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Dossier : 2009-2134(IT)G

 

ENTRE :

GROUPE HONCO INC.,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de 9069-4654 Québec inc. (2009-2133(IT)G) et de Gestion Paul Lacasse inc. (2009‑2135(IT)G) les 8 et 9 mai 2012, à Québec (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Carl Thibault

Me Ariane Gagnon-Rocque

Avocats de l’intimée :

Me Nathalie Labbé

Me Simon Vincent

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2004 de l’appelante est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-annexés.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 4e jour de septembre 2012.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 


Dossier : 2009-2133(IT)G

 

ENTRE :

 

9069-4654 QUÉBEC INC.,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels du Groupe Honco inc. (2009-2134(IT)G) et de Gestion Paul Lacasse inc. (2009‑2135(IT)G) les 8 et 9 mai 2012, à Québec (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Carl Thibault

Me Ariane Gagnon-Rocque

Avocats de l’intimée :

Me Nathalie Labbé

Me Simon Vincent

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2004 de l’appelante est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs de jugement ci-annexés.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 4e jour de septembre 2012.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


Dossier : 2009-2135(IT)G

 

ENTRE :

 

GESTION PAUL LACASSE INC.,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de 9069-4654 Québec inc. (2009-2133(IT)G) et du Groupe Honco inc. (2009-2134(IT)G)

les 8 et 9 mai 2012, à Québec (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Carl Thibault

Me Ariane Gagnon-Rocque

Avocats de l’intimée :

Me Nathalie Labbé

Me Simon Vincent

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel formé contre la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2004 de l’appelante est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs de jugement ci-annexés.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 4e jour de septembre 2012.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle.


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 305

Date : 20120904

Dossier : 2009-2134(IT)G

 

 

ENTRE :

 

GROUPE HONCO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

 

Dossier : 2009-2133(IT)G

 

ET ENTRE :

 

9069-4654 QUÉBEC INC.,

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 


 

Dossier : 2009-2135(IT)G

ET ENTRE :

 

GESTION PAUL LACASSE INC.

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle


[1]             La seule question à trancher dans ces trois appels entendus ensemble sur preuve commune est de savoir si les dividendes en capital reçus par chacune des appelantes à la fin des opérations décrites ci-après sont réputés en vertu du paragraphe 83(2.1) et de l’alinéa 87(2)z.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») ne pas être des dividendes en capital parce que les actions sur lesquelles le premier dividende en capital a été versé avaient été acquises pour que l’on puisse recevoir le dividende en capital.

 

Les faits

 

[2]             Monsieur Paul Lacasse est l’actionnaire principal et l’actionnaire détenant le contrôle des sociétés appelantes, qui font partie de ce qu’il est convenu d’appeler le Groupe Honco.

 

[3]             Avant que le Groupe Honco ne fasse l’acquisition de Supervac, opération décrite ci-après, les activités du groupe étaient toutes rattachées à la construction. En 1997, l’une des sociétés formant le Groupe Honco a construit une structure clés en main de 600 000 $ pour Industries Supervac Inc. (l’« Ancienne Supervac »). L’Ancienne Supervac était une société non liée qui, directement ou indirectement, appartenait à monsieur Eddy Bédard et était contrôlée par lui. Quand approchait l’achèvement de la structure, il est apparu que l’Ancienne Supervac éprouvait de sérieuses difficultés financières et se trouvait incapable de payer le substantiel prix d’achat dû à la société de monsieur Lacasse pour sa construction. Pour cette raison, il a été décidé, à la suite de discussions et de négociations entre elles, que la société de monsieur Lacasse donnerait la structure à bail à l’Ancienne Supervac. La structure, qui avait été construite clés en main, était une structure spécialisée dont se servait l’Ancienne Supervac dans son entreprise de fabrication de camions-citernes sous vide à haute pression (l’ « entreprise Supervac »). À la fin de 1998, l’Ancienne Supervac avait un arriéré qui existait depuis plusieurs mois, n’avait pas été en mesure de payer le plein montant du loyer pour un certain nombre de mois, et sa situation financière restait problématique. Auparavant, l’Ancienne Supervac exploitée par monsieur Bédard, avait, semble-t-il, été durant plusieurs années une entreprise rentable et florissante. Cependant, à la fin de 1998, on avait diagnostiqué chez lui un cancer du pancréas en phase terminale, et on s’attendait à ce qu’il en meure, sans toutefois savoir s’il décéderait dans trois mois ou dans six mois, ou peut-être plus tard. On croyait comprendre que monsieur Bédard avait cessé alors de s’impliquer activement dans l’entreprise Supervac et dans sa gestion, et c’est à cela qu’on attribuait les difficultés financières de l’entreprise. Monsieur Lacasse était donc très préoccupé par le recouvrement de son important investissement d’environ 600 000 $ dans la structure de Supervac. Il voulait se faire rembourser, mais cela semblait improbable étant donné la situation de Supervac à l’époque.

