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Dossier : 2010-103(EI)

ENTRE :

GAREE Prue,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

6673538 CANADA INC. S/N STRAUSS HERB COMPANY,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 28 septembre 2010 à Vancouver (Colombie‑Britannique) sur preuve commune avec l’appel de Garee Prue 2010‑104(CPP)

 

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocat de l’intimé :

Matthew Canzer

 

Représentante de l’intervenante :

Karen Lofgren

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

          Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 10e jour de janvier 2011.

 

« D.W. Rowe »

Le juge suppléant D.W. Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2011-02-03

 

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a., traductrice


Dossier : 2010-104(CPP)

ENTRE :

GAREE Prue,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

6673538 CANADA INC. S/N STRAUSS HERB COMPANY,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 28 septembre 2010 à Vancouver (Colombie‑Britannique) sur preuve commune avec l’appel de Garee Prue 2010‑104(CPP)

 

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocat de l’intimé :

Matthew Canzer

 

Représentante de l’intervenante :

Karen Lofgren

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

          Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 10e jour de janvier 2011.

 

« D.W. Rowe »

Le juge suppléant Rowe

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2011-02-03

 

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a., traductrice


 

 

 

Référence : 2011 CCI 9

Date : 20110110

Dossiers : 2010-103(EI)

2010-104(CPP)

ENTRE :

GAREE Prue,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

6673538 CANADA INC. S/N STRAUSS HERB COMPANY,

intervenante.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]              L’appelante, Garee Prue, a interjeté appel de deux décisions du ministre du Revenu national (le « ministre ») rendues le 4 janvier 2010 en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») et du Régime de pensions du Canada (le « Régime »). Le ministre a conclu que le travail de l’appelante pour l’Intervenante (« Strauss ») pendant la période allant du 4 juillet 2008 au 23 juin 2009 n’était ni un emploi assurable ni un emploi ouvrant droit à pension parce que les conditions d’existence d’un contrat de louage de services n’étaient pas remplies et qu’il n’existait pas de relation employeur-employé.

 

[2]              L’appelante, la représentante de Strauss et l’avocat de l’intimé ont convenu que les deux appels pouvaient être instruits ensemble.

 

[3]              Garee Prue (« Mme Prue ») a témoigné qu’elle avait été engagée – par Karen Lofgren (« Mme Lofgren ») – comme démonstratrice de produits et qu’elle avait de l’expérience en cette matière. Elle possédait un certificat en salubrité alimentaire, et elle avait suivi une séance de formation qui ne portait pas directement sur les produits mais plutôt sur la façon d’installer les appareils servant à préparer les thés et les cafés, de mettre en place les tables de démonstration et de disposer la documentation. Elle a discuté avec une représentante de Strauss – Nina Wang (« Mme Wang ») – de la façon de s’entretenir avec les clients potentiels. Elle a reçu un livret d’information au sujet des produits Strauss – la pièce A‑1 – qui pouvait être remis aux clients. Chaque produit était accompagné d’une brochure ou d’un autre type de document d’information. Deux gros relieurs à feuilles mobiles renfermant des renseignements au sujet des produits Straus, notamment 4 sortes de café et 10 sortes de thé, lui ont aussi été fournis. Elle a déclaré qu’elle exerçait ses fonctions dans une trentaine d’épiceries et pharmacies de la région métropolitaine de Vancouver et de la région adjacente, désignée sous le nom de Lower Mainland. Elle n’avait pas le même horaire de travail chaque semaine. Elle avait commencé par travailler deux jours par semaine mais, pendant le mois de janvier 2009, elle avait travaillé 22 jours. Elle a préparé une feuille de travail – la pièce A‑2 – indiquant ses heures de travail et la rémunération qu’elle avait reçue de Strauss entre le 11 juillet 2008 et le 6 juillet 2009. À l’aide de son ordinateur personnel, elle a créé un modèle de facture et, pour chaque période de paye, elle a soumis ses factures par courriel au siège de Strauss à Kamloops (Colombie‑Britannique), en fonction du taux initial de 12 $ l’heure, majoré à 15 $ après le premier mois. À compter du mois de janvier 2009, Strauss a payé Mme Prue par dépôt direct. Le taux horaire s’appliquait au temps de déplacement pour se rendre aux lieux de démonstration et en revenir. Mme Prue a dressé la liste des démonstrations qu’elle a données pendant la période pertinente, précisant – à la mine, à droite – le nombre total de démonstrations par mois. Elle a reconnu que Strauss ne lui avait pas garanti un nombre déterminé d’heures de travail hebdomadaires, mais qu’elle avait déduit de ses conversations avec des gestionnaires de Strauss qu’elle pourrait travailler deux ou trois jours par semaine au début et que la charge de travail augmenterait à compter du 1er janvier 2009. Elle a reconnu qu’elle pouvait modifier ses heures de travail et communiquer directement avec l’épicerie ou la pharmacie pour fixer le moment convenant à la démonstration. Certains établissements avaient leur propre table de démonstration, mais elle apportait toujours l’appareil Bunn pour préparer les cafés et thés spéciaux. Le feuillet constituant la pièce A-4 donne des renseignements détaillés sur cet appareil de catégorie commerciale. Mme Prue a déclaré que ses tâches consistaient à expliquer avec rapidité et efficacité le fonctionnement de l’appareil afin que les clients potentiels puissent goûter au produit. Elle exerçait ses fonctions sans supervision et c’est elle qui sélectionnait les produits servant à la démonstration, en fonction de ce qui se trouvait en magasin et des préférences exprimées par le directeur de l’établissement. Elle décidait de la durée des démonstrations et, même si Strauss prévoyait 4 heures pour chacune d’elles, elle partait parfois plus tôt si le nombre de clients dans l’établissement ne justifiait pas qu’elle y reste. Lors