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Dossier : 2008­2997(IT)I

ENTRE :

ROBERT D. G. LOCKIE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 10, 11 et 12 février 2010, à London (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelant :

Me Rebecca L. Grima

Avocats de l’intimée :

Me André LeBlanc

Me Steven D. Leckie

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2003 est accueilli, sans qu’aucuns dépens soient adjugés, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait :

 

a)     que la juste valeur marchande des 1 728 brosses à dents, des 5 184 stylos à encre gel et des deux trousses d’école donnés par l’appelant à In Kind Canada correspondait au montant que l’appelant avait payé pour ces articles, soit 2 850 $;

 

b)    que l’appelant n’a pas réalisé de gain en capital par suite du don de ces produits à In Kind Canada;

 

c)     que l’appelant a droit à un crédit en vertu de l’article 118.1 de la Loi pour le motif qu’il a fait un don de 2 850 $ en remettant ces produits à In Kind Canada, un organisme de bienfaisance enregistré;

 

d)    que la juste valeur marchande des produits acquis par l’appelant, que celui­ci a ensuite transférés à son épouse, Danielle Deveau­Lockie, correspondait au montant que l’appelant avait payé pour ces articles, soit 3 800 $;

 

e)     que l’appelant n’a pas réalisé de gain en capital par suite du transfert des produits à son épouse, Danielle Deveau­Lockie.

 

          Le droit de dépôt de 100 $ doit être remboursé à l’appelant.

 

          Signé à Ottawa (Ontario), ce 18e jour de mars 2010.

 

 

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 142

Date : 20100318

Dossier : 2008­2997(IT)I

ENTRE :

ROBERT D. G. LOCKIE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              Le présent appel découle d’un désaccord au sujet de la juste valeur marchande de stylos à encre gel, de brosses à dents et de trousses d’école que l’appelant avait acquis pour 2 850 $ et qu’il avait ensuite [traduction] « donnés » à In Kind Canada (un organisme de bienfaisance enregistré), qui avait remis à celui­ci un reçu de 15 078 $ pour ces articles. Dans la réponse à l’avis d’appel modifié (laquelle est datée du 15 janvier 2010 et a été déposée après que l’appelant eut déposé un avis d’appel modifié), l’intimée a soulevé une nouvelle question, à savoir si l’appelant avait une intention libérale, et donc s’il avait fait un don à In Kind Canada lorsque les articles avaient été remis à cet organisme de bienfaisance. Cette question n’était pas soulevée dans la réponse initiale déposée le 27 novembre 2008 et elle a donc été soulevée pour la première fois après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

 

[2]              En plus des produits achetés par l’appelant et remis à In Kind Canada, il y avait un groupe distinct de produits achetés par l’appelant, pour 3 800 $, transférés à l’épouse de celui­ci et ensuite remis par l’épouse à In Kind Canada, qui a émis en faveur de celle­ci un reçu de 20 043 $ pour ces articles. L’appelant a effectué un choix selon lequel il était réputé avoir reçu un produit de disposition égal à la juste valeur marchande des produits à l’égard de ce transfert de produits à son épouse[1]. Étant donné que, selon la position prise par l’appelant, la juste valeur marchande de ces produits était de 20 043 $ et que leur prix de base rajusté était de 3 800 $, l’appelant a déclaré un gain en capital de 16 243 $. L’appelant a choisi de structurer ainsi cette opération (en déclarant un gain en capital) parce que le taux d’imposition de son épouse était plus élevé.

 

[3]              Trois questions cruciales se posent en l’espèce :

 

a.             L’appelant avait­il une intention libérale lorsqu’il a remis les produits à In Kind Canada (de sorte qu’il a fait un don à cet organisme de bienfaisance)?

 

b.            Si l’appelant a fait un don à In Kind Canada, quelle était la juste valeur marchande des produits remis à In Kind Canada par l’appelant?

 

c.            Quelle était la juste valeur marchande des produits que l’appelant a transférés à son épouse?

 

[4]              Avant d’examiner la question de savoir si l’appelant avait une intention libérale, il convient de trancher deux questions préliminaires. Il s’agit en premier lieu de savoir si l’intimée peut invoquer ce nouvel argument dans la réponse à l’avis d’appel modifié. En second lieu, si l’intimée peut invoquer ce nouvel argument, il faut se demander si la charge de la preuve incombe à l’appelant ou à l’intimée à l’égard des faits se rapportant à cet argument.

 

[5]              Le droit de l’intimée d’invoquer un nouvel argument à l’appui d’une cotisation est régi par les dispositions du paragraphe 152(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), qui prévoit ce qui suit :

 

(9) Le ministre peut avancer un nouvel argument à l’appui d’une cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente loi :

 

a) d’une part, il existe des éléments de preuve que le contribuable n’est plus en mesure de produire sans l’autorisation du tribunal;

 

b) d’autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.

 

[6]              En établissant une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a supposé que la juste valeur marchande des produits était de 579 $ et elle a autorisé l’appelant à demander un crédit pour don de bienfaisance fondé sur un don de 579 $. Par conséquent, la position prise par l’intimée (et le fondement de la nouvelle cotisation) était que l’appelant avait une intention libérale et qu’il avait fait un don, quoique beaucoup moins important que ce qu’il avait allégué, mais qu’il s’agissait néanmoins d’un don. En l’absence de pareille intention, l’appelant n’a pas fait de don à l’organisme de bienfaisance et il n’a donc pas droit à un crédit pour don de bienfaisance à l’égard de ce transfert de biens (et n’a donc pas droit au montant de 579 $ qui a été admis comme montant du don).

 

[7]              Dans les arrêts La Reine c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, [2004] 5 C.T.C. 98, 2003 DTC 5512, et La Reine c. Loewen, 2004 CAF 146, la Cour d’appel fédérale a examiné la question de savoir si la Couronne pouvait invoquer un nouvel argument ou un nouveau fondement à l’appui d’une cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Dans chaque cas, le nouvel argument ou le nouveau fondement, s’il avait constitué le fondement de la nouvelle cotisation, aurait entraîné une dette fiscale plus élevée que celle ayant fait l’objet de la nouvelle cotisation.

 

[8]              Dans l’affaire Anchor Pointe, le contribuable avait effectué une déduction au titre de frais d’exploration au Canada à l’égard de l’acquisition de certaines données sismiques. Il avait fait l’objet d’une nouvelle cotisation visant à réduire le montant déduit au titre de frais d’exploration au Canada compte tenu du fait que la juste valeur marchande des données sismiques était inférieure au montant qu’il avait déduit. La Couronne voulait soulever un nouvel argument, à savoir que les données sismiques achetées aux fins de revente n’étaient pas admissibles au titre de frais d’exploration au Canada (et que, par conséquent, selon toute probabilité, aucun montant n’aurait dû être admis à titre de déduction de frais d’exploration au Canada).

 

[9]              Dans l’affaire Loewen, le contribuable avait demandé une déduction pour amortissement à l’égard de l’acquisition d’un logiciel. Il avait fait l’objet d’une nouvelle cotisation visant à réduire le montant admis, notamment compte tenu du fait que la juste valeur marchande du logiciel était inférieure au montant qu’il avait établi. Un nouvel argument que la Couronne voulait soulever se rapportait à l’« absence de but lucratif » (de sorte qu’aucun montant n’aurait été admis à titre de déduction pour amortissement si tel avait été le fondement de la nouvelle cotisation).

 

[10]         Dans chaque cas, les nouveaux arguments étaient incompatibles avec le fondement de la nouvelle cotisation et, si les nouveaux arguments avaient servi de fondement à la nouvelle cotisation, la dette fiscale du contribuable aurait été plus élevée. En invoquant le nouvel argument, la Couronne ne demandait ni dans un cas ni dans l’autre l’augmentation de la dette fiscale du contribuable. Elle utilisait uniquement ce nouvel argument en vue d’étayer la dette fiscale telle qu’elle avait été établie par la cotisation. Dans un cas comme dans l’autre, la Cour d’appel fédérale a conclu que, conformément aux dispositions du paragraphe 152(9) de la Loi, la Couronne pouvait soulever le nouvel argument.

