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Dossier : 2011-1854(GST)I

ENTRE :

9183-2899 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 4 octobre 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable Jean-Louis Batiot, Juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Richard Généreux

Avocate de l'intimée :

Me Laurence Marteau

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 6 avril 2010, sans numéro distinctif, pour la période du 1er juillet 2007 au 28 février 2009, est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 11e jour de janvier 2013.

 

 

« Jean-Louis Batiot »

Juge suppléant Batiot


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 8

Date : 20130111

Dossier : 2011-1854(GST)I

ENTRE :

9183-2899 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Batiot

 

[1]             L’appelante interjette appel d’une cotisation du 6 avril 2010, d’un montant total de 5 398,35 $ (intérêts inclus), pour la période du 1er juillet 2007 au 28 février 2009. L’intimée avait refusé d’accorder (éventuellement) un crédit de taxe sur les intrants (CTI) de 4 861,62 $, pour l’achat de pièces détachées et accessoires d’automobile de la compagnie 9183-7302 Québec Inc. (le Fournisseur), tel qu’indiqué sur ses factures : ce Fournisseur était incapable de livrer à l’appelante ces fournitures; elles n’étaient donc que de simples factures de complaisance et l’appelante n’avait aucun droit à ce CTI.

 

[2]             L’appelante plaide de toute autre façon :

 

1.      9183-7302 Québec Inc. était, aux connaissances de l’appelante, son Fournisseur. Elle l’a toujours été. L’appelante payait ces factures par chèque, contre livraison de ces pièces, après vérification de la marchandise et le statut valide de ce Founisseur vis-à-vis Revenu Québec.

2.      Ces factures démontrent qu’il y avait une activité commerciale et que l’appelante a présenté un cas prima facie qui démolit les hypothèses de l’intimée.

3.      Même si elles étaient illégales, les activités de 9183-7302 Québec Inc. étaient toujours commerciales et taxables; puisque le numéro de TPS était valide, les sommes payées par l’appelante à cette compagnie sont des intrants qui peuvent être réclamés contre ses propres remises à Revenu Québec. Elle se réfère à Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Parent, 2008 QCCA 1476.

4.      Il est important que le système de la TPS, y inclut les intrants, soit respecté; sa cliente a payé ces sommes de bonne foi; elle a droit à sa réclamation.

5.      L’appelante a toujours agi de bonne foi. Revenu Québec indiquait que le numéro d’inscription du Fournisseur était valide. L’appelante a le droit de se fier à cette représentation.

6.      L’intimée aurait dû radier beaucoup plus rapidement le numéro d’inscription : elle était la seule personne à savoir si oui ou non 9183-7302 Québec Inc. était engagée dans une activité commerciale illégale, et la seule à pouvoir vérifier si ce Fournisseur était délinquant.

7.      L’intimée a cotisé 9183‑7302 Québec Inc. sur une somme importante (4 345 600 $) de factures. Elle est la seule à savoir si quelque partie de la somme payée par l’appelante a déjà été payée par le Fournisseur, un fait qu’elle ne divulguerait pas à l’appelante. Il faut donc éviter un double recouvrement de la TPS qui serait contraire au système même et pénaliserait l’appelante, ou toute autre personne qui serait dans son cas.

 

 

LES FAITS

 

[3]             M. Gaétan Laferrière, depuis 45 ans dans le recyclage automobile, est un commerçant averti. Il a maintenant 66 ans et à la retraite depuis deux ans. Il a créé 9183-2899 Québec Inc., l’appelante, après avoir vendu une autre compagnie il y a quelques années. Il faisait affaires sous le nom de Recyclage d'autos G.L.

 

[4]             L’appelante achetait peut-être 2 500 voitures par an, ainsi que des pièces détachées. Elle revendait ces pièces aux garagistes et concessionnaires. Elle avait quelque 12 employés et avait un chiffre d’affaires annuel d’environ 1 200 000 $.

 

[5]             M. Laferrière complétait les trois quarts des achats et signait tous les chèques, une fois assuré par ses employés du bon état de la pièce et de la validité du numéro de taxe du Fournisseur.

