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Dossier : 2006-1099(GST)G

ENTRE :

VILLE DE CALGARY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 27 novembre 2008, à Calgary (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge en chef adjoint E. P. Rossiter

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Ken S. Skingle

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Marta Burns

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, à l’égard de la période allant du 1er au 31 décembre 2002, est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs de jugement ci‑joints.

 


          Les dépens sont adjugés à l’appelante.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mai 2009.

 

 

« E. P. Rossiter »

Juge en chef adjoint Rossiter

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2009.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

 

Référence : 2009CCI272

Date : 20090521

Dossier : 2006-1099(GST)G

ENTRE :

 

VILLE DE CALGARY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Rossiter

 

Introduction

[1]              L’appelante était tenue par la loi de préparer un rapport sur la mise en place d’un réseau de transport intégré et, par règlement, d’établir pareil réseau. Tout projet d’acquisition ou de construction devait être soumis pour approbation à la Province d’Alberta (la « province »).

[2]              Afin de financer ces projets d’acquisition et de construction, l’appelante a conclu des accords de subvention avec la province. Le financement accordé en vertu de ces accords permettait à l’appelante d'entamer l'exécution des projets approuvés, notamment, l’expansion du réseau de trains légers sur rail et l’acquisition d’autobus, de véhicules de train léger sur rail (ci‑après « TLR ») et de systèmes de communication TLR.

[3]              La question soulevée dans le présent appel se rapporte au droit de l’appelante à des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »). Les CTI demandés représentent la différence entre la TPS payée par l’appelante dans le cadre de la réalisation des projets approuvés et certains remboursements déjà reçus. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de l’appelante en tenant pour acquis qu’elle n’avait pas droit aux CTI demandés.

Les faits

[4]              Selon l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, la province a compétence sur les travaux et les entreprises d’une nature locale ainsi que sur les institutions municipales dans les limites de la province. Conformément à cette compétence, la province a édicté la Municipal Government Act (Alberta) (loi sur les cités et villes) R.S.A. 2000, ch. M‑26, (la « MGA ») et la City Transportation Act (Alberta) (loi sur les transports urbains) R.S.A. 2000 ch. C‑14, (la « CTA »).

[5]              L’appelante est une personne morale sous le régime de la MGA, en vertu de laquelle la province confère des pouvoirs et impose des obligations à l’appelante. L’article 7 de la MGA dispose qu’une municipalité peut édicter des règlements à des fins municipales à l’égard, entre autres choses, des réseaux de transport et des services publics. En vertu des articles 3 et 4 de la CTA, la province a exigé que l’appelante prépare un rapport d’étude exhaustif en matière de transport aux fins de la mise au point d’un réseau de transport intégré, et qu’elle établisse ensuite par règlement un tel réseau. L’expression [traduction] « réseau de transport » est définie dans la CTA comme étant un réseau d’installations de transport, notamment des rues, des routes, des voies de transport rapide et tous les types d’installations de transport auxquelles cette loi s’applique, en surface ou sous terre. L’expression [traduction] « installation de transport » est définie comme tout élément nécessaire aux fins du transport efficace de passagers et de marchandises d’une manière particulière.

[6]              La province conservait le pouvoir d’accepter ou de modifier le règlement en matière de transport édicté par l’appelante. L’appelante, si elle décidait de construire une installation de transport, était tenue aux termes de l’article 6 de la CTA de soumettre le projet à la province.  Après approbation, la province pouvait conclure des accords de partage des coûts avec l’appelante à l’égard des coûts d’établissement de l’installation de transport.

[7]              Selon la CTA, chaque ville, dont l’appelante, est responsable des coûts d’établissement et d’entretien de toutes les installations de transport dont elle a la direction, le contrôle et la gestion, mais peut avoir droit à une aide financière de la province si elle se conforme à la CTA. Les installations de transport de l’appelante, connues sous le nom de réseau de transport de Calgary, ont toujours appartenu à l’appelante, qui en assurait la direction, le contrôle et la gestion. Ces installations comprenaient, entre autres choses, les lignes de TLR, les stations et les véhicules ainsi que les autobus. Selon la MGA, sauf disposition contraire d’une autre loi ou d’un accord, le titre afférent aux voies de circulation dans les limites géographiques de la ville appelante était attribué à l’appelante.

[8]              Avant le 13 mars 2000, la province assurait un financement à l’appelante pour la construction ou l’acquisition de certaines installations de transport dans la ville de Calgary en vertu de trois accords de subvention distincts (les « accords antérieurs de financement »). Il s’agissait de l’accord de base de subvention d’investissement (l’« accord BSI »), daté du 17 avril 1989, de l’accord de subvention d’investissement en matière de transport (l’« accord SIT »), daté du 24 novembre 1998 et de l’accord de subvention des raccordements des routes principales (l’« accord SRRP »), daté du 23 novembre 1993. Ces accords prévoyaient le financement des projets de transport admissibles, sous réserve des restrictions budgétaires provinciales annuelles. Selon les conditions des accords, ce financement devait être exclusivement affecté aux dépenses se rattachant aux projets de transport dans les limites de la ville appelante qui avaient été expressément approuvés par la province. Pour qu’un projet soit approuvé, un processus particulier était suivi, lequel comprenait la remise à la province de renseignements financiers et techniques détaillés concernant chaque projet. Les projets approuvés dans le cadre des accords antérieurs de financement comprenaient la construction ou l’amélioration des voies de circulation (les « projets concernant les voies de circulation ») ainsi que divers projets de transport en commun (les « projets de transport »). Les projets de transport comprenaient l’acquisition d’autobus et de véhicules de TLR ainsi que la construction d’installations de TLR.

