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Dossier : 2012-1011(IT)G

ENTRE :

Jack Custodio,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 25 avril 2017, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Sylvain Ouimet


Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Jacques Plante

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Desgens

 

JUGEMENT

  L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli, avec dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2018.

« Sylvain Ouimet »

Juge Ouimet

 


Référence : 2018 CCI 47

Date : 20180315

Dossier : 2012-1011(IT)G

ENTRE :

Jack Custodio,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Ouimet

I. Introduction

[1]  Monsieur Jack Custodio (« M. Custodio ») interjette appel d’une cotisation, établie par le ministre du Revenu national (« ministre ») le 17 septembre 2010 en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). L’avis de cotisation porte le numéro 1153783.

[2]  Selon l’intimée, durant les années d’imposition 2007, 2008 et 2009, M. Custodio était un administrateur de la société 3698769 Canada inc. et celle-ci aurait omis de remettre au receveur général du Canada la somme de 41 193,30 $ [1] . Cette somme représenterait des montants que 3698769 Canada inc. était tenue de retenir sur les salaires de ses employés au titre de l’impôt et de cotisations d’assurance‑emploi ainsi que les pénalités et les intérêts applicables. Par conséquent, une cotisation a été établie à l’égard de M. Custodio pour cette somme.

[3]  M. Custodio et Monsieur Keith Findlay ont témoigné pour l’appelant lors de l’audience.

[4]  Monsieur Stephen Thibault, un agent de cas complexes à l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), a témoigné pour l’intimée lors de l’audience.

II. Question en litige

[5]  La question en litige est la suivante :

1.  Est-ce à bon droit que le ministre a tenu M. Custodio, en tant qu’administrateur de 3698769 Canada inc., solidairement responsable avec cette dernière du paiement de la somme de 41 193,30 $?

[6]  Afin de répondre à cette question, je devrai répondre en premier lieu aux deux questions suivantes :

1.  Est-ce que les conditions préalables afin que la responsabilité de M. Custodio soit engagée ont été remplies?

2.  Est-ce que M. Custodio a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables afin de prévenir l’omission de 3698769 Canada inc. de verser la somme de 41 193,30 $ ?

III. Les dispositions législatives pertinentes

[7]  Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :

Loi de l'impôt sur le revenu

Paiement de l’impôt

153 (1) Retenue — Toute personne qui verse au cours d’une année d’imposition l’un des montants suivants :

a) un traitement, un salaire ou autre rémunération, à l’exception des sommes suivantes :

(i) une somme visée au paragraphe 212(5.1),

(ii) une somme qu’un employeur verse à un employé à un moment où l’employeur est un employeur non-résident admissible et l’employé est un employé non-résident admissible;

[…]

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l’impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l’année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière désignée.

[…]

227 (4) Montant détenu en fiducie — Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l’absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.

[…]

227.1 (1) Responsabilité des administrateurs pour défaut d’effectuer les retenues— Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

(2) Restrictions relatives à la responsabilité — Un administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

b) la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l’objet d’une dissolution et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution;

c) la société a fait une cession ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l’ordonnance de faillite.

(3) [Défense de « diligence »] — Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[…]

248 (1) Définitions — Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« personne » Sont comprises parmi les personnes tant les sociétés que les entités exonérées de l’impôt prévu à la partie I sur tout ou partie de leur revenu imposable par l’effet du paragraphe 149(1), ainsi que les héritiers, liquidateurs de succession, exécuteurs testamentaires, administrateurs ou autres représentants légaux d’une personne, selon la loi de la partie du Canada visée par le contexte. La notion est visée dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis.

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Loi sur assurance emploi

Paiement des cotisations

82 (1) Retenue et paiement des cotisations — L’employeur qui paie une rétribution à une personne exerçant à son service un emploi assurable est tenu de retenir sur cette rétribution, au titre de la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l’article 67 pour toute période à l’égard de laquelle cette rétribution est payée, un montant déterminé conformément à une mesure d’ordre réglementaire et de le verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de l’article 68, au moment et de la manière prévus par règlement.