 

[4]             À la fin de 1998, monsieur Bédard a informé monsieur Lacasse que les possibles nouveaux investisseurs, prêteurs ou acheteurs restants n’étaient plus intéressés par l’entreprise Supervac et qu’il devait donc envisager de licencier les employés de Supervac et de liquider l’entreprise. Après une brève période de discussions, le 28 décembre 1998, monsieur Lacasse a remis à monsieur Bédard et à l’Ancienne Supervac une lettre dans laquelle il proposait qu’une nouvelle société, 9069-4654 Québec Inc. (la « Nouvelle Supervac »), achète tout le stock de Supervac pour la somme de 250 000 $, sous réserve de rajustement après dénombrement, et prenne à bail la totalité des actifs de l’entreprise Supervac pour un dollar, et que le nom Supervac soit cédé à la Nouvelle Supervac. La lettre proposait aussi que, en temps opportun, la Nouvelle Supervac ait le droit d’acquérir la totalité des actions de l’Ancienne Supervac.

 

[5]             Après la période des fêtes, au début de janvier 1999, les comptables agréés de monsieur Lacasse ont procédé au dénombrement des stocks. Ce dénombrement était leur unique mandat à l’époque. Au cours de la semaine suivante, des contrats écrits en bonne et due forme prévoyant la location des actifs de l’entreprise et accordant une option d’achat des actions ont été conclus. La Nouvelle Supervac a embauché les employés de l’Ancienne Supervac, qui avaient été mis à pied pour la période des fêtes.

 

[6]             Sous la direction de monsieur Lacasse, la Nouvelle Supervac a été rapidement à même de ramener l’entreprise Supervac à la rentabilité. Ayant rentabilisé l’entreprise Supervac en 1999, monsieur Lacasse a décidé d’exercer son droit de faire en sorte que la Nouvelle Supervac achète les actifs de l’entreprise qu’elle avait loués jusque-là et son droit d’acheter les actions de l’Ancienne Supervac, dont la dénomination sociale avait été changée pour 9072‑7207 Québec Inc.

 

[7]             Il faut obtenir des certifications spéciales de l’American Society of Mechanical Engineers (ASME) pour construire des réservoirs haute pression du genre de ceux construits par Supervac. On ne sait trop comment cette exigence de certification a été remplie durant la période au cours de laquelle la Nouvelle Supervac prenait à bail les actifs de l’entreprise Supervac, c’est-à-dire durant une bonne partie de 1999. Il est clair que l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac, titulaire du certificat, avait permis le maintien des certificats d’enregistrement sur présentation à l’ASME de renseignements concernant les nouveaux propriétaires. Cela éliminait la nécessité d’un nouvel acquéreur de l’entreprise, par opposition à un acquéreur de la société, afin d’obtenir une certification entièrement nouvelle par le processus normal d’examen de l’ASME.

