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Dossier : 2008-2314(IT)G

 

ENTRE :

TD SECURITIES (USA) LLC,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu les 20, 21 et 22 janvier et le 2 février 2010, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Al Meghji

Me Patrick Marley

Me Pooja Samtani

 

Avocats de l'intimée :

Me Elizabeth Chasson

Me H. Annette Evans

Me Brandon Siegal

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2005 et 2006 de l'appelante est accueilli avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour d'avril 2010.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'octobre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 186

Date : 20100408

Dossier : 2008-2314(IT)G

 

ENTRE :

TD SECURITIES (USA) LLC,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]              Il s'agit en l'espèce de savoir si une société de personnes à responsabilité limitée (limited liability company) établie aux États‑Unis (une « SPRL ») peut se prévaloir de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États‑Unis (la « Convention ») à l'égard de son revenu de source canadienne. Étant donné que la Convention s'applique uniquement aux résidents de l'un des deux pays ou des deux pays et que l'appelante n'est pas un résident du Canada, la question se résume à savoir si l'appelante est un résident des États‑Unis (les « É.‑U. ») pour l'application de la Convention. Le cinquième protocole conclu entre le Canada et les États‑Unis a modifié la Convention en vue d'ajouter des règles précises qui s'appliquent aux SPRL et à d'autres entités transparentes sur le plan fiscal, et notamment aux sociétés de personnes (les « modifications du cinquième protocole »). Toutefois, les modifications du cinquième protocole ont été adoptées et sont entrées en vigueur après les périodes ici en cause.

 

I. Les faits

 

[2]              L'appelante, TD Securities (USA) LLC (« TD LLC »), est une société de personnes à responsabilité limitée régie par la loi intitulée Limited Liability Company Act (Loi sur les sociétés de personnes à responsabilité limitée) de l'État du Delaware.

 

[3]              Le seul membre de TD LLC est TD Holdings II Inc. (« Holdings II »), une société du Delaware qui n'est pas un résident du Canada pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi canadienne ») et qui est un résident des É.‑U. pour l'application de la Convention. Le prédécesseur de TD LLC, TD Securities USA Inc., était une société du Delaware. En 2004, TD Securities USA Inc. est devenue une SPRL et a changé de nom pour adopter celui de TD LLC. Il s'agissait d'une transaction non admissible de report d'impôt en vertu de la loi intitulée Internal Revenue Code (Code fiscal) des É.‑U. (le « Code américain »). La réorganisation a été effectuée en vue de permettre la consolidation des pertes et des gains des filiales de Holdings II aux fins de l'impôt sur le revenu des États des É.‑U.

 

[4]              Une SPRL est une société qui est reconnue à titre d'entité juridique distincte de ses membres en vertu des lois du Delaware et des États‑Unis. Les parties conviennent qu'une SPRL américaine est également reconnue à titre d'entité juridique distincte de ses membres en vertu des lois canadiennes. L'appelante ne conteste pas que TD LLC doit être traitée comme une société en vertu des lois canadiennes. Ni l'une ni l'autre partie n'a invité la Cour à examiner de nouveau la question de la nature de TD LLC.

 

[5]              Holdings II est une filiale directe à cent pour cent de Toronto Dominion Holdings (USA) Inc. (« TD USA »), une autre société du Delaware. TD USA est une filiale directe à cent pour cent de la Banque Toronto‑Dominion, une banque à charte canadienne.

 

[6]              TD LLC est un courtier en valeurs mobilières inscrit aux É.‑U. qui fournit des services financiers dans le secteur des marchés financiers, comme des opérations de change et des swaps de taux d'intérêt. Elle exploite son entreprise depuis le milieu ou la fin des années 1970. Elle est établie à New York, parce que c'est là qu'elle peut le plus facilement faire des affaires et que c'est là où la plupart de ses clients sont situés ou ont leur siège social. Son siège social est situé à New York. Elle compte plus de 500 employés.

 

[7]              TD LLC a une succursale au Canada afin de servir ses clients américains. Compte tenu de la réglementation du secteur des services financiers dans les deux pays, ses clients américains doivent ou préfèrent faire affaire au Canada avec une société des É.‑U.

 

[8]              TD LLC a déclaré dans ses déclarations de revenus canadiennes les profits de sa succursale canadienne pour les années 2005 et 2006. Les non‑résidents du Canada qui exploitent une entreprise au Canada sont assujettis à l'impôt sur le revenu canadien habituel en vertu de la partie I de la Loi canadienne pour ce qui est du revenu tiré de leurs activités commerciales canadiennes. La Convention prévoit qu'un résident des É.‑U. qui exploite une entreprise au Canada est uniquement assujetti à l'impôt sur le revenu canadien si l'entreprise est exploitée par l'intermédiaire d'un établissement stable (« ES ») au Canada. Il n'est pas contesté que la succursale canadienne de TD LLC est visée par la définition d'un ES.

 

[9]              La partie XIV de la Loi canadienne prévoit également qu'un non‑résident qui exploite une entreprise au Canada est redevable d'un impôt additionnel correspondant à 25 p. 100 de son revenu net canadien après impôt. C'est ce qu'on appelle communément l'« impôt de succursale ». Cet impôt correspond à la retenue d'impôt canadienne de 25 p. 100 sur les dividendes qui s'applique aux non‑résidents, laquelle est effectuée en vertu de la partie XIII de la Loi canadienne et qui aurait été payable si le non‑résident avait exploité son entreprise canadienne par l'intermédiaire d'une filiale canadienne plutôt que directement par l'intermédiaire d'une succursale, et si le non‑résident avait versé un dividende égal à son revenu net après impôt. De cette façon, les conséquences fiscales canadiennes sont généralement les mêmes pour les non‑résidents du Canada, et ce, que leur entreprise canadienne soit exploitée par l'intermédiaire d'une filiale canadienne ou d'une succursale canadienne.

 

[10]         La partie XIV de la Loi canadienne prévoit que, si une convention fiscale canadienne conclue avec le pays de résidence d'un non‑résident exploitant une entreprise au Canada par l'intermédiaire d'une succursale prévoit un taux de retenue d'impôt sur les dividendes inférieur à 25 p. 100, le taux de 25 p. 100 prévu à la partie XIV est réduit de la même façon[1], à moins que la convention même ne réduise le taux prévu à la partie XIV. La Convention prévoit expressément[2] que le taux de l'impôt canadien de la partie XIV applicable aux succursales canadiennes de résidents des É.‑U. est ramené au taux de 5 p. 100, soit le même taux que celui qui est applicable en vertu de la Convention aux dividendes qu'une filiale canadienne à cent pour cent verse à sa société mère américaine. TD LLC a demandé le taux réduit de l'impôt de succursale de 5 p. 100 en vertu de la Convention à l'égard du revenu de 2005 et de 2006 de sa succursale canadienne.

 

[11]         L'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a établi une cotisation à l'égard de TD LLC en vue de lui refuser l'avantage du taux d'imposition de succursale de 5 p. 100 prévu par la Convention et a établi l'impôt de succursale prévu à la partie XIV au taux de 25 p. 100 prévu par la loi.

 

[12]         Le Code américain impose les particuliers compte tenu de leur citoyenneté ou de leur résidence. Il n'utilise pas la notion de résidence en vue de percevoir un impôt sur le revenu sur les sociétés. Selon le Code américain, les sociétés sont divisées en sociétés internes et en sociétés étrangères. Les sociétés internes, celles qui sont établies, organisées ou constituées en personne morale aux É.‑U., sont généralement assujetties à l'impôt sur leur revenu mondial, alors que les sociétés étrangères, celles qui ne sont pas des sociétés internes, ne sont pas assujetties à l'impôt sur leur revenu mondial, mais sont imposées sur leur revenu de source américaine.

 

[13]         En vertu du Code américain, une SPRL peut effectuer un choix en vue d'être traitée (i) comme une société assujettie à l'impôt sur le revenu fédéral des É.‑U. comme toute autre société interne des É.‑U., ou (ii) comme une entité intermédiaire ou une entité dont on fait abstraction et dont le revenu sera imputé à son membre ou à ses membres. Si elle choisit d'être traitée comme une entité intermédiaire et qu'elle compte plus d'un membre, la SPRL sera considérée comme une société de personnes aux fins de l'impôt sur le revenu fédéral des É.‑U.[3]. Selon le Code américain, tout comme la Loi canadienne, le revenu d'une société de personnes doit être réparti parmi ses associés et être inclus dans le revenu des associés. Si une SPRL choisit d'être traitée comme une entité intermédiaire et qu'elle ne compte qu'un seul membre, ses activités seront traitées de la même façon qu'une entreprise individuelle, une succursale ou une division du membre. La SPRL qui ne présente pas de choix en vertu du règlement dit des « cases à cocher » sera réputée avoir choisi d'être une entité intermédiaire dont on fait abstraction.

 

[14]         Selon le Code américain, une société de personnes et une SPRL dont on fait abstraction sont toutes deux traitées comme une entité intermédiaire ou « pass‑through », c'est‑à‑dire comme une entité qui n'est pas imposée au niveau de l'entité, mais qui est imposée au niveau des propriétaires de l'entité[4].

 

[15]         TD LLC n'a pas présenté de choix en vertu du règlement des « cases à cocher ». Par conséquent, en vertu du Code américain, il s'agit d'une entité dont on fait abstraction et elle n'est pas elle‑même assujettie à l'impôt sur son revenu. L'ensemble de son revenu doit plutôt être inclus dans le revenu de son seul membre, Holdings II, comme si les activités de TD LLC étaient exercées directement par Holdings II. C'est ainsi qu'a été inclus le revenu des années 2005 et 2006 de la succursale canadienne de TD LLC dans le revenu de Holdings II en vertu du Code américain.

 

[16]         Le revenu de Holdings II est consolidé avec le revenu de sa société mère directe, TD USA, suivant les dispositions du Code américain applicables aux déclarations consolidées des sociétés mères américaines. De cette façon, TD USA paie l'impôt américain sur tout le revenu de Holdings II calculé en vertu du Code américain. Cela comprend tout le revenu de TD LLC, comme cela était le cas avant la réorganisation, lorsque TD LLC était une société et appartenait à cent pour cent à Holdings II. En vertu des dispositions de l'accord de remboursement de l'impôt du groupe consolidé, les impôts payables par TD USA en vertu du Code américain sur les gains de Holdings II et de TD LLC sont imputés à nouveau à Holdings II et à TD LLC, soit les entités qui ont gagné le revenu donnant lieu à l'impôt, et sont supportés par ces deux entités.

 

[17]         TD USA ne pouvait pas demander un plein crédit pour impôt étranger dans sa déclaration consolidée américaine en vertu du Code américain à l'égard de l'impôt de succursale de la partie XIV qui était exigible sur le revenu canadien de TD LLC. TD USA était assujettie aux limites applicables aux crédits pour impôt étranger en vertu du Code américain, se rapportant au taux d'imposition américain comparable sur le revenu de source étrangère. Par conséquent, les cotisations en question augmentaient l'impôt américain et canadien combiné sur le revenu de source canadienne de TD LLC.