[…]

 (1) Responsabilité des administrateurs — Dans les cas où un employeur qui est une personne morale omet de verser ou de déduire un montant de la manière et au moment prévus au paragraphe 82(1), les administrateurs de la personne morale au moment de l’omission et la personne morale sont solidairement responsables envers Sa Majesté de ce montant ainsi que des intérêts et pénalités qui s’y rapportent.

(2) Application de la Loi de l’impôt sur le revenu  Les paragraphes 227.1(2) à (7) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à l’administrateur de la personne morale.

IV. Les faits

A. Contexte

[8]  Après ses études universitaires, M. Custodio a démarré une entreprise sous le nom d’AFS Services informatiques (« AFS »). Durant cette période, il a fait la connaissance de monsieur Balazs Magyar (« M. Magyar »), qui était un administrateur d’une société de transport qui est devenue Transport Brymag inc. (« Brymag»). M. Custodio a offert à M. Magyar de rendre à Brymag des services informatiques et comptables par l’entremise d’AFS. M. Magyar a accepté l’offre de M. Custodio. À partir de ce moment, Brymag est devenue l’unique cliente d’AFS et M. Custodio, qui était le seul employé d’AFS, travaillait à partir des locaux de Brymag.

[9]  De 1998 à 2005, M. Custodio s’occupait de la gestion des différents logiciels utilisés par Brymag ainsi que de sa comptabilité. Vers le début des années 2000, Brymag a pris de l’expansion et M. Magyar a décidé de fractionner Brymag en plusieurs sociétés. Les nouvelles sociétés ainsi créées sont devenues des divisions au sein du groupe Brymag. La société 3698769 Canada inc. était l’une de ces sociétés. Les activités de 3698769 Canada inc. étaient liées à l’entreposage de marchandises.

[10]  Selon le témoignage de M. Custodio, M. Magyar lui a demandé lors d’une visite chez son avocat de devenir le président de 3698769 Canada inc. et de signer certains documents à cette fin. Aux dires de M. Custodio, ceci avait pour but, entre autres, d’éviter aux sociétés de M. Magyar certaines contraintes liées à la Commission de la Santé et de la Sécurité du travail. M. Custodio était dans une position difficile étant donné que Brymag était l’unique client d’AFS depuis plusieurs années. De plus, un lien de confiance s’était établi avec M. Magyar au fil des ans. Par conséquent, M. Custodio a mentionné dans son témoignage qu’il ne pouvait pas vraiment « dire non » à M. Magyar et il est ainsi devenu le président de 3698769 Canada inc. Pour les mêmes raisons, M. Custodio a également accepté, sans en comprendre la portée, d’agir à titre d’administrateur de 3698769 Canada inc.

[11]  Bien qu’il fût le président et administrateur de 3698769 Canada inc., M. Custodio a mentionné n’avoir jamais agi à ce titre. Il n’a jamais été impliqué dans la prise des décisions reliées aux activités commerciales de 3698769 Canada inc. En fait, à compter de la constitution en société de 3698769 Canada inc., en novembre 2000, mis à part ses tâches reliées aux besoins informatiques de la société, M. Custodio n’était responsable que de la gestion des finances de 3698769 Canada inc. M. Custodio a dit avoir toujours utilisé les services d’un cabinet comptable afin de vérifier l’exactitude de l’information contenue dans les documents devant être envoyés à l’ARC.

[12]  En 2005, le fils de M. Magyar, Bryan Magyar, a terminé ses études universitaires en finance. À partir de ce moment, ce dernier a remplacé M. Custodio en tant que responsable de la gestion des finances et de la comptabilité de 3698769 Canada inc. Il a, entre autres, pris en charge les comptes client de la société, la production des déclarations de taxe sur les produits et services de la société, ainsi que les retenues devant être effectuées sur les salaires des employés de la société. Quant à M. Custodio, il a continué à s’occuper de certaines tâches non reliées aux finances et à la comptabilité de la société, ainsi que des tâches reliées aux besoins informatiques de la société. M. Custodio n’a pas démissionné de son poste d’administrateur de la société.