 

[11]         En l’espèce, l’argument selon lequel l’appelant n’avait pas une intention libérale n’est pas compatible avec le fondement de la nouvelle cotisation, et si tel avait été le fondement de la nouvelle cotisation, l’appelant n’aurait pas été en mesure d’effectuer une déduction pour un don fait à un organisme de bienfaisance, mais la Couronne est autorisée à invoquer ce nouvel argument, à condition qu’il ne serve pas à augmenter la dette fiscale de l’appelant par rapport au montant visé par la nouvelle cotisation. L’avocat de l’intimée a reconnu que cet argument ne servait pas à augmenter la dette fiscale de l’appelant par rapport au montant visé par la nouvelle cotisation. Par conséquent, si je conclus que l’appelant n’avait pas d’intention libérale et qu’il n’a pas effectué de don en faveur de In Kind Canada, le montant que l’appelant sera autorisé à déduire à titre de don à un organisme de bienfaisance à l’égard du transfert des biens à In Kind Canada sera le montant de 579 $ qui a été admis dans la nouvelle cotisation dont il a fait l’objet.

 

[12]         L’autre question qui se pose à l’égard de cet argument est de savoir si la charge de la preuve incombe à l’appelant ou à l’intimée en ce qui concerne les faits se rapportant à cet argument. Dans l’arrêt Anchor Pointe Energy Ltd., précité, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a également dit ce qui suit :

 

23        Alléguer l’existence d’hypothèses confère comme avantage important à la Couronne de renverser le fardeau de preuve, de sorte que le contribuable doive réfuter les hypothèses du ministre. Les faits allégués comme hypothèses doivent être précis et exacts afin que le contribuable sache bien clairement ce qu’il lui faudra prouver. []

 

[13]         Dans l’arrêt Loewen, précité, la juge Sharlow a également fait les remarques suivantes :

 

[9]        Sa Majesté est tenue de s’assurer que le paragraphe dans lequel les hypothèses sont formulées est clair et exact. Ainsi, Sa Majesté ne peut affirmer que le ministre a tenu pour acquis, lorsqu’il a établi la cotisation, qu’une voiture déterminée était de couleur verte tout en affirmant en même temps que cette voiture était rouge, parce qu’il est impossible que le ministre ait formulé ces deux hypothèses en même temps (Brewster, N C c. La Reine, [1976] CTC 107 (C.F. 1re inst.)).

[10]      Il n’est pas non plus loisible à Sa Majesté de plaider que le ministre a retenu une certaine hypothèse lorsqu’il a établi la cotisation, alors qu’en fait cette hypothèse n’a été formulée que par la suite lorsque, par exemple, le ministre a confirmé la cotisation à la suite d’un avis d’opposition. Sa Majesté peut toutefois plaider que le ministre a, lorsqu’il a établi la nouvelle cotisation, retenu une hypothèse qui n’avait pas été formulée lorsque la première cotisation a été établie (Anchor Pointe Energy Ltd. c. Canada, 2003 DTC 5512 (C.A.F.)).

[11]      Les contraintes imposées au ministre lorsqu’il invoque des hypothèses n’empêchent cependant pas Sa Majesté de soulever, ailleurs dans la réponse, des allégations de fait et des moyens de droit qui sont étrangers au fondement de la cotisation. Si Sa Majesté allègue un fait qui ne fait pas partie des faits présumés par le ministre, la charge de la preuve repose sur elle. Ce principe est bien expliqué dans la décision Schultz c. Canada, [1996] 1 C.F. 423 (C.A.), autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, [1996] A.C.S.C. no 4.

 

[14]         Le paragraphe 11 de la réponse à l’avis d’appel modifié dit notamment ce qui suit :

 

[traduction]

 

11.       En déterminant la dette fiscale de l’appelant pour l’année d’imposition 2003, le ministre a émis les hypothèses de fait suivantes :

 

            […]

 

            c)         le 28 octobre 2003, l’appelant a donné les produits à In Kind Canada (« IKC »);

 

[15]         Le paragraphe 15 de cette réponse dit ce qui suit :

 

          [traduction]

 

15.       L’appelant n’avait pas d’intention libérale lorsqu’il traitait avec CEI et avec IKC.

 

[16]         Le fait que l’appelant n’avait pas d’intention libérale (ce qui, selon toute probabilité, est uniquement pertinent si le résultat d’une telle conclusion de fait était que l’appelant n’a pas effectué de don en faveur de In Kind Canada), comme il est allégué au paragraphe 15 de la réponse, est incompatible avec l’hypothèse qui a été émise, à savoir que [traduction] « l’appelant a donné les produits à In Kind Canada ». Il est également clair que le fait énoncé au paragraphe 15 n’était pas l’un des faits à l’égard desquels le ministre avait émis une hypothèse en établissant la cotisation de l’appelant. Par conséquent, c’est le ministre qui a la charge de prouver ce fait.

 

[17]         Quant à l’argument selon lequel l’appelant n’avait pas d’intention libérale, l’intimée s’est principalement fondée sur les documents promotionnels distribués par Charitable Enterprises Inc. (« CEI »), qui était le promoteur du programme. La société CEI (ou une société liée) avait communiqué avec In Kind Canada, un organisme de bienfaisance enregistré, en vue de déterminer les produits dont les organismes de bienfaisance avaient besoin. In Kind Canada est un organisme de bienfaisance enregistré qui accepte des dons de produits et qui distribue ces produits à d’autres organismes de bienfaisance. La société CEI avait également accès à des fabricants, en Chine, qui pouvaient fabriquer certains produits à bas prix. La société CEI essayait de concilier un besoin, en ce qui concerne certains produits, et sa source de produits bon marché, en Chine. Dans ce cas­ci, il a été conclu que les produits étaient des brosses à dents, des stylos à encre gel et des trousses d’école.

 

[18]         Dans la brochure que CEI a produite, une page entière est consacrée aux [traduction] « Aspects financiers d’un don en nature ». Les [traduction] « Aspects financiers » sont décrits dans un tableau qui renferme les renseignements suivants :

 

[traduction]

 

Sommaire des économies d’impôt (résident de l’Ontario)

 

Prix d’achat des marchandises à donner

5 000

10 000

Reçu pour don, fondé sur la juste valeur marchande (JVM)

25 000

50 000

Crédits d’impôt sur le montant du don (46 %)*

11 500

23 000

Moins : Impôt sur le gain en capital (JVM – coût x 50 % x 46 %)*

4 600

9 200

Crédit d’impôt net reçu par le donateur

6 900

13 800

Moins : Prix d’achat des marchandises données

5 000

10 000

Rendement net pour le donateur en sus du montant du don

1 900

3 800

Rendement de l’achat de marchandises à donner

38 %

38 %

Si vous avez subi des pertes en capital, ces pertes peuvent être défalquées du gain en capital

Rendement net pour le donateur en cas d’imputation de pertes en capital**

(crédit d’impôt moins prix d’achat)

6 500

13 000

Rendement de l’investissement (le don) en cas d’imputation de pertes

130 %

130 %

 

Nota

 

*    Suppose un taux d’imposition marginal maximum.

 

**  Lorsque le donateur a subi des pertes en capital égales au gain en capital, le rendement net pour le donateur augmentera.

 

      Les crédits d’impôt sur le montant du don supposent un revenu imposable.

 

[19]         Selon la position prise par l’intimée, le motif qui a amené l’appelant à agir est fondé sur le rendement intéressant de l’investissement (38 à 130 p. 100 selon les pertes en capital disponibles) plutôt que sur une intention libérale. L’intimée soutient que l’appelant voulait faire de l’argent en acquérant les produits pour ensuite les remettre et qu’il ne voulait pas effectuer un don.

 

[20]         L’appelant a affirmé que le rendement indiqué de son [traduction] « investissement » ne constituait pas un motif, mais qu’il désirait plutôt accorder un avantage à des organismes de bienfaisance étant donné qu’il venait d’apprendre que sa sœur était atteinte de sclérose en plaque. L’appelant a indiqué avoir certaines préoccupations au sujet des organismes de bienfaisance dont les coûts indirects étaient élevés. Toutefois, il n’a pas enquêté en vue de déterminer combien d’argent In Kind Canada consacrait aux coûts indirects et cela  ne l’a pas empêché de conclure ces opérations.

 

[21]         Dans l’arrêt Symes c. La Reine, [1994] 1 C.T.C. 40, 94 DTC 6001, [1993] 4 R.C.S. 695, de la Cour suprême du Canada, le juge Iacobucci a dit ce qui suit :

 

74        Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée.  Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. 

