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Dossier : 2009-1192(IT)G

 

ENTRE :

RICHARD LEWIN,

CONCERNANT LA PREMIÈRE FIDUCIE FAMILIALE

DE J. J. HERBERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Appel entendu le 9 mai 2011, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Benoît Bourgon

Avocat de l’intimée :

Me Pascal Tétrault

 

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli avec dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d’octobre 2011.

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de décembre 2011

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

Référence : 2011 CCI 476

Date : 20111025

Dossier : 2009-1192(IT)G

ENTRE :

RICHARD LEWIN,

CONCERNANT LA PREMIÈRE FIDUCIE FAMILIALE

DE J. J. HERBERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]             La première fiducie familiale de J. J. Herbert (la « fiducie ») a été établie le 3 juin 1991 en vertu des lois des Bahamas. À l’époque où la fiducie a été établie, William Abdalla, Jean-Jacques Herbert et l’appelant étaient les fiduciaires. Jean‑Jacques Herbert (le « bénéficiaire »), pendant toute la période en cause, était un non‑résident du Canada. En 2001, la fiducie a reçu un dividende privilégié de 2 200 003 $. Le 11 septembre 2001, les fiduciaires de la fiducie ont adopté la résolution suivante (la « résolution ») :

 

[TRADUCTION] 

 

ATTENDU que la première fiducie familiale de J. J. Herbert (la « fiducie ») a reçu un dividende de 2 200 003 $ CAD en 2001;

 

ATTENDU que les fiduciaires ont considéré que le dividende était au titre du capital puisqu’il est lié à la distribution de la totalité, ou presque, des éléments d’actif du payeur;

 

ATTENDU que les fiduciaires déclarent par la présente que le dividende de 2 200 003 $ soit payé à M. Jean Jacques Herbert à titre de bénéficiaire de capital de la fiducie et que M. Jean Jacques Herbert aura à toute époque le droit d’exiger que la fiducie lui paie le dividende à toute époque.

 

[2]             Dans sa déclaration de revenus de 2001, la fiducie a déclaré le dividende privilégié. Cependant, elle l’a déclaré comme étant payable à un bénéficiaire et visé par l’alinéa 104(6)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). En conséquence, la fiducie n’a payé aucun impôt de la partie I sur le montant du dividende privilégié en 2001. Dans sa déclaration de revenus de 2001, la fiducie a calculé un impôt de la partie XIII payable de 550 000,75 $, soit le montant qui était devenu payable à un bénéficiaire non-résident au cours de l’année. Cet impôt de la partie XIII n’a jamais été retenu ni versé au receveur général. Le 12 janvier 2002, l’appelant a démissionné de ses fonctions de fiduciaire de la fiducie. Le 18 janvier 2002, la fiducie a versé 2 206 042 $ au bénéficiaire.

 

Les questions en litige

 

[3]             Voici les questions en litige :

 

a)       La fiducie était-elle redevable de l’impôt de la partie XIII en 2001 par suite de la résolution?

 

i.        Autrement dit, la fiducie a-t-elle payé le montant du dividende au bénéficiaire ou l’a-t-elle porté à son crédit au sens de l’alinéa 212(1)c) de la Loi en 2001?

 

b)      L’appelant est-il redevable de l’impôt de la partie XIII impayé que la fiducie n’a jamais retenu ni versé?

 

i.        Autrement dit, l’appelant a-t-il autorisé la fiducie à payer au bénéficiaire le montant du dividende ou autrement fait en sorte que la fiducie effectue ce paiement au sens du paragraphe 227(5) de la Loi alors que l’appelant avait une influence directe ou indirecte sur les décaissements, les biens ou l’entreprise de la fiducie?

 

Réponse brève

 

[4]             L’appel devrait être accueilli pour les motifs suivants :

 

a)       La fiducie n’était pas redevable de l’impôt de la partie XIII en 2001 parce que la résolution n’a pas eu comme conséquence que le montant du dividende soit payé au bénéficiaire ou porté à son crédit au cours de cette année. La résolution a plutôt eu comme conséquence que le montant est devenu payable. Cependant, « payable » ne devrait pas être considéré comme équivalant à « payé » ou « porté au crédit ».

 

b)      L’appelant ne devrait pas être tenu personnellement redevable de l’impôt de la partie XIII non versé parce que la résolution n’a pas autorisé le paiement du dividende. Au moment où le dividende a effectivement été payé – en 2002 –, l’appelant n’était plus un fiduciaire de la fiducie et n’était pas en mesure de faire directement ou indirectement en sorte que le montant soit payé au bénéficiaire.

 

La position de l’intimée

 

[5]             L’intimée soutient :

 

a)       que la fiducie était redevable d’un impôt de la partie XIII en application de l’alinéa 212(1)c) de la Loi, et que, par conséquent,

 

b)      l’appelant était personnellement redevable de ce montant d’impôt en application des paragraphes 215(5) et 227(5) de la Loi.

 

[6]             Le paragraphe 104(13) de la Loi s’applique aux résidents du Canada et exige que toute somme qui est devenue payable à un bénéficiaire au cours de l’année d’imposition soit incluse dans le revenu du bénéficiaire. En outre, lorsqu’une somme devient payable à un bénéficiaire (résident ou non-résident) au cours d’une année d’imposition donnée, la fiducie peut déduire cette somme de son revenu pour l’année[1]. Le paragraphe 104(24) de la Loi dispose qu’une somme est réputée ne pas être devenue payable à un bénéficiaire à moins qu’elle lui ait été payée au cours de l’année ou que le bénéficiaire n’eût le droit au cours de l’année d’en exiger le paiement.

 

[7]             L’intimée s’appuie sur les paragraphes 104(13) et 104(24) de la Loi pour soutenir que le montant de dividende était payable au bénéficiaire au cours de l’année d’imposition 2001[2]. L’appelant ne conteste pas ce fait. En fait, la fiducie a produit sa déclaration de revenus pour 2001 en tenant compte du fait que le montant était devenu payable au bénéficiaire en 2001.

