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Dossier : 2011-5(IT)G

 

ENTRE :

ANDRÉ DROUIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu les 23, 24, 25, 26, 27, 30 et 31 janvier,

les 1er, 2, 6, 7, 8, 9, 13, 27, 28 et 29 février,

les 1er, 5 (conférence téléphonique), 13, 14,

15, 16, 19, 21 et 23 mars,

le 3 avril et les 8, 9 et 10 mai 2012,

à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelant :

Me Guy Du Pont

Me Michael H. Lubetsky

Me Jack J. Fattal

 

Avocats de l'intimée :

Me Michel Lamarre

Me Alain Gareau

Me Vlad Zolia

Me Sara Jahanbakhsh

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2008 et dont l'avis est daté du 27 août 2009 est accueilli, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mai 2013.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 139

Date : 20130503

Dossier : 2011-5(IT)G

ENTRE :

ANDRÉ DROUIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bédard

 

[1]             Le présent appel vise une nouvelle cotisation dont l’avis a été établi le 27 août 2009 pour l’année d'imposition 2008 (la « nouvelle cotisation »), par laquelle l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a refusé des déductions de 85 875,33 $ que l’appelant avait réclamées à titre d’amortissement, d’immobilisations admissibles et d’intérêts relativement à l’achat d’une franchise l’autorisant à commercialiser des logiciels.

 

Le contexte

 

[2]             Prospector Networks International, Inc. (« PIN ») était une société résidant à la Barbade. L’appelant soutient que PIN exploitait une entreprise de développement de logiciels destinés aux marchés commerciaux en Amérique du Nord et ailleurs (les « logiciels »).

 

[3]             Les logiciels sont les suivants :

 

i)                   Solutions Prospector : un progiciel destiné aux vendeurs, facilitant la prospection des clients;

 

ii)                Mail it Safe : un logiciel destiné aux avocats, aux professionnels de la santé, aux organismes publics et à tous ceux qui communiquent régulièrement des informations confidentielles, facilitant l’envoi sécuritaire et le suivi des courriels;

 

iii)              CashOnTime : un progiciel destiné aux directeurs financiers et agents de recouvrement, facilitant le suivi des créances et des paiements.

 

[4]             PIN a accordé des licences (en 2003 et en 2004) et des franchises (de 2005 à 2008) qui, selon l’appelant, permettaient aux licenciés et franchisés (collectivement les « franchisés ») d’utiliser et de commercialiser les logiciels et leurs produits dérivés.

 

[5]             Selon l’appelant, PIN, par l’entremise de ses filiales et associés commerciaux, offrait également, aux franchisés de commercialiser pour eux les logiciels en vertu d’un mandat.

 

[6]             L’appelant est ingénieur informaticien.

 

[7]             L’appelant a acheté une franchise en 2007 et a signé avec une filiale de PIN un contrat de mandat selon lequel cette filiale s’engageait à exploiter la franchise de l’appelant. Je souligne immédiatement que l’intimée soutient que ce contrat de mandat est un trompe‑l’oeil. L'appelant a acquis la franchise suivant les conseils de son planificateur financier.

 

[8]             Le coût d’acquisition de la franchise en 2007 a été de 200 000 $, soit un droit de franchise de 10 000 $ et des droits d’utilisation de 190 000 $ pour les logiciels Solutions Prospector et Logiciel Mail it Safe. L’appelant a remis au franchiseur un billet à ordre à recours illimité d’une durée de cinq ans qui portait intérêt au taux de 7,5 % l'an. L’intimée soutient que ce billet est un trompe‑l’oeil.

 

[9]             Les contrats signés en 2007 (c’est‑à‑dire le contrat de franchise et le contrat de mandat) furent remplacés par de nouveaux contrats en 2008. Le coût de la franchise fut augmenté de 30 000 $ en 2008. Au moment de l’acquisition de sa franchise en 2008, l'appelant a remis au franchiseur un billet à ordre à recours illimité d’une durée de dix ans qui portait intérêt au taux de 4 % l’an. L’intimée soutient que le contrat de mandat et le billet à ordre de 2008 sont aussi des trompe‑l’œil.

 

[10]        L’appelant n’avait pas de lien de dépendance avec PIN, ni avec le mandataire, ni avec l’une ou l’autre des sociétés affiliées.

 

[11]        La thèse de l’intimée : La thèse de l’ARC est que le seul motif de l’acquisition de la franchise par l’appelant était l’acquisition des déductions fiscales. Cette thèse repose sur les fondements suivants :

 

A)      Thèse I – L’inexistence de l’entreprise

 

[12]           Premièrement, l’ARC soutient que les déductions n’ont pas été engagées dans le but de gagner ou de produire un revenu, parce qu’en tout temps pertinent, l’appelant n’avait pas l’intention d’exploiter une entreprise et n’exploitait pas d’entreprise, pas plus d’ailleurs que les sociétés Réseau Prospector et MarketX Services Inc. n’avaient l’intention d’exploiter une entreprise et exploitaient une entreprise pour le compte de l’appelant. Voir la Réponse à l'avis d'appel (la « réponse ») au paragraphe 26l). Voir aussi la réponse aux paragraphes 28, 29 et 36 à 38. Voir aussi la réponse aux alinéas 25o), p) et r), où l’ARC allègue que l’appelant n’a jamais eu l’intention de tirer des revenus de son entreprise.

 

B)      Thèse II – Le trompe‑l’oeil

 

[13]        Deuxièmement, l’ARC soutient que le billet à ordre à recours illimité et le contrat de mandat et de gestion constituaient des « trompe‑l’œil » (voir la réponse aux alinéas 26l), m), p), x), y), z), aa) et bb) et aux paragraphes 32 et 34).

 

C)      Thèse III – Le prix déraisonnable

 

[14]        Finalement, l’ARC soutient que « la juste valeur marchande de la franchise et des droits s’y rattachant était nulle » (voir la réponse, alinéa 25s)). L’ARC soutient également que « la juste valeur marchande d’une franchise de Prospector International Networks Inc. était peu élevée sinon nulle » (voir la réponse, alinéa 26cc)).

 

 

La question en litige

 

[15]        La question en litige est la suivante : l’appelant exploitait‑il une entreprise au cours de l’année 2008? Cette question soulève aussi les questions suivantes :

 

a)                 Est‑ce que le billet à ordre à recours illimité et le contrat de mandat et de gestion constituaient des « trompe‑l’œil »?

 

b)                Est‑ce que les montants payés par l’appelant pour sa franchise étaient raisonnables?

 

 

Déroulement des procédures

 

[16]        Le 21 décembre 2010, l'appelant a interjeté appel devant notre Cour à l’encontre de la nouvelle cotisation et le 14 mars 2011, l’ARC a déposé sa réponse.

 

[17]        Après deux conférences de gestion de l’instance tenues le 19 mai et le 6 septembre 2011, notre Cour a fixé un échéancier serré et accéléré selon lequel les parties divulgueraient une quantité importante de documents et tiendraient des interrogatoires au préalable.

 

[18]        Le 14 septembre 2011, notre Cour a rendu une ordonnance assurant la confidentialité de diverses pièces produites par l’appelant. (Voir Drouin c. La Reine, 2011 CCI 425, 2012 DTC 1020.)

 

[19]        Le 21 octobre 2011, l’ARC a déposé une « Requête pour modifier la réponse à l’avis d’appel » pour alléguer que la franchise de l’appelant constituait un « abri fiscal » et que les logiciels qu’il commercialisait étaient des « logiciels déterminés », de telle sorte que les déductions réclamées par l’appelant étaient interdites par les dispositions applicables. Le 10 novembre 2011, notre Cour a rejeté cette demande. (Voir Drouin c. La Reine, 2011 CCI 519, 2012 DTC 1012.)

 

[20]        L’audition s’est déroulée du 23 janvier 2012 au 10 mai 2012 pour un total de 30 jours d’enquête. L’appelant a produit environ 785 pièces ayant environ 13 000 pages. L’intimée a produit pour sa part 161 pièces.

 

[21]        Lors de l’instruction, la Cour a rendu une décision rejetant notamment une objection de l’appelant au témoignage de cinq autres franchisés et de deux planificateurs financiers que l’ARC souhaitait faire témoigner à titre de témoins de faits similaires :

 

[44] Il convient de reproduire les paragraphes 22 à 24 des représentations écrites de l’intimée, qui se lisent comme suit :

 

22. L’intimée soutient que les témoignages des franchisés et des planificateurs financiers sont tout à fait pertinents selon les critères de la Cour suprême puisqu’ayant été impliqués dans des transactions identiques à celles impliquant la partie appelante, la preuve qu’ils apporteront tendra à faire accroître la probabilité que les contrats signés par l’appelant, ainsi que le billet à ordre qui lui aurait été remis, sont en réalité, des trompe-l’œil.

 

23. Les témoignages des franchisés et des planificateurs financiers tendront également à faire accroître la probabilité que des représentations ont été faites aux acquéreurs de franchise Prospector voulant que l’achat d’une franchise leur permettait d’obtenir un avantage fiscal plus élevé que la somme payée par eux.

 

24. Les témoignages des franchisés et de planificateurs financiers tendront également à faire accroître la probabilité qu’aucune entreprise n’était réellement exploitée par le biais des franchises Prospector.

 

(Drouin c. La Reine, 2012 CCI 94, par. 44)

 

 

[22]        Dans le même jugement, notre Cour s’est également prononcée sur la compétence des témoins experts que chacune des parties comptait présenter après une requête qui a eu lieu les 9 et 13 février 2012. Ainsi, notre Cour a accepté monsieur Jean‑François Ouellet (« M. Ouellet ») comme expert en gestion et en commercialisation de l’innovation. Par contre, la Cour a refusé d’accepter monsieur Denys Goulet comme expert en évaluation, jugeant son rapport dénué de valeur probante parce qu’il se fondait indissociablement sur les opinions d’une autre personne non identifiée qui n’avait pas été présentée à la Cour à titre d’expert.

 

 

Historique

 

[23]        Au cours du procès, l’appelant a dressé un portrait de l’historique de l’entreprise de PIN, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui, grâce aux témoignages de Thomas L. Jones (« M. Jones »), Michel Vincent (« M. Vincent »), Claude Duhamel (« M. Duhamel »), Me Paul‑André Mathieu (« Me Mathieu ») et Me Stéphane Teasdale (« Me Teasdale »).

 

[24]        Il ressort des témoignages de MM. Jones et Duhamel que PIN est le successeur d’une entreprise informatique fondée en 1998 par deux jeunes entrepreneurs, M. Jones et Carl Phoenix (« M. Phoenix »), Stratsite Inc. (« Stratsite »). L’entreprise de Stratsite portait initialement sur le développement de sites Web, la création de présentations « Power Point » et les communications électroniques, principalement pour le compte de sociétés financières. Stratsite comptait parmi ses clients la maison de courtage Valeurs mobilières Internat, pour laquelle M. Duhamel était courtier en valeurs mobilières. Satisfait du travail effectué par Stratsite et ayant des clients souhaitant investir dans de nouvelles entreprises de haute technologie, M. Duhamel a discuté avec MM. Jones et Phoenix afin de connaître leurs projets futurs. MM. Jones et Phoenix ont notamment parlé notamment de leur projet C‑Local, une banque de données informatisée comparable aux Pages jaunes, qui comportait des moteurs de recherche perfectionnés. Ce projet nécessitait toutefois des fonds importants. M. Duhamel a entrepris de trouver du financement et a amassé quelques millions de dollars auprès de différents investisseurs, ce qui a permis à Stratsite d’entreprendre le développement de C‑Local.

 

[25]        Vers la fin de l’an 2000 et au début de l’an 2001, au moment de l’éclatement de la bulle technologique, le site web de C‑Local fonctionnait et était accessible au grand public, mais n’était pas encore commercialisé. Or, le financement nécessaire au déploiement de C‑Local était impossible à trouver et il a fallu renoncer à procéder à un premier appel public à l’épargne. L’entreprise a bientôt été à court de fonds et a dû réduire considérablement son effectif.

 

 

Solutions Prospector

 

[26]        Malgré tout, le système de suivi et de notification auquel travaillait Stratsite a été mis au point. En 2002, on a décidé de se concentrer sur ce système de suivi afin de redémarrer l’entreprise. Grâce à leur savoir‑faire dans la conception de sites Web, de leur base de données et du système de suivi, M. Jones et son associé ont conçu un nouveau logiciel : Solutions Prospector. Ce logiciel devait permettre à l’utilisateur d’envoyer un courriel à une liste restreinte de destinataires, les invitant à consulter un site Web, et de suivre ensuite le comportement du destinataire lorsqu’il donnait suite à l’invitation.

 

[27]        Monsieur Duhamel a témoigné que lorsqu’il cherchait des fonds pour Stratsite, on l’avait renvoyé à Andrew Murray (« M. Murray »), un homme d’affaires résidant à la Barbade qui connaissait des personnes ayant accès à des capitaux partout au monde. Selon M. Duhamel, M. Murray s’était montré intéressé à l’entreprise de Stratsite et avait préparé avec lui le plan de financement et le plan d’affaires suivant. Canaventure, une société appartenant à M. Murray et constituée aux îles Vierges britanniques, demanderait à Stratsite de développer Solutions Prospector pour son compte. Canaventure, qui détiendrait la propriété intellectuelle des logiciels à être développés, vendrait aux investisseurs les licences de commercialisation des produits développés par Stratsite, et les licenciés demanderaient à leur tour à Stratsite de commercialiser les logiciels en leur nom. Les montants payés à Canaventure seraient remis à Stratsite et financeraient le développement des logiciels.

 

[28]        Le prix initial d’une licence a été fixé à 75 000 $. Afin d’assurer une source constante de liquidités pour Canaventure et Stratsite, les licences devaient être payées partiellement en argent comptant et partiellement au moyen d’un billet à ordre à recours limité. M. Duhamel a expliqué que, pour les licenciés, cette structure avait également l’avantage de réduire de façon appréciable leurs risques par l’amortissement du coût de leurs licences, tout en leur permettant de toucher des redevances.

 

[29]        En 2002, seules quelques licences ont été vendues. En 2003, le prix initial de 75 000 $ a été majoré à 100 000 $ et la mise de fonds initiale, de 30 % du montant total, devait être acquittée en versements échelonnés sur deux ans. Le solde, acquitté par un billet à ordre à recours limité, était exigible 10 ans plus tard. Les intérêts étaient payables à même les revenus réalisés. Selon M. Duhamel, environ 140 licences ont été vendues en 2003 et 250 en 2004, selon les mêmes modalités.

 

[30]        En 2003, Canaventure a commencé à utiliser le nom commercial Prospector International, puis a officiellement modifié sa raison sociale pour devenir PIN. Le 1er août 2003, PIN a constitué la société Réseau Prospector Inc. (« Réseau »), qui a pris en charge les activités de Stratsite, qui a alors cessé ses activités. M. Duhamel a expliqué qu’à partir de ce moment, Réseau a joué deux rôles distincts : d’une part, le développement de logiciels pour le compte de PIN; d’autre part, la commercialisation de ces logiciels pour le compte des licenciés. Une troisième société, Prospector USA, détenue entièrement par Réseau, a été constituée aux États‑Unis, selon M. Duhamel, dans le but de faciliter les efforts de commercialisation aux États-Unis.

 

[31]        Le développement de Solutions Prospector a été achevé en novembre 2003. À partir de 2003 également, les activités commerciales ont pris de l’ampleur. Réseau a notamment tenté de faire affaire avec des revendeurs de produits modifiés, c’est‑à‑dire des entreprises qui vendaient déjà des produits informatiques et qui pourraient distribuer Solutions Prospector en utilisant leur propre réseau. Cette tentative a échoué : MM. Duhamel et Jones ont expliqué que les revendeurs avaient refusé de distribuer Solutions Prospector parce qu’il n’avait pas encore fait ses preuves sur le marché. Réseau a ouvert des bureaux à Miami et à Montréal afin de tenter de vendre le logiciel. On a préparé un plan d’affaires dans lequel on identifiait les marchés cibles et on a effectué de nombreuses présentations, propositions personnalisées et analyses compétitives des produits concurrentiels. Réseau a identifié des clients notamment en utilisant Solutions Prospector. Quelques clients payants ou éventuels utilisaient Solutions Prospector. On a désigné douze d’entre eux comme des « comptes stratégiques », c’est‑à‑dire des entreprises bien connues dont la promotion de Solutions Prospector pourrait favoriser l’acceptation du marché et, par conséquent, accroître les ventes. Réseau a offert à ces entreprises des droits d’utilisation gratuits ou des prix réduits. Aussi, pour rejoindre des clients plus précis, Réseau a lancé deux logiciels dérivés de Solutions Prospector : « Prospector Finance » et « Prospector Trade Show ». Les licenciés ont été informés des nouveautés et des projets d’avenir par des mises à jour.

 

[32]        Malgré tout, les efforts de Réseau ne se traduisent pas en ventes. MM. Jones et Duhamel imputent ces résultats décevants à la tâche laborieuse que constituent la conception et la mise au point de microsites conformes aux normes élevées de professionnalisme. Les clients demandent également que Réseau fournisse les bases de données, lesquelles sont très coûteuses, alors que le modèle d’affaires de Prospector supposait que les clients fourniraient leurs propres listes.

 

 

Mail it Safe

 

[33]        En avril 2005, un nouveau logiciel a été annoncé. Prospect Mail, plus tard baptisé Mail it Safe, est décrit comme un outil de productivité et de sécurité. D’abord, il permet à l’expéditeur d’un message de savoir quand son message a été lu, pendant combien de temps il a été consulté et si les pièces jointes ont été téléchargées. Il permet également à l’expéditeur d’envoyer son message avec une sécurité accrue en utilisant des réseaux chiffrés branchés au serveur central de Mail it Safe et en utilisant des options supplémentaires, tel l’ajout d’un mot de passe. Mail it Safe ne pouvait d’abord être utilisé qu’à partir du Web en tant que module de Solutions Prospector, mais a ensuite été adapté pour être compatible avec Outlook, puis avec Lotus et BlackBerry, afin de rejoindre plus de clients. Mail it Safe est offert soit avec une licence perpétuelle, soit en acquérant un droit valable pendant une durée limitée, ou « SaaS » (software as a service), la différence étant la suivante, selon M. Vincent (voir l’interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, question 340) :

 

En général, une solution SaaS est hébergée. Ce que ça veut dire, c’est que la quincaillerie n’est pas chez le client, mais est prise en charge par le fournisseur de la solution. Donc, par exemple, Mail it Safe, les clients qui sont en mode SaaS, utilisent la solution via un serveur qui est hébergé par nous, en fait par notre partenaire qui a l’infrastructure spécialisée. Et pourquoi on offre les deux modes, c’est qu’on laisse, c’est une question de flexibilité commerciale. Il y a des entreprises qui ne veulent pas faire ce qu’on appelle en jargon du « capex » des dépenses en capital, et qui préfèrent avoir une dépense opérationnelle dans le budget. Parce que selon leurs procédures internes d’approbation des acquisitions, c’est plus facile de faire une dépense opérationnelle que de faire une dépense en capital. Dans d’autres entreprises, c’est le contraire. Donc, on se donne la flexibilité d’aller dans le sens des intérêts des clients.

 

Par ailleurs, il y a des entreprises, la technologie, c’est un peu comme la religion. Il y en a qui pensent que telle affaire, c’est la meilleure chose au monde, puis telle autre affaire n’a aucune valeur, puis le prochain va dire le contraire. Chacun a ses croyances. Donc, il y a des entreprises qui disent : nous, il est hors de question que les informations des applications qu’on utilise, soient hébergées à l’extérieur de notre infrastructure. Donc, ces entreprises‑là sont opposées au mode SaaS, parce qu’elles ne peuvent pas se faire à l’idée que les données vont résider ailleurs, D’autres entreprises vont vous dire le contraire. On ne veut rien savoir de gérer ça chez nous, on n’a pas les ressources en place.

 

 

[34]        En 2005 et 2006, Réseau a consacré des efforts et des sommes considérables à la commercialisation de Mail it Safe. Des consultants en marketing ont été engagés pour développer l’image de marque de Mail it Safe. Des « secteurs » sont identifiés : les services juridiques, les services financiers et les services de la santé. Réseau a également pris la décision de fermer le bureau de Miami et d’ouvrir des bureaux à New York, à Chicago, à Los Angeles et à Boston, où elle a créé des équipes de vente. Elle a embauché du personnel supplémentaire par le bureau de Montréal. On a établi un « bureau virtuel » à Londres pendant environ six mois, et on a envisagé d’ouvrir un bureau à Paris, selon M. Duhamel. Des discussions avec un associé mexicain ont également eu lieu, selon M. Duhamel.

 

[35]        On a préparé une quantité importante de documents destinés aux clients éventuels : présentations, brochures, guides, guides d’utilisation, « webinaires », et documents de nature technique. Réseau a créé un site Mail it Safe. Elle a fait de la planification stratégique et de la formation de vendeurs en interne, au moyen de rapports, de présentations et de documents analytiques. Elle a également assisté à différentes expositions, dont le LegalTech Trade Show à New York, et a participé à différents évènements fréquentés par sa clientèle cible. Elle a également mené un sondage auprès de membres ciblés de sa clientèle afin de mieux comprendre la perception des logiciels par les clients.