 

[22]         Au cours des années qui ont précédé l’année ici en cause, l’appelant avait déduit les montants suivants au titre de dons de bienfaisance (et ces montants sont énoncés dans la réponse à l’avis d’appel modifié) :

 

Année d’imposition

Montant déduit au titre d’un don

1998

0 $

1999

0 $

2000

0 $

2001

0 $

2002

664 $

 

[23]         L’appelant n’a pas contesté que ces montants avaient été déduits au titre de dons de bienfaisance dans ses déclarations de revenu de ces années­là, mais il a déclaré qu’étant donné que sa femme avait un revenu plus élevé, elle avait déduit la plupart des dons de bienfaisance dans sa déclaration. L’appelant n’a pas donné de détails au sujet des montants que son épouse aurait déduits. L’explication qu’il a fournie, à savoir que le revenu de son épouse était plus élevé pendant les années en cause (il a indiqué qu’elle gagnait beaucoup plus d’argent que lui), et qu’elle avait donc déduit les dons de bienfaisance, peut montrer pourquoi l’appelant n’avait pas effectué de déduction pour les années 1998 à 2001 au titre de dons de bienfaisance, mais cela n’explique pas pourquoi, en 2002, il a déduit un montant de 664 $ au titre de pareils dons.

 

[24]         Le montant que l’appelant a versé en espèces pour participer au programme (2 850 $) était quatre fois plus élevé que le montant global qu’il avait déduit à titre de don de bienfaisance en 2002. L’appelant est un spécialiste en déclarations de revenu; en 2003, il était directeur, chez Deveau Accounting, où il était notamment chargé de l’examen de ce programme particulier de dons de bienfaisance. Il me semble que le rendement prévu de l’investissement intéresserait un cabinet comptable.

 

[25]         Le fait que l’appelant soutient que le rendement apparemment fort intéressant de l’investissement proposé par CEI ne l’intéressait pas et qu’il a été amené à participer à ce programme parce que sa sœur était atteinte de sclérose en plaque entache la crédibilité de l’appelant à un point tel que je ne puis retenir son témoignage sur ce point. Je ne crois pas que le rendement fort intéressant de l’investissement, tel qu’il était indiqué dans la brochure de CEI, n’intéressait pas l’appelant. Je conclus que c’est le rendement prévu de l’investissement qui intéressait l’appelant.

 

[26]         Il s’agit ensuite de savoir si ce motif, à savoir la réalisation d’un profit, est suffisant pour qu’il soit possible de conclure que l’appelant n’a pas fait de don à In Kind Canada en 2003. Dans l’arrêt The Queen v. Friedberg, [1992] 1 C.T.C. 1, 135 N.R. 61, 82 DTC 6031, le juge Linden, de la Cour d’appel fédérale, a dit ce qui suit :

 

[4] La Loi de l’impôt sur le revenu ne définit pas le mot « don », et ce sont les principes généraux du droit concernant les dons que les tribunaux appliquent en pareille circonstance. Comme le juge Stone l’a expliqué dans l’arrêt La Reine c. McBurney, 85 D.T.C. 5433, à la p. 5435 :

 

La Loi ne définit pas le mot « dons ». Rien dans le contexte à l’intérieur duquel ce terme est employé ne porte à croire qu’il y revêt un sens technique plutôt que son sens ordinaire.

 

Par conséquent, un don est le transfert volontaire du bien d’un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d’avantage ni de contrepartie (voir le juge Heald dans La Reine c. Zandstra [1974] 2 C.F. 254, à la p. 261). L’avantage fiscal qui est conféré par un don n’est généralement pas considéré comme un « avantage » au sens où on l’entend dans cette définition car s’il en était ainsi, bien des donateurs seraient dans l’impossibilité de se prévaloir des déductions relatives aux dons de charité.

 

 

[27]         Dans la décision Klotz c. La Reine, 2004 CCI 147, 2004 DTC 2236, [2004] 2 C.T.C. 2892[2], le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) a dit ce qui suit :

 

[22]      Une chose est claire, quoique ce ne soit probablement pas pertinent aux fins qui nous occupent : c’était purement l’avantage fiscal espéré qui amenait M. Klotz à participer à ce programme. L’élargissement des horizons culturels ou intellectuels des étudiants de la FSU n’entrait pas en ligne de compte. M. Klotz n’a jamais demandé ce que la FSU allait faire des gravures. En 1999, la FSU a reçu 1 450 gravures de divers donateurs et a probablement remis des reçus s’élevant à au moins 1 450 000 $.

 

[]

 

[25]      Il est inutile de parler plus longtemps du donateur. M. Klotz a fait un don en masse de gravures à tirage limité à la FSU. Il n’a pas vu ces gravures et il ne les a pas eues en sa possession. Ce qu’étaient ces gravures, à qui elles étaient destinées ou ce que l’on en faisait lui importait peu. Il cherchait uniquement à obtenir un reçu pour don de bienfaisance. Rien de tout cela n’est ici pertinent. Le fait d’avoir une âme charitable n’est pas une condition de l’obtention d’un crédit d’impôt pour don de bienfaisance. Les gens font des dons de bienfaisance pour bien des raisons : à des fins fiscales, commerciales, par vanité, pour des motifs d’ordre religieux, à cause de pressions sociales. Aucun motif en soi ne vicie les conséquences fiscales d’un don de bienfaisance.

 

[28]         L’intimée a cité la décision rendue par le juge Little, de la présente cour, dans l’affaire McPherson c. La Reine, 2006 CCI 648, [2007] 2 C.T.C. 2277, 2007 DTC 326, à l’appui de la thèse selon laquelle l’appelant n’avait pas fait un don valide. Toutefois, il ressort clairement de la décision du juge Little que le contribuable, dans cette affaire­là, n’avait pas fait de don parce qu’il s’attendait à recevoir une commission clandestine. Voici ce que le juge Little a dit :

 

[22]      Il est bien établi en droit (et selon le bon sens) que l’anticipation et la réception d’une commission clandestine en argent comptant équivalant à 75 p. 100 du don vicie ce don (voir La Reine c. Friedberg, précité).

 

[23]      D’après les preuves circonstanciées que j’ai exposées ci­dessus, j’ai conclu que les sommes transférées à ABLE par l’appelant en 1996 ne constituent pas un don, parce que l’appelant s’attendait à recevoir une commission clandestine équivalant à 75 p. 100 du montant qu’il avait versé.

 

[29]         Dans la décision Webb c. La Reine, 2004 CCI 619, [2005] 3 C.T.C. 2068, le juge Bowie a conclu que le contribuable n’avait pas fait de don à un organisme de bienfaisance, qui semble être le même organisme que celui qui était en cause dans l’affaire McPherson. Le juge Bowie a dit ce qui suit :

 

15.       [...] Malgré tout, les éléments de preuve fournis me convainquent que M. Webb a fait le paiement de 30 000 $, comme je l’ai déjà dit, au moins dans la perspective de recevoir le remboursement d’une importante partie de son don, par le truchement de ABLE ou par un moyen indirect, en plus du reçu comme tel.

 

16.       Il s’est écrit beaucoup de documents au sujet des dons de bienfaisance au cours des années. Cependant, la loi est selon moi très claire. Je suis lié par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire La Reine c. Friedberg*, entre autres. Ce cas et les autres du genre indiquent clairement que pour qu’un montant soit considéré comme un don fait à un organisme de bienfaisance, il doit être versé sans qu’il n’y ait d’avantage ou de contrepartie directs ou indirects pour le donateur, et sans qu’il n’y ait d’attente d’avantage ou de contrepartie. En d’autres mots, l’intention du donateur doit être entièrement libérale. 

 

17.       Les circonstances que j’ai mentionnées m’amènent à conclure qu’il n’y avait rien du tout de libéral au sujet du paiement qu’a fait M. Webb à ABLE. Son intention était de recevoir un crédit d’impôt pour un don de bienfaisance, en plus d’un remboursement important du montant qu’il avait versé, de sorte qu’une fois additionnés, les deux éléments dépasseraient le montant de 30 000 $ pour lequel il a écrit le chèque.

 

(L’astérisque se rapporte à une note de bas de page qui figurait dans le texte de la décision du juge Bowie.)

 

[30]         Dans la décision Norton c. La Reine, 2008 CCI 91, 2008 DTC 2701, [2008] 5 C.T.C. 2499, le juge Archambault a également conclu qu’aucun don n’avait été effectué. Dans cette affaire, l’organisme de bienfaisance qui avait remboursé en partie le montant versé était celui qui était en cause dans les affaires McPherson et Webb.

 

[31]         En l’espèce, l’appelant n’a pas reçu de contrepartie de In Kind Canada ou de quelque autre personne participant au programme. L’appelant a uniquement obtenu un reçu de In Kind Canada, lequel était fondé sur ce qui, selon CEI et In Kind Canada, représentait la juste valeur marchande des produits. L’appelant n’a pas reçu de contrepartie ou d’avantage si ce n’est qu’il a obtenu un crédit en vertu de la Loi à l’égard du montant du don consenti à In Kind Canada.