 

[8]             L’intimée soutient qu’en raison de deux faits, à savoir (1) que la fiducie avait l’obligation de payer le montant et (2) que la résolution est « plus qu’une simple écriture comptable », les conditions d’application de l’alinéa 212(1)c) de la Loi ont été remplies[3]. Autrement dit, en raison de ces deux faits, la résolution équivalait à un paiement ou un crédit.

 

[9]             L’alinéa 212(1)c) de la Loi est ainsi rédigé :

 

Toute personne non-résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25 % sur toute somme qu’une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée en vertu de la partie I lui payer ou porter à son crédit, au titre ou en paiement intégral ou partiel :

 

[...]

 

c)         du revenu d’une succession ou d’une fiducie, ou en provenant, dans la mesure où cette somme, selon le cas :

(i) est incluse dans le calcul du revenu de la personne non-résidente selon le paragraphe 104(13), sauf dans la mesure où elle est réputée, par le paragraphe 104(21), être un gain en capital imposable de cette personne,

(ii) peut raisonnablement être considérée, compte tenu des circonstances, y compris les modalités de la succession ou de l’acte de fiducie, comme le paiement d’un montant reçu par la succession ou la fiducie, ou comme une somme provenant d’un tel montant, au titre d’un dividende non imposable sur une action du capital-actions d’une société résidant au Canada;

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[10]        L’intimée attribue deux sens très précis au verbe « payer » et à la locution verbale « porter au crédit » employés dans cette disposition.

 

[11]        Selon l’intimée, « payer » signifie débourser un montant d’argent en exécution d’une obligation[4]. En outre, l’intimée soutient que « porter au crédit » au sens du paragraphe 212(1) de la Loi s’entend d’une situation où un créancier a le droit d’exiger le paiement immédiat d’une somme, mais accorde au débiteur un report du paiement jusqu’à une certaine date ultérieure.

 

[12]        Pour appuyer cette interprétation de la locution « porter au crédit », l’avocat de l’intimée se fonde sur la décision du juge Rip dans Wenger’s Ltd. c. Canada (Ministère du Revenu national – M.R.N.)[5]. Dans cette décision, le juge Rip a dû interpréter l’effet de contrats d’importation et de vente entre une société canadienne et une entité commerciale soviétique. La question dont le juge Rip était saisi était une question de fait. Pour pouvoir trancher la question générale dans cette affaire, il fallait notamment déterminer la nature de paiements faits entre les entités en cause et établir si ces paiements constituaient de l’intérêt. Aussi, le juge Rip a-t-il dû déterminer à quel moment la société canadienne était devenue propriétaire des marchandises importées. À ce moment, des intérêts auraient commencé à courir, puisque le paiement des marchandises n’avait été effectué que plus tard. C’est dans ce contexte que le juge Rip a formulé les commentaires suivants aux paragraphes 71 à 73 concernant les ventes faites à « crédit » :

 

71        Au moins deux des contrats produits en preuve déclarent que l’intérêt à payer par l’acheteur est dû au titre du [TRADUCTION] « crédit » consenti. Les dispositions de paiement des autres contrats produits en preuve indiquent que les biens doivent être [TRADUCTION] « entièrement payés » dans un certain délai après leur sortie de l’entrepôt de consignation et indiquent qu’un taux d’intérêt s’applique jusqu’à ce qu’ils soient [TRADUCTION] « entièrement » payés par l’acheteur.

 

72        Le « crédit » est défini dans le Shorter Oxford Dictionary on Historical Principals comme : [TRADUCTION] « ... la confiance que l’on a dans la capacité et l’intention de l’acheteur de payer à une date future les biens, etc. qui lui sont confiés sans paiement immédiat. »

 

73        Le terme « crédit » suppose que celui qui fait crédit, le créancier, est en droit de se faire payer immédiatement, mais qu’il accorde au débiteur le droit de le payer à une date ultérieure. Le créancier peut recevoir de l’intérêt en raison de la relation qu’il a avec le débiteur, par exemple une relation de vendeur à acheteur. En général, le vendeur a le droit de percevoir de l’intérêt sur un achat impayé jusqu’à ce que celui-ci lui soit payé (volume 42, paragraphe 200).

 

[13]        Selon l’intimée, le fait que le juge Rip ait repris dans Wenger’s l’interprétation qu’il avait faite du mot « crédit » dans la décision Gillette Canada Inc. c. La Reine[6] étaye l’affirmation selon laquelle « porter au crédit » au paragraphe 212(1) de la Loi signifie accorder un report de paiements exigibles immédiatement.

 

[14]        Dans la décision Gillette, la question en litige était celle de savoir si une restructuration de dette avait donné lieu à un montant « payé [à un non-résident] ou porté [à son] crédit ». Le juge Rip a écrit :

 

13        [...] Si, d’un autre côté, une analyse des faits relative au paragraphe 212(13.1) mène à la conclusion selon laquelle un paiement ou un crédit a réellement eu lieu, alors les autres dispositions de la partie XIII, y compris l’alinéa 214(3)a), doivent être examinées afin de déterminer si la nature de ce paiement ou de ce crédit exige qu’un impôt soit payé.

.

 

[15]        Le juge a ensuite reproduit les définitions de dictionnaires du mot « credit » (« crédit ») et a adopté la définition donnée dans la décision La Compagnie minière Québec Cartier c. M.R.N.[7]. Dans cette décision, la locution verbale « porter au crédit » au paragraphe 212(1) de la Loi avait été interprétée comme signifiant qu’un montant avait été mis « à la disposition » d’un bénéficiaire non-résident. Le juge Rip a ajouté, dans la décision Gillette :

 

16        La définition du mot « crédit », toutefois, de par son nom même, évoque l’existence d’une relation créancier-débiteur. Des sommes d’argent ou des marchandises doivent avoir été reçues par le débiteur ou être mises à sa disposition en tenant pour acquis que le débiteur peut reporter le paiement immédiat. La prolongation d’un prêt consenti par un créancier en faveur d’un débiteur relève du sens du mot « crédit ». Ce mot à l’alinéa 212(13.1)b) fait référence à plus qu’une simple écriture comptable. [...].

 

[...]

