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Dossier : 2010-3531(IT)G

 

ENTRE :

 

AECON CONSTRUCTION GROUP INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Requête entendue le 15 mars 2012, à Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

 

Me Edwin G. Kroft, c.r.

Me Deborah Taze

 

Avocats de l’intimée :

Me Jasmine Sidhu

Me Perry Derksen

Me Geraldine Chen

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

          La requête de l’intimée est accueillie, avec dépens, que je fixe à 1 500 $, conformément aux motifs ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin 2012.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d’octobre 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

Référence : 2012 CCI 160

Date : 20120608

Dossier : 2010-3531(IT)G

 

ENTRE :

 

AECON CONSTRUCTION GROUP INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Angers

 

[1]             L’intimée a déposé une requête pour que soit rendue une ordonnance déclarant que Graham Farquharson, de Strathcona Mineral Services Limited, n’est pas inhabile, pour cause de conflit d’intérêts, à faire office de témoin expert pour l’intimée dans cet appel en matière d’impôt sur le revenu. Les affidavits de Graham Farquharson, de Verena Zbyrovski et d’Ali Lakhani ont été produits au soutien de la position de l’intimée, et l’appelante a produit l’affidavit de Susan Washbun au soutien de sa position.

 

[2]             La question de fond de l’appel concerne la juste valeur marchande (JVM) en 1993 de gisements miniers situés dans la région de Keno Hill – Galena Hill, près d’Elsa, au Yukon, valeur qui correspond à la somme déductible au titre de frais d’aménagement au Canada conformément à l’article 66 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L’appelante prétend, par l’intermédiaire de ses sociétés remplacées, que la JVM à l’époque se chiffrait à 32 millions de dollars, alors que l’intimée soutient qu’elle ne dépassait pas trois millions de dollars. Les deux parties appelleront des experts à témoigner pour déterminer la JVM.

 

[3]             À l’époque, l’appelante se fondait sur le rapport d’évaluation établi par un certain Ross Lawrence, du cabinet Watts, Griffis et McOuat (le cabinet Watts), daté du 17 décembre 1993. Au cours de la vérification, le cabinet Watts a établi une analyse complémentaire datée du 21 septembre 2000, qui a été soumise à l’Agence du revenu du Canada (ARC). En outre, l’appelante a aussi retenu les services d’un certain Christopher Lattanzi, de Micon International Limited, à titre d’expert additionnel. M. Lattanzi a rédigé un rapport daté de juin 2009, mais l’intimée affirme que l’appelante aurait peut‑être communiqué avec M. Lattanzi dès juin 2001.

 

[4]             L’ARC avait elle aussi sa propre analyse d’évaluation, faite par M. Gerry Martin, de la section des évaluations d’entreprise, au Bureau des services fiscaux de Calgary. M. Martin était assisté par Paul Hawkins and Associates, un cabinet d’experts‑conseils dans le domaine minier établi à Calgary, et l’analyse d’évaluation était résumée dans une note datée du 9 février 2001. Des lettres de proposition finales ont été envoyées par l’ARC à l’appelante le 1er juin 2001, puis réexaminées en octobre 2001.

 

[5]             Au 18 juin 2001, l’appelante avait communiqué avec deux experts confirmés en évaluation minière, à savoir Graham Farquharson (M. F), de Strathcona Minerals Services Limited, et William Roscoe (M. R), de Roscoe Postle and Associates. L’appelante n’a retenu les services d’aucun de ces experts, mais des renseignements leur ont été communiqués, un aspect que j’examinerai plus loin dans les présents motifs.

 

[6]             L’appelante a déposé son avis d’appel le 12 novembre 2010, ainsi qu’un avis d’appel modifié le 5 janvier 2011. L’intimée a déposé sa réponse le 4 mars 2011.

 

[7]             Au 15 avril 2011, l’intimée avait communiqué avec M. F et appris que l’appelante avait déjà communiqué avec lui. L’intimée a communiqué avec M. R en juin 2011, mais celui-ci a renoncé un mois plus tard à agir comme éventuel témoin expert pour l’intimée. M. R avait présenté une facture à l’appelante et il s’est désisté. Il a envoyé la note suivante à l’avocat de l’intimée :

 

 [traduction]

 

Le fait que nous avons reçu une reliure de documents donne à penser qu’il existait des renseignements confidentiels en plus du rapport du cabinet Watts. Le fait que nous avons présenté une facture pour notre travail donnerait certainement l’impression d’un conflit d’intérêts en ce qui nous concerne. Le personnel d’Aecon dispose sans doute de notes qui augmentent le risque d’un conflit d’intérêts.