 

[32]         C’est le rendement possible de l’investissement qui intéressait l’appelant, mais étant donné que le seul avantage que l’appelant a obtenu se rapporte au montant du crédit qu’il a reçu en vertu de la Loi (crédit qui, comme l’a affirmé l’appelant, était fondé sur la juste valeur marchande des biens qu’il avait transférés à In Kind Canada, telle qu’elle avait été déterminée par CEI et par In Kind Canada, mais qui sera déterminée en fonction de la juste valeur marchande réelle de ces produits), cet avantage à lui seul, dans ces conditions, ne peut pas vicier le don. Je conclus donc que l’appelant a de fait effectué un don en faveur de In Kind Canada lorsqu’il a remis les produits à cet organisme de bienfaisance en 2003.

 

[33]         Il faut ensuite déterminer le montant du don (soit la juste valeur marchande des biens que l’appelant a donnés à In Kind Canada). L’appelant a fait l’objet d’une nouvelle cotisation compte tenu du fait que la juste valeur marchande de ces biens était de 579 $, mais dans son plaidoyer final, l’avocat de l’intimée a modifié la position prise par l’intimée et a soutenu que la juste valeur marchande de ces biens doit être égale au montant que l’appelant a payé pour les acquérir (2 850 $).

 

[34]         Selon la position prise par l’appelant, la juste valeur marchande du don était de 15 079 $, montant qui a été calculé ainsi :

 

Produit

Prix de détail unitaire déterminé aux fins de l’établissement du reçu

Remise

JVM unitaire utilisée aux fins de l’établissement du reçu

Brosses à dents

4,54 $

30 %

3,178 $

Stylos à encre gel

2,79 $

35 %

1,8135 $

Trousses d’école

92,95 $

0 %

92,95 $

 

Juste valeur marchande déterminée pour les produits donnés par l’appelant :

 

Produit

Quantité donnée

JVM unitaire utilisée aux fins de l’établissement du reçu

JVM utilisée aux fins de l’établissement du reçu

Brosses à dents

1 728

3,178 $

5 491,58 $

Stylos à encre gel

5 184

1,8135 $

9 401,18 $

Trousses d’école

2

92,95 $

185,90 $

 

 

 

15 078,66 $

 

[35]         Selon la position prise par l’appelant, la juste valeur marchande des articles qui ont été donnés à In Kind Canada doit être fondée sur le prix de vente au détail de ces articles, moins une remise accordée compte tenu du fait que l’appelant donnait un grand nombre d’articles. Dans l’arrêt La Reine c. Nash, 2005 CAF 386, 2005 DTC 5696, [2006] 1 C.T.C. 158, le juge Rothstein (tel était alors son titre), de la Cour d’appel fédérale, a dit ce qui suit :

 

            [8]                La définition généralement admise de la juste valeur marchande se trouve dans la décision du juge Cattanach, dans l’affaire Succession Henderson et Bank of New York c. M.R.N., 73 D.T.C. 5471, à la page 5476 :

                        La Loi ne donne aucune définition de l’expression « juste valeur marchande »; celle­ci a été définie de diverses façons, généralement selon ce qu’avait à l’esprit la personne cherchant à formuler la définition. Je ne crois pas nécessaire d’essayer de donner une définition précise de cette expression telle qu’employée dans la Loi ; il suffit, me semble­t­il, de dire qu’il y a lieu de donner à ces mots leur sens ordinaire. Dans son sens courant, me semble­t­il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et de vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre. J’ajouterais que cet exposé succinct de mon point de vue sur le sens à donner à l’expression « juste valeur marchande » comprend ce que j’estime être l’élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi par le jeu de la loi de l’offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d’acheter et de vendre.

            Bien que le juge Cattanach ait pris soin de signaler qu’il n’essayait pas de donner une définition « précise » , le fait que la formule qu’il propose a été retenue telle quelle dans la jurisprudence depuis une trentaine d’années permet de penser que, même si elle n’est pas nécessairement exhaustive, sa définition est maintenant considérée comme la définition applicable.

 

[36]         L’appelant a produit un rapport d’expert expliquant la méthode employée pour déterminer la juste valeur marchande des produits qu’il avait donnés à In Kind Canada. Dans le rapport, le titre précédant les paragraphes 16 et 17 est le suivant : [traduction] « MÉTHODE EMPLOYÉE PAR CEI AUX FINS DE LA DÉTERMINATION DE LA JUSTE VALEUR MARCHANDE GLOBALE ». Aux paragraphes 16 et 17, il est question de la méthode que les représentants de CEI ont employée en vue de déterminer la juste valeur marchande. Cela donne à penser que la juste valeur marchande a été déterminée par CEI et non par In Kind Canada.

 

[37]         Le 15 juillet 2003, CEI a conclu une entente avec In Kind Canada à l’égard des opérations envisagées. L’article 5.3 de cette entente prévoit notamment ce qui suit :

 

[traduction]

 

Seule IKC déterminera le montant des reçus pour don de bienfaisance.

 

[38]         Il me semble qu’étant donné que In Kind Canada est l’organisme de bienfaisance enregistré qui a émis le reçu indiquant que la juste valeur marchande des produits donnés par l’appelant était de 15 079 $, il incombe à cet organisme de déterminer la juste valeur marchande. Debbie Bianco, qui travaillait pour In Kind Canada en 2003, était chargée de déterminer la juste valeur marchande des produits. Elle a témoigné avoir effectué certaines recherches. Elle a examiné certains feuillets et certaines annonces se rapportant à des brosses à dents et à des stylos à encre gel. Elle a également examiné le travail accompli par les représentants de CEI. Keith Ly, qui travaillait pour CEI, a également témoigné; il a décrit le travail qu’il faisait en achetant de divers détaillants diverses brosses à dents et divers stylos à encre gel qui, selon lui, étaient des produits comparables. In Kind Canada a effectué certaines recherches pour confirmer les montants proposés par CEI, mais a accepté les montants proposés. Comme il en a ci­dessus été fait mention, CEI a conclu que la juste valeur marchande unitaire des brosses à dents était d’environ 3,18 $ et que la juste valeur marchande unitaire des stylos à encre gel était d’environ 1,81 $[3].

 

[39]         Il me semble que la question cruciale à trancher en déterminant la juste valeur marchande des produits donnés à In Kind Canada est de savoir si le marché de détail est celui qu’il convient d’utiliser à cette fin. Cette question est examinée dans le rapport d’expert, dans la section intitulée : [traduction] « REMARQUES CONCERNANT LE MARCHÉ APPROPRIÉ ». Les paragraphes 26 à 31 de ce rapport disent ce qui suit :

 

[traduction]

 

26.    L’indication du marché pertinent est une question importante ainsi que l’application de la définition de la juste valeur marchande. Pour les besoins du présent rapport et pour les raisons énoncées dans les paragraphes suivants, nous avons supposé que le marché approprié est l’un ou l’autre des marchés suivants :

 

a)      le marché sur lequel les donateurs achèteraient les marchandises incluses dans l’ensemble de produits, si ce n’était du programme de dons;

 

b)      le marché sur lequel IKC achèterait les marchandises incluses dans l’ensemble de produits.

 

27.    En outre, nous avons supposé que le marché sur lequel CEI a acheté les marchandises pour le compte des donateurs, le marché de gros, n’est pas pertinent, comme nous le verrons ci­dessous.

 

28.    Les donateurs sont des particuliers qui ne s’occupent pas de fabrication, de vente en gros ou de vente au détail des produits faisant partie de l’ensemble de produits. Ils ne sont donc pas en mesure d’acquérir des produits similaires aux prix que paieraient les grossistes ou les détaillants. Il est facile de se procurer des produits comparables; il ne s’agit pas de produits uniques en leur genre. Afin de donner des produits similaires à IKC (ou à un organisme de bienfaisance similaire) en l’absence du programme de dons, ils achèteraient probablement ces produits dans des magasins de détail tels que Bureau en Gros, Grand & Toy, Pharmaprix et peut­être dans des magasins à un dollar (à supposer que ceux­ci vendent des articles d’une qualité similaire, ce qui n’est peut­être pas le cas), et ainsi de suite. À notre connaissance, les donateurs n’ont pas de contacts à l’étranger leur permettant d’acquérir les marchandises directement du fabricant, comme le faisait CEI pour les besoins du programme de dons.