 

[6]             M. Laferrière était toujours acheteur de pièces automobiles à bon marché, d’une centaine de fournisseurs, et même de particuliers. Il payait comptant, même si l’appelante, à la revente, devait faire crédit à ses meilleurs clients.

 

[7]             Ses relations commerciales avec le Fournisseur en l’espèce ont débuté à la suite d’une visite sur les lieux d’un vendeur et la première facture (2007-08-29). Elles ont continué avec trois vendeurs, Michel Manceau, Dave LeFrançois, et un autre dont il a oublié le nom, jusqu’au 23 février 2009, date de la dernière facture. Plus tard dans son témoignage, il ne se souvient que de prénoms, Pierre et Paul. Ces vendeurs étaient toujours munis d’une carte des Entreprises Trudeau. Le montant total de ces échanges facturés est de 103 597,71 $, donc le CTI en l’espèce, de 4 861,62 $.

 

[8]             À l’achat, l’appelante ne vérifiait que le bon état de la marchandise livrée, son numéro d’identification et le statut du numéro d’inscription du Fournisseur auprès de l’intimée (que celle-ci admet). Mais elle n’a pas vérifié si le Fournisseur détenait une licence de vendeur de pièces d’automobile, requise par l’article 153 du Code de la sécurité routière, L.R.Q., chapitre C-24.2.

 

[9]             La preuve est présentée à l’aide de cahiers de documents (A-1 & A-2) bien organisés avec 77 onglets. Les onglets 8 à 77 contiennent des factures à l’achat, chèques en contrepartie et factures de l’appelante pour la vente de certaines pièces détachées pertinentes. Ces factures ou chèques de l’appelante vont du 27 août 2007 au 23 février 2009, mais ne sont pas toujours dans le bon ordre chronologique (par exemple, à l’onglet 68, nous trouvons une facture et son chèque en contrepartie, du 12 février 2009; à l’onglet 77 se trouvent facture et chèque du 24 décembre 2008). L’objet est d’établir une piste documentaire de chaque transaction en question. Les pièces non revendues s’ajoutent à l’inventaire de l’appelante.

 

[10]        Par exemple, un examen de la pièce A-1, à l’onglet 8, montre une facture provenant de 9183-7302 Québec Inc., le Fournisseur, d’un montant de 1 139,50 $. Elle contient une description de pièces de deux modèles de voitures (Sedona et MPV), coûtant 500 $ chacune, plus la TPS et TVQ), datée du 23 août 2007, incluant son numéro valide de TPS (857444954RT0001); un chèque (# 246) payant le montant de 4 558 $ (pour satisfaire plusieurs factures), émis le 14 septembre 2007 et encaissé – la date n’est pas lisible – dans un C.E.C.M. (décrit comme Centre d’encaissement); ainsi que la facture de l’appelante à Luxe Automobile représentant la vente d’une de ces pièces (Sedona), pour 846,56 $, y inclut les taxes.

 

[11]        Ceci est répété pour chaque facture, pour une ou plusieurs pièces, avec un chèque en contrepartie, pour une ou plusieurs factures (par exemple, A-1, à l’onglet 21) et la facture de l’appelante, s’il y a lieu, pour toute pièce revendue.

 

[12]        Toutes les factures, qu’elles soient émises à, ou reçues par l’appelante, incluent la TPS et TVQ (ou GST and Prov. Tax) pertinente, ainsi que le numéro unique d’identification de chaque pièce. On peut voir l’excellent profit qui peut exister, à l’occasion.

 

[13]        L’intimée ne met pas en doute la validité de ces numéros de série contenus sur ces factures. Ces deux cahiers de pièces, d’ailleurs, ont été admis à la preuve par accord mutuel.