 

[8]             L’intimée a communiqué avec l’appelante le 21 septembre 2011 pour l’informer qu’elle avait communiqué avec M. F et avec M. R. Elle affirmait que le fait que l’appelante ait communiqué avec M. F ne rendrait pas celui-ci inhabile à faire office de témoin expert. L’intimée voulait régler ce problème éventuel au moindre coût possible et avec célérité. L’appelante ne partageait pas l’avis de l’intimée et a adopté la même position en ce qui concerne M. R. C’est pourquoi l’intimée dépose cette requête.

 

[9]             Le premier souvenir de M. F en avril 2011 à propos des communications avec l’appelante était la visite d’un représentant de l’appelante avec l’avocat de l’appelante à l’époque. La rencontre devait permettre à ces derniers de s’enquérir si M. F serait disposé à participer à l’examen d’un investissement minier qui était mis en doute par l’ARC. M. F se souvient du nom du représentant, Neil Bacon, vice-président et contrôleur d’Aecon, et le nom du cabinet d’avocats Wildeboar, Rand, Thomson, Apps et Dellelce LLP lui est vaguement familier.

 

[10]        Le souvenir le plus marquant de M. F était qu’il avait informé l’appelante qu’il était peu probable que son cabinet se range à l’opinion exprimée par le cabinet Watts. Cette position s’expliquait par ses relations antérieures avec ce cabinet dans un autre litige, à savoir l’affaire Raglan.

 

[11]        Par la suite, M. F a passé en revue ses agendas et ses dossiers de correspondance. Les écritures qui s’y trouvaient indiquaient ce qui suit :

 

1.  18 juin 2001 – appel téléphonique – Neil Bacon – fiscalité – JEL

2.  19 juin 2001 – examen du dossier Keno Hill, Aecon c. ADRC

3.  20 juin 2001 – réunion– Neil Bacon – évaluation Keno Hill – ADRC

4.  22 juin 2001 – appel téléphonique– Neil Bacon – remerciements pour l’affaire Raglan

5.  11 juillet 2001 -

 

[12]        Après la réunion du 20 juin 2001, M. F a envoyé le même jour une lettre à M. Bacon. La lettre renfermait une copie de la décision Raglan Mines Ltd v. Blok-Anderson, [1993] O.J. no 727. Dans la lettre, M. F expliquait pourquoi son avis était contraire à celui du cabinet Watts. Il écrivait que le juge avait fait quelques observations intéressantes sur la valeur marchande des actions par rapport à la valeur sous-jacente des gisements miniers, ainsi que sur l’utilisation de réserves « potentielles » dans la méthode de valorisation appelée valeur actualisée des flux de trésorerie que le cabinet Watts avait appliquée. [traduction] « Cela pourrait constituer un contexte intéressant lorsque vous vous demanderez quelle approche adopter dans l’affaire dont nous avons discuté ».

 

[13]        À la dernière réunion, tenue le 11 juillet 2001, étaient à nouveau présents M. F, M. Bacon et Me Rand, qui était l’avocat de l’appelante à l’époque. Après avoir examiné sa correspondance, ses dossiers et ses agendas, M. F a écrit à l’avocat de l’intimée le 2 mai 2011 pour l’informer que son annotation [TRADUCTION] « avons refusé d’être imaginatifs » concernait sa réponse à l’invitation de Me Rand à se montrer imaginatifs dans leur réaction à la position de l’ADRC. M. F croyait que la réunion du 11 juillet 2001 avait eu pour résultat que l’appelante ne souhaitait plus discuter de cette affaire avec lui.

 

[14]        Dans sa lettre du 16 mai 2011 à l’avocat de l’intimée, en réponse à des demandes de renseignements faites plus tôt par l’avocat, M. F écrivait qu’il n’avait jamais signé un engagement ni aucune entente pour l’accomplissement d’une quelconque mission au nom de l’appelante, qu’il n’avait jamais reçu un quelconque paiement de l’appelante, qu’il ne se souvenait pas d’avoir reçu de l’appelante des renseignements précis à passer en revue, mais, vu la note figurant dans son agenda, il reconnaît qu’on avait dû, à la première réunion, lui remettre des documents à examiner, et il dit qu’il est possible qu’il s’agisse du rapport d’évaluation du cabinet Watts, mais qu’il ne peut pas s’en souvenir avec précision. Il ajoute que [TRADUCTION] « nous n’étions évidemment pas enthousiastes à l’égard des documents que nous avions examinés, quels qu’ils soient, étant donné que nous avions résolu d’envoyer à M. Bacon une copie de la décision Raglan ». Il ajoute aussi qu’aucun dossier de projet n’avait été créé dans cette affaire, qu’il ne se souvient d’aucune demande de confidentialité ni d’aucune stratégie juridique précise, si ce n’est [TRADUCTION] « qu’ils nous suggéraient d’adopter une approche avec laquelle nous n’étions pas à l’aise, et c’est pourquoi nous avons refusé d’être imaginatifs et ne comptions plus finalement entendre parler de cette affaire ».