 

[8]             Il est ressorti très clairement aussi des témoignages et des contrats en question que les actions de l’Ancienne Supervac étaient acquises par la Nouvelle Supervac afin que les pertes fiscales de l’Ancienne Supervac puissent être déduites du revenu futur tiré de l’entreprise de la Nouvelle Supervac. Après que la Nouvelle Supervac eut acheté l’Ancienne Supervac aux actionnaires de celle-ci, la Nouvelle Supervac et l’Ancienne Supervac ont fusionné sous la dénomination sociale de la Nouvelle Supervac. Cette fusion devait aussi permettre à la Nouvelle Supervac de se prévaloir de la déduction des pertes d’entreprise de l’Ancienne Supervac.

 

[9]             La déductibilité par la Nouvelle Supervac des pertes d’entreprise de l’Ancienne Supervac a d’abord été refusée par l’Agence du revenu du Canada (ARC), si bien que la Nouvelle Supervac a déposé une opposition. Cette opposition a été accueillie intégralement par la Direction des appels de l’ARC. Le motif pour lequel la déduction des pertes avait été refusée au départ était qu’il y avait eu absence de continuité de l’entreprise Supervac durant quelques jours pendant les fêtes en 1998 et 1999. Lorsque l’agente des appels de l’ARC a informé par téléphone les comptables de la Nouvelle Supervac que l’opposition serait accueillie, elle les a aussi informés qu’il y avait, dans la Nouvelle Supervac, la société issue de la fusion, un compte de dividendes en capital d’environ 750 000 $. Selon les témoignages de monsieur Lacasse, de son comptable externe principal et du comptable fiscaliste travaillant au même cabinet de comptables, c’était la première fois qu’ils avaient entendu parler d’un compte de dividendes en capital dans l’Ancienne Supervac (maintenant la Nouvelle Supervac), et ils ont dit que, à leur connaissance, il n’y avait pas eu de discussions avec les vendeurs à propos d’un compte de dividendes en capital. Il convient de noter, cependant, que monsieur Lacasse n’a pas dit qu’ils n’avaient jamais évoqué l’existence de la police d’assurance-vie ou la possibilité que le produit éventuel de l’assurance-vie soit distribué sans impôt aux actionnaires d’une manière quelconque. D’ailleurs, le mandat de son comptable n’englobait pas à l’origine l’examen de ces choses, et le comptable fiscaliste n’était nullement intervenu avant l’acquisition.

 

[10]        Une fois l’opposition réglée, monsieur Lacasse et ses conseillers ont confirmé l’existence et le montant du compte de dividendes en capital et ont fait en sorte que la Nouvelle Supervac déclare un dividende en capital en faveur de son actionnaire, Groupe Honco Inc., laquelle a déclaré à son tour un dividende en faveur de son actionnaire, Gestion Paul Lacasse Inc.

 

[11]        L’ARC a établi à l’égard de chacune des trois appelantes de nouvelles cotisations qui avaient pour fondement que, puisque les sociétés versant ces dividendes n’avaient pas de compte de dividendes en capital, les dividendes constituaient des dividendes imposables. La position de l’intimée est que cela résulte de l’application du paragraphe 83(2.1) à au moins le premier dividende déclaré et versé par la Nouvelle Supervac.

 

[12]        La position des contribuables est que les objets principaux de l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac par la Nouvelle Supervac étaient les suivants :

 

1)      parachever et exécuter son plan visant à recouvrer son substantiel investissement dans la structure de Supervac;

 

2)      éviter à la Nouvelle Supervac d’avoir à obtenir une nouvelle certification de l’ASME plutôt que de simplement présenter à l’ASME des renseignements à son propre sujet en tant que nouvelle propriétaire de l’Ancienne Supervac;

 

3)      acquérir les reports prospectifs de pertes d’entreprise de l’Ancienne Supervac et les déduire de ses revenus futurs.

