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Dossier : 2010-3505(IT)G

ENTRE :

MARK TWOMEY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appels entendus le 24 août 2012 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me David W. Chodikoff

Me Patrick Déziel

 

Avocate de l’intimée :

Me Annie Paré

 

 

JUGEMENT

 

Les appels interjetés des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 sont accueillis, et les nouvelles cotisations datées du 6 janvier 2009 annulées.

 

Les dépens sont accordés à l’appelant.

 

 

 

Signé à Hamilton (Ontario), ce 30e jour d’août 2012.

 

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2013.

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 310

Date : 20120830

Dossier : 2010-3505(IT)G

ENTRE :

 

MARK TWOMEY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Pizzitelli

[1]             L’appelant a fait l’objet de nouvelles cotisations par la voie d’avis de nouvelle cotisation parallèles datés du 6 janvier 2009 : il s’est vu refuser une exemption pour gains en capital de 182 638 $ demandée pour son année d’imposition 2005 à l’égard de la vente de 77 actions ordinaires d’une société appelée 115447 Ontario Ltd. (« 115 »), et son report de l’impôt minimum a été réduit à zéro pour 2005, n’autorisant ainsi aucun report prospectif, ce qui a donné lieu au refus de crédits de 1 714,74 $ et de 15 606,83 $ qu’il avait demandés pour 2006 et 2007, respectivement, en vertu de l’article 120.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Il n’est pas controversé que le refus du crédit pour l’impôt minimum que prévoit l’article 120.2 résulte d’un calcul lié directement au refus de l’exemption pour gains en capital pour 2005 et que, de ce fait, les montants ainsi refusés seraient automatiquement rajustés si le montant de cette exemption changeait par suite du présent appel.

[2]             Il faut uniquement rechercher si les 77 actions de 115 que l’appelant a vendues, parmi les 78 actions qu’il a vendues à D.K. le 5 février 2008, sont des « actions admissibles de petite entreprise », au sens du paragraphe 110.6(1) de la Loi, et permettent ainsi à l’appelant de se prévaloir de la déduction pour gains en capital de petite entreprise que prévoit le paragraphe 110.6(2.1) de la Loi. En fait, le seul point de litige entre les parties est celui de savoir si les actions vendues avaient été détenues pendant les 24 mois précédant leur disposition, ce qui est exigé pour qu’elles soient considérées comme des « actions admissibles de petite entreprise » selon cette définition. Il n’est pas controversé que les actions en cause satisfaisaient par ailleurs aux autres exigences de cette définition.

[3]             La thèse de l’intimée est simple. Elle soutient que le registre des procès‑verbaux de 115 créé le 28 novembre 1995, au moment de la constitution de cette société, indique clairement qu’une seule action ordinaire a été souscrite par l’appelant et l’autre actionnaire, D.K., respectivement, qu’une seule action ordinaire a été émise à chacun d’eux, comme en témoigne la résolution de l’administrateur autorisant son émission et que l’appelant reconnaît avoir signée, et que les seuls certificats d’actions délivrés au moment de la constitution en société font état d’une action ordinaire émise à l’appelant et à D.K., respectivement, ce qui ressort également des grands livres des actionnaires qui s’appliquent à l’appelant et à D.K., respectivement, et qui font état de l’émission d’une seule action ordinaire à chacun d’eux à cette date-là. Par conséquent, les 99 autres actions ordinaires qui ont été émises à l’appelant et à D.K., respectivement, le 5 février 2005 n’auraient pas été détenues pendant les deux années précédant la vente des actions de l’appelant à D.K. à la même date. L’intimée soutient qu’il ressort clairement de l’alinéa 110.6(14)f) de la Loi que les actions émises par la société sont réputées avoir être détenues jusqu’alors par des personnes non liées et qu’on ne peut donc pas dire qu’elles ont été la propriété et ont été acquises de personnes liées qui les ont détenues pendant ce temps. Simplement dit, cette thèse repose sur les documents contenus dans le registre des procès-verbaux de 115, et l’intimée soutient que ces 99 actions étaient en fait de nouvelles actions que la société avait émises le 5 février 2005.

