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Dossier : 2012-639(GST)I

 

ENTRE :

LYN WILLIAMS-KEELER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 26 octobre 2012, à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge J.M. Woods

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Marc Thibault

 

Avocat de l’intimée :

Me Paul Klippenstein

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes se terminant le 31 décembre 2005 et le 31 décembre 2006 est rejeté.

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 28e jour de janvier 2013.

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2013.

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 28

Date : 20130128

Dossier : 2012-639(GST)I

 

 

ENTRE :

LYN WILLIAMS-KEELER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Woods

 

[1]             Dans le présent appel, il s’agit de savoir si les services de thérapie pour le traitement des traumatismes fournis par l’appelante, Lyn Williams-Keeler, sont des services exonérés de la taxe sur les produits et services (la « TPS »). Mme Williams‑Keeler a fait l’objet d’une cotisation en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») compte tenu du fait que les services qu’elle fournit sont des fournitures taxables, sauf pour ceux qui sont couverts par le régime d’assurance‑santé provincial.

 

[2]             Mme Williams-Keeler fait valoir que les services sont des fournitures exonérées selon les dispositions suivantes de la partie II de l’annexe V de la Loi, qui font état de fournitures exonérées dans le domaine des services de santé :

 

a)     la fourniture de services par un médecin (article 5);

 

b)    la fourniture par un praticien de services de psychologie (alinéa 7j));

 

c)     la fourniture d’un service de santé effectuée sur l’ordre d’un médecin ou un praticien (article 10).

 

[3]             Le montant de TPS en cause est de 3 029 $ pour la période de déclaration se terminant le 31 décembre 2005 et de 3 871 $ pour la période de déclaration se terminant en 2006.

 

Contexte

 

[4]             Mme Williams‑Keeler est historienne de formation et elle s’est spécialisée dans le domaine des répercussions des événements traumatisants. Sa carrière a bifurqué au début des années 1990, après qu’elle a été aux États-Unis pour interviewer des anciens combattants de la guerre du Vietnam qui souffraient du trouble de stress post‑traumatique (« TSPT »). Elle a alors décidé qu’il n’était pas suffisant d’écrire sur le sujet : elle voulait devenir thérapeute.

 

[5]             Comme, à ce moment‑là, aucune formation n’était donnée au Canada dans le domaine de la thérapie pour le traitement des traumatismes, Mme Williams‑Keeler a pris des mesures pour recevoir de la formation à une installation de soins de santé aux États-Unis.

 

[6]             Mme Williams‑Keeler est par la suite revenu au Canada, où elle a travaillé comme chercheuse dans le domaine de la santé mentale à l’Hôpital Royal Ottawa. Cette expérience lui a permis de travailler en étroite collaboration avec les psychiatres et les psychologues de l’hôpital et de continuer à se consacrer à l’étude du TSPT. Après une période d’environ sept ans, Mme Williams‑Keeler a ouvert son propre cabinet en tant que thérapeute spécialisée dans le traitement des traumatismes.

 

[7]             Mme Williams‑Keeler a appris plusieurs techniques permettant d’aider les gens à gérer les symptômes du TSPT, dont les suivantes : intégration neuro‑émotionelle par les mouvements oculaires (EMDR), psychothérapie sensorimotrice, thérapie par le traitement cognitif, thérapie centrée sur les émotions, thérapie comportementale dialectique et thérapie accélérée de l’attachement (transcription, p. 42 à 44).

 

[8]             Bon nombre des patients de Mme Williams‑Keeler lui sont adressés par des psychiatres et des médecins de famille, et, dans la plupart des cas, les patients ont également besoin de suivre un traitement médical continu. Mme Williams‑Keeler dit travailler en étroite collaboration avec les médecins de ses patients.

 

[9]             Si la thérapie fournie par Mme Williams‑Keeler est financée par un assureur ou un organisme gouvernemental, des rapports sont requis. Les rapports sont généralement cosignés par Mme Williams‑Keeler et un médecin, Mme Williams‑Keeler devant signer le rapport en tant que personne ayant fourni le traitement.