[13]  À partir de ce moment, étant donné que Bryan Magyar était également responsable de la gestion des finances de certaines autres sociétés du groupe Brymag et qu’il détenait un diplôme universitaire en finance, M. Custodio s’est entièrement fié à lui et il ne vérifiait donc pas le travail que celui-ci faisait relativement aux finances et à la comptabilité de 3698769 Canada inc. M. Custodio a présumé que Bryan Magyar avait également engagé un comptable afin de s’assurer de l’exactitude de l’information se trouvant dans les documents devant être transmis par la société à l’ARC.

[14]  Cependant, étant donné que la signature de deux personnes était requise sur les chèques émanant de la société, M. Custodio en a signé quelque uns. En ce qui concerne la déclaration de revenus T2 de 3698769 Canada inc. pour l’exercice terminé le 31 janvier 2008, c’est M. Custodio qui l’a signée, le 11 mars 2009.

[15]  De 2005 à 2009, M. Custodio n’a jamais été contacté par les autorités fiscales concernant 3698769 Canada inc., car celles-ci communiquaient avec Bryan Magyar. Au mois d’août 2009, M. Custodio a appris de la direction de 3698769 Canada inc. que la société avait une dette envers l’ARC. Il a été informé au même moment que des arrangements avaient été pris avec l’ARC en vertu desquels la société verserait mensuellement 5 000 $ jusqu’à ce que la dette soit remboursée.

[16]  Brymag a fait faillite en novembre 2009. N’ayant plus de marchandise à entreposer, 3698769 Canada inc. a également fait faillite par la suite.

V. Analyse

A. Contexte législatif

[17]  En vertu de l'alinéa 153(1)a) de la LIR, une société doit effectuer des retenues d'impôt à la source sur les salaires et verser ces retenues au receveur général du Canada. Le paragraphe 227.1(1) de la LIR prévoit que les administrateurs d'une société qui a omis d'effectuer les retenues prévues au paragraphe 153(1) de la LIR ou de les verser sont solidairement responsables avec la société du paiement de sommes équivalentes à ces retenues, ainsi que des intérêts et pénalités s’y rapportant.

[18]  En vertu du paragraphe 82(1) de la Loi sur l’assurance emploi (« LAE »), une société qui paie un salaire à une personne exerçant à son service un emploi assurable est tenue de retenir sur ce salaire, au titre de la cotisation d’assurance emploi, une somme déterminée et de verser cette somme ainsi que la cotisation patronale correspondante au receveur général du Canada. En vertu du paragraphe 83(1) de la LAE, si une société omet de verser ou de déduire une somme conformément au paragraphe 82(1) de la LAE, les administrateurs de la société au moment de l’omission et la société sont solidairement responsables de cette somme ainsi que des intérêts et pénalités qui s’y rapportent. En vertu du paragraphe 83(2) de la LAE, les paragraphes 227.1(2) à (7) de la LIR s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à l’administrateur d’une société qui a omis de verser ou de déduire une somme conformément au paragraphe 82(1) de la LAE.

[19]  Les paragraphes 227.1(2) et (3) de la LIR établissent certaines restrictions à la responsabilité d’un administrateur d’une société prévue au paragraphe 227.1(1) de la LIR.

B. Est-ce que les conditions préalables prévues au paragraphe 227.1(2) de la LIR afin que la responsabilité de M. Custodio soit engagée ont été remplies?

[20]  Dans la présente affaire, l’avocat de l’appelant a soutenu que l’intimée avait le fardeau de prouver que l’une des conditions énumérées au paragraphe 227.1(2) de la LIR a été remplie. En l’espèce, il a soutenu que l’intimée n’a pas prouvé que la condition se retrouvant à l’alinéa 227.1(2)a) de la LIR a été rencontrée. En vertu de cet alinéa, un certificat précisant la somme pour laquelle une société est responsable doit avoir été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 de la LIR. De plus, il doit y avoir eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme. Or, selon l’avocat de l’appelant, l’intimée n’a pas fait la preuve qu’un tel certificat a été enregistré à la Cour fédérale.