 

[14]        L’intimée ne nie pas que ces transactions aient eu lieu et que ces pièces détachées de voitures aient changé de main contre une contrepartie; elle dit simplement que le fournisseur n’était pas 9183-7302 Québec Inc., mais quelques autres personnes, qui lui demeurent inconnues; que 9183-7302 Québec Inc. n’avait pas les moyens physiques de faire ce genre d’affaires ou de transactions puisqu’elle n’avait ni entrepôt, ni employé, ni service administratif ou de transport, ni sous‑traitant; elle n’était qu’un fournisseur de factures de complaisance; donc, le numéro de TPS rattaché à 9183-7302 Québec Inc. est invalide quant à ces transactions. De fait, ce numéro a été radié en décembre 2009 à la suite de cette enquête de vérification commencée en mars 2009 par M. Serge Giroux.

 

 

9183-7302 Québec Inc. était-elle le Fournisseur de l’appelante?

 

[15]        L’appelante le prétend et le répète dans sa plaidoirie : les factures en sont la preuve; l’achat des pièces détachées le soutient; les chèques en contrepartie le démontrent, les reventes le soulignent. Ces faits sont suffisants pour démolir les hypothèses à la base de la cotisation en l’espèce.

 

[16]        L’appelante a payé 76 factures à 9183-7302 Québec Inc., du 29 août 2007 au 23 février 2009 et a reçu en échange les pièces d’automobile décrites, qu’elle a, en partie, revendues. C’est donc une preuve concluante de transactions commerciales, permises seulement par les transactions avec 9183-7302 Québec Inc.

 

[17]        La preuve, tant de M. Laferrière que des documents, démontre que les chèques n’étaient émis qu’après une vérification satisfaisante de la validité du numéro d’inscription auprès de Revenu Québec. De fait, un certificat à cet effet s’ajoute aux cahiers de pièces à partir de l’onglet 33 pour une transaction datée du 28 janvier 2008. Ce certificat ne parle que du statut du numéro de la TVQ, celui de la TPS n’étant pas disponible. Il n’y a pas d’explication pour ce changement de pratique.

 

[18]        La compagnie 9183-7302 Québec Inc., numéro d’entreprise 1164504897, a reçu un numéro d’immatriculation le 15 juin 2007, le jour de son inscription auprès du Registraire des entreprises du Québec. Elle y est décrite comme immatriculée, sans actionnaire ou président, ou secrétaire, principal dirigeant, fondé de pouvoir et avoir un seul administrateur, Trudeau, Guy, ayant la même adresse, 9251, 15e Avenue, Montréal (Québec) H1Z 3P4 (pièce A-1). Cette pièce est datée du 2011‑06‑07. Elle ne reflète peut être pas les faits de l’époque en question (du 2007‑08‑29 au 2009-02-23), mais il n’y aucune preuve à cet effet.

 

[19]        M. Laferrière n’a jamais rencontré ce Guy Trudeau. Il ne s’est jamais rendu à son siège social. De fait, l’adresse indiquée sur ses factures est différente (251, 15e Avenue). Il lui manque le premier chiffre, mais même ville et code postal. Cette adresse n’existe pas.

 

[20]        Les factures sont le seul lien entre l’appelante et 9183-7302 Québec Inc. Ni Pierre ni Paul, ou Michel Manceau ou Dave LeFrançois n’ont témoigné. La seule preuve est celle de M. Laferrière et M. Giroux, témoin de l’intimée, appelé aussi par l’appelante, expliquant le statut du Fournisseur, tel que découvert par ce dernier quelques mois après la dernière facture.

 

[21]        Il n’y a aucune preuve, ni de suggestions, que l’appelante était en collusion avec le Fournisseur dans le stratagème de factures de complaisance décrit dans la réponse de l’intimée. Du point de vue de M. Laferrière, sa compagnie avait eu des relations commerciales avec ce Fournisseur pendant presque 18 mois, d’une façon la plus fondamentale, un échange de marchandises dont elle avait besoin, à bon marché, contre un chèque, sans crédit ou garantie. Il ne suivait que sa pratique courante. Est-ce une preuve prima facie?

 

[22]        La juge Trudel, dans Amiante Spec Inc. c. Canada, 2009 CAF 139, indique, au paragraphe 23 :

 

Une preuve prima facie est celle qui est «étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé […] (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53).