 

26        Je suis d’accord avec l’intimée pour dire que la conversion du billet Oral-B en dette de Gillette France a constitué un paiement. La conversion a créé une dette. Dans le cadre de la conversion de la dette, l’appelante a remis une valeur en argent à la société afin de s’acquitter de son obligation. En tout état de cause, il y avait à tout le moins un crédit puisque, au moment de la conversion du « billet Oral-B » en dette de Gillette France, l’appelante a mis des fonds à la disposition de la société afin de rembourser le billet, étant entendu que le remboursement serait reporté.

 

[16]        L’intimée a inféré de ces passages, en particulier du paragraphe 16, que :

 

La notion de « porte à son crédit » étend la portée de « paie » que l’on retrouve à l’article 212 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le paiement d’une somme implique l’exécution d’une obligation alors que le fait de porter au crédit d’une personne présuppose qu’une personne (le créditeur) a droit immédiatement à la somme, mais qu’elle consent, à la personne qui doit effectuer le déboursement (le débiteur), à ce que la somme soit payée à un moment futur[8].

 

[17]        Encore une fois, selon l’intimée, l’expression « porte à son crédit » à l’article 212 de la Loi s’entend de l’acte d’un créancier qui consiste à permettre à un débiteur de payer à une date ultérieure une somme exigible immédiatement[9].

 

[18]        L’intimée déduit de l’application de cette définition aux faits de la présente affaire que la résolution a eu pour effet de rendre le montant payable immédiatement[10]. Selon l’intimée, le fait que le bénéficiaire ait consenti à ce que le montant soit payé à une date ultérieure signifiait que la somme avait été portée au crédit du bénéficiaire[11]. L’intimée conclut donc qu’en date du 11 septembre 2001 – date de la résolution –, le montant a été porté au crédit du bénéficiaire et les conditions d’application du paragraphe 212(1) de la Loi ont été remplies[12].

 

[19]        L’intimée soutient que l’appelant est personnellement redevable de l’impôt de la partie XIII impayé de la fiducie. Au soutien de cette position, son avocat invoque le paragraphe 227(5) de la Loi. Cette disposition est ainsi rédigée :

 

La personne déterminée, quant à une autre personne (appelée « payeur » au présent paragraphe), qui a une influence directe ou indirecte sur les décaissements, les biens, l’entreprise ou la succession du payeur et qui, seule ou avec quelqu’un d’autre, fait en sorte qu’un paiement visé aux paragraphes 135(3), 135.1(7) ou 153(1), ou sur lequel ou relativement auquel un impôt est payable en vertu des parties XII.5 ou XIII, soit effectué par le payeur ou pour son compte, ou autorise un tel paiement :

[…]

 

b)         est solidairement responsable, avec le payeur, du versement au receveur général des montants suivants :

 

(i)        les montants payables par le payeur par l’effet des paragraphes 135(3), 135.1(7), 153(1) ou 211.8(2) ou de l’article 215 relativement au paiement,

 

(ii)       les montants payables par le payeur en vertu de la présente loi pour inobservation de l’une des dispositions visées au sous-alinéa (i) relativement au paiement;

            […]

 

 

[20]        L’intimée prétend que l’appelant avait une influence directe ou indirecte sur les décaissements, les biens ou l’entreprise de la fiducie et qu’il a fait en sorte que le montant soit payé au bénéficiaire[13]. L’avocat de l’intimée soutient qu’en adoptant la résolution, l’appelant a fait en sorte que le montant soit payé. L’intimée demande donc à la Cour de statuer que l’appelant est redevable de l’impôt de la partie XIII impayé.

 

Analyse

 

[21]        La position de l’intimée repose dans une large mesure sur une lecture et une application erronées des dispositions en cause. Plus précisément, l’intimée assimile les concepts de montant « payable » (au sens du paragraphe 104(13) de la Loi) et de montant payé ou porté au crédit (au sens du paragraphe 212(1) de la Loi).

 

[22]        De plus, l’interprétation que fait l’intimée de l’expression « porté au crédit » est forcément erronée puisqu’elle aurait comme conséquence absurde qu’un montant serait « porté au crédit » du bénéficiaire (d’une fiducie) au moment où le bénéficiaire « fait crédit » à la fiducie en reportant le paiement d’un avantage alloué. Autrement dit, cette interprétation mène à un résultat parfaitement contraire.

 

[23]        En outre, comme la position de l’intimée assimile les concepts de « payable » et « payé », lorsque l’on tient compte de l’alinéa 214(3)f) de la Loi, il s’ensuit une interprétation tout aussi absurde de cette disposition, comme je le démontrerai plus loin.

 

[24]        L’intimée affirme à juste titre que l’obligation juridique de payer qui est née de la résolution était non conditionnelle[14]. L’article 1497 du Code civil du Québec (le « C.C.Q. ») explique le concept d’obligation conditionnelle :

 

L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la fait dépendre d’un événement futur et incertain, soit en suspendant sa naissance jusqu’à ce que l’événement arrive ou qu’il devienne certain qu’il n’arrivera pas, soit en subordonnant son extinction au fait que l’événement arrive ou n’arrive pas.

 

[25]        Jean-Louis Baudouin explique comme suit ce que sont les conditions suspensives :

 

[…] La condition suspensive fait dépendre la naissance de l’obligation de l’arrivée de l’événement ou de la certitude qu’il ne se produira pas; elle retarde donc la création du lien entre les parties (article 1497)[15] […]

 

[26]        L’appelant a évoqué trois conditions qui empêchaient le paiement immédiat du montant : (1) le dépôt des bons du Trésor; (2) le rachat des actions privilégiées; (3) la délivrance du certificat exigé en vertu du paragraphe 159(2) de la Loi. Cependant, aucun de ces événements incertains n’est de la nature de ceux qui rendraient conditionnelle l’obligation juridique de payer le montant. S’il était soutenu que ces conditions étaient des conditions juridiques, elles seraient vraisemblablement de la nature d’une « condition purement potestative », soit d’une condition à laquelle les tribunaux ne reconnaissent aucun effet juridique[16]. Comme M. Baudouin l’explique, ce type de condition n’est pas valide en droit :

 

614 – Introduction Toute condition doit, pour être valide, remplir certaines exigences fixées par la loi. Elle ne doit pas engager le débiteur de façon purement potestative, être impossible, ou encore pécher contre la loi ou l’ordre public.