de chaque démonstration, elle s’employait à distribuer un nombre minimal d’échantillons (40). Elle a déclaré qu’elle aurait quelquefois pu demeurer sur les lieux pendant les quatre heures et toucher 20 $ l’heure pendant toute la période prévue, mais trouvait que ce n’aurait pas été honnête de le faire s’il n’y avait pas de clients à qui donner des échantillons. La plupart des démonstrations, toutefois, duraient entre 3,5 et 5 heures. Elle devait noter les heures de travail qu’elle accomplissait afin de préparer les factures à soumettre à Strauss pour chaque période de paye. Elle pouvait refuser de travailler sans que cela porte à conséquence, mais elle ne l’a pas fait pendant la période pertinente. Comme Strauss l’exigeait, Mme Prue utilisait sa propre voiture – une Honda Civic 2000 économique – ou s’arrangeait pour utiliser un véhicule de remplacement au besoin. Strauss fournissait le matériel et les instruments nécessaires aux démonstrations, notamment une table, des carafes à percolateur, des tapis de plancher, des brochures d’information, des tasses, des filtres et des gants. Mme Prue a préparé une liste – la pièce A-5 – du matériel et des produits qu’elle a remis à Strauss à la fin de la relation de travail. Si Mme Prue avait besoin de quelque chose pour une démonstration, elle l’achetait et l’inscrivait sur la facture de la période de paye en cause. À la rémunération au taux horaire afférente au temps de déplacement s’ajoutait une indemnité de 20 $ pour les démonstrations locales ou de 50 $ pour les démonstrations plus distantes, à Chilliwack par exemple. Strauss prenait à sa charge les primes d’assurance accidents du travail (« AAT ») et d’assurance responsabilité relatives au travail qu’elle accomplissait. Mme Prue a déclaré qu’elle était libre d’accepter du travail ailleurs et qu’elle avait fourni ses services à une autre société – 3 jours par semaine – de juillet à octobre 2008, mais que des problèmes cardiaques l’avaient forcée à prendre congé. Lorsqu’elle a repris le travail pour Strauss, elle a fait de 19 à 22 démonstrations par mois, et n’a pas eu besoin de se trouver d’autres clients. Elle a déclaré avoir annoncé ses services en communiquant avec diverses entreprises et en leur demandant si elles avaient besoin d’autres personnes. Comme l’a postulé le ministre au paragraphe 7(dd) de la réponse à l’avis d’appel (la « réponse »), Mme Prue a reconnu avoir déduit – dans sa déclaration fiscale de 2008 – des dépenses afférentes à l’utilisation de son automobile et du bureau aménagé chez elle, liées notamment à la réparation, l’entretien, l’assurance et l’immatriculation de l’automobile et à l’essence, aux fournitures nécessaires pour son bureau, à l’assurance habitation, au téléphone cellulaire, aux services d’utilité publique, à l’amortissement de l’ordinateur, aux abonnements à des revues et aux frais engagés pour suivre des cours afin de parfaire ses connaissances au sujet des aliments et des herbes. Elle a déclaré que, suivant les conseils de son comptable, elle a demandé à Strauss, en mars 2009, que soit établi un contrat en bonne et due forme constatant leur relation de travail. Un projet – la pièce A-6 – a été soumis à l’intéressée en juin, et le directeur du marketing de Strauss lui en a transmis un autre – la pièce A‑7, intitulé Sub‑Contractor Agreement [contrat de sous-traitance] – par courriel le 15 juin 2009. Mme Prue a déclaré avoir répondu à ce courriel en indiquant qu’elle avait besoin de temps afin d’obtenir des conseils comptables et juridiques. Toutefois, la relation de travail a pris fin le 23 juin 2009, avant la signature du contrat. Mme Prue a reçu un courriel de Mme Lofgren l’informant que ses services n’étaient plus requis et qu’elle pourrait renvoyer le matériel en port payé au siège de Strauss à Kamloops. Elle s’est conformée à ces directives, et elle a soumis par courriel sa facture finale. Elle a déclaré que, selon elle, Strauss la considérait comme une sous‑traitante, et que c’est ainsi qu’elle se voyait elle‑même puisqu’aucune retenue n’avait jamais été prélevée sur sa rémunération. Sa déclaration de revenus relative à l’année d’imposition 2008 faisait état d’un revenu tiré de son entreprise de démonstration, provenant de deux sources, mais elle a décidé de déclarer le revenu gagné chez Strauss comme revenu d’emploi. Mme Prue a affirmé qu’elle facilitait la vente de produits Strauss en transmettant des renseignements au bureau de Kamloops, mais qu’elle ne touchait aucune commission. Elle a déclaré avoir consulté un bureau de services fiscaux relevant de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») lorsque la relation de travail a pris fin et avoir ensuite demandé qu’il soit statué sur l’assurabilité de son emploi auprès de Strauss. L’agent des décisions a conclu qu’elle avait occupé un emploi assurable et ouvrant droit à pension, et elle a commencé à recevoir des prestations d’assurance‑emploi. Toutefois, elle a cessé ses réclamations lorsque la décision du ministre a été rendue le 4 janvier 2010. Elle a déclaré qu’elle considérait qu’elle était devenue une employée par suite de modifications apportées à ses fonctions en janvier 2009, opinion renforcée du fait qu’aucun contrat de sous‑traitance n’avait été conclu malgré sa demande à cet effet formulée en mars 2009. Les projets – les pièces A‑6 et A‑7 – ne lui ont été soumis qu’au mois de juin, et ils renfermaient des clauses dont elle était insatisfaite. S’agissant de ses fonctions, elle a déclaré que Strauss avait modifié la période de paye et lui avait donné instruction de retirer les produits périmés des tablettes, une tâche qui était auparavant exécutée par des employés de Strauss. Elle a indiqué que jusqu’en janvier 2009, elle avait été satisfaite de fournir ses services en sous‑traitance comme elle le faisait depuis 2006 pour d’autres entreprises de démonstration. Elle a cité un courriel en date du 25 novembre 2008 émanant de Mme Lofgren – la pièce A-8 – pour démontrer que les employés réguliers de Strauss faisaient des démonstrations de temps à autre. Elle a déposé la pièce A‑9 – la copie d’une lettre de Strauss en date du 29 mars 2008 adressée à Mme Wang – pour démontrer que même si cette dernière était une employée – coordonnatrice du soutien aux ventes – elle avait à exécuter certaines de ces fonctions.

