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Référence : 2008CCI299

Date : 20080522

Dossier : 2007-3680(IT)I

 

ENTRE :

TOM HOCHHAUSEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l'audience à Edmonton (Alberta), le 19 mars 2008.)

 

Le juge Boyle

 

[1]     En 2004, Spacial Management Systems Ltd. (« SMS » ou « la société ») n'a pas versé ses retenues à la source à l'égard de ses employés comme elle était tenue de le faire. Pour une partie de 2004, M. Hochhausen était un administrateur de SMS. La seule question en litige en l'espèce est de savoir si M. Hochhausen a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

I. Les faits

 

[2]     Les faits ne sont pas vraiment contestés. La Couronne n'a pas beaucoup contre‑interrogé M. Hochhausen au sujet de la version des faits qu'il avait présentée lors de son témoignage en interrogatoire principal, mais le contre‑interrogatoire a quand même permis de mieux comprendre les circonstances de l'affaire. Je n'ai eu aucune difficulté à exposer mes conclusions de fait ci‑après.

 

[3]     Monsieur Hochhausen est un comptable agréé de très grande expérience. Monsieur Sutherland, l'actionnaire exerçant le contrôle de SMS, était un ami de M. Hochhausen. Quoique leur amitié soit née de leurs liens professionnels, M. Hochhausen a vécu dans la maison de M. Sutherland durant la première partie de 2004. Monsieur Hochhausen était alors séparé de son épouse.

 

[4]     En 2004, SMS a commencé à exploiter une entreprise d'arpentage. Monsieur Sutherland était arpenteur et il avait déjà été propriétaire d'autres sociétés d'arpentage. D'autres sociétés appartenant au groupe de sociétés de M. Sutherland étaient actives dans divers autres secteurs.

 

[5]     SMS a eu jusqu'à 15 employés, y compris un comptable. Monsieur Sutherland avait demandé à M. Hochhausen de devenir un administrateur de SMS, ce que ce dernier a fait en février 2004.

 

[6]     Lorsque M. Hochhausen est devenu un administrateur de SMS, il savait déjà que M. Sutherland et certaines de ses sociétés avaient des antécédents de difficultés financières, qu'ils pouvaient être des contribuables belliqueux et qu'ils avaient déjà eu des différends avec l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »). Lors de son contre‑interrogatoire, M. Hochhausen a quelque peu contredit son témoignage en interrogatoire principal en reconnaissant qu'il savait qu'une des sociétés du groupe avait déjà accusé un arriéré dans le versement de retenues d'impôt qu'elle avait faites, et que l'ARC avait pris des mesures de recouvrement à l'encontre de cette société. Bien que M. Hochhausen n'ait pas été un employé de cette société et que ni elle, ni M. Sutherland n'eussent retenu les services de M. Hochhausen, ce dernier croyait que la situation avait été causée par un problème de flux de trésorerie, et que les créances clients de cette société étaient suffisantes pour payer l'arriéré.

 

[7]     Monsieur Hochhausen n'a jamais été un employé d'une des sociétés de M. Sutherland. Avant 2001, on avait demandé à M. Hochhausen de préparer les états financiers nécessaires à l'obtention d'un prêt, de réviser certains états financiers et de régler, avec succès, un différend opposant l'ARC et l'une des sociétés relativement à des crédits d'impôt pour la recherche et le développement demandés par cette dernière.

 

[8]     Monsieur Hochhausen n'était pas payé pour être un administrateur de SMS. Il n'était pas non plus un employé de SMS ou un consultant pour celle‑ci. Il ne participait pas à la gestion quotidienne de la société. Cela aurait été un peu inutile, puisque le personnel de SMS comprenait déjà un comptable. Le comptable travaillait pour le groupe de sociétés de M. Sutherland depuis 15 ans; M. Hochhausen connaissait le comptable et il avait déjà travaillé avec lui dans ce contexte au fil des ans.

 

[9]     Après que M. Hochhausen est devenu un administrateur de SMS, lui et le comptable sont devenus les seuls signataires autorisés de la société pour les documents bancaires et les engagements financiers tels que la location d'équipement. Monsieur Hochhausen et le comptable étaient aussi les personnes responsables de la gestion et de la surveillance du compte bancaire de SMS. Monsieur Hochhausen pouvait accéder électroniquement aux documents financiers de la société.