 

Le droit

 

[13]        Le paragraphe 83(2.1) est ainsi formulé :

 

*      83.(2.1) Malgré le paragraphe (2), le dividende versé par une société sur une action de son capital-actions qui serait, sans le présent paragraphe, un dividende en capital est réputé, pour l’application de la présente loi — à l’exception de la partie III et sauf pour le calcul du compte de dividendes en capital de la société — reçu par l’actionnaire et versé par la société comme dividende imposable, et non comme dividende en capital, et l’alinéa (2)b) ne s’applique pas à ce dividende si l’actionnaire a acquis l’action — ou une action qui lui est substituée — par une opération, ou dans le cadre d’une série d’opérations, dont un des principaux objets consistait à recevoir ce dividende.

 

*        (2.1) Notwithstanding subsection 83(2), where a dividend that, but for this subsection, would be a capital dividend is paid on a share of the capital stock of a corporation and the share (or another share for which the share was substituted) was acquired by its holder in a transaction or as part of a series of transactions one of the main purposes of which was to receive the dividend,

*   (a) the dividend shall, for the purposes of this Act (other than for the purposes of Part III and computing the capital dividend account of the corporation), be deemed to be received by the shareholder and paid by the corporation as a taxable dividend and not as a capital dividend; and

*   (b) paragraph 83(2)(b) does not apply in respect of the dividend.

 

 

[14]        L’alinéa 87(2)z.1) est ainsi formulé :

 

            87(2)z.1) Compte de dividendes en capital

z.1) pour le calcul du montant de son compte de dividendes en capital, la nouvelle société est réputée être la même société que chaque société remplacée et en être la continuation, sauf s’il s’agit d’une société remplacée à laquelle le paragraphe 83(2.1) s’appliquerait, si un dividende était versé immédiatement avant la fusion et si le choix prévu au paragraphe 83(2) était fait relativement au plein montant de ce dividende, pour qu’une partie du dividende soit réputée être un dividende imposable versé par la société remplacée;

 

(z.1) Capital dividend account

(z.1) for the purposes of computing the capital dividend account of the new corporation, it shall be deemed to be the same corporation as, and a continuation of, each predecessor corporation, other than a predecessor corporation to which subsection 83(2.1) would, if a dividend were paid immediately before the amalgamation and an election were made under subsection 83(2) in respect of the full amount of that dividend, apply to deem any portion of the dividend to be paid by the predecessor corporation as a taxable dividend;

 

 

[15]        Il ressort clairement de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721, 2012 DTC 5006, que l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac et la déclaration du dividende en capital, ou la déclaration théorique aux termes de l’alinéa 87(2)z.1), font partie de la même série d’opérations, au sens du paragraphe 248(10), étant donné que, au moment de la déclaration du dividende et au moment où s’est fait le choix d’en faire un dividende en capital, la Nouvelle Supervac prenait en considération ou aurait pris en considération l’existence de son compte de dividendes en capital, qui avait été acquis avec les actions de l’Ancienne Supervac.

 

[16]        Le paragraphe 83(2.1) s’applique si l’un des objets principaux de la série d’opérations était de recevoir le dividende en capital. Cette disposition doit être mise en contraste avec d’autres dispositions de la Loi qui parlent de circonstances où il est raisonnable de conclure ou de présumer que l’un des objets principaux d’opérations était l’obtention d’un certain résultat. Néanmoins, le libellé du paragraphe 83(2.1) n’entraîne pas un critère entièrement subjectif. La Cour suprême du Canada a dit dans l’arrêt Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 736 : « Comme dans d'autres domaines du droit, lorsqu'il faut établir l'objet ou l'intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l'objet subjectif d'une dépense donnée.  Ils examineront plutôt comment l'objet se manifeste objectivement, et l'objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances. »

 

Analyse

 

[17]        Il reste à savoir si l’un des objets principaux de l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac était également de permettre à la Nouvelle Supervac d’acquérir le compte de dividendes en capital de l’Ancienne Supervac dans le but de faire en sorte que les dividendes en capital dont il s’agit soient versés en franchise d’impôt.