 

[4]              Lors du contre‑interrogatoire mené par l’avocat de l’intimé, Mme Prue a déclaré qu’elle avait déjà travaillé comme gestionnaire de production dans une aciérie, comme consultante en affaires et comme gestionnaire du marketing. Elle était alors une employée, et elle était au courant des différences existant entre le statut d’employé et celui d’entrepreneur indépendant. Elle a indiqué qu’elle avait senti un manque de respect de la part de Strauss, qui n’agissait pas comme un entrepreneur le ferait à l’égard d’un autre entrepreneur, au sens où Strauss procédait unilatéralement aux changements de politiques ou de fonctions. Elle a déclaré qu’elle avait connu des problèmes financiers et que, malgré son âge – 63 ans – elle avait besoin de travailler. Même si elle se satisfaisait de sa position de sous‑traitante, le statut d’employé lui paraissait préférable, même au début de la relation. Elle a confirmé qu’elle pouvait refuser des démonstrations – d’une durée de 3 à 5 heures – proposées par Mme Lofgren et qu’elle était payée pour le temps de déplacement. Elle a reconnu qu’elle pouvait se servir de son jugement – nourri de son expérience – pour établir les heures de travail qui seraient les plus productives pour ce qui était de démontrer des produits aux clients. Il n’y avait pas vraiment de code vestimentaire, et elle possédait déjà son certificat de salubrité alimentaire avant de travailler pour Strauss. Elle a déclaré que Mme Wang lui avait indiqué comment installer la table de démonstration mais qu’elle ne lui avait remis aucun texte, et que c’est elle qui disposait les produits comme elle le jugeait indiqué. Elle distribuait des coupons pour certains produits et, même si elle n’avait pas à le faire, elle a informé Mme Lofgren qu’elle voulait servir des échantillons à au moins 40 personnes par démonstration, ce à quoi cette dernière ne s’est pas opposée. Elle pouvait également prendre des produits se trouvant sur les tablettes et les installer sur sa table. Elle a confirmé qu’elle savait dès le début que Strauss ne percevrait aucune retenue à la source sur sa rémunération et reconnu qu’elle pouvait travailler pour d’autres entreprises pendant la période pertinente, y compris des concurrents de Strauss. Bien que le sujet de sa capacité d’engager un assistant n’ait jamais été abordé officiellement, elle a déclaré qu’elle avait offert de trouver d’autres personnes pour travailler les jours où elle n’était pas disponible mais uniquement s’il était entendu que ses remplaçants seraient payés directement par Strauss. Dans le cadre des services qu’elle avait fournis à d’autres entreprises depuis 2006, il lui était déjà arrivé d’engager un suppléant, de le payer et de facturer ensuite ces frais. Elle avait signé un contrat le 2 mars 2006 – la pièce A‑10 – intitulé Freelance Promotion Services Agreement (contrat de services promotionnels en sous‑traitance) dans lequel elle consentait à fournir des services promotionnels à titre de pigiste à J.M.P. Marketing Services Limited (« J.M.P. ») pendant un an. Elle a déclaré que cette entente commerciale différait de celle qui existait avec Strauss parce qu’elle avait été constatée dans un document de 5 pages signé par le président de J.M.P. Elle a indiqué qu’elle ne savait pas si Mme Lofgren était une dirigeante de Strauss. En 2009, son comptable lui a conseillé de clarifier sa relation de travail avec Strauss. Elle a déclaré que Strauss avait offert de lui remettre un feuillet T4A mais qu’elle avait refusé parce qu’aucune déduction n’avait été faite et parce que Straus ne l’avait pas traitée comme une employée régulière pendant la période pertinente. Elle a cru comprendre que l’offre avait été retirée sur les conseils du comptable de la société. Elle a reconnu avoir indiqué dans un courriel accompagnant une facture et un rapport de dépenses, envoyé à Strauss et ayant Mme Lofgren en copie conforme, qu’elle était prête à considérer devenir une employée à temps plein [traduction] « ... si cela facilit[ait] les choses à Strauss et si [elle] conserv[ait] le même revenu ». Ce courriel, déposé en preuve sous la cote R-1, était daté du 2 juin 2009. Elle se considérait alors comme une entrepreneure indépendante parce qu’aucune retenue n’avait été pratiquée sur sa rémunération. Elle a déclaré que, bien qu’elle eût préféré avoir le statut d’employée, elle aurait signé un contrat de sous‑traitance correspondant à ses attentes s’il lui avait été soumis. Elle soupçonnait que Strauss avait tardé à lui envoyer un projet de contrat parce que cette dernière envisageait retenir les services d’une société de commercialisation. Elle a déclaré que le premier projet – la pièce A-6 – était peu détaillé et n’énonçait pas clairement qu’elle fournirait ses services en sous‑traitance. Le projet suivant – la pièce A-7 – était intitulé Sub‑Contractor Agreement (contrat de sous‑traitance), et elle l’a soumis à son comptable et avocat, mais la relation de travail a pris fin une semaine plus tard. Elle a déclaré qu’elle avait déduit des dépenses d’emploi dans sa déclaration fiscale de 2008, mais seulement à l’égard du revenu tiré d’autres sources. Le revenu gagné chez Strauss a été déclaré comme revenu d’emploi, comme si elle avait reçu un feuillet T4. Toutefois, elle avait déduit certaines dépenses, relativement à des fournitures de bureau utilisées dans le cadre de son travail pour Strauss, notamment, et avait été avisée par l’ARC qu’elle devait obtenir un feuillet T2200, que Strauss a refusé de lui émettre. Elle a reconnu qu’elle avait touché 3 200 $ d’indemnité de déplacement pendant la période pertinente et qu’elle avait réalisé un profit puisque ses dépenses à cet égard avaient été moindres.

 

[5]              Mme Prue a été contre‑interrogée par Mme Lofgren, qui représentait Strauss. Mme Prue a reconnu qu’elle n’avait pas discuté avec cette dernière de la possibilité d’engager un suppléant ou des assistants. Elle a convenu qu’elle avait informé le siège de Strauss qu’un établissement était en rupture de stocks et qu’après avoir découvert qu’il n’y avait pas d’autre démonstrateur disponible, elle avait pu offrir ses services pour le remplacer.

 

[6]              L’appelante a clos sa preuve.

 

[7]              Karen Lofgren a témoigné qu’elle occupe le poste de responsable des comptes‑clés chez Strauss, et travaille au bureau de Kamloops. Elle a commencé à travailler pour Strauss en janvier 2007, et elle a rencontré l’appelante alors que cette dernière faisait une démonstration pour une autre entreprise. Strauss est une entreprise familiale qui a été fondée en Autriche et qui est exploitée depuis huit générations. En 1980, un point de vente a été ouvert à Kamloops. En 2007, Strauss a lancé une gamme de cafés et de thés, et elle a dû mettre sur pied un programme de démonstration pour promouvoir ces produits. Elle a engagé des démonstrateurs, dont beaucoup fournissaient leurs services à d’autres entreprises. L’accès à certains établissements de grandes bannières ne pouvait s’obtenir qu’en retenant les services d’une société nationale de commercialisation, mais dans les cas où ce n’était pas nécessaire, des démonstrateurs ou des employés de Strauss (ou un dirigeant au besoin) faisaient les démonstrations. Strauss compte 20 employés à temps plein et retient les services d’un sous‑traitant. Elle a deux usines de fabrication à Kamloops, et un magasin situé dans l’une d’elles s’occupe de la distribution. Les employés jouissent de certains avantages, mais ils ne sont pas payés pour le temps de déplacement lorsqu’ils font des démonstrations à l’extérieur de leur lieu de travail. Mme Lofgren a déclaré qu’il est plus efficient et plus rentable de retenir les services de démonstrateurs en tant qu’entrepreneurs indépendants. En outre, de tels démonstrateurs sont habituellement plus expérimentés. Elle a indiqué que jamais au cours de la période pertinente elle n’a proposé d’engager Mme Prue en qualité d’employée. À compter du mois de mai 2008, les tâches de Mme Lofgren exigeaient qu’elle supervise le programme de démonstration, reçoive les commandes, livre les produits aux magasins et les en retire au besoin et donne des séances de formation aux nouveaux démonstrateurs. Elle faisait également 6 démonstrations par année dans certains de la centaine de magasins qui vendent les produits Strauss en Colombie‑Britannique. Elle a déclaré que Mme Prue et les autres démonstrateurs savaient qu’il n’y avait aucune garantie de revenu. Mme Prue ayant été la première personne engagée afin de promouvoir les nouveaux cafés et thés dans le cadre du programme de démonstration, leur relation évoluait en fonction d’une « courbe d’apprentissage ». Elle a indiqué qu’elle ne savait pas pourquoi le contrat de sous‑traitance avait tardé à être soumis à Mme Prue, mais qu’une autre version a été préparée et envoyée à cette dernière lorsqu’elle s’est dite insatisfaite de la première. Mme Lofgren a déclaré que Strauss acquittait les primes d’assurance accidents du travail de tous les sous‑traitants travaillant comme démonstrateurs. Depuis 2009, les sous-traitants sont autorisés à engager leurs propres suppléants.

 

[8]              L’avocat de l’intimé a déclaré sa preuve close.

 

[9]              Mme Lofgren, représentante de l’intervenante, n’a présenté aucune preuve.