[4]             En revanche, l’appelant fait valoir que le registre des procès-verbaux de 115 et les documents témoignant de l’émission initiale d’actions ont été établis par erreur, qu’ils ne reflétaient pas les intentions des parties et qu’ils ont été corrigés par une résolution rectificative datée du 5 novembre 2005. Il allègue aussi qu’il existe d’autres preuves confirmant que l’appelant et D.K. possédaient bel et bien 100 actions ordinaires depuis la date de constitution du 28 novembre et qu’elles sont donc admissibles.

[5]             Pour éclairer le contexte de la présente affaire, il convient d’expliquer que quatre personnes, soit l’appelant, D.K., P.W. et T.P., se sont lancées en affaires dans le secteur de l’approvisionnement en pièces d’appareils de chauffage, de ventilation et de climatisation en 1994, et ce, en exploitant une entreprise appelée Fortress Group Inc. Les actions de Fortress appartenaient entièrement à une société à numéro appelée 976405 Ontario Ltd. (« 976405 »), laquelle, à son tour, appartenait à parts égales aux quatre personnes susmentionnées. En 1995, l’appelant et D.K. ont constitué 115 en société, et celle-ci a fait l’acquisition de la totalité des actions de 976405 que détenaient P.W. et T.P.

[6]             Le cabinet comptable avec lequel l’appelant et D.K. faisaient affaire, Brose & Co., a établi pour l’achat un plan fiscal dans le cadre duquel une société à numéro, 115 en fait, servirait à faire l’acquisition de ces actions pour des raisons d’efficience fiscale. Tim Brose, associé directeur au sein du cabinet, a donné instruction à un certain H.M. – l’avocat qui, à l’époque, représentait toutes les parties – de constituer une nouvelle société à numéro, 115 en fait, en partant du principe que l’appelant et D.K. seraient chacun propriétaires de 100 actions ordinaires de cette société, à un prix total de 1 $ l’action, 200 $ en tout, soit 100 $ chacun. Le comptable a transmis à cet effet des instructions écrites à l’avocat H.M., et ces instructions ont été admises en preuve pour confirmer cette mesure.

[7]             Lors de négociations ardues au sujet du prix à payer pour l’acquisition des actions, H.M., qui intervenait également à titre d’avocat de Fortress et de 976405, de même que pour P.W. et T.P., s’est inquiété du fait qu’en représentant la totalité des parties, il se plaçait en situation de conflit d’intérêts et il a fait savoir qu’il n’était plus disposé à représenter l’appelant et D.K., et ce, même s’il avait déjà rédigé une ébauche de statuts constitutifs comprenant la structure du capital-actions proposée dans les instructions écrites du comptable et accepté d’eux les fonds liés à la constitution en société. H.M. a plutôt transmis l’ébauche des statuts et les fonds à un autre avocat, T.H., lequel a fait enregistrer la société, l’a établie et a représenté 115 ainsi que l’appelant et D.K. au moment de l’acquisition des actions de 976405 que détenaient P.W. et T.P. Selon la preuve, ce nouvel avocat, T.H., n’a jamais eu connaissance des instructions écrites que le comptable avait initialement envoyées à H.M., et il a établi la répartition des actions de 115 de façon à n’émettre qu’une seule action ordinaire à l’appelant et à D.K., respectivement. Après l’opération, il a envoyé le registre des procès-verbaux à H.M., qui est depuis décédé, et, d’après la preuve, il a envoyé un exemplaire des statuts constitutifs au cabinet comptable Brose & Co.

[8]             À partir du premier exercice de 115, qui a pris fin le 29 février 1996, et par la suite, le cabinet comptable a établi les états financiers de 115 en partant du principe que 200 actions ordinaires étaient les actions émises et que le capital versé était de 200 $, en se fondant sur les instructions qu’il avait données au départ et, comme l’a déclaré Tim Brose, après avoir examiné le grand livre général de la société, un grand livre comptable, établi soit par le comptable interne de la société soit par son propre cabinet, qui indiquait la même chose. Ken Dodge, l’autre comptable de Brose & Co., qui a établi les états financiers et les déclarations de revenus pour plusieurs années après le premier exercice, a déclaré qu’il avait l’habitude de rencontrer les administrateurs, de passer en revue avec eux l’ébauche de déclaration T2 et les états financiers qui y étaient joints et, ensuite, s’ils y souscrivaient, de les produire. Il ressort clairement des  déclarations de revenus produites que l’appelant et D.K. étaient chacun actionnaires à 50 %, et l’avis des actionnaires initial, annexé à la première déclaration de revenus produite par la société, indique que l’appelant et D.K. détenaient chacun 100 actions ordinaires émises à 100 $, soit 1 $ l’action.