 

[18]         Trois experts en matière de droit fiscal américain ont témoigné, l'un ayant été convoqué par l'appelante et les deux autres par l'intimée. Ils s'entendaient sur la façon dont le revenu des SPRL et des sociétés de personnes est assujetti à l'impôt en vertu du Code américain en général, et sur la façon dont le revenu de TD LLC aurait été imposé aux É.‑U. eu égard à la situation particulière de cette dernière, laquelle est ci‑dessus résumée.

 

[19]         L'expert de l'appelante n'était pas d'accord avec les experts de l'intimée quant à la question de savoir si, au moment pertinent, l'Internal Revenue Service (Service fiscal) des É.‑U. (l'« IRS ») aurait interprété les mots « résident d'un État contractant » aux termes de la Convention comme incluant une entité intermédiaire canadienne ou une autre entité dont on fait abstraction dans des circonstances comparables. Compte tenu de la preuve d'expert qui a été présentée, la Cour n'est pas en mesure de conclure si, au cours de ces années‑là, l'IRS aurait considéré une entité intermédiaire canadienne comme un résident du Canada pour l'application de la Convention, lequel résident aurait le droit de se prévaloir des avantages offerts par la Convention à l'égard de tout revenu de source américaine. Chacun des trois experts semblait dire que l'IRS et les É.‑U. ne se sont jamais prononcés sur la question. En traitant de cette question, les experts ont plutôt parlé de ce que l'IRS aurait fait, selon eux, s'il avait été obligé de se prononcer en se fondant sur les positions prises aux É.‑U., sur le plan juridique et administratif, dans des domaines connexes. Les renseignements que les experts ont fournis dans leurs rapports et dans leurs témoignages constituaient une preuve factuelle utile, sur laquelle nous reviendrons ci‑dessous d'une façon plus détaillée.

 

[20]         Les rapports d'expert que l'intimée a produits comprenaient des questions et des réponses libellées en des termes identiques à la question même que la présente cour doit trancher à l'égard du droit canadien, à savoir si TD LLC était un résident des É.‑U. pour l'application de la Convention. L'avocat de l'appelante a initialement soulevé une objection à l'égard des rapports pour cette raison. Les deux rapports soumis par l'intimée ont été admis en preuve à titre de preuve d'opinion d'expert parce que les renseignements contenus dans le raisonnement écrit qui y était fait en vue d'arriver à la réponse constituaient en soi une preuve factuelle utile et révélatrice du droit américain et de la pratique de l'IRS, et que ces renseignements étaient admissibles à titre de preuve d'opinion d'expert. Il n'a pas été tenu compte des opinions des experts de l'intimée dans la mesure où elles expriment un avis au sujet de ce que devrait être la réponse donnée par la Cour à la question dont elle est saisie.

 

[21]         Rien ne montre que TD LLC ou Holdings II ait demandé l'aide de l'autorité américaine compétente, comme le prévoit la Convention, en vue de régler le différend concernant la Convention, ni, si elles ont demandé de l'aide, quelles ont été les positions prises par les autorités américaines et canadiennes compétentes, ou quel a été le résultat.

 

II. Les positions des parties

 

[22]         Selon la position prise par l'intimée, le sens des termes « résident d'un État contractant » figurant dans la Convention est clair et sans équivoque et la preuve montre clairement que TD LLC n'était pas elle‑même assujettie à l'impôt aux É.‑U. L'intimée maintient que les termes choisis par les deux pays pour définir à qui la Convention s'applique ne peuvent pas être interprétés d'une manière qui permettra à TD LLC de se prévaloir des avantages prévus par la Convention sans faire abstraction de certains termes utilisés ou sans y incorporer implicitement d'autres termes. Comme l'intimée l'a fait valoir, il faut interpréter les traités d'une façon libérale et conformément à l'objet visé, mais en fin de compte, il faut donner effet aux termes choisis.

 

[23]         L'intimée maintient en outre que, même si TD LLC est considérée comme assujettie à l'impôt aux É.‑U. du fait que son revenu est imposé entre les mains de Holdings II, TD LLC n'est pas assujettie à cet impôt « en raison de son domicile, de sa résidence, de sa citoyenneté, de son siège de direction, de son lieu de constitution ou de tout autre critère de nature analogue », comme l'exige l'article IV de la Convention.

 

[24]         L'intimée maintient également que, si TD LLC a gain de cause, les SPRL pourront à l'avenir obtenir l'allègement prévu par la Convention sur la même base plutôt qu'en se fondant sur les modifications du cinquième protocole. L'intimée craint que cela ne soit un résultat inapproprié, étant donné que les modifications du cinquième protocole énoncent des conditions précises qu'il faut remplir afin d'obtenir un allègement et que cela n'aurait plus aucun sens si une SPRL américaine pouvait obtenir un allègement autrement qu'en vertu des paragraphes 6 et 7 de l'article IV, qui ont été ajoutés au moyen des modifications du cinquième protocole.

 

[25]         L'appelante invoque deux moyens distincts à l'appui de l'allègement demandé en vertu de la Convention à l'égard du revenu de source canadienne de TD LLC.

 

[26]         Selon le premier argument invoqué par l'appelante, les termes « assujettie à l'impôt » aux É.‑U. ne sont pas définis dans la Convention, de sorte que la présente cour devra les définir en fonction de la loi canadienne et que cela est différent de la simple détermination de la question de savoir si une personne est tenue de payer un impôt sur son revenu en vertu du Code américain. L'appelante soutient que, cela étant, la Cour peut conclure que TD LLC était assujettie à l'impôt aux É.‑U. et qu'elle était donc un résident des É.‑U. pour l'application de l'article IV.

 

[27]         L'argument subsidiaire invoqué par l'appelante est que, selon les commentaires relatifs aux dispositions pertinentes du Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l'Organisation de coopération et de développement économiques (le « modèle de convention de l'OCDE »), commentaires à l'égard desquels ni le Canada ni les É.‑U. n'ont fait de réserves ou n'ont présenté d'observations quant au fond, une interprétation et une application libérales de la Convention visant à assurer la réalisation de son objet doivent attribuer aux termes « résident d'un État contractant » un sens qui comprend une SPRL américaine telle que TD LLC. En plus des commentaires de l'OCDE, l'appelante s'appuie sur le rapport de 1999 de l'OCDE concernant l'application du modèle de convention fiscale de l'OCDE aux sociétés de personnes (le « rapport de l'OCDE sur les sociétés de personnes »).

 

III. Analyse, droit et jurisprudence

 

A. Les dispositions de la Convention

 

[28]         La Convention a été conclue par le Canada et les É.‑U. en 1980; elle est entrée en vigueur en 1984. Elle remplace une convention fiscale antérieure conclue entre les deux États.

 

[29]         L'article I de la Convention prévoit que celle‑ci « s'applique d'une façon générale aux personnes qui sont des résidents d'un État contractant ou des deux États contractants ».

 

[30]         L'article II prévoit que la Convention « s'applique aux impôts sur le revenu et sur la fortune perçus pour le compte de chacun des États contractants, quel que soit le système de perception ».

 

[31]         L'article III énonce les définitions applicables aux fins de la Convention « à moins que le contexte n'exige une interprétation différente ».

 

[32]         Le terme « personne » est défini à l'article III comme comprenant « les personnes physiques, les successions (estates), les fiducies (trusts), les sociétés et tous autres groupements de personnes ». Le terme « société » est défini comme désignant « toute personne morale ou toute entité qui est considérée comme une personne morale aux fins d'imposition ».

 

[33]         Il n'est pas contesté que TD LLC est une personne au sens de la définition. On ne sait pas trop si la Cour doit décider s'il s'agit d'une société, mais il semble qu'aux fins de l'application de la Convention au Canada, TD LLC soit une société, étant donné que le Canada traite une telle SPRL comme une personne morale pour l'application de la Loi canadienne.

 

[34]         L'explication technique américaine de la Convention que le département du Trésor des É.‑U. a publiée en 1984 confirme expressément qu'une société de personnes est une personne à cette fin. Le ministre canadien des Finances a indiqué, dans un communiqué de presse, que l'explication technique américaine est conforme à ce qui avait été convenu au cours des négociations en matière de l'interprétation et de l'application de la Convention[5]. Il ne sert pas à grand‑chose de confirmer qu'une société de personnes est une personne si ce n'est pour confirmer que le revenu d'une société de personnes est admissible aux avantages prévus par la Convention. Autrement, il ne vaudrait pas la peine d'en faire expressément mention dans l'explication technique.

 

[35]         L'article III prévoit ensuite ce qui suit : « Pour l'application de la Convention par un État contractant, toute expression qui n'y est pas définie a le sens que lui attribue le droit de cet État concernant les impôts auxquels s'applique la Convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente et sous réserve des dispositions de l'article XXVI (Procédure amiable) ». L'article 3 de la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu va dans le même sens. En d'autres termes, dans la présente instance, la Cour doit attribuer à tout terme utilisé dans la Convention qui n'y est pas défini le sens que ce terme a en droit canadien pour l'application de la Loi canadienne, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente.

 

[36]         L'article IV porte sur la résidence. Il prévoit que « le terme « résident » d'un État contractant désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l'impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence, de sa citoyenneté, de son siège de direction, de son lieu de constitution ou de tout autre critère de nature analogue [...] ».

 

[37]         La définition prévoit ensuite : « [...] mais, dans le cas d'une succession ou d'une fiducie, seulement dans la mesure où les revenus que tire cette succession ou cette fiducie sont assujettis à l'impôt de cet État, soit dans ses mains, soit dans les mains de ses bénéficiaires ». En vertu du Code américain, ainsi que de la Loi canadienne, le revenu d'une succession ou d'une fiducie peut dans certaines circonstances être imputé aux bénéficiaires aux fins de l'impôt. Par conséquent, la Convention laisse supposer qu'une succession ou une fiducie peut satisfaire à la définition, mais elle impose une restriction précise.

 

[38]         L'alinéa b) de la définition des termes « résident d'un État contractant » prévoit qu'ils comprennent les organisations à but non lucratif et les fonds de pension qui ont été constitués dans un État contractant et qui sont généralement exemptés de l'impôt sur le revenu dans cet État en raison de leur nature. Cette partie de la définition a été ajoutée à la Convention par le troisième protocole en 1995. L'explication technique du troisième protocole publiée en 1995 par le département du Trésor des É.‑U.[6] décrit l'ajout comme une précision correspondant à l'interprétation antérieurement adoptée par le Canada et par les É.‑U. Les organisations à but non lucratif et les fonds de pension américains doivent être des résidents des É.‑U. afin d'obtenir le taux général réduit prévu dans la Convention à l'égard de la retenue d'impôt canadienne sur les dividendes et sur les intérêts tirés de leurs placements canadiens. En outre, l'article XXI de la Convention accorde à certaines organisations à but non lucratif et à certains fonds de pension une exonération complète de la retenue d'impôt canadienne sur certains de leurs placements transfrontaliers. Les États contractants ont pu interpréter et appliquer la définition des termes « résident d'un État contractant » de façon à exiger, en raison du contexte, la reconnaissance des organisations à but non lucratif et des fonds de pension à titre de résidents de leur pays d'origine même s'ils ne paient généralement pas d'impôt sur le revenu dans leur pays d'origine parce qu'ils sont exemptés de l'impôt.