 

[10]         J’ai demandé à l’avocat de l’intimé de présenter son argumentation le premier afin que l’appelante comprenne mieux la nature de la thèse invoquée contre elle et connaisse la jurisprudence applicable.

 

[11]         L’avocat de l’intimé a fait valoir que l’intention des parties était claire dès le départ et que leur comportement pendant la période pertinente y correspondait. Il a signalé que Strauss n’exploitait pas une entreprise de démonstration, et que ce n’est qu’à la suite de la création de nouveaux produits qu’elle s’est intéressée à cet aspect de la commercialisation. Il ressort selon lui de la preuve que Strauss n’exerçait ni contrôle ni supervision sur l’appelante puisque cette dernière pouvait décider de son horaire, refuser de travailler et demander de faire des démonstrations supplémentaires lorsque d’autres travailleurs n’étaient pas disponibles. Elle pouvait réaliser un profit sur l’indemnité de déplacement, et elle pouvait choisir des lieux de démonstration près de chez elle et toucher le paiement fixe de 20 $. Il était clair que Mme Prue voulait confirmer son statut d’entrepreneure indépendante et avait demandé un contrat écrit le constatant. Jugeant que la première version n’établissait pas assez clairement ce statut, elle a demandé une autre version, laquelle a été préparée et lui a été transmise pour inspection. Selon l’avocat, l’analyse de l’ensemble des critères pertinents étaye le bien‑fondé des décisions du ministre selon lesquelles l’appelante n’occupait ni un emploi assurable ni un emploi ouvrant droit à pension chez Strauss.

 

[12]         L’appelante a soutenu qu’elle avait été une employée de Strauss et qu’elle avait obtenu une décision confirmant ce statut. Selon elle, elle avait quitté la catégorie des sous‑traitants au début de janvier 2009, lorsque ses fonctions avaient été modifiées, et les services qu’elle avait fournis par la suite correspondaient aux tâches effectuées par les autres travailleurs de Strauss, qui figuraient sur la liste de paie et qui, en leur qualité d’employés, faisaient l’objet de retenues à la source et étaient admissibles à certains avantages. Mme Prue a demandé l’autorisation de soumettre des observations écrites car elle n’avait pas été en mesure de bien consulter la jurisprudence pertinente en dépit de tentatives faites dans divers sites Web. Sa demande a été accueillie, mais la Cour a précisé que les observations devaient reposer sur la preuve présentée et que tout ce qui ne s’y rapportait pas ne serait pas pris en considération.

 

[13]         L’avocat de l’intimé et Mme Lofgren – représentante de l’intervenante – se sont réservé le droit de répondre aux observations écrites de Mme Prue.

 

[14]         L’appelante a présenté ses observations écrites dans un relieur à feuilles mobiles comportant 12 onglets. En dépit de l’avertissement donné à la fin de l’audience, le contenu du relieur est dans l’ensemble dépourvu de pertinence et vise à produire en preuve des lettres, courriels et autres documents, dont les motifs de la décision du directeur des normes d’emploi de la Colombie‑Britannique rendus dans le cadre d’une instance devant ce tribunal. Le rapport des décisions CPP et EI n’a pas été soumis en preuve, non plus que le questionnaire ou les autres documents énumérés à la page intitulée List of Attachments (liste des pièces jointes), insérée à la suite de la page 29, dans le relieur. Diverses raisons font qu’une décision de la direction des normes d’emploi est sans pertinence en l’espèce. En effet, les dispositions de cette loi provinciale diffèrent et elles poursuivent d’autres objets, notamment l’encadrement du traitement des employés par les employeurs. En outre, le ministre a infirmé la décision de l’agent des décisions, et il n’est ni pertinent ni approprié dans le contexte de la plaidoirie finale en l’espèce de se reporter à ce stade initial de l’instance.

 

[15]         J’ai pu relever dans le matériel fourni par l’appelant assez d’éléments étayant son argument qu’elle était une employée de Strauss lorsqu’elle a fourni ses services en exécution d’un contrat de louage de services au cours de l’année 2009. La position de l’appelante est qu’elle a d’abord accepté le rôle de sous‑traitante, parce qu’elle avait besoin de travailler et qu’elle avait déjà eu un tel statut lorsqu’elle avait travaillé comme démonstratrice pour d’autres sociétés, mais que ses tâches s’étaient diversifiées en 2009 et qu’elle avait alors commencé à prendre et livrer des commandes, à retirer des produits périmés des tablettes et à remettre des notes de crédit aux magasins. Selon Mme Prue, c’est Mme Lofgren qui exigeait ces tâches supplémentaires. Concernant la programmation des démonstrations, elle a fait état d’éléments de preuve indiquant qu’elle relevait de Strauss et que ce n’est qu’après que des dates lui étaient proposées. Selon elle, le fait que Strauss avait unilatéralement décidé qu’elle serait payée deux fois par mois par dépôt direct constituait un autre exemple du contrôle exercé par Strauss.

 

[16]         Mme Prue a reconnu qu’elle utilisait sa propre automobile lorsqu’elle fournissait ses services à Strauss, mais elle a signalé que d’autres outils et pièces d’équipement étaient fournis par Strauss et que cette dernière défrayait les dépenses qu’elle engageait pour faire une démonstration.

 

[17]         L’appelante a soutenu que la preuve étaye l’argument selon lequel elle devait fournir personnellement les services et n’était pas autorisée à engager de suppléant ou de remplaçant. De novembre 2008 à juin 2009, Mme Prue n’a travaillé que pour Strauss, et il n’y avait pas de frais généraux fixes associés à la prestation de ses services. Strauss acquittait les primes d’assurance accidents du travail et d’assurance responsabilité afférentes à son rôle de démonstratrice des produits Strauss.

 

[18]         L’appelante a fait valoir que bien qu’il n’y ait pas eu de garantie de travail, elle n’engageait pas de frais de déplacement ni d’autres dépenses lorsqu’on ne lui assignait aucune démonstration. Puisqu’elle n’appliquait les dépenses qu’au revenu d’entreprise véritablement gagné, moins elle utilisait sa voiture moins la déduction était élevée.

 

[19]         Dans sa réponse écrite, l’avocat de l’intimé fait état des documents non pertinents figurant dans le relieur présenté par l’appelante, dont il a été question précédemment. Il a soutenu que Strauss, si elle décidait du travail à faire – en termes de magasins à visiter et de produits à démontrer – ne dictait pas la façon de l’accomplir et n’était pas en droit d’exiger de l’appelante qu’elle travaille à un certain endroit à une date donnée. Mme Prue pouvait refuser un travail, et elle appliquait ses propres normes, notamment pour ce qui était du nombre d’échantillons à offrir par démonstration, sans aucune directive de la part de Strauss.

 

[20]         La représentante de l’intervenante a elle aussi signalé, dans sa réponse écrite, les documents relatifs à l’instance relevant de l’Employment Standards Act irrégulièrement inclus dans le relieur, et elle a répété que la preuve étayait la conclusion que, pendant toute la période pertinente, l’intention de Strauss et de l’appelante était que cette dernière fournirait ses services en qualité d’entrepreneure indépendante.