[21]  L’avocate de l’intimée n’a pas nié ne pas avoir présenté de preuve afin de démontrer qu’une des conditions se retrouvant au paragraphe 227.1(2) de la LIR avait été remplie. L’avocate a cependant fait valoir, dans ses notes écrites, que l’intimée n’était pas tenue de faire cette preuve. En fait, selon elle, en vertu des décisions de la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Naguib [2] et Dicosmo [3] , l’intimée n’était pas tenue d’en faire la preuve puisqu’aucune allégation à cet effet n’a été formulée dans l’avis d’appel « re‑modifié » de l’appelant. L’avocate a soutenu que, puisque l’appelant n’a pas allégué dans son avis d’appel « re‑modifié » qu’un certificat n’avait pas été enregistré à la Cour fédérale, l’intimée n’avait pas à faire la preuve qu’un tel certificat a été enregistré. De plus, elle a affirmé avoir été prise « par surprise », car cette allégation a été faite pour la première fois lors de l’audience, après que la présentation de l’ensemble de la preuve de l’intimée fût terminée. Pour ces motifs, l’intimée soutient donc qu’elle n’avait pas à faire la preuve qu’un certificat a été enregistré à la Cour fédérale.

[22]  En vertu du paragraphe 227.1(2) de la LIR, un administrateur d’une société ne peut être tenu solidairement responsable avec cette société que dans l’un ou l’autre des cas suivants :

  1. Si un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 de la LIR et, s’il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme [4] ;

  2. Si la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l’objet d’une dissolution et, si l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité a été établie dans les six mois suivants le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution [5] ;

  3. Si la société a fait une cession ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et, si l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l’ordonnance de faillite [6] .

[23]  Les trois cas énumérés au paragraphe 227.1(2) de la LIR sont des conditions préalables afin que la responsabilité d’un administrateur puisse être engagée en vertu du paragraphe 227.1(1) de la LIR. Ceci a d’ailleurs été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McKinnon [7] , et par notre Cour dans les décisions Walsh [8] et Savoy [9] . À ce sujet, dans l’arrêt McKinnon [10] , la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit :

Que les administrateurs aient fait preuve ou non de diligence raisonnable pour prévenir le défaut [de verser les retenues à la source] est à la fois un point de droit et un point de fait. Sur le plan juridique, la responsabilité d'un administrateur en cas de défaut de versement des retenues à la source et de la TPS ne se cristallise qu'une fois que les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) auront été réunies. Qui plus est, si les sommes dues sont par la suite intégralement réglées, même tardivement, ces administrateurs ne seront pas tenus responsables du défaut par la compagnie de les verser en premier lieu. [11]

  [Je souligne.]

[24]  Dans l’arrêt Sarmadi [12] , le juge Webb de la Cour d’appel fédérale, dans ses motifs concordants, a résumé ainsi le fardeau de la preuve qui incombe à un contribuable lors d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt:

[Traduction]

À mon avis, il incombe au contribuable de prouver par une preuve prépondérante, en ce qui concerne les faits qui sont contestés :

a) de tels faits qui sont allégués par le contribuable dans son avis d’appel ;

b) sauf certaines exceptions, l’inexactitude de tels faits présumés par le ministre en établissant la cotisation à l’égard du contribuable. [13]

[25]  Donc, c’est au contribuable de prouver, par une preuve prépondérante, que les faits présumés par le ministre et sur lesquels est basée la cotisation sont inexacts. Il y a cependant des exceptions. Le juge Webb a mentionné deux exceptions au paragraphe 36 de ses motifs dans l’arrêt Sarmadi [14] , et elles sont les suivantes :

[Traduction]

36  Dans l’arrêt Anchor Pointe au par. 36, on fait remarquer également que, si les faits présumés « relèvent de la connaissance exclusive ou particulière du ministre », cette règle générale ne s’appliquera pas. En outre, si le ministre allègue un fait qui n’est pas compris dans les faits présumés par lui pour établir une cotisation à l’égard d’un contribuable ou pour confirmer une cotisation, le ministre aura le fardeau de la preuve relativement à un tel fait (Loewen, au par. 11). [15]