[9]              L’appelante a accepté le financement de la province prévu dans ces accords, sous réserve de certaines conditions supplémentaires, notamment : l’obligation de maintenir une comptabilité distincte pour ces fonds; l’obligation de réaliser tous les projets approuvés conformément à la CTA; l'obligation de respecter les délais d’utilisation des fonds et les restrictions y afférentes; l’obligation de permettre l’accès à la province aux chantiers, aux dessins et aux documents techniques, ainsi qu’à tous les livres comptes pertinents; et l’obligation de rembourser certains fonds au programme de financement particulier, comme le revenu tiré de la vente d’autobus ou d’autres immobilisations qui avaient initialement été achetés à l’aide des fonds provenant de ce programme particulier de financement.

[10]         L’appelante s’est acquittée de toutes ses obligations conformément aux accords antérieurs de financement conclus avec la province. Chacun des accords de financement, à l’exception de l’accord SRRP, prévoyait à peu près les mêmes conditions. Les accords BSI et SIT prévoyaient un processus de demande et d’approbation, mais l’accord SRRP se rapportait à un projet précis de voie de circulation à construire.

[11]         L’appelante et la province ont conclu un nouvel accord daté du 13 mars 2000, lequel prenait effet le même jour, en vue de la construction et de l’acquisition de certaines installations de transport futures dans les limites de la ville appelante (le « nouvel accord »). Le financement prévu par cet accord était soumis à des conditions semblables à celles des accords antérieurs de financement, mais il y avait un certain nombre de différences.

[12]         Contrairement aux accords antérieurs de financement, le financement prévu par le nouvel accord ne dépendait pas de la disponibilité des fonds dans le budget annuel provincial, il était plutôt fondé sur une taxe de 0,05 $ le litre imposée sur la livraison d’essence et de diesel dans la ville de Calgary sur une période donnée. L’accord prévoyait un paiement forfaitaire anticipé sur une période de trois ans, ce montant devant être mis dans un [traduction] « fonds de transport municipal », selon la définition de cette expression dans le nouvel accord. Ces fonds pouvaient être retirés au besoin en vue du financement de projets approuvés par la province. Le nouvel accord différait des accords antérieurs de financement à plusieurs autres égards, en particulier : (1) il prévoyait une formule fixe pour le financement accordé à l’appelante par la province; (2) il autorisait l’appelante à passer à un système de financement par l’usager; (3) il autorisait l’appelante à procéder à une planification à long terme à l’égard des installations de transport; (4) la formule était incorporée dans un accord écrit conclu entre la province et l’appelante aux fins du calcul du montant que l’appelante devait recevoir et aucune modification ne pouvait être apportée à la formule sans que l’accord soit modifié par écrit; (5) l’accord ne comportait aucune clause de résiliation; et (6) l’appelante évitait différents pourcentages de financement sur différents types de subventions, contrairement à ce qui avait été le cas pour les accords antérieurs. En outre, le nouvel accord étendait la portée des projets de transport admissibles en vue d’inclure les ouvrages antibruit, les travaux d’aménagement de paysage, les améliorations liées à la sécurité ainsi que les systèmes d’établissement d’horaires et de communication pour le TLR. Au cours des premiers mois d’application du nouvel accord, la province a effectué un paiement anticipé de 170 millions de dollars ainsi qu’un paiement additionnel de 69 millions de dollars dans le fonds de transport municipal.

[13]         L’appelante s’est conformée aux conditions du nouvel accord et elle s’est acquittée de ses obligations envers la province. Au cours de la période allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002, les coûts d’investissement des projets de transport de l’appelante ont été financés, à 69,5 p. 100, à l’aide des fonds prévus par l’accord BSI, par l’accord SIT et par le nouvel accord. Le reste était financé par l’appelante, dont les fonds provenaient notamment des frais payés par les usagers des installations de transport. Pour situer ces chiffres dans leur contexte, les frais payés par les usagers représentaient environ 53 à 60 p. 100 des frais d’exploitation associés au réseau de transport, lesquels sont assumés par l’appelante. En d’autres termes, les frais perçus par l’appelante des usagers ne couvraient pas les frais d’exploitation courants du réseau de transport, et encore moins les coûts d’investissement.

[14]         En s’acquittant des obligations qui lui incombaient aux termes des accords antérieurs de financement et du nouvel accord, l’appelante a engagé des dépenses et payé la TPS à l’égard de ces dépenses. Ces dernières se rattachent à des installations de transport précises, notamment à des extensions du TLR, à la remise à neuf du matériel, à la remise en état des véhicules de TLR et à l’acquisition de systèmes de communication, de systèmes de signalisation, d’autobus, de navettes et de véhicules de TLR.

[15]         Dans ses déclarations de TPS, l’appelante avait généralement demandé des CTI à l’égard des projets concernant les voies de circulation ainsi que des remboursements partiels à titre d’organisme de services publics au sens de l’article 259 de la LTA (représentant 57,14 p. 100 de la TPS payée) à l’égard des projets de transport. Le ministre du Revenu national avait établi une cotisation à l’égard de l’appelante aux fins de la TPS conformément à cette approche.

[16]         Toutefois, le 13 janvier 2003, l’appelante a produit une déclaration de TPS pour la période de déclaration mensuelle ayant pris fin le 31 décembre 2002, dans laquelle elle demandait des CTI s’élevant à 6 351 967 $. Ce chiffre était fondé sur la différence entre la TPS payée à l’égard des projets de transport jusqu’au 31 décembre 2002, moins les remboursements demandés auparavant (qui représentaient 57,14 p. 100 de la TPS payée).

[17]         Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de l’appelante le 23 juillet 2003 en ce qui concerne la déclaration de TPS pour la période de déclaration ayant pris fin le 31 décembre 2002, par laquelle il a refusé d’accorder les CTI demandés à l’égard des projets de transport. L’appelante s’est opposée à la cotisation et a interjeté appel devant la présente cour.

Question en litige

[18]         L’appelante a-t-elle droit aux CTI additionnels à l’égard de la TPS payée dans le cadre de la construction des installations de transport conformément aux accords qu’elle a conclus avec la province?