 

[10]    Monsieur Hochhausen n'a presque jamais signé de chèques pour le compte de SMS. Il laissait le comptable s'acquitter de cette tâche, parce que ce dernier travaillait dans les locaux de la société. Monsieur Hochhausen a signé deux chèques, alors que le comptable était absent et que M. Hochhausen était présent. Monsieur Hochhausen s'était entretenu avec le comptable quant à l'importance de verser les retenues d'impôt et, lorsqu'il est devenu un administrateur de SMS, il avait clairement demandé au comptable de ne verser aucune somme provenant de SMS à M. Sutherland si les retenues d'impôt n'avaient pas été versées.

 

[11]    Au cours des mois où M. Hochhausen était un administrateur de SMS, il a eu des réunions mensuelles ou bimensuelles avec M. Sutherland et le comptable. Il n'est pas clair si d'autres membres de la direction de la société ont participé à ces réunions. Il y avait également des conférences téléphoniques. Les réunions avaient lieu lorsque M. Hochhausen n'était pas absent à cause de ses voyages d'affaires. Monsieur Hochhausen recevait une trousse d'information pour chaque réunion. Chaque trousse comprenait un état des résultats de SMS et des états des dettes et des créances. Lors de chacune des réunions tenues entre février et septembre, M. Hochhausen avait reçu l'assurance que les retenues à l'égard des employés avaient été versées. Il demandait expressément à M. Sutherland si des chèques pour l'ARC avaient été faits, ce que ce dernier lui confirmait. Les documents financiers qui étaient fournis à M. Hochhausen, et ceux auxquels il avait accès et qu'il avait consultés, confirmaient que les chèques faits à l'ARC étaient inscrits en tant que dépenses.

 

[12]    En septembre 2004, M. Hochhausen a appris par téléphone que SMS éprouvait des difficultés financières. Il était alors en voyage, et il a pris des dispositions pour tenir une réunion avec la direction de la société à son retour au mois d'octobre. C'est au moment de cette réunion que M. Hochhausen a appris que les retenues d'impôt n'avaient en fait pas été versées. Il s'avère qu'on n'avait pas dit la vérité à M. Hochhausen, et que les chèques de versement de retenues, une fois faits et inscrits comme dépenses, n'avaient jamais été envoyés. Il a aussi appris que le comptable ne travaillait plus pour SMS.

 

[13]    Monsieur Hochhausen a démissionné de son poste d'administrateur en octobre, peu après avoir pris connaissance de ces faits.

 

[14]    Au début de l'année suivante, il a été conclu que les inscriptions des créances de SMS avaient été grandement exagérées. Le comptable n'avait pas inscrit les recettes convenablement. Monsieur Hochhausen a dit qu'il avait été estomaqué en apprenant que l'information qu'on lui avait donnée était erronée, parce qu'il faisait confiance au comptable et qu'il n'avait aucune raison de douter de son honnêteté.

 

[15]    Après avoir cessé d'être un administrateur de SMS, M. Hochhausen a aidé l'ARC à résoudre le problème des arriérés de retenues d'impôt de la société. Monsieur Hochhausen a notamment payé l'ancien comptable de SMS pour obtenir son aide.

 

II. Analyse

 

[16]    Pour être disculpé, M. Hochhausen doit satisfaire au critère objectif prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, à savoir le critère de la conduite qu'aurait adoptée une personne raisonnablement prudente. Les connaissances et l'expérience de M. Hochhausen en comptabilité et en affaires, sa compréhension de l'organisation du groupe de sociétés de M. Sutherland et sa connaissance des difficultés fiscales antérieures font toutes partie des circonstances comparables qui doivent être considérées. Pour ne pas être tenu responsable, M. Hochhausen doit démontrer qu'il a agi avec le même degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne imaginaire raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

[17]    La jurisprudence portant sur la diligence raisonnable des administrateurs fait certaines distinctions entre le cas de l'administrateur interne et celui de l'administrateur externe. La décision de la Cour d'appel fédérale dans Soper est un bon exemple de cette distinction. Monsieur Hochhausen a dit s'être toujours considéré comme un administrateur externe. La Couronne affirme qu'il était un administrateur interne. Je conclus que M. Hochhausen était manifestement un administrateur externe. Mis à part le poste d'administrateur qu'il a occupé, sans rémunération, durant environ huit mois, M. Hochhausen n'a jamais occupé d'autre poste chez SMS, il est clair qu'il ne participait pas à la gestion quotidienne de la société, et il n'existe aucune preuve montrant qu'il aurait pu influencer autrement les activités commerciales de SMS. Monsieur Hochhausen n'avait aucune action ni aucune participation financière dans la société.