 

[36]        Réseau a également conclu des ententes avec différentes organisations, dont la Chambre immobilière du Grand Montréal, la Corporation de services du Barreau du Québec et le New York County Bar Association. Elle a fait don de 250 licences d’utilisation à la Blythedale Children’s Hospital, où le logiciel fut utilisé. Des négociations ont eu lieu avec Pitney Bowes et la Massachussetts Vietnam Veteran Association en vue de conclure une entente commerciale. Réseau a également fait d’IBM son associé technique, c’est-à-dire qu’IBM se chargeait des rapports de sécurité de Mail it Safe. D’ailleurs, comme Microsoft et BlackBerry, IBM a permis qu’on utilise son logo à des fins de publicité.

 

[37]        Réseau a également tenté de trouver des revendeurs qui pourraient vendre Mail it Safe à leurs clients. Cette solution, selon M. Duhamel, aurait pu mener à des ventes, mais aurait aussi eu l’avantage de faire connaître le produit, en vue d’une acquisition possible par une grande entreprise. Selon M. Duhamel, des pourparlers ont eu lieu avec Cablevision, Openface, Reach Everywhere, Merrill et BBDO, mais aucun n’a porté fruit.

 

[38]        En 2005, Revenu Québec, qui a assimilé le système de licences à un investissement davantage qu’à une entreprise, a menacé de refuser les déductions par amortissement. En réponse, Réseau et PIN ont offert aux licenciés de convertir leurs licences en franchises. Selon M. Duhamel, environ 40 licenciés, soit 20 % d’entre eux, ont refusé de convertir leur licence. Deux cents nouvelles franchises ont été vendues en 2005. De plus, M. Duhamel a expliqué qu’une entente spéciale, qui a consisté principalement en un congé partiel d’intérêts, avait été conclue avec 14 franchisés qui avaient déjà investi dans un autre de ses projets commerciaux qui n’avait pas bien fini.

 

[39]        Monsieur Duhamel a expliqué qu’aux termes des contrats de franchise de 2005, les franchisés avaient acquis « une franchise en exploitation » leur conférant « le droit, non exclusif de distribuer à l’intérieur du territoire, auprès de la clientèle autorisée… la solution Prospector ainsi que le logiciel MISMC pour une période de 25 ans ayant débutée le 15 janvier 2005 ». Selon le contrat, chacun des franchisés avait un territoire précis qui lui était attribué et avait accès à une banque de données sur les entreprises situées dans ce territoire (voir aussi le contrat de franchise Solution Prospector et Mail it Safe conclu entre Prospector International Network inc. et Annie Fortin le 30 décembre 2005 (pièce A‑55 (1‑97), volume 27, page 10893, à la page 10897, paragraphes 2.1 et 3).

 

[40]        Une autre clause de ce contrat prévoyait que si 75 % des franchisés convoqués à une assemblée à cette fin acceptaient de vendre leurs franchises à un tiers, un franchisé pouvait être tenu de vendre sa franchise, pourvu que la vente ait lieu à des conditions identiques pour tous les franchisés.

 

[41]        En réponse à une question des franchisés au sujet du nombre de franchises que PIN avait l’intention d’accorder, M. Duhamel avait répondu que PIN avait fixé le nombre maximal à 1 500 franchises et avait alors divisé les États‑Unis en 1 500 territoires selon le code postal. Chaque territoire, selon M. Duhamel, devait avoir entre 10 000 et 20 000 clients éventuels inscrits dans la banque de données de Dun & Bradstreet à l’usage des entreprises et professionnels. Selon M. Duhamel, on a informé les franchisés à maintes reprises du mode de répartition des territoires.

 

[42]        En outre, le prix de la franchise a été augmenté à 160 000 $ (incluant des frais de 10 000 $ de franchise pour tenir compte de l’arrivée de Mail it Safe) et des intérêts de 7 % par année étaient payables. La durée du billet était de quatre ans.

 

[43]        De nouvelles franchises ont été vendues en 2006 selon des modalités semblables.

 

[44]        Selon M. Duhamel, les montants payés par les franchisés ont servi au développement et à la commercialisation. Par ailleurs, la preuve a révélé que Réseau communiquait régulièrement avec les franchisés, le plus souvent par courriel, mais parfois par la poste. Le plus souvent, ces communications étaient en des mises à jour. Il y avait également des assemblées annuelles et extraordinaires, auxquelles assistaient bon nombre des franchisés, pendant lesquelles il y avait des présentations sur la situation commerciale et le développement. Un « manuel des franchisés », qui était mis à jour périodiquement, fut envoyé aux franchisés par la poste et par courrier électronique. On a organisé une « soirée VIP » pour souligner le lancement de Mail it Safe, on a mis un site « intranet » à la disposition des franchisés, et on a invité les franchisés à renvoyer les personnes qu’ils connaissaient à Réseau.

 

 

L’évaluation de Wise, Blackman de 2006

 

[45]           Monsieur Duhamel a expliqué que bien après l’éclatement de la bulle technologique, certains groupes financiers avaient recommencé à s’intéresser à Mail it Safe et que des négociations avaient été entamées. Selon M. Duhamel, M. Murray avait songé à la possibilité d’inscrire l’entreprise à une bourse de valeurs. M. Duhamel a aussi expliqué qu’il était devenu important d’avoir un avis sur la valeur de l’entreprise. (Voir interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 2 février 2012, questions 519‑531; mise à jour (en liasse), pièce A‑23.1.16.5, volume 18, page 7852 (pages 7862-7865) (possibilité d’inscription en bourse annoncée aux franchisés.)

 

[46]           De plus, selon M. Duhamel, les franchisés avaient commencé à vouloir savoir si le franchiseur et le mandataire avaient la capacité financière de continuer à développer les produits et à les commercialiser. (Interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 2 février 2012, questions 293, 299 et 302.)

 

[47]        Pour répondre à ces questions, PIN embaucha l’évaluateur renommé Richard M. Wise, FCA, FCBV, FASA, MCBA, du cabinet Wise, Blackman LLP (à noter que Wise, Blackman a fusionné avec MNP SENC le 1er juin 2011). (Interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 6 février 2012, question 88; Valuation of the business of Prospector International Network inc. as at Sept. 30, 2006 by Wise, Blackman LLP, pièce A‑21.1, volume 16, page 6939.)

 

[48]        Dans son rapport (l’« évaluation de 2006 »), Wise Blackman a conclu que :

 

[TRADUCTION]

 

À notre avis, selon les renseignements et les documents que nous avons examinés et les explications qui nous ont été données, et sous réserve des hypothèses et des restrictions dans les présentes, la juste valeur marchande de l’entreprise, vers la date d’évaluation, était de 147 000 000 $ à 164 000 000 $ (arrondi).

 

 

[49]        Les franchisés furent informés des conclusions de l’évaluation de 2006. (Mail it Safe 2006 Overview and Forecast for 2007, pièce A-22.1.27, volume 17, page 7298 (page 7301); PIN – Mise à jour – Juillet 2009, pièce A‑22.1.36, volume 17, page 7419 (page 7421).)

 

[50]        Malgré les efforts consacrés, les ventes de Mail it Safe étaient faibles. MM. Jones et Duhamel ont attribué l’échec de Mail it Safe aux responsables des services informatiques des clients éventuels, qui, d’une part, ne comprenaient pas la valeur ajoutée de la fonction de suivi et, d’autre part, tendaient à prendre beaucoup de temps pour s’assurer de la conformité de Mail it Safe avec leur propre réseau, faisant de la vente un processus très long. M. Ouellet, que j’ai reconnu comme expert, a expliqué que le marché n’était pas sensibilisé au problème du manque de sécurité dans les communications électroniques, et était donc moins enclin à y investir des sommes importantes (interrogatoire de M. Ouellet, transcription du 1er mars 2012, question 47). Par ailleurs, selon MM. Jones et Duhamel, compte tenu des différends avec les autorités fiscales, Réseau a dû consacrer davantage de ressources aux frais juridiques et aux activités de liaison avec les franchisés. Finalement, selon M. Jones et surtout selon M. Duhamel, le conflit fiscal a eu pour effet d’annihiler l’effet bénéfique des partenariats que Réseau avait conclus.

 

[51]        Messieurs Duhamel et Jones ont témoigné qu’en réponse à ces ventes décevantes, Réseau avait entrepris différentes mesures dont la création d’un « comité de ventes stratégiques », la tenue de sondages et la recherche de nouveaux partenariats. Elle avait également changé de politique des ressources humaines et avait exigé de ses vendeurs la préparation de rapports lorsqu’une occasion de vente étant perdue. Le prix de Mail it Safe a été modifié, et de nouvelles brochures et présentations ont été développées. En réaction aux commentaires de certains clients, Réseau a ajouté à Mail it Safe la fonction « réponse sécurisée ».

 

[52]        En 2007, les résultats étant toujours minimes, Réseau, selon M. Duhamel, a modifié son plan d’affaires. Toujours selon M. Duhamel, elle avait décidé de cesser les activités des bureaux situés aux États‑Unis et de concentrer ses efforts au Québec, un territoire qui n’avait pas été attribué aux franchisés, dans le but de bâtir une vitrine dont elle se servirait ensuite aux États‑Unis. Réseau avait réussi à recruter deux employés clés : Mohammed Yacoub (« M. Yacoub »), auparavant président d’une société de 1 200 employés avec un chiffre d’affaires de 120 millions de dollars, et Michel Lamontagne, membre du comité de déontologie de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») et président du conseil de la Régie de l’assurance maladie du Québec. M. Yacoub a fait préparer des études de marché ciblant des entreprises de plus grande envergure. Des négociations intensives ont eu lieu avec le bureau d’IBM à Montréal, afin de passer d’un partenariat technique à un partenariat de revente et de favoriser l’usage et l’adoption de Mail it Safe. Des démarches en ce sens avaient été entreprises par IBM auprès de Banque royale, de Bombardier et de Desjardins. Réseau avait également conclu une entente avec l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles du Québec et avait continué à créer de nouveaux logiciels.

 

[53]        Selon M. Duhamel, en 2007, Réseau avait tout de même poursuivi les efforts de ventes aux États‑Unis, mais à partir de Montréal.

 

[54]        Plusieurs ventes furent réalisées au Québec en 2007.

 

[55]        Monsieur Duhamel a expliqué qu’en août 2007, M. Yacoub avait offert de prendre en charge l’entreprise de développement et de commercialisation. Selon M. Duhamel, M. Yacoub désirait toutefois l’exploiter en utilisant une société distincte, parce qu’il voulait s’éloigner des différends avec les autorités fiscales. MIS International (« MIS ») a été créée à cette fin en décembre 2007. MM. Yacoub et Lamontagne devinrent respectivement directeur général et président du conseil de MIS. PIN, actionnaire à 70 %, lui a donné la tâche de développer les produits et de construire la vitrine pour les franchisés (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 29 février 2012, questions 575 et 577).

 

[56]        Selon M. Duhamel, les franchisés ont été informés de la création prévue de MIS lors de l’assemblée générale de novembre 2007.

 

[57]        Afin de développer les logiciels, MIS a pris en charge l’équipe technologique et la propriété intellectuelle des logiciels. La relation entre MIS et PIN a été encadrée par une série de contrats, dont certains ont été déposés en preuve (pièces A‑132, A‑133, A‑134 et A‑135). Aux termes de ces contrats, PIN a transféré la propriété intellectuelle à MIS, moyennant une redevance égale à 12 % des ventes. Des dispositions ont également été incluses pour s’assurer que PIN soit en mesure de respecter ses obligations envers les franchisés (voir l’article 2.1 du contrat intitulé « Intellectual Property Licence Agreement » (pièce A-134)).

 

[58]        Il ressort ce qui suit du témoignage crédible de M. Vincent. À l’automne 2007, il a été nommé vice‑président des ventes de MIS avec le mandat « de concevoir, de repenser la stratégie de commercialisation de la solution Mail it Safe ». Il a refait la stratégie commerciale et a restructuré l’équipe des ventes. En plus de mettre à profit ses partenariats existants, MIS a établi de nouveaux partenariats technologiques avec Microsoft, le vendeur d’Outlook, et RIM, le vendeur du BlackBerry. M. Vincent a également mis en place la « stratégie gouvernementale », qui visait à faire adopter le produit par les organismes publics et parapublics qui traitent souvent des données et communications confidentielles. D’importantes ressources ont également été consacrées à la formation des employés et à la préparation de présentations; on a notamment fait de la prospection de clients éventuels par téléphone. Les efforts de M. Vincent portèrent fruit et Mail it Safe commença à acquérir des clients prestigieux dont, Revenu Québec. Le produit de ces ventes ne fut pas distribué aux franchisés, dont les territoires n’incluaient pas le Canada, mais a été utilisé, selon M. Duhamel, pour bâtir une vitrine qui constituerait une base pour la commercialisation mondiale de Mail it Safe dans les territoires des franchisés.

 

[59]        Si MIS a consacré la majorité de ses efforts et a effectué la majorité de ses ventes au Québec, quelques rencontres et présentations ont également eu lieu aux États‑Unis, à Toronto et outre‑mer, bien qu’aucun bureau n’y ait été établi. Les contrats entre PIN et MIS ont été modifiés en 2009 pour clarifier que les droits de commercialisation dont jouissait MIS se limitaient au Canada.

 

[60]        Il ressort également ce qui suit du témoignage de M. Duhamel. À la fin 2007, de nouvelles discussions ont eu lieu avec Revenu Québec, cette fois concernant les billets à ordre. On n’acceptera pas l’amortissement pour les franchises acquises avec des billets à ordre à recours limité. Pour remédier à ce problème, PIN a proposé aux franchisés de modifier les billets pour en faire des billets à recours illimité. De cette façon, les franchisés s’engageraient à acquitter les sommes dues à échéance et ils ne seraient plus en mesure de simplement remettre leurs franchises. La réaction initiale des franchisés à cette proposition fut mitigée, mais, finalement, après l’assemblée du 27 novembre 2007, les deux tiers environ des franchisés ont acquis de nouvelles franchises avec des billets à recours illimité.

 

[61]        Les grandes lignes du contrat de 2007 sont semblables à celles des contrats de 2005 et de 2006, à l’exception de différences importantes concernant le prix et les modalités de paiement : le billet à ordre devient un billet à recours illimité, le taux d’intérêt est réduit à 7,5 %, et la durée est allongée à cinq ans. Le solde du capital est majoré à 200 000 $, pour tenir compte, selon M. Duhamel, des améliorations à Mail it Safe et des nouveaux partenariats.

 

[62]        Monsieur Duhamel a expliqué que la définition des territoires a été précisée : chaque franchisé se serait vu allouer 20 000 entreprises sélectionnées dans la base de données selon une combinaison unique des codes postaux et des SIC (« Standard Industrial Classification »). M. Duhamel a aussi expliqué que les territoires de la Floride et de la France, ainsi que Zurich, avaient été expressément exclus des territoires attribués parce qu’ils avaient été vendus par PIN en 2005 et 2006. Le Canada n’est pas expressément exclu, mais, toujours selon M. Duhamel, il était clair qu’il s’agissait d’un territoire réservé à la vitrine. Selon M. Duhamel, environ 1 100 nouvelles franchises avaient été vendues en 2007, y compris celles attribuées aux nouveaux franchisés (comme l’appelant) et celles attribuées à des franchisés qui en ont remplacé d’autres.

 

[63]        Me Teasdale, un avocat spécialisé en droit des franchises, a expliqué qu’il avait été embauché en 2008 par PIN pour analyser les contrats et proposer des modifications pour, d’une part, mieux « refléter la réalité des opérations et des affaires » et, d’autre part, mettre le contrat « à la fine pointe de ce qui se fait dans les contrats qu’on retrouve dans plein d’industries ». La version de 2008 du contrat préparée par Me Teasdale comprend de nombreux changements et précisions :

 

1)                  le préambule était modifié considérablement;

 

2)                  la notion d’« entreprise franchisée » fut ajoutée expressément (section 1.1.3);

 

3)                  un manuel fut expressément prévu (section 1.1.4);

 

4)                  un délai de dix ans fut ajouté aux modalités de renouvellement, dix ans étant « une durée quand même assez standard dans l’industrie »;

 

5)                  on a ajouté des précisions sur le fonctionnement des listes exclusives et « un mécanisme par lequel si un franchisé vendait à un client qui se retrouve sur la liste de quelqu’un d’autre, bien, il fallait qu’il y ait une compensation » (section 6.2);

 

6)                  on a précisé « des services additionnels fournis par Prospector, par le franchiseur » (section 9);

 

7)                  on a ajouté des précisions sur le niveau de participation personnelle exigé du franchisé (section 10);

 

8)                  des modalités financières ont été déplacées en grande partie à une annexe, étant donné que les modalités financières peuvent varier et qu’il est « plus facile de gérer une annexe que de gérer le contrat à chaque fois » (section 12 et annexe);

 

9)                  le droit du franchisé de choisir son propre mandataire est expressément confirmé, sous réserve de l’approbation du franchiseur (section 13);

 

10)              des clauses types furent ajoutées, ainsi qu’une clause d’arbitrage et une clause précisant que le droit applicable est celui du Québec (section 16-17).

 

(Interrogatoire de Me Teasdale, transcription du 26 janvier 2012, questions 408, 409, 413 et 414; contrat de franchise Prospector World E & T Network International (version comparée), pièce A‑36, volume 26, page 10179)

 

 

Le prix de la franchise a également été majoré à 230 000 $, le taux d’intérêt sur le billet à ordre a été réduit à 4 % et la durée a été prolongée à dix ans. Aussi, à la suggestion de Me Teasdale, qui juge que l’emploi de l’expression « Prospector » porte à confusion, l’expression « Franchisé Prospector World » a été remplacée par « Franchisé E & T Network International » (« E & T » signifie « Encryption and Tracking »).

 

[64]        Selon M. Duhamel, la liste de clients possibles exclusifs attribués à chaque franchisé a été réduite à 10 000 entreprises choisies de façon plus ciblée. On a notamment exclu de la liste les travailleurs autonomes. Le Canada a été expressément exclu de la définition du « territoire » des franchisés.

 

[65]        En ce qui a trait au mandat, le mandataire est devenu MarketX Services Inc. (« MarketX »). Selon M. Duhamel, c’est le cabinet d’avocats Fraser Milner Casgrain qui a recommandé d’avoir un mandataire autre que Réseau, et ce, afin de mettre « une certaine distance entre le franchiseur et le mandataire » (voir les notes sténographiques du 21 mars 2012, par. 79 à 81). La preuve a révélé que MarketX n’a jamais été constituée en personne morale. Ce n’est qu’en mars 2009 que M. Bernier (qui avait alors fait l’acquisition de Prospector) a constaté que MarketX n’avait pas encore été créée. Je souligne également qu’en vertu d’une résolution du 25 mars 2009 produite en preuve sous la cote A‑80, PIN prenait en charge tous les droits et les obligations de MarketX. Il ressort aussi du témoignage de M. Duhamel qu’il avait appris à peu près en même temps que M. Bernier que MarketX n’existait pas. Il ressort enfin de la preuve à cet égard que l’appelant n’a su que le 30 avril 2009 (soit lors de l’assemblée des franchisés) que MarketX n’existait pas. L’appelant a expliqué qu’à ce moment‑là, il avait supposé que Réseau était restée son mandataire en vertu du mandat de 2007, parce que MarketX devait remplacer Réseau. L’appelant a également témoigné que Réseau avait été son mandataire jusqu’au 26 mars 2010, lorsque l’association des franchisés a remplacé Réseau.

 

[66]        Je rappelle que dans les contrats de 2008, en comparaison avec les contrats de 2007, le prix d’acquisition de la franchise fut majoré à 230 000 $, le taux d’intérêt du billet à ordre fut réduit de 7,5 % à 4 %, et la durée fut prolongée de cinq à 10 ans. M. Duhamel a expliqué que la prolongation de la durée avait été décidée en raison des pressions des franchisés et de leurs conseillers financiers, qui n’étaient pas contents des ventes de Mail it Safe (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 6 février 2012, questions 220, 222, 231, 244, 253, 283 et 285). Finalement, l’effet conjoint des contrats de mandat de 2008 et du contrat de franchise de 2008 a été d’augmenter les redevances payables aux franchisés de 6 % en 2007 à 12 %.

 

[67]        Il ressort notamment ce qui suit du témoignage de M. Vincent. Bien que MIS eût réussi à vendre Mail it Safe à des clients crédibles, les revenus n’avaient jamais atteint les niveaux espérés, parce que le cycle de vente était plus long que prévu et parce que les clients n’étaient pas prêts à dépenser des sommes importantes pour sécuriser des communications électroniques, puisqu’ils ne pouvaient pas en mesurer les bénéfices en dollars. M. Vincent s’est exprimé ainsi au sujet de Mail it Safe et de son potentiel : « On a quelque chose de bien qui est Mail it Safe, mais on n’est pas convaincu qu’on peut faire une entreprise viable avec ça » (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 26 janvier 2012, questions 39 à 41).