 

29.    À notre avis, il ne serait pas réaliste de s’attendre à ce que les donateurs soient en mesure de négocier en vue de payer le prix demandé par un fabricant ou par un grossiste à l’égard de pareilles marchandises étant donné qu’il s’agit d’un achat unique et compte tenu du nombre de produits achetés. En outre, étant donné la nature des articles dont l’ensemble de produits est composé (c’est­à­dire des produits de consommation qu’on peut facilement se procurer à divers endroits), la vente de la quantité de stylos à encre gel et de brosses à dents dont est composé l’ensemble de produits n’inonderait pas le marché à l’égard de tels produits. En d’autres termes, nous ne croyons pas que la vente des articles entraînerait de fortes pressions à la baisse sur les prix en sus d’un niveau raisonnable de remises sur quantité. Plus précisément, étant donné les quantités relativement importantes de brosses à dents et de stylos à encre gel faisant partie de l’ensemble de produits, nous nous attendons à ce que les donateurs négocient avec les magasins de détail une remise sur quantité.

 

30.    Nous n’avons pas examiné le programme d’achat d’IKC ou de quelque organisme de bienfaisance ou les remises possibles sur quantité qu’ils ont pu obtenir. Par conséquent, nous ne pouvons pas faire de remarques au sujet de la question de savoir si IKC ou d’autres organismes de bienfaisance qui ont finalement utilisé les marchandises faisant partie de l’ensemble de produits obtiendraient les brosses à dents, les stylos à encre gel et les trousses d’école sur un marché autre que le marché de détail. Toutefois, CEI nous a informés que les organismes de bienfaisance qui ont finalement obtenu l’ensemble de produits (ainsi que d’autres) n’étaient pas suffisamment importants ou ne comportaient pas les caractéristiques nécessaires pour acquérir les marchandises sur le même marché ou aux mêmes prix que CEI. (On ne nous a pas donné de détails au sujet des quantités achetées par CEI ou des ententes conclues entre CEI et les vendeurs de produits faisant partie de l’ensemble de produits et d’ensembles similaires d’articles donnés.)

 

31.    Nous croyons qu’en général, le prix le plus élevé pour l’ensemble de produits serait obtenu au moyen de la vente de chacune des marchandises (ou de groupes de marchandises) séparément à des consommateurs individuels. Toutefois, cette approche entraînerait probablement des coûts plus élevés que ceux que comporterait la vente de l’ensemble de produits au complet. En outre, l’ensemble de produits a été donné au complet à IKC pour que divers organismes de bienfaisance les utilisent. Par conséquent, s’il est supposé que IKC (ou l’organisme de bienfaisance qui a finalement utilisé les marchandises) achetait de tels produits, en quantités similaires, sur le marché de détail, nous croyons que le marché le plus approprié à prendre en considération pour déterminer la juste valeur marchande de l’ensemble de produits est le marché de détail (le marché de consommation) pour des quantités similaires de chaque produit inclus dans l’ensemble de produits, en particulier, le montant global en espèces qu’IKC ou l’organisme de bienfaisance pertinent paierait pour acquérir un ensemble de produits similaire. En outre, nous croyons qu’il convient d’imputer des remises sur quantité pour le calcul de la juste valeur marchande de chaque produit dont est composé l’ensemble de produits et que les remises utilisées par CEI ne sont pas déraisonnables quant au montant, compte tenu des quantités achetées par les donateurs.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[40]         La déclaration selon laquelle les organismes de bienfaisance n’auraient pas pu acquérir les produits au même prix que CEI est exacte, mais elle n’est pas complète. Les donateurs (y compris l’appelant) n’ont pas acquis les produits au même prix que CEI. John Groscki (qui semble être le propriétaire de CEI et des sociétés liées qui ont participé aux opérations) a confirmé que la société qui vendait les produits aux donateurs (y compris l’appelant) triplait ou quadruplait le prix de ces articles, par rapport au montant que CEI (ou une société liée) versait aux fabricants des produits.

 

[41]         Étant donné que l’opération pertinente est le don de biens à In Kind Canada, il me semble qu’il importe peu de savoir si les donateurs auraient par ailleurs acquis les produits sur le marché de détail. L’opération qui est pertinente est l’acquisition des produits par In Kind Canada et il me semble donc que le marché pertinent serait le marché sur lequel In Kind Canada aurait acquis les produits si les donateurs ne lui avaient pas remis ces produits. Selon l’hypothèse émise au paragraphe 31 du rapport d’expert susmentionné, [traduction] « IKC [...] achetait de tels produits, en quantités similaires, sur le marché de détail ». Il me semble que l’identification du marché sur lequel In Kind Canada aurait acheté de tels produits est cruciale aux fins de la détermination de la juste valeur marchande des produits qui lui étaient donnés. Une fois émise l’hypothèse selon laquelle [traduction]  « IKC [...] achetait de tels produits sur le marché de détail », la conclusion selon laquelle le marché le plus approprié est le marché de détail semble évidente et inévitable. Toutefois, la question cruciale est de savoir si le marché de détail est le marché qui convient en l’espèce.

 

[42]         En témoignant, le témoin expert, Melanie Russell, n’a pas directement parlé de l’hypothèse énoncée au paragraphe 31 de son rapport, à savoir que [traduction] « IKC [...] achetait de tels produits sur le marché de détail ». Voici des extraits du témoignage que Mme Russell a présenté à l’audience :

 

[traduction] 

 

Q.        D’accord. Que pensiez­vous du second marché dont vous avez fait mention, soit le marché sur lequel In Kind Canada pourrait acheter les marchandises qui étaient incluses dans l’ensemble de produits?

 

R.         L’autre élément dont j’ai tenu compte se rapportait au prix que paieraient IKC ou les organismes de bienfaisance recevant ces brosses à dents et ces stylos à encre gel.

 

            Je n’ai parlé à aucun des organismes de bienfaisance ni à In Kind Canada. Je ne sais donc pas personnellement combien d’articles ils auraient achetés, ou combien d’articles ils achetaient normalement, si ce n’était du programme de dons. Toutefois, je crois comprendre, et ce que j’ai appris concernait particulièrement les organismes de bienfaisance particuliers qui ont reçu les produits, que les quantités de stylos ou de brosses à dents ou d’articles utilisés n’étaient pas très grandes. Par conséquent, comme M. et Mme Lockie, je m’attends à ce qu’ils obtiennent une remise quelconque sur quantité, mais ils ne seraient pas en mesure de s’adresser au fabricant de stylos ou de brosses à dents afin d’obtenir le prix de gros.

 

Q.        D’accord. Aviez­vous d’autres remarques à faire au sujet du marché sur lequel les organismes de bienfaisance achèteraient les produits?

 

R.         Aux paragraphes 30 et 31, page neuf, si vous revenez à la définition de la juste valeur marchande, soit le prix le plus élevé, le prix le plus élevé pour cet ensemble de produits serait de toute évidence le prix obtenu si une entreprise comme Bureau en Gros vendait un stylo ou un paquet de douze stylos. Cependant, étant donné qu’en réalité l’ensemble de produits ne contient pas simplement un stylo ou douze stylos, je crois que, bien que le marché approprié soit le marché de détail ou le marché de consommation, les remises sur quantité n’ont pas à être prises en considération quant aux quantités qui ont été vendues et achetées.

 

Et le témoin a déclaré ce qui suit lors du contre­interrogatoire :

 

[traduction] 

 

Q.        Le prix le moins élevé. Et pourquoi ne vous est­il jamais venu à l’esprit dans ce rapport que CEI serait appropriée ou bien que l’opération qui a été conclue entre M. Lockie et EMI et le programme de dons de CEI qui était promu ne constitueraient pas le marché approprié pour évaluer ces articles quant à leur juste valeur marchande?

 

R.         Il s’agit d’une hypothèse, si vous vous reportez – il y a une hypothèse que vous avez déjà signalée au paragraphe 34.

 

Q.        Trente­quatre, oui.

 

R.         Page dix.

 

Q.        En effet.

 

R.         c) L’hypothèse sous­jacente est donc que le programme de dons ne crée pas en soi de marché et que la définition de la juste valeur marchande, soit le prix le plus élevé, exclurait le marché d’investissement.

 

Q.        C’est ce que vous entendez à c)? Le programme de dons ne devrait pas être considéré comme un marché d’investissement. Un marché d’investissement est tout simplement un marché.

 

R.         C’est exact. Il ne crée pas en soi de marché.

 

[]

 

R.         J’ai supposé que IKC ou les organismes de bienfaisance n’auraient pas accès ou n’ont pas accès au marché de gros.

