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Dossier : 2009­911(EI)

ENTRE :

A & T TIRE & WHEEL LIMITED,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JUSTIN BUNN,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

d’A & T Tire & Wheel Limited (2009­912(CPP)),

à Toronto (Ontario), les 26 et 27 novembre 2009.

 

Devant : L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

Comparutions :

 

 

Avocate de l’appelante :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocat de l’intimé :

Me Thang Trieu

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui­même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci­joints.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 24e jour de décembre 2009.

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mars 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

Dossier : 2009­912(CPP)

ENTRE :

A & T TIRE & WHEEL LIMITED,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JUSTIN BUNN,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

d’A & T Tire & Wheel Limited (2009­911(EI)),

à Toronto (Ontario), les 26 et 27 novembre 2009.

 

Devant : L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

Comparutions :

 

 

Avocate de l’appelante :

Me Leigh Somerville Taylor

Avocat de l’intimé :

Me Thang Trieu

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui­même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci­joints.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 24e jour de décembre 2009.

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mars 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 640

Date : 20091224 

Dossiers : 2009­911(EI)

2009­912(CPP)

ENTRE :

A & T TIRE & WHEEL LIMITED,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

JUSTIN BUNN,

intervenant.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Weisman

 

[1]     Lorsqu’il était âgé de 18 ans, Justin Bunn (« M. Bunn ») a abandonné ses études à l’école secondaire et a commencé à travailler chez A & T Tire and Wheel Limited (l’« appelante »), dont les activités consistent à vendre, à installer et à réparer des roues et des pneus. M. Bunn a travaillé dans les locaux de l’appelante du 29 août 2006 jusqu’à septembre 2008. Cette relation a pris fin abruptement lorsqu’un matin M. Bunn a téléphoné aux bureaux de l’appelante pour informer cette dernière qu’il cessait de travailler pour elle.

 

[2]     L’intimé, soit le ministre du Revenu national (le « ministre »), a conclu que M. Bunn exerçait un emploi pour l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services pendant la période en cause, et il a donc établi à l’égard de l’appelante une cotisation fondée sur les cotisations d’assurance­emploi et les cotisations au titre du Régime de pensions du Canada qui n’avaient pas été versées. L’appelante interjette maintenant appel de ces cotisations parce qu’à tous les moments pertinents, M. Bunn était un entrepreneur indépendant. M. Bunn est intervenu dans la présente instance.

 

[3]     Lorsque M. Bunn s’est pour la première fois présenté au travail, il ne possédait aucune expérience antérieure dans le domaine des pneus. En réalité, il ne savait alors pas ce qu’était une clé. Des ateliers de réparation de véhicules automobiles étaient offerts à l’école secondaire, mais il a choisi de ne pas y assister. Son temps de travail a donc initialement été consacré à nettoyer l’atelier de l’appelante, à balayer les planchers, à déneiger, à peinturer les locaux, à sortir les ordures et à trier les pneus.

 

[4]     Estimant que M. Bunn était un jeune homme sympathique et travailleur, le président de l’appelante, M. Dan Smith (« M. Smith »), et le gérant de celle­ci, M. Michael Young (« M. Young »), ont décidé de lui offrir un programme de formation en cours d’emploi dans le cadre duquel il apprendrait le métier par l’observation des travailleurs expérimentés de l’appelante et par les conseils pratiques de M. Smith et de M. Young.

 

[5]     Après un mois environ, M. Bunn a suffisamment progressé pour être en mesure de polir les jantes et d’installer des pneus avec compétence sur les véhicules automobiles. En revanche, pendant ses deux années de travail chez l’appelante, on ne lui a jamais confié les tâches plus complexes, plus délicates ou plus difficiles liées aux travaux touchant les pneus montés sur des jantes chromées, les montages inversés, les pneus d’équipement lourd de chantier ou les pneus de véhicules « haut de gamme » dont le coût pouvait atteindre 5 000,00 $ chacun.