 

 

CashOnTime

 

[68]        Ainsi, en 2008, la décision fut prise de développer une nouvelle solution commerciale fondée sur la technologie de suivi, mais « avec laquelle on va pouvoir quantifier les bénéfices et calculer un retour sur investissement rapide » (voir l’interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 351 et 516); MIS International inc – Management Meeting, 26 août 2008, pièce A‑22.1.29, volume 17, page 7314 (page 7326)). MIS a créé CashOnTime en s’inspirant de l’idée de Me Mathieu de se servir de Mail it Safe pour envoyer les factures à ses clients et réduire le temps de perception (voir l’interrogatoire de Me Mathieu, transcription du 28 février 2012, questions 578 à 581 et l’interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 6 février 2012, questions 177 et 184). Ce programme permettait, selon M. Vincent, l’automatisation de la facturation et un suivi efficace des créances grâce à la technologie de suivi. Une équipe de spécialistes a été embauché au milieu de 2008 pour créer rapidement le programme. Comme Mail it Safe, le programme CashOnTime est offert de deux façons : licence perpétuelle ou droit valable pendant une durée limitée (logiciel‑service).

 

[69]        Monsieur Ouellet a témoigné que CashOnTime est sans doute plus facile à vendre que Mail it Safe parce qu’il répond à un besoin facilement mesurable, même si, à cause de la nature d’un logiciel‑service, il faut prévoir un certain temps :

 

 

MONSIEUR LE JUGE : […]

 

[44]      Q.        En ce sens-là, CashOnTime est plus facile à vendre.

 

R.                 Dans ce sens-là, CashOnTime, en fait le gros… il y a deux, pour répondre à la question directement, là, deux composantes de CashOnTime font que ça peut être plus difficile. Il y a une composante qui est très marquée à mon sens, là, puis c’est ce que je vous disais un peu hier, la raison pour laquelle, moi, si j’avais à investir dans cette entreprise‑là, CashOnTime m'intéresserait beaucoup, là. Parce que ça répond à un besoin qui est, je crois, pas difficile à susciter, à éveiller. Ça se fonde sur quelque chose qui est…

 

[45]      Q.        Qui est mesurable facilement.

 

R.        Qui est mesurable, qu'on peut déterminer, voilà, en termes de retour de l'investissement pour ce qui est de l'acquéreur, du client c'est‑à‑dire.

 

Mais la contrepartie c'est qu'encore une fois c'est du « Software as a Service ». Moi, si j'ai une entreprise avec des comptes recevables, là, puis je ne suis pas certain, moi, que j'aimerais ça envoyer cette information-là sur le Web chez quelqu'un que je connais mais que je ne connais pas, puis d'être vulnérable à ce que cette entreprise-là soit l'attaque de gens mal intentionnés puis qui aient accès justement à mes données à moi qui sont quand même assez secrètes et importantes pour mon entreprise. Donc le « Software as a Service » rend ça plus complexe.

 

Puis l'autre dimension qui est probablement aussi importante c'est qu'encore une fois, si vous êtes une PME qui avez toujours eu une espèce de registre papier avec vos comptes dedans, là, de passer de ça à un système informatisé de rappel, de « Faites attention à ne pas oublier de collecter machin untel », là, bien ça c'est quelque chose qui n'est pas compatible avec leur manière actuelle de faire en vigueur. C'est moins critique que dans le cas du SAX que pour la dimension SaaS de ce produit-là. Mais ça peut expliquer que ça prenne plus de temps quand même.

 

Dans le cas de Mail it Safe, dans le cas de Prospector, bien, en fait ce qui ralentit, le principal facteur de ralentissement c'est encore une fois cette incompatibilité de... avec les manières de faire en vigueur. Et le principal accélérateur, habituellement, c'est l'avantage relatif perçu.

 

Dans le cas de CashOnTime, on peut le percevoir davantage. Dans le cas de Mail it Safe on peut le percevoir, il est moins palpable parce qu'en plus que c'est un plus gros détour que de sortir puis d'aller... Il y a plus de manipulation à faire pour envoyer un courriel via Mail it Safe, mais l'avantage relatif est difficilement perceptible parce qu'il n'y a pas eu vraiment de scandale. Je pense ça a déjà été évoqué quand j'étais ici au début, là.

 

[46]      Q.        Le sinistre.

 

R.        Il n'y a pas eu de... C'est ça. Il n'y a rien qui rend... C'est un peu comme une assurance contre le feu, là, si vous n'avez jamais vécu de... Tout le monde a une assurance pour le feu, là, mais moi à chaque fois je la paie je me dis pourquoi j'ai ça. Parce que jamais personne dans mon entourage ou autour a vécu de feu tu sais, mais tant qu'on ne l'a pas vécu. Mais quand on le vit par contre, là ça devient essentiel. Je n'avais pas d'assurance pour mon spa parce que je me disais au chalet personne peut voler un spa, ça ne se peut pas voler un spa, il est toujours plein. Bien, tabarouette! Je suis arrivé une fin de semaine qu'est-ce qui avait disparu? Mon spa. J'en ai racheté un puis depuis ce temps-là il est assuré. Mais il a fallu que je me le fasse voler pour que je prenne l'assurance, l'avenant. Qui vole un spa? Enfin! Donc il y a ça.

 

Puis, bon, pour ce qui est de Prospector, bien, là le bénéfice ou l'avantage relatif est encore moins palpable. Donc il y a encore plus de désavantages que d'avantages du point de vue perception des consommateurs probablement. J'ai débordé de la question.

 

Interrogatoire de M. Ouellet, transcription du 1er mars 2012, questions 44 à 46.

 

 

[70]        En fin de compte, quatre « secteurs » ont été ciblés pour la commercialisation de CashOnTime : le secteur manufacturier, le secteur de la distribution, le secteur du transport et le secteur des services professionnels. Les efforts de vente de CashOnTime ont débuté au cours de l’année 2008, alors même que le programme était toujours à l’état de « vaporware » ou « produit fantôme » (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 526 et 537 à 539; pièce A‑22.1.30, volume 17, page 7347; et pièce A‑22.1.31, volume 17, page 7358). La première vente fut faite le 31 octobre 2008 au client B (pièce A‑31, volume 25 (confidentiel), page 9993). Encore une fois, une grande quantité de présentations, de brochures et de sites Web, autant en anglais qu’en français, ont été préparés. M. Vincent a procédé à un remaniement de l’équipe de vente, s’est occupé de la formation de ses vendeurs et a eu recours aux services de consultants externes spécialisés dans la présentation de logiciels. Il a préparé un « manuel de vente » qu’il tient à jour. Selon M. Vincent, le cycle de vente durait entre six à 12 mois, parfois même plus.

 

[71]        On a dénombré une douzaine de ventes de CashOnTime de 2008 à 2011. De plus, de 2009 à 2011, quatre nouvelles ventes de Mail it Safe ont eu lieu.

 

[72]        Monsieur Yacoub a envoyé pour le compte de MIS une mise à jour aux franchisés en décembre 2008 annonçant la création de Mail it Safe (mise à jour de MIS de M. Yacoub, 10 décembre 2008 (engagement de l’appelant, annexe 60.B, pièce A‑109, page 11508 (page 11509)).

 

[73]        Une convocation signée par MM. Yacoub et Vincent a été envoyée aux franchisés le 16 février 2009 leur annonçant la tenue d’une assemblée générale le 30 avril 2009. Au cours de cette assemblée annuelle, le logiciel CashOnTime a été dévoilé et les franchisés ont reçu un état financier qui ventilait les diverses dépenses au fil des ans. On a également discuté lors de cette assemblée des efforts de commercialisation de Mail it Safe et de la décision de mettre l’accent sur CashOnTime. Finalement, les franchisés ont été informés que MarketX n’avait pas été constituée et que Réseau continuerait à agir comme mandataire (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 262 à 267 et 643; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 6 février 2012, question 318; interrogatoire de l’appelant du 30 janvier 2012, questions 264, 265, 371 et 372; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 6 février 2012, questions 15, 357, 362 et 363).

 

[74]        Les franchisés ont reçu le compte rendu de cette assemblée en juillet 2009. Celui‑ci indique : « L’objectif actuel est de bâtir une vitrine au service CashOnTime pour la fin 2009 par la signature par MIS de contrats avec des entreprises canadiennes de large envergure » (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 7 février 2012, questions 289 à 296; PIN – Mise à jour, juillet 2009, pièce A‑22.1.36, volume 17, page 7419).

 

[75]        Selon M. Duhamel, l’intérêt et la participation de M. Murray dans Prospector et MIS avaient diminué après 2007 en raison de la maladie de son épouse. M. Duhamel a discuté de cette situation avec Richard Lange, un ami de la famille de longue date, qui l’a présenté en 2007 à Marc Bernier (« M. Bernier »), un gestionnaire supérieur. M. Duhamel a exposé à M. Bernier le manque d’intérêt de M. Murray et les difficultés éprouvées lors de la commercialisation des logiciels. M. Bernier a alors dit qu’il souhaitait acheter PIN. En mars 2009, à la suite de discussions que M. Duhamel a eues avec M. Bernier et après avoir procédé à une vérification préalable de plusieurs mois avec des experts externes, M. Bernier a fait l’acquisition de PIN. M. Duhamel a cessé d’être le président de Réseau et est devenu consultant.

 

[76]        Selon M. Duhamel, M. Bernier a choisi de ne pas procéder à la constitution en société de MarketX, et PIN a adopté, le 15 mars 2009, une résolution par laquelle elle prenait en charge toutes les obligations conclues de MarketX (voir l’interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 21 mars 2012, question 85; résolutions de Prospector International Networks Inc. du 15 mars 2009 à propos de MarketX Services Inc., pièce A‑80, volume 29, page 11139).

 

[77]           Selon Kevin Klein (« Me Klein »), procureur sud‑africain vivant à Chypre, M. Bernier lui a demandé en juin 2009 de réviser les contrats de PIN. Me Klein a témoigné qu’il avait beaucoup d’expérience dans le domaine du franchisage, ayant été notamment membre du conseil d’administration de la Franchise Association of South Africa, qui a fait partie de l’International Franchise Association (interrogatoire de Me Klein, transcription du 3 avril 2012, pages 57, 58 et 139).

 

[78]        Maître Klein a expliqué qu’il s’était également occupé de clarifier les contrats régissant la relation entre MIS et PIN, une tâche achevée le 14 décembre 2009 avec la signature des contrats de clarification suivants :

 

1)                Clarification to the Option to Acquire Certain Intellectual Property Rights (pièce A‑136, volume 33)

 

2)                Clarification to the Assignment of Intellectual Property (pièce A‑137, volume 33)

 

3)                Clarification to the Intellectuel Property Licence Agreement (pièce A‑138, volume 33).

 

[79]           Maître Klein a aussi témoigné qu’il avait constaté une « confusion des rôles » et qu’il avait jugé nécessaire de préciser que le rôle de MIS avait toujours été de développer et de commercialiser les logiciels uniquement au Canada, tandis que le rôle de PIN était d’assurer la commercialisation à l’étranger par l’entremise de son réseau de franchisés (interrogatoire de Me Klein, transcription du 3 avril 2012, pages 65 à 68).

 

[80]        Par conséquent, Me Klein a proposé des modifications pour préciser notamment ce qui suit :

 

1)                  Les droits de commercialisation que MIS confiait à PIN visant les pays autre que le Canada étaient exclusifs, c’est‑à‑dire que MIS ne pouvait pas vendre à l’étranger. Ces modifications visaient à [TRADUCTION] « à contrecarrer l’anomalie possible qui semblait découler de l’interprétation, qu’elle soit exacte ou non, ou de l’entente antérieure, que MIS avait un droit conjoint, qui pouvait faire concurrence aux franchisés et à leurs droits » (page 73)

 

Interrogatoire de Me Klein, transcription du 3 avril 2012, pages 73, 75, 76, 80 à 82 et 87

 

2)                  Les droits de commercialisation que MIS confiait à PIN visant les pays autres que le Canada étaient transférables, [TRADUCTION] « ce qu’ils devaient être pour que le réseau de franchisés puisse en profiter » (page 73). Ces modifications reconnaissent le fait que [TRADUCTION] « dans le cas d’une entreprise exploitée par franchise, les franchisés se succèdent ».

 

Interrogatoire de Me Klein, transcription du 3 avril 2012, pages 73, 75, 77, 82, 83 et 87

 

3)                  Les droits de commercialisation que MIS confiait à PIN visaient [TRADUCTION] « tout ce qui avait été développé par MIS », pour [TRADUCTION] « qu’il soit clair que les franchisés s’attendaient à tout ce qui avait été développé par MIS… Dans le monde informatique, les logiciels ne sont pas fixes. Ils évoluent. Il sera nécessaire de profiter de changements, d’améliorations de versions et l’intention était que tout ce qui serait produit profiterait aux franchisés. »

 

Interrogatoire de Me Klein, transcription du 3 avril 2012, pages 70 et 71

 

4)                  Les contrats entre PIN et MIS ne dérogeaient pas aux droits des franchisés, les modifications reconnaissant expressément que PIN et MIS [TRADUCTION] « ne voulaient en aucun temps retirer ou restreindre les droits des franchisés de Prospector ou des détenteurs de licence ». Comme expliqua Me Klein, [TRADUCTION] « la raison en était que nous voulions insister sur le fait que nous voulions maintenir la relation franchiseurs‑franchisés, que nous voulions que les franchisés puissent tirer un profit de leur placement ».

 

Interrogatoire de Me Klein, transcription du 3 avril 2012, pages 74 et 78 à 80

 

Clarification to Assignment of Intellectual Property conclu entre Prospector International Networks Inc., Prospector Network Inc. et Mail it Safe International Inc., 14 décembre 2009, pièce A‑137, volume 33, page 12015

 

 

La perquisition de l’ARC

 

[81]        En octobre 2009, l’ARC a effectué une vaste perquisition aux bureaux, entre autres, de Réseau, de MIS et de M. Duhamel.

 

[82]           Selon Me Klein et M. Duhamel, la perquisition avait bouleversé tous les dossiers et fichiers de Réseau et de MIS; deux serveurs avaient été corrompus alors qu’ils étaient sous le contrôle de l’ARC, ce qui a entraîné la perte d’une quantité importante de fichiers. Des chèques ont également été saisis et Me Klein avait dû se déplacer à Montréal pour les récupérer (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 27 février 2012, questions 176 et 182; interrogatoire de Me Klein, transcription du 3 avril 2012, pages 89 et 90).

 

[83]        La perquisition a ébranlé les cadres et l’ensemble des employés. Le 11 décembre 2009, M. Yacoub démissionna et Me Klein fut nommé administrateur à sa place. Le 14 décembre 2009, M. Vincent devint chef de l’exploitation de MIS pour une période transitoire (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, question 233, voir aussi l’interrogatoire de M. Vincent transcription du 26 janvier 2012, question 100; interrogatoire de Me Klein, transcription du 3 avril 2012, pages 63, 64 et 100; interrogatoire de M. Vincent, transcription du 26 janvier 2012, question 97).

 

 

L’époque de l’Association (2009‑2010)

 

          La réorganisation de 2010

 

[84]           Après la perquisition, M. Bernier décida d’effectuer une réorganisation de l’entreprise pour effectuer « un nouveau départ » dans le but « de maximiser le potentiel commercial » à l’échelle mondiale. Les cabinets Gowlings et Raymond Chabot Grant Thornton ont recommandé la nouvelle structure, qui fut mise en vigueur en mars 2010 (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 233 et 241 à 246; interrogatoire de M. Vincent, transcription du 26 janvier 2012, question 100).

 

[85]        En vertu de la nouvelle structure, la propriété intellectuelle appartenait à des sociétés luxembourgeoises soit CashOnTime, s.à.r.l., et Mail it Safe (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 248, 249 et 253; interrogatoire de M. Vincent, transcription du 26 janvier 2012, questions 11 et 25).

 

[86]        La commercialisation était effectuée par des filiales ou associés dans les pays où il y avait des activités commerciales : CashOnTime, Inc. (Delaware), CashOnTime, Ltd. (Angleterre), CashOnTime, inc. (Québec), et Courriel Sécuritaire, inc. (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 249 et 254; interrogatoire de M. Vincent, transcription du 26 janvier 2012, questions 11, 12, 19, 25 et 26).

 

[87]        Des structures distinctes furent créées pour Mail it Safe et CashOnTime d’une part parce que les logiciels visaient des marchés distincts et, d’autre part, pour faciliter la vente séparée de l’une ou l’autre à un acquéreur éventuel (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 250 à 252).

 

[88]        Espeo, inc. a poursuivi le développement des logiciels. Espeo est une société distincte qui appartient à M. Vincent (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 26 janvier 2012, questions 12, 13 et 26).

 

[89]        Après la réorganisation, l’organigramme du groupe Prospector se présentait comme suit :

 

Organigramme téléchargé du site intranet de Prospector International Networks inc., pièce A‑42, volume 26, page 10306

 

 

 

Organigramme préparé par M. Vincent, pièce A‑35, volume 26, page 10177

 

 

          L’intranet

 

[90]        L’Association des franchisés Réseau Prospector (l’« association ») fut créée le 26 mars 2010 pour « trouver des vendeurs et s’assurer de trouver des clients puis de commercialiser les dernières solutions […] qui ont été développées ». M. Bernier a demandé que l’association soit établie et c’est PIN qui a assuré son financement par l’entremise d’une autre société, « Gestion Viso Inc. ». L’association était une corporation sans capital‑actions constituée en vertu de la partie II de la Loi sur les compagnies, LRQ, ch. C‑38. Ses fondateurs étaient M. Duhamel et divers planificateurs financiers. PIN n’a pas participé à la gestion de l’association (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 6 février 2012, question 406; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 27 février 2012, questions 87, 88, 91, 95 et 96; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 21 mars 2012, question 125).

 

[91]        La création de l’association et le fait qu’elle remplaçait Réseau furent annoncés aux franchisés à partir d’avril 2010 et les adhésions commencèrent à arriver en mai 2010 (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 7 février 2012, questions 85 et 86; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 3 avril 2012, pages 164 et 166; lettre de Me Bobby Doyon du 18 mai 2010 à propos de l’adhésion à l’association, pièce A‑111, volume 31, page 11563).

 

[92]        L’association étant une corporation à but non lucratif, elle ne pouvait pas avoir d’activités commerciales. Par conséquent, elle a cherché à conclure des ententes avec des revendeurs, qui se chargeaient de la commercialisation pour le compte des franchisés. Ainsi, elle a conclu un contrat avec Onix pour faire la commercialisation aux États‑Unis, en commençant à la ville de New York (interrogatoire de M. Jones, transcription du 24 janvier 2012, questions 415 et suivantes; interrogatoire de M. Jones, transcription du 25 janvier 2012, question 107 (back in 2010); interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 488 à 491; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 7 février 2012, questions 47, 48, 57, 69, 70, 71, 73, 83, 87, 88 et 90; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 27 février 2012, questions 93 et 107; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 3 avril 2012, pages 167 et 173; « Authorized Reseller (VAR) Agreement » conclu entre Association Franchise Prospector et Onix Service inc, 15 mai 2011 (engagements de l’appelant, annexe 58), pièce A‑44, volume 27, page 10652; « Liste de clients potentiels en cours de prospection par Onix Services inc. » (engagements de l’appelant, annexe 66), pièce A‑45, volume 27, pages 10653 à 10658).

 

[93]        Onix a été fondée par Jeff Dana, qui était l’un des vendeurs de Réseau à Miami à l’époque de Solutions Prospector. Il a fait une présentation à l’association en mars 2011 exposant une stratégie pour assurer la commercialisation de Mail it Safe et CashOnTime (« Onix Go to Market Strategy », 28 mars 2011, pièce A‑141, volume 33, page 12026; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 3 avril 2012, page 161).

 

[94]        Les franchisés furent avisés de l’entente avec Onix par un courriel de masse le 15 avril 2011 et le contrat définitif fut conclu le 5 mai 2011 (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 3 avril 2012, pages 158 et 159; contrat conclu entre Association Franchise Prospector et Onix Services inc, le 15 mai 2011 (engagements de l’appelant, annexe 58), pièce A‑44, volume 27, page 10652; courriel de l’Association des Franchisés Réseau Prospector à l’appelant au sujet de : « Des nouvelles du mandataire », 15 avril 2011, pièce A‑139, volume 33, page 12020).

 

[95]        Monsieur Jones avait reçu de l’association le mandat d’assister Jeff Dana dans ses efforts à titre de consultant. Plus précisément, il avait aidé l’association à rédiger [TRADUCTION] « un plan d’affaires sur la distribution et la vente de ces produits, en particulier à New York. Il a également participé au recrutement des vendeurs, un processus toujours en marche (interrogatoire de M. Jones, transcription du 23 janvier 2012, questions 414 à 427).

 

 

          L’assemblée générale de 2010

 

[96]        L’assemblée annuelle générale de 2010 a eu lieu le 15 juin 2010 à l’hôtel Sofitel à Montréal (interrogatoire du Dr Ngô, transcription du 14 mars 2012, question 548).