 

[39]         De même, le troisième protocole a ajouté, en 1995, une disposition selon laquelle le gouvernement d'un État ou l'une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales ou toute personne morale de droit public de l'un d'eux était un résident de cet État. L'explication technique de 1995 décrit cette modification comme étant une confirmation et dit [TRADUCTION] qu'« elle figure implicitement dans la Convention actuelle [antérieure au protocole de 1995] ainsi que dans d'autres conventions américaines et canadiennes, même si cela n'est pas précisé ». La résidence au sens de la Convention, dans le cas des entités gouvernementales, était nécessaire afin de permettre à celles‑ci de bénéficier de la retenue réduite de façon générale à l'égard des placements transfrontaliers et de permettre aux régimes de retraite du secteur public d'avoir droit à l'exonération prévue à l'article XXI de la même façon que les fonds de pension du secteur privé.

 

[40]         Il s'agit dans les deux cas d'exemples de modifications précises apportées à la définition des termes « résident d'un État contractant » qui ont été ajoutées à la Convention même si les deux pays convenaient que ces modifications n'étaient pas nécessaires, qu'elles étaient des confirmations ou des précisions, et même s'ils avaient interprété et appliqué la Convention, avant la modification, comme traitant de telles personnes comme des résidents, conformément à la définition, parce que le contexte l'exigeait ou parce que la chose était implicitement entendue.

 

[41]         L'article XXVI de la Convention traite de la procédure amiable entre les autorités canadienne et américaine compétentes. Il prévoit expressément que les autorités compétentes peuvent, en essayant de résoudre les difficultés ou de dissiper les doutes auxquels peuvent donner lieu l'interprétation ou l'application de la Convention, parvenir à un accord pour l'élimination de la double imposition à l'égard des revenus distribués par une succession ou une fiducie (alinéa 3e)) et pour l'élimination de la double imposition à l'égard d'une société de personnes (alinéa 3f)). Il prévoit également que les autorités compétentes peuvent se concerter en vue d'éliminer la double imposition dans les cas non prévus par la Convention. L'alinéa 3f), qui porte sur les sociétés de personnes, n'a pas été révisé et n'a pas été abrogé lorsque les modifications du cinquième protocole ont été ajoutées.

 

B. Les modifications du cinquième protocole

 

[42]         Le Canada et les É.‑U. se sont entendus sur les modifications du cinquième protocole en 2007. Les modifications du cinquième protocole traitent expressément de la façon dont la Convention s'appliquera par la suite aux entités transparentes sur le plan fiscal, comme les sociétés de personnes et les SPRL. La chose a été accomplie au moyen de l'ajout des nouveaux paragraphes 6 et 7 à l'article IV de la Convention :

 

6.         La personne qui est un résident d'un État contractant est réputée avoir tiré un revenu ou réalisé un profit ou un gain :

 

a) Si, en vertu de la législation fiscale de cet État, elle est considérée comme ayant obtenu le montant par l'intermédiaire d'une entité (autre qu'une entité qui est un résident de l'autre État contractant), et

 

b) Si, au motif que l'entité est considérée comme étant transparente sur le plan financier en vertu de la législation du premier État, la législation fiscale de cet État traite le montant comme si la personne l'avait obtenu directement.

 

7.         La personne qui est un résident d'un État contractant est réputée ne pas avoir tiré un revenu ou réalisé un profit ou un gain :

 

a) Si, en vertu de la législation fiscale de l'autre État contractant, elle est considérée comme ayant obtenu le montant par l'intermédiaire d'une entité qui n'est pas un résident du premier État, mais au motif que l'entité n'est pas considérée comme étant transparente sur le plan financier en vertu de la législation de cet État, la législation fiscale de cet État ne traite pas le montant de la même manière que si la personne l'avait obtenu directement, ou

 

b) Si, en vertu de la législation fiscale de l'autre État contractant, elle est considérée comme ayant reçu le montant d'une entité qui est un résident de cet autre État, mais au motif que l'entité est considérée comme étant transparente sur le plan financier en vertu de la législation du premier État, la législation fiscale de cet État ne traite pas le montant comme si l'entité n'était pas considérée comme étant transparente sur le plan financier en vertu de la législation de cet État.

 

[43]         Les modifications du cinquième protocole ne sont pas rétroactives et elles ne s'appliquent donc pas aux profits de la succursale canadienne de TD LLC réalisés en 2005 et en 2006. Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire qu'elles ne sont pas pertinentes en ce qui concerne l'analyse de la question en litige. Les deux pays ne s'entendaient pas pour dire que la Convention ne s'appliquait pas antérieurement aux SPRL et à d'autres entités transparentes sur le plan fiscal, comme les sociétés de personnes. Ils ont uniquement précisé qu'après l'entrée en vigueur des modifications du cinquième protocole, la Convention s'appliquera à de telles entités sur la base énoncée et convenue.

 

[44]         Le département du Trésor des É.‑U. a publié une explication technique à l'égard des modifications apportées à la Convention par le cinquième protocole. Le ministre canadien des Finances a indiqué publiquement que le Canada avait été invité à revoir et à commenter l'explication américaine et que « de l'avis du Canada, l'explication technique est conforme à ce qui avait été convenu au cours des négociations en matière de l'interprétation et de l'application des dispositions du protocole ».

 

[45]         Il est clair que les É.‑U. ne souscrivaient pas à la position prise par le Canada, selon laquelle, en l'absence des modifications du cinquième protocole, la Convention ne s'appliquait pas aux SPRL américaines. L'explication technique confirme la chose par son choix des termes utilisés dans son analyse du nouveau paragraphe 6 de l'article IV : [TRADUCTION] « [...] si ce n'était du nouveau paragraphe 6, le Canada n'appliquerait pas la Convention en imposant le revenu » [non souligné dans l'original]. Cet énoncé figure sous le titre [TRADUCTION] « Application du paragraphe 6 et des dispositions connexes de la Convention par le Canada » [non souligné dans l'original].

 

[46]         Un aspect peut-être surprenant et pertinent des modifications du cinquième protocole est qu'elles ne sont pas rédigées d'une manière qui, si elle était appliquée littéralement, résoudrait le problème auquel ont fait face TD LLC ou d'autres SPRL américaines au cours d'années ultérieures auxquelles s'appliquent les modifications du cinquième protocole, comme le reconnaît l'explication technique. En vertu de la Loi canadienne, TD LLC est l'entité juridique qui est le contribuable tenu de préparer et de produire une déclaration de revenus canadienne à l'égard des profits de sa succursale canadienne. Les modifications du cinquième protocole visent clairement à assurer que le revenu de la SPRL jouisse des avantages prévus par la Convention. Pourtant, les modifications du cinquième protocole ne prévoient pas que la SPRL sera traitée comme un résident. Dans cette mesure, TD LLC et d'autres SPRL américaines ne seront toujours pas en mesure de se prévaloir de l'allègement prévu par la Convention si l'on cherche à appliquer littéralement le texte de cette convention. Le paragraphe 6 prévoit que le revenu d'une SPRL ou d'une autre entité transparente sur le plan fiscal sera considéré comme le revenu de son membre, soit Holdings II dans le cas de TD LLC. Cela n'indique néanmoins pas la façon dont la SPRL serait en mesure de demander la réduction prévue par la Convention dans sa déclaration de revenus canadienne ou, strictement parlant, pourquoi elle serait en mesure de le faire. Le contribuable canadien sera encore la SPRL et non le membre. Les modifications du cinquième protocole prévoient un allègement au niveau du membre, Holdings II, et non au niveau de l'entité; pourtant, elles ne fournissent pas pour autant l'allègement prévu si elles sont appliquées strictement et littéralement.

 

[47]         La question est plutôt traitée d'une façon tout à fait différente par l'entente conclue entre les administrateurs fiscaux du Canada et des É.‑U. dans l'explication technique. L'explication technique reconnaît qu'une application littérale du nouveau paragraphe 6 ne règle pas le problème. L'explication technique est ainsi libellée :

 

[TRADUCTION]

 

Si le nouveau paragraphe 6 s'applique à l'égard d'un revenu, d'un profit ou d'un gain, ce montant est considéré comme ayant été reçu par au moins un actionnaire de la SPRL américaine qui est résident des É.‑U. et le Canada accordera les avantages prévus par la Convention au paiement effectué à la SPRL américaine, et éliminera ou réduira l'impôt canadien comme le prévoit la Convention. L'effet de la règle est de supprimer l'imposition canadienne de la SPRL américaine en vue de donner effet aux avantages dont peuvent se prévaloir, en vertu de la Convention, les résidents des É.‑U. à l'égard du revenu, du profit ou du gain.

 

Toutefois, aux fins de l'impôt canadien, la SPRL américaine demeure le seul contribuable « visible » à l'égard de ce montant. En d'autres termes, le traitement fiscal canadien de ce contribuable (la SPRL américaine) est modifié à cause du droit de ses actionnaires résidents des É.‑U. de se prévaloir des avantages prévus par la Convention, mais cela ne change rien au statut de la SPRL américaine en vertu du droit canadien. Ainsi, le Canada ne traite pas la SPRL américaine comme si elle n'existait pas, en y substituant les actionnaires à titre de contribuables en vertu du régime canadien.

 

Certaines des incidences sont les suivantes. Premièrement, le Canada n'obligera pas les actionnaires de la SPRL américaine à produire des déclarations de revenus canadiennes à l'égard d'un revenu auquel les dispositions du nouveau paragraphe 6 s'appliquent. C'est plutôt la SPRL américaine elle‑même qui produira une déclaration de revenus canadienne dans laquelle elle demandera à bénéficier des dispositions en question et qui fournira les documents nécessaires à l'appui de la demande. (L'Agence du revenu du Canada fournira des conseils pratiques additionnels sur ce point, notamment des instructions au sujet de la façon d'établir le droit aux avantages prévus par la Convention avant le paiement.) Deuxièmement, comme nous l'expliquerons d'une façon plus détaillée ci‑dessous, si le revenu en question représente le profit d'une entreprise, il faudra déterminer si le revenu a été gagné par l'intermédiaire d'un établissement stable au Canada. Cette décision sera fondée sur la présence et sur les activités au Canada de la SPRL américaine elle‑même, et non sur celles de ses actionnaires agissant à leur compte.

 

[Non souligné dans l'original]

 

[48]         Comme c'est le cas pour les modifications antérieures apportées à la Convention portant sur les organisations à but non lucratif et sur les entités gouvernementales, il s'agit d'un autre exemple où les administrateurs fiscaux canadiens et américains interprètent et appliquent les termes de la Convention en vue de traiter de la résidence d'une façon pratique et d'arriver à un résultat conforme à son objet et au contexte.

 

[49]         Ce qui est encore plus révélateur, en ce qui concerne l'explication technique des modifications du cinquième protocole, c'est que, à un moment où les deux pays étudient le libellé de nouvelles dispositions, qui sont rédigées en même temps que les dispositions administratives, ils se contentent de s'appuyer sur une approche sensée quant à l'application et à l'interprétation des termes plutôt que sur le sens strict ou sur l'effet des termes choisis pour la Convention.

 

C. L'interprétation des traités

 

[50]         La Convention de Vienne sur le droit des traités[7] prévoit qu'un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. La Convention de Vienne permet également de tenir compte de la pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité dans certaines circonstances et à certaines fins, ainsi que de faire appel à des moyens complémentaires d'interprétation lorsque l'interprétation du traité conduirait à un résultat manifestement absurde et déraisonnable.