 

[6]     Pour trancher la question dont elle est saisie, la Cour doit examiner la totalité de la relation entre les parties de même que l’ensemble des éléments qui entrent dans le cadre des opérations[1]. À cette fin, la preuve en l’espèce doit être assujettie au critère dont les quatre volets ont été présentés comme des points de repère[2] par lord Wright dans l’arrêt Montreal City et ont été adoptés par le juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door. Ces quatre points de repère consistent à savoir si le payeur peut exercer un contrôle à l’égard du travailleur et, par conséquent, si le travailleur se trouve dans une position de subordination[3]; si les instruments de travail nécessaires pour permettre au travailleur d’exercer ses fonctions appartiennent à ce dernier ou au payeur; si le travailleur a une possibilité de profit; et si le travailleur court un risque de perte dans le cadre de sa relation avec le payeur.

 

Droit de contrôle

 

[7]     À cet égard, l’appelante soulève deux questions de droit, dont l’une ou l’autre pourrait éventuellement mener à la conclusion que M. Bunn était un entrepreneur indépendant pendant la période en cause. Premièrement, l’appelante allègue que M. Bunn avait le droit d’engager des aides et des assistants. Ce point est pertinent en raison des propos catégoriques tenus par le juge MacKenna dans l’arrêt Ready Mixed Concrete (South East) Ltd. v. Minister of Pensions and National Insurance[4] :

 

[TRADUCTION]

 

La liberté de faire un travail, de ses propres mains ou par l’entremise d’une autre personne, est incompatible avec un contrat de louage de services […]

 

La thèse avancée par l’appelante pose une difficulté. En effet, la preuve montre que l’appelante n’a jamais communiqué ce supposé droit à M. Bunn, que ce droit ne faisait pas partie du contrat définissant leur relation de travail et qu’il était de toute manière fantaisiste puisque M. Bunn n’aurait guère pu se permettre d’engager des assistants compte tenu de la maigre rémunération de 8,00 $ à 10,00 $ l’heure qu’il recevait pour remplir ses diverses tâches.

 

[8]     L’appelante soutient en second lieu que M. Bunn avait le droit de refuser les tâches qui lui étaient confiées, ce qui donnerait à penser que sa relation avec l’appelante s’apparentait à de l’indépendance plutôt qu’à de la subordination. Certains éléments de preuve établissent que M. Bunn a refusé de mettre de vieux pneus allant au rebus dans une remorque qu’il croyait contaminée par des moisissures, de travailler sur le camion à café conduit par une personne qu’il avait en aversion et d’exécuter certaines fonctions qui, selon lui, dépassaient ses compétences.

 

[9]     La Cour d’appel fédérale a rendu trois décisions qui portent sur une notion étroitement liée à la question dont je suis saisi. Tout d’abord, dans l’arrêt Precision Gutters Ltd. c. M.R.N. (« Precision Gutters »)[5], la Cour s’exprime en ces termes :

 

Selon moi, la capacité de négocier les modalités d’un contrat suppose une chance de bénéfice et un risque de perte de la même manière que permettre à une personne d’accepter ou de refuser du travail suppose une chance de bénéfice et un risque de perte.

 

[10]    Deuxièmement, dans l’affaire D & J Driveway[6], il était question de chauffeurs de camion sur appel qui étaient tout à fait libres de refuser les offres qui leur étaient faites de conduire des camions de livraison à diverses destinations éloignées. La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au sujet de l’effet juridique de ce droit :

 

De fait, les livreurs pouvaient accepter ou refuser de faire une livraison lorsqu’appelés par la demanderesse, ce qui n’est certes pas le propre d’une personne liée par un contrat de travail[7].

 

Elle ajoute :

 

Nous croyons qu’il est légalement erroné de conclure à l’existence d’un lien de subordination et, en conséquence, à l’existence d’un contrat de travail, lorsque la relation entre les parties consiste en des appels sporadiques aux services de personnes qui ne sont aucunement tenues de les pourvoir et peuvent les refuser à leur guise[8].

 

[11]    Enfin, dans l’arrêt Le Livreur Plus[9], la Cour d’appel fédérale tient les propos suivants :

 

Ce sont là, avec la faculté de refuser ou d’accepter des offres de services, des facteurs que cette Cour a retenus comme indices d’un contrat d’entreprise ou de services plutôt que de travail.