 

[18]        Cette question doit être tranchée suivant la prépondérance de l’ensemble de la preuve. Elle ne doit pas être tranchée uniquement d’après les intentions subjectives exprimées de monsieur Lacasse (ou l’absence de telles intentions). Il est clair que la vraisemblance ou la probabilité intrinsèque d’un événement est un élément nécessaire et pertinent à prendre en compte pour établir les faits suivant la prépondérance des probabilités.

 

Dans l’arrêt In Re CD, [2008] UKHL 33, citant In Re H and Others (Minors), [1996] AC 563, cette notion est décrite de la manière suivante, au paragraphe 25 :

 

[TRADUCTION]

[...] la probabilité ou l’improbabilité intrinsèque d’un événement est en soi un élément qu’il faut prendre en considération en appréciant les probabilités et en décidant si, tout compte fait, l’événement s’est produit. Plus l’événement est improbable, plus la preuve indiquant que cet événement s’est effectivement produit doit être forte pour que, selon la prépondérance des probabilités, il soit établi qu’il s’est produit [...]

 

Dans l’arrêt In Re B (Children), [2008] UKHL 35, elle est décrite ainsi, au paragraphe 70 :

 

[TRADUCTION]

[...] Les probabilités intrinsèques sont simplement un élément à prendre en compte, s’il cela est pertinent, pour établir la vérité.

 

Finalement, la notion est très bien résumée par le juge Webb dans la décision Lesnick c. La Reine, 2008 CCI 522.

 

[19]        Il ressort clairement des témoignages et des documents que les objets principaux des opérations en cause englobaient les trois objets décrits ci-dessus, à savoir :

 

1)      permettre au Groupe Honco de recouvrer ses coûts de construction de la structure de Supervac;

 

2)      permettre, par l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac, que l’entreprise de la Nouvelle Supervac soit exploitée comme partie intégrante du Groupe Honco sans la nécessité d’obtenir une nouvelle certification de l’ASME;

 

3)      permettre, par l’acquisition des actions de l’Ancienne Supervac, la fusion de la Nouvelle Supervac et l’Ancienne Supervac, pour créer la Nouvelle Supervac, donnant ainsi la possibilité de déduire les pertes fiscales de l’Ancienne Supervac des revenus de la Nouvelle Supervac.

 

[20]        En l’espèce, les témoignages pertinents ont a été ceux de monsieur Paul Lacasse et de deux de ses comptables agréés externes, dont l’un est fiscaliste. En outre, l’intimée a appelé à témoigner monsieur Bernard, un banquier à la retraite et ami de la famille de monsieur Bédard, qui avait représenté les intérêts de monsieur Bédard et, après le décès de celui-ci, les intérêts de sa veuve relativement aux opérations.

 

[21]        Monsieur Lacasse a témoigné n’avoir jamais entendu parler du compte de dividendes en capital avant que ne soit réglée l’opposition se rapportant aux pertes fiscales et n’avoir jamais eu de discussions avec le vendeur à propos du compte de dividendes en capital de ce dernier. Cependant, comme il est indiqué plus haut, il a limité son témoignage sur ce point aux comptes de dividendes en capital. Il n’a pas dit qu’il n’avait jamais discuté de la police d’assurance-vie ou de la distribution possible du produit de cette police en franchise d’impôt après le décès de monsieur Bédard.