Analyse

[19]         La formule de détermination des CTI est énoncée au paragraphe 169(1) de la LTA, qui se lit ainsi :

169(1) Règle générale [crédits de taxe sur les intrants] Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d’une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu’elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable :

 

A × B

où :

 

A         représente la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert, selon le cas, qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable;

 

B :

a) dans le cas où la taxe est réputée, par le paragraphe 202(4), avoir été payée relativement au bien le dernier jour d’une année d’imposition de la personne, le pourcentage que représente l’utilisation que la personne faisait du bien dans le cadre de ses activités commerciales au cours de cette année par rapport à l’utilisation totale qu’elle en faisait alors dans le cadre de ses activités commerciales et de ses entreprises;

b) dans le cas où le bien ou le service est acquis, importé ou transféré dans la province, selon le cas, par la personne pour utilisation dans le cadre d’améliorations apportées à une de ses immobilisations, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne utilisait l’immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales immédiatement après sa dernière acquisition ou importation de tout ou partie de l’immobilisation;

c) dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service, ou l’a transféré dans la province, selon le cas, pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[20]         Aux fins du présent appel, les conditions à remplir pour demander un CTI en vertu du paragraphe 169(1) sont les suivantes : (1) le demandeur est un inscrit; (2) le demandeur a acquis les biens ou les services pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales; (3) le demandeur a payé, ou est légalement tenu de payer, la TPS/TVH pour l’acquisition des biens ou des services.

[21]         Il est constant que l’appelante est un inscrit et qu’elle a payé la TPS à l’égard des dépenses. Pour trancher le présent appel, la Cour doit rechercher si l’appelante a acquis les intrants en cause pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

[22]         L’« activité commerciale » d’une personne est définie en ces termes au paragraphe 123(1) de la LTA :

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

 

   al’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf sans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

                                    

   b)  les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l’exception de quelque projet ou affaire qu’entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l’affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

 

   c)  la réalisation de fournitures, sauf des fournitures exonérées, d’immeubles appartenant à la personne, y compris les actes qu’elle accomplit dans le cadre ou à l’occasion des fournitures.

 

[Non souligné dans l’original.]

[23]         La partie pertinente de cette définition, aux fins du présent appel, est l’alinéa a). Étant donné que l’appelante n’est pas un particulier ou une société de personnes, l’« activité commerciale » en l’espèce est l’exploitation d’une entreprise, sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation de fournitures exonérées. La « fourniture exonérée » est définie au paragraphe 123(1) comme étant une fourniture figurant à l’annexe V de la LTA.

[24]         L’article 141.01 de la LTA peut également avoir une incidence sur l’étendue de l’« activité commerciale » ; ce texte dispose notamment :

141.01 [Attribution de crédits de taxe sur les intrants] (1) Définition de « initiative » Au présent article, constituent les initiatives d’une personne :

a) ses entreprises;

b) ses projets à risque et ses affaires de caractère commercial;

c) la réalisation de fournitures d’immeubles lui appartenant, y compris les actes qu’elle accomplit dans le cadre ou à l’occasion des fournitures.

(1.1) Sens de « contrepartie » Pour l’application des paragraphes (1.2), (2) et (3), une contrepartie symbolique n’est pas une contrepartie.

[...]

(2) Acquisition afin d’effectuer une fourniture [restriction relative aux CTI] La personne qui acquiert ou importe un bien ou un service, ou le transfère dans une province participante, pour consommation ou utilisation dans le cadre de son initiative est réputée, pour l’application de la présente partie, l’acquérir, l’importer ou le transférer dans la province, selon le cas, pour consommation ou utilisation :

 

a) dans le cadre de ses activités commerciales, dans la mesure où elle l’acquiert, l’importe ou le transfère dans la province afin d’effectuer, pour une contrepartie, une fourniture taxable dans le cadre de l’initiative;

 

b) hors du cadre de ses activités commerciales, dans la mesure où elle l’acquiert, l’importe ou le transfère dans la province :

 

(i) afin d’effectuer, dans le cadre de l’initiative, une fourniture autre qu’une fourniture taxable effectuée pour une contrepartie,

 

(ii) à une fin autre que celle d’effectuer une fourniture dans le cadre de l’initiative.

[25]         L’appelante soutient que les activités qu’elle exerçait dans l’exécution des obligations qui lui incombaient aux termes de l’accord BSI, de l’accord SIT et du nouvel accord constituaient une entreprise. L’appelante soutient qu’en acquérant et en construisant des installations de transport en commun et en mettant ces installations à la disposition des résidents de la ville, elle effectuait une fourniture taxable à la province. Elle a qualifié les fonds avancés par la province en vertu de l’accord BSI, de l’accord SIT et du nouvel accord de contrepartie de cette fourniture. L’appelante soutient qu’elle a donc droit aux CTI demandés, étant donné que les biens et les services ont été acquis dans le cadre de ses activités commerciales.

[26]         L’intimée soutient que l’appelante n’a pas droit aux CTI demandés parce que les biens et les services à l’égard desquels la taxe a été payée n’ont pas été utilisés ou fournis dans le cadre de ses activités commerciales. De l’avis de l’intimée, l’acquisition des biens et des services se rapportait à la réalisation d’une fourniture exonérée, plus précisément la fourniture, effectuée au profit du public, de services municipaux de transport selon l’article 24 de la partie VI de l’annexe V de la LTA. En outre, l’intimée soutient que le financement reçu en vertu des divers accords ne constituait pas la contrepartie d’une fourniture taxable.