[9]             Il s’est ensuite passé ceci : l’appelant et D.K. ne s’entendaient pas et l’appelant a exercé une clause d’achat-vente que comportait une convention des actionnaires, avec le résultat que D.K. a racheté la participation de l’appelant. À l’occasion d’une réunion tenue entre T.M., le comptable, T.B., qui à ce moment avait remplacé H.M. en tant qu’avocat représentant 115, et des avocats distincts représentant l’appelant et D.K., respectivement, en vue de passer en revue les documents nécessaires pour concrétiser l’opération que le comptable avait structurée pour des raisons d’efficience fiscale, qui consistait à appliquer la limite de l’exemption à vie pour gains en capital de l’appelant à la vente de la part de ses actions à D.K., c’est-à-dire les 77 actions en question, il a été découvert que le registre des procès-verbaux de 115 ne concordait pas avec les actions détenues par 115 qu’indiquaient les états financiers et les livres de 115 ainsi que les renseignements figurant dans les déclarations de revenus de société qui avaient été produites. T.H. a témoigné qu’il avait jugé qu’il s’agissait là d’une erreur d’écriture et décidé que la meilleure façon d’y remédier était de faire en sorte que les administrateurs de 115 adoptent une résolution reconnaissant l’intention initiale des parties et délivrant des certificats d’actions totalisant 99 actions ordinaires de 115 à l’appelant et à D.K., respectivement, de façon à rectifier l’erreur sans avoir à payer d’autre contrepartie pour elles. En fait, pour faciliter l’opération qui était en instance entre l’appelant et D.K. aux termes de la clause d’achat-vente et  que le cabinet comptable avait structurée pour les raisons d’efficience fiscale décrites plus tôt, deux certificats d’actions ont été délivrés à l’appelant : un pour 77 actions ordinaires et l’autre pour 22 actions ordinaires. T.H. a déclaré qu’il n’avait jamais reçu les instructions initiales envoyées à H.M. en vue d’émettre à chacun 100 actions ordinaires et qu’il avait l’habitude d’émettre une action ordinaire à chacun des actionnaires quand ces derniers devenaient propriétaires à parts égales d’une société, ainsi qu’il a été mentionné plus tôt. Il a de plus déclaré en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas cherché à obtenir une ordonnance de rectification d’un tribunal à cause du coût élevé que cela représentait, quand tout ce qu’il y avait à faire était d’adopter une simple résolution, c’est‑à‑dire celle du 5 février 2005.

[10]        Il convient également de signaler à ce stade-ci que l’appelant, en contre‑interrogatoire, a déclaré que lui était indifférent le nombre d’actions qui lui étaient émises, dans la mesure où il recevait 50 %, mais qu’il s’était aussi fié à son comptable pour donner les instructions nécessaires pour mettre en œuvre la planification fiscale payée et que son comptable était autorisé à communiquer ces instructions à l’avocat, qui, à l’époque, était H.M..

[11]        Les dispositions pertinentes de la définition de l’ « action admissible de petite entreprise » figurent au paragraphe 110.6(1) de la Loi :

110.6(1) […]« action admissible de petite entreprise » S’agissant d’une action admissible de petite entreprise d’un particulier […], action du capital-actions d’une société qui, […] :

[…]

b) tout au long de la période de 24 mois qui précède le moment donné, n’est la propriété de nul autre que le particulier ou une personne ou société de personnes qui lui est liée; […]

[12]        L’alinéa 110.6(14)f) de la Loi se lit ainsi :

f) les actions émises après le 13 juin 1988 par une société en faveur d’une personne ou société de personnes donnée sont réputées avoir été la propriété, immédiatement avant leur émission, d’une personne qui n’était pas liée à la personne ou société de personnes donnée, sauf si les actions ont été émises […]

et cette disposition est suivie de trois exceptions, qui n’ont pas été considérées comme applicables en l’espèce.