 

[97]        La constitution de l’association fut annoncée lors de cette assemblée et les franchisés furent invités à s’y joindre, ce qu’ils pouvaient faire par Internet au site Web « Franchise Information Centre ». Les franchisés reçurent également un compte rendu au sujet du différend fiscal, après quoi il y a eu une discussion au sujet des efforts commerciaux et de l’étude de marché qui avait été préparée par « D ». Il y a également eu une présentation de la dernière version de CashOnTime qui, de l’avis de l’appelant qui était alors présent, « avait été améliorée […] pour cibler les grandes entreprises » (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 629, 646 et 648; interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 388, 392 à 395, 726 et 727; interrogatoire du Dr Ngô, transcription du 14 mars 2012, question 550; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 3 avril 2012, page 162).

 

[98]        Le comité des franchisés dont la formation fut également annoncée pendant l’assemblée générale de 2010, se composait de sept franchisés et devait effectuer le suivi pour tous les renseignements d’intérêt général quant aux efforts de commercialisation et aux différends avec le fisc (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 396 à 410 et 420).

 

          Les nouveaux contrats

 

[99]        En 2010, on a de nouveau demandé à Me Teasdale de réviser les contrats de franchise. Me Teasdale a expliqué que ses instructions étaient de « modifier le contrat pour, encore une fois, refléter la réalité de ce qui se faisait entre le franchiseur et les franchisés » (interrogatoire de Me Teasdale, transcription du 26 janvier 2012, questions 427 et 449).

 

[100]   La portée des révisions de 2010 était plus importante que celles de 2008 et le contrat définitif était beaucoup plus détaillé que les contrats précédents. En particulier, on y a ajouté des annexes sur le territoire du franchisé, la liste des marques de commerce, les logiciels visés et les prix (interrogatoire de Me Teasdale, transcription du 26 janvier 2012, questions 434 et 444; Contrat « PIN Franchise 2010 Version Franchise Agreement » (version comparée), pièce A‑37, volume 26, page 10222).

 

[101]   Le nouveau contrat ajouta également des dispositions relatives aux contrats de licence d’utilisation et au « Franchise Information Centre (FIC) », un site intranet contenant le guide de l’exploitation et d’autres communications entre le franchiseur et les franchisés. De plus, le nouveau contrat contenait « des ajouts assez substantiels sur les obligations additionnelles ou les services additionnels qui seraient fournis par le franchiseur, notamment au niveau de la promotion et de la publicité, au niveau de l’assistance que le franchiseur donne aux franchisés » (interrogatoire de Me Teasdale, transcription du 26 janvier 2012, question 444).

 

[102]   Les 1 500 territoires aux États‑Unis ont été redéfinis (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 6 février 2012, questions 606 et 607; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 7 février 2012, question 11).

 

[103]   De nouveaux contrats furent annoncés à l’assemblée annuelle de 2010 et les franchisés furent invités à y adhérer par Internet au site Web FIC. Une grande majorité des franchisés ont consenti aux nouveaux contrats proposés (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 485 et 486; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 7 février 2012, questions 3, 4 et 105).

 

          Modifications aux billets à ordre

 

[104]   Selon M. Duhamel, en raison de ventes décevantes et du litige de plus en plus envenimé entre les autorités fiscales et les franchisés, et après des discussions avec M. Duhamel et les planificateurs financiers, PIN a consenti à apporter des modifications importantes aux modalités des billets à ordre, notamment :

 

1)                le taux d’intérêt fut diminué à 1,75 % rétroactivement à 2007;

 

2)                les paiements annuels furent fixés à 3 500 $ rétroactivement à 2007;

 

3)                toute somme versée au cours d’une année donnée (une période de 12 mois consécutifs à partir de la signature du billet à ordre) qui excède l’intérêt payable et le montant du principal à rembourser (en l’espèce 1 500 $) constitue des intérêts et du capital versés d’avance que les franchisés peuvent imputer aux intérêts et au capital pour une année subséquente.

 

Le résultat de ces modifications était que les franchisés devaient payer 3 500 $ en 2010 et 2011, dont 1 500 $ pour le capital et 2 000 $ pour les intérêts. Après 2011, ils ne devraient rien avant l’échéance, lorsqu’un paiement forfaitaire et final devenait exigible (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 7 février 2012, questions 12, 29 à 33; voir aussi l’interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, question 516; interrogatoire de l’appelant, transcription du 31 janvier 2012, questions 107, 109 et 110; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 27 février 2012, questions 124, 133 et 139 et suivantes).

 

 

Le témoignage de l’appelant

 

A.      Ses antécédents

 

[105]   L’appelant est ingénieur et membre en règle de l’Ordre des ingénieurs du Québec. Après avoir terminé en 1991 ses études universitaires en génie électrique avec spécialisation en automatisation, il a fondé sa propre entreprise de consultation. Par la suite, il a développé des logiciels pour la société Softec. Il a travaillé ensuite pour Noranda, où il faisait surtout du développement pour l’automatisation minière. En 2000, il a accepté un poste chez Nortel un poste où il assurait le respect de la norme ISO 9001 pour tout le matériel. En 2001, Nortel l’a mis à pied. Depuis sa mise à pied, il travaille chez CAE à titre de responsable de la vérification de logiciels fournis par la marine américaine. En 2002‑2003, il a fondé une entreprise pour commercialiser un produit antimousse destiné aux agriculteurs. Il a mis fin à cette entreprise en 2005.

 

B.      L’achat de la franchise

 

[106]   Il ressort aussi ce qui suit du témoignage de l’appelant :

 

a)                 Il a entendu parler de Prospector pour la première fois de Claude Legault (« M. Legault »), son planificateur financier depuis le milieu des années 1990. M. Legault s’occupait de ses investissements, tel son REÉR et sa police d’assurance‑vie. L’appelant avait confiance en lui et il fait toujours affaire avec lui.

 

b)                Il rencontrait M. Legault chaque année. Lors de leur réunion de 2005, M. Legault lui présenta le logiciel Mail it Safe et lui proposa l’achat d’une franchise. L’appelant déclina l’offre, jugeant qu’il n’avait pas les fonds nécessaires, et se contenta de contribuer à ses REÉR.

 

c)                 Lors de leur réunion de 2006, M. Legault lui proposa de nouveau d’acheter une franchise Prospector. Encore une fois, il opta plutôt de contribuer à ses REÉR.

 

d)                En 2007, lors de leur réunion annuelle, M. Legault lui proposa pour la troisième fois une franchise Prospector. Cette fois, M. Legault expliqua que le logiciel Mail it Safe avait obtenu des clients importants, notamment Revenu Québec, le Barreau du Québec et son homologue new-yorkais. De plus, M. Legault expliqua que 2007 sera probablement la dernière année où de telles franchises seront offertes.

 

e)                 M. Legault lui remit deux brochures lors de cette rencontre :

 

1)                « Franchise Prospector WorldMC : Édition 2007 » (pièce A‑3.1, volume 1, page 59);

 

2)                « Mail it Safe » : Envolée 2006 et Vision 2007 » (pièce A‑3.2, volume 1, page 101).

 

La brochure « Franchise Prospector WorldMC : Édition 2007 » comprenait 41 pages, dont environ 6 (la plupart dans une annexe) discutaient des incidences fiscales. Le reste de la brochure traitait de l’historique de PIN et de Réseau, le partenariat avec IBM, les logiciels commercialisés (Solutions Prospector et Mail it Safe), la nature de la franchise (c’est‑à‑dire le droit de commercialisation dans un territoire, les modalités de paiement et l’attribution des redevances), la stratégie de commercialisation, l’évaluation de Wise, Blackman de 2006, une copie des contrats et un résumé de ces derniers. La brochure « Mail it Safe : Envolée 2006 et Vision 2007 » discutait de l’adaptation de Mail it Safe aux diverses plateformes (Lotus Notes, BlackBerry et Mail it Safe Freedom), la participation de Réseau aux salons commerciaux ciblant le marché juridique, les partenariats avec notamment la CsBQ, la CIGM, IBM et la NYCLA, l’évaluation de Wise, Blackman, la vision pour 2007, les activités de recherche et de développement et le programme de recommandation des franchisés. Il n’y avait aucune mention des incidences fiscales des franchises.

 

f)                  L’appelant ne s’est pas immédiatement prononcé sur la suggestion de M. Legault. Il est rentré chez lui et, après avoir réfléchi, a communiqué avec M. Legault pour lui demander des informations supplémentaires. M. Legault lui envoya la documentation, y compris les contrats. L’appelant a expliqué qu’il les a lus en entier avant de prendre sa décision.

 

g)                 L’appelant accepta la proposition de M. Legault et opta d’acheter une seule franchise de Prospector en 2007 plutôt que de cotiser à ses REÉR : « J’ai tout mis mes billes dans le même panier » (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 82 et 108.) Il expliqua ainsi les motifs de l’achat de la franchise :

 

[109]    Q. Et pourquoi avez-vous opté pour investir dans Prospector?

 

R. Bien, c’était un investissement à long terme avec l’espérance de pouvoir avoir plusieurs ventes et avoir des ristournes.

 

[110]    Q. Vous avez dit pour avoir des ristournes.

 

R. Oui.

 

[…]

 

[112]    Q. C’est quoi les avantages que vous espérez obtenir de cet investissement?

 

R. Bien, les avantages... Bon, il y avait un volet fiscal, un investissement, comme tous les investissements que j’avais faits depuis le début. Ça, il y avait ce volet‑là. Le deuxième volet, bien, c’était principalement pour m’assurer un revenu à long terme, c’était vraiment un investissement à long terme, là, pour... j’avais une espérance que le... connaissant le domaine informatique puis la possibilité de Mail it Safe, je voyais vraiment un potentiel de vente, là.

 

MONSIEUR LE JUGE :

 

[113]    Q. Donc, en résumé votre investissement c’était à la fois un investissement à long terme où vous espériez... ou vous espérez encore, je ne le sais pas, avoir des ristournes et, évidemment, il y avait un avantage fiscal d’attaché à ce produit.

 

R. Exact.

 

Me MICHAEL H. LUBETSKY :

 

[114]    Q. À l’époque quelle était votre appréciation du produit Mail it Safe?

 

R. Bien, c’était un produit innovateur qui était vraiment au niveau... sécurité informatique qui était vraiment une nécessité. Je le crois encore que c’est vraiment un produit qui est nécessaire parce qu’en ce moment, comme monsieur John l’a démontré, quand on envoie un courriel, bien, ça se promène n’importe où dans le monde, là, avant d’arriver au destinataire. À date je pense... on n’a pas eu de nouvelles d’un scandale majeur là‑dessus mais c’est juste une question de temps parce qu’en ce moment que ce soient les médecins ou les avocats qui envoient de l’information à leurs clients, si l’information se ramasse, comme on dit, dans les mauvaises personnes, bien, l’information peut être divulguée puis il peut y avoir des impacts.

 

(Interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 109, 110 et 112 à 114)

 

[…]

 

Me GUY DU PONT :

 

[420]    Q. Donc, mon collègue vous a demandé si cet - je ne me rappelle pas des mots exacts, mais à peu près, là - que cet investissement, cette acquisition de franchise étaient beaucoup plus que n'importe quel autre investissement que vous aviez fait antérieurement? Est-ce que c'est juste?

 

R. Oui.

 

[421]    Q. Et pourriez-vous expliquer à la Cour pourquoi vous avez accepté de faire un tel investissement qui était supérieur à tout ce que vous aviez investi jusqu'à maintenant?

 

R. La principale raison, c'est vraiment parce que j'avais... d'après la présentation que j'avais eue du produit Mail-it-Safe, je voyais vraiment un potentiel important de revenus sur le rendement à long terme.  C'est vraiment pour un investissement à long terme.

 

(Interrogatoire de l’appelant, transcription du 31 janvier 2012, questions 420 et 421)

 

h)                L’achat de la franchise constituait un investissement à long terme. L’appelant a ajouté qu’il ne s’attendait pas à réaliser des profits à court terme. Son témoignage à cet égard mérite d’être cité :

 

[380]    Q. Est-ce que c'est la raison pour laquelle la lenteur de la commercialisation ne vous a pas inquiétée?

 

Me MICHEL LAMARRE : Monsieur le Juge, c'est suggestif, là.

 

Me GUY DU PONT : Peut-être. Cette fois-ci au moins je vais le concéder, il a raison.

 

[381]    Q. Est-ce que c'est un facteur dont vous avez tenu compte?

 

R. Quand j'ai acheté la franchise, oui.

 

[382]    Q. Et dans votre évaluation de la performance du produit, est‑ce que c'est un facteur dont vous avez tenu compte? Il n'y a pas d'objection.

 

R. O.K., oui, effectivement, c'est un... je savais que c'était une compagnie, c'était un start‑up puis que le retour sur l'investissement pouvait être à long terme.

 

(Interrogatoire de l’appelant, transcription du 31 janvier 2012, questions 380 à 382)

 

i)                   M. Legault lui avait expliqué qu’il pouvait « déléguer la commercialisation à un mandataire qui avait une équipe de vendeurs déjà d’installée aux États‑Unis et à Montréal ».(Interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, question 63; interrogatoire de l’appelant, transcription du 31 janvier 2012, questions 220 et 228).

 

j)                   Le 21 décembre 2007, il a signé quatre documents qu’il a ensuite remis à M. Legault, soit :

 

1)                un contrat de franchise (le « contrat de franchise de 2007 »), par lequel il acquit le droit de commercialiser Solutions Prospector, Mail it Safe et leurs produits dérivés et ce, dans le territoire désigné (« Contrat d’achat d’une franchise Prospector World », pièce A‑1.1.1, volume 1, page 1);

 

2)                un contrat de mandat et de gestion (le « contrat de mandat de 2007 »), par lequel il confia à Réseau le mandat d’exploiter sa franchise, moyennant 94 % des revenus bruts (section 3.1) (« Contrat de mandat et de gestion », pièce A‑1.1.3, volume 1, page 16);

 

3)                un billet à ordre (le « billet à ordre de 2007 »), par lequel il s’engageait à verser à PIN la somme de 200 000 $ au plus tard le 15 décembre 2012, avec intérêts forfaitaires au taux annuel de 7,5 % payés annuellement d’avance (billet à ordre, pièce A‑1.1.2, volume 1, page 15);

 

4)                un chèque de 15 000 $ à l’ordre de PIN au titre du premier versement d’intérêt (chèque du 21 décembre 2007, pièce A‑2.1, volume 1, page 54).

 

k)                Le contrat de franchise de 2007 et le contrat de mandat de 2007 ont été contresignés par M. Duhamel au nom de Réseau le 28 décembre 2007 (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 157 et suivantes).

 

l)                   Lors de la signature du billet à ordre de 2007, l’appelant avait compris qu’il lui fallait payer le montant dû à l’échéance. Il a ajouté qu’on ne lui avait pas affirmé le contraire. Son témoignage à cet égard mérite d’être cité :

 

[163]    Q. Au moment où vous avez signé le contrat, combien d’argent prévoyiez‑vous payer à Prospector International avant la date d’exigibilité du billet. Combien d’argent prévoyiez‑vous payer avant 2012?

 

R. Le montant du billet à ordre qui était de 200 000 $. Mais, oui, j’avais l’intention de le payer mais j’espérais avoir des ventes pour justifier... pour financer cet investissement-là, là.

 

[164]    Q. Et quelles suggestions ou quelles représentations est‑ce que monsieur Legault ou n’importe quel qui d’autre, vous avaient faites pour indiquer que cette... pour indiquer que vous ne devez pas payer ce montant.

 

R. J’ai aucune représentation à ce niveau-là. J’avais vraiment... j’avais une dette à ce moment‑là, quand j’ai signé ce contrat‑là de 200 000 $.

 

(Interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 163 et 164; interrogatoire de l’appelant, transcription du 31 janvier 2012, question 422).

 

m)              Il avait financé le paiement initial de 15 000 $ avec un prêt à court terme qu’il a ensuite remboursé avec le remboursement d’impôt qu’il a touché quelques mois plus tard (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 170 à 176; engagement numéro 3, contrat de prêt du 29 janvier 2008, pièce I‑24).

 

n)                En novembre ou décembre 2008, M. Legault lui a fait parvenir de nouveaux contrats. Il avait alors appelé M. Legault pour obtenir des explications et M. Legault lui avait expliqué, entre autres, que la durée du billet à ordre avait été prolongée à 10 ans pour mieux tenir compte de la durée de vie du produit, moyennant une augmentation du solde dû à 230 000 $. M. Legault lui a également expliqué que « c’était une pratique normale dans les franchises de mettre à jour les contrats sur une base régulière » (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 235 à 237 et 744; interrogatoire de l’appelant, transcription du 31 janvier 2012, questions 233 à 251; interrogatoire de l’appelant, transcription du 21 mars 2012, questions 6 à 10; engagement 60 E, lettre de monsieur Legault du 25 novembre 2008, pièce I‑30).

 

o)                L’appelant était satisfait des explications de M. Legault et, le 19 décembre 2008, il a accepté les changements et a signé le nouveau contrat de franchise (le « contrat de franchise de 2008 »), le nouveau contrat de mandat et de gestion (le « contrat de mandat de 2008 ») et un nouveau billet à ordre (le « billet à ordre de 2008 ») (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 239, 241, 244 et 253; contrat de franchise (y compris le billet à ordre), pièce A‑1.2.1, volume 1, page 24; contrat de mandat et gestion, pièce A‑1.2.2, volume 1, page 47; billet à ordre de 2008, volume 1, page 108).

 

p)                Tout comme dans le cas du billet à ordre de 2007, l’appelant avait compris, lors de la signature du billet à ordre de 2008, qu’il lui fallait payer le montant dû à l’échéance. L’appelant ajoute qu’on ne lui avait pas affirmé le contraire (interrogatoire de l’appelant, transcription du 31 janvier 2012, questions 422 et 423).

 

q)                Le 31 décembre 2009, il a tiré un chèque de 15 000 $ à PIN (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, question 508; interrogatoire de l’appelant, transcription du 21 mars 2012, question 27; chèque du 31 décembre 2009, pièce A‑2.3, volume 1, page 58).

 

r)                  Il avait assisté à l’assemblée générale de 2009 et à l’assemblée générale de 2010 (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 338, 339, 343, 345, 388 et 389).

 

s)                 Après l’assemblée générale de 2010, il était devenu membre du comité des franchisés pour faire un meilleur suivi de son investissement :

 

[423]    Q.        Pourquoi avez-vous soumis votre nom pour faire partie de ce comité?

 

R. Bien, je voulais faire un suivi de mon investissement. Pour moi ça représente un gros montant puis je veux savoir exactement où est‑ce que ça s’en va, là.

 

(Interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, question 423)

 

t)                  Il avait également adhéré à l’association (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 440 et 441).

 

u)                En 2010, il a été informé de la mise en place du nouveau portail Web et a commencé à le visiter une ou deux fois par mois (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 622 et 627).

 

v)                Le 18 août 2010, il a accepté les nouveaux contrats de franchise de 2010, y apposant électroniquement sa signature par voie du site intranet (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, question 485; « PIN Franchise Agreement, 2010 Version » (engagements de l’appelant, annexe 28), pièce A‑41, volume 26, page 10278; interrogatoire de l’appelant, transcription du 21 mars 2012, question 31).

 

w)              Il avait ensuite remarqué une erreur dans l’attribution de son territoire dans le nouveau contrat (un territoire en Idaho lui était attribué plutôt que son territoire à New York) et il s’était adressé à M. Duhamel pour faire apporter la correction.

 

[102]    Q.        Pouvez-vous expliquer à la Cour pourquoi la liste, le territoire qui apparaît à la page 10302 mentionne l’État d’Idaho et pourquoi la liste de la page 10660 (sic) parle de New York?

 

R.        Oui. Lorsque le franchiseur, monsieur Bernier, en 2010, a refait ses territoires d’une façon, comme je disais, plus scientifique avec Deloitte, puis à ce moment-là, il y avait, pour lui, les territoires avaient tous le même poids. Donc, il avait apporté des modifications, plusieurs avaient gardé les mêmes territoires, d’autres avaient eu leur territoire changé. Il avait mentionné aussi lors de la rencontre en 2010 à l’assemblée que s’il y en avait que leur territoire, ils voulaient avoir un territoire différent pour peu importe la raison, bien ils avaient juste à communiquer l’information, puis à ce moment-là, il pouvait le faire parce que comme je mentionnais, ça avait été fait d’une façon beaucoup plus scientifique pour que le poids de chacun des territoires soit le même, quand je dis poids, c’est... en parle toujours du potentiel et lorsque j’avais parlé moi-même à monsieur Drouin puis là, je dois vous avouer que je me souviens plus si c’est monsieur Drouin qui m’avait qui m’avait mentionné qu’il avait l’Idaho au lieu de New York ou si c’est moi qui avait parlé, je suis un peu confus, ça fait... c’est en 2010 et là, à ce moment-là, bien ce qu’on a mentionné avec... dans la conversation que j’ai eue avec monsieur Drouin, c’est qu’en fin de compte, pourquoi qu’il ne garderait le même territoire qu’il avait à New York puis j’ai tout simplement appelé le franchiseur pour lui demander s’il y avait possibilité de redonner le territoire qu’il avait, même si c’est le même poids, l’Idaho vaut la même chose que New York, mais à ce moment-là, il a tout simplement redonné le territoire de New York.

 

[103]    Q.        Mais vous, est-ce que vous est-ce que... pouvez-vous indiquer à la Cour si vous avez une connaissance personnel de ces faits-là?