[27]         L’appelante ne conteste pas que, par suite de l’exécution continue des obligations qui lui incombaient aux termes des divers accords, elle était finalement en mesure d’effectuer des fournitures de services municipaux de transport au profit du public; toutefois, elle soutient soutenu que cela constituait une fourniture distincte de celle qui était effectuée en faveur de la province. L’appelante fait en outre valoir qu’étant donné que les intrants ont été acquis principalement pour être utilisés dans la réalisation de sa fourniture taxable à la province, la fourniture exonérée concomitante au profit du public ne porte pas un coup fatal à la demande qu’elle a faite en vue d’obtenir des CTI supplémentaires.

[28]         D’autre part, l’intimée soutient que la fourniture exonérée prévue à l’article 24 de la partie VI de l’annexe V comporte nécessairement l’acquisition et la construction du réseau de transport. En d’autres termes, elle soutient que la fourniture des biens et de l’infrastructure nécessaires pour que les services municipaux de transport puissent être fournis fait partie intégrante de la fourniture des services municipaux de transport eux‑mêmes.

[29]         Comme il en a déjà été fait mention dans les présents motifs, la Cour doit rechercher si l’appelante a acquis les intrants en cause pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales. Selon la première condition, à l’alinéa a), de la définition de l’« activité commerciale », au paragraphe 123(1), les intrants doivent avoir été acquis dans le cadre d’une entreprise.

[30]         Le terme « entreprise » est défini au paragraphe 123(1) de la LTA :

« entreprise » Sont compris parmi les entreprises les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois.

 

[Non souligné dans l’original.]

[31]         L’intimée n’a pas directement contesté la thèse de l’appelante, dans sa réponse ou lors des débats, à savoir que les activités qu’elle exerce dans l’exécution des obligations qui lui incombent aux termes de l’accord BSI, de l’accord SIT et du nouvel accord constituaient une entreprise. J’aimerais toutefois signaler que la définition énoncée dans la LTA, en particulier en ce qui concerne des expressions comme « toutes affaires quelconques », est passablement large. À mon avis, elle est sans aucun doute suffisamment large pour englober ces activités de l’appelante.

[32]         Il s’ensuit que les activités que l’appelante exerce en exécutant les obligations qui lui incombent aux termes de l’accord BSI, de l’accord SIT et du nouvel accord relevaient de ses activités commerciales, sauf dans la mesure où ces activités comportaient la réalisation de fournitures exonérées. Comme il a été signalé plus haut, ces activités, selon ces accords, consistaient à acquérir et à construire des installations de transport en commun et à les mettre à la disposition des résidents de la ville de Calgary.

[33]         Voici la définition du terme « fourniture », au paragraphe 123(1) :

« fourniture » Sous réserve des articles 133 et 134, livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.

 

[Non souligné dans l’original.]

[34]         Au regard d'expressions comme « livraison de biens ou prestation de services », il faut donner une interprétation large à cette définition. Le terme « service » est également défini au paragraphe 123(1) :

« service » Tout ce qui n’est ni un bien, ni de l’argent, ni fourni à un employeur par une personne qui est salarié de l’employeur, ou a accepté de l’être, relativement à sa charge ou à son emploi.

 

[Non souligné dans l’original.]

[35]         En l'espèce, la fourniture de presque tout ce qui n’est pas de l’argent serait visée par la définition de la fourniture. Étant donné la portée étendue des définitions précitées, je suis d’avis qu’en acquérant et en construisant des installations de transport et en mettant ces installations à la disposition du public, l’appelante effectuait une fourniture aux fins de la LTA. La question essentielle plus difficile est de savoir à qui la fourniture a été effectuée.

[36]         La LTA définit le mot « acquéreur » en ces termes au paragraphe 123(1) :

« acquéreur »

 

a) Personne qui est tenue, aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

 

b) personne qui est tenue, autrement qu’aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

 

c) si nulle contrepartie n’est payable pour une fourniture :

 

(i) personne à qui un bien, fourni par vente, est livré ou à la disposition de qui le bien est mis,

 

(ii) personne à qui la possession ou l’utilisation d’un bien, fourni autrement que par vente, est transférée ou à la disposition de qui le bien est mis,

 

(iii) personne à qui un service est rendu.

 

Par ailleurs, la mention d’une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l’acquéreur de la fourniture.

[37]         Selon les alinéas a) et b) de la définition, la personne qui a payé la contrepartie de la fourniture est l’acquéreur.

[38]         Le terme « contrepartie » est défini au paragraphe 123(1) de la LTA comme comprenant « tout montant qui, par effet de la loi, est payable pour une fourniture ». Cette définition exige donc que deux conditions soient remplies : (1) il doit exister une obligation légale de payer un montant; et (2) ce montant doit être payable pour une fourniture particulière. Toutefois, cette définition légale n’est pas exhaustive et comprend également tout montant qui serait une contrepartie selon la common law : voir la décision Comté de Lethbridge c. Canada, 2005 CCI 809, [2006] A.C.I. no 56 (C.C.I.), paragraphe 95.

[39]         La question de savoir si l’activité d’une personne pour laquelle cette personne reçoit un financement d’un organisme gouvernemental constitue la réalisation d’une fourniture à cet organisme pour une contrepartie ainsi que de savoir dans quelles circonstances il en est ainsi a été examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Des Chênes (Commission scolaire) v. R., [2001] G.S.T.C. 120 (C.A.F.). Dans cette affaire, une commission scolaire, au Québec, assurait le transport des élèves par autobus scolaire au moyen de contrats conclus avec des transporteurs indépendants. Les fonds utilisés pour payer la contrepartie prévue dans les contrats de transport provenaient d’une subvention que le ministre des Transports versait à la commission scolaire. Dans l’affaire Des Chênes, les deux parties avaient convenu que, si la subvention ne constituait pas une contrepartie au sens de la LTA, les élèves seraient les acquéreurs du service de transport, de sorte que la fourniture aurait été exonérée en vertu de l’article 5 de la partie III de l’annexe V. Par conséquent, la Cour d’appel devait donc rechercher si la subvention fournie par le ministre des Transports constituait une contrepartie au sens de la LTA.