[13]        Il n’est pas controversé les parties entre que la Loi ne définit pas l’« émission » ou ce qui constitue l’émission d’actions dans le but de déterminer le sens du mot utilisé à l’alinéa f) ci-dessus. Dans un tel cas, il est bien établi en droit qu’il faut chercher des indices ailleurs que dans la Loi et, dans en l’espèce, la source évidente semble être la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (« LSAO »), en vertu de laquelle 115 a été constituée en société; cependant, aucune définition ne semble s’y trouver non plus, et aucune n’a été invoquée. L’avocat de l’appelant invoque l’article 139 de la LSAO, dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Dossiers

(1) Les dossiers dont la présente loi exige la tenue par une société peuvent être conservés soit dans un livre relié ou à feuilles mobiles, soit à l’aide d’un procédé de mise en mémoire de l’information, notamment d’un procédé mécanique ou électronique de traitement des données.

Prévention de la falsification des dossiers

(2) La société prend :

ades précautions adéquates, adaptées aux moyens utilisés, afin d’empêcher la falsification des renseignements consignés dans ses dossiers;

b) des mesures afin de communiquer dans un délai raisonnable, sous une forme compréhensible et précise, les renseignements consignés dans ses dossiers à toute personne autorisée par la loi à les consulter.

Admissibilité de la preuve d’après les dossiers

(3) Est admissible en preuve comme preuve, en l’absence de preuve contraire, des faits qui y sont énoncés, avant et après la dissolution de la société, le livre relié ou à feuilles mobiles ou, si les dossiers ne sont pas conservés dans un livre, les renseignements sous la forme sous laquelle ils sont communiqués aux termes de l’alinéa (2)b).

[14]        Il n’est pas controversé les parties entre que la LSAO exige que 115 tienne des dossiers sur les actions qu’elle émet et que le paragraphe 139(3) cité ci-dessus crée une présomption que ces dossiers – en l’occurrence ceux qui figurent dans le registre des procès-verbaux de la société et qui ne font état que de l’émission d’une seule action le 28 novembre 1995 à l’appelant et à D.K. – sont la preuve des actions qui étaient détenues à cette date-là. L’appelant fait toutefois valoir qu’il existe un élément de preuve qui réfute cette présomption et qui indique que 100 actions ont été émises à l’appelant et à D.K., respectivement, le 28 novembre 1995, soit la date de la constitution en société de 115. L’intimée invoque pour sa part deux arguments : les mots « en l’absence de preuve contraire » n’englobent que certaines lacunes dans l’émission initiale et, indépendamment de cet argument, il n’existe en fait aucune preuve contraire, simplement une intention d’avoir émis les 100 actions qui n’est pas confirmée par un acte de la société.

[15]        Selon l’intimée, il ressort des principes du droit des sociétés que le  certificat d’actions, en l’occurrence le certificat d’actions initial émis à l’appelant et à D.K., prouve que la personne qui y est nommée détient les actions en question, sauf si des irrégularités ont été commises lors de leur émission ou de leur paiement. À cet égard, elle cite des passages d’un traité de Bruce Welling, professeur à l’Université Western Ontario, intitulé : Corporate Law in Canada, The Governing Principles[1] :

[traduction

S’il n’y a pas eu d’irrégularités entourant l’émission ou le paiement des actions, l’analyse est simple. Le certificat prouve que la personne nommée dans le certificat détient des actions de la société. L’actionnaire peut exiger que l’on modifie les dossiers de la société pour rendre compte de ce fait.

S’il y a eu des irrégularités dans l’émission ou le paiement des actions, l’analyse est à peine plus difficile. Là encore, elle repose sur ce qui est indiqué. Au nombre des irrégularités fréquentes figurent un paiement insuffisant pour les actions émises, une violation des limites au « capital-actions autorisé » dans les actes constitutifs de la société, ainsi que des certificats d’actions frauduleux.