 

R.        Absolument, c’est moi qui a... c’est moi qui a fait le rapprochement puis qui a demandé.

 

(Interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 7 février 2012, questions 102 et 103. Voir aussi l’interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 495 à504; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 7 février 2012, question 102; interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 8 février 2012, question 398).

 

x)                En 2010, il a payé 3 500 $ à PIN, montant qui tient compte de la diminution rétroactive d’intérêts octroyée par PIN (interrogatoire de l’appelant, transcription du 21 mars 2012, questions 36 et 42 à 44; modification de l’entente, pièce I‑43).

 

Les déclarations de revenus initiales de l’appelant pour les années 2007, 2008 et 2009 ne correspondent pas aux modifications apportées par le contrat de franchise de 2008 et par le contrat de franchise de 2010. Par exemple, dans ses déclarations de revenus pour les années 2008 et 2009, l’appelant a réclamé une somme de 15 000 $ à titre de frais d’intérêt, et ce, même si le contrat de 2008 et le contrat de 2010 ne permettent pas une telle déduction. Lors du procès, l’appelant n’avait pas encore modifié ses déclarations de revenus. Les explications de l’appelant à cet égard et sur ce qu’il comprenait de ses obligations financières prévues au contrat de 2008 et au contrat de 2010 furent pour le moins nébuleuses et parfois contradictoires. À titre d’exemple, l’appelant a témoigné que les paiements de 3 500 $ en 2010 et 2011 étaient des paiements d’intérêts (voir interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, de la page 128, ligne 18, à la page 129, ligne 2). Cette affirmation est contredite par la pièce I‑29, qui explique que la somme de 3 500 $ comprend du capital et des intérêts.

 

y)                Nonobstant les déceptions à ce jour avec le rendement, il croit toujours dans l’avenir de sa franchise et son succès commercial futur (interrogatoire de l’appelant, transcription du 30 janvier 2012, questions 652 à 655).

 

z)                 Il n’est pas étonné que sa franchise n’ait pas encore réalisé de ventes, son expérience dans le domaine l’ayant sensibilisé au fait que la commercialisation des innovations prenait du temps :

 

[376]    Q.        Et quelle est la conséquence du fait que ça exige beaucoup d'efforts?

 

R.        La conséquence, c'est que pour pénétrer un marché dans ces situations-là, vu que c'est une compagnie qu'on appelle... ce qu'on appelle un start-up, bien, ça demande énormément d'efforts, temps et ressources pour réussir à pénétrer un nouveau marché, là. On parle, en moyenne, on parle entre 3 et 5 ans avant de réussir avant de réussir à pénétrer dans un nouveau marché, là.

 

[377]    Q.        Et pour la période jusqu'à tant que la pénétration soit effectuée, quel impact est-ce que ça a sur les ventes du produit?

 

R.        En général, on a très peu de ventes à ce moment-là. Ce qu'on essaye de chercher, c'est vraiment les clients majeurs qui vont nous permettre d'avoir des lettres de référence.

 

[378]    Q.        Mais est-ce que cette situation vous a surprise?

 

R.        Non, c'était une situation normale pour le domaine.

 

[379]    Q.        Et est-ce que vous aviez une connaissance du domaine?

 

R.        Ça fait 20 ans que je travaille dans le domaine informatique, développement de logiciels, validation, vérification et gestionnaire de projet, là.

 

(Interrogatoire de l’appelant, transcription du 31 janvier 2012, questions 376 à 379.)

 

La preuve de faits similaires

 

A.      Les témoins de faits similaires

 

[107]   Je rappelle que la Cour, dans son ordonnance du 27 février 2012, a rejeté l’objection de l’appelant et a autorisé l’intimée à présenter une preuve de faits similaires. La Cour a entendu le témoignage de cinq autres contribuables (les « franchisés témoins ») convoqués par l’intimée concernant leurs acquisitions de licences ou de franchises de Prospector, à savoir :

 

a)                 le Dr Marc Ghanoum, médecin néphrologue (« Dr Ghanoum »);

b)                le Dr Gino Villeneuve, optométriste (« Dr Villeneuve »);

c)                 le Dr Christian Thibault, dentiste orthodontiste et spécialiste de l’implantologie (« Dr Thibault »);

d)                le Dr Van‑Khai Ngô, dentiste (« Dr Ngô »);

e)                 le Dr Dave Rioux, dentiste spécialisé en chirurgie buccale (« Dr Rioux »).

 

[108]   L’intimée a aussi assigné deux planificateurs financiers, madame Pascale Cauchi (« Mme Cauchi ») et monsieur Charles Godbout (« M. Godbout »), à témoigner sur les activités de promotion des licences et des franchises. Il convient de souligner que Mme Cauchi n’a pas témoigné. En outre, les parties ont convenu, avec l’autorisation de la Cour, de simplement déposer la transcription de l’interrogatoire de Mme Cauchi par monsieur Gaétan Paul de l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF ») plutôt que de la faire témoigner devant la Cour (voir la pièce I‑47).

 

[109]   L’intimée a assigné ces témoins parce qu’elle était convaincue que leur preuve accroîtrait la probabilité que les contrats de mandat et les billets à ordre signés par l’appelant étaient des trompe‑l’œil, puisque que les franchisés témoins avaient participé, selon l’intimée, à des transactions identiques à celles de l’appelant. Cette preuve doit, à mon avis, être examinée avec beaucoup de prudence et de circonspection, puisque tous les franchisés témoins étaient détenteurs de licence ou de franchise avant 2007. Ainsi, il ressort du témoignage du Dr Ghanoum qu’il avait acquis deux licences en 2003, une licence en 2004, trois franchises en 2006 et deux franchises en 2007. Par ailleurs, le Dr Rioux a témoigné qu’il avait acquis deux licences en 2003, trois franchises en 2006 et trois franchises en 2007. Le Dr Ngô a expliqué qu’il avait acquis une licence en 2003, une franchise en 2006 et trois franchises en 2007. Le Dr Villeneuve a témoigné qu’il avait acquis une franchise en 2005 et une franchise en 2007. Enfin, le Dr Thibault a témoigné qu’il avait acquis une franchise en 2005, une autre en 2006 et deux autres en 2007. Enfin, cette preuve doit aussi, à mon avis, être analysée avec beaucoup de prudence parce que l’appelant n’avait pas le même conseiller que les franchisés témoins.

 

[110]   Il serait imprudent, à mon avis, de conclure que les interrogatoires de Mme Cauchi et des Drs Villeneuve, Thibault, Ngô et Rioux par l’AMF appuient la nouvelle thèse de l’intimée voulant que le coût réel des franchises, notamment celles de 2007, était de 45 000 $ (la « nouvelle thèse »). En effet, les questions de l’ARC au sujet des coûts des licences et des franchises ne faisaient aucune distinction entre les périodes avant et après 2007. L’imprécision des questions de l’AMF ne pouvait entraîner, à mon avis, que des réponses dont il est difficile de tirer quelque conclusion que ce soit.

 

[111]   Il ressort notamment ce qui suit du témoignage des franchisés témoins :

 

i)                   Ils ne connaissaient pas l’appelant et ils n’avaient pas fait affaire avec M. Legault.

 

ii)                Ils avaient entendu parler de Prospector par Mme Cauchi et ils avaient confiance en elle. Ils ont également ajouté que Mme Cauchi était encore leur conseillère financière. Ils ont aussi expliqué que Mme Cauchi leur avait présenté Prospector comme un placement, structuré pour donner des avantages fiscaux, dans une entreprise informatique commercialisant de nouveaux logiciels innovateurs ayant un potentiel de croissance à long terme.

 

iii)              Ils avaient acquis leurs licences franchises en vue de réaliser un revenu.

 

iv)              Ils avaient confié l’exploitation de leurs franchises à un mandataire.

 

v)                En 2007, ils avaient acquis de nouvelles franchises avec des billets à recours illimité. Chacun a expliqué qu’il avait compris qu’il lui fallait payer la totalité du solde indiqué au billet à l’échéance et qu’il ne pouvait plus simplement rétrocéder la franchise.

 

vi)              En 2008, ils avaient signé de nouveaux contrats qui, notamment, majoraient le solde dû à 230 000 $ moyennant une prolongation de la durée et une réduction du taux d’intérêt.

 

vii)           On ne leur avait pas affirmé qu’ils ne devaient pas payer la totalité des montants indiqués sur les billets à ordre, ni en 2007, ni en 2008.

 

viii)         Leur dette n’était pas minime. Par contre, chacun a expliqué qu’il estimait que le risque était compensé par les avantages fiscaux qu’offrait la franchise ainsi que par les redevances qu’il prévoyait en tirer. Il ressort aussi de leur témoignage que leur revenu était élevé et qu’ils avaient des placements plus sûrs.

 

ix)              Ils avaient eux‑mêmes utilisé Mail it Safe.

 

x)                Ils avaient assisté à plusieurs assemblées annuelles (sauf le Dr Ngô, qui n’avait assisté qu’à une assemblée annuelle à cause de ses multiples obligations).

 

xi)              Ils avaient reçu des communications ou des lettres par courriel ou par la poste concernant Prospector et en avaient pris connaissance.

 

xii)           Ils étaient au courant des partenariats et des ventes que Réseau avait réussi à conclure.

 

xiii)         À l’exception du Dr Thibault, qui a fait faillite, ils continuaient à croire que Mail it Safe et CashOnTime avaient un potentiel réel et ils continuaient à espérer non seulement que les logiciels se vendent, mais aussi qu’une entreprise importante cherche à acheter la technologie et les droits de commercialisation.

 

xiv)         Sauf en ce qui a trait à leur participation dans Prospector, l’ARC n’avait presque jamais contesté leurs déclarations de revenus.

 

[112]   Par ailleurs, je dois souligner que les témoignages des franchisés témoins à l’égard des questions suivantes furent, pour le moins confus et incompréhensibles :

 

i)                   les modifications à leurs franchises ou licences antérieures à 2007 et les obligations financières qui en résultent;

 

ii)                les contrats signés en 2008 et les obligations financières qui en résultent;

 

iii)              l’entente rétroactive de 2010 et les obligations financières qui en résultent.

 

Très souvent, leur témoignage contredisait les ententes. En outre, ces témoins n’ont pas été en mesure d’expliquer pourquoi leurs déclarations de revenus n’étaient pas conformes à leurs obligations aux termes de ces contrats. Toutefois, est-ce qu’on doit conclure pour autant que ces témoins se sont parjurés quand ils ont témoigné qu’ils devaient payer à terme la totalité des montants indiqués aux billets à ordre de 2007 et de 2008? Toute cette confusion ou imprécision dans leurs témoignages et toutes ces contradictions entre leurs témoignages et les ententes et les déclarations de revenus s’expliquent, à mon avis, par les faits suivants :

 

i)                   Les restructurations des obligations financières des franchises qui avaient été négociées non pas par eux mais bien par Mme Cauchi, étaient complexes et nombreuses. Les franchisés témoins ont témoigné qu’ils ne lisaient pas les contrats que Mme Cauchi avait négociés pour eux. Puisqu’ils avaient une confiance aveugle en Mme Cauchi, ils signaient les contrats qu’elle leur présentait après qu’elle leur avait donné des explications sommaires à l’égard de la nature des documents, des droits des franchisés et de leurs obligations. Je suis d’avis que l’intimée aurait dû assigner Mme Cauchi à témoigner. Son témoignage aurait certainement permis d’élucider toutes ces imprécisions et contradictions et, ainsi, d’apprécier valablement la crédibilité de ces franchisés témoins.

 

ii)                Ces restructurations et conversions dataient de plusieurs années.

 

iii)              Les témoins n’ont jamais examiné leurs déclarations de revenus, notamment l’état des résultats d’une entreprise (T2125). Les franchisés témoins ont expliqué que de toute façon, ils n’avaient pas les compétences pour en déterminer l’exactitude. Ils ont aussi expliqué que les informations qui se trouvaient dans l’état des résultats avaient été transmises directement par Mme Cauchi à leurs comptables, qui préparaient leurs déclarations de revenus. Encore une fois, il aurait été fort intéressant d’entendre le témoignage de Mme Cauchi et de ces comptables à cet égard. Leurs témoignages auraient certainement permis d’élucider la raison pour laquelle les déclarations de revenus n’étaient pas conformes aux obligations des franchisés témoins selon les contrats.

 

iv)              Très souvent, ils ne comprenaient pas le sens des questions qui leur étaient posées, notamment parce qu’ils confondaient le sens des expressions « coûts » et « déboursés ».

 

[113]   Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que cette preuve ne tend pas à faire croître la probabilité que les contrats de mandat et les billets à ordre signés par l’appelant sont des trompe-l’œil. Ces franchisés témoins m’ont convaincu de l’essentiel : ils s’étaient engagés à payer à échéance les montants prévus aux billets à ordre de 2007 et de 2008. Cette conclusion est d’autant plus vraie à l’égard du Dr Thibault. En effet, on peut difficilement dire du témoignage de Dr Thibault qu’il est intéressé, puisque le Dr Thibault n’a aucun intérêt dans le présent litige en raison de sa faillite.

 

[114]   L’intimée soutient essentiellement que le témoignage de Mme Cauchi confirme sa nouvelle thèse (nouvelle en ce qu’il n’y a rien, à mon avis, à cet égard dans les actes de procédure de l’ARC) voulant que les trois premiers paiements de l’appelant (3 x 15 000 $) ne constituaient pas de l’intérêt, mais le prix réel et total de l’investissement tel qu’en ont convenu les parties. L’intimée tire cette conclusion du témoignage de Mme Cauchi (notes sténographiques, 28 novembre 2008, Mme Cauchi, de la p. 22, ligne 20, à la p. 23, et p. 28, lignes 10 à 25), dans lequel elle affirme que les coûts liés à l’acquisition d’une franchise, « c’est trois (3) fois quinze mille dollars (15 000 $) », et aussi de la preuve qui démontrerait qu’aucune modalité des contrats et aucune modalité des billets pour les années 2004 à 2008 ne confirment les paiements décrits par Mme Cauchi.

 

[115]   L’intimée a tiré à tort cette conclusion du témoignage. D’abord, l’ARC a prétendu à tort qu’aucun des contrats ne prévoyait de remboursement de 15 000 $ en trois ans. En fait, ce sont les modalités du contrat de 2006; voir le billet à recours limité la pièce A‑72, volume 28, page 11077, (page 11121)). Les extraits du témoignage auxquels se renvoie l’intimée pour appuyer sa nouvelle thèse portent peut‑être sur l’année 2006. Il est extrêmement difficile à mon avis de tirer quelque conclusion du témoignage, puisque les questions de l’AMF ne faisaient pas de distinction entre la période d’avant et après 2007. Ainsi, Mme Cauchi renvoie probablement, aux pages 22 et 28 de son témoignage, aux contrats d’avant 2007, alors qu’à la page 40, elle renvoie à une franchise après 2007. À mon avis, l’ARC ne peut profiter des réponses à des questions imprécises qui ont mené à un tel témoignage pour le moins confus. Seul le témoignage de Mme Cauchi aurait permis d’élucider toutes ces ambiguïtés, si ambiguïté il y a. Malheureusement, l’intimée n’a pas assigné Mme Cauchi à témoigner.

 

[116]   Monsieur Godbout est un fiscaliste au service de Mme Cauchi depuis 2006. Pour étayer sa nouvelle thèse, l’intimée a déposé en preuve lors du contre‑interrogatoire de M. Godbout une lettre qu’il avait envoyée à madame Chantale Laliberté de la Banque canadienne impériale de commerce (pièce I‑55), lettre qui traitait des franchises de 2007. En contre‑interrogatoire, on a renvoyé M. Godbout au passage suivant de cette lettre : « Les investisseurs doivent débourser trois montants de 15 000 $ pendant trois ans. Puis, c’est terminé. » M. Godbout a expliqué lors de son contre‑interrogatoire qu’il s’était rendu compte quelques jours avant son témoignage qu’il y avait une erreur dans cette lettre, car il aurait « mélangé » les conditions des contrats de franchise de 2005 et de 2006 avec celles de 2007 (notes sténographiques, 15 mars 2012, M. Godbout, p. 191, lignes 18 à 22). M. Godbout a expliqué qu’il croyait qu’en vertu des contrats de 2005 et de 2006, il suffisait de faire trois paiements de 15 000 $ pour les franchises, puisque les billets à ordre étaient à recours limité (notes sténographiques, 15 mars 2012, M. Godbout, p. 197, lignes 10 à 25). L’intimée soutient que les explications de Godbout pour justifier son erreur (selon lesquelles la lettre à madame Laliberté énonçait les conditions des contrats de franchise de 2005 et de 2006) ne sont pas crédibles, puisqu’elles sont incompatibles avec les modalités de ces contrats. En effet, l’intimée soutient qu’aucun contrat pour les années 2005 et 2006 ne prévoyait de remboursement de 15 000 $ pendant trois ans, quoique ce soient les modalités du contrat de 2006, avec un billet à recours limité, qui apparaissent à la pièce A‑72, volume 28, page 11077 (page 11121). Bien que les contrats de 2006 aient prévu des remboursements de 15 000 $ pendant trois ans avec des billets à recours limité, lorsqu’on l’a contre‑interrogé à propos des modalités d’un contrat de franchise de l’année 2006, M. Godbout a reconnu que l’explication qu’il avait donnée au sujet des erreurs dans sa lettre à madame Laliberté était elle‑même erronée. Ceci démontre clairement que M. Godbout a confondu les contrats d’avant et d’après 2006 lors de son contre‑interrogatoire (comme la plupart des témoins franchisés, d’ailleurs, et ce, même s’il est un fiscaliste) et, par conséquent, qu’on ne peut conclure de cette confusion que les explications données pour expliquer son erreur dans la lettre à madame Laliberté ne sont pas crédibles. En définitive, il serait inapproprié, à mon avis, de conclure que ce témoignage tend à faire croître la probabilité que les billets à ordre et les contrats de mandat signés par l’appelant étaient des trompe-l’œil.

 

 

M. Beaulieu

 

[117]   Je retiens essentiellement du témoignage de Michel Beaulieu (« M. Beaulieu »), un comptable agréé qui n’avait aucun intérêt dans le présent litige, qu’il n’avait pas voulu convertir sa franchise de 2005 en franchise de 2007 parce qu’il ne voulait pas signer un billet à recours illimité. Les explications de M. Beaulieu à cet égard méritent d’être citées :

 

[394]    Q.        Expliquez à la Cour pourquoi?

 

R.        Franchise 2007, c'est une franchise avec billet plein recours, alors j'ai décidé que je n'embarquais pas là‑dedans. Présentement on a des acquis, à cinquante (50) ans, on a des acquis, on ne veut pas les perdre. Donc un billet plein recours veut dire même si ça ne fonctionne pas Prospector, Michel tu dois deux cent quelque mille (250 000). Donc c'est une des raisons et ce n'est pas une, c'est la raison pour laquelle je me suis retiré de ça.

 

Interrogatoire de M. Beaulieu, transcription du 15 mars 2012, question 414

 

 

Le témoignage de M. Ouellet

 

          Formation et expérience professionnelle

 

[118]   Monsieur Ouellet, l’expert de l’appelant, est titulaire d’une maîtrise en administration des affaires (« M.B.A. ») avec spécialisation en marketing international de l’Université Laval, d’un doctorat en sciences de la gestion (marketing) de l’Université Pierre‑Mendès‑France de Grenoble et d’un post-doctorat en gestion de l’innovation du Center for Innovation in Product Development du M.I.T. à Boston. Il est professeur de marketing à HEC Montréal depuis 2004 et professeur agrégé depuis 2008. Il a également collaboré aux programmes délocalisés de M.B.A. et de D.B.A. de diverses universités européennes. Ses travaux de recherche et son enseignement portent sur la gestion des produits et de l’innovation, sur la gestion de marques, sur le marketing interentreprises et sur le marketing direct et par bases de données. Il est coauteur d’un manuel universitaire de marketing et ses travaux de recherche ont fait l’objet de nombreuses publications.

 

[119]   Depuis 2003, M. Ouellet travaille encore comme consultant spécialisé en marketing pour des entreprises de tailles diverses, notamment des entreprises en démarrage. Il travaille également comme associé universitaire pour un cabinet de recherche en marketing. Il a été conférencier et formateur pour diverses entreprises et organisations et il est actuellement animateur d’une émission d’affaires. Il est aussi récipiendaire de nombreux prix, bourses et récompenses.

 

[120]   Dans le passé, il a agi comme directeur adjoint de marketing, puis comme directeur d’une entreprise québécoise pour laquelle il a développé un réseau de distributeurs et de revendeurs dans plusieurs pays, en plus de mettre en place et de superviser une équipe de représentants et de support marketing. Il a également agi comme porte‑parole national de deux sociétés bien connues (eBay Canada et Doritos).