 

[21]         Dans plusieurs affaires récentes, notamment Wolf v. The Queen, 2002 DTC 6853, The Royal Winnipeg Ballet v. The Minister of National Revenue – M.N.R., 2006 DTC 6323, Vida Wellness Corp. (f.a.s. Vida Wellness Spa) c. Canada (Ministre du Revenu national M.R.N.) [2006] A.C.I. no 570 et City Water International Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2006] A.C.F. no 1653, la volonté réciproque que le fournisseur de services agisse en qualité d’entrepreneur indépendant et non d’employé était clairement exprimée. Dans d’autres, la question de savoir si l’une des parties a accepté dès le départ, ou plus tard pendant la relation de travail, de fournir des services en fonction d’un statut déterminé fait l’objet d’un débat. En l’espèce, aucune des parties n’a abordé la question pendant la période pertinente. Je vais différer l’examen de la question de l’intention pour m’attacher à celui des facteurs prescrits par la jurisprudence pertinente.

 

[22]         Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 (« Sagaz »), la Cour suprême du Canada était saisie d’une affaire de responsabilité du fait d’autrui et, au nombre des questions pertinentes en cause figurait aussi la question de savoir ce qu’est un entrepreneur indépendant. Le juge Major a prononcé le jugement de la Cour; il a recensé la jurisprudence concernant la portée de la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant au regard de la responsabilité du fait d’autrui. Après s’être reporté aux motifs du juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. Minister of National Revenue, [1986] 2 C.T.C. 200, faisant mention du critère d’organisation énoncé par lord Denning et de la synthèse établie par le juge Cooke dans l’arrêt Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, le juge Major a dit ce qui suit aux paragraphes 47 et 48 de ses motifs :

 

47                Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante.  La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.  Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur.  Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

48        Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer.  Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[23]         J’examinerai les faits des présents appels en fonction des critères énoncés par le juge Major dans l’arrêt Sagaz.

 

Degré de contrôle

 

[24]         L’appelante exécutait ses tâches de démonstratrice sans aucune supervision. Elle a reçu de brèves consignes au début, mais celles‑ci concernaient principalement le fonctionnement de l’appareil Bunn employé pour la préparation des échantillons de café et de thé. Mme Prue était une démonstratrice expérimentée, et elle avait fourni de tels services à différentes entreprises depuis 2006. Son champ d’expérience était en gestion et en consultation commerciales. Elle pouvait décider des démonstrations qu’elle ferait et refuser des affectations sans que cela porte à conséquence. Elle déterminait quelle était la case horaire la plus productive en fonction de divers facteurs, dont la circulation routière aux abords du magasin ou de la pharmacie et leur achalandage à certaines heures. Elle installait la table de démonstration comme elle l’entendait et elle pouvait au besoin s’approvisionner en produits sur les tablettes. Parfois, elle choisissait de promouvoir certains produits Strauss après avoir consulté le directeur de l’établissement. C’est elle qui fixait la durée de la démonstration, en ce sens qu’elle la prolongeait ou y mettait fin en fonction du nombre de clients susceptibles de goûter à un échantillon ou de recevoir des renseignements ou des conseils directement d’elle ou au moyen de documents informatifs. C’est elle-même qui a établi son propre objectif de remise d’au moins 40 échantillons par démonstration, conformément à son expérience et à son sens moral.

 

Outillage et assistants

 

[25]         La question de la possibilité pour Mme Prue d’embaucher des assistants ou des suppléants n’a jamais été abordée avec Mme Lofgren ou avec un autre gestionnaire de Strauss. Mme Prue se servait de sa propre auto pour transporter l’appareil Bunn et le reste du matériel et des fournitures nécessaires, qui entraient facilement dans le coffre de la voiture. Si Mme Prue avait besoin de quelque chose, elle l’achetait et en incluait le coût dans la facture pertinente qu’elle soumettait à Strauss. Elle avait besoin de sa voiture ou d’un véhicule de substitution – qu’elle voyait à se procurer – non seulement pour le transport du matériel nécessaire mais également pour se rendre aux divers endroits où avaient lieu les démonstrations dans le Grand Vancouver et le Lower Mainland.

 

Risque financier et responsabilité en matière de mises de fonds et de gestion

 

[26]         L’appelante n’avait fait aucune mise de fonds dans l’entreprise Strauss et n’assumait aucun risque financier afférent à la prestation des services de démonstration. Elle était couverte par la WCB – à la charge de Strauss – et par une assurance responsabilité, visant sans doute les actes ou omissions découlant de l’exécution de ses fonctions de démonstratrice. Elle gérait ses activités au sens où elle voyait à les accomplir de façon efficiente, mais elle n’avait pas à superviser directement ou indirectement d’autres travailleurs. Elle était disposée à recruter d’autres personnes pour faire des démonstrations, mais cela venait d’elle et non d’échanges avec un dirigeant ou un gestionnaire de Strauss.

 

Possibilité de tirer un profit de l’exécution des tâches

 

[27]         Aucun revenu n’était garanti à l’appelante. Elle pouvait accepter ou refuser les affectations et elle pouvait facturer la totalité du temps alloué par Strauss aux démonstrations. C’est uniquement d’elle que relevait la décision d’abréger le temps de démonstration et d’alléger la facture en conséquence. Elle était payée pour le temps de déplacement selon un taux horaire et elle touchait également une indemnité à cet égard. Elle pouvait choisir où elle donnait les démonstrations et, compte tenu du tarif fixe de 20 ou 50 $ et de l’utilisation de son auto, elle pouvait réaliser un profit pendant la période pertinente, du fait que sa Honda était une voiture économique. En se tenant au courant des activités de démonstration de nouveaux produits de Strauss, elle était capable d’obtenir du travail additionnel lorsqu’elle apprenait qu’un autre démonstrateur ne pouvait ou ne voulait pas se charger d’une affectation donnée. En communiquant avec le bureau de Kamloops, elle pouvait obtenir cette affectation et augmenter ses revenus. Elle possédait déjà sa voiture avant de fournir ses services à Strauss, mais elle a déduit des dépenses d’entreprise pour l’utilisation d’un bureau chez elle et les a appliquées sur l’ensemble de son revenu. Son véhicule était une source de revenu – et de profit – s’ajoutant à la rémunération calculée suivant un taux horaire qu’elle touchait par ailleurs. Strauss défrayait les coûts de télécopie, de téléphonie mobile et autres coûts de communication afférents à son travail. Dans ses observations écrites, l’appelante a insisté sur le fait qu’elle n’avait pas acheté son véhicule afin de fournir les services à Strauss et que le bureau qu’elle avait chez elle était déjà aménagé depuis quelque temps et servait à d’autres fins lucratives ainsi qu’à son usage personnel. Ce qui importe est que Mme Prue utilisait sa voiture non seulement pour aller au travail et en revenir mais dans le cadre de son travail, et que l’auto était indispensable à l’exécution de ses fonctions.