 

[22]        Il est clairement ressorti du témoignage de monsieur Bernard, principal représentant du vendeur dans le cadre de l’opération après le décès de monsieur Bédard, qu’il ne s’était occupé d’aucun des détails de la documentation ou du plan et que, s’étant assuré que, une fois reçu le produit de l’assurance-vie, il y aurait suffisamment d’encaisse dans l’Ancienne Supervac pour rembourser ses créanciers et pour racheter dans une large mesure les 200 000 $ d’actions privilégiées détenues par monsieur Bédard et, après son décès, par sa veuve, monsieur Bernard s’était simplement présenté aux bureaux désignés pour la clôture de la vente et avait signé les documents aux endroits où on lui disait de le faire. Il est clair que, du côté du vendeur, la négociation des détails et de la structure des opérations de vente avait été dès le départ conduite par l’avocat de l’Ancienne Supervac et de monsieur Bédard et peut-être aussi par leurs comptables agréés, qui avaient établi les états financiers de fin d’exercice de l’Ancienne Supervac pour l’exercice se terminant le 31 octobre 1998, états financiers qui constituaient le fondement des accords de décembre 1998 et de janvier 1999. Ni l’avocat de monsieur Bédard ni son comptable agréé n’ont témoigné.

 

[23]        Les comptables agréés externes du Groupe Honco ont tous deux témoigné n’avoir jamais parlé ni entendu parler de l’inclusion du compte de dividendes en capital de l’Ancienne Supervac dans quelque opération que ce soit, si ce n’est après le règlement favorable de l’opposition quelques années après l’acquisition par la Nouvelle Supervac des actions de l’Ancienne Supervac. En ce qui concerne l’associé responsable du Groupe Honco, son mandat à la fin de 1998 et au début de 1999 avait consisté à procéder à l’inventaire physique. Néanmoins, il avait vu, examiné et considéré les accords de janvier 1999 concernant la location des actifs, concernant l’option sur les actions et concernant l’option sur les actifs peu avant qu’ils ne soient conclus, encore qu’il n’eût pas le mandat général de structurer les opérations. Selon leurs termes, les documents qu’il avait examinés auraient dû comprendre les états financiers de l’Ancienne Supervac. Le fiscaliste n’était tout simplement pas impliqué à ce stade de la série d’opérations. Il convient de noter que, à l’époque, un autre comptable du même cabinet, qui n’a pas témoigné, avait examiné les états financiers du 31 octobre 1998 de l’Ancienne Supervac et les avait repris. Il est clair, au vu des états financiers initiaux, qu’un important dividende en capital avait été versé par l’Ancienne Supervac sur ses actions privilégiées et qu’un appréciable produit d’assurance-vie avait été reçu par l’Ancienne Supervac. Les états financiers modifiés n’ont pas été déposés en preuve.

 

[24]        Il appert du témoignage de monsieur Lacasse et de son comptable, ainsi que de la preuve documentaire, que l’avocat du Groupe Honco de monsieur Lacasse avait été dès le départ un participant clé dans la structuration et la négociation des droits susmentionnés au nom de la Nouvelle Supervac, puisqu’il avait d’abord joué un rôle relativement à la lettre de proposition de monsieur Lacasse datée du 28 décembre 1998. Cet avocat n’a pas été appelé à témoigner par l’appelante et l’on ne m’a pas dit pourquoi il aurait été difficile, impossible ou inopportun de le faire témoigner.

 

[25]        Le comptable de monsieur Lacasse a admis que lui ou son cabinet aurait dû plus tôt reconnaître et considérer le compte de dividendes en capital comme faisant partie intégrante des opérations dans les circonstances. Il a affirmé très clairement, toutefois, que la structuration de l’acquisition ne faisait pas partie de son mandat.

 

[26]        Il est certainement possible, et peut-être même vraisemblable, qu’aucun des participants représentant le Groupe Honco n’ait arrêté son attention sur le compte de dividendes en capital de l’Ancienne Supervac résultant de sa police d’assurance sur la vie de monsieur Bédard. Cependant, la question à trancher est de savoir si, selon la prépondérance de la preuve, c’était effectivement le cas.