 

[121]   L’appelant a donné à M. Ouellet le mandat d’évaluer la viabilité commerciale d’une entreprise eu égard (a) aux produits Solutions Prospector, Mail it Safe et CashOnTime, (b) à la commercialisation par le franchisé de ces produits sous forme de « logiciel‑service » (« Software as a Service »), (c) à l’exploitation de la franchise du franchisé par un mandataire. Son équipe, composée de lui‑même et deux chercheurs, a consulté les actes de procédure, la preuve documentaire des deux parties et les transcriptions des interrogatoires préalables de l’appelant et du vérificateur de l’ARC; elle a également rencontré des membres de Prospector, de l’association des franchisés et du cabinet d’avocats représentant l’appelant. À la lumière de ces documents et des études en gestion, M. Ouellet a conclu que l’entreprise d’un franchisé Prospector est réaliste et commercialement valide.

 

          La validité commerciale des produits Prospector

 

[122]   D’abord, il ressort notamment du témoignage très convaincant, éclairant et crédible de M. Ouellet que les trois produits Prospector sont des produits « véritables et fonctionnels » dont les bénéfices répondent à des besoins réels sur les marchés visés. Selon M. Ouellet, les bénéfices de Mail it Safe répondent à des enjeux de confidentialité et de protection des données qui, selon les études, sont des préoccupations importantes, particulièrement dans le domaine de la santé. Il a aussi expliqué que CashOnTime, puisqu’il permet d’automatiser le processus de recouvrement des créances, vise à résoudre les enjeux reliés au manque de liquidités auxquels font face les entreprises. Il a ajouté, que pour sa part, Solutions Prospector répond aux enjeux du suivi d’une campagne de marketing par Internet, ce qui représente, encore aujourd’hui, un défi majeur de toute campagne de marketing direct réalisée par Internet. Il a conclu que ce sont des produits commercialement viables, en ce qu’ils présentent un potentiel de marché et de rendement de l’investissement intéressants.

 

          La validité commerciale du logiciel‑service

 

[123]   Monsieur Ouellet considère que la façon d’exploiter les produits de Prospector, c’est‑à‑dire comme logiciel‑service, est également commercialement valide et prometteuse. Toutefois, cela rend la commercialisation des produits de Prospector plus complexe et rend l’adoption par les clients éventuels plus lente.

 

[124]   Selon M. Ouellet, le logiciel‑service présente des avantages notables. L’usager n’a pas à installer le logiciel sur ses propres serveurs ou ordinateurs, ni à l’entretenir ou à le faire fonctionner, ce qui se traduit par une diminution des coûts d’acquisition et d’adoption du logiciel ainsi que par une plus grande rapidité de mise en service et par une plus grande souplesse. Cependant, les usagers éventuels de logiciels‑service sont réticents à utiliser cette technologie en raison principalement des risques reliés à la sécurité des données, à l’intégration de ce mode de fonctionnement aux autres logiciels utilisés par l’entreprise et des coûts, qui peuvent être supérieurs, particulièrement chez les grandes entreprises. Ces préoccupations font en sorte que la décision d’utiliser un logiciel‑service a un cycle relativement long.

 

[125]   De plus, M. Ouellet considère que, dans les secteurs comme la gestion de créances, la gestion de la relation avec le client et le suivi des courriels, les normes et pratiques en vigueur ne sont pas complètement compatibles avec le recours à un logiciel‑service. Ainsi, le logiciel‑service constitue une innovation radicale dans ces secteurs particuliers. Par opposition à l’innovation continue, l’innovation radicale crée sa propre catégorie de produits en répondant de manière inattendue ou nouvelle à un besoin latent. Bien que ce type d’innovation se traduise généralement par un avantage marqué et durable sur le marché et par un rendement extrêmement important de l’investissement, sa commercialisation présente des difficultés. En effet, un temps considérable (entre six à 10 ans, voire 12 ans) est nécessaire pour que le produit soit adopté de façon durable. De plus, la capacité et le savoir‑faire propres à la commercialisation de ces produits sont des facteurs clés. Or, peu d’entreprises et de professionnels disposent réellement d’une telle spécialisation en marketing. Le risque associé à l’introduction d’une innovation radicale sur le marché est aussi plus élevé. Des décennies peuvent s’écouler avant qu’une entreprise très innovante ne réalise la moindre vente.

 

[126]   Par ailleurs, M. Ouellet explique que le processus de commercialisation d’une innovation comporte plusieurs étapes, auxquelles toute entreprise normale doit s’attarder et consacrer du temps. Selon le contexte, une entreprise peut devoir s’attarder à certaines étapes stratégiques. Elle peut, par exemple, devoir bâtir une vitrine commerciale avant même de lancer ses activités de vente et de commercialisation. Dans le cas d’un recadrage stratégique, il pourrait être logique qu’une entreprise aille jusqu’à suspendre ses efforts de vente pour se concentrer sur la segmentation et le positionnement.

 

[127]   Selon M. Ouellet, on assiste présentement à une tendance de fond quant au logiciel‑service. Le marché du logiciel‑service est en ascension aux États‑Unis, en Asie et en Europe. Des entreprises majeures se tournent vers ce mode de fonctionnement. Or, le passage vers  l’informatique « nuagique », dont fait partie le logiciel‑service, est considéré dans les études comme « le plus gros changement auquel doivent faire face les organisations depuis l’entrée des ordinateurs dans les milieux de travail il y a 20 ans ». L’exploitation d’un logiciel‑service est donc valide et prometteur, mais, puisqu’il s’agit d’une innovation radicale, sa commercialisation est complexe et lente.

 

          La charge de l’exploitation de la franchise

 

[128]   Finalement, M. Ouellet considère que l’appelant a pris une bonne décision commerciale en chargeant un mandataire spécialisé de l’exploitation de sa franchise, compte tenu des ressources limitées dont il disposait. Le fait de donner des mandats similaires au même mandataire contribuait également à augmenter au maximum les avantages économiques.

 

[129]   Selon M. Ouellet, le franchisage est une approche d’affaires « relativement populaire » dont l’importance grandit et qui présente de grands avantages organisationnels, notamment pour les entreprises s’attaquant à de nouvelles « niches » ou celles recherchant la croissance. Il s’agit d’une structure à laquelle on a souvent recours dans le domaine des technologies.

 

[130]   Selon M. Ouellet, les franchiseurs ont des obligations envers les franchisés. Ils doivent accomplir des activités de communication et de marketing et fournir le matériel nécessaire aux activités de vente des franchisés, ce qui devrait inclure des vitrines dans le cas de logiciels. En effet, dans le domaine de la commercialisation des logiciels, on recommande de développer des vitrines, c’est-à-dire des sites de référence qui permettent de démontrer à d’autres clients les bénéfices des produits commercialisés.

 

[131]   Monsieur Ouellet a aussi expliqué que bien que le modèle classique du franchisage ait été développé afin que des entrepreneurs‑franchisés exploitent eux-mêmes leurs franchises, les franchiseurs font preuve de plus de souplesse à l’égard de franchisés désirant ne participer qu’à temps partiel. Différentes formes de répartition des tâches sont maintenant utilisées. Le franchisé peut avoir recours à une tierce partie ou à des entreprises ou professionnels ayant un lien avec les franchiseurs.

 

[132]   En résumé, le témoignage de M. Ouellet m’a convaincu de ce qui suit :

 

a)                 Les logiciels sont des produits véritables et fonctionnels, qui répondent à des besoins réels sur les marchés visés et qui ont un potentiel de marché et de rendement intéressant.

 

b)                Le mode d’exploitation, bâti sur le modèle logiciel‑service, constituait une innovation radicale et avant‑gardiste qui s’est popularisée depuis.

 

c)                 Le mode d’exploitation, bâti sur le modèle logiciel‑service, offre un plus grand potentiel de rendement même si cette nouveauté a causé au départ des difficultés importantes à la commercialisation qui ont contribué à retarder la mise en marché.

 

 

Analyse et conclusion

 

L’objection préliminaire – La nouvelle cotisation est nulle n’impose pas de fardeau à l’appelant

 

[133]   Nous traiterons maintenant de l’objection préliminaire de l’appelant voulant que la nouvelle cotisation soit nulle et ne lui impose pas de fardeau.

 

[134]   L’ARC a établi le 27 août 2009 la nouvelle cotisation par laquelle elle a refusé des déductions de 85 873,33 $ que l’appelant avait réclamées à titre d’amortissement, d’immobilisations admissibles et d’intérêts relativement à l’achat d’une franchise l’autorisant à commercialiser les logiciels.

 

[135]   L’appelant s’est opposé à la nouvelle cotisation le 28 octobre 2009 et a interjeté appel à la Cour le 21 décembre 2010, et ce, avant que le ministre du Revenu national (le « ministre ») n’ait ratifié la nouvelle cotisation. L’appelant soutient qu’à cette date, l’ARC ne l’avait pas informé des hypothèses de fait et de droit sur lesquelles elle s’est fondée pour établir la nouvelle cotisation.

 

[136]   L’intimée a produit la réponse à l’avis d’appel le 14 mars 2011. L’intimée y expose au paragraphe 25 les faits qu’elle a tenus pour acquis pour fixer l’impôt payable et énonce au paragraphe 26 d’autres faits pertinents à l’appel.

 

[137]   L’appelant soutient que le défaut de divulguer les hypothèses devrait entraîner la nullité de la nouvelle cotisation. Subsidiairement, il soutient que le fardeau de prouver les hypothèses non divulguées incombe à l’intimée.

 

[138]   L’appelant fonde ses prétentions sur l’arrêt Johnston c. M.R.N., [1948] R.C.S. 486, et sur les règles fondamentales d’équité qui, à son avis, obligent l’ARC à dévoiler les hypothèses de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde avant d’établir la cotisation ou au moment de le faire. C’est selon lui ce qui se dégage du passage suivant de l’arrêt Johnston :

 

[TRADUCTION]

 

Bien qu'elle soit censée, aux termes du paragraphe 63(2), être une action prête pour l'instruction ou l'audition, l'instance est un appel à l'encontre de la cotisation, et puisque la cotisation se fonde sur certains faits et certaines dispositions de la loi, ce sont soit les faits en question, soit l'application de la loi que l'on conteste. Tout fait de ce genre constaté ou présumé par le répartiteur ou le ministre doit alors être admis tel qu'il a été traité par ces personnes, à moins qu'il ne soit contesté par l'appelant.

 

[...] Les allégations nécessaires à l'appel dépendent de l'interprétation de la loi et de son application aux faits. Les actes de procédure doivent aider à cerner les questions en litige. Bien sûr, on doit présumer que, comme elle a le devoir de le faire, la Couronne a pleinement communiqué au contribuable les conclusions de faits et de droit exactes qui ont donné lieu au litige.

 

 

[139]   L’appelant soutient qu’à tout le moins, si l’ARC omet de divulguer certaines hypothèses qu’elle dévoile ensuite dans ses actes de procédure, le fardeau de la preuve lui appartient. Ce principe aurait été confirmé dans l’arrêt Hsu c. La Reine, 2001 CAF 240, dont l’appelant cite le passage suivant :

 

[…] le ministre est tenu de divulguer le fondement précis sur lequel cette cotisation repose (Johnston v. M.N.R. (1948), 3 D.T.C. 1182, à la page 1183 (C.S.C.)). Autrement, le contribuable ne serait pas en mesure de s'acquitter de l'obligation initiale qui lui incombe de démolir les « présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus » (Hickman Motors Ltd. c. La Reine (1997), 97 D.T.C. 5363, à la page 5376 (C.S.C.)).

 

 

[140]   En l’espèce, l’appelant soutient qu’il n’y a pas eu divulgation des hypothèses : ni la nouvelle cotisation, ni la lettre du 6 juillet 2009 avec le projet de cotisation ne contenaient d’explications qui lui auraient permis de déceler quelque hypothèse que ce soit.

 

[141]   L’appelant prétend que la nouvelle cotisation est donc sans fondement. Il soutient que puisque l’ARC doit dévoiler avant la nouvelle cotisation toutes les allégations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde, si l’ARC avait établi des hypothèses, elle les lui aurait divulguées.

 

[142]   De plus, l’appelant soutient qu’il existe un chevauchement entre les faits que le ministre a « tenu pour acquis » (par. 25 de la réponse), au moment de la nouvelle cotisation et les « autres faits pertinents » (par. 26 de la réponse), pour lesquels l’ARC a le fardeau de la preuve. Ce chevauchement, selon l’appelant, fait qu’il est impossible de distinguer les faits que l’ARC entend prouver de ceux que l’ARC aurait tenus pour acquis au moment de la nouvelle cotisation. Ce chevauchement, soutient‑il, ne fait que confirmer sa thèse voulant que l’ARC n’ait fait aucune hypothèse à l’appui de la nouvelle cotisation et qu’ainsi la nouvelle cotisation soit sans fondement. En outre, et subsidiairement, l’appelant soutient que les hypothèses qui se chevauchent dans la réponse sont des faits à l’égard desquels l’ARC a le fardeau de la preuve.

 

[143]   Finalement, l’appelant prétend que l’absence d’hypothèses est aggravée par les aveux de madame Carole Bartolini, la chef d’équipe chargée de superviser les deux vérificateurs de l’ARC qui ont procédé à la vérification de l’entreprise de l’appelant. Madame Bartolini a en effet témoigné qu’elle était tenue de suivre les directives de la direction au sujet du « projet Prospector », dont l’appelant faisait partie. Selon l’appelant, ces directives ont rendu la « vérification » factice et vide de sens : l’ARC a donné l’impression de vouloir avoir un réel dialogue avec l’appelant, alors qu’elle suivait en réalité des étapes prescrites par la direction sans se soucier de leur pertinence. L’ARC n’avait donc pas respecté son obligation de s’assurer des faits et d’y appliquer le droit applicable avant d’établir une cotisation. Ce fait, selon l’appelant, ne fait qu’appuyer sa position voulant que l’ARC n’a pas fait d’hypothèses de fait ou de droit à l’appui de la nouvelle cotisation et qu’ainsi la nouvelle cotisation devrait être nulle.

 

La position de l’intimée (voir la transcription du 9 mai 2012, aux pp. 360 et suivantes)

 

[144]   En s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Les voitures Orly Inc. c. Canada, 2005 CAF 425, l’intimée soutient que l’ARC n’a pas à divulguer le fondement de la nouvelle cotisation à un moment particulier.

 

[145]   L’intimée ajoute que les faits sur lesquels l’ARC s’est fondée pour établir la nouvelle cotisation se retrouvent au rapport de vérification (pièce I‑60) (le « rapport »). De plus, l’intimée prétend qu’il ressort de l’avis d’appel que l’appelant connaissait la question en litige, c’est‑à‑dire celle de savoir si l’appelant avait exploité une entreprise, et qu’il ne peut donc prétendre avoir été pris par surprise.

 

[146]   En outre, en s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, l’intimée prétend que les actions et le comportement de l’ARC lors de la vérification ne doivent pas être pris en considération lors d’un appel.

 

[147]   Je souligne que l’intimée n’a fait aucune affirmation relativement au fardeau de la preuve, son procureur se contentant d’affirmer à l’audience que de toute façon il avait fait la preuve des faits sous‑tendant ses prétentions.

 

[148]   Puisque l’intimée a soutenu notamment que le fondement de la cotisation se retrouve au rapport et que l’appelant s’est opposé à la production en preuve du rapport, je me pencherai d’abord sur le bien‑fondé de cette objection.

 

[149]   Dans ses observations écrites, l’appelant a soutenu que le rapport ne lui avait pas été communiqué à l’époque de la nouvelle cotisation et qu’il ne faisait pas non plus partie des documents divulgués par l’ARC dans sa liste de documents selon l’article 81 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») le 6 juin 2011. Le rapport n’aurait été communiqué à l’appelant que le 15 septembre 2011, à sa demande. L’appelant mentionne par ailleurs avoir obtenu le rapport caviardé par une demande d’accès à l’information le 21 février 2011.

 

[150]   Ensuite, l’appelant soutient que Normand Desjardins (un représentant de l’ARC) a expressément déclaré lors de l’interrogatoire préalable que les hypothèses sur lesquelles la nouvelle cotisation était fondée étaient énumérées dans la réponse. Cette déclaration constitue, selon l’appelant, un aveu judiciaire liant l’ARC et dont notre Cour a pris acte au paragraphe 12 de la décision Drouin c. La Reine, 2011 CCI 519. Ainsi, selon l’appelant, si le rapport reprend les faits et les analyses de la réponse, il est superflu et d’aucune utilité à la Cour.

 

[151]   D’autre part, l’appelant soutient que puisque les faits et les analyses du rapport ne sont pas invoqués dans les actes de procédure, il est abusif pour l’ARC de chercher à en faire la preuve. À son avis, plus du tiers du rapport concerne la question de savoir si la franchise de l’appelant constituait un « abri fiscal ». Or, dans Drouin c. La Reine, 2011 CCI 519 (l’appelant réfère particulièrement aux paragraphes 29 et 30), la Cour a rejeté la tentative de l’ARC de modifier la réponse pour y inclure des arguments relatifs à l’abri fiscal, décidant qu’il s’agirait d’un abus de procédure. L’appelant ajoute que s’il était abusif de la part de l’ARC d’ajouter des allégations relatives à l’« abri fiscal » à sa réponse la veille du procès, a fortiori il est absolument intolérable que l’ARC cherche à déposer en preuve ce qui est essentiellement un argumentaire portant sur le même sujet à la clôture de la preuve.

 

[152]   L’appelant ajoute que le rapport renvoie à six endroits aux conclusions d’une évaluation d’une franchise qui aurait été faite par le service d’évaluation mobilière de l’ARC. Pourtant, cette évaluation n’apparaissait pas dans la liste de l’ARC comme document sur lequel elle s’est fondée. Aussi, lorsque, pendant le témoignage de madame Bartolini, l’ARC a cherché à déposer l’évaluation en preuve, l’appelant s’y est opposé au motif qu’il s’agissait d’un témoignage d’expert. L’ARC aurait admis, lors de l’interrogatoire préalable, que la décision de ne pas déposer cette évaluation à titre d’expertise était intentionnelle et résultait d’une stratégie. L’appelant ajoute que l’intimée ne peut maintenant chercher à déposer le rapport, qui reprend à six reprises les conclusions de l’évaluation, et ainsi prouver indirectement ce qu’elle ne pouvait faire et a renoncé à faire directement. À cet égard, je note que lorsque l’appelant s’est opposé à l’audience au dépôt de cette évaluation, l’intimée a retiré sa demande.

 

[153]   De surcroît, selon l’appelant, l’intimée cherche à déposer une évaluation par l’entremise de madame Bartolini plutôt que son auteur, procédure que la Cour a jugé inacceptable dans son jugement Drouin c. La Reine, 2012 CCI 94, lorsqu’elle a rejeté le témoignage de monsieur Denys Goulet à titre d’expert.

 

[154]   Enfin, l’appelant soutient que l’ARC ne peut déposer à titre historique le rapport de la vérificatrice comme il a lui-même déposé les deux rapports de Wise, Blackman, et ce, pour les raisons suivantes : a) les deux rapports qu’il a déposés apparaissaient à la liste des documents de l’appelant, contrairement au rapport; b) contrairement à l’intimée, l’appelant avait donné en temps utile les avis qu’exige l’article 145 des Règles; c) contrairement à l’intimée, l’appelant n’avait jamais fait d’aveux judiciaires rendant ces rapports superflus; d) les deux rapports avaient un véritable intérêt historique, contrairement au rapport de l’intimée.

 

[155]   Somme toute, selon l’appelant, en cherchant à déposer le rapport, l’ARC tente de faire indirectement ce que la Cour lui a expressément interdit de faire directement, en plus de chercher à encombrer le dossier d’allégations manifestement inappropriées, et ce, sans avis raisonnable à l’appelant.

 

[156]   La thèse de l’intimée est qu’elle est en droit de déposer ce document en preuve en vertu de l’article 89 des Règles. Elle soutient que c’est cet article, et non l’article 81 qui régit l’admissibilité en preuve de documents. Ainsi, l’intimée prétend qu’un document « produit par l’une des parties, ou par quelques personnes interrogées pour le compte de l’une des parties, au cours d’un interrogatoire préalable » (alinéa 89(1)b)) peut être déposé en preuve au même titre qu’un document mentionné dans la liste de documents d’une partie (alinéa 89(1)a)).

 

[157]   De plus, l’intimée soutient que le principe sous-jacent aux articles 81 et 89 des Règles est la divulgation par les parties des documents qu’elles désirent déposer en preuve. Le rapport a été divulgué à l’appelant à deux reprises, d’abord en version caviardée, en réponse à une demande d’accès à l’information le 21 février 2011, puis en réponse aux des engagements de l’intimée le 15 septembre 2011. Le principe de la divulgation préalable est donc respecté.

 

[158]   En réponse aux arguments de l’appelant, l’intimée ajoute que l’objectif du dépôt du Rapport est d’infirmer les allégations de l’appelant voulant que l’ARC n’ait fait aucune hypothèse de fait ou de droit à l’appui de la nouvelle cotisation. En ce sens, le rapport constitue une preuve tout à fait pertinente et recevable et aucun motif d’exclusion ne s’applique.