[26]  Il existe aussi d’autres exceptions. Notre Cour a déterminé dans la décision Walsh [16] que puisqu’en vertu du paragraphe 227.1(1) de la LIR, le pouvoir du ministre d’établir une cotisation à l’égard d’un administrateur d’une société est soumis au respect de conditions énoncées au paragraphe 227.1(2) de la LIR, ceci a pour effet de faire porter au ministre le fardeau de la preuve quant au respect desdites conditions. Le passage pertinent de cette décision est le suivant :

[27] L’objet de l’alinéa 227.1(2)a) est d’exiger que le ministre épuise ses recours contre la société contribuable en matière de recouvrement avant de lui permettre de se prévaloir du recours extraordinaire qu’est l’établissement d’une cotisation à l’égard d’un tiers, à savoir son administrateur, au titre des retenues à la source non versées de la société. Bien que le paragraphe 227(10) prévoie que le ministre « peut, en tout temps, établir une cotisation pour [...] un montant payable [...] en vertu [de l’article] 227.1 », ce pouvoir général d’établir une cotisation est néanmoins subordonné au respect des conditions énoncées à l’alinéa 227.1(2)a). Ainsi, l’alinéa 227.1(2)a) est semblable au sous-alinéa 152(4)a)(i), lequel, en résumé, limite le pouvoir du ministre d’établir une cotisation après la période normale de nouvelle cotisation aux circonstances dans lesquelles les actes du contribuable équivalent à une présentation erronée. Bien que le sous-alinéa 152(4)a)(i) n’indique rien en ce qui concerne la charge de la preuve et le mode de preuve, il est établi, dans la jurisprudence, que l’établissement de conditions à l’exercice du pouvoir du ministre d’établir une cotisation a pour effet de faire porter au ministre le fardeau de la preuve qui, sinon, incomberait au contribuable, et que le fardeau de la preuve qui incombe au ministre en application de cette disposition est lourd.

[28] De la même façon, selon le libellé de l’alinéa 227.1(2)a), la charge de la preuve incombe au ministre, mais l’alinéa ne précise pas de quelle manière ce dernier doit prouver qu’il a respecté les conditions qui y sont énoncées. Il revient donc au tribunal de décider si le ministre s’est acquitté de son fardeau. Bien que je sois quelque peu sensible à l’argument de l’avocat de l’intimée selon lequel l’omission d’inclure la lettre du shérif dans la liste des documents de l’intimée constitue une [Traduction] «irrégularité», il me semble que la preuve du fait que le ministre a satisfait aux conditions prévues à l’alinéa 227.1(2)a) est si indispensable lorsqu’il exerce son pouvoir d’établir une cotisation en vertu du paragraphe 227(10) qu’en cas de doute à cet égard, il faut trancher en faveur du contribuable. En l’espèce, le ministre n’a produit aucune preuve établissant qu’il y a eu défaut d’exécution à l’égard du bref de saisie-exécution. Vu l’absence de preuve du fait que le ministre a satisfait aux exigences de l’alinéa 227.1(2)a), l’administrateur ne peut être tenu responsable en application du paragraphe 227.1(1) et la cotisation sur laquelle la responsabilité est fondée ne peut être considérée valide. [17]

  [Je souligne.]

[27]  Étant donné que l’intimée avait le fardeau de prouver qu’un certificat a été enregistré à la Cour fédérale, l’intimée ne peut prétendre avoir été prise « par surprise » du fait que l’appelant n’a pas allégué dans son avis appel « re‑modifié » qu’il entendait remettre en question qu’un certificat a bel et bien été enregistré. La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Brown [18] vient d’ailleurs le confirmer. Dans cette cause, le fardeau de la preuve reposait sur le ministre en vertu du paragraphe 163(3) de la LIR et le contribuable contestait la validité d’une pénalité lui ayant été imposée par le ministre en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR. Dans sa décision, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit :

[20]  Il incomberait donc au ministre, et non à M. Brown, d'établir les faits justifiant l'imposition des pénalités pour faute lourde pour 2009 et 2010 [paragraphe 163(2) LIR]. Comme les seuls documents déposés dans les présentes affaires à la Cour canadienne de l'impôt étaient les avis d'appel (et les avis d'appel modifiés) produits par M. Brown, il n'est pas manifeste et évident que le ministre réussirait à établir les faits justifiant l'imposition des pénalités pour faute lourde. Comme cette preuve incombe au ministre, M. Brown n'a aucun fait important à alléguer — puis à établir — dans ses avis d'appel. [19]

[Je souligne.]