 

 

[43]         Il me semble qu’en l’espèce, les opérations ne faisaient pas partie des opérations normalement conclues par In Kind Canada et que In Kind Canada n’aurait pas acheté ces articles, en pareilles quantités, dans le cours ordinaire de ses affaires. Debbie Bianco a témoigné ce qui suit :

 

[traduction] 

 

Q.        D’accord. Et vous pouvez peut­être nous donner une brève description des activités de In Kind Canada à ce moment­là. Quelles étaient­elles?

 

R.         Oh, la création de In Kind Canada était réellement une merveilleuse idée. L’organisme a été établi, John Page et un associé ont lancé l’entreprise et ils – en fait In Kind Canada acceptait des dons du grand public et d’entreprises, principalement des entreprises, qui possédaient au départ des choses comme des bureaux et des chaises et au lieu de mettre ces bureaux et ces chaises dans des sites d’enfouissement, on les remettait à des organismes de bienfaisance. La chose plaisait énormément aux organismes de bienfaisance parce qu’ils n’avaient pas accès à ces articles, et que cela amortissait le coup quant au résultat final.

 

Q.        D’accord. Et comment ces produits étaient­ils distribués? Comment identifiez­vous les organismes de bienfaisance?

 

R.         In Kind Canada possédait une banque de données passablement sophistiquée dans le secteur des organismes de bienfaisance : le personnel chargé de la répartition enregistrait le don, la juste valeur marchande aurait été, serait indiquée sur un bout de papier et les renseignements étaient ensuite entrés dans la banque de données. Nous consultions ensuite notre banque de données de plus de 1 200 organismes de bienfaisance qui étaient membres à ce moment­là et nous savions, ou ces organismes nous disaient, ce qu’ils voulaient ou ce dont ils avaient besoin pour leurs activités ou pour leurs programmes. Et nous leur disions alors d’aller les chercher ou de venir les chercher.

 

[]

 

Q.        Et les articles que In Kind Canada distribue aux organismes de bienfaisance membres, sont­ils – quel est le pourcentage des articles donnés ou y a­t­il un pourcentage d’articles que In Kind Canada achète et distribue ensuite?

 

R.         In Kind Canada ne s’est jamais occupée de l’achat de quoi que ce soit ou de la distribution de quoi que ce soit. Tout ce que nous avons distribué aux organisations membres avait été donné.

 

[44]         John Groscki est comptable agréé; il semble qu’il était propriétaire de CEI et des sociétés liées qui participaient à ces opérations ou qu’il contrôlait CEI et ces sociétés. Il semble également être celui qui a créé cette structure d’opérations. John Groscki voulait acquérir de l’expérience dans le domaine de l’importation de marchandises de Chine et du lancement de pareils produits sur le marché canadien. À un moment donné en 1995 ou par la suite, il a commencé à assister à des salons professionnels ou à visiter des usines en Chine avec des amis qu’il avait rencontrés en 1995. Il a créé la marque « RYT » qui était utilisée pour les brosses à dents, les stylos à encre gel et les produits dont étaient composées les trousses d’école. En 2003, en mettant au point le programme de dons, il cherchait des possibilités d’acquérir de fabricants, en Chine, des produits bon marché dont le prix de détail au Canada était beaucoup plus élevé que le coût d’acquisition du produit du fabricant.

 

[45]         L’une des mesures que John Groscki a initialement prises en établissant le programme a été de communiquer avec In Kind Canada afin de déterminer les types de produits qui intéressaient l’organisme de bienfaisance. Selon la proposition qui a été faite, John Groscki, par l’intermédiaire de l’une de ses sociétés, devait prendre des dispositions pour qu’il y ait un stock ou un flux constant de produits pour l’organisme de bienfaisance, qui remettrait aux donateurs des reçus d’un montant qui serait environ cinq fois plus élevé que le montant que le donateur avait versé à la société particulière qui avait vendu le produit à celui­ci. Il était important que In Kind Canada fasse au départ partie de la structure étant donné que les produits qui étaient importés lui seraient finalement remis. L’appelant n’était que l’une des nombreuses personnes qui participaient à ce programme.

 

[46]         CEI a conclu avec In Kind Canada une entente datée du 15 juillet 2003 (soit environ trois mois avant que l’appelant eût effectué les opérations prévues dans l’entente ici en cause). Le paragraphe 5.3 de cette entente prévoit ce qui suit :

 

[traduction] 

 

5.3 Confirmation des marchandises à recevoir à titre de dons : CEI confirmera auprès d’IKC le type et la quantité de produits que IKC veut recevoir à titre de dons. Avant que les produits soient expédiés, IKC remettra à CEI une confirmation écrite des produits qu’elle aimerait recevoir et du montant auquel s’élèveront les reçus pour don de bienfaisance qu’elle fournira aux donateurs à l’égard des produits livrés. Seule IKC déterminera le montant des reçus pour don de bienfaisance.

 

[47]         John Groscki a expliqué en ces termes l’importance de ce paragraphe :

 

[traduction] 

 

Q.   Pouvez­vous expliquer l’objet de ce paragraphe?

 

R.   Nous allons nous charger d’acheter les marchandises en Chine en très grosses quantités, de sorte qu’il est plutôt crucial que nous nous entendions sur les articles à donner et que nous sachions au départ, que l’organisme de bienfaisance nous dise, qu’il peut utiliser ces articles, qu’il les veut. Cela n’est pas très compliqué. Il est au courant des quantités que nous allons recevoir, de sorte que nous confirmons qu’il les obtiendra.

 

Et auparavant, il est important que IKC collabore avec nous au point de vue de la diligence raisonnable et il est également important qu’il fasse preuve d’une diligence raisonnable lorsqu’il s’agit de fixer les prix sur le marché, de remettre des reçus et ainsi de suite.

 

[48]         CEI (ou une société liée) importait les produits par conteneur. John Groscki estimait qu’il importait des douzaines de conteneurs de produits. Il y avait de 980 000 à un peu plus d’un million de stylos dans un conteneur. Il ressort de la preuve présentée à l’audience que les brosses à dents, les stylos à encre gel et les trousses d’école importés par CEI ont tous été remis à In Kind Canada dans le cadre du programme de dons ou en tant que partie intégrante des fournitures scolaires qui ont été vendues à In Kind Canada après que le gouvernement fédéral eut annoncé que des modifications seraient apportées à la Loi à l’égard de la détermination de la juste valeur marchande des articles acquis et ensuite donnés aux organismes de bienfaisance. Cette annonce a mis fin au programme de dons. Au moment où l’annonce a été faite au (début du mois de décembre 2003), John Groscki estimait qu’il y avait de 20 à 30 conteneurs de marchandises qu’il devait encore acheter. Il a décrit la chose ainsi :

 

[traduction] 

 

R.   Lorsque le programme a pris fin ou lorsque la loi a été modifiée et que nous ne pouvions plus vendre les marchandises de la même façon, comme je l’ai dit, à ce moment­là, nous n’avions pas eu la possibilité de commercialiser pleinement les produits que nous importions. Par conséquent, lorsqu’il a été mis fin au programme, d’une certaine façon rétroactivement du point de vue de la possibilité de remettre des reçus pour don de bienfaisance, nous nous sommes fondamentalement vus obligés, à ce moment­là, d’acheter environ, peut­être, de 20 à 30 conteneurs de marchandises, valant en tout, si je ne me trompe, 1,2 ou 1,3 million de dollars.

 

[49]         Les sociétés de John Groscki importaient d’autres produits en plus des stylos à encre gel, des brosses à dents et des trousses d’école et il semble que tous les produits aient été dirigés vers In Kind Canada. L’entente conclue entre CEI et In Kind Canada comportait également l’article 5.7, qui prévoit ce qui suit :

 

[traduction] 

 

5.7 Don en espèces fait à IKC sur libération des fonds entiercés : Sur remise des reçus pour don de bienfaisance à l’égard des produits livrés, IKC recevra a) à l’égard des premiers 10 000 000 $ auxquels s’élève l’ensemble des dons effectués par les donateurs, un don en espèces correspondant à 2 p. 100 du montant global des dons effectués par les donateurs; et b) à l’égard des dons effectués par les donateurs en sus des premiers 10 000 000 $, IKC recevra un montant à négocier, en sus desdits 2 p. 100.