 

[159]   Je ne suis pas d’accord avec la majorité des prétentions de l’appelant. Le fait que, lors de l’interrogatoire préalable, monsieur Desjardins ait reconnu que les fondements de la nouvelle cotisation se trouvaient dans la réponse ne change rien au fait qu’il faille ici déterminer si la Couronne s’est fondée sur les faits au paragraphe 25 de la réponse pour établir la cotisation. Le projet de la vérificatrice est pertinent en ce sens. D’autre part, il est vrai que la majeure partie du rapport traite de l’abri fiscal, un argument qui n’a pas été soulevé dans les actes de procédure et que l’intimée a essayé en vain d’ajouter à la réponse. Or, dans la mesure où l’intimée ne cherche pas ici à en faire la preuve et que le rapport est pertinent pour déterminer si les faits dans la réponse sont les véritables fondements de la nouvelle cotisation, le rapport devrait être admissible. Il n’est pas question non plus de mettre en preuve de façon indirecte une évaluation.

 

[160]   À mon avis, la seule question en litige ici est de savoir si le défaut d’indiquer le document à la liste de documents est fatal pour l’intimée. Autrement dit, l’article 89 des Règles permet‑il à une partie de déposer en preuve un document qu’un de ses témoins a produit en réponse aux engagements pris lors de l’interrogatoire préalable?

 

[161]   Il y a lieu de reproduire ici l’article 89 :

 

89. (1) Sauf directive contraire de la Cour, ou sauf si les autres parties ont renoncé au droit d’obtenir communication de documents ou ont consenti par écrit à ce que des documents soient utilisés en preuve, aucun document ne doit être utilisé en preuve par une partie à moins, selon le cas :

 

a) qu’il ne soit mentionné dans les actes de procédure, ou dans une liste ou une déclaration sous serment déposée et signifiée par une partie à l’instance;

 

b) qu’il n’ait été produit par l’une des parties, ou par quelques personnes interrogées pour le compte de l’une des parties, au cours d’un interrogatoire préalable;

 

c) qu’il n’ait été produit par un témoin qui n’est pas, de l’avis de la Cour, sous le contrôle de la partie.

 

(2) Sauf directive contraire de la Cour, le paragraphe (1) ne s’applique pas au document utilisé uniquement comme fondement ou comme partie d’une question dans un contre-interrogatoire ou en réinterrogatoire.

 

 

[162]   L’intimée n’a fourni aucune décision judiciaire à l’appui de ses prétentions. Je n’ai relevé aucune décision où il était question de l’application de l’alinéa 89(1)b) des Règles précisément. Les décisions portent plus souvent sur le paragraphe 89(2) des Règles au sujet du contre-interrogatoire : Morency c. La Reine, [1998] 2 C.T.C. 2024, Scavuzzo c. La Reine, 2004 CCI 806, Large c. La Reine, 2006 CCI 509. Toutefois, dans ces trois décisions, les juges ont exprimé des réserves quant à cette exception au principe de la divulgation préalable. Dans Sydney Mines Fireman's Club, 2011 CCI 403, la juge Campbell a exercé son pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 98(1) et 89(1) des Règles pour permettre la production de documents retrouvés et communiqués à la partie adverse quelques jours avant l’audience.

 

[163]   Dans d’autres cas, les juges ont préféré ne pas permettre le dépôt d’un document qui ne figurait pas à la liste des documents : Walsh c. La Reine, 2009 CCI 557, et Savoy c. La Reine, 2011 CCI 35. Mentionnons toutefois que dans ces deux cas, il n’avait pas été question de divulgation préalable des documents et donc il semble que le dépôt dépendait entièrement de l’appréciation du juge, conformément au libellé du paragraphe 89(1) des Règles.

 

[164]   D’ailleurs, le juge Hershfield, dans Savoy, précité, affirme ceci, dans une note de bas de page (numéro 6) :

 

[…] Aucune des dispositions de l’art. 89 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) relatives à l’admission de documents ne permet qu’un document non divulgué soit admis, sauf directive contraire de la Cour. […]

 

 

[165]   Je doute que ce commentaire s’applique dans des situations, comme celle‑ci, visées par les alinéas a), b) ou c). Les termes de la disposition sont clairs et le dépôt en preuve du rapport doit donc être permis, puisqu’il s’agit d’un document qui a fait l’objet d’un engagement et qui devrait donc être considéré comme ayant été produit lors d’un interrogatoire préalable.

 

[166]   Je partage aussi l’avis de l’intimée voulant que le rapport soit pertinent afin de déterminer le fondement de la nouvelle cotisation. De plus, l’appelant avait connaissance du rapport depuis plusieurs mois, et il n’a donc subi aucun préjudice, puisque la Cour ne tient pas compte des conclusions basées sur l’évaluation et les autres fondements invoqués. Le but est la recherche de la vérité. La forme ne doit pas primer le fond, et il est dans l’intérêt de la justice que la Cour prenne connaissance d’un document fondamental à l’appel et en tire les conclusions appropriées.

 

[167]   Revenons maintenant à l’objection de l’appelant voulant que la nouvelle cotisation soit nulle et ne lui impose pas de fardeau parce que le projet de cotisation du 6 juillet 2007 (pièce I‑59) et la nouvelle cotisation ne révélaient aucune hypothèse de fait et de droit. Aucune règle juridique ne me permet de conclure que la nouvelle cotisation est sans fondement parce que les hypothèses de fait et de droit ont été divulguées de façon tardive. La seule question qui se pose est de savoir si, à cause de ce retard, il y a renversement du fardeau de la preuve.

 

[168]   Dans Drouin c. La Reine, 2011 CCI 519, la juge Lamarre, alors qu’elle était saisie d’une requête pour modifier la réponse, a tiré les conclusions suivantes quant au projet de cotisation et à la nouvelle cotisation :

 

7          Dans son argumentation, l'intimée plaide que les modifications recherchées visent à ajouter des arguments de droit concernant la question de l'abri fiscal et qu'aucun fait nouveau n'est ajouté. L'intimée soutient que lors de la vérification fiscale de l'appelant pour l'année d'imposition 2008, l'argument concernant l'abri fiscal a été pris en compte par la vérificatrice afin de refuser les déductions réclamées par l'appelant pour cette même année. L'abri fiscal aurait donc été un fondement au soutien de la cotisation initiale. Ladite cotisation datée du 27 août 2009, produite dans le dossier de la requête de l'appelant à l'onglet C, ne donne aucune explication sur le fondement de la cotisation qui modifie le revenu net de l'appelant. Par ailleurs, une lettre avait été envoyée préalablement à l'appelant, le 6 juillet 2009, par l'Agence du revenu du Canada (ARC), dans laquelle on lui expliquait que la vérification n'avait porté que sur « la déduction pour amortissement réclamée pour les catégories 12, la déduction de biens en immobilisations admissibles et les frais d'intérêts », et qu'on apportait les redressements en conséquence à sa déclaration de revenu (pièce E du dossier de la requête de l'appelant). Aucune mention n'était faite par l'ARC qu'on avait considéré la question de l'abri fiscal pour établir la cotisation.

 

 

[169]   J’adhère à ces conclusions. Après avoir examiné chacun de ces deux documents, je conclus qu’ils sont pour le moins laconiques et ne contiennent effectivement aucune explication du fondement de la nouvelle cotisation.

 

[170]   Toutefois, l’état actuel du droit ne me permet pas d’en venir à la même conclusion que l’appelant au sujet du moment où le ministre est tenu de divulguer les hypothèses sur lesquelles il se fonde.

 

[171]   Dans l’arrêt Les Voitures Orly Inc. c. Canada, précité, auquel a référé l’intimée, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’arrêt Johnston, précité, n’établissait pas de date limite. Il ne fait qu’énoncer le devoir de divulgation de la Couronne :

 

[13]      En réponse à une question de la Cour, l’avocat de l’appelante a reconnu que l'arrêt Johnston, précité, ne dit pas expressément que la divulgation doit intervenir au plus tard au moment de la nouvelle cotisation. En fait, cet arrêt indique seulement que la Couronne doit divulguer aux contribuables la totalité des hypothèses de fait et de droit spécifiques qui sous-tendent la nouvelle cotisation. Il n'établit pas de date limite, contrairement à ce que prétend l'appelante.

 

 

[172]   Dans cette affaire, l’intimée avait établi une nouvelle cotisation le 27 avril 1998 et avait divulgué les hypothèses étayant cette cotisation environ un mois plus tard. L’appelant, s’appuyant sur Johnston, précité, avait soutenu devant la Cour d’appel fédérale que le juge de première instance avait commis une erreur en imposant au contribuable le fardeau de réfuter les hypothèses de fait et de droit sur lesquelles l’intimée se fondait, parce que ces hypothèses lui avaient été communiquées après l’établissement de la cotisation.

 

[173]   La Cour d’appel fédérale a rappelé notamment l’objectif de l’obligation de divulgation du ministre et le recours approprié en cas de divulgation tardive :

 

[15]      L'avocat de l'appelante reconnaît que la thèse de cet auteur ne s'appuie sur aucune jurisprudence. En fait, l'obligation de divulgation vise à faire en sorte que le contribuable soit en mesure d'exercer convenablement et effectivement son droit de s'opposer à l'avis de nouvelle cotisation pendant la période de 90 jours prévue par la Loi. Il nous semble que, dans la très grande majorité des cas, le recours approprié est la divulgation forcée. Nous ne pouvons concevoir que l'on refuse au contribuable une prorogation du délai, le cas échéant, pour modifier un appel en cours ou pour déposer un appel ou un avis d'opposition lorsque la divulgation des hypothèses de fait et de droit a été retardée et que, en conséquence, il est devenu difficile sinon impossible de respecter la limite de 90 jours.

 

[174]   La Cour d’appel fédérale a également noté dans cette affaire que, de toute manière, l’appelante n’avait subi aucun préjudice du fait que les hypothèses lui avaient été communiquées un mois après l’avis de nouvelle cotisation : l’appelante avait produit un avis d’appel modifié et, à la fin du procès, son procureur avait affirmé avoir déposé des éléments de preuve réfutant prima facie les hypothèses du ministre.

 

[175]   En l’espèce, un délai d’environ 21 mois s’est écoulé entre le moment où le ministre a établi la nouvelle cotisation (le 27 août 2009) et celui où il aurait, selon l’appelant, divulgué pour la première fois ses hypothèses (dépôt de la réponse à l’avis d’appel le 14 mars 2011). Il s’agit d’un délai certes déplorable, mais pas au point d’entraîner pour autant la nullité de la nouvelle cotisation ou le renversement du fardeau de la preuve.

 

[176]   En l’espèce, l’appelant ne semble en avoir subi aucun préjudice. L’appelant a interjeté appel à la Cour avant même que le ministre n’ait ratifié la nouvelle cotisation. Après le dépôt de la réponse, l’appelant n’a produit aucun avis d’appel modifié et, à ma connaissance, il n’en a pas non plus été question. Au contraire, c’est l’intimée qui a cherché à modifier sa réponse, ce qui, encore une fois, indique qu’il n’y a pas eu de préjudice. De plus, comme l’a soutenu l’intimée, l’appelant avait correctement formulé la question en litige dans son avis d’appel.

 

[177]   Compte tenu de mes conclusions ultérieures à l’égard du chevauchement entre les alinéas 25 p), q) et s) de la réponse et les alinéas 26 m), p), q) et cc), il m’est difficile de conclure qu’un préjudice découle de la divulgation tardive. En effet, un examen des faits allégués aux autres alinéas du paragraphe 25 de la réponse (qui ne sont pas en litige et dont, de toute façon, l’appelant a connaissance) m’amène à conclure que la question de savoir s’il y a renversement du fardeau de la preuve en raison de la divulgation tardive est plutôt théorique.

 

[178]   Dans sa réplique à la plaidoirie de l’intimée du 10 mai 2012, l’appelant a soutenu que l’arrêt Voitures Orly, précité, n’avait pas établi que l’intimée peut divulguer les hypothèses au contribuable dans les actes de procédure. Selon lui, cet arrêt doit être interprété à la lumière des arrêts R. c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, et R. c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188, dans lesquels la Cour d’appel fédérale a statué que le ministre pouvait, lors de la ratification, faire de nouvelles hypothèses que le contribuable a le fardeau de réfuter. Il ajoute que le droit est clair : si les hypothèses ne sont pas divulguées au moment de la cotisation ou de la ratification, le fardeau se déplace (voir la transcription, 10 mai 2012, pp. 534 à 536).

 

[179]   Je ne peux en venir à cette conclusion à la lecture de la jurisprudence qui m’a été soumise. À mon sens, l’arrêt Voitures Orly, précité, nous enseigne que le fait de ne pas divulguer le fondement au moment même de l’établissement de la nouvelle cotisation n’aura pas nécessairement d’incidence sur le fardeau de la preuve, à plus forte raison lorsque le contribuable n’en a subi aucun préjudice. Dans les deux arrêts Anchor Pointe Energy Ltd., précités, la Cour d’appel fédérale a décidé que le terme « cotisation » signifie un processus qui s’étend de l’établissement de la cotisation à la ratification de la nouvelle cotisation et que la Couronne jouit d’une présomption à l’égard des hypothèses établies à tout moment pendant ce processus.

 

[180]   Par ailleurs, au paragraphe 22 de l’arrêt Hsu, précité, que l’appelant a mentionné dans ses observations écrites, la Cour d’appel fédérale a tout simplement rappelé le devoir du ministre de divulguer le fondement précis sur lequel la cotisation repose. Toutefois, elle ne dit rien au sujet du moment où le ministre est tenu de faire cette divulgation.

 

[181]   Ainsi, bien qu’il me semble qu’il serait équitable que le contribuable connaisse les hypothèses qui sous-tendent la cotisation dont il fait l’objet avant de s’y opposer, rien dans l’état actuel du droit ne me permet de conclure à une obligation de l’ARC à cet égard. Je ne peux donc pas inférer qu’il y a absence de fondement du seul fait que le ministre n’avait pas divulgué ses hypothèses avant ou au moment d’établir la nouvelle cotisation.

 

[182]   L’appelant a notamment soutenu que la nouvelle cotisation était sans fondement du fait que l’ARC avait complètement négligé son devoir de s’assurer des faits et d’y appliquer le droit applicable avant d’établir une cotisation.

 

[183]   À mon avis, les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Main Rehabilitation Co., précité, suffisent pour rejeter l’argument de l’appelant. Ma compétence ne m’autorise pas à me prononcer sur la façon de procéder de l’ARC. Ma compétence se limite à déterminer si les montants pouvaient être validement établis sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[184]   Finalement, je rappelle que l’appelant a porté à l’attention de la Cour le chevauchement de certains faits énumérés au paragraphe 25 de la réponse et d’autres faits énumérés au paragraphe 26 de la réponse. Il convient de reproduire ces alinéas ici :

 

25. […]

 

p) La franchise et les droits s’y rattachant n’ont pas été acquis aux fins de gagner ou de produire du revenu, mais plutôt pour tirer un avantage fiscal.

 

q) L’appelant a acquis la franchise et les droits s’y rattachant dans le seul but de profiter de déductions fiscales.

 

[…]

 

s) La juste valeur marchande de la franchise et des droits s’y rattachant était nulle.

 

 

26. […]

 

m) L’appelant n’avait pas l’intention de réaliser un profit de sa franchise, son intention était plutôt d’obtenir des avantages fiscaux.

 

[…]

 

p) Le but de l’appelant était d’obtenir des remboursements d’impôt et non d’opérer une entreprise.

 

q) Les activités liées à la franchise Prospector International ne constituaient pas des activités commerciales et n’offraient pas de possibilité de réaliser un profit autre que par l’économie d’impôt réalisé.

 

[…]

 

cc) La juste valeur marchande d’une franchise de Prospector International Networks Inc. était peu élevée sinon nulle.

 

 

[185]   Je suis d’avis qu’il existe un chevauchement entre les alinéas 25 p), q) et s) et les alinéas 26 m), p), q) et cc). Il s’agit des mêmes faits, qui sont présentés de façon différente.

 

[186]   Le rapport, que j’ai décidé d’admettre en preuve, ne m’est d’aucune utilité pour distinguer les hypothèses des autres faits pertinents, puisque l’intimée a affirmé au procès qu’autant les hypothèses sur lesquelles elle se fonde que les autres faits pertinents se retrouvent au rapport. Je retiens donc les prétentions de l’appelant voulant que l’intimée doive assumer tout le fardeau à l’égard des alinéas 25 p), q) et s).

 

[187]   Aussi, à mon sens, en ayant recours à ce type de pratique dans la rédaction de ses actes de procédure, l’intimée contrevient aux exigences de l’équité, telles qu’elles sont décrites dans l’arrêt Anchor Pointe Energy (2007), précité :

 

29        L’équité exige que les faits allégués comme hypothèses soient complets, précis, exacts et énoncés de façon honnête et franche afin que que le contribuable sache bien clairement ce qu’il devra prouver : Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., précité, paragraphe 23, Holm et al. c. La Reine, précité, Canada c. Loewen, [2004] 4 R.C.F. 3, paragraphe 9 (C.A.F.), Grant c. La Reine et al., 2003 D.T.C. 5160, page 5163, First Fund Genesis Corporation c. Sa Majesté la Reine, 90 D.T.C. 6337, page 6340, Shaughnessy c. Sa Majesté la Reine, 2002 D.T.C. 1272, paragraphe 13, Stephen c. Canada, [2001] A.C.I. no 250, paragraphe 6.

 

 

[188]   Ces faits ne sont pas précis et francs et le contribuable ne peut savoir clairement si le fardeau de la preuve lui incombe ou non. Une telle pratique de la part de la Couronne est déplorable. D’ailleurs, le juge en chef adjoint Bowman, tel qu’il était alors, a fait les commentaires suivants dans la décision Holm c. Canada, 2002 CanLII 47030 :

 

[19] […] Si la Cour continue de constater des cas dans lesquels on invoquerait des hypothèses incomplètes, inexactes ou trompeuses, elle pourrait devoir réexaminer toute la question des hypothèses dans les actes de procédure, ainsi que la question de l'inversion de la charge de la preuve, et obliger la Couronne à prouver au moins que les hypothèses avaient été formulées. Je ne connais aucune règle d'un tribunal quelconque qui permette qu'un fait soit simplement invoqué, sans aucune preuve, pour être considéré comme véridique. C'est un avantage dont la Couronne jouit et qu'elle perdra si elle en abuse.

 

 

[189]   En outre, les faits allégués aux alinéas 25 o) et r) de la réponse se trouvent également dans le rapport (respectivement à la section 2 a) ii), à la p. 6, et à la section 2.4), à la p. 11 (qui concernent les années 2004 à 2006 toutefois)) :

 

25. […]

 

o) Le seul intérêt pour l’appelant en lien avec cette franchise était d’obtenir des avantages fiscaux importants, principalement de bénéficier de la déduction pour amortissement qui était bien supérieure au montant payé par l’appelant et de faire les économies d’impôts suivantes, et ce, même sans tirer aucun revenu : […]

 

[…]

 

r) La somme de 15 000 $ payée à la signature du contrat de franchise n’a pas été déboursée par l’appelant en vue de gagner ou de produire un revenu.

 

 

[190]   Somme toute, mis à part les faits se chevauchant des alinéas 25 p), q) et s), l’appelant ne m’a pas convaincu que l’ARC n’avait pas effectivement fait les hypothèses du paragraphe 25 pour établir la nouvelle cotisation. Ainsi, on doit présumer que ces énoncés constituent une communication « complète et honnête » des faits sur lesquels le ministre s’est fondé en établissant la nouvelle cotisation. Le contribuable a le fardeau initial de les démolir.

 

 

Le droit

 

[191]   À mon avis, la preuve soumise doit être analysée notamment à la lumière des principes suivants :

 

          A.      La nature de l’entreprise

 

[192]   Le critère applicable pour déterminer si les activités d’un contribuable sont une source de revenu tirés d’une entreprise ou d’un bien pour l’application de l’article 9 de la Loi est énoncé dans l’arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.S.C. 645 (« Stewart »), au paragraphe 50, et dans l’arrêt Walls c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 684 (« Walls »), au paragraphe 20, qui se lisent comme suit :

 

[50] Il est manifeste que, pour que l'art. 9 s'applique, le contribuable doit d'abord déterminer s'il a une source de revenu constituée soit d'une entreprise, soit d'un bien. Comme nous l'avons vu, une activité commerciale qui ne constitue pas véritablement une entreprise peut néanmoins être une source de revenu constituée d'un bien. De même, il est clair que certaines démarches de contribuables ne sont ni des entreprises, ni des sources de revenu constituées d'un bien, mais sont uniquement des activités personnelles. On peut recourir à la méthode à deux volets suivante pour trancher la question de l'existence d'une source :

 

i)             L'activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s'agit-il d'une démarche personnelle?

 

ii)           S'il ne s'agit pas d'une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?

 

Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s'il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d'entreprise ou de bien.

 

 

[20] Selon nous, il ressort clairement de l'application de ces principes à la présente affaire que l'exploitation du parc d'entreposage constituait une source de revenu pour l'application de l'art. 9 de la Loi. Il va de soi qu'une telle activité est de nature commerciale, et il n'y avait aucune preuve de l'existence d'un élément d'usage ou d'avantage personnel dans cette exploitation. Même si nous déclarons dans l'arrêt Stewart, précité, par. 55, que la question de l'expectative raisonnable de profit peut être prise en considération pour déterminer globalement si les activités du contribuable sont personnelles ou commerciales dans les cas où, comme en l'espèce, les activités ne comportent aucun aspect personnel, cette question ne se pose pas.

