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Dossier : 2010-2000(GST)I

ENTRE :

Giuseppe cappadoro,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 11 juin 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelant :

Me Virginie Falardeau

Avocat de l'intimée :

Me Daniel Cantin

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

        L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise dont l'avis est daté du 23 octobre 2008, est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juillet 2012.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 267

Date : 20120725

Dossier : 2010-2000(GST)I

ENTRE :

Giuseppe cappadoro,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]             Il s’agit d’un appel d’une cotisation établie en date du 23 octobre 2008 par le ministre du Revenu du Québec, agissant pour le ministre du Revenu national (ministre), à l’encontre de l’appelant pour un montant de 32 252,43 $ en application de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise (LTA). L’article 325 de la LTA se lit comme suit :

 

 (1)  Transfert entre personnes ayant un lien de dépendance La personne qui transfère un bien, directement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen, à son époux ou conjoint de fait, ou à un particulier qui l’est devenu depuis, à un particulier de moins de 18 ans ou à une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, est solidairement tenue, avec le cessionnaire, de payer en application de la présente partie le moins élevé des montants suivants :

 

a) le résultat du calcul suivant :

 

A - B

où :

 

A   représente l’excédent éventuel de la juste valeur marchande du bien au moment du transfert sur la juste valeur marchande, à ce moment, de la contrepartie payée par le cessionnaire pour le transfert du bien,

 

B   l’excédent éventuel du montant de la cotisation établie à l’égard du cessionnaire en application du paragraphe 160(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement au bien sur la somme payée par le cédant relativement à ce montant;

 

b) le total des montants représentant chacun :

 

(i) le montant dont le cédant est redevable en vertu de la présente partie pour sa période de déclaration qui comprend le moment du transfert ou pour ses périodes de déclaration antérieures,

 

(ii) les intérêts ou les pénalités dont le cédant est redevable à ce moment.

 

Toutefois, le présent paragraphe ne limite en rien la responsabilité du cédant découlant d’une autre disposition de la présente partie.

 

(1.1)  Juste valeur marchande d’un droit indivis — Pour l’application du présent article, la juste valeur marchande, à un moment donné, d’un droit indivis sur un bien, exprimé sous forme d’un droit proportionnel sur ce bien, est réputée être égale, sous réserve du paragraphe (4), à la proportion correspondante de la juste valeur marchande du bien à ce moment.

 

(2)  Cotisation — Le ministre peut établir une cotisation à l’égard d’un cessionnaire pour un montant payable en application du présent article. Dès lors, les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance.

 

(3)  Règles applicables — Dans le cas où le cédant et le cessionnaire sont solidairement responsables de tout ou partie d’une obligation du cédant en vertu de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

 

a) un paiement fait par le cessionnaire au titre de son obligation éteint d’autant l’obligation solidaire;

b) un paiement fait par le cédant au titre de son obligation n’éteint l’obligation du cessionnaire que dans la mesure où il sert à ramener l’obligation du cédant à un montant inférieur à celui dont le paragraphe (1) a rendu le cessionnaire solidairement responsable.

 

(4)  Transferts à l’époux ou au conjoint de fait — Malgré le paragraphe (1), dans le cas où un particulier transfère un bien à son époux ou conjoint de fait — dont il vit séparé au moment du transfert pour cause d’échec du mariage ou de l’union de fait au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu — en vertu d’un décret, d’une ordonnance ou d’un jugement rendu par un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit de séparation, la juste valeur marchande du bien au moment du transfert est réputée nulle pour l’application de l’alinéa (1)a). Toutefois, le présent paragraphe ne limite en rien l’obligation du cédant découlant d’une autre disposition de la présente partie.

 

(5)  Définition de « bien » — Au présent article, l’argent est assimilé à un bien.

 

[2]             Pour établir sa cotisation, le ministre s’est fondé sur les faits que l’on retrouve aux paragraphes 30 à 58 de la Réponse à l’avis d’appel qui sont reproduits ci-après :

 

ET PROCÉDANT, L’INTIMÉE EXPOSE CE QUI SUIT :

 

A)        PROCÉDURE FISCALE

 

30.       Le 23 octobre 2008, l’intimée a émis à l’endroit de l’appelant un avis de cotisation portant le numéro PM-14532 pour un montant de 32,252,43 $ et ce, en application des articles 325(2) [de la LTA] et 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, […];

 

31.       Le 28 octobre 2008, l’appelant transmettait à l’intimée un avis d’opposition, […];

 

32.       Le 19 mars 2009, la Direction des oppositions rendait une décision et ratifiait la cotisation […] émise à l’endroit de l’appelant, […];

 

33.       Le 18 juillet 2008, l’intimée avait émis à l’encontre de Carlo Cappadoro, personne ayant un lien de dépendance avec l’appelant, un avis de cotisation portant le numéro PM-14325 pour un montant de 32 818,60$, […];

 

B)        LES FAITS

 

34.       Le 12 juillet 2002, l’appelant, Giuseppe Cappadoro, et ses fils Carlo Cappadoro et Francesco Cappadoro, se portaient  acquéreurs d’un immeuble commercial portant les numéros civiques 10 000 et 10 002, avenue London à Montréal pour un prix de 295 000 $, […];

 

35.       Selon l’acte d’achat […] du 12 juillet 2002, les droits de copropriété indivise des acheteurs dans les immeubles se répartissaient comme suit :

 

-          Giuseppe Cappadoro (appelant)   2%;

-          Carlo Cappadoro :                         49%;

-          Francesco Cappadoro :                 49%

                                                TOTAL :   100%

 

Contre-lettre :

 

36.       Le 10 octobre 2002, intervenait une contre-lettre entre Giuseppe Cappadoro et ses fils Carlo et Francesco Cappadoro, […];

 

37.       La contre-lettre […] n’est pas opposable à l’intimée et ne peut constituer un moyen de défense à l’encontre de l’avis de cotisation […];

 

C)        LES CONSTRUCTIONS INTER-BÉTON INC.