[40]         La Cour d’appel fédérale a fait les observations suivantes aux paragraphes 19 et 20 :

19                Selon la Loi, un paiement pour constituer une contrepartie, doit découler d’une obligation juridique (contractuelle ou autre) et doit être suffisamment relié à une fourniture pour être considéré comme ayant été effectué « pour » cette fourniture [....]. De là l’exigence du lien direct.

20                Un paiement découlant d’un contrat rencontrera inévitablement cette exigence puisque l’existence même de l’obligation de payer est conditionnelle à ce que la partie cocontractante remplisse l’obligation correspondante qui lui incombe. Mais lorsque le paiement s’inscrit à l’extérieur du cadre contractuel, le but visé par le paiement et les circonstances dans lesquelles il est effectué doivent être analysés minutieusement afin de déterminer s’il existe un lien direct avec la fourniture; un paiement aura la qualité de contrepartie seulement dans la mesure où il est effectué « pour » ou en retour de cette fourniture.

 

[Non souligné dans l’original.]

[41]         Par conséquent, pour que le financement fourni à l’appelante par la province constitue une contrepartie, (1) le financement doit découler d’une obligation légale (contractuelle ou autre), et (2) la subvention doit être suffisamment rattachée à une fourniture pour être considérée comme ayant été effectuée « pour » cette fourniture.

[42]         Dans l’affaire Comté de Lethbridge c. Canada, précitée, l’une des questions dont la Cour était saisie était de savoir si le financement par subvention accordé au comté de Lethbridge par la Province d’Alberta était une contrepartie pour une fourniture. Le juge Bell a examiné chaque accord de subvention afin de décider si, selon ses stipulations, le montant de la subvention était « payable » par la province. Le juge a conclu, au paragraphe 96, qu’un montant est payable selon les modalités d’un contrat qui rend exécutoire le paiement de ce montant, et que pareils montants constituaient une contrepartie aux fins de la LTA.

[43]         Le pouvoir de faire exécuter les conditions d’une entente est le caractère essentiel d’un contrat. Lorsqu’on a demandé à l’intimée si l’une ou l’autre partie pouvait engager des poursuites fondées sur l’omission d’exécuter les obligations prévues par les accords, l’intimée a répondu par l’affirmative. Les parties ont entamé des négociations serrées en vue d’arriver à la conclusion des accords. Si l’on tient compte de ce qui s’est réellement passé entre la province et l’appelante, et si l’on examine les conditions de ces accords, il est évident qu’il s’agissait bel et bien de contrats valables et exécutoires.

[44]         Je conclus que la fourniture d’un financement par la province en faveur de l’appelante, conformément aux conditions de l’accord BSI, de l’accord SIT et du nouvel accord, est devenue une obligation légale de la province. Les dispositions suivantes sont particulièrement pertinentes à cet égard :

·        Dans l’accord BSI et dans l’accord SIT, le préambule est incorporé, par le premier paragraphe à l’accord, dont il fait partie intégrante; en voici le texte : [traduction] « ATTENDU que la province s’est engagée à accorder à la Ville, à certaines conditions, 75 p. 100 (soixante‑quinze pour cent) des fonds nécessaires [...] aux conditions énoncées dans les présentes »;

·        Le paragraphe 3 du nouvel accord prévoit ce qui suit : [traduction] « Le ministre s’engage à fournir des fonds à la Ville pour le fonds de transport de la ville, sous réserve des critères d’admissibilité suivants [...] »;

·        Dans chacun des trois accords, on trouve la condition suivante : [traduction] « Le présent accord [...] lie les parties ».

[45]         Je suis aussi d'avis qu'il existait un lien direct entre le financement fourni par la province et la fourniture en question. Comme la Cour d’appel fédérale l’a observé dans l’arrêt Des Chênes, précité, le paiement effectué selon les modalités d’un contrat satisfait forcément à la condition de lien direct puisque l’existence même de l’obligation de payer est conditionnelle, le cocontractant devant s’acquitter des obligations correspondantes conformément aux conditions du contrat.

[46]         En l’espèce, la province a fourni le financement prévu dans divers accords, en réponse directe aux projets concernant les installations de transport soumis par l’appelante et approuvés par la province. Si le projet n’était pas mené à bonne fin, les paiements cesseraient. Ainsi, selon le nouvel accord, les fonds étaient payés d’avance et l’appelante ne pouvait les retirer qu’aux fins de la réalisation de projets d’installations de transport approuvés par la province. Ce service devait être fourni, à défaut de quoi les fonds ne pouvaient pas être retirés, de sorte qu’il existait un lien direct. Ces faits sont bien loin d’être analogues à ceux de l’affaire Regina (Ville) c. Canada, [2001] A.C.I. no 315, dans laquelle le juge Rip (tel était alors son titre) a conclu que les subventions inconditionnelles versées par le gouvernement de la Saskatchewan à la Ville de Regina n’étaient pas rattachés à des projets particuliers que la province avait convenu de subventionner.

[47]         En outre, il est inexact de dire que la province ne reçoit rien en contrepartie des sommes accordées aux fins de la mise en place d’installations de transport. Dans l’affaire Des Chênes, l’intimée soutenait que le ministre des Transports n’avait rien reçu en contrepartie de la subvention fournie et qu’il n’en avait aucunement tiré profit. Toutefois, la Cour d’appel fédérale n'a pas retenu cette thèse et elle a fait l'observation suivante au paragraphe 33 :

Finalement, il est inexact de dire que le Ministre des Transports n’a rien reçu en retour de la subvention. Même si plus souvent qu’autrement le payeur d’une contrepartie recherche un avantage qui lui est propre, il peut aussi chercher à avantager quelqu’un d’autre. Le cas échéant, le paiement conserve tout autant sa nature de contrepartie [...]. En l’occurrence, le Ministre des Transports a obtenu de l’appelante qu’elle fournisse à ses élèves le service de transport gratuit. Ceci suffit pour faire de la subvention une contrepartie au sens de la Loi.