 

[10]        Pour les patients qui reçoivent des prestations à titre de fonctionnaires, un médecin doit non seulement signer le rapport, il doit aussi attester qu’il a supervisé le travail de Mme Williams‑Keeler.

 

[11]        Au cours de la période pertinente, aucune autorisation n’était exigée par le gouvernement pour exercer le métier de thérapeute spécialisé dans le traitement des traumatismes au Canada. Mme Williams‑Keeler détient toutefois une psychothérapeute autorisée membre de l’Association des consultants et conseillers en santé mentale, psychométriciens et psychothérapeutes de l’Ontario.

 

[12]        Mme Williams‑Keeler considère que les patients à qui elle fournit ses services sont ses patients à elle et elle leur facture ses services directement.

 

Analyse

 

[13]        La Loi prévoit une exonération pour un grand nombre de services de santé énumérés à la partie II de l’annexe V. Les services fournis par des thérapeutes spécialisés dans le traitement des traumatismes ne sont pas expressément mentionnés, mais Mme Williams‑Keeler fait valoir que les services qu’elle fournit font partie des fournitures exonérées suivantes :

 

a)     la fourniture de services par un médecin (article 5);

 

b)    la fourniture par un praticien de services de psychologie (alinéa 7j));

 

c)     la fourniture d’un service de santé effectuée sur l’ordre d’un médecin ou un praticien (article 10).

 

[14]        Même si la situation en l’espèce suscite de la sympathie, j’ai conclu que les services fournis par Mme Williams‑Keeler ne font pas partie des fournitures exonérées susmentionnées. Mes motifs sont les suivants.

 

Médecin

 

[15]        Mme Williams-Keeler se fonde sur l’exonération prévue pour les services fournis par un médecin. Les dispositions applicables sont l’article 5 de la partie II et la définition du terme « médecin » (« medical practitioner » en anglais) à l’article 1 de la partie II.

 

5 [Services de santé rendus par un médecin] – La fourniture par un médecin de services de consultation, de diagnostic ou de traitement ou d’autres services de santé rendus à un particulier, à l’exclusion de services chirurgicaux ou dentaires exécutés à des fins esthétiques plutôt que médicales ou restauratrices.

 

1 […] « médecin » Personne autorisée par la législation provinciale à exercer la profession de médecin ou de dentiste;

 

[16]        Mme Williams‑Keeler n’est pas médecin selon la définition qui précède, mais elle soutient que les services qu’elle fournit sont visés par la disposition du fait de son étroite collaboration avec des psychiatres et des médecins de famille.

 

[17]        La question pertinente peut être formulée ainsi : les services de Mme Williams‑Keeler sont-ils fournis par un médecin?

 

[18]        Mme Williams‑Keeler a été impressionnante comme témoin et j’ai trouvé son témoignage franc et détaillé. J’accepte son témoignage sans réserve. Je conclus toutefois que les services fournis par Mme Williams‑Keeler ne sont pas des services fournis par un médecin. Les services qu’elle fournit sont des fournitures distinctes.

 

[19]        Selon la description qu’a donnée Mme Williams‑Keeler de la façon d’exercer sa profession, la relation qu’elle avait avec ses patients était distincte de la relation que ses patients avaient avec leur médecin. Mme Williams‑Keeler entretenait une relation contractuelle avec ses patients en vue de leur fournir des services de thérapie pour le traitement des traumatismes et elle leur facturait les services ainsi fournis. Les services étaient fournis par Mme Williams‑Keeler et non par les médecins.

 

[20]        Les médecins adressent souvent des patients à Mme Williams‑Keeler, mais cela ne signifie pas que les services fournis par Mme Williams‑Keeler sont fournis par des médecins. Les médecins adressent fréquemment des patients à d’autres professionnels, auquel cas il y a une entente distincte entre le patient et ces autres professionnels. C’est ce dont il est question dans le cas de Mme Williams‑Keeler.