 

38.       Le 22 avril 2004, Carlo Cappadoro a constitué la société Les Constructions Inter-Béton inc. (ci-après appelée « Inter-Béton ») dont il est l’administrateur et principal actionnaire, le tout tel qu’il appert d’un état des informations du Registraire des entreprises […];

 

39.       Le 28 septembre 2007, un jugement était rendu par la Cour Fédérale à l’encontre d’Inter-Béton pour un montant de 28 520,87 $ pour des montants dus en vertu le la Loi sur la taxe d’accise, […];

 

40.       Le 13 novembre 2007, un jugement était rendu par la Cour Supérieure du Québec à l’encontre d’Inter-Béton pour un montant de 135 175,33 $ pour des montants dus en vertu de la Loi sur la taxe de vente du Québec, et des retenues à la source, […];

 

41.       Inter-Béton était redevable pour des taxes dues en vertu de la Loi sur la taxe d’accise et avait été cotisée pour les périodes du 1er janvier 2006 au 21 septembre 2007, le tout tel qu’il appert de l’état de compte du 28 septembre 2007 […];

 

42.       Inter-Béton n’a pas porté en appel les jugements de la Cour Fédérale et de la Cour Supérieure ni ne s’est opposée ou portée [sic] en appel des avis de cotisation émis à son encontre;

 

43.       Carlo Cappadoro ne s’est pas opposé ou a porté en appel l’avis de cotisation […];

 

LA DONATION :

 

44.       Le 2 août 2007, Carlo Cappadoro a fait donation à l’appelant de tous ses droits dans les immeubles 10 000–10 002, avenue London à Montréal, le tout tel qu’il appert de l’acte de donation, publié le 3 août 2007 […];

 

45.       L’acte de donation […] prévoit au chapitre « special clauses », les dispositions suivantes :

 

« SPECIAL CLAUSES

 

1.      The immoveable property and all other property presently given, or that which may subsequently represent it, and the fruits and revenues arising therefrom shall be exempt from seizure for the payment of any debt whatsoever of the Donee.

 

2.      The immoveable property and all other property given, or that which may subsequently represent it, and the fruits and revenues arising therefrom shall be the private property of the Donee.”

 

La contre-lettre n’est pas opposable à l’intimée :

 

46.       La cotisation émise par l’intimée à l’encontre de l’appelant a été établie dans son rôle de percepteur et à ce titre, l’intimée doit être considérée comme un tiers de bonne foi au sens de l’article 1452 du Code civil du Québec;

 

47.       L’intimée, étant un tiers de bonne foi, l’appelant ne peut donc lui opposer la contre-lettre du 10 octobre 2002 et l’intimée est en droit de se prévaloir des dispositions de l’acte d’achat du 12 juillet 2002;

 

48.       Pour les années d’imposition 2002, 2003, 2004, 2005 et 2006, Carlo Cappadoro a déclaré dans ses propres déclarations fiscales une quote-part des revenus de location des immeubles du 10 000–10 002, avenue London à Montréal, le tout tel qu’il appert des formulaires de déclaration de revenus de location […];

 

49.       En tout temps pertinent au présent dossier, Carlo Cappadoro a représenté aux autorités fiscales qu’il était copropriétaire, administrateur et propriétaire des loyers de l’immeuble et à ce titre, il détenait un intérêt particulier dans les immeubles;

 

50.       Les prétendu[e]s ententes ayant pu découler de la contre-lettre […] du 2 octobre 2002, n’ont jamais été dévoilées aux autorités fiscales ;

 

51.       Les opérations de l’appelant et de Carlo Cappadoro doivent être qualifiées de « trompe-l’œil » en regard des droits des autorités fiscales et l’appelant ne peut maintenant réclamer une position qu’il a dissimulée et qui est contradictoire avec les gestes posés entre le 2 juillet 2002 et le 3 août 2007;

 

52.       Le 3 août 2007, Carlo Cappadoro a effectué une donation d’une quote-part d’un immeuble dans lequel il avait un intérêt véritable et ce, dans le seul but d’esquiver les mesures de perception des autorités fiscales;

 

53.       Les immeubles des 10 000–10 002, avenue London à Montréal ont fait partie du patrimoine de Carlo Cappadoro, ce qui est conforme à l’acte d’achat […];

 

54.       Carlo Cappadoro, comme copropriétaire des immeubles de l’avenue London à Montréal, a :

 

-          déclaré une quote-part de revenus;

-          réclamé des dépenses;

-          réclamé des pertes ou des bénéfices selon les résultats des opérations;

-          perçu des loyers;

-          représenté être propriétaire;

-          agi comme propriétaire;

-          posé les gestes d’une personne qui est propriétaire;

 

55.       L’appelant ne peut maintenant soutenir que la valeur des droits transférés le 2 août 2007 était nulle;

 

56.       La juste valeur marchande de la quote-part du bien cédé appartenant à Carlo Cappadoro ayant été établie à 214 424 $, l’appelant ne peut prétendre que le transfert du 2 août 2007 équivalait à une quittance libérant l’appelant;

 

57.       L’appelant et Carlo Cappadoro ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l’impôt sur le Revenu;

 

58.       À titre de cessionnaire d’un bien qui appartenait au cédant Carlo Cappadoro, lui-même débiteur fiscal, l’appelant est devenu solidairement débiteur des sommes dues en vertu de l’avis de cotisation […].

 

[3]             Il ressort de tout ceci que l’appelant est tenu responsable en vertu de l’article 325 de la LTA, d’une dette fiscale de son fils Carlo, laquelle dette découle elle‑même d’une dette fiscale de la société les Constructions Inter-Béton Inc. (Inter-Béton) dont Carlo était l’administrateur et principal actionnaire, sur des versements de la taxe sur les produits et services (TPS) non effectués. Carlo a été cotisé aux termes de l’article 323 de la LTA qui se lit comme suit :

 

323. (1) Responsabilité des administrateurs — Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

(2) Restrictions — L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

 

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

 

(3) Diligence — L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

(4) Cotisation — Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable.