[48]         En l’espèce, le ministre des Transports de l’Alberta a obtenu de l’appelante le service qui consistait à mettre les installations de transport à la disposition des résidents conformément aux conditions négociées sur lesquelles la province et l’appelante s’étaient entendues.

[49]         Les apports constitutionnels et légaux entre la province et l’appelante sont également pertinents pour ce qui est de la question de l’obligation légale de la province de fournir un financement à l’appelante. Selon l’article 92 de la Loi constitutionnelle, la province a compétence sur les travaux et les entreprises d’une nature locale :

92.       Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci‑dessous énumérés, savoir :

 

[...]

 

10. Les travaux et entreprises d’une nature locale [...]

[50]         De plus, toutes les institutions municipales sont des délégataires de pouvoirs de la province. Dans l’arrêt Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), 2000 CSC 45, [2000] A.C.S. no 45, paragraphe 33, la Cour suprême du Canada a fait l'observation suivante :

 

33  [...] Cependant, les institutions municipales se présentent sous différentes formes et ne sont pas identiques. Même si leurs attributs et leur contexte historique diffèrent, elles sont toutes des délégataires de pouvoirs de la province en vertu du par. 92(8) de la Loi constitutionnelle de 1867. [...]

[51]         La Cour suprême du Canada a exprimé un avis similaire dans l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] A.C.S. no 95, où elle a notamment fait l'observation suivante, au paragraphe 51 :

Finalement, et de façon plus importante, les municipalités sont des créatures des provinces dont elles tirent leur pouvoir de légiférer; c’est‑à‑dire qu’elles exercent des pouvoirs et des fonctions confiés par les législatures provinciales dont ces dernières devraient autrement se charger.

[52]         D'aucuns soutiennent que, bien que les travaux et les entreprises d’une nature locale relèvent de la compétence de la province, la province n’est pas tenue de les exécuter. Dans l’arrêt Ladore et al. v. Bennett et al., [1939] 3 D.L.R. 1 (C.P.), le Conseil privé a fait les observations suivantes :

[traduction]

 

[...] La province, qui est souveraine dans les limites des compétences constitutionnelles qui lui sont conférées, est responsable du gouvernement local de ses résidents par l’entremise des institutions municipales. Si le gouvernement local, dans une région particulière, devient inefficace ou inexistant à cause des difficultés financières auxquelles font face l’une ou plusieurs des institutions municipales, ou pour quelque autre raison, la législature provinciale a non seulement le droit, mais semble être tenue, de remédier à la situation, de façon à préserver le bien‑être des résidents et les nécessités de la vie organisée des collectivités. [...]

 

[53]         On peut soutenir que la jurisprudence Ladore enseigne que les législatures provinciales ont une obligation générale, mais, selon une lecture plus restrictive, on peut soutenir qu'elle enseigne que si une municipalité, qui est créée par la législature, fait face à des difficultés financières, la législature est tenue de faire en sorte que les résidents locaux bénéficient d’un gouvernement local.

[54]         À mon avis, les autorités provinciales, auxquelles la Loi constitutionnelles, attribue la compétence voulue à l’égard des travaux et des entreprises d’une nature locale, ont une certaine responsabilité dans les domaines relevant de sa compétence. Pour quelle autre raison les Pères de la Confédération auraient‑ils attribué cette compétence aux provinces? Le gouvernement provincial, s'il ne se charge pas lui‑même des travaux et des entreprises d’une nature locale, doit déléguer cette responsabilité à une autre autorité. En l’espèce, il a décidé de déléguer à l’appelante une partie de sa compétence et de ses responsabilités. Il est bel et bien habilité à déléguer ainsi ses pouvoirs : Brandon v. Municipal Commissioner & Manitoba (Attorney General), [1931] 4 D.L.R. 830 (C.A. Man.), page 404. Cette délégation de pouvoir a initialement été accomplie par une loi, en vertu de la CTA, et par la suite au moyen des accords susmentionnés. Une fois que cette responsabilité a été déléguée à l’appelante, le gouvernement provincial est légalement tenu de fournir un financement adéquat.

[55]         À mon avis, au regard de ce cadre légal et constitutionnel, je suis conforté dans les conclusions que j’ai tirées ci‑dessus au sujet de l’obligation légale du gouvernement de la province de fournir un financement et du lien direct entre les fonds et les projets de transport que ces fonds devaient financer.

[56]         Je conclus donc que l’appelante a effectué une fourniture à la province en acquérant et en construisant des installations de transport, à Calgary, et en mettant ces installations à la disposition des résidents. Le financement que le gouvernement de la province a fourni à l’appelante constituait la contrepartie de cette fourniture.

[57]         Je ferai également quelques remarques au sujet de l’argument que l’appelante a avancé à l'audience, à savoir qu’en mettant au point les installations de transport, elle agissait à titre de quasi‑mandataire ou d’intermédiaire du gouvernement de la province. Plus précisément, l’appelante a soutenu qu’elle agissait pour le compte de celui-ci. À mon avis, malgré le degré rigoureux de contrôle exercé par le gouvernement de la province sur la mise au point des installations de transport, l’appelante n’agissait pas comme mandataire de celui-ci. L’indépendance de l’appelante ressort clairement du paragraphe 6(1) de la CTA, qui laisse à l’appelante le choix de procéder à la construction d’une installation donnée :

[traduction]

 

6. (1) Lorsqu’une ville estime qu’une installation de transport faisant partie du réseau de transport doit être construite, elle soumet le projet au ministre.