 

[51]         Il est juste de dire qu'en l'espèce, il existe une tension entre le sens ordinaire des termes utilisés dans la Convention d'une part et l'objet et le but de la Convention d'autre part. Il s'agit ici d'un cas où il semble à première vue qu'une application stricte des termes utilisés pour définir le résident d'un État contractant mène à un résultat déraisonnable, de sorte qu'il convient de tenir compte de moyens complémentaires d'interprétation en procédant à l'analyse requise. Le caractère à première vue déraisonnable est démontré, entre autres choses, par le fait qu'une application stricte du texte irait à l'encontre de la façon dont les deux pays ont interprété et appliqué la Convention aux entités gouvernementales, aux organisations à but non lucratif, aux fonds de pension et, comme nous le verrons ci‑dessous, aux sociétés de personnes qui sont elles‑mêmes des entités intermédiaires transparentes sur le plan fiscal.

 

[52]         Dans l'arrêt R. c. Crown Forest Industries Limited, [1995] 2 R.C.S. 802, la Cour suprême du Canada a eu l'occasion d'examiner l'interprétation qu'il convient de donner aux termes « résident d'un État contractant » à l'article IV de la Convention et, en particulier, ce que voulait dire le fait d'être « assujetti à l'impôt » aux É.‑U. en raison des critères énumérés.

 

[53]         La Cour a tout d'abord affirmé ce qui suit : « L'interprétation d'un traité vise d'abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l'intention des parties. » Elle a ensuite cité en les approuvant les remarques que le juge Addy avait faites dans la décision Succession Gladden c. La Reine, no T‑1425‑84, 28 janvier 1985 (C.F. 1re inst.) :

 

Contrairement à une loi fiscale ordinaire un traité ou une convention en matière d'impôt doit être interprété de façon libérale, de manière à appliquer les véritables intentions des parties. Il faut éviter une interprétation littérale ou légaliste lorsque l'objet fondamental du traité pourrait être rejeté ou contrecarré dans la mesure où le point particulier à l'étude est visé.

 

[54]         La Convention de Vienne et la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Crown Forest, confirment que « l'interprétation littérale n'a aucun rôle à jouer en matière d'interprétation des traités » : Coblentz c. La Reine, [1997] 1 C.F. 368 (C.A.F.).

 

[55]         Dans l'arrêt Crown Forest, la Cour suprême du Canada a également conclu qu'en déterminant l'objet d'une disposition d'une convention, un tribunal peut recourir à des documents extrinsèques qui font partie du contexte juridique, notamment les conventions modèles et les commentaires officiels portant sur celles‑ci, sans qu'il soit nécessaire d'avoir préalablement décelé une ambiguïté.

 

[56]         Le préambule de la Convention énonce son objet, à savoir réduire ou éliminer la double imposition du revenu qu'un résident d'un pays tire de sources situées dans l'autre pays, et prévenir l'évitement ou l'évasion fiscal. Dans l'arrêt Crown Forest, la Cour suprême du Canada a conclu que la Convention visait également entre autres à promouvoir le commerce international entre les deux pays et à réduire les complexités administratives engendrées par l'obligation de se conformer à deux régimes fiscaux non coordonnés.

 

[57]         Dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, la Cour suprême du Canada a souligné que « [l]es dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu doivent être interprétées de manière à assurer l'uniformité, la prévisibilité et l'équité requises pour que les contribuables puissent organiser intelligemment leurs affaires ». La présente cour ne voit pas pourquoi les objectifs d'uniformité, de prévisibilité et d'équité devraient avoir moins d'importance dans le cas de l'interprétation et de l'application de conventions fiscales internationales faisant partie de la législation canadienne applicable en matière d'impôt sur le revenu.

 

[58]         Quant à la question de fond se rapportant au sens des termes « résident d'un État contractant » et « assujetti à l'impôt en raison de critères énumérés », la Cour suprême du Canada a clairement conclu, dans l'arrêt Crown Forest, que la définition visait à décrire les personnes soumises à l'assujettissement fiscal le plus complet qu'un État puisse imposer, soit, aux É.‑U. et au Canada, l'imposition des revenus mondiaux. Dans l'arrêt Crown Forest, la cour ne faisait pas face à des circonstances où le revenu mondial d'une personne était assujetti à l'impôt entre les mains d'une autre entité liée résidant dans le même ressort en vertu de règles fiscales internes précises des É.‑U. Néanmoins, cela confirme fortement que, selon l'objet et la portée prévus des articles I et IV de la Convention, la Convention devait s'appliquer aux personnes qui assument une obligation fiscale complète dans l'un ou l'autre des États contractants, compte tenu de la nature et de l'étendue de leurs liens avec ce pays.

 

[59]         Dans l'arrêt R. c. Prévost Car inc., 2009 CAF 57, la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit :

 

[10]      La reconnaissance mondiale des dispositions du Modèle de Convention et leur intégration dans la plupart des conventions bilatérales ont fait des Commentaires sur les dispositions du Modèle de Convention de l'OCDE un guide largement reconnu en matière d'application et d'interprétation des conventions fiscales bilatérales (voit l'arrêt Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, Klaus Vogel, Klaus Vogel on Double Taxation Conventions, 3e éd. (La Haye, Kluwer Law International, 1997) à la page 43. Dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 10(2) du Traité fiscal trouve son pendant au paragraphe 10(2) du Modèle de Convention.

 

[11]           Il en va de même en ce qui concerne les Commentaires ultérieurs, lorsqu'ils représentent une interprétation juste des termes du Modèle de Convention et ne contredisent pas les Commentaires qui existaient lors de l'entrée en vigueur d'un traité déterminé et, évidemment, lorsque ni l'un ni l'autre des signataires du traité ne s'est opposé aux nouveaux Commentaires. Ainsi, dans l'introduction des Commentaires sur le Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune (2003), l'OCDE invite ses membres à interpréter leurs traités bilatéraux en conformité avec les Commentaires « tels que modifiés de temps à autre » (au paragraphe 3) et « dans l'esprit des Commentaires révisés » (au paragraphe 33). L'introduction précise, au paragraphe 35, que les modifications apportées aux Commentaires ne doivent pas être prises en compte « lorsque les dispositions [...] diffèrent, quant au fond, des articles modifiés » et, au paragraphe 36, que « plusieurs modifications ont pour objet de simplement clarifier, et non de changer, la portée des articles ou des Commentaires ».

 

D. Le modèle de convention de l'OCDE

 

[60]         Les articles 1 et 4 du modèle de convention fiscale de l'OCDE correspondent aux articles I et IV de la Convention.

 

[61]         Les termes utilisés à l'article I de la Convention et le libellé de l'article 1 du modèle de convention de l'OCDE sont différents en ce sens que la Convention prévoit qu'elle « s'applique d'une façon générale » aux résidents d'un État contractant, alors que le modèle de convention de l'OCDE utilise le terme « s'applique ». L'emploi des termes « s'applique d'une façon générale » dans la Convention donne à penser que celle‑ci peut également s'appliquer à d'autres, dans des circonstances particulières. De fait, c'est ce que confirme l'explication technique initiale de la Convention.

 

[62]         Les commentaires de l'OCDE sur l'article 1 comportent plus de trois pages portant sur l'application du modèle de convention de l'OCDE aux sociétés de personnes. Les commentaires sur les sociétés de personnes sont intéressants lorsqu'il s'agit d'interpréter les termes « assujettie à l'impôt » dans un État contractant parce que ni le modèle de convention de l'OCDE ni, pendant les années en question, la Convention ne prévoyaient expressément la façon dont ces conventions s'appliquaient aux sociétés de personnes et aux associés. Les paragraphes 4, 5 et 6.3 des commentaires de l'OCDE sur l'article 1, qui sont libellés comme suit, sont particulièrement intéressants :

 

4.         Une première difficulté concerne la mesure dans laquelle les sociétés de personnes sont, en tant que telles, éligibles aux avantages résultant de la Convention. En vertu de l'article 1, seules les personnes qui sont résidentes des États contractants sont éligibles aux avantages de la Convention conclue par ces États. Bien que le paragraphe 2 des Commentaires sur l'article 3 explique pourquoi la société de personnes constitue une personne, elle n'a pas nécessairement la qualité de résident d'un État contractant au sens de l'article 4.

 

5.         Lorsqu'une société de personnes est traitée comme une société ou imposée de la même manière, cette société est un résident de l'État contractant qui impose la société de personnes selon les principes mentionnés au paragraphe 1 de l'article 4 et elle peut donc bénéficier de la Convention. Toutefois, lorsque la société de personnes est considérée comme transparente sur le plan fiscal, elle n'est pas « assujettie à l'impôt » dans cet État au sens du paragraphe 1 de l'article 4 et ne peut donc pas être un résident de cet État pour l'application de la Convention. Dans ce cas, l'application de la Convention serait refusée à la société de personnes elle‑même sauf si une règle spéciale couvrant les sociétés de personnes était incluse dans la Convention. Lorsque l'application de la Convention est ainsi refusée, les associés sont éligibles, à concurrence de leur part du revenu de cette dernière, aux avantages des dispositions des conventions conclues par les États dont ils sont résidents dans la mesure où leur part du revenu de la société de personnes leur est attribuée pour fins d'imposition dans leur État de résidence (voir le paragraphe 8.7 des Commentaires sur l'article 4).

 

[...]

 

6.3       Les résultats décrits dans le paragraphe précédent devraient avoir cours même si, en vertu du droit interne de l'État de la source, la société de personnes n'était pas considérée comme transparente sur le plan fiscal mais comme une entité autonome imposable à laquelle le revenu serait imputé, à condition qu'elle ne soit pas effectivement considérée comme un résident de l'État de la source. Cette conclusion est basée sur le principe en vertu duquel l'État de la source doit prendre en compte, en tant que faisant partie du contexte factuel dans lequel la Convention doit être appliquée, la manière dont un élément de revenu perçu sur son territoire est traité dans l'État dont la personne qui réclame les avantages des dispositions de la Convention est un résident. Les États qui ne pourraient pas accepter cette interprétation de l'article auraient la possibilité d'obtenir le même
résultat par une disposition spéciale qui permettrait d'éviter le risque de double imposition lorsque l'imputation du revenu est différente dans les deux États[8].

 

[Non souligné dans l'original]

 

[63]         Il est expressément dit que les commentaires de l'OCDE sur l'article 1, en ce qui concerne les sociétés de personnes, correspondent aux conclusions tirées dans le rapport de l'OCDE sur les sociétés de personnes.

 

[64]         Deux pays membres de l'OCDE ont expressément fait des réserves au sujet des paragraphes 5 et 6 des commentaires, pour le motif qu'il faudrait des termes exprès dans une convention. Un troisième pays a fait des réserves similaires au sujet de l'ensemble des commentaires portant sur l'article 1. Ni le Canada ni les É.‑U. n'ont fait de réserves ou n'ont présenté d'observations sur ce point[9].