 

(5) Prescription — L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

 

(6) Montant recouvrable — Dans le cas du défaut d’exécution visé à l’alinéa (2)a), la somme à recouvrer d’un administrateur est celle qui demeure impayée après l’exécution.

 

(7) Privilège — L’administrateur qui verse une somme, au titre de la responsabilité d’une personne morale, qui est établie lors de procédures de liquidation, de dissolution ou de faillite a droit au privilège auquel Sa Majesté du chef du Canada aurait eu droit si cette somme n’avait pas été versée. En cas d’enregistrement d’un certificat relatif à cette somme, le ministre est autorisé à céder le certificat à l’administrateur jusqu’à concurrence de son versement.

 

(8) Répétition — L’administrateur qui a satisfait à la réclamation peut répéter les parts des administrateurs tenus responsables de la réclamation.

 

 

Faits ressortis à l’audience

 

[4]             Inter-Béton a été constituée en compagnie selon la Loi sur les compagnies du Québec le 22 avril 2004 (pièce I-1, onglet 7). Elle exploitait une entreprise de mise en place et de finition de planchers de béton dans le domaine commercial et industriel. Son actionnaire majoritaire, Carlo Cappadoro, a été à l’école des métiers de la construction pour devenir « cimentier applicateur ». Au niveau académique, il n’est pas allé au-delà du CEGEP (diplôme collégial, préuniversitaire dans la province de Québec). Il faisait faire la comptabilité de son entreprise par un comptable et avait engagé une secrétaire pour s’occuper des livres de la compagnie et ensuite les acheminer au comptable. C’est ce dernier qui effectuait les déclarations de TPS de la compagnie Inter-Béton. Carlo s’occupait des chantiers avec ses hommes, mais signait aussi la documentation envoyée au comptable.

 

[5]             Carlo a déposé en preuve un document montrant la liste des comptes à recevoir des entrepreneurs clients de Inter-Béton au 14 septembre 2006 (pièce A-1). Ce n’est pas lui toutefois qui a préparé ce document. Il a expliqué qu’un entrepreneur pouvait réserver le paiement de 10 pour cent de la facture pendant une durée d’un an. Il a aussi mentionné que le volume d’ouvrage avait augmenté en 2006 et par le fait même, les comptes à recevoir. Il a dit que la liste établie à la pièce A-1, n’était pas complète.

 

[6]             Le 24 mars 2006, Carlo a demandé une ligne de crédit de 70 000 $ auprès d’une institution financière (pièce A-2). Carlo a dit en cour que cela lui avait été refusé. Il s’est donc retourné vers ses proches pour emprunter de l’argent pour sa compagnie. Ainsi, son père (l’appelant), sa mère, sa conjointe et son frère lui ont prêté un peu plus de 40 000 $ entre le 8 février 2006 et le 29 mars 2007 (voir chèques, pièce A-3).

 

[7]             Carlo dit avoir finalement cessé toutes les opérations de sa compagnie au printemps 2007. Inter-Béton n’a pas été dissoute, mais est demeurée inactive. Carlo aurait par la suite commencé à travailler pour une autre société. Il situe ce moment autour des mois de juin ou juillet 2007.

 

[8]             Inter-Béton a produit ses déclarations de taxe pour les périodes de déclaration du 1er octobre 2005 au 31 décembre 2006 (pièce I-2), mais les paiements n’ont pas tous été effectués. En fait, selon le certificat déposé à la Cour fédérale le 7 novembre 2007 en vertu de l’article 316 de la LTA, on établit qu’un montant de 28 520,87 $ payable par la compagnie Inter-Béton en vertu de la LTA était toujours impayé en date du 29 septembre 2007 et que des intérêts étaient payables à compter de cette date jusqu’au paiement (pièce I-1, onglet 8). Précédant l’émission de ce certificat, une entente était intervenue le 27 avril 2007 entre Inter-Béton et le ministre, évaluant sa dette fiscale (retenues à la source, taxe de vente du Québec (TVQ) et TPS) à 124 464,90 $, et une série de chèques mensuels s’étalant du 3 juillet 2007 au 3 novembre 2008, de l’ordre de 6 920 $ chacun en sus d’un premier chèque au montant de 6 913,57 $ daté du 3 juin 2007, avaient été remis au ministre (pièce I‑3).

 

[9]             Carlo a expliqué qu’à ce moment, Inter-Béton avait cessé toutes ses opérations, et que bien qu’il avait l’intention d’honorer ces chèques, ceci ne fut pas le cas, car il n’avait pas reçu l’argent des comptes à recevoir.

 

[10]        Carlo a dit qu’il n’avait pas réalisé les conséquences du défaut de paiement par la compagnie sur lui personnellement, jusqu’à ce qu’il se le fasse expliquer par la représentante du ministre au moment de signer l’entente en avril 2007.

 

[11]        Le 18 juillet 2008, Carlo a personnellement été cotisé pour un montant de 138 468,04 $ pour les retenues à la source et la TVQ non remises (pièce I-1, onglet 4). Selon Madame Roselande Henry, agente de recouvrement fiscal, cette cotisation est fondée sur les montants déclarés par Inter-Béton dans ses déclarations produites.

 

[12]        Pour la TPS, une cotisation de l’ordre de 32 252,43 $ (incluant les intérêts) a été établie par Madame Henry à l’encontre de Carlo en date du 18 juillet 2008 en vertu du paragraphe 323(1) de la LTA, toujours selon les déclarations produites par Inter-Béton. Carlo n’a pas contesté cette cotisation. Madame Henry a confirmé ceci en s’appuyant sur son rapport d’autorisation effectué le 8 juillet 2008 (pièce I-5), lequel reprend le solde des montants de TPS déclarés et impayés par Inter-Béton pour la période du 31 décembre 2005 au 30 juin 2007 (pièce I-4).

 

[13]        La démarche de Madame Henry pour établir le montant cotisé à l’encontre de Carlo à titre d’administrateur d’Inter-Béton, se retrouve dans un document intitulé « Système de perception intégré des créances » (SPIC) d’Inter‑Béton et déposé sous la pièce I-8, aux items nos 117, 118 et 119.