[58]         L’appelante a agi d’une façon indépendante conformément à ses obligations légales et contractuelles. À cet égard, je note également que les travaux qui sont entrepris conformément à une obligation légale ne sont pas de ce fait exclus de la définition de l’activité commerciale : Regina (Ville) c. Canada, précité, paragraphe 24.

[59]         Il faut ensuite rechercher si la fourniture était une fourniture exonérée. Il est clair que la fourniture ici en cause n’est pas visée par la définition de la « fourniture exonérée » figurant à l’article 24 de la partie VI de l’annexe V. Cette disposition définit la fourniture suivante :

24. [Services municipaux de transport] La fourniture, effectuée au profit d’un membre du public, de services municipaux de transport ou de services publics de transport de passagers désignés par le ministre comme services municipaux de transport.

 

[Non souligné dans l’original.]

[60]         J’ai conclu ci‑dessus, vu la définition du mot « acquéreur » au paragraphe 123(1), que l’appelante a effectué une fourniture au gouvernement de la province. Cette fourniture n’a pas été effectuée « au profit d’un membre du public ». Étant donné que l’intimée ne soutient pas que la fourniture ici en cause est visée par les termes d’une autre disposition de l’annexe V, je tiens pour acquis qu’aucune autre disposition ne s’applique. Je conclus que la fourniture à la province n’était pas une fourniture exonérée.

[61]         Comme les activités de l’appelante, lorsqu’elle s’acquitte des obligations qui lui incombent aux termes des divers accords, constituaient une entreprise, et comme la fourniture effectuée au gouvernement de la province dans le cadre de cette entreprise n’était pas une fourniture exonérée, les conditions qui s’appliquent à l’activité commerciale, aux termes de l’alinéa a) de la définition figurant au paragraphe 123(1), sont remplies.

[62]         Il reste à examiner l’effet du paragraphe 141.01(2). Comme le juge Rip (tel était alors son titre) l’a observé au paragraphe 38 de la décision Regina (Ville) c. Canada, précitée, « [l]’article 141.01 énonce en termes généraux les règles applicables dans les cas où, lorsque l’entreprise d’un inscrit comporte la réalisation de fournitures taxables et de fournitures exonérées, l’inscrit doit répartir la taxe sur les intrants lorsqu’il calcule le montant des CTI qu’il peut demander ». Les notes techniques du mois de février 1994 publiées par le ministère des Finances répondent à cette description: elles expliquent que l’article 141.01 a pour objet de préciser et de renforcer l’obligation de répartir les intrants prévue au paragraphe 169(1) en fonction de la mesure dans laquelle ils sont utilisés afin d’effectuer des fournitures taxables et des fournitures non  taxables. La « fourniture taxable » est définie au paragraphe 123(1), comme étant une « [f]ourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale ».

[63]         Je note qu’il existe des divergences de vues au sujet de la question de savoir si l’article 141.01 est une règle d’application générale, et plus précisément si le paragraphe 141.01(2) exige que, pour que des CTI puissent être demandés, les intrants soient acquis afin d’effectuer des fournitures taxables. Voir, par exemple, Perfection Dairy Group Ltd. c. Canada, 2008 CCI 342, [2008] A.C.I. no 252, paragraphes 19 à 33, et BJ Services Co. c. Canada, [2002] A.C.I. no 599, paragraphes 51 à 62. Toutefois, compte tenu des conclusions qui sont tirées ci‑dessous au sujet de l’étendue de l’entreprise de l’appelante, je crois qu’il est inutile d’aborder cette question en l’espèce. Je tiens également à noter qu’aucune des parties n’a soulevé cette question ou invoqué cette jurisprudence.

[64]         Il est utile de reproduire encore une fois le texte du paragraphe 141.01(2), en soulignant certains passages :

La personne qui acquiert ou importe un bien ou un service [...], pour consommation ou utilisation dans le cadre de son initiative est réputée, pour l’application de la présente partie, l’acquérir, l’importer ou le transférer dans la province, selon le cas, pour consommation ou utilisation :

 

a) dans le cadre de ses activités commerciales, dans la mesure où elle l’acquiert, l’importe ou le transfère dans la province afin d’effectuer, pour une contrepartie, une fourniture taxable dans le cadre de l’initiative;

 

b) hors du cadre de ses activités commerciales, dans la mesure où elle l’acquiert, l’importe ou le transfère dans la province :

 

(i) afin d’effectuer, dans le cadre de l’initiative, une fourniture autre qu’une fourniture taxable effectuée pour une contrepartie,

 

(ii) à une fin autre que celle d’effectuer une fourniture dans le cadre de l’initiative.

 

[Non souligné dans l’original.]

[65]         Le mot « initiative » est défini au paragraphe 141.01(1) comme englobant une entreprise. Les biens et les services qui sont ici en cause ont été acquis par l’appelante dans le cadre de son entreprise à l’égard de l’accord BSI, de l’accord SIT et du nouvel accord. Dans le cadre de cette entreprise, il est clair que l’appelante a acquis les biens et les services afin d’effectuer la fourniture au gouvernement de la province, laquelle, compte tenu des conclusions tirées ci‑dessus, constituait une fourniture taxable effectuée pour une contrepartie. La fourniture des services municipaux de transport au profit du public, bien qu’elle ait peut‑être été facilitée par les dispositions prises entre l’appelante et le gouvernement de la province, n’a pas été effectuée dans le cadre de cette initiative.