 

[65]         Le groupe d'étude du Comité des Affaires fiscales qui a rédigé le rapport de l'OCDE sur les sociétés de personnes a été formé en vue d'examiner l'application du modèle de convention de l'OCDE aux sociétés de personnes, fiducies et autres entités non constituées en société. Le rapport de l'OCDE sur les sociétés de personnes met l'accent sur les sociétés de personnes, mais il débute en reconnaissant qu'un grand nombre des principes qui y sont examinés peuvent également s'appliquer à d'autres entités non constituées en société. On n'a pas informé la Cour de quelque changement que ce soit de la part de l'OCDE en ce qui concerne d'autres entités non constituées en société. La Cour est d'accord pour dire qu'un grand nombre de ces principes et de ces considérations s'appliquent également lorsqu'il s'agit de déterminer si le revenu d'une SPRL peut bénéficier des avantages prévus par une convention.

 

[66]         Au paragraphe 26 du rapport de l'OCDE sur les sociétés de personnes, il est dit qu'il est possible de résoudre un grand nombre des difficultés attribuables au fait que certains pays considèrent les sociétés de personnes comme des entités imposables, alors que d'autres considèrent le revenu des sociétés de personnes comme étant imputé à leurs associés, au moyen d'une meilleure coordination de l'application et de l'interprétation des conventions fiscales.

 

[67]         Le paragraphe 27 dit ce qui suit :

 

27.       Lorsqu'un revenu est perçu dans un État donné, les conséquences fiscales qui en découlent dans cet État sont déterminées en premier lieu par la législation fiscale interne de ce dernier. Ce sont les dispositions de cette législation qui détermineront la personne soumise à imposition sur ce revenu dans cet État. Les dispositions des conventions fiscales peuvent, toutefois, intervenir pour limiter ou supprimer le droit d'imposer résultant de la législation interne lorsqu'une personne qui est généralement mais pas nécessairement le contribuable désigné par la législation interne a le droit de bénéficier de ces dispositions au titre du revenu en cause.

 

[Non souligné dans l'original]

 

[68]         Le paragraphe 34 est ainsi libellé :

 

34.       [...] Si l'État dans lequel la société de personnes a été constituée lui applique le régime de la transparence fiscale, la société n'est pas « assujettie à l'impôt » au sens de l'article 4 et ne peut donc pas être considérée comme un résident au sens de la Convention. Malgré les inconvénients qui peuvent parfois en résulter (voir par exemple le paragraphe 89 ci‑après), une interprétation contraire ne semble guère possible selon la rédaction actuelle de l'article 4[10].

 

[69]         Et le paragraphe 47 dit ce qui suit :

 

47.       Lorsque la société de personnes elle-même n'a pas la qualité de résident en vertu des principes exposés dans la section précédente, le Comité admet que les associés devraient avoir droit aux avantages prévus par les conventions conclues par les États dont ils sont résidents dans la mesure où ils sont assujettis à l'impôt dans ces États sur leur part du revenu de la société. Les exemples présentés ci‑après à titre d'illustration indiquent les résultats considérés comme appropriés par le Comité dans certaines situations que l'on rencontre couramment. Il est important de noter que les solutions élaborées dans le présent rapport n'excluent pas la possibilité que des pays Membres puissent, dans le cadre de leurs relations
bilatérales, développer des solutions différentes aux problèmes de double imposition susceptibles de se poser en liaison avec les sociétés de personnes.

 

[Non souligné dans l'original]

 

[70]         Le rapport de l'OCDE sur les sociétés de personnes donne ensuite des exemples détaillés et énonce les résultats appropriés pour un certain nombre de situations que l'on rencontre couramment. Le quatrième exemple porte sur une situation dans laquelle le pays d'où provient le revenu considère une société de personnes comme une entité imposable, alors que l'autre pays considère une telle société de personnes comme une entité transparente sur le plan fiscal. Lorsque le Canada est le pays source, ce n'est pas ce qui se produit dans le cas des sociétés de personnes, mais c'est ce qui se produit dans le cas des SPRL américaines, et l'exemple est, dans ce sens, révélateur. Les paragraphes 60 à 62 du rapport disent ce qui suit :

 

60.       En vertu de la législation interne de l'État S [État de la source], le contribuable est la société de personnes P. L'État S pourrait donc soutenir que la société de personnes P n'étant pas éligible au bénéfice de la convention, il peut imposer le revenu perçu par P, quelles que soient les dispositions de la convention S‑P. Ceci impliquerait toutefois que le revenu sur lequel A et B sont imposables dans l'État P aurait été soumis à l'impôt dans l'État S en dépit de l'existence de la convention, résultat qui semble directement contradictoire avec l'objet et la finalité de cette dernière.

 

61.       Le Comité a comparé cette approche selon laquelle l'État S applique les dispositions de la convention en se référant au traitement de la société de personnes selon sa législation interne avec une autre approche dans laquelle l'État S considérerait l'éligibilité au bénéfice de la convention de A et B, tous deux résidents de l'État P, conformément aux principes énoncés ci‑dessus. Selon cette dernière approche, l'État S déciderait que les dispositions de la convention doivent être appliquées et l'empêchent d'imposer les redevances : en effet, en vertu de ces principes, le revenu doit être considéré comme payé à A et B, deux résidents de l'État P, qui doivent également être considérés comme les bénéficiaires effectifs de ce revenu du fait qu'il s'agit des personnes qui sont assujetties à l'impôt au titre de ce revenu dans l'État P. Le Comité a conclu que cette approche était correcte dans la mesure où elle était la mieux à même de garantir que les dispositions de la convention bénéficient aux personnes qui sont assujetties à l'impôt sur le revenu en cause.

 

62.       Le Comité a estimé que cette approche n'était pas incompatible avec les dispositions du paragraphe 2 de l'Article 3 selon lesquelles les termes qui ne sont pas définis par la convention ont, sauf si le contexte exige une interprétation différente, le sens que leur attribue le droit interne de l'État contractant qui applique la convention. Dans l'exemple ci‑dessus, le régime fiscal de la société de personnes dans l'État P fait partie des éléments de fait sur la base desquels les termes de la convention seront appliqués. Ainsi, en se référant à ce régime fiscal, l'État S n'adopte pas une interprétation particulière des termes de la convention proposée par l'État P : il se borne à prendre en compte des faits nécessaires à l'application de ces termes. Le Comité a conclu qu'en toute hypothèse, si une interprétation fondée sur le droit interne conduisait à des situations dans lesquelles le revenu imposé entre les mains des résidents d'un État ne bénéficierait pas des dispositions de la convention, ce qui serait contraire à l'objet et à la finalité de cette dernière, le contexte de la convention exigerait une autre interprétation.

 

[Non souligné dans l'original]

 

[71]         L'article 4 du modèle de convention fiscale de l'OCDE n'est pas très différent de l'article IV de la Convention en ce qui concerne le sens des termes « résident d'un État contractant ».

 

[72]         Les commentaires de l'OCDE sur l'article 4 montrent clairement, aux paragraphes 8 et 8.5, que la notion de personnes assujetties à l'impôt en raison des critères énumérés vise à s'appliquer aux personnes qui ont un assujettissement complet à l'impôt, c'est‑à‑dire un assujettissement intégral à l'égard de la totalité du revenu, où qu'il soit gagné. Cela est conforme aux remarques que la Cour suprême du Canada a faites dans l'arrêt Crown Forest.

 

[73]         Le paragraphe 8.7 des commentaires de l'OCDE sur l'article 4 prévoit ce qui suit :

 

8.7       Lorsqu'un État ne tient pas compte de l'existence d'une société de personnes pour fins fiscales et lui applique le régime de la transparence fiscale, imposant plutôt les associés sur leur part du revenu de la société de personnes, cette dernière n'est pas assujettie à l'impôt et ne peut donc pas être considérée comme un résident de cet État. Dans un tel cas où le revenu de la société de personnes « transite » vers les associés en vertu de la législation interne de cet État, les associés sont les personnes qui sont assujetties à l'impôt sur ce revenu et qui peuvent donc demander à bénéficier des conventions conclues par les États dont elles sont résidentes. Cette dernière situation prévaudra même si, en vertu de la législation interne de l'État de la source, le revenu est attribué à une société de personnes qui est traitée comme une entité indépendante imposable. Les États qui ne seraient pas en mesure de se rallier à cette interprétation de l'article pourraient obtenir le même résultat au moyen d'une disposition spéciale qui éviterait la double imposition résultant d'une imputation différente du revenu de la société de personnes par les deux États.

 

[Non souligné dans l'original]

 

[74]         Certains pays ont fait des réserves au sujet du paragraphe 8.7, mais ni le Canada ni les É.‑U. n'ont fait de réserves ni présenté d'observations pertinentes.

 

[75]         Il semble ressortir clairement des documents de l'OCDE que l'OCDE veut être en mesure de maintenir qu'une société de personnes qui est considérée comme une entité intermédiaire dans son pays d'établissement ne sera pas considérée comme assujettie à l'impôt dans ce pays aux fins du modèle de convention de l'OCDE. Toutefois, l'OCDE dit également clairement que le modèle de convention vise à être interprété et appliqué d'une façon qui confère néanmoins les avantages prévus par la convention au revenu d'une telle société de personnes, et ce, même si cette dernière n'est pas strictement parlant un résident de son pays d'origine, et que c'est ainsi qu'il faut interpréter et appliquer le modèle de convention. Dans le cas de sociétés de personnes, cela doit être fait au niveau de l'associé, bien que la société de personnes ne soit pas assujettie à l'impôt dans son pays d'origine et que ses associés ne soient pas considérés comme ayant gagné le revenu dans l'État source.

 

[76]         Ces deux conclusions — à savoir qu'une société de personnes n'est pas assujettie à l'impôt dans son pays d'origine si elle est considérée comme étant transparente sur le plan fiscal, et que les avantages prévus par la convention fiscale devraient néanmoins s'appliquer au revenu qu'elle tire de l'État source qui ne la considère pas comme transparente sur le plan fiscal  sont tirées dans le cas d'entités transparentes sur le plan fiscal qui sont des sociétés de personnes, mais la présente cour ne voit pas pourquoi les conclusions devraient être différentes dans le cas d'une SPRL américaine transparente sur le plan fiscal.

 

[77]         À coup sûr, ces conclusions et le raisonnement qui est fait dans le modèle de convention et dans les commentaires de l'OCDE indiquent l'intention des pays membres de l'OCDE, notamment le Canada et les É.‑U., à l'égard des conventions fondées sur le modèle de convention de l'OCDE, comme la Convention ici en cause. En outre, étant donné que le Canada et les É.‑U. n'ont pas fait de réserves ni présenté d'observations à ce sujet, la Cour reconnaît qu'ils correspondent aux intentions du Canada et des É.‑U. à l'égard de la Convention elle‑même et de la façon dont l'objet et le but de cette Convention doivent être atteints.

 

E. L'interprétation et l'administration canadiennes

 

[78]         Dans l'arrêt Crown Forest, la Cour suprême du Canada a cité en les approuvant les remarques que la Cour suprême des États‑Unis avait faites dans la décision Sumitomo Shoji America, Inc. v. Avagliano et al., 457 U.S. 176 (1982), à savoir que [TRADUCTION] « [b]ien que non concluant, le sens que prêtent aux dispositions des traités les organismes gouvernementaux chargés de leur négociation et de leur application a le droit de se voir accorder une grande valeur ».