 

[50]         L’explication que John Groscki a donnée au sujet de la raison pour laquelle In Kind Canada recevrait le montant prévu par cette disposition est la suivante :

 

[traduction] 

 

Q.        Pouvez­vous expliquer pourquoi CEI verserait de l’argent ou ce montant particulier à In Kind Canada?

 

R.         Fondamentalement, IKC agit également à titre d’intermédiaire pour notre société, en ce sens que les marchandises qui sont données ne seront pas remises strictement à des organismes de bienfaisance d’IKC. En effet, selon nous, les donateurs sont libres de donner les articles à n’importe quel organisme de bienfaisance au Canada. IKC s’occupe fondamentalement des marchandises pour notre compte, en les apportant au Canada.

 

De plus, ils vont engager d’autres dépenses se rattachant à notre entreprise parce qu’il arrive parfois que nous obtenions également des quantités de marchandises de ces divers contenants. Et nous croyions comprendre que, cela étant, ils allaient engager des dépenses additionnelles. Et je crois qu’à ce moment­là, IKC faisait face à des difficultés, de sorte que, selon moi, cela semblait constituer une indemnisation raisonnable à l’égard des dépenses additionnelles que IKC engagerait en s’occupant des quantités d’articles qui allaient leur être remises.

 

[51]         Les ententes prévoyaient que l’appelant pouvait donner les marchandises à n’importe quel organisme de bienfaisance ou qu’il pouvait les conserver (l’entente prévoyait trois possibilités – donner les produits à un organisme de bienfaisance, les conserver ou les transférer), mais il semble évident que le choix logique dans le cas de l’appelant (ou de tout autre participant) serait de les donner à In Kind Canada étant donné que l’appelant (ou tout autre participant) savait que In Kind Canada remettrait un reçu d’un montant à peu près cinq fois plus élevé que le montant que l’appelant avait payé pour les produits ou qu’il s’attendait à ce que In Kind Canada remette pareil reçu. L’appelant s’est prévalu de la troisième possibilité (le transfert) en transférant la propriété des produits à son épouse, qui a ensuite donné ces produits à In Kind Canada.

 

[52]         Que les produits aient directement été transmis de CEI à l’appelant puis à In Kind Canada, ou qu’ils aient été indirectement transmis de CEI à l’appelant et ensuite à l’épouse de l’appelant qui les a donnés à In Kind Canada, il semble évident que les produits allaient être donnés à In Kind Canada, et la chose aurait été évidente même avant que les documents soient signés. CEI avait une liste de documents que l’appelant devait remplir. La liste comprenait un acte de donation à un organisme de bienfaisance. Ce document n’était pas daté, mais il semble avoir été signé en même temps que les autres documents (le contrat d’achat (en vertu duquel l’appelant a acquis les produits) et l’entente concernant l’agent de transfert de l’acquéreur (en vertu de laquelle l’appelant désignait Canadian Charity Distribution Inc. (une société liée à CEI), en sa qualité d’agent, pour recevoir, entreposer et emballer les produits et les livrer à l’organisme de bienfaisance)).

 

[53]         CEI importait les produits en conteneurs. Les donateurs acquéraient un droit de propriété sur des lots plus petits (droit transmis à In Kind Canada), mais CEI (ou une société liée) envoyait directement les produits à In Kind Canada. Comme il en a ci­dessus été fait mention, les donateurs avaient désigné Canadian Charity Distribution Inc. (une société liée à CEI) à titre d’agent pour recevoir, entreposer et emballer les produits et les livrer à l’organisme de bienfaisance. Les produits étaient acquis par les donateurs pour le compte et au profit de In Kind Canada. Les donateurs devaient fournir l’argent nécessaire pour financer l’achat des produits. Si In Kind Canada avait eu suffisamment d’argent et si elle avait voulu acheter les produits de CEI, il n’aurait pas été nécessaire d’acheminer les produits par l’intermédiaire des donateurs.

 

[54]         L’acheminement du produit peut être illustré de la manière suivante :

 

 

[55]         Il semble que le marché de détail ne soit pas le marché qu’il convient d’utiliser pour déterminer la juste valeur marchande des produits donnés à In Kind Canada. Les donateurs servaient d’intermédiaires aux fins de l’acheminement des produits du fabricant à CEI (ou à une société liée), aux donateurs, et à In Kind Canada. John Groscki a décrit le rôle des donateurs ainsi :

 

[traduction] 

 

En fin de compte, nous faisions donc fondamentalement des donateurs des distributeurs en gros ou des distributeurs de produits, d’une façon ou d’une autre, aux organismes de bienfaisance.

 

[56]         Il me semble que si In Kind Canada devait acquérir les produits de quelqu’un d’autre que l’appelant, elle en ferait l’acquisition directement de CEI (ou d’une société liée). L’entente conclue entre CEI et In Kind Canada était en place avant l’acquisition des produits par l’appelant. Il me semble que, contrairement à l’hypothèse émise par Melanie Russell, In Kind Canada avait accès au marché de gros étant donné qu’elle avait clairement conclu une entente avec CEI, qui était l’importateur, avant l’acquisition des produits par l’appelant et par les autres donateurs. Étant donné que CEI [traduction] « fais[ait] donc fondamentalement des donateurs des distributeurs en gros ou des distributeurs de produits », CEI aurait pu faire de In Kind Canada un distributeur en gros.

 

[57]         Selon toute probabilité, il importerait peu à CEI de vendre les produits directement à In Kind Canada au même montant que celui qu’elle recevait de l’appelant (et des autres donateurs) ou elle préférerait vendre ainsi les produits. CEI recevrait le même montant, et ce, qu’elle vende les produits à l’appelant pour 2 850 $ ou à In Kind Canada pour 2 850 $, mais ses frais seraient moins élevés si les produits étaient vendus directement à In Kind Canada étant donné qu’il y aurait moins de paperasserie et qu’il ne serait pas nécessaire de passer du temps à acquérir des produits qui étaient considérés comme des produits comparables. Par conséquent, il semble évident que l’autre source de produits, si In Kind Canada devait acquérir les produits de quelqu’un d’autre que l’appelant, serait CEI et non le marché de détail. Dans le cours ordinaire de ses affaires, CEI vendait l’ensemble de produits à l’appelant pour 2 850 $ et il semble logique, étant donné que CEI se trouverait dans la même situation ou dans une meilleure situation si elle vendait les mêmes produits à In Kind Canada pour 2 850 $, que CEI vendrait également les mêmes produits à In Kind Canada pour 2 850 $.

 

[58]         Dans l’arrêt Nash, précité, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a fait les remarques suivantes au sujet du choix du marché lorsqu’il s’agit de déterminer la juste valeur marchande d’articles particuliers :

 

19        Il est faux de prétendre, comme Mme Tropper et le juge de première instance l’ont fait, que la juste valeur marchande d’un groupe d’objets correspond nécessairement au total du prix que l’on pourrait obtenir individuellement pour chacun des objets faisant partie de ce groupe. Une telle affirmation peut être justifiée dans certains cas, mais il faut examiner attentivement les circonstances dans lesquelles les lots sont achetés et vendus pour tirer une telle conclusion.

 

20        Si, d’après la preuve, les lots ne sont pas vendus individuellement sur le même marché, leur juste valeur marchande ne correspondra pas au total de la juste valeur marchande de chacun des objets qui les composent. Ainsi, si des objets sont vendus en grandes quantités sur le marché de gros, la juste valeur marchande des quantités ainsi vendues sur ce marché sera inférieure au total de la valeur des objets considérés individuellement. S’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de marché de gros. Les grossistes vendraient leurs grandes quantités d’articles sur le marché de détail pour obtenir le total des prix au détail des objets individuels pour les grandes quantités qu’ils en vendraient. Mais cette situation ne se produit pas, parce que les consommateurs n’achètent pas les grandes quantités vendues par les grossistes. Il y a d’autres différences entre le marché de gros et le marché de détail, comme la commodité et les autres services que les détaillants sont, contrairement aux grossistes, en mesure d’offrir au consommateur. C’est la raison pour laquelle il existe une différence entre le prix de détail et le prix de gros.

 

21        En revanche, si la preuve démontre que les objets en lots sont achetés et vendus sur le même marché que les objets individuels, il est possible que la juste valeur marchande des lots corresponde à la somme de la juste valeur marchande des objets individuels. En principe, on peut évaluer ainsi les actions ordinaires de compagnies.

 

[]

 

29        Lorsqu’un laps de temps s’est écoulé entre le moment où le bien a été acquis et celui où il est vendu, on ne peut normalement se fier au coût de ce bien pour en estimer la juste valeur marchande. Mais lorsque la date d’acquisition et la date d’aliénation sont très rapprochées, à défaut de preuve contraire, le coût d’acquisition du bien constitue en principe un bon indice de sa juste valeur marchande.