 

A. La condition potestative

 

615 – Condition purement potestative La condition « casuelle », dont la réalisation dépend uniquement d’un événement extérieur, s’oppose à la condition « potestative » (ou « facultative »), dont la réalisation dépend de l’exercice discrétionnaire de la volonté d’une des parties.

 

Il y a, à première vue, antinomie complète entre l’élément d’imprévisibilité de la condition et l’élément discrétionnaire de l’acte d’une des parties. On ne saurait donc admettre comme valable la condition qui dépend, pour sa réalisation, du seul acte de volonté du débiteur, c’est-à-dire de l’exercice de son seul pouvoir discrétionnaire. La personne qui accepte d’exécuter une obligation « si elle le veut » ne s’engage pas véritablement et sérieusement, puisqu’elle a le pouvoir d’acquitter l’obligation selon son bon vouloir ou son caprice. Cette condition est connue classiquement sous le nom de condition purement potestative et entraîne la nullité de l’obligation qui en dépend (article 1500)[17].

 

[27]        Les conditions du genre de celles qu’évoque l’appelant appartiendraient clairement à la catégorie des « conditions purement potestatives » puisque leur réalisation dépend entièrement de l’exercice discrétionnaire de la volonté d’une des parties. C’est-à-dire que, dès lors que l’appelant poserait les actes énumérés, les conditions seraient réalisées. Même la troisième condition – l’obtention du certificat – dépend uniquement de la volonté de l’appelant, étant donné que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a adopté comme position qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir ce certificat si le payeur retient des fonds suffisants pour s’acquitter de toute dette due envers elle[18].

 

[28]        Cependant, l’analyse qui précède est purement théorique. En effet, l’intimée soutient que l’appelant affirme que les trois conditions sont des conditions juridiques qui empêchent la résolution de rendre le montant payable, mais cela ne correspond pas au véritable argument de l’appelant. L’appelant n’a jamais soutenu que les trois conditions susmentionnées rendaient l’obligation de payer le montant conditionnelle au sens de l’article 1497 C.C.Q. L’avocat de l’appelant apporte les précisions suivantes :

 

[…] L’appelant n’a jamais prétendu et ne prétend toujours pas que l’obligation résultant de la résolution du 11 septembre 2011 [sic] était « conditionnelle » au sens des articles 1497 à 1507 du Code civil du Québec. Selon nous, l’Intimée fait erreur et ne veut que semer la confusion en faisant de l’obligation créée par la résolution une obligation dite « conditionnelle » sous prétexte que la somme de 2 200 003 $ n’était pas « mise à la disposition » de J.J. Herbert « inconditionnellement »[19].

 

[29]        Vu qu’il n’y a aucun véritable désaccord entre les parties sur ce point, la Cour devrait conclure que la résolution a créé une obligation non conditionnelle, à la charge de la fiducie, de payer le montant au bénéficiaire.

 

[30]        Puisque le paragraphe 104(24) de la Loi définit une somme payable comme s’entendant notamment de toute somme dont le bénéficiaire a eu le droit d’exiger le paiement au cours de l’année, la création d’une obligation non conditionnelle de payer une somme d’argent est de l’essence d’un montant qui est devenu payable en vertu de l’alinéa 104(13)a) de la Loi. Ainsi, au moment où la résolution a été adoptée, le montant est devenu payable au bénéficiaire au sens de l’alinéa 104(13)a) de la Loi.

 

[31]        L’intimée a beaucoup insisté sur la décision dans l’affaire Wenger’s[20], sur laquelle elle s’est fortement appuyée. Elle a invoqué les paragraphes 16 et 26 de cette décision pour soutenir que « porter au crédit » signifie la création d’une relation débiteur-créancier dans le cadre de laquelle le créancier permet au débiteur de reporter le paiement du montant dû.

 

[32]        Cependant, les faits de l’affaire Wenger’s diffèrent considérablement de ceux de la présente espèce. La question dont le juge Rip était saisi dans cette affaire concernait la qualification juridique d’un contrat d’importation et de vente entre une société canadienne et une entité soviétique. Étant donné que le paiement et la livraison des marchandises ne coïncidaient pas dans le temps, le juge Rip a dû déterminer si certains montants constituaient des « surcharges » ou plutôt des intérêts payés sur des marchandises fournies à crédit. Il a donc dû trancher si la vente de marchandises était une vente à « crédit ». Il n’a pas eu à déterminer le sens de l’expression « porte au crédit » au paragraphe 212(1) de la Loi.

 

[33]        Le sens du mot « crédit » dans le contexte de l’affaire Wenger’s diffère grandement de celui de l’expression « porte au crédit » dans le libellé « paie ou porte au crédit » au paragraphe 212(1) de la Loi. En effet, dans l’affaire Wenger’s, l’expression s’entend d’un prêt ou d’un financement, tandis qu’au paragraphe 212(1) de la Loi, l’expression « porte au crédit » est employée de pair avec le verbe « paie » et sous-entend l’exécution d’une obligation[21].

 

[34]        L’intimée préconise une application trop large de la décision Wenger’s. Dans cette décision, la Cour a interprété le substantif « crédit » dans un contexte précis, et elle ne peut pas être considérée comme ayant défini la locution verbale « porter au crédit » au sens du paragraphe 212(1) de la Loi.