 

[14]        Par ailleurs, si l’on retourne en arrière, le 12 juillet 2002, deux immeubles situés au 10 000 et 10 002 avenue London, à Montréal ont été acquis par acte notarié, par l’appelant et ses deux fils, Carlo et Francesco, dans une proportion respective de 2 pour cent, 49 pour cent et 49 pour cent, pour un prix de 295 000 $ (pièce I-1, onglet 5). Une contre-lettre (non notariée) a été signée le 10 octobre 2002, établissant que l’appelant était le seul et unique propriétaire de ces deux immeubles, que ses deux fils n’avaient aucun droit de grever ou de vendre leurs parts fictives dans ces immeubles et que l’appelant pouvait à tout moment leur demander de lui remettre leurs parts respectives sans aucune considération.

 

[15]        L’appelant a expliqué que c’est lui qui avait payé en totalité ces immeubles et qu’il s’était occupé de les mettre en location. Il percevait la totalité des revenus locatifs, bien que ceux-ci aient été déclarés comme revenus dans une proportion de 50 pour cent par Carlo dans ses déclarations de revenus pour fins fiscales (pièce I‑1, onglet 12). L’appelant a expliqué qu’il avait agi ainsi, car il avait cessé toute vie commune avec la mère de ses fils depuis le 29 mai 2000, et qu’au moment d’acquérir ces deux immeubles, son divorce n’était pas réglé. Il ne voulait pas que son ex-conjointe puisse réclamer quoi que ce soit sur ces deux immeubles. Un jugement de divorce a été prononcé le 6 juillet 2007. Je note que par ce jugement, l’époux conserve la propriété exclusive des immeubles énumérés (n’incluant pas les deux immeubles acquis en 2002 avec ses deux fils) (pièce A-4).

 

[16]        Le 2 août 2007, par acte de donation notarié, Carlo a donné à son père sa part dans les deux immeubles situés aux 10 000 et 10 002 avenue London (pièce I‑1, onglet 11). On y stipule, entre autres, que tous les revenus provenant de ces immeubles à partir de ce moment seront la propriété du donataire (« Donee »). L’appelant n’a pas demandé à son autre fils Francesco de lui redonner sa part. Il semblerait que l’une des raisons pour récupérer la part de Carlo ait été les problèmes financiers de ce dernier, étant donné aussi que le divorce de l’appelant était maintenant réglé.

 

[17]        Par suite de l’acte de donation, le ministre a considéré que Carlo avait transféré sa part dans les deux immeubles sans contrepartie à son père, alors qu’il était redevable au fisc personnellement des sommes mentionnées plus haut.

 

[18]        C’est ainsi que Roselande Henry a fait part à l’appelant le 16 septembre 2008, de son intention de le cotiser eu égard à la dette fiscale de son fils aux termes de l’article 325 de la LTA (voir SPIC établi pour Carlo Cappadoro, pièce I-6, no 43). Le 23 septembre 2008, l’avocat de l’appelant informait pour la première fois le ministre de la contre-lettre (pièce I-6, no 44). Puisqu’on en était à l’étape de la perception, Roselande Henry n’a pas tenu compte de cette contre-lettre et a cotisé l’appelant pour un montant de 32 252,43 $ (pièce I-1, onglet 1), soit le montant de la dette due par Carlo. Elle a considéré que la valeur marchande de la partie de l’immeuble transférée correspondait à l’évaluation municipale, laquelle était plus élevée que la valeur de la dette.

 

[19]        L’appelant était au courant des difficultés financières de son fils, Carlo, au moment de l’acte de donation et il a mentionné qu’il avait toujours aidé son fils. Par ailleurs, Carlo a dit qu’il était dans la jeune vingtaine lors de l’achat des deux immeubles et qu’il n’avait pas les moyens de financer la portion de l’immeuble acquise en son nom. Il a aussi déclaré qu’il n’avait pas perçu les revenus de loyer même s’il les avait déclarés dans ses revenus pour fins fiscales.

 

 

Arguments de l’appelant

 

[20]        On argumente du côté de l’appelant en tout premier lieu que c’est au ministre que revient le fardeau de prouver la validité des cotisations sous-jacentes (cotisation établie à l’égard d’Inter-Béton et cotisation à l’égard de Carlo Cappadoro) ayant mené à la cotisation établie à l’encontre de l’appelant aux termes de l’article 325 de LTA. L’appelant s’appuie sur les affaires Gestion Yvan Drouin Inc. c. R., 2000 CarswellNat 3035 (CCI), Beaudry c. La Reine, 2003 CCI 464 et Therrien c. La Reine, 2004 CCI 791. Selon cette jurisprudence de notre Cour, il serait raisonnable de demander au ministre d’établir prima facie l’existence de la dette fiscale qui lui est due par un débiteur fiscal lorsqu’il exerce un recours contre un tiers pour recouvrer cette dette fiscale. Ce raisonnement est fondé sur le fait que c’est le ministre dans ce cas qui a une connaissance particulière ou qui est en meilleure position que le tiers contre lequel il exerce un recours, pour établir le montant de la dette fiscale.

 

[21]        L’appelant reconnaît que le ministre a cotisé Inter-Béton selon les montants déclarés par le comptable de cette dernière, à l’exception de la partie correspondant à la période du 1er avril 2007 au 30 juin 2007 pour un montant de 3 129,37 $. L’appelant souligne que, selon la preuve, Inter-Béton n’exploitait plus d’entreprise durant cette période, et de plus, l’intimée n’a pas produit de copie de la déclaration de taxe qui aurait été soumise par Inter-Béton à l’égard de cette même période. Quant aux autres montants de taxe déclarés, l’appelant soutient que la taxe à être payée devrait être ajustée pour tenir compte des comptes à recevoir qui n’ont pas été perçus par Inter-Béton. Selon le document produit sous la pièce A-1, il y avait un montant de 182 130 $ de comptes à recevoir au 14 septembre 2006. Cela implique que la taxe de 7 pour cent applicable à ce moment, n’a pu être perçue sur ce montant, et que le montant cotisé à l’égard d’Inter-Béton devait être réduit d’au moins 7% x 182 130 $ = 12 749,10 $, et ce, en application de l’article 231 de la LTA, qui prévoit des ajustements de taxe à la baisse pour les créances irrécouvrables.