[16]        Cela dit, avec égards pour l’intimée, je ne vois rien dans ce qu’écrit cet auteur qui dénote que les irrégularités fréquentes dont il fait état sont les seules qui puissent exister en rapport avec l’émission ou le paiement d’actions. Par ailleurs, le texte du paragraphe 139(3) de la LSAO a une large portée et comporte les mots suivants : « en l’absence de preuve contraire ». Ce texte ne se limite pas à un nombre quelconque d’irrégularités ou n’a pas trait au fait de savoir si ces dernières sont liées à l’émission ou au paiement d’actions, pas plus qu’à toute autre situation. Il est d’une portée suffisamment large pour que l’on puisse prendre en considération n’importe quel élément de preuve susceptible de réfuter la présomption selon laquelle les dossiers de la société sont une preuve des faits qui y sont consignés. Quoi qu’il en soit, même si je devais retenir la thèse de l’intimée, je ne vois pas en quoi l’émission d’un nombre inférieur d’actions n’est pas une irrégularité commise dans le cadre de leur émission ou de leur paiement. De la même façon que le non-paiement d’actions a été considéré comme une preuve que les actions n’avaient pas été émises, en dépit de l’existence d’un certificat d’actions, dans Re Dunham and Apollo Tours Ltd. (No 1), (1978), 20 O.R. (2d) 3, je suis d’avis que la corollaire est valable elle aussi, à savoir que le paiement d’actions sans émission de certificats appropriés peut dénoter qu’un nombre aussi important d’actions a sûrement été émis. Dans la décision Ball c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), 92 DTC 2123, la Cour a conclu que même si un certificat faisant état de 25 000 actions avait été délivré au contribuable, il n’avait reçu que les 9 700 actions qu’il avait payées, et pas plus. Je serais porté à croire que cette jurisprudence enseigne aussi implicitement l’inverse : s’il existe une preuve qu’un nombre élevé d’actions a été payé, il s’ensuit que les actionnaires ont droit à ce qu’on leur remette des certificats d’actions représentant le nombre élevé d’actions. Dans le même ordre d’idées, dans l’affaire Succession Lirette c. Canada, 2008 CCI 593, 2008 DTC 5068, il a été conclu que des actions avaient été émises à un contribuable même si aucun certificat d’actions n’avait été délivré. À mon avis, ces deux jurisprudences enseignent clairement que l’existence d’un certificat d’actions ne prouve pas de manière concluante l’existence ou la véracité du certificat en présence d’une preuve contraire, et qu’il faut tenir compte d’une preuve à l’appui de l’émission d’actions dans les cas où il n’existe pas de certificat d’actions qui confirme le nombre d’actions déclaré.

[17]        L’avocate de l’intimée soutient que, en tout état de cause, il n’existe aucune preuve contraire et que la preuve de l’appelant ne fait qu’établir l’existence d’une intention d’avoir émis 100 actions ordinaires, sans autres actes de la société qui corroborent cette intention. L’intimée se fonde sur les décisions Nesis c. Canada, [1998] 2 C.T.C. 2931 et Johnson c. Canada, [1999] 2 C.T.C. 2606, qui enseignent que l’intention d’un actionnaire qui n’est pas confirmée par un acte explicite de la société ne suffit pas pour établir l’existence d’un fait ou d’une opération. Dans l’affaire Re Nesis, fallait rechercher si une entrée dans le compte de prêt d’un actionnaire était suffisante pour établir que la société avait convenu de payer au contribuable un certain montant en contrepartie d’un billet à ordre qui n’avait pas été émis. Dans l’affaire Re Johnson, il fallait rechercher était question de savoir si l’intention de l’actionnaire était suffisante, en l’absence de preuve contraire, pour conclure que ce dernier avait convenu d’acheter de la société – et que celle-ci avait convenu de lui vendre – quatre lots. Ces deux affaires traitent de la nécessité de disposer d’autres actes de la société pour établir que l’on a conclu un contrat de prêt ou d’achat et de vente d’un bien. Même si ces affaires ne concernent pas l’émission d’actions par une société et sont différentes quant aux faits, en l’espèce il existait bel et bien, selon moi, des actes tangibles de la société qui prouvaient l’émission des 100 actions à l’appelant et à D.K. à partir de la date de constitution de la société, en 1995.