 

[18]    La Couronne a soutenu que M. Hochhausen était un administrateur interne, quoique peu attentif, parce qu'il aurait pu participer à la gestion quotidienne de SMS. Cet argument était en partie fondé sur le fait qu'il avait accès aux documents financiers de la société. Bien que je sois certain qu'un simple administrateur puisse devenir un administrateur interne en participant dans les faits à la gestion d'une société, je ne suis pas convaincu que la simple possibilité d'une telle participation soit suffisante. De toute façon, aucune preuve en l'espèce ne démontre que M. Hochhausen aurait pu, même s'il l'avait voulu, participer plus activement à la gestion de SMS.

 

[19]    Je suis convaincu qu'une personne raisonnablement prudente qui se serait trouvée dans les mêmes circonstances que M. Hochhausen en février 2004, lorsqu'il est devenu administrateur, aurait pris des mesures concrètes en ce qui concerne le versement des retenues d'impôt. Puisque M. Hochhausen est comptable agréé et qu'il connaissait les problèmes fiscaux que M. Sutherland et des sociétés du groupe de sociétés de M. Sutherland avaient déjà eus, y compris une période où les retenues d'impôt n'avaient pas été versées, une personne raisonnablement prudente n'aurait pas pu s'en remettre passivement à la direction de la société en espérant que celle‑ci agisse de façon responsable. Dans les circonstances, il était tout à fait justifié que M. Hochhausen fasse preuve de méfiance. Il lui incombait de prendre des mesures concrètes, notamment en posant des questions à la direction relativement au versement des retenues d'impôt à l'égard des employés, et en obtenant des réponses satisfaisantes.

 

[20]    La véritable question est de savoir si les mesures prises par M. Hochhausen, en tant qu'administrateur, relativement au versement des retenues d'impôt étaient suffisantes. Les faits énoncés ci‑dessus révèlent les mesures que M. Hochhausen a prises. L'argument fondamental de la Couronne est que M. Hochhausen aurait dû en faire plus pour ne pas se laisser berner par les réponses trompeuses de la direction de SMS. La Couronne a soutenu que M. Hochhausen aurait dû vérifier les comptes bancaires de la société pour s'assurer de la véracité des réponses fournies par la direction. À mon avis, cela serait trop exigeant eu égard aux circonstances. Je suis d'accord pour dire que si SMS avait réglé son problème de versement de retenues et que M. Hochhausen avait continué d'être un de ses administrateurs, ce dernier aurait alors fait preuve de prudence raisonnable en demandant à voir des relevés bancaires, des reçus de l'ARC ou d'autres documents provenant de tiers. Toutefois, ce ne sont pas là les circonstances dans lesquelles M. Hochhausen se trouvait.

 

[21]    Compte tenu des faits, je suis convaincu que M. Hochhausen a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Plus précisément :

 

(1)     Dès le début de son mandat d'administrateur, M. Hochhausen a régulièrement tenu des réunions avec la direction de SMS. Ces réunions comprenaient, entre autres, un examen de l'état des créances et des dettes de la société, et d'un état des résultats.

 

(2)     Monsieur Hochhausen avait expressément demandé si les retenues d'impôt étaient versées, ce dont il avait reçu l'assurance. Les réponses données par l'actionnaire exerçant le contrôle de SMS étaient corroborées par les documents comptables de la société que M. Hochhausen avait reçus lors des réunions et par les documents qu'il avait consultés électroniquement. C'est le comptable de la société qui avait préparé ces documents.

 

(3)     Monsieur Hochhausen n'avait aucune raison de douter de la compétence ou de l'intégrité du comptable. Rien ne permettait de croire que le comptable avait déjà été soupçonné d'incompétence, de tromperie ou d'avoir été complice du non‑versement des retenues d'impôt de sociétés du groupe.

 

(4)     Monsieur Hochhausen s'était fait dire que les chèques destinés à l'ARC avaient été faits, et ces chèques étaient inscrits comme des dépenses dans les documents financiers de SMS.

 

(5)     En septembre, lorsqu'il a appris que la société éprouvait des difficultés financières, M. Hochhausen a pris des dispositions pour organiser une réunion en octobre avec la direction et l'actionnaire exerçant le contrôle de SMS.

 

(6)     Quand, en octobre, M. Hochhausen a appris qu'il avait été gravement trompé relativement au versement des retenues d'impôt, il a aussitôt démissionné.

 

[22]    Pour ces motifs, j'accueille l'appel de M. Hochhausen, avec dépens, lesquels incluront un dédommagement raisonnable compte tenu du temps de travail que M. Hochhausen a perdu et du fait qu'il a présenté lui‑même son appel.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mai 2008.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mars 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 



RÉFÉRENCE :

2008CCI299

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2007-3680(IT)I

 

INTITULÉ :

Tom Hochhausen c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 19 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 mai 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Représentante de l'intimée :

Milena M. Jusza (Stagiaire en droit)

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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