 

[22]        L’appelant s’appuie également sur l’affaire Savoy c. La Reine, 2011 CCI 35, aux paragraphes 42, 44 et 50, pour soutenir que les cotisations « telles qu’elles ont été produites » sont tout autant susceptibles de contestation que les autres, et ce, davantage lorsque la cotisation sous-jacente n’a jamais été contestée par la compagnie.

 

[23]        Quant à la cotisation établie à l’encontre de Carlo Cappadoro, l’appelant soutient que Carlo est en droit d’invoquer diligence raisonnable pour se soustraire de sa responsabilité solidaire aux termes du paragraphe 323(3) de la LTA. On ne peut reprocher à Carlo de ne pas avoir remis la taxe sur des créances non perçues, surtout en considérant que la compagnie aurait eu droit à des ajustements. Par ailleurs, Carlo est cimentier, n’a pas de connaissances particulières en administration des affaires. Il faisait face à une situation hors contrôle par l’augmentation des comptes à recevoir. Il a essayé malgré tout d’obtenir une ligne de crédit qui lui a été refusée, il n’avait pas d’argent pour consulter un conseiller professionnel pour se défendre face aux cotisations établies contre Inter-Béton et lui-même. En toute bonne foi, il a cessé l’exploitation de l’entreprise et a signé une entente de paiement avec le ministre, lui remettant des chèques, qui en vain, n’ont pas été honorés. Dans l’arrêt La Reine c. Buckingham, 2011 CAF 142, on conclut que la norme de diligence aux termes du paragraphe 323(3) de la LTA est une norme objective, mais que l’on ne requiert pas des administrateurs une responsabilité absolue relativement aux versements de leur société. L’administrateur doit finalement démontrer qu’il s’est effectivement préoccupé des versements fiscaux et qu’il s’est acquitté de son obligation de diligence afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés (paragraphes 33 et 52). Selon l’appelant, Carlo a exercé cette diligence.

 

[24]        Finalement, en ce qui concerne la cotisation établie à l’encontre de l’appelant lui-même en vertu de l’article 325 de la LTA, il soutient qu’il n’y a jamais eu de transfert de propriété de Carlo envers lui. C’est l’appelant qui a financé en totalité l’achat des deux immeubles, qui s’occupait de la location et encaissait la totalité des revenus locatifs. Lorsque son divorce fut définitivement réglé, il a demandé à Carlo de remettre sa quote-part dans les immeubles à son nom. Carlo n’a jamais eu aucun droit sur ces immeubles. Dans Haeck c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2001 CarswellQue 3331 (Cour du Québec), au paragraphe 33, on précise que le sous‑ministre, une fois l’impôt établi, est un tiers qui peut invoquer l’acte apparent (dans ce cas-ci la donation) pour sauvegarder les droits qu’il détient contre le contribuable, c'est-à-dire le droit d’obtenir, à même le patrimoine de ce dernier, le paiement de l’impôt réellement dû.

 

[25]        L’appelant soutient que dans ce cas-ci, Carlo n’a jamais eu d’immeuble dans son patrimoine, il ne s’est pas départi d’un actif pour éviter de payer ses dettes fiscales. Il a simplement remis à l’appelant le titre des immeubles qui appartenaient déjà à ce dernier. Pour l’application de l’article 325 de la LTA (l’équivalent de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR)), l’auteur du transfert doit avoir eu un intérêt dans le bien transféré (voir Gardner v. MNR, 1988 CarswellNat 443 au paragraphe 8 (TCC)), ce qui n’est pas le cas de Carlo.

 

 

Arguments de l’intimée

 

[26]        L’intimée soutient quant au fardeau de preuve sur la validité des cotisations sous-jacentes, que le ministre doit faire la preuve de faits que le contribuable n’a pas en sa possession. Ici, Carlo était en possession de tous les éléments pertinents. D’ailleurs, le ministre n’a établi aucune cotisation estimative, mais s’est fondé uniquement sur les déclarations de taxe produites par Inter-Béton (pièce I-2).

 

[27]        Selon l’intimée, l’appelant n’a pas fait une preuve suffisante de l’existence de comptes à recevoir impayés pour obtenir les ajustements demandés. Le seul document soumis ne fait pas foi 1) des montants qui auraient pu être encaissés ou 2) de la façon dont ces montants auraient pu être établis. En avril 2007, Inter-Béton a signé une entente reconnaissant le montant de la dette due. Aucune opposition n’a ensuite été déposée à l’encontre de la cotisation.

 

[28]        Quant à la diligence de Carlo, on peut en douter quand on réalise que l’entente signée avec le ministre en 2007 était accompagnée d’une série de chèques dont un seul a été honoré. Carlo était en difficultés financières depuis le printemps 2006 et on peut inférer qu’au moment de signer l’entente en avril 2007, il savait très bien qu’il ne pourrait pas payer les sommes dues. La preuve ne démontre pas non plus que Carlo a fait des démarches particulières pour prévenir le défaut de paiement, ce qui doit être démontré.

 

[29]        Par contre, au moment de signer l’entente avec le ministre en avril 2007, Carlo était bien au fait de sa responsabilité personnelle. Il est donc peu surprenant de constater l’acte de donation en août 2007, où l’on effectue le transfert de la quote-part de Carlo dans les immeubles à l’appelant, pour justement soutirer cette quote-part dans les immeubles de son patrimoine, au détriment du fisc. De plus, l’intimée souligne que si la raison véritable du transfert était qu’il n’y avait plus de quoi s’inquiéter par rapport à l’ex-conjointe de l’appelant, il aurait en toute logique récupéré également la part de son autre fils Francesco, ce qu’il n’a pas fait. D’ailleurs, aucune preuve n’a été faite de mesures agressives intentées par l’ex‑conjointe à l’encontre de l’appelant.