 

[28]         Dans la décision Thomson Canada Ltd. (Winnipeg Free Press) c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2001] A.C.I. no 374, le juge Porter devait déterminer si un livreur de journaux et d’encarts était un employé ou un entrepreneur indépendant et, après examen des facteurs pertinents, il a conclu que le travailleur n’était pas un employé. Il a déclaré ce qui suit au sujet de la question du contrôle, au paragraphe 89 :

 

89        Si l’on fait abstraction du point mentionné précédemment, WFP n’exerçait aucun contrôle. La preuve n’a pas démontré que WFP exerçait un contrôle sur les livreurs sous forme d’instructions ou de consignes. Bien au contraire, les livreurs avaient toute latitude au sujet de la manière dont ils fournissaient leurs services. La seule exigence était qu’ils aient effectué toutes les livraisons avant 6 h et que les journaux aient été livrés en bonne condition. Les livreurs n’avaient pas à porter un uniforme, et il n’était pas requis que leur véhicule porte une inscription quelconque. On ne précisait pas dans quel ordre devaient être effectuées les livraisons. La manière dont les livreurs effectuaient leurs livraisons sur leur itinéraire était laissée entièrement à leur discrétion. On ne les empêchait pas de livrer simultanément des journaux concurrents. Ils n’avaient pas à communiquer avec WFP à quelque moment que ce soit après avoir ramassé les journaux, notamment lorsqu’ils avaient terminé leurs livraisons. Personne n’exerçait de contrôle sur les livreurs après que ceux-ci avaient quitté le dépôt avec les journaux, et personne ne supervisait la prestation de leurs services. Les livreurs établissaient eux-mêmes leur horaire de travail.

 

[29]         Pour ce qui est de la question des instruments de travail, le juge Porter a fait les observations suivantes au paragraphe 95 :

 

95        Bref, exception faite du véhicule à moteur, il y avait très peu d’instruments de travail en jeu. Si l’on exclut le véhicule à moteur, l’examen de ce volet du critère donne des résultats fort ambigus. Par contre, si l’on tient compte du véhicule à moteur, les résultats de l’examen indiquent plutôt l’existence d’un contrat d’entreprise. Il n’est toutefois pas rare que des employés travaillant dans le cadre de contrats de louage de services doivent utiliser leur propre véhicule dans le cadre de leur emploi. Mais l’utilisation faite du véhicule en l’espèce n’a rien d’accessoire. Il s’agit d’une condition essentielle à la prestation quotidienne de services par les livreurs. Ce sont les livreurs qui faisaient le plus important investissement au chapitre des instruments de travail, et ce volet du critère, tout bien considéré, va davantage dans le sens d’un contrat d’entreprise que dans celui d’un contrat de louage de services.

 

[30]         Dans l’affaire Sara Consulting & Promotions Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2001] A.C.I. no 773, 2001 CanLII 658 (C.C.I.) (Sara), le juge Bell était saisi d’un appel interjeté par une société qui fournissait des services d’analyse de marchés et de gestion de démonstrations à des points de vente au détail, des fabricants, des distributeurs et des sociétés de courtage en alimentation. Le juge Bell a exposé ce qui suit aux paragraphes 7 et 8 de la décision :

 

7     L’appelante contactait les démonstratrices pour des démonstrations à faire dans les locaux de ses clients. L’appelante ou ses clients donnaient des instructions aux démonstratrices sur la manière de préparer et d’effectuer ces démonstrations. L’appelante ou ses clients indiquaient aux démonstratrices quels produits promouvoir et comment les promouvoir. Les démonstratrices pouvaient fournir leur propre table et leurs propres appareils si elles avaient ces articles et choisissaient de les utiliser, auquel cas l’appelante payait les démonstratrices pour l’utilisation de ces articles. Si les démonstratrices n’avaient pas cet équipement, l’appelante le leur fournissait.

 

8     L’appelante ou ses clients remettaient aux démonstratrices une formule de chèque ou un bon d’échange - ne dépassant pas un montant spécifié - avec lequel les démonstratrices pouvaient acheter des produits utilisés dans une démonstration. De tels achats étaient appuyés par des reçus et enregistrés dans un état de frais présenté à l’appelante. Après une démonstration, les démonstratrices faisaient des rapports à l’appelante par écrit. Ces rapports donnaient des renseignements quant à savoir par exemple quel produit avait été promu, quelle quantité avait été vendue, combien de coupons avaient été distribués, combien de clients avaient été servis, quels avaient été les commentaires des clients, comment était allée la démonstration, où dans le magasin était située la table et quels avaient été les commentaires du client de l’appelante. Ces rapports étaient signés par les démonstratrices et par les clients de l’appelante.

 

[31]         Dans Sara, le juge Bell a conclu que le payeur donnait des lignes directrices, instructions et marches à suivre aux travailleuses, mais qu’elles étaient libres de les modifier. Les démonstratrices utilisaient leur propre véhicule pour transporter le matériel de démonstration à leur domicile ou dans d’autres locaux commerciaux ainsi qu’à l’endroit de la démonstration. Les accessoires utilisés lors des démonstrations étaient achetés par elles et remboursés à la suite d’une demande à cet effet ou au moyen d’une avance. Il arrivait que le payeur formule des conseils, mais les travailleuses n’étaient pas tenues de les suivre; en outre, elles fournissaient certains des ustensiles et d’autres pièces d’équipement, y compris de petits appareils électriques. Elles devaient obtenir un certificat de salubrité alimentaire à leurs propres frais. Toutes les démonstratrices pouvaient fournir leurs services à d’autres sociétés, même des concurrentes directes. Elles pouvaient refuser de travailler à des endroits ou à des heurs donnés. Elles devaient se conformer à certaines règles vestimentaires établies par le payeur. Elles facturaient Sara Consulting pour leurs services. Elles pouvaient négocier leurs modalités de travail en communiquant directement avec le client visé de Sara Consulting. La preuve soumise au juge Bell établissait qu’un véhicule était « nécessaire » parce qu’il fallait transporter du matériel et des fournitures à des endroits pour lesquels les transports en commun ne constituaient pas une solution pratique. Les dépenses liées à l’utilisation de leur véhicule n’étaient pas remboursées aux démonstratrices. Les parties avaient conclu une entente écrite portant que les démonstratrices étaient des entrepreneurs indépendants, mais ce contrat visait à constater en bonne et due forme l’entente orale qui régissait la relation de travail pendant la période pertinente. Le juge Bell a cité l’arrêt The Minister of National Revenue v. Emily Standing, 147 N.R. 238, et notamment les propos suivants du juge Stone :

 

Rien dans la jurisprudence ne permet d’avancer l’existence d’une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes (sic) appréciées en fonction du critère de l’arrêt Wiebe Door.

 

[32]         Dans les motifs exposant sa conclusion, le juge Bell a ainsi résumé les faits, aux paragraphes 85 à 90 :

 

85     Le fait que l’appelante voulait que les démonstratrices soient bien équipées indique non pas un contrôle, mais plutôt une façon dont aussi bien l’appelante que les démonstratrices pouvaient avoir du succès. Mme Murphy a témoigné bien clairement que l’appelante ne voulait pas avoir d’employés autres que les quatorze mentionnés précédemment, car il y avait des périodes au cours desquelles il n’y avait pas de travail pour les démonstratrices.

 

86     En ce qui a trait aux instruments de travail, les démonstratrices utilisaient de l’équipement qui leur appartenait et de l’équipement qui appartenait à l’appelante et elles transportaient au lieu de travail leur propre équipement, ainsi que l’équipement de l’appelante qu’ils étaient allés chercher à l’entrepôt de cette dernière. En me fondant sur la propriété et l’utilisation des instruments de travail, je ne peux conclure que l’appelante était un employeur. Un jardinier utilisant la tondeuse à gazon et les outils du propriétaire peut bien être un entrepreneur indépendant.