 

[27]        Comme il est indiqué dans la jurisprudence susmentionnée, une preuve plus solide et plus convaincante est peut-être nécessaire en pratique pour satisfaire au critère de la prépondérance de la preuve et des probabilités lorsqu’il s’agit d’établir la réalité d’un événement inusité.

 

[28]        Bien que possible et peut-être vraisemblable, il est certainement remarquable, surprenant, et peut-être commode qu’un homme d’affaires expérimenté, qui avait monté plusieurs entreprises et en avait acquis au moins une autre, qui était aidé par un cabinet d’avocats externe et un cabinet externe de comptables agréés, et qui :

 

1)      était au courant de la maladie en phase terminale de monsieur Bédard,

 

2)      était au courant du fait que l’Ancienne Supervac avait une police d’assurance sur la vie de monsieur Bédard,

 

3)      avait en main, à l’époque où les actions de l’Ancienne Supervac ont été acquises à la suite de la levée de l’option, des états financiers indiquant que le produit d’une assurance-vie avait été reçu et qu’un dividende en capital avait été versé aux anciens actionnaires de l’Ancienne Supervac au cours de cette même période, et

 

4)      projetait de recueillir l’avantage que représentaient les comptes de perte fiscale de l’Ancienne Supervac,

 

ait pu ne pas constater la disponibilité du compte restant de dividendes en capital de l’Ancienne Supervac.

 

[29]        Dans toutes ces circonstances, il m’est tout simplement impossible de conclure que les contribuables se sont acquittées de leur obligation de prouver que les cotisations établies étaient inexactes et que l’acquisition du compte de dividendes en capital, dont la valeur résidait dans le fait qu’il ouvrait droit à une distribution sous forme de dividende en capital, ne comptait pas parmi les objets principaux de l’acquisition par la Nouvelle Supervac des actions de l’Ancienne Supervac. Lorsqu’il s’agit d’établir l’intention en particulier, l’existence d’une preuve corroborante contemporaine sous forme d’écrits ou de témoignages de tiers revêt une importance un peu plus grande. En l’espèce, il semble que la structuration et la négociation des opérations ont été faites par l’avocat externe du Groupe Honco et par monsieur Lacasse et, pour le vendeur, par l’avocat de l’Ancienne Supervac, peut-être aidé du comptable de celle-ci.

 

[30]        Manifestement, les conseillers de l’Ancienne Supervac étaient bien au fait de l’existence et de la valeur du compte de dividendes en capital. Ils avaient déclaré un dividende en capital en faveur de la veuve de monsieur Bédard. Il est raisonnable de supposer que les vendeurs, c’est-à-dire les actionnaires de l’Ancienne Supervac, en essayant de maximiser le produit qu’ils recevaient, auraient cherché à faire reconnaître la valeur de cet actif incorporel au moyen d’un compte fiscal. Ils n’ont pas témoigné.

 

[31]        Une preuve qui aurait pu être très importante, soit le témoignage de l’avocat du Groupe Honco, n’a pas été présentée à la Cour. L’avocat de l’intimée m’a invité à tirer une conclusion défavorable du fait que les contribuables n’ont pas appelé cet avocat à témoigner. Normalement, il est loisible à l’une ou l’autre des parties d’appeler une personne à témoigner, soit de son plein gré, soit, si cela est nécessaire, par suite d’un subpoena. Cependant, dans le cas de cet avocat du Groupe Honco, qui avait été consulté à propos des opérations, seules les contribuables pouvaient renoncer au privilège du secret professionnel de l'avocat et le faire témoigner. L’intimée n’aurait pas pu, simplement en lui signifiant un subpoena, le contraindre à témoigner concernant sa connaissance de l’affaire et concernant l’avis qu’il a donné.