 

[12]    Cette jurisprudence ne permet toutefois pas de trancher la question de savoir si les principes qui y sont énoncés s’appliquent également aux affaires où le travailleur accepte une relation de travail avec le payeur, mais refuse de remplir une tâche dans le cadre de cette relation, bien qu’il ait été dûment requis de le faire. À cet égard, deux décisions pertinentes ont été portées à mon attention. Dans la décision 821743 Ontario Inc. (exerçant ses activités sous le nom de Silencieux Midas) c. M.R.N.[10], la Cour avait à se prononcer sur la situation de mécaniciens auxquels on avait donné le choix d’être des entrepreneurs indépendants ou des employés. Ces mécaniciens avaient la possibilité de travailler ailleurs et d’emporter leurs outils à cette fin. Ils fixaient leurs propres horaires, décidaient de la charge de travail dont ils voulaient s’acquitter et, point important en l’occurrence, avaient le droit de ne pas travailler pour certains clients, s’ils le souhaitaient. Malheureusement, cette affaire n’est pas particulièrement utile puisque la Cour a conclu que les mécaniciens étaient des entrepreneurs indépendants en raison de l’intention commune manifeste des parties d’établir une relation de cette nature, d’une part, et parce qu’elle doutait de la crédibilité du payeur, d’autre part.

 

[13]    Le fait que les mécaniciens avaient le droit de ne pas travailleur pour certains clients, à leur gré, ne semble pas faire partie de la ratio decidendi de la Cour. En outre, ces mécaniciens itinérants, qui étaient libres de travailler pour d’autres à l’occasion puis de retourner chez l’appelante, avaient une relation de travail considérablement différente avec leur payeur de celle qu’avait M. Bunn en l’espèce, lequel avait été engagé sans interruption par l’appelante pendant plus de deux ans.

 

[14]    À mon avis, le travailleur qui refuse de remplir une tâche qui lui est confiée dans le cadre d’une relation de travail se distingue du travailleur qui, en premier lieu, refuse une offre de relation de travail. Cette dernière relation dénote une situation d’indépendance tandis que la première relation évoque l’arrêt fréquemment cité Hennick c. M.R.N. (« Hennick »)[11]. Cette affaire intéresse une enseignante du Royal Conservatory of Music (le « Conservatoire ») qui était éprise de liberté et qui exécutait son travail sans égard ou considération pour la structure créée par le Conservatoire. En particulier, elle n’avait pas satisfait aux exigences minimales relatives à l’enseignement stipulées dans la convention collective applicable.

 

[15]    Le juge présidant l’instruction a conclu que l’enseignante était un entrepreneur indépendant parce que le Conservatoire n’exerçait pas de contrôle sur elle. Lorsqu’elle a infirmé cette décision, la Cour d’appel fédérale a mentionné ce qui suit :

 

[…] c’est le droit d’exercer un contrôle et non pas l’exercice réel de pareil contrôle qui est pertinent[12].

 

Plus important encore, la Cour d’appel est également arrivée à la conclusion suivante :

 

Il est évident que la situation d’une personne ne peut pas dépendre de son caractère en tant qu’individu. Il faut adopter un critère objectif, qui est fonction des faits de chaque affaire, les facteurs pertinents devant être soupesés[13].

 

[16]    Je conclus que, dès lors qu’une relation de travail intervient entre les intéressés, les questions liées au contrôle qui se présentent dans le cadre de cette relation, comme le refus du travailleur de remplir une tâche qui lui est confiée, ne permettent pas de déterminer si ce travailleur est un entrepreneur indépendant. Le travailleur insubordonné peut néanmoins se trouver dans une relation de subalterne avec la personne qui le paye.

 

[17]    Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que M. Bunn jouissait du droit de refus allégué. Il nie l’allégation relative au camion à café et il a fait preuve de prudence lorsqu’il a refusé de mettre sa santé en danger en travaillant dans un milieu contaminé par les moisissures. En outre, M. Smith a reconnu qu’il n’aurait pas permis à M. Bunn de tenter d’effectuer des tâches pour lesquelles il n’était pas qualifié. Enfin, lorsqu’on lui a demandé ce qui se passerait si on lui confiait une tâche et que, comme Melville dans Bartleby, il répondait simplement « j’aimerais mieux pas », M. Bunn a déclaré : [TRADUCTION] « Si je me contentais de refuser, je serais probablement congédié ».