 

[30]        Par ailleurs, Carlo a toujours déclaré 50 pour cent des revenus locatifs et a toujours représenté au fisc qu’il détenait 50 pour cent de ces deux immeubles. Selon l’intimée, la contre-lettre n’était ni plus ni moins qu’un trompe-l’œil vis-à-vis les autorités fiscales. L’acte de donation devant notaire vient plutôt établir la situation réelle et indique précisément qu’à compter de cette date, les revenus et bénéfices de la partie des immeubles transférée seront dorénavant dévolus à l’appelant. Il est alors difficile d’invoquer comme le fait l’appelant que Carlo n’a jamais eu d’intérêt dans ces immeubles.

 

[31]        Par ailleurs, la contre-lettre a été portée à l’attention du ministre seulement en septembre 2008, soit près d’un an après l’émission du certificat par la Cour fédérale en novembre 2007 établissant le montant dû par Inter-Béton. Cette contre‑lettre a été dénoncée dans le cadre des mesures de perception exercées par le fisc, de façon très tardive, ce qui fait que le ministre peut être considéré comme un tiers de bonne foi aux termes de l’article 1452 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit :

 

ART. 1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.

 

[32]        L’appelant ayant joué sur deux tableaux vis-à-vis du fisc, l’intimée est en droit de ne pas tenir compte de la contre-lettre (voir Dussault-Zaidi c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1996] J.Q. no 2969 (QL), [1996] R.D.F.Q. 73 (CAQ)).

 

[33]        L’intimée conclut qu’il y a eu un transfert sans contrepartie au bénéfice de l’appelant, enclenchant ainsi sa responsabilité solidaire.

 

 

Analyse

 

[34]        Le premier argument de l’appelant est que c’est l’intimée qui a le fardeau de prouver l’existence de la dette fiscale due par Inter-Béton et Carlo Cappadoro. Il se réfère particulièrement à l’affaire Gestion Yvan Drouin Inc., précitée. Le juge Archambault y mentionnait que lorsque c’est le ministre qui exerce le recours contre un tiers pour recouvrer la dette fiscale qui lui est due par le débiteur fiscal, il était raisonnable que ce soit au ministre à qui incombait la charge d’établir prima facie l’existence de la dette fiscale. Le juge ajoutait qu’il n’était pas suffisant pour le ministre de produire l’avis de cotisation visant le débiteur fiscal, à moins que le montant établi par le ministre dans la cotisation corresponde à celui indiqué par le débiteur fiscal dans sa déclaration de revenus (il s’agissait d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu). Toujours selon le juge, si le montant établi par le ministre dans la cotisation correspond à celui déterminé par le débiteur fiscal lui-même, le ministre aurait fait la preuve prima facie de l’existence de la dette fiscale, et la charge revient alors au cessionnaire de présenter une preuve contraire (Gestion Yvan Drouin Inc., paragraphes 114 à 116).

 

[35]        Dans la présente instance, les montants faisant l’objet de la cotisation établie à l’égard de Carlo Cappadoro, en tant qu’administrateur de Inter-Béton, correspondent selon le témoignage de Madame Henry, qui a elle-même établi la cotisation, au solde des montants de la TPS, déclarés et non payés par Inter-Béton. Les formulaires de déclaration produits par Inter-Béton pour les périodes s’échelonnant du 1er octobre 2005 au 31 décembre 2006, et déposés sous la pièce I‑2 en font foi. Quant à la période du 1er janvier 2007 au 31 mars 2007, il n’y a eu aucune déclaration, et selon la preuve aucune cotisation pour cette période. Pour la période du 1er avril 2007 au 30 juin 2007, tout indique qu’Inter-Béton a été cotisée selon les montants déclarés par cette dernière (je me réfère au relevé de compte établi en date du 28 septembre 2007 eu égard à la TPS dans le dossier de Inter-Béton que l’on retrouve à la pièce I-1, onglet 10, de même qu’au sommaire du compte produit pour Inter-Béton sous la pièce I-4 et faisant état d’un rapport produit le 30 juillet 2007 pour la période se terminant le 30 juin 2007).

 

[36]        Selon le SPIC fourni pour Inter-Béton, on voit que le dernier rapport produit pour la TPS « concerne » juin 2007 (pièce I-8, no 99). Toujours selon ce même document, la licence d’Inter-Béton aurait été annulée le 7 août 2007 (pièce I-8, no 69). Également, une liste des comptes à recevoir aurait été remise à l’enquêteur le 1er février 2007 pour un total de 164 000 $ (pièce I-8, no 40). Après vérification, il semblerait que des clients dont les noms apparaissent dans la liste fournie par l’appelant sous la pièce A-1, ont confirmé par écrit qu’ils ne devaient plus aucune somme d’argent à Inter-Béton (pièce I-8, nos 90, 92, 100 et 101).

 

[37]        Madame Estelle Darbouze qui est également intervenue dans le dossier d’Inter-Béton à titre d’agent de recouvrement fiscal, a témoigné pour dire que suite au bris de l’entente qui était intervenue avec Carlo dans laquelle il aurait reconnu que la dette fiscale d’Inter‑Béton (incluant la TPS) s’élevait à 124 464,90 $ au 26 avril 2007, elle a fait les démarches pour enregistrer un certificat à la Cour fédérale, en vertu de l’article 316 de la LTA, établissant qu’Inter‑Béton était toujours redevable d’un montant de 28 520,87 $ au 29 septembre 2007 et que les intérêts étaient payables à compter de cette date jusqu’au paiement (pièce I-1, onglet 8). Ce certificat, une fois enregistré, a le même effet que s’il s’agissait d’un jugement rendu par la Cour fédérale contre le débiteur pour le montant attesté dans ce certificat (voir Canada c. Barrett, 2012 CAF 33, au paragraphe 3).

 

[38]        Il ressort également à la lecture du SPIC établi pour Inter-Béton, (pièce I-8) que cette société était délinquante depuis 2005 dans la production de ses rapports et remises de taxe. On y remarque également que Carlo Cappadoro reportait de plus en plus ses rencontres avec l’enquêteur du ministre dans les semaines précédant l’acte de donation effectué le 2 août 2007.

