir contraint Mme Gambino à se rendre jusqu’à l’instruction. La thèse avancée par le gouvernement ne tient pas debout. Bien que la dette fiscale de son fils puisse demeurer impayée, Mme Gambino n’a absolument rien fait qui soit susceptible de contribuer à cette situation.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de novembre 2008.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de janvier 2009.

 

S. Tasset

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 601

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-4663(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Maria Gambino c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 6 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

 

Me Miles D. O’Reilly, c.r.

Avocats de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

Me Ian Theil

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Miles D. O’Reilly, c.r.

 

                          Cabinet :                  Miles D. O’Reilly, c.r.

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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