 

[15]        Les points soulevés dans cette requête sont les suivants :

 

          a)    La question de savoir si M. F est inhabile, pour cause de conflit d’intérêts, à faire office de témoin expert devrait-elle être laissée à l’appréciation du juge du procès, ou bien ma décision sur cette requête interlocutoire peut-elle lier le juge du procès?

          b)    M. F est-il inhabile à faire office de témoin expert pour l’intimée pour cause de conflit d’intérêts?

 

[16]        Il est notoire que, avant qu’un témoignage d’expert puisse être admis, l’expert doit être dûment habilité à témoigner. C’est au juge du procès qu’il appartient d’en décider. Selon un arrêt de la Cour suprême du Canada, R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, la recevabilité d’un témoignage d’expert est un processus double. D’abord, le témoin doit être habilité sur la base des quatre critères suivants, à savoir : la pertinence, la nécessité d’aider le juge des faits, l’absence de toute règle d’exclusion et, enfin, la qualification suffisante de l’expert. Une fois entendue la preuve concernant la qualification du témoin expert, le juge doit ensuite statuer sur les domaines à propos desquels il pourra témoigner. Plus précisément, ce pourra être l’ensemble des domaines pertinents pour lesquels l’avocat voudrait que la Cour laisse le témoin s’exprimer, ou quelques-uns seulement des domaines en cause, ou encore aucun d’entre eux.

 

[17]        Cela dit, je suis d’avis que cette requête interlocutoire ne concerne pas véritablement l’habilitation préalable d’un expert, mais plutôt le refus d’une partie d’admettre que tel ou tel expert soit appelé à témoigner. Le premier genre de question requiert un examen des quatre critères de l’arrêt Mohan, par opposition à des aspects touchant un conflit d’intérêts ou une crainte de partialité. Il est tout à fait possible de régler le deuxième genre de question au moyen de requêtes interlocutoires et finalement de disposer ou non d’experts sur ce fondement, un exercice qui se distingue tout à fait du premier genre de question. Ce point de vue semble confirmé par les dispositions applicables des Règles des Cours fédérales, récemment modifiées, qui sont formulées ainsi :

 

52.5(1) La partie à une instance soulève, le plus tôt possible en cour d’instance, toute objection quant à l’habilité à témoigner du témoin expert de la partie adverse.

 

(2)     L’objection peut être soulevée, selon le cas :

 

         a)      par la signification et le dépôt d’un document contenant les détails et le fondement de l’objection ;

         b)      conformément au paragraphe 262(2) ou au sous-alinéa 263c)(i), si, à l’instruction d’une action, elle était connue avant la conférence préparatoire.

 

[18]        Cette disposition autorise une partie à faire valoir le plus tôt possible les raisons pour lesquelles tel ou tel expert devrait être déclaré inhabile à témoigner. Les principes à l’origine de cette disposition sont la réduction des coûts et des risques d’allongement du procès et, de manière générale, la rationalisation du déroulement du procès. La Cour canadienne de l’impôt s’apprête à adopter des règles semblables et, bien que l’on puisse penser que cela risque d’encourager d’autres requêtes préventives en habilitation ou en non-habilitation d’experts comme témoins, la règle susdite n’envisage que des « requêtes en non-habilitation d’experts comme témoins ». Le juge du procès conserve donc le pouvoir de déclarer un expert habile à témoigner.

 

[19]        La Cour n’est pas encore soumise à une telle règle, mais je crois que l’article 70 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) confère un pouvoir d’appréciation suffisant au juge saisi d’une requête, outre sa compétence fondamentale pour statuer sur cette affaire.

 

[20]        Par sa requête, l’intimée ne demande pas si une preuve devrait être jugée recevable ou non. Il ne s’agit pas d’une requête pour qu’il soit décidé à titre définitif si M. F peut ou non témoigner au procès. Le juge du procès dans cette affaire s’intéressera à la preuve portant sur la JVM du gisement minier. La preuve entendue dans le cadre de cette requête ne prétend nullement que l’issue de la requête lierait un juge du procès au moment de statuer sur la recevabilité de la preuve relative à la JVM, ni qu’elle pourrait lui causer des difficultés. La preuve produite ne dit rien de l’effet possible de renseignements confidentiels sur la question de la recevabilité de la preuve et ne dit pas non plus si de tels renseignements auraient un effet sur l’établissement de la JVM. À mon avis, la question soulevée par la requête n’est donc pas une question de preuve relevant exclusivement du juge du procès.