 

[35]        L’intimée invoque la décision Gillette au soutien de sa prétention selon laquelle une relation créancier-débiteur naît du fait qu’une somme est « portée au crédit » au sens du paragraphe 212(1) de la Loi. Dans sa décision, le juge Rip a affirmé ce qui suit :

 

[16]      La définition du mot « crédit », toutefois, de par son nom même, évoque l’existence d’une relation créancier-débiteur. Des sommes d’argent ou des marchandises doivent avoir été reçues par le débiteur ou être mises à sa disposition en tenant pour acquis que le débiteur peut reporter le paiement immédiat. La prolongation d’un prêt consenti par un créancier en faveur d’un débiteur relève du sens du mot « crédit ». Ce mot à l’alinéa 212(13.1)b) fait référence à plus qu’une simple écriture comptable. […]

 

[36]        Le juge Rip était d’avis que la conversion d’un titre d’emprunt en un autre titre d’emprunt constituait un « crédit » au sens de l’alinéa 212(13.1)b) de la Loi. Cependant, il n’a pas affirmé que, chaque fois qu’une relation débiteur-créancier était créée, un montant était « porté au crédit » au sens du paragraphe 212(1) de la Loi. En fait, si le juge Rip a estimé que la conversion de dette constituait un crédit, c’était parce que le remboursement du prêt original suivi de l’octroi d’un autre avait eu pour effet de mettre des fonds à la disposition de la non-résidente[22]. En effet, le juge Rip écrit :

 

26        Je suis d’accord avec l’intimée pour dire que la conversion du billet Oral-B en dette de Gillette France a constitué un paiement. La conversion a créé une dette. Dans le cadre de la conversion de la dette, l’appelante a remis une valeur en argent à la société afin de s’acquitter de son obligation. En tout état de cause, il y avait à tout le moins un crédit puisque, au moment de la conversion du « billet Oral-B » en dette de Gillette France, l’appelante a mis des fonds à la disposition de la société afin de rembourser le billet, étant entendu que le remboursement serait reporté.

(Non souligné dans l’original.)

 

[37]        Il s’agissait en fait là d’une application de la définition de la locution verbale « porter au crédit » que la Cour avait adoptée dans la décision Compagnie minière. C’était donc le fait que la résidente canadienne avait permis une novation – qui entraînait que des fonds étaient mis à la disposition de la non-résidente – qui constituait un crédit.

 

[38]        De plus, le juge Rip a expressément admis la définition de la locution verbale « porter au crédit » énoncée dans la décision Compagnie minière[23], à savoir qu’une personne (ici la fiducie) « porte [un montant] au crédit » d’une autre personne (ici un bénéficiaire non-résident) lorsque la première met une somme d’argent à la disposition de la seconde. Cette définition cadre parfaitement avec l’interprétation adoptée par l’ARC ainsi qu’avec le sens que je propose au paragraphe 50 ci-dessous.

 

[39]        En outre, l’octroi de crédit au sens où on l’observe dans Wenger’s a lieu du point de vue du créancier – ou, dans Wenger’s, du vendeur de marchandises. Comme ce doit toujours être le cas, le créancier accorde un crédit au débiteur. Cependant, dans le contexte du paragraphe 212(1) de la Loi, l’octroi de crédit a lieu du point de vue du débiteur. C’est le débiteur – c’est-à-dire la fiducie – qui paye une somme au créancier (le bénéficiaire de la fiducie) ou la porte à son crédit. Il s’ensuit clairement que « porté au crédit » doit être considéré comme un quasi-synonyme de « payé » c’est-à-dire que l’expression évoque l’exécution de l’obligation de payer le montant au bénéficiaire.

 

[40]        Ainsi, les deux sens du mot « crédit » sont incompatibles. Il est difficile de voir comment l’intimée peut soutenir que le substantif « crédit » tel que défini dans la décision Wenger’s devrait être traité comme un synonyme de la locution verbale « porter au crédit » au sens du paragraphe 212(1) de la Loi. Dans le premier cas, la situation s’apprécie du point de vue du créancier, tandis que dans l’autre, elle s’apprécie du point de vue du débiteur. Si je devais admettre la prétention et la définition de l’intimée, il s’ensuivrait que le créancier de la fiducie – c’est-à-dire le bénéficiaire – serait la seule entité ou personne en mesure de créditer le montant, étant donné que c’est le créancier qui doit accorder au débiteur le droit de reporter le paiement. Ainsi, le bénéficiaire déterminerait, pour l’application du paragraphe 212(1) de la Loi, si le montant est porté ou non à son propre crédit. Il s’agit clairement là d’une application non voulue et absurde de cette disposition. Ce motif est suffisant pour rejeter la définition de « porté au crédit » que préconise l’intimée au sens d’une situation où le créancier a permis qu’un paiement soit reporté.

 

[41]        Cependant, il y a aussi un autre motif de rejeter la définition que préconise l’intimée. Cette définition signifierait qu’une somme « payable » (selon le paragraphe 104(13) de la Loi) serait toujours un montant « porté au crédit » au sens du paragraphe 212(1) de la Loi. La raison à cela tient à la définition d’une somme payable au paragraphe 104(24) de la Loi. Une somme payable s’entend notamment de toute somme dont le bénéficiaire avait le droit d’exiger le paiement. Si le bénéficiaire pouvait exiger le paiement, mais ne l’a pas fait, alors (si l’on admet la définition que préconise l’intimée) le montant aurait également été « porté au crédit » du bénéficiaire. Ainsi, les montants « payables » et les montants « portés au crédit » seraient toujours équivalents.

 

[42]        Cette équivalence établie entre montants « payables » et montants « portés au crédit » est également troublante lorsque l’on considère l’existence de l’alinéa 214(3)f) de la Loi. Cette disposition est ainsi rédigée :

 

Sommes réputées constituer des paiements – Pour l’application de la présente partie :

 

[…]

 

f)          la fraction quelconque d’un montant payable à un bénéficiaire par une fiducie, au cours de son année d’imposition, qui serait incluse selon le paragraphe 104(13), si la partie I s’appliquait, dans le calcul du revenu de la personne non-résidente bénéficiaire de la fiducie est réputée être un montant payé ou crédité à cette personne à titre de revenu de la fiducie ou de revenu provenant de la fiducie à compter du premier en date des jours suivants :

(i) le jour où le montant a été payé ou crédité,

(ii) le jour qui suit de 90 jours la fin de l’année d’imposition,

et non à un moment ultérieur où le montant a été effectivement payé ou crédité;

 

 

[43]        Ainsi, en vertu de l’alinéa 214(3)f) de la Loi, a) des montants payables aux bénéficiaires sont réputés être b) des montants payés ou crédités aux bénéficiaires dès lors que certaines conditions sont remplies. Cependant, il est futile de réputer ces deux types de montants équivalents s’ils correspondent à des concepts équivalents en eux-mêmes. Autrement dit, s’il s’agissait déjà de concepts équivalents, il n’y aurait nul besoin d’employer des mots différents pour les exprimer. Il doit donc nécessairement s’agir de concepts distincts qui peuvent être réputés équivalents dans certaines circonstances. Il n’y a aucune raison de réputer « b » égal à « b ». Si la définition que préconise l’intimée était admise, l’alinéa 214(3)f) de la Loi deviendrait futile.