 

[18]    En ce qui concerne le droit d’exercer un contrôle, M. Smith, qui devait s’occuper d’autres intérêts commerciaux à ce moment, a retenu les services de M. Young à titre de directeur général des activités de l’appelante [TRADUCTION] « pour qu’il veille à ce que tout soit fait conformément à mes volontés », ce qui signifiait d’une façon sûre et correcte [TRADUCTION] « de manière à éviter les événements fâcheux qu’occasionne le manque de surveillance ». Le credo de M. Smith, [TRADUCTION] « Si ce n’est pas assez bon pour l’automobile de votre mère, ce n’est pas assez bon pour celle du client », illustre les normes rigoureuses que ses travailleurs devaient respecter.

 

[19]    L’analyse qui précède me convainc que M. Smith et M. Young pouvaient diriger et contrôler à la fois les tâches qu’entreprenait le jeune M. Bunn et la façon dont il s’en acquittait[14].

 

[20]    En résumé, je conclus que M. Bunn n’était pas un travailleur hautement qualifié ou spécialisé; que l’appelante avait le droit de diriger et de contrôler non seulement ce que faisait M. Bunn, mais aussi comment il le faisait; que M. Bunn était un subalterne chez l’appelante; que, si M. Bunn refusait d’accomplir une tâche dans le cadre de sa relation de travail avec l’appelante, il serait congédié; et qu’il n’y avait aucune entente entre les parties l’autorisant à engager des assistants. Le point de repère relatif au contrôle donne donc à penser que M. Bunn était un employé.

 

Propriété des instruments de travail

 

[21]    Le second point de repère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door touche à la propriété des instruments de travail. Dans son témoignage, M. Smith a affirmé que M. Bunn possédait les outils dont les réparateurs/monteurs de pneus sont habituellement propriétaires, à savoir un manomètre pour pneus et une jauge de profondeur. Il a en outre ajouté qu’on incitait tous les travailleurs à emporter leurs propres outils afin qu’ils cessent d’endommager ou de perdre ceux de l’appelante. En revanche, il a reconnu que les clients faisaient la queue dès 8 h, à l’ouverture de l’atelier, et que, lorsque cela était nécessaire, l’appelante fournissait tous les outils requis puisque [TRADUCTION] « le travail devait être fait ». M. Bunn a déclaré avec crédibilité qu’il n’était propriétaire d’aucun outil, hormis ses chaussures de sécurité, et que tous les outils qu’il utilisait étaient dûment fournis par l’appelante. Le facteur relatif aux instruments de travail donne donc à penser que Justin était un employé.

 

Possibilité de profit

 

[22]    Comme il est mentionné plus haut, M. Bunn était payé selon un taux horaire. Ce taux augmentait au même rythme que sa compétence. Il avait été question de lui confier un jour la responsabilité d’une division des ventes de pneus d’occasion que l’appelante projetait de mettre sur pied. L’avocate de l’appelante a soutenu que toutes ces possibilités de gains accrus et d’avancement constituaient une possibilité de profit. À mon avis, toutefois, les employés sont tous également visés par ce genre d’incitatifs précis. De plus, dans l’arrêt Hennick[15], la Cour d’appel fédérale a signalé que les profits réalisés par l’entreprise appartenaient à l’appelante. L’occasion pour M. Bunn d’accroître ses gains en travaillant de plus longues heures ou en obtenant une augmentation de salaire ne constitue pas une possibilité de profit.

 

[23]    Monsieur Smith avait l’impression que M. Bunn se servait des locaux et du matériel de l’appelante afin d’exploiter une entreprise pour son propre compte après les heures de travail. Cependant, il ressort de la preuve que M. Bunn ne faisait qu’effectuer gratuitement de petites réparations de pneus pour quelques amis et parents. Le point de repère relatif à la possibilité de profit joue donc en faveur de la conclusion voulant que M. Bunn ait été un employé pendant la période en cause.