 

[59]         Dans l’arrêt Nash, la Cour d’appel fédérale a conclu que la juste valeur marchande des gravures acquises en grosses quantités et ensuite données à un organisme de bienfaisance correspondait au montant que l’acquéreur des gravures avait payé. À mon avis, le montant qu’il convient d’utiliser, dans ce cas­ci, en tant que juste valeur marchande des produits, est le montant payé par l’appelant. En effet, l’appelant acquérait les produits pour le compte et au profit de In Kind Canada. Avant l’acquisition des produits par l’appelant, des dispositions avaient été prises selon lesquelles In Kind Canada accepterait les produits et remettrait le reçu approprié. CEI (ou une société liée) livrait directement les produits à In Kind Canada. Étant donné que l’appelant a acquis ces produits de CEI (ou d’une société liée) dans le cadre d’une opération sans lien de dépendance, le montant que l’appelant a payé pour acquérir ces produits représente, à mon avis, la juste valeur marchande des produits acquis par In Kind Canada et, donc, le montant du don que l’appelant a fait à In Kind Canada. Comme il en a ci­dessus été fait mention, il semble évident que In Kind Canada, si elle devait acheter ces produits, aurait pu les acheter directement de CEI (ou d’une société liée) au même prix que celui que l’appelant a payé.

 

[60]         Dans sa preuve et dans son argumentation, l’appelant a mis l’accent sur la juste valeur marchande des produits qu’il avait donnés à In Kind Canada. Il y avait également une autre opération pour laquelle la juste valeur marchande des produits est pertinente. L’appelant a acheté un groupe de produits de CEI (ou d’une société liée) pour 3 800 $ et a ensuite transféré ces produits à son épouse. En ce qui concerne ce transfert, l’appelant a affirmé que la juste valeur marchande des produits était de 20 043 $. Il n’a aucunement expliqué l’augmentation de valeur (d’un montant cinq fois plus élevé) à l’égard de cette opération. Il semble que l’appelant se soit également fondé sur des comparaisons sur le marché de détail afin de déterminer la juste valeur marchande des produits qu’il a transférés à son épouse. Toutefois, il me semble que la juste valeur marchande des produits acquis par l’appelant et transférés à l’épouse correspond au montant que l’appelant a payé pour ces produits, étant donné qu’il semble évident que l’épouse de l’appelant aurait pu acquérir ces produits de CEI (ou d’une société liée) pour 3 800 $. Pourquoi l’épouse de l’appelant verserait­elle à celui­ci un montant de 20 043 $ pour des produits qu’elle pouvait acquérir de CEI (ou d’une société liée) pour 3 800 $? Rien ne permet, aux fins de comparaison, d’utiliser le marché de détail pour cette opération étant donné qu’il semble clair, selon moi, que CEI (ou une société liée) aurait été prête à vendre les produits à l’appelant ou à son épouse pour 3 800 $.

 

[61]         Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les brosses à dents et les stylos à encre gel produits en preuve aux fins de comparaison. Toutefois, j’aimerais faire une ou deux remarques au sujet des brosses à dents. Selon la position prise par l’appelant, le prix de vente au détail d’une brosse à dents comparable, en 2003, était de 4,54 $. Étant donné que les reçus se rapportant aux brosses à dents qui ont été achetées indiquaient des prix de détail allant de 1,49 $ à 4,99 $, cela voudrait dire que l’appelant soutient que les brosses à dents qui étaient incluses dans l’ensemble de produits seraient comparables aux brosses à dents de qualité supérieure sur le marché en 2003. John Groscki a également fait remarquer ce qui suit :

 

[traduction] 

 

[...] Cela étant, nous avons essayé de choisir des articles qui offraient un potentiel à long terme sur le marché au Canada et nous avons ensuite mis l’accent sur la qualité et sur l’emballage, à tous les points de vue. En d’autres termes, nous voulions être reconnus pour la qualité de nos produits et nous voulions créer autant de marchés possibles [...]

 

[...]

 

[...] Nous essayons d’acheter les meilleurs produits possible et, en fin de compte, je crois comprendre que nous avons finalement payé probablement 30, 40 ou 50 pour cent de plus que le prix le plus bas qui était offert en Chine.

 

[62]         À l’endos de l’emballage des brosses à dents, trois points sont mentionnés. Les deuxième et troisième points, tels qu’ils sont rédigés, sont les suivants :

 

[traduction] 

 

Brosse flexible absorbant toute pression excessive, réduisant ainsi le risque [sic] d’endommager les gencives.

 

Assure un contrôle [sic] complet du nettoyage.

 

[63]         Si les fautes d’orthographe indiquent la qualité du produit, CEI n’a pas atteint son objectif d’importer des produits de grande qualité.

 

[64]         On a également soumis en preuve deux achats au détail de brosses à dents faisant partie du programme de dons. Un achat a été effectué au magasin de l’Armée du Salut, à Hamilton (Ontario). Les articles achetés ont été produits en preuve, avec le reçu, selon lequel douze brosses à dents avaient été achetées le 31 août 2005, au prix de 3,49 $ (déduction faite des taxes). Aucune explication n’a été donnée au sujet des circonstances afférentes à cet achat. L’achat donne à penser qu’en 2005, le prix de détail unitaire des brosses à dents était de 0,29 $ (déduction faite des taxes).

 

[65]         L’autre achat au détail a été effectué par l’appelant à Québec, le 29 septembre 2006. L’appelant a déclaré que cette brosse à dents lui avait coûté entre 3 $ et 3,50 $. Il ne disposait d’aucun reçu pour cet achat. Le montant de l’achat était ici encore beaucoup moins élevé que le montant de 4,54 $ qui a été utilisé comme prix de vente au détail des brosses à dents.

 

[66]         Il me semble que certaines brosses à dents du moins ont été vendues sur le marché de détail, mais le prix de vente au détail variait énormément de 0,29 $ à 3 $ ou 3,50 $ par brosse à dents. Étant donné que les opérations de détail, quant aux brosses à dents, ont eu lieu en 2005 et en 2006, elles ne m’auraient toutefois pas aidé à déterminer le prix de détail des brosses à dents en 2003.

 

[67]         L’appel est accueilli, sans qu’aucuns dépens ne soient adjugés, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait :

 

a)        que la juste valeur marchande des 1 728 brosses à dents, des 5 184 stylos à encre gel et des deux trousses d’école donnés par l’appelant à In Kind Canada correspondait au montant que l’appelant avait payé pour ces articles, soit 2 850 $;

 

b)       que l’appelant n’a pas réalisé de gain en capital par suite du don de ces produits à In Kind Canada;

 

c)        que l’appelant a droit à un crédit en vertu de l’article 118.1 de la Loi pour le motif qu’il a fait un don de 2 850 $ en remettant ces produits à In Kind Canada, un organisme de bienfaisance enregistré;

 

d)       que la juste valeur marchande des produits acquis par l’appelant, que celui­ci a ensuite transférés à son épouse, Danielle Deveau­Lockie, correspondait au montant que l’appelant avait payé pour ces articles, soit 3 800 $;

 

e)        que l’appelant n’a pas réalisé de gain en capital par suite du transfert des produits à son épouse, Danielle Deveau­Lockie.

 

 

       Signé à Ottawa (Ontario), ce 18e jour de mars 2010.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 142

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008­2997(IT)I

 

INTITULÉ :                                       ROBERT D. G. LOCKIE

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   London (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 10, 11 et 12 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 18 mars 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Rebecca L. Grima

Avocats de l’intimée :

Mes André LeBlanc et Steven D. Leckie

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      Rebecca L. Grima

 

                          Cabinet :                  Giffen & Partners

                                                          London (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous­procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Paragraphe 73(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[2] L’appel interjeté devant la Cour d’appel fédérale a été rejeté (2005 CAF 158, [2005] 3 C.T.C. 78, 2005 DTC 5279) et une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée (355 N.R. 392 (nota)).

[3] Il semble également qu’au mois de décembre 2004, In Kind Canada, qui était à court d’argent et qui avait besoin d’espace dans son entrepôt, a vendu à une société américaine certaines brosses à dents au prix unitaire de trois cents et certains stylos à encre gel au prix unitaire de deux cents. Dans son argumentation, l’avocat de l’intimée a déclaré qu’eu égard aux circonstances entourant la vente des brosses à dents et des stylos à encre gel, en 2004, il ne se fondait pas sur cette vente pour établir la juste valeur marchande de ces articles en 2003.

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