[18]        Tout d’abord, 115 a consigné la contrepartie reçue pour 100 actions dans le grand livre comptable général de la société, comme l’a déclaré le comptable, T. Brose, que j’ai jugé très crédible. Ensuite, 115 a consigné l’émission de 200 actions ordinaires dans ses états financiers à titre de capitaux propres dès la fin de sa première année financière, qui est survenue trois mois seulement après la constitution initiale. Enfin, 115 a produit des déclarations de revenus assorties d’états financiers auprès de l’ARC, la première desquelles, produite pour l’exercice prenant fin le 29 février 1996, prouvait, par une annexe qui y était jointe, que l’appelant et D.K., respectivement, s’étaient vu émettre 100 actions ordinaires. Selon les preuves, le comptable de 115 rencontrait chaque année les administrateurs pour passer en revue les états financiers et la déclaration de revenus et, après avoir reçu l’autorisation de le faire, il les produisait. Manifestement, les administrateurs ont approuvé ces documents et ont donné instruction au comptable de les produire. Il s’agit là, selon moi, d’actes de la société importants et suffisants, qui prouvent que ces actions existaient dès le départ, et ces actes ont été répétés de manière systématique année après année.

[19]        Je dois aussi dire qu’il m’est difficile de souscrire à la thèse de l’avocate de l’intimée portant que les dossiers de la société traitant de l’émission initiale d’une seule action à l’appelant et à D.K., respectivement, sont des dossiers de la société qui parlent d’eux-mêmes, tandis que la résolution rectificative du 5 février 2005, qui fait état de l’intention de 115 d’avoir émis 100 actions plutôt qu’une seule à chacun des deux actionnaires et d’émettre 99 autres actions à chacun d’eux pour corriger l’erreur ne devrait pas être prise en compte. Est-ce que cette résolution ne fait pas elle aussi partie des dossiers de la société? N’est-il pas aussi présumé que la résolution rectificative est également exacte, d’après le même libellé du paragraphe 139(3) de la LSAO qui a été cité plus tôt – qu’il s’agit d’une preuve, en l’absence de preuve contraire? Le mieux que l’on puisse dire c’est que nous avons en fait affaire à des dossiers de société contradictoires, mais la réalité est que la résolution rectificative vise très clairement les autres documents, et qu’elle les remplace clairement à seule fin de rectifier une erreur.

[20]        L’intimée a soutenu que la rectification de l’erreur équivaut en fait à une planification fiscale rétroactive, et que des décisions comme Steven Adam c. Ministre du Revenu national, 85 DTC 667, enseignent, conformément au droit qui est, selon moi, bien fixé, qu’un contribuable ne peut pas qualifier de manière différente une opération après coup afin d’en tirer un avantage fiscal. Dans le premier paragraphe complet de cette décision, à la page 3, le juge en chef Rip déclare :

Néanmoins, aucun contribuable n’a le droit de modifier de façon rétroactive les évènements suivant ce qui convient le mieux à ses fins, quoi qu’il ne fasse pas de doute qu’il puisse planifier l’avenir en fonction de ses intérêts, c’est ce qu’on appelle parfois faire de la planification fiscale…

[21]        À mon avis, l’appelant n’est coupable d’aucune planification fiscale rétroactive. Il n’a pas tenté de qualifier un salaire de dividende après coup, comme cela était le cas dans l’affaire Re Adam, précitée, ni tenté de qualifier différemment la nature de l’opération. Au contraire, il a produit la preuve qu’il avait retenu les services de ses comptables professionnels pour planifier la structure des actions de 115 avant la constitution en société de cette dernière et qu’il avait autorisé son comptable à donner des instructions écrites à ses avocats pour qu’ils donnent effet à cette planification fiscale, mais que ces instructions, à la suite d’un changement d’avocats expliqué plus tôt, n’ont pas été transmises.

[22]        Je conclus que 100 actions ordinaires ont été émises à l’appelant et à D.K., respectivement, en date du 28 novembre 1995 et, de ce fait, que l’appelant a détenu ces actions pendant une période nettement plus longue que les 24 mois exigés selon la définition d’une « action admissible de petite entreprise » qui est donnée à l’article 110.6 de la Loi et que l’alinéa 110.6(14)f) ne joue tout simplement pas en l’espèce.