 

[32]        Peut-être un témoignage corroborant additionnel donné par un participant aussi important dans la structuration et la négociation des opérations que l’avocat du Groupe Honco ou l’avocat ou le comptable du vendeur, m’aurait-il convaincu, selon la prépondérance de la preuve, que l’inattendu et l’étonnant se sont en fait produits, que les participants agissant au nom du vendeur n’ont pas porté le compte de dividendes en capital et sa valeur potentielle à l’attention de l’acheteur et de ses conseillers, et que ces professionnels ‑ avocats, comptables et fiscalistes ‑ n’ont pas reconnu par eux-mêmes l’existence ou la valeur du compte de dividendes en capital, même si son existence, la réception du produit de l’assurance-vie et la déclaration concomitante d’un dividende en capital en faveur des anciens actionnaires étaient toutes des éléments qu’ils avaient sous les yeux.

 

[33]        Il n’est peut-être pas surprenant qu’aucun des écrits ne parle du compte de dividendes en capital, parce que, s’il y avait eu intention d’acquérir ce compte, le fait de manifester cette intention aurait eu pour résultat sa non-acquisition.

 

[34]        Les contribuables ne se sont donc pas acquittées de la charge de la preuve qui leur incombait, et on n’a pu me convaincre, selon la prépondérance de la preuve, que l’acquisition du compte de dividendes en capital et le versement des dividendes en capital ne comptaient pas parmi les objets principaux de la série d’opérations. Pour ces motifs, les appels doivent être rejetés.

 

[35]        L’avocat des appelantes a prié la Cour de conclure néanmoins que l’application du paragraphe 83(2.1) devrait avoir pour effet qu’un unique dividende en capital soit réputé être un dividende imposable. Selon l’avocat, il est injuste et inéquitable de multiplier par trois l’impôt sur les dividendes du seul fait que l’on faisait passer en cascade l’unique dividende en capital par les comptes de dividendes en capital de sociétés intermédiaires. Aucun argument n’a été avancé pour montrer quelle disposition de la Loi m’autoriserait à en arriver à la conclusion demandée. Si le dividende initial versé par la Nouvelle Supervac à son actionnaire n’était pas un dividende en capital aux termes de l’alinéa 87(2)z.1) et du paragraphe 83(2.1), il n’a donné naissance à aucun compte de dividendes en capital dans les comptes de son actionnaire, et le dividende déclaré par la Nouvelle Supervac en faveur de son actionnaire ne pouvait donc pas être un dividende en capital. Aucune disposition de la Loi n’empêche ce résultat. Cependant, il existe une disposition qui permet d’atténuer les conséquences de dividendes en cascade dans de telles circonstances, si l’actionnaire ultime fait un choix à cette fin. Je crois comprendre que, dans le cas présent, aucun choix du genre n’a encore été fait. Il semble que les contribuables puissent encore faire un tel choix, lequel pourra, au gré du ministre, être accepté comme un choix tardif, sur paiement d’une pénalité prescrite par la Loi. Dans les circonstances, si un choix tardif est fait, il semblerait déraisonnable que le ministre n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire en acceptant ce choix, sur paiement de la pénalité prescrite. Cependant, c’est là quelque chose que la Cour n’a pas compétence pour ordonner. Il n’appartient évidemment pas à la Cour d’envisager une entorse à une disposition claire de la Loi afin de permettre à un contribuable de se soustraire au paiement d’une pénalité pour dépôt tardif.

 

[36]        Les appels sont rejetés, avec dépens.

 

 

Signé à Montréal, Québec, ce 4e jour de septembre 2012.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 305

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :        2009-2134(IT)G, 2009-2133(IT)G,

                                                          2009-2135(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            GROUPE HONCO INC., 9069-4654 QUÉBEC INC., GESTION PAUL LACASSE INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 8 et 9 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 4 septembre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats des appelantes :

Me Carl Thibault

Me Ariane Gagnon-Rocque

Avocats de l’intimée :

Me Nathalie Labbé

Me Simon Vincent

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes :

 

                          Nom :                    

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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