 

Risque de perte

 

[24]    Monsieur Bunn devait acheter ses propres chaussures de sécurité et il était en outre financièrement responsable des dommages causés au travail par sa faute ou sa négligence. Il devait corriger ses erreurs pendant son temps libre, mais l’appelante fournissait toutes les pièces nécessaires. En réalité, durant toute la période où M. Bunn a travaillé chez l’appelante, soit plus de deux ans, cette dernière ne lui a jamais demandé de dédommagement au titre d’une perte, d’un dommage ou d’un défaut de ce genre. J’arrive donc à la conclusion que le risque de perte subi par M. Bunn était plus théorique que réel et que ce facteur donne également à penser qu’il exerçait un emploi au terme d’un contrat de louage de services.

 

Entière relation

 

[25]    Comme il a déjà été mentionné, les critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door ne sont que des points de repère ou des subordonnées utiles qui visent à aider les tribunaux à déterminer la véritable nature de l’entière relation entre les parties. Il faut accorder aux quatre facteurs pertinents un poids différent selon les faits particuliers de l’affaire[16]. En l’espèce, l’ensemble des quatre lignes directrices donne à penser que M. Bunn était un employé aux termes d’un contrat de louage de services pendant la période en cause. Il y a lieu d’accorder un poids accru à l’absence de possibilité de profit ou de risque de perte puisque, selon moi, ces facteurs constituent l’essence même d’une entreprise commerciale. Il faut se souvenir, par exemple, de la définition juridique d’une société de personnes, laquelle consiste en deux personnes ou plus qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Toutefois, dans l’arrêt City Water International Inc. c. M.R.N.[17], la Cour d’appel fédérale a conclu que les travailleurs visés étaient des entrepreneurs indépendants même s’ils n’avaient pas de possibilité de profit ni de risque de perte dans le cadre de leur relation de travail avec le payeur. Comme les critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door ne permettaient pas de trancher l’affaire de manière concluante, la Cour a donné effet à l’intention commune des parties.

 

[26]    Si je n’ai pas examiné l’intention des parties en l’espèce, c’est pour deux raisons : premièrement, les critères établis dans l’arrêt Wiebe Door permettent de trancher l’affaire[18] et, deuxièmement, je ne suis pas convaincu que les parties s’entendaient sur la nature de la situation de M. Bunn. Lorsqu’il a été engagé, M. Bunn ne connaissait pas la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant. Il est retourné chez lui et il a demandé à son père, un non­spécialiste, de lui expliquer cette distinction du mieux qu’il pouvait.

 

[27]    Parmi tous les éléments de preuve produits à l’audience, seuls deux faits tendaient à montrer que M. Bunn était un entrepreneur indépendant. Il devait corriger ses erreurs pendant son temps libre, comme il est précisé plus haut[19], et il pouvait négocier son taux de salaire[20].

 

[28]    Dans la présente affaire, il incombe à l’appelante de démolir les hypothèses formulées dans la réponse du ministre à l’avis d’appel[21]. L’hypothèse 10h) s’est révélée inexacte en ce que l’appelante n’offrait aucun programme de formation en bonne et due forme. M. Bunn a appris le métier en observant les autres travailleurs, en acquérant de l’expérience et en écoutant les conseils utiles que lui prodiguaient des mécaniciens plus chevronnés ainsi que M. Smith et M. Young. L’hypothèse j) est inexacte puisque la preuve permet de croire que M. Bunn jouissait d’une certaine souplesse pour son horaire de travail, même s’il existe une preuve solide du fait que les clients faisaient la queue dès 8 h avec leurs pneus défectueux et que les travailleurs devaient être présents pour les servir. L’hypothèse k) n’a pas été réfutée. Bien que les mécaniciens expérimentés aient pu s’occuper des commandes au fur et à mesure qu’elles arrivaient, je ne suis pas convaincu qu’il en allait de même pour M. Bunn. En effet, c’est M. Young qui lui disait ce qu’il devait faire en ce qui touche ses tâches relatives au nettoyage, à la peinture et au triage, et comment il devait faire le travail lorsqu’il s’agissait des pneus des clients. L’hypothèse o) a été réfutée. M. Bunn a reconnu savoir qu’il pouvait négocier son taux de salaire, mais qu’il ne s’en était pas soucié. Selon la preuve relative à l’hypothèse s), il arrivait que M. Bunn travaille plus longtemps que les heures d’ouverture habituelles pendant les périodes occupées et moins longtemps pendant les périodes calmes. La preuve n’a pas permis d’étayer l’hypothèse x). Le port de vêtements au nom de la société n’était pas obligatoire. L’hypothèse y) était inexacte. M. Bunn devait corriger ses erreurs pendant son temps libre. L’hypothèse cc) fait abstraction du fait que M. Bunn devait fournir ses propres chaussures de sécurité. Bien que l’appelante ait réussi à démolir certaines des hypothèses formulées par le ministre, celles qui subsistent suffisent amplement à étayer les conclusions de ce dernier[22].