[23]        Bien honnêtement, je dois dire que je suis un peu surpris que l’intimée, face à ce que je considère comme une preuve contraire éclatante, ait adopté la position selon laquelle il n’y a eu émission que d’une seule action et contraint l’appelant à interjeter appel devant la Cour. Le fait que l’intimée invoque un argument purement technique qui, à mon avis, va à l’encontre d’abondantes preuves contraires est tout simplement déraisonnable dans les circonstances. Il y avait dans les dossiers initiaux de 115 une simple erreur, laquelle a été rectifiée au moment de sa découverte. Il n’y avait aucune preuve de planification fiscale rétroactive ni d’aucune autre conduite irrégulière ou mauvaise foi de la part de l’appelant, et il y avait de nombreuses preuves que non seulement les parties voulaient que le nombre supérieur d’actions soit émis, mais aussi qu’elles avaient pris des mesures concrètes, en produisant les déclarations de revenus de la société et en établissant ses états financiers, ainsi qu’en les approuvant, année après année, pour qu’il soit considéré de manière systématique que les actionnaires détenaient le nombre supérieur d’actions. Rien ne prouve que l’ARC s’y soit jamais opposé.

[24]        La résolution rectificative a donné lieu à la modification des dossiers, laquelle a donné effet aux faits véritables. C’est, selon moi, ce qui doit se passer quand la « preuve contraire » dont il est question au paragraphe 139(3) de la LSAO établit que les dossiers qu’une société doit tenir sont jugés inexacts et ne permet pas à cette dernière de s’acquitter de son obligation de prendre des précautions adéquates afin d’empêcher la falsification des renseignements consignés dans ses dossiers et de communiquer ces renseignements exacts à toute personne autorisée par la loi à les consulter, comme l’exige le libellé du paragraphe 139(2) de la LSAO auquel il a été fait référence ci‑dessus. À l’évidence, cette disposition oblige la société à consigner et à communiquer des renseignements exacts, et le paragraphe 139(3), en présumant que les dossiers sont exacts en l’absence de preuve contraire, envisage clairement qu’il peut y avoir une preuve contraire qui oblige à rectifier les dossiers de la société. À mon avis, l’appelant et 115 étaient tenus de modifier les dossiers et de rectifier les certificats d’actions par tous les moyens raisonnables dont ils disposaient, et je crois que c’est bel et bien ce qu’ils ont fait en adoptant une résolution rectificative et en délivrant des certificats d’actions pour le nombre d’actions qui, par erreur, n’avaient pas émises au départ. Je ne vois pas pourquoi une ordonnance de rectification judiciaire aurait été nécessaire dans les circonstances, comme l’a soutenu l’avocate de l’intimée.

[25]        Quant à l’argument subsidiaire de l’appelant selon lequel, même si je concluais qu’une seule action avait été émise au départ et que de nouvelles actions l’avaient été par la suite de manière à faire intervenir l’alinéa 110.6(14)f) de la Loi, cette opération était assimilable à un fractionnement d’actions, que l’ARC ne considère pas comme une émission ou une acquisition d’actions, il n’est nul besoin que je fasse des observations sur cette question d’interprétation de cette disposition, car j’ai conclu que les 100 actions avaient été initialement émises à l’appelant et à D.K. dès la constitution de la société.

 

[26]        L’appel de l’appelant est accueilli intégralement, et les dépens lui sont accordés.

 

 

 

Signé à Hamilton (Ontario), ce 30e jour d’août 2012.

 

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2013.

 

 

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 310

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-3505(IT)G

 

INTITULÉ :                                      MARK TWOMEY c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge F.J. Pizzitelli

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 30 août 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant

Me David W. Chodikoff

Me Patrick Déziel

 

Avocate de l’intimée

Me Annie Paré

 

 

AVOCATS INSCRITS AU
DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     David W. Chodikoff

                                                          Patrick Déziel

 

                          Cabinet :                 Miller Thompson LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Bruce Welling, Corporate Law in Canada, The Governing Principles, 3e éd. (London : Scribblers Publishing, 2006), page 692.

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