 

Au paragraphe 24, la juge Trudel, se référant à Voitures Orly inc. c. Canada, 2005 CAF 425, dit que :

 

[…] le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement […]

 

et que ce contribuable :

 

[…] sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. Il possède des renseignements […] qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle (ibid.).

 

[23]        J’accepte le témoignage de M. Laferrière, pour l’appelante, qui, vu toutes les transactions complétées à son nom, vérifiées auprès des autorités, croyait faire affaires avec le Fournisseur. À ce stade de l’audience (cause prima facie), nous avons entendu la preuve de l’intimée, et sa position très claire : 9183-7302 Québec Inc. n’existait que de nom et, bien qu’elle avait des numéros de taxe valides, elle n’avait simplement pas les moyens de faire les transactions décrites par l’appelante.

 

[24]        Le témoignage des deux vérificateurs, M. Giroux, pour 9183-7302 Québec Inc. et Mme Lise Lavoie, pour l’appelante, se résume comme suit.

 

[25]        9183-7302 Québec Inc. :

 

-       A donné une fausse adresse sur ses factures, 251, 15e Ave., Montréal, qui n’existe pas;

-       A un numéro de téléphone sans service (du moins pendant la vérification de 2009);

-       A une adresse réelle, au 9251, 15e Ave., Montréal, dans un quartier résidentiel, sans aucune évidence d’activité commerciale;

-       A un administrateur, Guy Trudeau, à la même adresse, indiquée au Registraire des entreprises. Il n’y habite pas au moment de la vérification par M. Giroux;

-       N’a aucun entrepôt;

-       N’a aucun moyen de transport (camion);

-       N’a pas de dirigeant, administrateur;

-       A un seul actionnaire, Guy Trudeau, délinquant vis-à-vis de ses impôts et demeure bon absent;

-       A émis de nombreuses factures, souvent sans respecter leur ordre numérique, à quelque 195 « clients »;

-       Ne détient pas de licence valide qui lui permettrait de vendre des pièces détachées d’automobiles, tel que le requiert l’article 153 du Code de la sécurité routière;

-       A été cotisé sur un chiffre d’affaires de plus de 4 millions de dollars, d’après l’évidence de nombreuses factures provenant de 195 comptes, y compris celui de l’appelante;

-       N’a jamais fourni les rapports requis comme mandataire de Revenu Québec au sujet de la TPS.

 

[26]        Ces faits prouvent amplement les hypothèses de l’intimée, la base de la cotisation en l’espèce : la compagnie 9183-7302 Québec Inc. fournissait des factures d’accommodation, ou de complaisance et ne pouvait pas faire le commerce décrit par les factures émises à l’appelante. L’appelante a donc commis une erreur.

 

 

L’appelante a-t-elle fait preuve de diligence raisonnable pour éviter l’erreur commise?

 

[27]        Elle plaide qu’elle a agi de bonne foi et que l’intimée, responsable de sa bonne administration, a été négligente en maintenant comme valide le numéro d’inscription de taxe sur son site Web, sur lequel l’appelante se fiait.

 

[28]        L’intimée n’a commencé la vérification de 9183-7302 Québec Inc. qu’en mars 2009, près de deux ans après sa création, mais avait déjà reçu un nombre important de demandes de CTI se rapportant à ce Fournisseur, si ce n’est que de la part de l’appelante, qui faisait ses rapports trimestriellement.

 

[29]        Il semblerait que différentes sections de Revenu Québec ne soient pas toujours en communication, et qu’une demande de CTI ne soit pas toujours reliée au mandataire qui aurait perçu, ou aurait dû percevoir et remettre la taxe, ce qui expliquerait le délai de cette vérification qui a dévoilé une fraude importante.

 

[30]        J’accepte que l’appelante vérifiait le numéro d’inscription, même avant de retenir une copie de ce certificat dans ses dossiers (pratique instituée le 25 janvier 2008, onglet 33). Et j’accepte aussi que, sans numéro valide, elle n’aurait pas payé la facture et qu’il n’y a aucune preuve ou suggestion de collusion entre l’appelante et le Fournisseur.