 

[21]        Mme Williams‑Keeler travaille en étroite collaboration avec les médecins, mais les services qu’elle fournit sont néanmoins distincts de ceux qui sont fournis par les médecins. La collaboration se traduisait généralement par des discussions entre les professionnels quant au diagnostic et au traitement d’un patient. Il est arrivé à l’occasion qu’un patient assiste à une séance conjointe donnée par Mme Williams‑Keeler et un psychiatre lorsque ceux‑ci avaient un même patient. Même dans ces cas‑là, il semble qu’il y avait une relation distincte avec chacun des professionnels.

 

[22]        Dans ce qui a été décrit comme des situations mettant en cause un fonctionnaire, un médecin est tenu de superviser le travail de Mme Williams‑Keeler et de fournir une attestation à cet égard dans un rapport. La preuve donne à penser que le superviseur ne fournissait pas généralement de services de thérapie pour le traitement des traumatismes dans de tels cas, sauf pour ce qui est d’approuver le traitement que donnait Mme Williams‑Keeler. Je ne suis pas convaincue que, dans de tels cas, les services de Mme Williams‑Keeler étaient fournis par le médecin.

 

[23]        Par souci d’exhaustivité, je tiens à souligner que Mme Williams‑Keeler n’a pas demandé une exonération partielle à l’égard des services fournis. Elle n’a pas non plus fait état d’une répartition de ses services entre les services qu’elle avait fournis à des clients lui ayant été adressés, les services qu’elle avait fournis tout en étant supervisée et les services qu’elle avait fournis en collaboration avec un autre professionnel. Même si j’étais convaincue que certains des services fournis étaient visés par l’exonération, la preuve ne serait pas suffisante pour que je puisse accorder une exonération partielle.

 

Services de psychologie

 

[24]        L’article 7 prévoit une exonération pour les services de santé expressément mentionnés, dont les services de psychologie. La disposition pertinente est l’alinéa 7j).

 

7 [Soins de santé non médicaux] – La fourniture effectuée par un praticien d’un des services suivants rendus à un particulier :

 

a)         services d’optométrie;

b)         services de chiropratique;

c)         services de physiothérapie;

d)         services de chiropodie;

e)         services de podiatrie;

f)          services d’ostéopathie;

g)         services d’audiologie;

h)         services d’orthophonie;

i)          services d’ergothérapie;

j)          services de psychologie.

[Non souligné dans l’original.]

 

[25]        Il se peut que les services fournis par Mme Williams‑Keeler soient à juste titre qualifiés de services psychologiques. Cela n’est toutefois pas suffisant pour que les services puissent être visés par l’exonération. Pour que les services soient considérés comme des fournitures exonérées, il faut également que les services soient fournis par un « praticien » au sens de la définition donnée à l’article 1.

 

1 […] « praticien » Quant à la fourniture de services d’optométrie, de chiropraxie, de physiothérapie, de chiropodie, de podiatrie, d’ostéopathie, d’audiologie, d’orthophonie, d’ergothérapie, de psychologie ou de diététique, personne qui répond aux conditions suivantes :

 

a) elle exerce l’optométrie, la chiropraxie, la physiothérapie, la chiropodie, la podiatrie, l’ostéopathie, l’audiologie, l’orthophonie, l’ergothérapie, la psychologie ou la diététique, selon le cas;

 

b) si elle est tenue d’être titulaire d’un permis ou d’être autrement autorisée à exercer sa profession dans la province où elle fournit ses services, elle est ainsi titulaire ou autorisée;

 

c) sinon, elle a les qualités équivalentes à celles requises pour obtenir un permis ou être autrement autorisée à exercer sa profession dans une autre province.

 

[26]        Mme Williams‑Keeler n’est pas une praticienne au sens de la Loi parce que, au cours de la période en cause, aucune province n’exigeait de permis ou d’autorisation pour le travail dans le domaine de la thérapie pour le traitement des traumatismes.