[66]         Je suis conforté dans cette approche par la décision London Life Insurance Co. c. Canada, [2000] A.C.F. no 2121, [2000] G.S.T.C. 111. Dans cette affaire, London Life avait loué des locaux à bureaux commerciaux et avait apporté aux locaux loués des améliorations locatives en utilisant les fonds fournis par les bailleurs. En accueillant l’appel, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a considéré que les opérations de location à bail étaient indépendantes de l’entreprise principale de London Life, soit la fourniture exonérée de services financiers. Voici ses explications au paragraphe 33 :

Certes, le but ultime de London Life est de louer des locaux améliorés afin d’y exploiter son entreprise de services financiers consistant à effectuer des fournitures exonérées. Toutefois, lorsque les opérations de location à bail sont considérées indépendamment, London Life fournit les améliorations locatives aux locateurs en contrepartie des allocations aux fins d’améliorations locatives. À leur tour, les locateurs fournissent les locaux améliorés à London Life pour l’exploitation de son entreprise de services financiers. De cette manière, la fourniture des améliorations locatives par London Life aux locateurs constitue une activité commerciale.

[67]         Le juge Miller a discuté l’approche suivie par le juge Rothstein au paragraphe 52 de la décision BJ Services Co. c. Canada, précitée :

Dans London Life, il était clair que l’entreprise de base de London Life était la production de fournitures exonérées, mais le juge Rothstein a considéré l’allocation locative reçue par London Life comme étant la plus étroitement liée à la fourniture d’améliorations locatives par London Life au locateur. Le juge Rothstein a en effet conclu que l’acquisition de biens et de services de construction par London Life pour faire des améliorations locatives constituait une entreprise distincte, une activité commerciale liée à la réalisation de fournitures exonérées.

[68]         De même, la fourniture des services municipaux de transport au profit du public est distincte de l’entreprise de l’appelante à l’égard de l’accord BSI, de l’accord SIT et du nouvel accord. À mon avis, la construction et l’acquisition d’installations de transport et la mise de ces installations à la disposition du public révélaient une activité commerciale indépendante. L’entreprise de l’appelante ainsi décrite ne comprenait pas la réalisation de fournitures exonérées. Cela dit, la règle de répartition, au paragraphe 141.01(2), ne s’applique pas, et même si elle s’appliquait en tant que règle d’application générale, l’appelante serait réputée, aux termes de l’alinéa 141.01(2)a), avoir acquis les biens et les services en cause dans le cadre de ses activités commerciales, sans répartition, étant donné que ces biens et services ont été acquis afin d’effectuer au gouvernement de la province une fourniture taxable pour une contrepartie.

[69]         L’appelante a également soutenu que le paragraphe 199(2) est applicable en l’espèce. En voici le texte :

199. (2) Acquisition d’immobilisations — Les règles suivantes s’appliquent à l’inscrit qui acquiert, importe ou transfère dans une province participante un bien meuble à utiliser comme immobilisation :

 

a) la taxe payable par lui relativement à l’acquisition, à l’importation ou au transfert du bien n’est incluse dans le calcul de son crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration que si le bien est acquis, importé ou transféré, selon le cas, en vue d’être utilisé principalement dans le cadre de ses activités commerciales;

 

b) pour l’application de la présente partie, il est réputé avoir acquis, importé ou transféré le bien pour l’utiliser exclusivement dans le cadre de ses activités commerciales s’il l’a acquis, importé ou transféré, selon le cas, pour l’utiliser principalement dans ce cadre.

 

[Non souligné dans l’original.]

[70]         L’alinéa 199(2)b) consacre ce qui est parfois appelé le « critère de l’utilisation principale », qui s’applique aux acquisitions de biens meubles. Selon cette disposition, si un bien est acquis principalement pour utilisation dans des activités commerciales, il est réputé avoir été acquis pour utilisation exclusive dans des activités commerciales. L’appelante a fait référence à cette disposition à l’égard de la thèse qu’elle a avancée, selon laquelle par suite de l’acquisition et de la construction des installations de transport et du fait que ces installations ont été mises à la disposition du public dans la ville, elle pouvait effectuer une fourniture exonérée au public à l’égard de services municipaux de transport.

[71]         La cour a examiné la définition du terme « principalement » dans l’affaire Mid-West Feed Limited et al. v. M.N.R., 87 DTC 394 (C.C.I.); il a été observé que le terme « principalement » pouvait connoter quelque chose de première importance, un élément principal ou premier. Le terme « principalement » pouvait également vouloir dire plus de 50 p. 100. À l’audience, on a produit un élément de preuve montrant que les frais payés par les usagers des services de transport ne couvraient que 53 à 60 p. 100 des frais d’exploitation du réseau, indépendamment du coût des investissements. Par contre, la contrepartie reçue du gouvernement de la province couvrait environ 70 p. 100 des frais d’acquisition et de construction des installations de transport. De plus, même si le public avait décidé de ne jamais utiliser les services de transport, l’appelante aurait néanmoins eu l'obligation légale et contractuelle envers le gouvernement de la province de mettre les installations de transport à la disposition du public.

[72]         Dans la mesure où l’alinéa 199(2)b) joue en l'espèce, je conclus que les biens meubles acquis par l’appelante ont été acquis principalement pour utilisation dans la fourniture effectuée au gouvernement de la province, par opposition à une fourniture effectuée au grand public et, à ce titre, principalement pour utilisation dans ses activités commerciales.

Dispositif

[73]         Je conclus que l’appelante a droit aux CTI supplémentaires demandés, étant donné qu’elle a acquis les intrants en cause pour les utiliser dans le cadre de ses activités commerciales. L’appelante a effectué une fourniture taxable au gouvernement de la province pour une contrepartie en acquérant et en construisant les autobus, les véhicules de train léger sur rail et d’autres installations connexes et en les mettant à la disposition du public, à Calgary. L’appel est accueilli, les dépens étant adjugés à l’appelante.

       Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mai 2009.

 

 

« E. P. Rossiter »

Juge en chef adjoint Rossiter

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2009.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009CCI272

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-1099(GST)G

 

INTITULÉ :                                       VILLE DE CALGARY c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 27 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge en chef adjoint

                                                          E. P. Rossiter

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 21 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Ken Skingle

Avocate de l’intimée :

Me Marta Burns

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Ken Skingle

 

                          Cabinet :                  Felesky Flynn

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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