 

[79]         Dans le document intitulé « Impôt sur le revenu : Nouvelles techniques no 35 », daté du 26 février 2007, l'ARC souligne la position de longue date qu'elle prend au sujet de l'assujettissement à l'impôt aux fins d'une convention. Dans ce document, l'ARC dit ce qui suit :

 

La position de l'ARC demeure que, afin d'être considérée comme « assujettie à l'impôt » pour les fins de l'article sur la résidence d'une convention fiscale, une personne doit généralement être assujettie à la forme d'imposition la plus complète qui existe dans l'État en question. Ceci n'implique toutefois pas qu'une personne doive effectivement payer un impôt à une juridiction particulière. Il est possible que, dans certaines situations, les revenus mondiaux d'une personne soient soumis à un assujettissement fiscal complet dans un État Contractant mais, qu'en vertu du droit domestique de cet État, aucun impôt ne soit prélevé sur le revenu imposable de cette personne ou, encore, que le revenu soit imposé à un très faible taux. Dans ces cas, l'ARC acceptera généralement que la personne puisse être un résident de l'autre État Contractant, à moins que l'arrangement ne soit abusif [...]

 

[80]         Il n'est pas contesté que, selon une pratique de longue date, l'ARC caractérise le revenu gagné par une société de personnes étrangère composée d'associés étrangers d'une façon conforme au rapport de l'OCDE sur les sociétés de personnes, c'est‑à‑dire que même si la société de personnes est une entité transparente sur le plan fiscal, ses associés auront droit aux avantages prévus par la convention. En ce qui concerne la Convention, l'ARC a reconnu que cela est fondé sur ce qui est, selon elle, l'intention du Canada et des É.‑U.[11].

 

[81]         L'ARC a également confirmé qu'elle considérera ce qu'on appelle une « S Corporation » (société visée par le sous‑chapitre S) comme un résident des É.‑U. aux fins de la Convention[12]. Une société américaine qui effectue un choix en vertu du sous‑chapitre S du Code américain est considérée comme une entité intermédiaire dont le revenu est imposé en vertu du Code américain entre les mains de ses actionnaires. La chose a encore une fois été confirmée par l'ARC dans une interprétation technique de 2008[13] sans qu'il soit fait mention des nouveaux paragraphes 6 et 7 de l'article IV qui ont été ajoutés par les modifications du cinquième protocole.

 

[82]         Toutefois, dans le cas des SPRL, l'ARC semble avoir dérogé à l'approche uniforme susmentionnée. Dans une interprétation technique de 1993[14], l'ARC parle d'abord de la nécessité de déterminer si les SPRL d'un État particulier des É.‑U. doivent être considérées comme des sociétés ou comme des sociétés de personnes compte tenu de leurs caractéristiques particulières[15]. L'ARC dit ensuite que, si une SPRL est considérée comme une société de personnes aux fins du Code américain, de sorte que ce sont les associés qui sont assujettis à l'impôt sur le revenu de la société plutôt que la société, la SPRL ne sera pas considérée comme un résident des É.‑U. aux fins de la Convention. L'ARC ne traite pas expressément de la question de savoir si les membres de la SPRL bénéficieront des avantages prévus par la Convention de la même façon que les associés d'une société de personnes et n'explique pas pourquoi il en serait ainsi. Dans une interprétation ultérieure datée du 20 mai 1997[16], l'ARC déclare craindre que, si une SPRL américaine bénéficie des avantages prévus par la Convention, un résident canadien puisse exploiter son entreprise canadienne au Canada par l'intermédiaire d'une SPRL américaine et éviter tant l'impôt canadien que l'impôt américain sur le revenu de son entreprise canadienne[17].

 

[83]         Dans le document intitulé « Impôt sur le revenu : Nouvelles techniques no 16 », daté du 8 mars 1999, l'ARC a confirmé sa position, à savoir que les S Corporations seront considérées comme des sociétés résidant aux É.‑U. aux fins de la Convention, alors que les SPRL ne le seront pas. L'ARC a noté l'incompatibilité; elle regrettait la position qu'elle avait prise à l'égard des S Corporations, mais elle ne l'a pas modifiée. Elle n'a pas reconnu ou examiné son traitement des SPRL ni tenté de le concilier avec la façon dont elle traitait les sociétés de personnes et elle n'a pas parlé expressément des membres d'une SPRL.

 

[84]         Il ressort de ce qui précède que, sauf pour l'approche qu'elles ont adoptée à l'égard des SPRL, les autorités fiscales canadiennes ont toujours interprété et appliqué d'une façon uniforme les dispositions de la Convention concernant la détermination de la résidence aux fins de la Convention. Elles ont accordé les avantages prévus par la Convention aux organisations américaines à but non lucratif et aux fonds de pension américains, et ce, bien que ces entités ne paient généralement pas d'impôt en vertu du Code américain. De la même façon, elles ont accordé les avantages prévus par la Convention aux entités gouvernementales, même si ces dernières n'étaient pas assujetties à l'impôt en vertu du Code américain. Elles ont accordé les avantages prévus par la Convention aux S Corporations, bien que leur revenu soit imputé à leurs actionnaires en vertu du Code américain. Elles ont accordé les avantages prévus par la Convention au revenu des sociétés de personnes étrangères, même si leur revenu est imputé aux associés, les avantages prévus par la Convention devant être déterminés et obtenus au niveau des associés.

 

[85]         La seule anomalie se rapporte à la position que l'ARC a prise à l'égard des SPRL américaines, position qui, même après la longue instruction qui a eu lieu en l'espèce, demeure en bonne partie inexpliquée et tout à fait inconciliable avec l'approche que le gouvernement canadien a adoptée à l'égard des sociétés de personnes étrangères.

 

[86]         Le traitement des sociétés de personnes et des SPRL devrait être analogue aux fins de l'interprétation et de l'application de la Convention. Une société de personnes non canadienne est réputée être une personne, à l'égard des paiements qui lui sont faits, aux fins de la retenue d'impôt des non‑résidents de la partie XIII : voir l'alinéa 212(13.1)b) de la Loi canadienne. Une SPRL américaine telle que TD LLC est considérée comme une société et, par conséquent, comme une personne distincte pour l'application de la Loi canadienne. Dans les deux cas, la société de personnes et la SPRL sont les contribuables pour l'application de la Loi canadienne. Les associés ou les membres ne sont ni dans un cas ni dans l'autre les contribuables. Au cours des années en question, la Convention ne renfermait aucune règle expresse à l'égard des sociétés de personnes ou des SPRL ou encore d'autres entités transparentes sur le plan fiscal. L'ARC applique l'approche du conduit aux sociétés de personnes en vertu des conventions fiscales canadiennes, et ce, même si c'est la société de personnes plutôt que les associés qui est le contribuable aux fins de la retenue d'impôt des non‑résidents de la partie XIII de la Loi canadienne[18].

 

[87]         Compte tenu de l'impressionnante cohérence de l'approche adoptée par le gouvernement canadien à l'égard des entités transparentes sur le plan fiscal et d'autres entités qui ne sont pas assujetties à l'impôt en vertu de la législation interne d'un signataire d'une convention, la Cour conclut qu'on ne voulait pas qu'une entité dont le revenu était imposé au complet et d'une façon exhaustive dans l'autre État contractant se voie refuser l'avantage de la convention simplement parce que l'autre pays impose son revenu au niveau des actionnaires, des membres ou des associés.

 

[88]         En outre, la position prise par l'ARC à l'égard des sociétés de personnes et des S Corporations semble indiquer implicitement que l'imposition d'un propriétaire (associé ou actionnaire) est fondée sur un critère analogue aux critères énumérés aux fins de l'article IV de la Convention. De même, l'article 6.2 de la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu prévoit également clairement que la résidence des associés est pertinente lorsqu'il s'agit de savoir si une société de personnes est un résident d'un autre État pour l'application d'une convention fiscale. C'est également ce que semblent implicitement indiquer les positions administratives susmentionnées prises par l'ARC, ainsi que les commentaires de l'OCDE et son rapport sur les sociétés de personnes.

 

F. L'interprétation et l'administration américaines

 

[89]         L'interprétation et l'administration des dispositions d'une convention par l'autre signataire peuvent également être révélatrices et constituer une preuve des intentions, ainsi que de l'objet et du but de la convention. Tous les documents américains soumis à la Cour confirment que l'approche adoptée par les autorités américaines à l'égard de l'interprétation et de l'application des conventions fiscales aux entités transparentes sur le plan fiscal est compatible avec l'approche de conduit de l'OCDE.

 

[90]         L'avocat principal du département du Trésor des É.‑U. a publié un document d'aide technique daté du 15 mars 2000 portant sur l'attestation de sociétés de personnes à responsabilité limitée. Le document traitait de la question de savoir si l'IRS devait répondre lorsqu'on lui demandait d'attester aux autorités fiscales d'un État contractant qu'une SPRL à propriétaire unique est un résident des É.‑U. qui a droit aux avantages prévus par une convention fiscale à laquelle les É.‑U. sont parties et, dans l'affirmative, quelle devait être la réponse de l'IRS. La conclusion de l'avocat principal est la suivante :

 

[TRADUCTION]

 

Étant donné qu'une SPRL à propriétaire unique qu'on ne considère pas comme une entité distincte de son propriétaire n'est pas une « personne » et n'est pas « assujettie à l'impôt », [l'IRS] ne peut pas attester que la SPRL est un résident des États-Unis. Toutefois, [l'IRS] peut attester que le propriétaire unique de la SPRL est un résident des États‑Unis, ce qui devrait être suffisant pour établir que le revenu gagné par la SPRL dans l'État contractant est gagné par un résident des États‑Unis et que les avantages prévus par la convention s'appliquent à ce revenu.

 

[91]         L'autorité américaine compétente a également conclu, en vertu de la procédure amiable dont elle a convenu avec plusieurs autres États contractants, que le revenu des SPRL se verra accorder les avantages prévus par la convention au niveau du membre selon l'approche du conduit[19]. Le fisc du Royaume‑Uni avait également confirmé cette approche à l'égard des SPRL américaines dans le document sur l'allégement de la double imposition, avant que la chose soit « formalisée » au moyen de modifications apportées à la convention entre les États‑Unis et le Royaume‑Uni[20].

 

[92]         L'avocat‑conseil associé pour le droit fiscal international du département du Trésor des É.‑U. a pris la parole lors de la conférence annuelle de l'Association canadienne d'études fiscales de 1994 en tant que membre d'un groupe traitant de questions transfrontalières Canada‑É.‑U. Selon le résumé qui a été publié, en parlant des modifications apportées par le troisième protocole à l'article IV de la Convention en ce qui concerne les entités gouvernementales, les organisations à but non lucratif et les fonds de pension, les É.‑U. n'ont accordé aucune importance au fait que le protocole n'abordait pas expressément la question du traitement des sociétés de personnes et ont confirmé que l'existence d'une société de personnes ne ferait pas obstacle à la possibilité de se prévaloir des avantages prévus par la Convention. [TRADUCTION] « Les autorités américaines appliquent généralement une approche de conduit à l'analyse des sociétés de personnes dans le contexte d'une convention : les avantages prévus par la convention sont accordés dans la mesure où les associés eux‑mêmes sont admissibles à ces avantages. » Il est noté que le sous‑ministre adjoint responsable de la Direction de la politique de l'impôt du ministère des Finances du Canada — soit le groupe même qui est chargé de la négociation des conventions fiscales conclues par le Canada, notamment la Convention et les protocoles y afférents — faisait partie du même groupe et n'a pas exprimé un avis différent. De fait, les rapporteurs notent, dans une note de bas de page, que l'ARC a exprimé le même avis dans les interprétations techniques remontant à l'année 1983.