 

[31]        Elle plaide qu’elle a agi de bonne foi, et qu’elle ne devrait pas être l’assureur de Revenu Québec, qui, n’ayant pas reçu les fonds de son mandataire, se retourne contre elle sans justification.

 

[32]        L’appelante se réfère à l’affaire Joseph Ribkoff Inc. c. La Reine, 2003 CCI 397 et Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Vêtements de sport Chapter One Inc., 2008 QCCA 598.

 

[33]        Cette dernière traitait d’un appel d’une décision de la Cour du Québec, accueillant l’appel du contribuable quant à une cotisation de TVQ pour des intrants refusés. La Cour d’appel du Québec approuve, au paragraphe 26, la défense de bonne foi telle qu’énoncée par Revenu Québec, dans son Bulletin d’interprétation, et détermine la question à poser comme simplement :

 

[…] si l’intimée était de bonne foi, c'est-à-dire si, selon l’appréciation des faits propres à l’espèce elle pouvait légitimement croire, en personne raisonnable, diligente et avisée dans son domaine d’activités que l’auteur des factures qu’elle a produites au soutien de sa réclamation était le véritable fournisseur.

 

[34]        La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Corp. de l’École Polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, remarque qu’il y a deux défenses distinctes, celle de bonne foi, et celle de diligence raisonnable (en cas d’infractions de responsabilité stricte). Elle observe, au paragraphe 29 :  

 

La défense de diligence raisonnable ne doit pas être confondue avec la défense de bonne foi qui a cours dans le régime de responsabilité pénale exigeant la preuve d’une intention ou d’une connaissance coupable. La défense de bonne foi permet l’exonération d’une personne qui a commis une erreur de fait de bonne foi, même si celle-ci est déraisonnable, alors que la défense de diligence raisonnable exige que cette erreur soit raisonnable, c'est-à-dire une erreur qu’une personne raisonnable aurait aussi commise dans les mêmes circonstances. La défense de diligence raisonnable qui requiert une croyance raisonnable, mais erronée, en une situation de fait est donc plus exigeante que celle de bonne foi qui se contente d’une croyance honnête, mais tout aussi erronée.

 

[35]        La distinction entre ces deux arrêts est plus apparente que réelle, car tous les deux soulignent l’importance d’une diligence raisonnable pour s’informer des circonstances.  Je suis lié par l’arrêt de la Cour d’appel fédérale.

 

[36]        Vu la preuve apportée à cet appel, la défense propre à cette erreur est si l’appelante a commis une erreur raisonnable dans sa compréhension que le Fournisseur était 9183-7302 Québec Inc., ou a pris les précautions raisonnables pour l’éviter.

 

[37]        De fait, c’est la question-clé de cet appel.

 

[38]        Dès le début, elle ne faisait affaires qu’avec les vendeurs se disant représentants de 9183-7302 Québec Inc. C’était sa pratique courante. Elle avait ses clients habituels, desquels elle achetait régulièrement. De fait, c’est ce qu’elle a fait avec le Fournisseur, pendant 18 mois. La cessation des relations, après le 23 février 2009, demeure sans explication.

 

[39]        Puisqu’elle achetait comptant, sans garantie ou crédit, elle n’avait pas à contacter, j’infère, la compagnie même. Chaque transaction se complétait sur ses propres lieux.

 

[40]        Certainement, la vérification après les faits montre le manque de chronologie numéraire de certaines factures, quelques fois le même jour. Mais dans l’espèce, achetant de plusieurs vendeurs ambulants, ce n’est pas extraordinaire. Il n’est pas démontré que toute entreprise doit conserver, et vérifier régulièrement, ce genre de statistiques.