 

[39]        J’estime cette preuve de l’intimée amplement suffisante pour établir prima facie la validité de la dette fiscale due par Inter-Béton en vertu de la LTA, pour toute la période en litige.

 

[40]        Quant à l’argument de l’appelant que le montant de cette dette devrait être réduit des comptes à recevoir listés à la pièce A-1, je suis d’avis que la documentation remise par l’intimée établit un début de preuve que la liste des comptes à recevoir a été analysée par le ministre, et non retenue. Il revenait à l’appelant de faire une preuve plus exhaustive de l’existence de ces comptes à recevoir impayés, ce qu’il n’a pas fait. Carlo Cappadoro s’est contenté de dire que cette liste avait été préparée par le comptable. Ce dernier n’était pas présent en cour pour témoigner à ce sujet. De plus, Carlo n’a apporté aucun registre pouvant étoffer l’existence de ces comptes à recevoir. Par ailleurs, il ressort de l’un des rapports SPIC produits en preuve que certains créanciers mentionnés dans la pièce A-1, disaient ne plus devoir d’argent à Inter-Béton. Finalement, Carlo Cappadoro, en tant qu’actionnaire et administrateur d’Inter-Béton, n’a pas jugé bon de contester ces chiffres au moment où ces montants ont été cotisés. Il a plutôt reconnu l’existence de la dette dans une entente intervenue avec le ministre le 27 avril 2007.

 

[41]        Quant à la défense de diligence raisonnable invoquée pour soustraire Carlo Cappadoro de sa responsabilité solidaire, aux termes du paragraphe 323(3) de la LTA, je ne peux y adhérer. L’arrêt Buckingham précité réitère que l’administrateur doit démontrer qu’il s’est préoccupé des versements requis et qu’il s’est acquitté de son obligation de soin, de diligence et d’habilité afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés.

 

[42]        Ici, les documents versés en preuve par l’intimée (SPIC) tendent plutôt à démontrer une négligence délinquante de la part de Carlo Cappadoro. À tout événement, ce dernier n’a pas cru bon de contester la cotisation établie contre lui, à titre d’administrateur de la compagnie aux termes de l’article 323 de la LTA, et n’a apporté aucun élément nouveau devant moi pour me permettre de conclure qu’il s’était acquitté de son obligation de soin, de diligence et d’habilité de manière à prévenir les défauts de versements.

 

[43]        Finalement, quelle est la responsabilité de l’appelant ? Il prétend qu’il a toujours été propriétaire des deux immeubles dont le titre officiel légal était dans une proportion de 49 pour cent au nom de Carlo, de 49 pour cent également au nom de Francesco Cappadoro et 2 pour cent seulement en son nom.

 

[44]        L’appelant dit qu’il a payé l’intégralité du prix d’achat, qu’il s’est toujours occupé lui-même de louer les immeubles et qu’il a encaissé la totalité des revenus de location.

 

[45]        L’appelant déclare que c’est pour soutirer ces deux immeubles du patrimoine de son ex-conjointe qu’il les a mis au nom de ses deux fils. Ce faisant, il ne déclarait pas de revenus de location de ces immeubles dans sa déclaration de revenus. La preuve révèle que c’est Carlo qui les déclarait dans une proportion de 50 pour cent dans sa propre déclaration de revenus.

 

[46]        L’appelant indique que ces deux immeubles n’ont jamais été dans le patrimoine de ses deux fils. Il soutient que le ministre ne peut invoquer l’acte apparent de donation que dans le cas où il veut sauvegarder les droits qu’il détient contre le contribuable à même le patrimoine de ce dernier (Haeck précitée, au paragraphe 33). Puisque les immeubles n’auraient jamais été dans le patrimoine de Carlo, l’intimée ne peut se prévaloir de l’acte apparent pour dire que Carlo s’est départi d’un actif afin d’éviter de payer ses dettes fiscales.

 

[47]        À ce sujet, je considère que la preuve démontre plutôt que l’acte de donation du 2 août 2007 est intervenu à un moment où Carlo avait des communications fréquentes avec les représentants du ministre, eu égard aux dettes fiscales dont il était redevable. Il m’apparaît plutôt que c’est justement pour soutirer les immeubles dont il était le copropriétaire apparent qu’il a retransféré sa portion indivise à son père. En tout cas, la façon de faire en a toutes les apparences.

 

[48]        La preuve ici est différente de la situation qui prévalait dans l’affaire Gardner, précitée par l’appelant. Dans cette affaire, le débiteur fiscal avait fait l’offre d’achat dans l’immeuble en question à titre de fiduciaire pour sa conjointe (« trustee for the appellant »), laquelle n’avait pas le crédit nécessaire pour financer l’achat. La preuve non controversée démontrait clairement que le débiteur fiscal et sa conjointe n’avaient jamais eu l’intention que le premier ait un intérêt dans la résidence dont le titre légal avait été mis aux deux noms dans le seul but d’obtenir du financement.

 

[49]        Ici, même si j’accepte les témoignages de Carlo et de l’appelant que c’est ce dernier qui a financé les immeubles en totalité, rien n’indique que l’appelant n’avait pas l’intention de faire un don à ses fils dès le départ. D’une part, la contre-lettre a été signée quelques mois après l’acquisition de l’immeuble. D’autre part, tel que soulevé par l’intimée, l’appelant n’a pas apporté de preuve des mesures agressives prises par son ex-conjointe pour obtenir la propriété des immeubles de l’appelant. D’ailleurs, le jugement de divorce laisse la propriété des autres immeubles à l’appelant. Finalement, le transfert officiel de propriété le 2 août 2007 s’est fait alors que Carlo avait des démêlés avec le fisc pour les dettes fiscales de son entreprise, et paradoxalement l’appelant n’a pas demandé à son autre fils Francesco de lui remettre la part indivise à son nom.