 

[93]         Les Treasury Regulations pris en vertu de l'article 894 du Code américain prévoient que les É.‑U. accorderont les avantages prévus par une convention au revenu hors exploitation tiré par un résident d'un autre État contractant par l'intermédiaire d'une entité transparente sur le plan fiscal uniquement si le revenu est imposé par l'autre pays de la même façon, quant au moment où il est imposé, et quant à la nature et à la source du revenu, que si ce résident avait directement gagné ce revenu[21]. La décision 8722 du département du Trésor qui annonçait le règlement temporaire montre clairement qu'il est bien établi qu'aux fins de l'interprétation et de l'application des conventions fiscales signées par les É.‑U., on fait abstraction des entités transparentes sur le plan fiscal et on adopte une approche de conduit, de sorte que les propriétaires de l'entité sont considérés comme étant les personnes qui gagnent ce revenu. La décision 8889 du département du Trésor de l'an 2000 qui annonçait le règlement définitif confirme que les É.‑U. estiment que les principes sous‑tendant l'article 894 des Treasury Regulations sont tout à fait compatibles avec les conventions auxquelles les É.‑U. sont parties. Les commentaires figurant dans ces deux derniers documents ne sont pas limités au revenu hors exploitation.

 

[94]         Le United States Model Income Tax Convention de 2006 (le « modèle américain de convention ») prévoit expressément, à l'article 1, que le revenu gagné par l'intermédiaire d'une entité qui est transparente sur le plan fiscal en vertu des lois de l'un ou l'autre des États contractants est considéré comme étant gagné par un résident d'un État contractant, dans la mesure où l'élément en cause est considéré, pour l'application de la législation fiscale de cet État contractant, comme étant le revenu d'un résident. L'explication technique du modèle américain de convention confirme expressément que cela s'appliquerait dans le cas d'une SPRL. Le modèle américain de convention est simplement ce qu'il prétend être, soit un modèle de convention, mais l'explication technique qui l'accompagne dit que la règle vise à [TRADUCTION] « éliminer » certains [TRADUCTION] « problèmes techniques » qui [TRADUCTION] « auraient pu » empêcher les personnes qui investissent des fonds par l'intermédiaire d'une entité transparente sur le plan fiscal de se prévaloir des avantages prévus par la convention. Le modèle américain de convention précédent, de 1996, allait dans le même sens.

 

[95]         Il ressort clairement de ce qui précède que les É.‑U. ont toujours voulu que le droit aux avantages prévus par une convention, en ce qui concerne le revenu gagné par une entité transparente sur le plan fiscal telle qu'une société de personnes ou une SPRL, soit déterminé au niveau du membre, à l'aide de l'approche de conduit, et que les É.‑U. ont toujours interprété l'article IV de la Convention comme permettant ou exigeant le recours à cette approche.

 

IV. Conclusion

 

[96]         Le Code américain impose d'une façon exhaustive les revenus mondiaux de TD LLC, et ce, d'une façon aussi complète que si ce revenu avait été gagné par une autre entité, y compris une société interne des É.‑U. Le seul problème qui se pose est attribuable au fait que ce n'est pas TD LLC qui est imposée sur le revenu. Le Code américain prévoit que le revenu de TD LLC est imposé au complet et d'une façon exhaustive entre les mains de son membre, Holdings II. Ce revenu est consolidé dans la déclaration de revenus de TD USA et l'impôt y afférent est imputé à nouveau à TD LLC par TD USA.

 

[97]         Cela étant, il semble clair que les avantages prévus dans la Convention doivent s'appliquer au revenu de TD LLC. La preuve est écrasante : l'objet et le but de la Convention, en tenant compte du contexte de l'ensemble de la preuve et des ouvrages et arrêts faisant autorité, ne seraient pas atteints, mais seraient plutôt contrecarrés, si les dispositions de la Convention, et notamment du paragraphe X(6), ne s'appliquaient pas au revenu de source canadienne de TD LLC, qui est imposé au complet aux É.‑U. en vertu du Code américain. L'appel doit donc être accueilli et les cotisations doivent être déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que les profits de la succursale canadienne de TD LLC sont assujettis à l'impôt de succursale selon la partie XIV au taux réduit que prévoit le paragraphe X(6) de la Convention.

 

[98]         Le Canada décide de la personne qui sera imposée en vertu de la Loi canadienne, à savoir une SPRL américaine ou ses membres, une société de personnes ou ses associés. Toutefois, en décidant de la façon d'appliquer la Convention avec l'autre État contractant, le Canada doit tenir compte, en tant que partie intégrante du contexte, du fait que les É.‑U. peuvent également décider du niveau auquel leur impôt interne sera établi en vertu du Code américain à l'égard de ce revenu, à savoir au niveau de la société de personnes ou de l'associé, ou bien au niveau de la SPRL ou de son membre. C'est clairement ce que voulaient accomplir les signataires de la Convention pour donner effet à son objet et à son but. Il est peu sensé de croire que le droit aux avantages prévus par la Convention serait touché par suite de l'exercice par une SPRL américaine du droit que lui reconnaît le Code américain de choisir de faire imposer son revenu entre ses mains ou de transférer ce revenu et de le faire imposer entre les mains de ses membres résidents des É.‑U.

 

[99]         La méthode d'interprétation qu'il convient d'utiliser pour déterminer si la Convention s'applique au revenu gagné par les sociétés de personnes américaines qui sont transparentes sur le plan fiscal et par les SPRL américaines, et notamment par TD LLC, avant les modifications du cinquième protocole, consiste à suivre l'approche adoptée en matière d'interprétation par les pays membres de l'OCDE, le modèle de convention fiscale de l'OCDE et les commentaires et le rapport y afférents, c'est‑à‑dire à lire la première phrase de l'article IV dans le contexte de la Convention dans son ensemble, dans le contexte de l'objet et du but de la Convention, et dans le contexte de la façon dont l'autre État contractant décide d'imposer au complet et d'une façon exhaustive en vertu de sa législation fiscale interne, soit le Code américain, le revenu de TD LLC et d'autres entités transparentes sur le plan fiscal. Cela est compatible avec l'approche adoptée par le Canada et les É.‑U. à l'égard de l'interprétation de la Convention dans son application aux entités gouvernementales et aux organisations à but non lucratif avant l'ajout de modifications expresses confirmant l'application de la Convention à de telles entités. Cela est également compatible avec l'approche que les deux pays ont adoptée en vue de déterminer les droits dont peuvent se prévaloir, en vertu de la Convention, des entités non constituées en personne morale, telles que les sociétés de personnes et les S Corporations, avant l'ajout des modifications du cinquième protocole. Ce résultat est également conforme à l'article 219.2, qui n'exige pas qu'un taux de retenue d'impôt réduit prévu par une convention s'applique au contribuable particulier. Le résultat ne compromet pas l'approche canadienne à l'égard des sociétés de personnes en vertu des conventions fiscales canadiennes, sauf pour ce qui est des conventions conclues avec les É.‑U. et la France, dans lesquelles il existe maintenant des dispositions expresses à cet égard. Une telle approche est également tout à fait compatible avec l'approche que le Canada et les É.‑U. ont adoptée à l'égard de l'application de la Convention au cours des années subséquentes en vertu des modifications du cinquième protocole, dont les dispositions ne prévoient pas textuellement que les sociétés de personnes, les SPRL et d'autres entités transparentes sur le plan fiscal sont réputées être des résidents aux fins de l'article IV; les États contractants ont plutôt décidé de se fonder sur l'explication technique pour obliger les administrateurs fiscaux de chaque pays à faire en sorte que les avantages prévus par la Convention soient néanmoins reconnus à l'égard du revenu gagné dans l'autre pays ou du revenu tiré de l'autre pays par une société de personnes, par une SPRL ou par une autre entité transparente sur le plan fiscal.

 

[100]     Une telle approche nous oblige tout simplement à conclure que les dispositions pertinentes de la Convention doivent être interprétées de façon que la réduction du taux d'imposition des profits d'une succursale prévue au paragraphe X(6) s'applique aux profits de la succursale canadienne de TD LLC. Cela est suffisant pour trancher le présent appel et il est tentant de mettre ainsi fin à l'espèce. Toutefois, certaines autres conclusions peuvent et doivent en être tirées, comme l'exigent la logique et la raison, ainsi que le droit.

 

[101]     Les commentaires de l'OCDE sur ce point sont clairs pour ce qui est du fond, mais ils semblent être précaires pour ce qui est de la sémantique. Il est mentionné plus d'une fois que logiquement, l'entité transparente sur le plan fiscal n'est pas assujettie à l'impôt. Cependant, il est ensuite chaque fois conclu qu'en pratique, s'ils sont interprétés et appliqués correctement en tenant compte de l'objet et du but visés par la convention, les avantages prévus par la convention doivent s'appliquer au revenu de l'entité en tenant compte du droit du membre. On poursuit ensuite en disant que l'allègement peut néanmoins être accordé au niveau de l'entité. Il existe peut‑être bien une bonne raison pour que, dans ses commentaires, l'OCDE ne veuille pas se prononcer d'une façon ou d'une autre sur la question de savoir si la convention s'applique ainsi parce que l'entité est un résident aux fins de la convention ou parce que le revenu est celui du membre aux fins de la convention. Étant donné les régimes juridiques et fiscaux fort différents des pays membres de l'OCDE, la présente cour ne peut pas supposer ce que sont les motifs à l'origine de cette ambiguïté diplomatique et aucun représentant du Canada n'a témoigné à l'instruction. Toutefois, la présente cour conclut qu'il est plus facile de déterminer la façon dont il peut être présumé que le Canada et les É.‑U. assurent une telle application de la Convention, étant donné qu'ils ont par la suite abordé la question dans les modifications du cinquième protocole et dans l'explication technique y afférente. Le Canada et les É.‑U. essaient de l'emporter sur tous les plans — dans le texte de la Convention, ils ne considèrent pas l'entité comme un résident parce qu'elle n'est pas assujettie à l'impôt, tout en reconnaissant leur intention d'appliquer le texte comme si la SPRL était un résident — mais puisque l'affaire a été portée devant un tribunal, le Canada ne peut peut‑être plus laisser cette ambiguïté non réglée. Étant donné que la présente cour doit décider si TD LLC est un résident des États‑Unis et si elle est assujettie à l'impôt dans ce pays selon l'un des critères énumérés ou des critères analogues, elle conclut qu'il en est ainsi. La Cour conclut qu'il était clair que les pays membres de l'OCDE, et notamment le Canada et les É.‑U., voulaient implicitement que TD LLC bénéficie des avantages prévus par la Convention eu égard aux présentes circonstances et compte tenu du contexte des régimes fiscaux canadien et américain et du texte de la Convention et que, cela étant :

 

(i)      TD LLC doit être considérée comme un résident des É.‑U. aux fins de la Convention, à défaut de quoi la Convention ne pourrait pas s'appliquer;

 

(ii)      TD LLC doit être considérée comme étant assujettie à l'impôt aux É.‑U. du fait que la totalité de son revenu est imposée au complet et d'une façon exhaustive en vertu du Code américain, quoiqu'elle le soit au niveau du membre;

 

(iii)     le revenu de TD LLC doit être considéré comme étant assujetti à une imposition complète et exhaustive en vertu du Code américain en raison d'un critère analogue, quant à sa nature, aux critères énumérés à l'article IV, à savoir le lieu de la constitution en société de son membre, soit la raison même pour laquelle le revenu de TD LLC est assujetti à une imposition complète aux É.‑U.