 

[41]        Plusieurs factures antidataient le jour du paiement. J’accepte que le paiement était fait sur livraison de la marchandise, après vérification de sa qualité. J’en infère qu’il est probable que ces factures représentaient des commandes pour certaines pièces désirées, et livrées à une date ultérieure. La pièce I-2 le démontre pour les paiements, par exemple, du 2008-10-09 (factures du 2008-09-26 & 2008-10-08); du 2008-04-28 (factures du 2008-04-28, 2008-04-25); du 2008-04-29 (factures du 2008-04-25 & 2008-04-29); du 2007-10-04 (factures du 2007-09-07, 2007-09-10, 2007-09-11, 2007-09-12, 2007-09-13 & 2007-09-03).

 

[42]        L’appelante s’assurait de l’existence de ce Fournisseur auprès des sites Web de Revenu Québec et du Registraire des entreprises. Le premier n’avait que le numéro d’inscription de la TVQ. Mais l’appelante faisait ses rapports pour les deux taxes à Revenu Québec, qui admet que les deux numéros étaient valides jusqu’à leur radiation fin novembre, début décembre 2009, quelque 9 mois après la dernière facture. J’accepte le témoignage de M. Laferrière que la validité de ces numéros était une condition préalable pour chaque paiement, tel que le requiert la loi et la jurisprudence (Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada, 2007 CAF 226; Comtronic Computer Inc. c. Canada, 2010 CCI 55, rendu le 28 janvier 2010). La seule façon de s’en assurer est de vérifier le site Web de Revenu Québec ou de l’appeler. C’est ce qu’elle a fait, chaque fois. Le numéro de TVQ était valide. Elle avait fait ses rapports et réclamé ses CTI pour la TVQ et la TPS tous les trois mois depuis août 2007 vis-à-vis de ce Fournisseur. Elle n’a reçu un avis de l’intimée qu’en 2010, plus d’un an après son dernier rapport comprenant un CTI de ce Fournisseur, qu’il existait une difficulté.

 

[43]        Bien que licenciée elle-même sous l’article 153 du Code de la sécurité routière, elle n’a jamais exigé ce renseignement pertinent des vendeurs. Une telle licence est obtenue après que son détenteur ait donné un cautionnement pour garantir un remboursement adéquat à un propriétaire dont le véhicule routier a été volé ou satisfaire l’exécution d’un jugement ou d’une transaction … entre un consommateur et un titulaire de licence (art. 154 C.S.R.).

 

[44]        Je constate que l’appelante conservait sur ses propres factures, et celle qu’elle recevait du Fournisseur, les numéros d’identification de véhicule routier ou de leurs pièces. Cela est admis par l’intimée, et il n’est donc pas question si ces renseignements satisfaisaient ou non les normes établies par l’art. 155. À prime abord, elle semble le faire, tels que numéro d’identification de tout véhicule routier… description de ses pièces majeures et leur identification par le numéro d’identification, etc.

 

[45]        Il aurait été préférable que l’appelante ait obtenu ce numéro de licence, mais le résultat direct de cette omission  est que l’appelante, en cas de réclamation (par un propriétaire de véhicule routier volé … ou … un consommateur) est seule responsable et ne pourrait pas tenir la caution à l’être solidairement, ainsi que l’article 154 le prévoit.

 

[46]        Étant donné les circonstances existantes au moment de ces transactions, l’appelante a exercé la diligence nécessaire et raisonnable requise pour éviter de commettre l’erreur qui lui est maintenant imputée par l’intimée, en se fiant aux représentations de celle-ci.

 

[47]        L’appel est accueilli.

 

 

Signé à Montréal, Québec, ce 11e jour de janvier 2013.

 

 

 

« Jean-Louis Batiot »

Juge suppléant Batiot

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 8

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1854(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            9183-2899 QUÉBEC INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable Jean-Louis Batiot,

                                                          Juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 11 janvier 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Richard Généreux

Avocate de l'intimée :

Me Laurence Marteau

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                        Nom :                        Me Richard Généreux

 

                    Cabinet :                       Avocat - Fiscaliste

                                                          Ile-des-Sœurs (Québec)

 

           Pour l’intimée :                      William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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