 

[21]        Lorsque l’intimée a appris que l’appelante avait déjà communiqué avec M. F, elle en a informé l’appelante. Après en avoir discuté avec M. F, l’intimée a exprimé l’avis que les communications qu’il y avait eu entre l’appelante et M. F ne rendraient pas celui-ci inhabile à faire office de témoin expert pour l’intimée. L’appelante est en désaccord avec l’intimée, et l’intimée voudrait maintenant être fixée sur cet aspect.

 

[22]        Le principal précédent portant sur la question de savoir si un expert devrait ou non être déclaré inhabile à témoigner est la décision Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 C.F. 340. Le juge O'Keefe y cite les propos tenus par la protonotaire Milczynski sur une autre requête des mêmes parties. Je reproduis ci‑après les paragraphes 19, 20 et 21 de la décision de la protonotaire, Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 C.F. 76 :

 

[traduction]

 

[19] La méthode qu'il convient d'appliquer pour établir s'il convient de récuser ou non un expert consiste à examiner les faits et les circonstances de l'espèce, ainsi que les éléments suivants :

 

-     si l'expert était conscient qu'on lui communiquait des renseignements confidentiels et que l’on s’attendait à ce que leur caractère confidentiel soit respecté;

-     la nature des renseignements confidentiels;

-     le risque de divulgation des renseignements confidentiels;

-     le risque de préjudice pour la partie qui conteste l'expert ou pour la partie qui cherche à retenir les services de l'expert contesté;

-     l'intérêt de la justice et la confiance du public dans le processus judiciaire.

 

[20] Ces principes exigent donc que la Cour cherche à concilier les intérêts de la partie qui souhaite retenir les services d'un témoin expert et ceux de la partie qui veut protéger ses renseignements confidentiels. À cet égard, l'avocat de Pharmascience signale le risque que des témoins experts soient appelés dans l'unique but de priver la partie adverse de la possibilité de faire appel à leur expertise. Ce risque a été décrit avec éloquence par lord Denning dans Harmony Shipping Co. SA c. Davis et al., [1979] 3 All ER 177 (C.A.) :

 

[traduction] Si une partie pouvait lier les mains d'un expert du simple fait qu'elle lui donnait des instructions, il serait très facile pour un riche client de consulter chacun des experts reconnus dans un domaine donné. Chacun d'eux pourrait donner une opinion défavorable à l'homme riche et, néanmoins, ce dernier pourrait dire à chacun d'eux, « Vous êtes tenu au silence et vous ne pouvez pas témoigner en cour contre moi » [...] Faut-il en conclure que si une partie a accaparé la totalité des experts, la partie adverse est empêchée de faire appel à des témoignages d'experts? Certes non [...] Un témoin expert n'appartient à personne tant en ce qui concerne les faits qu'il a observés que l’appréciation indépendante qu’il en a faite. Étant donné qu'il n'appartient à personne, le témoin a l’obligation de comparaître devant la cour et, à la demande du juge, de témoigner.

 

[21] Dans Labee c. Peters, [1996] A.J. no 809 (Cour du Banc de la Reine de l'Alberta), la Cour, après avoir examiné plusieurs précédents, a énoncé les principes suivants :

 

1.      Un témoin n'appartient à personne.

2.      Même si une partie a retenu les services d'un expert et lui a communiqué des renseignements confidentiels, une partie adverse peut néanmoins obtenir l'avis de cet expert et lui demander de témoigner au procès.

3.      Par contre, l'expert ne peut pas être interrogé sur les renseignements confidentiels que l'avocat de la partie adverse lui a communiqués, et il ne peut pas non plus divulguer une opinion qu'il a donnée à l'avocat de la partie adverse.

 

[23]        Aucune des parties à la présente requête n’a pu préciser la nature des renseignements confidentiels qui auraient pu être communiqués. L’affidavit de M. F ne dit pas s’il a en fait reçu de tels renseignements, et l’appelante n’a pas contre-interrogé M. F sur son affidavit. L’affidavit ne nous renseigne donc pas sur le risque afférent à la communication desdits renseignements ni sur le préjudice qu’une telle communication pourrait causer à l’appelante. Aucune preuve n’a été produite montrant que le fait d’autoriser l’intimée à retenir les services de M. F porterait préjudice à l’appelante.