 

V. Les craintes de l'intimée quant à un abus possible

 

[102]     L'intimée a fait valoir que, si l'appel est accueilli, il pourrait y avoir abus et ambiguïté quant à l'application de la Convention aux SPRL américaines sur une base prospective, une fois adoptées les modifications du cinquième protocole. L'intimée affirme craindre que, si l'appel est accueilli, les SPRL et les sociétés de personnes américaines qui sont transparentes sur le plan fiscal soient en mesure de décider à l'avenir de faire appliquer la Convention conformément aux motifs ici énoncés ou, subsidiairement, en se fondant sur le nouveau paragraphe 6 de l'article IV. Il en résulterait un abus possible et la mise en échec du but des modifications du cinquième protocole, étant donné que l'application des motifs ici énoncés n'incorporerait pas les exigences du paragraphe 7 de l'article IV ajouté par les modifications du cinquième protocole.

 

[103]     Les craintes exprimées par l'intimée ne sont pas convaincantes. La Convention révisée, y compris les modifications du cinquième protocole y afférent, feront partie du texte et du contexte à prendre en considération en appliquant la Convention dans une affaire future. Il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce que la Convention modifiée et révisée soit nécessairement interprétée et appliquée d'une façon semblable à la façon dont elle a été interprétée en tenant compte de ses dispositions avant l'ajout des modifications précises portant sur les sociétés de personnes, les SPRL et d'autres entités transparentes sur le plan fiscal.

 

[104]     La Cour n'est pas sans constater une certaine ironie, en ce sens qu'en l'espèce, la loi a modifié sa décision de façon prospective, avant même qu'elle soit rendue. En outre, on ne peut pas dire que la présente décision étaye la simple thèse voulant que toute SPRL américaine soit un résident des É.‑U. aux fins de la Convention. Eu égard aux faits de la présente affaire, tels qu'ils ont été présentés à la Cour, ainsi que le droit, la doctrine et les arrêts que les parties ont invoqués et débattus, TD LLC et Holdings II répondraient aux exigences des nouveaux paragraphes 6 et 7 de l'article IV si les modifications du cinquième protocole s'appliquaient aux années ici en cause. Cela étant, la décision qui est rendue en l'espèce ne donne pas aux SPRL américaines une voie d'accès fondamentalement différente à la Convention, et risque encore moins d'entraîner une avalanche de réclamations.

 

[105]     Dans la présente affaire, l'intimée n'a même pas prétendu qu'il y avait évitement possible des impôts canadiens ou abus du régime fiscal canadien par suite de la décision du groupe Banque TD d'avoir recours à une SPRL américaine pour exploiter une succursale canadienne. Il existait des raisons commerciales clairement compréhensibles et non contestées, notamment des raisons de planification fiscale non abusive aux fins de l'impôt des États des États‑Unis, pour exploiter l'entreprise américaine de courtier en valeurs mobilières à titre de SPRL américaine et pour que cette entreprise établisse une succursale canadienne. Si, dans une autre affaire, antérieure ou postérieure aux modifications du cinquième protocole, l'intimée prend la position selon laquelle le recours à une SPRL américaine dans ce cas‑là contribue à un évitement fiscal inapproprié ou abusif, cela fera partie du contexte que le tribunal devra prendre en considération en interprétant et en appliquant la Convention dans ce cas‑là. L'intimée n'a même pas prétendu qu'on avait eu recours à TD LLC d'une façon abusive en vue de bénéficier des avantages prévus par la Convention, ni en vue de commettre quelque autre abus fiscal. Si l'évitement fiscal possiblement abusif ou l'abus possible de la Convention avait fait partie du contexte que la Cour avait à prendre en considération en l'espèce, le résultat aurait pu être différent. Cependant, il est préférable de laisser à d'autres le soin de se prononcer sur la question si elle se pose dans l'avenir.

 

[106]     En outre, non seulement la présente cour n'avait‑elle pas à examiner les dispositions restrictives expresses figurant dans les nouveaux paragraphes 6 et 7 de l'article IV de la Convention, mais aussi on ne lui a pas demandé d'examiner l'application possible de quelque autre disposition ou principe restreignant les avantages qui s'appliquerait à la Convention, ni d'examiner l'application possible de la disposition générale anti‑évitement figurant à l'article 245 aux faits de la présente affaire. S'il avait été soutenu qu'une telle disposition ou un tel principe pouvait s'appliquer, ce que l'intimée n'a pas fait, et ce, à juste titre, le contexte de la présente affaire aurait été encore plus différent.

 

[107]     La décision qui est rendue en l'espèce étaye simplement la thèse selon laquelle, si elles sont interprétées et appliquées de la façon appropriée, dans leur contexte et de façon à atteindre l'objet et le but visés, les réductions du taux d'imposition prévues par la Convention s'appliquent au revenu de source canadienne d'une SPRL américaine pour les années antérieures aux modifications du cinquième protocole si les É.‑U. imposent l'ensemble de ce revenu au complet et d'une façon exhaustive entre les mains des membres de la SPRL résidant aux É.‑U. de la même façon que si le revenu avait été directement gagné par ces membres.

 

VI. Dispositif

 

[108]     L'appel est accueilli et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux présents motifs.

 

[109]     L'appelante a droit aux dépens, notamment les frais raisonnables qu'elle a versés pour son rapport d'expert et le témoignage de cet expert.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 8e jour d'avril 2010.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'octobre 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 186

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-2314(IT)G

 

INTITULÉ :                                       TD SECURITIES (USA) LLC c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DE L'AUDIENCE :               Les 20, 21 et 22 janvier et le 2 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 8 avril 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Al Meghji

Me Patrick Marley

Me Pooja Samtani

 

Avocats de l'intimée :

Me Elizabeth Chasson

Me H. Annette Evans

Me Brandon Siegal

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                    Noms :        Al Meghji

                                      Patrick Marley

                                      Pooja Samtani

 

                   Cabinet :      Osler, Hoskin et Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

                                      Toronto (Ontario)

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1] Voir l'article 219.2 de la Loi canadienne. Il est intéressant de noter que l'article 219.2 n'exige pas qu'une convention s'applique à un contribuable donné. Par conséquent, si l'article X de la Convention portant sur le taux de retenue d'impôt applicable aux dividendes n'avait pas inclus le paragraphe 6, qui porte expressément sur le taux d'imposition des profits de succursales canadiennes, la partie XIV de la Loi canadienne aurait uniquement prévu la perception d'un impôt de 5 p. 100 de TD LLC en vertu des dispositions expresses de cette loi.

 

[2] Voir le paragraphe 6 de l'article X de la Convention, qui porte sur les dividendes.

 

[3] Une telle entité dont on fait abstraction n'est pas complètement exclue pour l'application du Code américain. À certaines fins procédurales en matière d'impôt sur le revenu et à certaines fins non liées à l'impôt sur le revenu (comme les cotisations sociales et les taxes d'accise), le Code américain ne fait pas abstraction de l'entité.

 

[4] Le règlement dit de la « case à cocher » du Code américain permet à la plupart des entités autres que les sociétés en tant que telles, et notamment aux sociétés de personnes américaines, de choisir d'être traitées à titre de sociétés ou d'être traitées en tant qu'entités intermédiaires dites « pass‑through ».

 

[5] Voir les communiqués de presse du ministère des Finances no 81‑16 du 4 février 1981 et no 84‑128 du 16 août 1984.

 

[6] Le ministre canadien des Finances a encore une fois indiqué, dans le communiqué de presse no 1995‑048 du 13 juin 1995, que le Canada avait eu la possibilité d'examiner et de commenter l'explication technique de 1995 et que le Canada convenait de la conformité de l'explication technique aux ententes conclues au cours des négociations concernant l'interprétation et l'application du protocole.

 

[7] Voir les articles 31 et 32.

 

[8] Il semble que la mention, au paragraphe 6.3, du « paragraphe précédent » doive contextuellement se rapporter au paragraphe 5 ou qu'elle doive renvoyer aux « paragraphes ».

 

[9] La France était l'un des pays qui avaient fait des réserves; le Canada avait antérieurement modifié la convention fiscale qu'il avait conclue avec la France en vue de reconnaître expressément les sociétés de personnes et d'autres entités transparentes sur le plan fiscal.

 

[10] Voir également les paragraphes 40 et 43 du rapport pour d'autres déclarations selon lesquelles les sociétés de personnes transparentes sur le plan fiscal ne sont pas « assujetties à l'impôt ».

 

[11] Voir, par exemple, « Withholding Tax‑Partnership », document no 2000‑0028475 de l'ARC, 21 août 2001, « 212(13.1)(b) and ITAR 10(6) », document no 2004‑0074241E5 de l'ARC, 19 juillet 2005, « Refinancing of Cansub », document no 2001‑0085693 de l'ARC, 12 septembre 2001 (dans ce cas, la société de personnes américaine a choisi d'être considérée comme une société), et « LLC — Status for Canada‑US Income Tax Treaty », document no 9713120 de l'ARC, 20 mai 1997.

 

[12] Voir, par exemple, « Residence of a US "S" Corporation », document no 9511425 de l'ARC, 31 octobre 1995.

 

[13] « Qualified Subchapter S Subsidiary », interprétation no 2005‑0144621E5, 28 janvier 2008.

 

[14] « Status of US Limited Liability Company », document no 9234262 de l'ARC, 22 juin 1993.

 

[15] Cela ressemble à la question dont était récemment saisi le First‑tier Tribunal (Tax) (tribunal du premier palier (Impôt)) du Royaume‑Uni dans la décision Swift v. Her Majesty's Revenue & Customs, [2010] UKFTT 88 (TC).

 

[16] Précité, note de bas de page 11.

 

[17] Il est à supposer que cela ne serait le cas que si elle n'avait pas d'ES canadien.

 

[18] Ce qui est étrange, c'est que pendant son argumentation, l'intimée a reconnu à plusieurs reprises que l'ARC semblait se tromper sur le plan du droit en accordant ainsi les avantages prévus par la Convention aux sociétés de personnes, même s'il était sensé de le faire sur le plan administratif.

 

[19] Mexique, Espagne et Nouvelle-Zélande.

 

[20] DT1985 3A United States Limited Liability Companies. Cela confirmait la position antérieurement énoncée par le R.‑U. dans le Inland Revenue Tax Bulletin, no 29, juin 1997.

 

[21] Des détails additionnels sont donnés dans les Revenue Rulings américaines 2000 59 et 2000 2 CB593.

 

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