 

[50]        Par ailleurs, en demandant à Carlo de déclarer personnellement les revenus de location dans une proportion de 50 pour cent depuis l’acquisition des immeubles, l’appelant faisait en sorte qu’il était impossible pour le fisc de savoir que Carlo était le mandataire qui possédait un bien pour le compte d’autrui (ce qui semble requis pour pouvoir opposer la contre-lettre au fisc, voir Victuni c. Ministre du Revenu du Québec, [1980] 1 R.C.S. 580; et Caplan c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2006 QCCA 1322 (CanLII)(CAQ) au paragraphe 37). D’ailleurs, ce n’est qu’en septembre 2008, au moment de recevoir l’avis d’intention de le cotiser, que l’appelant a fini par divulguer cette contre-lettre.

 

[51]        Je suis du même avis que l’intimée que la situation s’apparente davantage à celle qui prévalait dans l’affaire Dussault-Zaidi, précitée, où Madame Zaidi avait toujours représenté être l’unique propriétaire de l’immeuble en déclarant les revenus de location. Elle ne pouvait prétendre après plusieurs années, qu’elle en était copropriétaire avec son mari au moment de la vente, pour chacun se prévaloir de l’exemption du gain en capital et ainsi annuler l’impact fiscal de la vente. La Cour d’appel du Québec a jugé que ces contribuables ne pouvaient jouer sur les deux tableaux. Ils ne pouvaient soutenir soudainement que la situation décrite aux actes publics au cours des années précédentes ne représentait pas la réalité.

 

[52]        La situation présente se distingue de celle que l’on retrouve dans l’arrêt Caplan, précité. Dans ce dernier cas, le contribuable avait adopté la même position cohérente relativement au traitement fiscal de l’immeuble dont il était le réel propriétaire, alors que son fils agissait comme son mandataire. Même si l’immeuble était inscrit au nom de son fils, c’est la contribuable qui avait financé et assumé la gestion et l’administration de l’immeuble. Il avait perçu et déclaré personnellement les revenus locatifs. La preuve était claire dans ce cas que le fils n’agissait que comme un mandataire pour le compte de son père, le contribuable. Ce qui faisait dire au juge Dufresne de la Cour d’appel du Québec, ce qui suit :

 

[45]   Par conséquent, l'appelant a adopté la même position cohérente relativement au traitement fiscal de l'immeuble dont il était le réel propriétaire, alors que son fils agissait comme son mandataire, tant durant la période où il en a été propriétaire qu'à la suite de la vente de l'immeuble. En somme, il s'est en tout temps comporté envers le fisc comme le réel propriétaire de l'immeuble, n'essayant en aucun temps de jouer sur les deux tableaux en revendiquant tantôt les avantages qu'aurait pu lui conférer le contrat apparent, tantôt ceux de la contre-lettre. Il s'en est toujours tenu envers l'intimé à faire valoir qu'il était le réel propriétaire, en invoquant, de toute évidence, la contre-lettre. Rappelons, de plus, que tous les frais et dépenses associés à la conservation et à l'entretien de l'immeuble ont été assumés par l'appelant et non par son fils.

 

[…]

 

[47]   La preuve prépondérante démontre que l'intention de l'appelant de procéder à l'acquisition de l'immeuble par l'entremise de son fils agissant à titre de mandataire est reflétée dans la contre-lettre et correspond dans les faits à la situation réelle maintenue en tout temps par l'appelant. Dans le présent cas, la théorie du trompe-l'œil ne s'applique pas vu l'absence d'un élément de tromperie dans la façon dont l'opération a été réalisée.

 

[48]   Il est difficile, dans les circonstances, de soutenir que l'intimé possède l'intérêt requis pour invoquer le contrat apparent, alors qu'il ne résulte aucun préjudice pour celui-ci du traitement fiscal choisi par l'appelant qui se fonde sur la contre-lettre. L'intimé a tout simplement choisi la situation qui était la plus avantageuse pour lui.

 

[49]   Il en aurait été tout autrement si la preuve avait démontré que l'opération n'était qu'un trompe-l'œil ou que le contribuable avait cherché à tirer avantage tantôt du contrat apparent, tantôt de la contre-lettre. En l'espèce, l'attitude adoptée par l'appelant dans les faits depuis l'acquisition de l'immeuble jusqu'à la vente de celui-ci est cohérente et atteste largement du fait qu'il était le propriétaire réel de l'immeuble. Il s'est d'ailleurs comporté comme tel en tout temps utile.

 

[50]   Si la preuve avait révélé la moindre contradiction dans le traitement fiscal par le contribuable, la conclusion du pourvoi aurait été tout autre, mais ici la preuve de l'appelant est demeurée non contredite à cet égard. Chaque cas est inévitablement un cas d'espèce : tout est fonction de la preuve administrée.

 

[51]   En somme, en l'absence de trompe-l'œil ou de tentative démontrée de la part du contribuable pour jouer sur deux tableaux, l'intimé doit, conformément à l'arrêt Shell précité, cotiser en fonction de la situation juridique réelle entre les parties, quel que soit le contenu du contrat apparent ou de la contre-lettre.

 

[53]        En l’instance, la preuve révèle une contradiction entre la contre-lettre et l’approche adoptée face au fisc puisque c’est Carlo et non l’appelant qui a déclaré les revenus de location tout au cours des années, sans jamais mentionner qu’il agissait comme le mandataire de son père.

 

[54]        Je crois donc utile de me référer à l’article 1452 du Code civil du Québec qui prévoit qu’un tiers de bonne foi peut, selon son intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre.

 

[55]        Je conclus donc que le ministre était en droit d’invoquer l’acte de donation, sans égard à la contre-lettre, afin de considérer qu’il y a eu un transfert d’un bien sans considération aux termes de l’article 325 de la LTA.

 

[56]        L’appel est donc rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juillet 2012.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 267

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-2000(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Giuseppe cappadoro c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 25 juillet 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelant :

Me Virginie Falardeau

Avocat de l'intimée :

Me Daniel Cantin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

       Nom :                                         Me Virginie Falardeau

                                                         

       Cabinet :                                    Starnino Mostovac

                                                          Montréal, Québec

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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