 

[24]        Compte tenu de la preuve produite, il est impossible de conclure que M. F et l’appelante ont échangé des renseignements au point que l’on puisse affirmer que l’un ou l’autre d’entre eux comptait sur le fait que, quels que soient les renseignements en cause, ceux‑ci seraient tenus confidentiels ou seraient protégés. Les services de M. F n’ont jamais été retenus, aucun engagement ni accord de confidentialité n’a été signé, et il n’est pas établi que l’appelante ait prié M. F de ne pas évoquer l’affaire avec qui que ce soit. M. F n’a pas ouvert de dossier, n’a pas facturé de services à l’appelante et n’a reçu d’elle aucun paiement, et il n’a pas non plus été prié de fournir des services. Il me semble que les pourparlers entre M. F et l’appelante en 2001 étaient de nature informelle et n’étaient rien d’autre qu’une tentative de l’appelante de sonder M. F pour savoir s’il partageait son point de vue. Dans son affidavit, M. F ne se souvenait pas d’avoir discuté d’une stratégie juridique précise, hormis le fait d’avoir refusé d’être « imaginatif » dans une éventuelle réponse à la position de l’ARC. Il ne se souvient pas des documents qu’il a examinés, et il n’a pas non plus conservé de documents. Il a dit aussi qu’il avait déjà fait savoir à l’appelante que, compte tenu de son expérience antérieure avec le cabinet Watts, il était peu probable que l’appelante souscrirait à la méthode d’évaluation préconisée par son cabinet à lui. Il est difficile de trouver là le fondement nécessaire qui permettrait à l’appelante d’empêcher que les services de M. F soient retenus par la partie adverse et que M. F donne son opinion.

 

[25]        Je ne crois pas que les circonstances de la présente affaire compromettent l’intérêt de la justice et la confiance du public dans le processus judiciaire. Il ne s’agit pas d’un cas où un expert est incité à vendre son opinion au plus offrant quand bien même en résulterait-il une violation d’un accord de confidentialité.

 

[26]        Il est depuis longtemps admis par les tribunaux qu’un témoin n’appartient à personne (voir la décision Abbot, précitée). Un témoin expert s’exprime objectivement sur ses connaissances particulières, et les tribunaux devraient dissuader les parties de s’adonner au chalandage d’experts dans le dessein de les faire déclarer inhabiles à témoigner pour la partie adverse. Cette dernière question n’a pas été soulevée en l’espèce, mais c’est néanmoins une question qui intéresse la préservation de l’intégrité du système judiciaire.

 

[27]        L’avocat de l’appelante a fait valoir que l’intimée ne subit aucun préjudice, car elle est à même de retenir les services d’un autre expert, et il ajoute que les normes que s’est fixées l’intimée dans son choix d’experts sont trop rigoureuses. Peut-être, mais il n’appartient pas à la Cour de dire quels experts devraient être engagés par l’une ou l’autre des parties, ou de dire qu’un expert serait mieux qu’un autre dans une situation donnée. Les avocats sont maîtres de la preuve qu’ils souhaitent présenter, et il reviendra au juge du procès d’apprécier la preuve ainsi présentée.


[28]        J’arrive donc à la conclusion que M. F n’est pas inhabile pour cause de conflit d’intérêts à faire office de témoin expert pour l’intimée. L’intimée a droit aux dépens de la requête, que je fixe à 1 500 $. Les parties devaient achever les interrogatoires préalables le 30 mars 2012. Cette date est ici reportée au 28 septembre 2012, les engagements devant être remplis avant le 16 novembre 2012. Les parties doivent communiquer par écrit avec le coordonnateur des audiences au plus tard le 7 décembre 2012 pour faire savoir à la Cour si l’affaire fera l’objet d’un règlement amiable, si une conférence de médiation serait à propos ou si une date d’audience devrait être fixée. Dans ce dernier cas, les parties déposeront, au plus tard à ladite date, une demande commune de fixation des temps et lieu de l’audience, conformément à l’article 123 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin 2012.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d’octobre 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 160

 

No DE DOSSIER DE LA COUR :    2010-3531(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Aecon Construction Group Inc. et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 mars 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge François Angers

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 8 juin 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

 

 

Me Edwin G. Kroft, c.r.

Me Deborah Taze

Avocats de l’intimée :

Me Jasmine Sidhu

Me Perry Derksen

Me Geraldine Chen

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                      Noms :                        Edwin Kroft

                                                          Deborah Taze

 

                   Cabinet :                        Blake Cassels & Graydon

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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