 

[27]        Le représentant de Mme Williams‑Keeler soutient que celle‑ci peut être considérée comme une praticienne en raison de l’autorisation qui lui a été accordée par l’Association des consultants et conseillers en santé mentale, psychométriciens et psychothérapeutes. Il affirme que, selon la définition de « praticien », il n’est pas nécessaire pour la personne d’être autorisée à exercer sa profession. Il allègue que les termes « tenue » ou « requises » figurant respectivement aux alinéas b) et c) ci-dessus (« required » dans la version anglaise de la Loi) s’appliquent seulement aux permis et non aux autorisations.

 

[28]        Je ne souscris pas à cette interprétation. À mon avis, le législateur voulait que le terme « tenue » dans le passage « tenue d’être titulaire d’un permis ou d’être autrement autorisée à exercer sa profession » s’applique à la fois au fait d’être titulaire d’un permis et au fait d’être autorisé. Il ne serait pas logique que des critères différents soient utilisés pour les permis et pour les autorisations.

 

[29]        Reste à savoir si les services fournis à des clients ayant été adressés à l’appelante par un psychologue titulaire d’un permis et les services fournis en collaboration avec un tel psychologue peuvent donner droit à l’exonération prévue à l’article 7. Pour les motifs qui précèdent concernant les médecins, je conclus que, dans le cas de Mme Williams‑Keeler, ces deux types de services ne peuvent pas donner droit à l’exonération prévue à l’article 7.

 

Autres services de santé

 

[30]        Mme Williams‑Keeler se fonde également sur l’exonération relative aux autres services de santé qui figure à l’article 10 de la partie II. La disposition de la Loi, et celle du règlement y afférent, sont reproduites ci-dessous.

 

10 La fourniture d’un service de traitement, de diagnostic ou autre service de santé, visé par règlement, effectuée sur l’ordre d’un médecin ou d’un praticien.

 

Le Règlement

 

2 Pour l’application de l’article 10 de la partie II de l’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise, sont visés les services suivants, sauf ceux qui sont liés à la prestation de services chirurgicaux ou dentaires exécutés à des fins esthétiques et non à des fins médicales ou restauratrices :

 

a) les services de laboratoire ou de radiologie ou les autres services de diagnostic généralement offerts dans un établissement de santé;

 

b) l’administration de drogues, de substances biologiques ou de préparations connexes dans le cadre de la prestation des services visés à l’alinéa a).

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]        Le représentant de Mme Williams‑Keeler soutient que l’exonération prévue à l’article 10 ne s’applique pas uniquement aux services visés par règlement, mais qu’elle s’applique aussi aux « autre[s] service[s] de santé » lorsque leur fourniture est effectuée sur l’ordre d’un médecin ou d’un praticien. Il soutient que le terme « visé par règlement » ne modifie pas l’expression « autre service de santé ».

 

[32]        Je rejette cette interprétation parce qu’il n’est pas logique d’avoir un critère différent pour les services de diagnostic et les autres services de santé. De plus, il semble peu probable que le législateur ait voulu donner à l’article 10 une portée aussi générale que ne le laisse entendre le représentant de l’appelante, étant donné la liste exhaustive des services de santé exonérés figurant à la partie II.

 

Conclusion

 

[33]        Je conclus que les exonérations sur lesquelles se fonde Mme Williams‑Keeler ne s’appliquent pas aux services de thérapie pour le traitement des traumatismes qu’elle fournit. Il pourrait y avoir de bons arguments de principe qui justifient l’exonération de ces services, mais c’est là une question qui relève du législateur et non des tribunaux. L’appel est rejeté.

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 28e jour de janvier 2013.

 

 

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2013.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 28

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2012-639(GST)I

 

INTITULÉ :                                      LYN WILLIAMS-KEELER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge J.M. Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 janvier 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Marc Thibault

 

Avocat de l’intimée :

Me Paul Klippenstein

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     s.o.

 

 

                          Cabinet :                

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

 

 

 

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