 

[44]        La présomption contre les dispositions législatives inutiles est un principe établi de longue date en droit canadien. En 1949, la Chambre des lords a affirmé ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

[…] il y a lieu d’observer que, bien que le législateur soit, tout comme les parlementaires, capable de dire la même chose deux fois sans ajouter rien de plus à ce qu’il a déjà dit la première fois, il ne faut pas présumer une telle répétition dans le cas d’une loi adoptée par le Parlement. Lorsque le législateur insère une expression dans une loi, il faut présumer qu’il dit quelque chose qui n’avait pas encore été dit juste avant. Le principe suivant lequel il faut, dans la mesure du possible, donner un sens à chacun des mots de la loi suppose que, sauf s’il existe une bonne raison contraire, les mots ajoutent quelque chose qui n’existerait pas s’ils n’y étaient pas [24].

 

[45]        Et le juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada a écrit dans R. c. Proulx[25] :

 

[…] Suivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire. […]

 

[46]        Si on veut prendre au sérieux ce principe d’interprétation législative entériné par la Cour suprême, il est difficile de voir comment la Cour pourrait entériner une interprétation qui rendrait l’alinéa 214(3)f) de la Loi complètement superflu.

 

[47]        Il est indiqué ce qui suit dans le commentaire de McCarthy Tétrault au sujet de la fonction de l’alinéa 214(3)f) de la Loi :

 

[TRADUCTION]

Revenus d’une fiducie (alinéas 214(3)f) et f.1))

 

Plusieurs dispositions de la partie XIII traitent de l’imposition de retenues d’impôt des non-résidents relatives aux revenus d’une fiducie. Voir l’alinéa 212(1)c) et les paragraphes 212(9), (10) et (11). L’alinéa 214(3)f) traite en particulier de la détermination du moment où le revenu d’une fiducie doit être considéré comme ayant été payé ou crédité à un bénéficiaire non-résident. Cette disposition énonce que, lorsque le paragraphe 104(13) exigerait qu’un montant payable par une fiducie au cours d’une année d’imposition donnée soit inclus dans le calcul du revenu d’un bénéficiaire non-résident, le montant est réputé avoir été payé ou crédité le jour où il a effectivement été payé ou crédité ou le jour qui suit de 90 jours la fin de l’année d’imposition, et non à un moment ultérieur où le montant a été effectivement payé ou crédité. Ainsi, à moins que le montant payable par la fiducie au bénéficiaire non‑résident ait déjà été payé, un délai de grâce de 90 jours est ajouté à la fin de l’année d’imposition au cours de laquelle le montant est devenu payable[26].

 

[48]        Si l’interprétation que préconise l’intimée était admise, ce délai de grâce de 90 jours serait défalqué judiciairement de la Loi.

 

[49]        La structure des dispositions de la Loi porte à croire que le législateur a voulu que certaines conséquences fiscales naissent au moment de la création de l’obligation de la fiducie de payer un montant à un bénéficiaire et que d’autres conséquences fiscales naissent au moment où l’obligation est effectivement exécutée et des fonds quittent la fiducie (en particulier dans le cas des bénéficiaires non-résidents). J’avancerais que le paragraphe 104(13) de la Loi vise le moment où l’obligation de payer un bénéficiaire naît à la charge d’une fiducie, tandis que les termes « paie » et « porte au crédit » au paragraphe 212(1) de la Loi visent tous deux le moment où l’obligation est exécutée – c’est-à-dire le moment où la fiducie renonce essentiellement à la possession des fonds nécessaires pour exécuter l’obligation.

 

[50]        Le paragraphe 104(13) de la Loi attribue certaines conséquences à la création d’une obligation non conditionnelle incombant à la fiducie de payer un montant à un bénéficiaire. Ainsi, entre autres choses, le montant est inclus dans le revenu du bénéficiaire, et le montant qui est devenu payable au cours de l’année peut être déduit du revenu de la fiducie. La partie I de la Loi ne crée pas certaines conséquences fiscales applicables au moment où l’obligation est créée et d’autres conséquences fiscales, distinctes, applicables au moment où l’obligation est exécutée. Elle prévoit plutôt que le contribuable doit inclure le montant payable dans son revenu et que la fiducie peut le déduire de son revenu au même moment, soit au moment où l’obligation de payer est créée.

 

[51]        Cependant, puisque la partie I vise les bénéficiaires qui sont des résidents du Canada tandis que la partie XIII vise les bénéficiaires non-résidents, le ministre doit s’assurer de pouvoir recouvrer ce qui lui est dû de la deuxième catégorie de bénéficiaires. Le paragraphe 212(1) de la Loi impose donc une retenue d’impôt à la fiducie (résidente) au moment où les fonds quittent effectivement le pays. Ainsi, le paragraphe 104(13) de la Loi a des conséquences au moment où l’obligation est créée, tandis que le paragraphe 212(1) de la Loi créée des conséquences additionnelles au moment où l’obligation est exécutée.

 

[52]        Même si elle l’a appliqué incorrectement aux faits de l’espèce, l’intimée a reconnu ce dualisme, comme le démontre l’extrait suivant :

 

22. La Résolution a eu pour effet de créer une obligation juridique de la Fiducie à l’égard de J.J. Herbert. L’obligation se définit de la façon suivante :

 

Elle est le lien de droit, existant entre deux ou plusieurs personnes, par lequel une personne, appelée débiteur, est tenue envers une autre, appelée créancier, d’exécuter une prestation consistant à faire ou à ne pas faire quelque chose, sous peine d’une contrainte juridique.