 

[29]    J’ai examiné l’ensemble des faits avec les parties et les témoins qui ont été appelés à témoigner pour la première fois pour le compte de l’appelante et de l’intervenant et, même si de nouveaux faits ont été mis au jour, ceux­ci étayaient surtout la décision du ministre. De plus, sauf quelques exceptions mineures, rien ne donne à penser que les faits inférés ou invoqués par le ministre n’existaient pas ou ont été mal compris ou appréciés, compte tenu du contexte dans lesquels ils se sont produits. Les conclusions du ministre sont objectivement raisonnables[23]. Selon moi, Justin n’exploitait aucune entreprise pour son propre compte.

 

[30]    En conséquence, les décisions du ministre sont confirmées et les appels sont rejetés.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 24e jour de décembre 2009.

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mars 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice


 

 

RÉFÉRENCE :

2009 CCI 640

 

NOS DES DOSSIERS

DE LA COUR :

2009­911(EI) et

2009­912(CPP)

 

INTITULÉ :

A & T Tire & Wheel Limited et

Le ministre du Revenu national et

Justin Bunn

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 26 et 27 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 24 décembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Leigh Somerville Taylor

 

Avocat de l’intimé :

Me Thang Trieu

 

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui­même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Leigh Somerville Taylor

 

Richler and Tari

 

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous­procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Montreal City v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al., [1947] 1 D.L.R. 161 (CJCP), (« Montreal City »); Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., (1986) 87 D.T.C. 5025 (CAF), (« Wiebe Door »).

[2] Charbonneau c. M.R.N., [1996] A.C.F. no 1337 (CAF); Le Livreur Plus Inc. c. M.R.N., [2004] A.C.F. no 267 (CAF), (« Le Livreur Plus »). Il convient de signaler que les critères sont également qualifiés de « subordonnés utiles » dans l’arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., [1988] A.C.F. no 21 (CAF), (« Moose Jaw »), et de « points de repère » dans l’arrêt Ranger c. M.R.N., [1997] A.C.F. no 891 (CAF).

[3] Vulcain Alarme Inc. c. M.R.N., [1999] A.C.F. no 749 (CAF); D & J Driveway Inc. c. M.R.N., [2003] A.C.F. no 1784, (« D & J Driveway »); Le Livreur Plus, précité.

[4] [1968] 1 All E.R. 433 (Q.B.Q.).

[5] [2002] A.C.F. no 771, au paragraphe 27.

[6] Précité.

[7] Ibid., au paragraphe 11.

[8] Ibid., au paragraphe 15.

[9] Précité, au paragraphe 41.

[10] [2003] A.C.I. no 166 (CCI).

[11] [1995] A.C.F. no 294 (CAF).

[12] Ibid., au paragraphe 7.

[13] Ibid., au paragraphe 12.

[14] Logitek Technology Ltd. c. M.R.N., [2008] A.C.I. no 309.

[15] Précité.

[16] Moose Jaw, précité; Hennick, précité; Precision Gutters, précité.

[17] 2006 CAF 350.

[18] Kilbride c. Canada, [2008] A.C.F. no 1524 (CAF).

[19] Precision Gutters, précité; Tremblay c. M.R.N., [2004] A.C.F. no 802 (CAF), au paragraphe 44.

[20] Precision Gutters, précité.

[21] Johnston c. M.R.N., [1948] R.C.S. 486.

[22] Jencan Limited c. M.R.N., [1997] A.C.F. no 876 (CAF).

[23] Légaré c. M.R.N., [1999] A.C.F. no 878 (CAF); Pérusse c. M.R.N., [2000] A.C.F. no 310 (CAF).

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