 

87     Pour ce qui est des chances de bénéfice et des risques de perte, nous savons qu’une démonstratrice pouvait accroître son revenu en travaillant de plus longues heures et non pas en ayant un supplément de rémunération par heure travaillée, à moins d’avoir négocié un tel arrangement avec l’appelante. La démonstratrice avait bel et bien un risque de perte relativement à sa voiture, à l’égard de laquelle elle devait payer des frais de fonctionnement et pouvait devoir payer des frais de réparation. Cet élément du critère ne favorise pas une conclusion selon laquelle il s’agissait d’employées.

 

88     En ce qui concerne l’intégration, soit un critère dont l’importance est discutable, la démonstratrice aidait évidemment l’appelante dans l’exploitation de l’entreprise de cette dernière. Toutefois, le témoignage de Mmes Strachan et Morrison indique clairement que chacune d’elles dirigeait sa propre entreprise, à petite échelle, de l’aveu général. Il ne faut pas présumer a priori que la grande entité payeuse était dominante, donc plus importante, quand on détermine si le fournisseur de services pouvait également être en affaires. La question de savoir à qui appartient l’entreprise peut tendre à minimiser la qualification appropriée de ce fournisseur de services.

 

89     L’avocate de l’intimé a fait référence aux jugements Puri et Standing. Ces jugements indiquent simplement que, si les faits n’étayent pas la preuve d’une relation décrite par les parties, cette relation n’existe pas nécessairement. C’est une conclusion fondée sur le bon sens. Ce sont les faits qui importent.

 

90     L’avocate de l’intimé dit que l’appelante donnait des « ordres » et non des « lignes directrices », mais cela n’est pas étayé par la preuve.

 

[33]         Le juge Bell a formulé la conclusion suivante au paragraphe 92 :

 

92     J’ai conclu que ni l’une ni l’autre des deux démonstratrices qui ont témoigné n’étaient des employées. Je souscris à l’orientation donnée dans l’arrêt Shell, à savoir qu’une nouvelle qualification des rapports juridiques n’est possible que lorsque la désignation de l’opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables. Il faut reconnaître que cet énoncé de la Cour suprême du Canada se rapportait à des causes fiscales. Toutefois, en l’absence d’une preuve claire et digne de foi selon laquelle la description d’une relation est autre que la description dont avaient convenu des parties sans lien de dépendance, la description dont ces parties avaient convenu doit être acceptée. Il y a absence d’une telle preuve claire et digne de foi en l’espèce.

 

[34]         Comme je l’ai indiqué précédemment, je vais examiner la preuve relative à l’intention des parties.

 

[35]         L’appelante a reconnu qu’à compter du 4 juillet 2008 et jusqu’au cours du mois de janvier 2009, elle se considérait comme une entrepreneure indépendante qui fournissait ses services à Strauss de la même façon que pour les autres entreprises commerciales pour lesquelles elle donnait des démonstrations depuis 2006. Jusqu’aux problèmes de santé dont elle a souffert en octobre 2008, Mme Prue avait aussi donné des démonstrations pour d’autres sociétés. Pour des raisons qui ne ressortent pas clairement de son témoignage et des observations qu’elle a soumises par la suite, elle s’est mise à croire en janvier 2009 que, parce qu’elle exécutait des fonctions également accomplies par des employés réguliers de Strauss, elle devait être devenue une employée à compter de cette date. Mme Lofgren a témoigné qu’elle‑même et un autre gestionnaire de Strauss faisaient des démonstrations au besoin, et qu’elle en donnait environ six par année. Le retrait de produits des tablettes était une tâche courante, et cette fonction accessoire de Mme Prue servait uniquement à faciliter la communication avec le bureau de Kamloops au sujet de diverses questions que se posait la direction de Straus, comme celle de la suffisance des stocks dans des établissements donnés, par exemple. Je retiens le témoignage de Mme Lofgren voulant que Strauss n’ait jamais eu l’intention que Mme Prue fournisse ses services autrement qu’à titre d’entrepreneure indépendante. C’est Mme Prue qui a exigé de Strauss une entente écrite constatant en bonne et due forme son statut de sous‑traitante, et qui en a requis une nouvelle version énonçant clairement ce statut parce que la première ne la satisfaisait pas. Dans le courriel formant la pièce R‑1, envoyé à Mme Lofgren le 2 juin 2009, Mme Prue a écrit [traduction] « Vous trouverez ci-joint ma facture et mon rapport de dépenses. Je vous serais reconnaissante de m’indiquer ce qu’il advient de mon contrat. Y a-t-il un problème? Je suis prête à discuter de devenir employée si cela facilite les choses à Strauss et si je conserve le même revenu ».

 

[36]         Il est manifeste que Mme Prue a commencé à se livrer à une interprétation rétrospective des événements après sa visite au bureau des services fiscaux, où on lui a conseillé de demander qu’il soit statué sur son cas car elle était probablement une employée de Strauss. Une décision portant qu’elle était une employée a effectivement été rendue, et elle est demeurée en vigueur jusqu’à ce que le ministre conclue que Mme Prue n’avait pas occupé d’emploi assurable ou ouvrant droit à pension. Dans les cas où les deux parties à une relation de travail se sont systématiquement comportées conformément au statut qu’elles pensaient applicable, il importe de prendre en compte les motifs pouvant inciter l’une d’elles à se livrer à du révisionnisme créatif. Le principal reproche formulé par Mme Prue était qu’il arrivait qu’elle ne sente pas que ses rapports avec Strauss étaient des rapports d’entreprise à entreprise, ce qui a joué dans sa prise de conscience ultérieure qu’elle avait dû être une employée, au moins depuis le mois de janvier 2009, si ce n’est pendant toute la période. La preuve établit toutefois que Mme Prue s’est toujours comportée comme une entrepreneure agissant pour son propre compte; elle choisissait son travail, touchait un montant fixe pour ses déplacements et exerçait ses activités à partir du bureau installé chez elle. Elle avait l’expérience des affaires, et avait été une employée pendant presque toute sa vie professionnelle. Il n’y avait ni inégalité de pouvoir de négociation ni atmosphère de coercition dans ses rapports avec Mme Lofgren ou avec d’autres gestionnaires de Strauss. Elle a accepté d’effectuer des démonstrations en qualité de sous‑traitante, et l’on ne peut considérer qu’elle a pris cette décision en désespoir de cause puisqu’elle exploitait sa propre entreprise de démonstration depuis 2006 et qu’elle comptait deux autres sociétés comme clientes lorsqu’elle a commencé à faire affaire avec Strauss. Les faits ne permettent pas de constater de changement entre la conduite de l’appelante avant janvier 2009 et sa conduite après cette date, jusqu’à la fin de la relation de travail en juin. La conduite de Mme Prue dénote clairement qu’elle se considérait comme une entrepreneure indépendante pendant la période pertinente. Elle a été déçue du temps qu’aurait pris Strauss à lui faire parvenir un contrat écrit officialisant ce statut à sa satisfaction. Quand on se dit prête à « discuter » de la possibilité de devenir éventuellement une employée si l’autre partie y consent, cela signifie de toute évidence qu’on reconnaît la désignation actuelle du statut, lequel avait toujours correspondu à la conduite des parties.