 

23. L’exécution de l’obligation se traduira par le paiement de la somme de 2 200 003 $ lorsque J.J. Herbert en aura choisi le moment. Conséquemment, le 11 septembre 2001, la somme de 2 200 003 $ était à la disposition de J.J. Herbert[27].

 

[53]        L’intimée reconnaît que la résolution a créé une obligation à la charge de la fiducie envers le bénéficiaire. Cependant, il est curieux que l’intimée affirme seulement que le paiement du montant constituerait une exécution de l’obligation. Le paragraphe 212(1) de la Loi vise les montants soit payés, soit portés au crédit; il paraît donc curieux que l’intimée omette les montants « portés au crédit » lorsqu’elle évoque la manière dont l’obligation peut être exécutée. Il semblerait que le législateur ait envisagé deux façons dont l’obligation de payer pouvait être exécutée, et donc entraîner le départ des fonds du pays, et donc ensuite créer la nécessité de prélever un impôt de la partie XIII : le montant peut soit être payé au bénéficiaire non-résident, soit être porté à son crédit.

 

[54]        Le fait que l’intimée évoque l’un de ces modes d’exécution de l’obligation de payer mais non l’autre sème la confusion[28]. L’intimée souhaite rattacher la locution verbale « porter au crédit », au paragraphe 212(1) de la Loi, à la création d’une obligation. Cependant, en employant la locution verbale « porte au crédit » et le verbe « paie » dans la même disposition, le législateur semble avoir voulu que les deux termes visent l’exécution de l’obligation.

 

[55]        Or, les tribunaux ont clairement affirmé que les termes « porte au crédit » et « paie » ne sont pas synonymes. Dans la décision Berry c. Ministre du Revenu national de la Commission de révision de l’impôt[29], monsieur le juge Bonner a écrit ce qui suit au sujet de l’article 212 de la Loi :

 

La plaidoirie en faveur de l’appelant repose, semble-t-il, sur la présomption non avouée que l’expression « porte à son crédit », à l’article 212 de la Loi de l’impôt sur le revenu, signifie la même chose que le mot « paie » dans ce même article. À mon avis, ces mots sont plutôt distincts et, faute de preuve que les mots « ou porte à son crédit » doivent être considérés comme de trop et que l’article prévoit un impôt sur les paiements seulement, je ne vois vraiment aucune raison d’accepter cette présomption non avouée.

 

[56]        Cependant, le fait que « porté au crédit » et « payé » ne soient pas synonymes ne veut pas dire que « porté au crédit » correspond à la création de l’obligation. Comme je l’ai dit plus haut, l’argument de l’intimée aboutit à confondre les concepts de montant « porté au crédit » et de montant « payable ».

 

[57]        Chose intéressante, une interprétation plus appropriée de « crédité » a déjà été avancée par l’ARC, et il s’agit en fait de sa position de longue date :

 

5.  Les termes « crédits » et « crédité » visent toute situation où un résident du Canada ou, dans certains cas, un non-résident (voir le numéro 8 ci-dessous) a mis de côté et a inconditionnellement mis à la disposition du créancier non résidant un montant dû au non-résident, notamment :
 
a)                  lorsqu’un locataire ou un mandataire dépose une somme qui représente le paiement d’un loyer dans un compte en banque au nom d’un propriétaire non résidant; 

 

b)         lorsqu’une banque crédite des intérêts au compte d’épargne d’un non‑résident;

 

c)         lorsqu’une compagnie d’assurance ou une compagnie de fiducie dépose des prestations de pensions ou de rentes dans le compte en banque d’un non‑résident;

 

d)         lorsque le résident (ou le résident réputé) déduit le montant dû d’un montant exigible par le non-résident.

[…][30]

 

[58]        Cette interprétation de « crédité » est vraisemblablement la bonne. Les exemples fournis par l’ARC dans sa circulaire d’information sont des exemples d’exécution de l’obligation de payer. Ils correspondent à des situations où des sommes d’argent ont effectivement été mises de côté ou déposées dans un compte du bénéficiaire. Dans ces exemples, les fonds ont donc été mis inconditionnellement à la disposition du bénéficiaire. En pratique, le bénéficiaire est en « possession » des fonds.

 

[59]        Les considérations pratiques de ce genre sont de la même nature que les trois « conditions » non réalisées énumérées par l’appelant qui ont empêché le paiement du montant au bénéficiaire en 2001. Étant donné que l’appelant n’était pas effectivement en possession des fonds nécessaires, ces fonds ne pouvaient pas effectivement être payés au bénéficiaire ni portés à son crédit jusqu’à ce que les bons du Trésor aient été encaissés et les actions privilégiées aient été rachetées. Ainsi, l’appelant a raison de dire que ces mesures devaient nécessairement être prises avant que le montant puisse être payé au bénéficiaire ou porté à son crédit.

 

[60]        En outre, les exemples que donne l’ARC correspondent à des situations où c’est le débiteur qui a crédité les montants au créancier. Conformément à ce que j’ai décidé plus haut, c’est là la seule interprétation qui ne mène pas au résultat absurde où le bénéficiaire est en mesure de se créditer un montant à lui-même.

 

[61]        Je suis donc d’avis que la Cour devrait adopter la définition de « crédité » proposée par l’ARC et interpréter ce terme comme signifiant le fait de mettre inconditionnellement les fonds – au plan pratique – à la disposition du bénéficiaire en exécution de l’obligation de la fiducie de payer. Cette définition est compatible à la fois avec l’esprit de la Loi et avec la décision de principe Compagnie minière.

 

[62]        L’intimée soutient également que le paragraphe 227(5) de la Loi s’applique à l’appelant, étant donné le fait qu’il a autorisé le paiement du montant. L’avocat de l’intimée soutient que la résolution a « autorisé » le paiement du montant au bénéficiaire « ou autrement fait en sorte » que le montant lui soit payé. Cependant, cette prétention ne tient tout simplement pas la route eu égard aux faits de l’espèce. La résolution a créé l’obligation à la charge de la fiducie de payer le montant au bénéficiaire. Elle n’a pas autorisé le paiement de ce montant. Il est inexact d’affirmer qu’une résolution qui crée une obligation est la même chose qu’une résolution qui en autorise l’exécution.