[28]  Par conséquent, afin de pouvoir tenir M. Custodio solidairement responsable avec 3698769 Canada inc. de la somme de 41 193,30 $, l’intimée devait prouver que les conditions de l’alinéa 227.1(2)a) de la LIR ont été remplies. En l’espèce, l’intimée devait démontrer, par une preuve prépondérante, non seulement qu’un certificat précisant la somme pour laquelle la société était responsable a été enregistré à la Cour fédérale, mais aussi qu’il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de la somme non remise par la société.

[29]  Or, lors de l’audience, aucune preuve de ces faits n’a été faite par l’intimée. Cette preuve se fait normalement par le dépôt du certificat enregistré à la Cour fédérale, du bref de saisie-exécution ou du procès-verbal de carence d’un huissier. Ici, aucun de ces documents n’a été déposé en preuve.

[30]  Par conséquent, puisque l’intimée n’a pas établi, par une preuve prépondérante, que les conditions énumérées à l’alinéa 227.1(2)a) de la LIR ont été remplies, la responsabilité de M. Custodio en tant qu’administrateur de 3698769 Canada inc. ne pouvait pas être engagée quant à la somme de 41 193,30 $.

[31]  Compte tenu des conclusions que la Cour a tirées ci-dessus, il n'est pas nécessaire qu’elle se penche sur la question de savoir si l’intimée devait faire, et si elle a fait, la preuve de l’exactitude de la dette fiscale de 3698769 Canada inc. Pour le même motif, la Cour n’a pas à se pencher sur la question de savoir si l'appelant a fait preuve de la diligence raisonnable exigée par le paragraphe 227.1(3) de la LIR.

[32]  L’appel est accueilli, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2018.

 

« Sylvain Ouimet »

Juge Ouimet


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 47

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-1011(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jack Custodio c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 avril 2017

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Sylvain Ouimet

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 mars 2018

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Jacques Plante

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Desgens

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Jacques Plante

Cabinet :

Groleau Gauthier Plante, s.e.n.c.r.l.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Selon la réponse à l’avis d’appel « re-modifié », la somme était de 66 604,16 $. Au cours de l’audience, l’intimée a révisé sa position et le solde de la somme devant être remise par la société a été établi à 41 193,30 $. L’exactitude de cette somme a été confirmée par l’avocate de l’intimée dans ses notes écrites (voir les notes écrites de l’intimée, page 7, paragraphe 28).

[2] Naguib c. La Reine, 2004 CAF 40, par. 6 et 7.

[3] Dicosmo v. The Queen, 2017 FCA 60, par. 8 et 9.

[4] Alinéa 227.1(2)a) de la LIR.

[5] Alinéa 227.1(2)b) de la LIR.

[6] Alinéa 227.1(2)c) de la LIR.

[7] Canada (Procureur général) c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203 (CAF).

[8] Walsh c. La Reine, 2009 CCI 557.

[9] Savoy c. La Reine, 2011 CCI 35, par. 20 à 23.

[10] Canada (Procureur général) c. McKinnon, préc., note 7.

[11] Id., par. 76; Walsh c. La Reine, préc., note 8, par. 26.

[12] Sarmadi v. The Queen, 2017 FCA 131.

[13] Id., par. 31.

[14] Id.

[15] Id., par. 36.

[16] Walsh c. La Reine, préc., note 8.

[17] Walsh c. La Reine, préc., note 8, par 27 et 28.

[18] Brown c. Canada, 2014 CAF 301.

[19] Id., par. 20.

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