 

[37]         L’appelante a invoqué la décision Dempsey c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2007 CCI 362, [2007] A.C.I. no 353. Le juge Hershfield instruisait l’appel d’un fournisseur de services qui avait conclu, en qualité de comptable agréé, un contrat écrit avec le payeur, stipulant qu’il s’engageait à rendre divers services professionnels, dont des services de vérification, concernant des prêts et des subventions consentis par le payeur et qu’il fournirait les services à titre d’entrepreneur indépendant et soumettrait des factures établies sur la base du taux quotidien prévu jusqu’à concurrence de la somme maximale fixée pour la durée du contrat en fonction d’un nombre de jours maximal. Les parties avaient convenu que le travailleur agirait à titre d’entrepreneur indépendant. Le travailleur facturait chaque mois ses heures de travail, et la TPS était appliquée sur la somme facturée. Au paragraphe 39 de sa décision, le juge Hershfield a formulé les commentaires suivants :

 

Analyse

 

[39]     Si l’intention permettait à elle seule de décider de la situation dans laquelle se trouvait l’appelant, il ne fait aucun doute que ses activités auraient été celles d’un entrepreneur indépendant. L’appelant a non seulement accepté la situation que lui imposaient les circonstances et la structure organisationnelle en place, il a en outre joué le rôle d’entrepreneur indépendant jusqu’à ce que ce ne soit plus dans son intérêt de le faire. Par ses actes – il s’est inscrit aux fins de la TPS, il a présenté des factures montrant les heures travaillées et la TPS exigible et il a soumissionné pour de nouveaux contrats lorsque les contrats existants venaient à échéance –, il a honoré le contrat qui définissait sa situation. Il déduisait des dépenses d’entreprise dans ses déclarations de revenus et il ne payait aucune cotisation syndicale à titre de fonctionnaire. Il n’avait pas d’avantages sociaux et ne participait pas au régime de pension de retraite de la fonction publique. Toutes ces modalités étaient établies par contrat; l’appelant les avait comprises et acceptées. En définitive, il a préféré la situation d’entrepreneur indépendant découlant de cette entente contractuelle mais, lorsqu’il a perdu l’avantage qu’elle lui procurait, il s’est empressé de nier ce qu’il avait accepté pendant presque 13 ans.

 

[38]         Il a ajouté, aux paragraphes 41 à 44 inclusivement :

 

[41]     À la lumière des critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, l’appelant est manifestement un employé. Il a été engagé pour occuper un poste entièrement subalterne et il avait l’obligation, comme n’importe quel autre employé professionnel, de faire ce que son supérieur lui disait de faire. Il n’avait aucune latitude pour décider quand, comment et où il fournissait ses services. Sur presque tous les plans, il était assujetti au contrôle de son gestionnaire à DEO. Il était traité à presque tous les égards comme un employé et il était présenté à ce titre. Il faisait ce qu’on lui disait de faire dans le cadre de son poste. Il devait corriger des rapports conformément aux instructions que lui donnaient des supérieurs hiérarchiques et il devait respecter des délais. La liste précise des fonctions que l’appelant devait remplir pour DEO, aux termes de son contrat, ne cessait de s’allonger pour englober toutes les tâches que DEO pouvait demander d’accomplir à un employé occupant le poste de l’appelant. Qui plus est, à la demande de son gestionnaire, l’appelant assumait d’autres fonctions que celles pour lesquelles on avait précisément retenu ses services par contrat et il était rémunéré dans le cours normal des activités pour ces services supplémentaires. Cette situation était attribuable au fait qu’il était sous le plein contrôle de son gestionnaire à DEO, comme n’importe quel autre employé. Si le contrôle exercé sur le travailleur est le critère pertinent, la situation de l’appelant était celle d’un employé.

 

[42]     L’appelant ne fournissait aucun instrument de travail pour remplir ses fonctions. Tous les instruments étaient fournis par DEO. Si la fourniture des instruments de travail est le critère pertinent, la situation de l’appelant était celle d’un employé.

 

[43]     L’appelant travaillait à un taux fixe, selon un horaire fixe, et il n’engageait aucune dépense dans l’exercice de ses fonctions. Il ne courait pas un risque plus grand de perte et il n’avait pas de possibilité plus grande de profit que les autres employés travaillant dans le cadre d’un contrat de durée déterminée. Le fait qu’il n’avait aucune sécurité d’emploi à l’échéance de chaque contrat et qu’il devait soumissionner pour chaque contrat est compatible avec l’existence d’une série de contrats de travail à durée négociée. Pendant la durée de chaque contrat, le travail était effectué contre rémunération. S’il s’agit du critère pertinent, la situation de l’appelant était celle d’un employé.

 

[44]     Tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door portent à croire que l’appelant était un employé. Il ne s’agit pas d’une issue serrée où l’intention des parties peut influer sur la situation du travailleur.

 

[39]         Il faut se rappeler que Strauss n’exerçait pas d’entreprise de démonstration. Elle ne retenait les services de démonstrateurs que pour promouvoir la nouvelle gamme de cafés et de thés et donner des renseignements sur le catalogue de produits de santé offerts aux clients. Le recours à des démonstrateurs indépendants constituait une décision commerciale sensée, répondant en outre aux attentes de personnes comme Mme Prue, qui exploitaient leur propre petite entreprise en se servant de leurs habiletés, de leur jugement, de leurs compétences, de leurs outils, de leur équipement et de leur expérience pour exercer leurs fonctions sans supervision.

 

[40]         J’estime que l’intention des deux parties était que Mme Prue fournisse ses services en qualité d’entrepreneure indépendante et que c’est ce qu’elle a fait pendant toute la période pertinente. La conduite des parties concordait avec cette intention. C’est avec perplexité qu’on se demande comment Mme Prue a pu penser que son aspiration latente à devenir un jour une employée de Strauss si cela convenait aux dirigeants de la société pouvait magiquement transformer son statut d’entrepreneure indépendante en celui d’employée, par qualification rétroactive qui plus est.

 

[41]         Compte tenu des faits en cause et de la jurisprudence applicable, il appert que Mme Prue était une entrepreneure indépendante agissant pour son propre compte.

 

[42]         Il incombait à l’appelante de prouver suivant la prépondérance des probabilités que les décisions du ministre étaient mal fondées. Elle n’a pas fait cette démonstration. Les deux appels sont par les présentes rejetés.

 

 

          Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 10e jour de janvier 2011.

 

 

« D.W. Rowe »

Le juge suppléant D.W. Rowe

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2011-02-03

 

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a., traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 9

 

No  DU DOSSIER DE LA COUR :     2010-103(EI); 2010-104(CPP)

 

INTITULÉ :                                       GAREE Prue ET M.R.N. ET 6673538 CANADA INC. S/N STRAUSS

                                                          HERB COMPANY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 28 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 10 janvier 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocat de l’intimé :

Matthew Canzer

 

Représentante de l’intervenante :

Karen Lofgren

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                            Nom :                   

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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