 

[63]        Par conséquent, même si la Cour admettait la prétention de l’intimée selon laquelle la résolution a « porté [le montant] au crédit » du bénéficiaire (ce qui, selon moi, est inexact), il est clair que la résolution n’a pas autorisé le paiement du montant. Malheureusement pour la position de l’intimée, le paragraphe 227(5) de la Loi rend redevables de l’impôt de la partie XIII non versé seuls les fiduciaires qui ont autorisé un paiement à un bénéficiaire non-résident ou ont autrement fait en sorte qu’un tel paiement soit effectué. Contrairement au paragraphe 212(1) de la Loi, qui s’applique aux montants payés ou crédités, le paragraphe 227(5) de la Loi énonce clairement qu’il s’applique uniquement aux montants payés.

 

[64]        La maxime latine « expressio unius est exclusio alterius », aussi appelée le principe de l’exclusion implicite, pose que, lorsque le législateur fait en sorte qu’une disposition s’applique à certaines catégories mais omet d’en inclure une qu’il aurait facilement pu inclure, on peut en déduire que le législateur a entendu exclure cette catégorie du champ d’application de cette disposition. Comme l’a affirmé le juge Noël de la Cour d’appel fédérale :

 

[…] Suivant ce principe, la mention d’une chose dans une loi implique l’exclusion de l’autre (expressio unius est exclusio alterius). Selon cette maxime, si la loi assortit une règle générale d’une (ou de plusieurs) exceptions, on ne peut inclure dans cette loi des exceptions qui ne s’y trouvent pas. La raison d’être de ce principe est que le législateur a pris la peine de se pencher sur la question et qu’il a précisé les exceptions qu’il souhaitait apporter au principe général[31].

 

[65]        Il y a donc lieu de présumer que le législateur a voulu que le paragraphe 227(5) de la Loi ne s’applique pas aux situations où un fiduciaire a porté un montant au crédit d’un bénéficiaire non-résident. Le paragraphe 227(5) de la Loi s’applique aux fiduciaires qui font directement ou indirectement en sorte qu’un paiement soit fait au bénéficiaire non-résident d’une fiducie.

 

[66]        Pour ces motifs, l’appel est accueilli avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d’octobre 2011.

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de décembre 2011

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2011 CCI 476

 

NO DE DOSSIER DE LA COUR :    2009-1192(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Richard Lewin, concernant la première fiducie familiale de J. J. Herbert, et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 25 octobre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

 

Me Benoît Bourgon

Avocat de l’intimée :

Me Pascal Tétrault

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     Me Benoît Bourgon

 

                            Cabinet :               Heenan Blaikie

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Canada)

 



[1]           Paragraphe 104(6) de la Loi.

[2]           Représentations [sic] écrites de l’intimée (« REI »), paragr. 9.

[3]           REI, paragr. 16.

[4]           REI, paragr. 11.

[5]           Wenger’s Ltd. c. M.R.N., 1992 CarswellNat 400, [1992] 2 C.T.C. 2479, 92 DTC 2132, [1992] A.C.I. no 517 (QL) (« Wenger’s »).

[6]           [2001] 4 C.T.C. 2884, 2001 DTC 895, 2001 CanLII 517 (C.C.I.) (« Gillette »).

[7]           C.C.I., no 82-1953, 30 janvier 1984, 1984 CarswellNat 354, paragr. 65 et 71, [1984] C.T.C. 2408, 84 DTC 1348 (« Compagnie minière »).

[8]           Notes écrites additionnelles de l’intimée (« NAI »), datées du 27 juin 2011, paragr. 1.

[9]           Transcription de l’audience, p. 135.

[10]          REI, paragr. 15.

[11]          NAI, paragr. 2.

[12]          REI, paragr. 16.

[13]          REI, paragr. 26.

[14]          NAI paragr. 27.

[15]          Pierre‑Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les Obligations, 6e éd., 2005, Cowansville, Éditions Yvon Blais, paragr. 612 (Les Obligations).

[16]          Lemire c. Laroche, [1971] C.S. 673, AZ-71021180.

[17]          Jobin et Vézina, op. cit., note 15, paragr. 614-615.

[18]          ARC, Circulaire d’information IC82-6R8.

[19]          Réponse de l’appelant aux notes et autorités de l’intimée, datée du 14 juillet 2011, p. 6 (« RA »).

[20]          Précitée, note 5.

[21]          Comme je l’expliquerai en détail plus loin, « porte au crédit » au paragraphe 212(1) doit s’entendre de l’exécution d’une obligation, et non de la création de l’obligation ni du report de son exécution.

[22]          Il peut être soutenu que la conversion mettait à tout le moins théoriquement les fonds à la disposition de la non-résidente puisqu’au moment de la conversion, le prêt original a disparu, laissant ainsi les fonds disponibles aux fins de l’octroi du prêt de remplacement.

[23]          Précitée, note 7, paragr. 63-71.

[24]          Hill v. William Hill (Park Lane) Ld., [1949] A.C. 530, p. 546-547.

[25]          [2000] 1 R.C.S. 61, para. 28.

[26]          Canada Tax Service, vol. 15, 2011, Toronto, Carswell, p. 214-118.

[27]          NAI.

[28]          Cela est particulièrement vrai lorsque l’on considère que l’intimée reconnaît que « [l]a notion de porte à son crédit étend la portée de paie que l’on retrouve à l’article 212 de la Loi de l’impôt sur le revenu» Voir NAI, paragr. 1.

[29]          C.R.I., dossier no 79-124, 27 mars 1981 à la p. 4, [1981] CTC 2253 à la p. 2255, 81 DTC 224 à la p. 226.

[30]          Agence du revenu du Canada, Circulaire d’information IC77‑16R4 – Impôt des non-résidents, datée du 11 mai 1992.

 

[31]        Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, [2005] 2 R.C.F. 654, 2004 CAF 424.

 

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