 

 

[193]   Il ressort essentiellement de ces deux arrêts que les critères de l’expectative raisonnable de profit et de la conformité du contribuable « à des normes objectives de comportement d’hommes d’affaires sérieux » ne sont pertinents que lorsqu’il s’agit de distinguer une entreprise d'une activité récréative. Lorsqu’une activité de type commercial ne peut être considérée comme une activité personnelle, les critères ne sont pas pertinents (Stewart, par. 47, repris dans l’arrêt Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. La Reine, [2003] 2 C.F. 25, par. 24).

 

[194]   Ainsi, d’après Stewart, les facteurs objectifs énumérés dans l’arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, s’appliquent seulement « lorsque la nature de l’entreprise du contribuable compte des aspects indiquant qu’elle pourrait être considérée comme un passe‑temps ou une autre activité personnelle ». À cet égard, les paragraphes 52 et 55 de l’arrêt Stewart se lisent comme suit :

 

[52] Ce premier volet du critère vise simplement à établir une distinction entre les activités commerciales et les activités personnelles et, comme nous l'avons vu, il se peut fort bien que telle ait été à l'origine l'intention du juge Dickson lorsqu'il a mentionné l'« expectative raisonnable de profit » dans l'arrêt Moldowan. Vus sous cet angle, les critères énoncés par le juge Dickson représentent une tentative de dresser une liste objective de facteurs permettant de déterminer si l'activité en cause est de nature commerciale ou personnelle. Ces facteurs sont ce que le juge Bowman a qualifié d'« indices de commercialité » ou de « caractéristiques commerciales » : Nichol, précité, par. 13. Ainsi, lorsque la nature de l'entreprise du contribuable comporte des aspects indiquant qu'elle pourrait être considérée comme un passe-temps ou une autre activité personnelle, mais que l'entreprise est exploitée d'une manière suffisamment commerciale, cette entreprise sera considérée comme une source de revenu aux fins d'application de la Loi.

 

[…]

 

[55] Les facteurs objectifs énumérés par le juge Dickson dans Moldowan, précité, p. 486, étaient (1) l'état des profits et pertes pour les années antérieures, (2) la formation du contribuable, (3) la voie sur laquelle il entend s'engager, et (4) la capacité de l'entreprise de réaliser un profit. Comme nous le concluons plus loin, il n'est pas nécessaire pour les besoins du présent pourvoi d'ajouter d'autres facteurs à cette liste; nous nous abstenons donc de le faire. Nous tenons cependant à réitérer la mise en garde du juge Dickson selon laquelle cette liste ne se veut pas exhaustive et les facteurs diffèrent selon la nature et l'importance de l'entreprise. Nous tenons également à souligner que, même si l'expectative raisonnable de profit constitue un facteur à prendre en considération à ce stade, elle n'est ni le seul facteur, ni un facteur déterminant. Il faut déterminer globalement si le contribuable exerce l'activité d'une manière commerciale. Cette détermination ne devrait toutefois pas servir à évaluer après coup le sens des affaires du contribuable. C'est la nature commerciale de son activité qui doit être évaluée, et non son sens des affaires.

 

 

[195]   Par ailleurs, il ressort de l’arrêt Walls qu’une opération qui n’est destinée qu’à obtenir un remboursement d’impôt n’est pas une entreprise, en l’absence d’une autre forme d’activité commerciale. À cet égard, le paragraphe 21 de cet arrêt se lit comme suit :

 

[…] En toute déférence, la présente affaire peut être distinguée d'avec l'affaire Moloney. Dans ce dernier cas, le contribuable n'exerçait pas une activité commerciale, mais participait plutôt à une opération factice destinée à donner l'impression qu'elle était de nature commerciale alors qu'en fait la seule activité exercée consistait à obtenir des remboursements d'impôt. En l'espèce, par contre, la société a acquis une entreprise commerciale en activité et en a poursuivi l'exploitation.

 

          B.      Le principe du duc de Westminster

 

[196]   Quand un contribuable évalue une occasion d’affaires ou de placement, le traitement fiscal constitue un facteur important dont il est parfaitement en droit de tenir compte. De plus, il est depuis longtemps reconnu qu’en raison du principe du duc de Westminster, le contribuable a le droit d’organiser ses affaires de manière à payer le moins d’impôt possible (voir Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, paragraphe 31).

 

[197]   De ce principe découle un important corollaire, à savoir que le fait qu’un contribuable structure son entreprise et modifie ses contrats pour tenir compte des dispositions fiscales, existantes ou nouvelles, est sans pertinence quant à la qualification de l’entreprise.

 

[198]   Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans Walls au paragraphe 22 :

 

Même si les intimés en l'espèce étaient clairement motivés par des considérations fiscales lorsqu'ils ont acquis leur participation dans la société, cela n'enlève rien à la nature commerciale de l'exploitation du parc d'entreposage ni à sa qualification de source de revenu pour l'application de l'art. 9 de la Loi. Il est bien établi qu'une motivation d'ordre fiscal n'enlève rien à la validité d'opérations effectuées à des fins fiscales […]

 

          C.      Une entreprise exploitée par un mandataire

 

[199]   Il est bien établi qu’un contribuable exploite une entreprise même s’il en confie la gestion à un mandataire. L’arrêt de principe à cet égard demeure E.S.G. Holdings Ltd. c. La Reine, 76 DTC 6158, de la Cour d’appel fédérale, qui s’exprimait ainsi :

 

En toute déférence, je ne vois pas de différence importante, dans le cadre de l’exploitation active d’une entreprise, entre une entreprise exploitée par des dirigeants ou des employés de la compagnie et une entreprise exploitée par un entrepreneur indépendant. La question est de savoir si le « revenu » du contribuable est « tiré d'une entreprise exploitée activement » et, à mon avis, la réponse doit être identique dans les deux affaires.

 

[200]   Il s’ensuit que la participation personnelle du contribuable dans une entreprise est un faux problème et ne change rien au fait qu’il faut exploiter une « entreprise ».

 

          D.      Le financement de l’entreprise

 

[201]   Le principe est celui énoncé au paragraphe 46 de Stewart, qui se lit comme suit :

 

De plus, la façon dont une entreprise est financée peut avoir une incidence majeure sur sa rentabilité. L'ampleur du financement, les taux d'intérêt et le niveau auquel l'entreprise est financée (par exemple, financement par les associés par opposition au financement par la société, ou financement par l'entreprise par opposition au financement par les actionnaires) pourront avoir une incidence majeure sur le profit net, et il est difficile de voir pourquoi la qualification d'une entreprise commerciale comme étant une source devrait dépendre de l'ampleur ou du mode de financement […].

 

 

          E.      Le trompe‑l’oeil

 

[202]   Dans Canada c. Nunn, 2006 CAF 403, la Cour d’appel fédérale a résumé ainsi la notion de trompe‑l’œil :

 

[19] Toutefois, à mon avis, la juge a commis une erreur en fondant sa décision finale sur la doctrine du trompe-l'oeil. Dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, la Cour suprême du Canada a adopté la remarque que lord Diplock avait faite dans l'arrêt Snook c. London & West Riding Investments Ltd., [1967] All E.R. 518 (C.A.), au sujet de ce qui constitue un trompe-l'oeil :

 

[TRADUCTION] [...] cela signifie des actes commis ou des documents signés par les parties au « trompe-l'œil » dans l'intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu'ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[203]   Autrement dit, les éléments d’un trompe-l’œil exigent que les parties à une opération aient délibérément voulu tromper des tiers quant à la situation réelle.

 

          F.      L’article 67

 

[204]   Dans l’affaire Williams, 2009 CCI 93, l’appelante exploitait une entreprise de Services de garde d’enfants à son domicile. Notre cour a examiné une jurisprudence importante relativement à l’article 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu. En citant Ankrah c. La Reine, 2003 CCI 413, au paragraphe 14, la Cour a affirmé :

 

[14] Le passage suivant est tiré de la décision de la juge Woods dans Ankrah v. The Queen, [2003] 4 C.T.C. 2851 :

 

[32] La Couronne soutient qu'il était déraisonnable, pour M. Ankrah, d'engager de fortes dépenses après que l'entreprise a enregistré des pertes pendant plusieurs années. On estimait qu'au lieu de dépenser des sommes élevées à l'endroit des recrues, le même résultat aurait pu être atteint en offrant une formation personnelle.

 

[33] La difficulté qui ressort de la position de la Couronne consiste en ce qu'elle supplante l'appréciation commerciale du contribuable. Le juge Rothstein offre une réflexion à ce sujet dans une autre affaire liée à la compagnie Amway, celle de Keeping c. R., C.A.F., no A-372-99, 4 juin 2001, ([2001] 3 C.T.C. 120), au paragraphe 5 :

 

Avec respect, je suis d'avis que l'analyse du juge de la Cour de l'impôt équivalait à faire une appréciation rétrospective de la perspicacité commerciale de l'appelant, ce que les cours ne devraient pas faire. Comme la Cour l'a déclaré dans l'arrêt Mastri c. Canada (Procureur général), [1998] 1 C.F. 66 (C.A.), au paragraphe 12 :

 

Bref, la décision de la Cour dans l'arrêt Tonn n'a pas pour but de modifier le droit établi dans l'arrêt Moldowan. L'arrêt Tonn confirme simplement l'interprétation fondée sur le bon sens selon laquelle ce n'est pas aux tribunaux de faire une appréciation rétrospective de la perspicacité commerciale d'un contribuable dont l'entreprise se révèle moins rentable que prévue.

 

En fondant sa décision sur les marges de profit, sur les débouchés et les coûts potentiels, ainsi que sur les méthodes de l'appelant quant à l'exploitation de son entreprise de distribution de produits Amway, le juge de la Cour de l'impôt a fait une appréciation rétrospective de la perspicacité commerciale de l'appelant. Ce faisant, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit.

 

Cette remarque a été faite dans le contexte de la doctrine de l'attente raisonnable de profit, mais je ne vois aucune raison de ne pas l'appliquer également dans le contexte de l'article 67.

 

 

[34] Dans l'article 67, même si l'expression « raisonnable dans les circonstances » est large, je ne crois pas qu'elle devrait être appliquée pour réduire des dépenses en raison d'une mauvaise appréciation commerciale. L'article 67 s'applique couramment pour réduire le montant des dépenses lorsque le contribuable est poussé en partie par quelque chose d'autre que des raisons d'affaires, comme le versement de salaires à des membres de sa famille. Ce cas est décrit de la façon suivante par M. le juge Cattanach dans l'affaire Gabco Limited v. M.N.R., 68 DTC 5210 (C. de l'É.), à la page 5216 :

 

[TRADUCTION]

 

Il s'agit non pas que le ministre ou notre Cour substitue son jugement [à celui du contribuable] lorsqu'il s'agit de déterminer ce qu'est un paiement raisonnable, mais plutôt que le ministre ou la Cour arrive à la conclusion qu'aucun homme d'affaires raisonnable ne se serait engagé par contrat à verser une telle somme en n'ayant à l'esprit que les intérêts commerciaux de l'appelante.

 

 

La Cour dans Williams a ajouté :

 

[15] Comme l’a souligné le juge Cattanach dans Gabco Limited, si la Cour arrivait à la « conclusion qu’aucun homme d’affaires raisonnable ne se serait engagé par contrat à verser une telle somme en n’ayant à l’esprit que les intérêts commerciaux de l’appelante », l’article 67 de la Loi s’appliquerait. Cela me semble concorder avec l’affirmation que la Cour suprême du Canada dans Stewart, selon laquelle l’article 67 de la Loi s’applique « si, dans les circonstances, la dépense est déraisonnable eu égard à la source de revenu ». Si une dépense est déraisonnable eu égard à la source de revenu, alors « aucun homme d’affaires raisonnable ne se serait engagé par contrat à verser une telle somme en n’ayant à l’esprit que les intérêts commerciaux de l’appelante ».

 

[16] Il est aussi important de noter que la question de savoir si un homme d’affaires raisonnable aurait fait une dépense doit être considérée du point de vue du moment où la dépense a été engagée, et non pas rétrospectivement. Lorsqu’un homme d’affaires engage une dépense, il ne sait pas ce que l’avenir lui réserve. Il ne faut pas refuser la déduction de dépenses du seul fait que le recul permet de conclure qu’une personne a pris une mauvaise décision d’affaires. Comme le juge Rothstein (tel était alors son titre) l’a affirmé dans Keeping c. La Reine, précité, en citant l’arrêt Tonn, rendu par la Cour d’appel fédérale, « ce n’est pas aux tribunaux de faire une appréciation rétrospective de la perspicacité commerciale d’un contribuable dont l’entreprise se révèle moins rentable que prévue. »

 

[17] À mon avis, il n’y a pas non plus lieu de refuser la déduction de dépenses du simple fait qu’elles dépassent les revenus. Agir de la sorte ferait qu’il serait impossible de subir une perte pour l’application de l’impôt sur le revenu. On ne peut pas fonder le refus de la déduction des dépenses uniquement sur le simple fait que celles‑ci dépassent les revenus.

 

[18] En l’espèce, les dépenses dont l’appelante a demandé la déduction avaient trait à la rémunération des sous‑traitants, à de la publicité, à des honoraires, aux frais d’utilisation d’un véhicule à moteur et à des frais de téléphone.

 

 

          G.      L’intention des parties

 

[205]   Il ressort de la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Riopel c. Agence du revenu du Canada, 2011 QCCA 954, que « l’intention des parties prime la lettre de leur contrat ». À cet égard, cette cour s’exprimait ainsi :

 

[15] L'arrêt Sobeys reconnaît que l'intention des parties prime la lettre de leur contrat et que l'on doit, lorsqu'il est possible de faire la preuve de cette intention, lire le contrat d'une manière conforme à celle-ci.

 

[16] Plus encore, l'arrêt Services environnementaux AES inc. reconnaît pour sa part que :

 

[11] Le pourvoi soulève la question de savoir si la Cour supérieure peut permettre la correction du document porteur d'un contrat en cas de divergence entre l'intention commune des parties et l'intention déclarée à l'acte.

 

[12] La Cour conclut que oui lorsque, comme en l'espèce, la demande est légitime et nécessaire et que la correction recherchée n'affecte en rien les droits des tiers.

 

[13] L'argument de l'appelant quant à l'importation en droit civil de la théorie de l'« equitable rectification » propre à la Common Law ne tient pas. Le droit civil québécois compte déjà tous les outils nécessaires pour permettre, à certaines conditions, qu'il soit donné effet selon l'intention commune véritable des parties à un contrat dont la rédaction ne reflète pas cette intention. Il n'est pas nécessaire pour parvenir à ce résultat de faire appel à une théorie propre à un autre système juridique.

 

[14] Il existe ici deux façons d'analyser l'inexactitude dans le constat du prix de base rajusté des actions dans les documents constatant la transaction du 15 décembre 1998 entre AES et Centre technologique : a) l'erreur qui vicie le consentement, ou 2) une divergence entre l'intention commune des parties et leur intention déclarée au contrat.

 

[15] Dans la mesure où elle n'est pas inexcusable, l'erreur portant sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement vicie celui-ci (art. 1400 C.c.Q.).

 

[16] L'erreur peut être commune, mais, même commune, elle ne peut déboucher que sur la nullité du contrat et non sur sa correction.

 

[17] Par ailleurs, lorsqu'il constate non pas une erreur mais un écart entre l'intention commune des parties (le negotium) et leur intention déclarée au contrat (l'instrumentum), le juge peut tenir compte de cet écart en donnant effet au contrat (article 1425 C.c.Q.), à condition, bien évidemment, que la demande soit légitime et que la correction proposée n'affecte en rien les droits des tiers.

 

[18] En effet, la règle énoncée à l'article 1425 C.c.Q. en matière d'interprétation du contrat fait primer l'intention véritable des parties sur celle déclarée au contrat.

 

[19] Le pouvoir accordé au juge de rendre l'instrumentum conforme au negotium est la conséquence implicite de cette règle puisqu'il permet de faire concorder le texte du contrat et l'intention véritable des parties; encore faut-il, cependant, que les droits des tiers ne soient pas affectés (une analogie est possible ici avec les règles de la simulation, aux articles 1451 et 1452 C.c.Q.). Un arrêt récent et unanime de la Cour le reconnaît explicitement et, si l'on veut asseoir sur un principe ferme le jugement rendu en première instance, c'est sur ce principe qu'il repose.

 

 

Remarques préliminaires

 

[206]   Je suis d’avis que la preuve a démontré très clairement ce qui suit :

 

a)                 Les logiciels avaient été conçus et développés. Non seulement les logiciels existaient, mais ils fonctionnaient tels qu’ils avaient été conçus et développés.

 

b)                Les logiciels répondaient aux besoins véritables du marché. À cet égard, la Cour a entendu les témoignages convaincants de M. Ouellet, à titre d’expert, et d’entrepreneurs expérimentés comme MM. Jones et Vincent qui croyaient au potentiel des logiciels et qui ont consacré des années de leur vie à les commercialiser dans l’espoir de créer le prochain Google. La conclusion de contrats avec des clients payants pour chacun des logiciels (dont l’Agence du revenu du Québec) ainsi que les contrats et les expressions d’intérêt de la part de partenaires prestigieux comme le Barreau du Québec et son homologue à New York, sans parler de partenaires d’envergure tels que IBM et Cablevision, n’est-elle pas la preuve irréfutable que les logiciels répondaient aux besoins véritables du marché? Que les ventes n’aient pas atteint le succès souhaité n’est pas, à mon avis, déterminant à cet égard, comme nous le verrons plus tard.

 

c)                 Des efforts herculéens avaient été déployés afin de commercialiser les logiciels au Canada, aux États‑Unis et ailleurs.

 

d)                Le développement et la commercialisation des logiciels avaient exigé des fonds importants.

 

e)                 Les fonds nécessaires avaient été avancés d’abord par les licenciés et ensuite (à partir de 2005) par les franchisés qui ont acquis des licences ou des franchises.

 

[207]   Je note que, pour l’essentiel, le ministre ne conteste pas ces conclusions de fait. En d’autres termes, le ministre admet maintenant que PIN et ses sociétés affiliées exploitaient une entreprise. En fait, la thèse du ministre est plutôt que tous ces efforts de développement et de commercialisation des logiciels avaient été faits uniquement à l’avantage de PIN et de ses sociétés affiliées. De cette thèse découle la position du ministre voulant que l’appelant n’avait pas l’intention d’exploiter une entreprise et n’exploitait pas d’entreprise, pas plus d’ailleurs que Réseau et ses sociétés affiliées n’exploitaient d’entreprise pour le compte de l’appelant, et sa position voulant que les billets et les contrats de mandat sont des trompe‑l’œil.

 

[208]   À première vue, la thèse du ministre selon laquelle tous les efforts de commercialisation et de développement avaient été faits uniquement à l’avantage de PIN et de ses sociétés affiliées m’apparaît invraisemblable et pour le moins illogique, puisque le ministre n’a pas allégué que les licences et les franchises sont des trompe‑l’œil.

 

[209]   Pour illustrer l’invraisemblance et l’illogisme apparents de cette thèse, il suffit d’envisager la situation suivante, une situation qui est loin d’être farfelue puisque que la preuve a établi très clairement que la stratégie de PIN et de ses sociétés affiliées depuis 2002 était d’attirer des clients initiaux (payants ou « stratégiques ») et des partenaires crédibles, afin de prouver la viabilité commerciale des logiciels, de conclure ensuite des ententes avec des revendeurs de produits modifiés, afin d’atteindre la plus vaste pénétration possible des marchés aux États‑Unis et ailleurs, et d’inciter finalement un géant comme Google ou Microsoft à acheter le tout ou encore de faire un premier appel public à l’épargne. Les résultats décevants qui ont résulté de cette stratégie ne dénaturent pas pour autant l’entreprise de PIN et de ses sociétés affiliées et ne dénotent pas pour autant l’absence d’espoir de profits. Supposons que grâce aux efforts de commercialisation de Réseau et/ou de ses sociétés affiliées (qui auraient été faits uniquement à l’avantage de Réseau et de ses sociétés affiliées, selon la thèse du ministre), celle‑ci avait réussi à conclure un contrat de revente de produits modifiés avec un gros joueur américain dont il aurait résulté des ventes importantes aux États‑Unis, et supposons qu’un peu plus tard Microsoft offre d’acheter la technologie en bloc pour un milliard de dollars, ce qui est annoncé à grand renfort de tambours et trompettes dans la presse comme étant un grand coup d’éclat pour une jeune entreprise québécoise. Que serait‑il arrivé? Premièrement, les franchisés auraient revendiqué collectivement (et ce, à bon droit, à mon avis, comme nous le verrons plus tard) une partie importante des ventes brutes réalisées aux États‑Unis, en vertu de leurs licences et franchises (dont l’existence n’est pas contestée par le ministre). Si on poursuit le même exemple, le milliard de dollars aurait nécessairement servi, du moins en partie, à désintéresser les franchisés, à acheter les droits d’utilisation et de commercialisation des logiciels détenus par ceux‑ci en vertu de leurs licences et de leurs franchises, et ce, même si ces contrats comportent des ambiguïtés, des malentendus et même des erreurs. En effet, un acheteur tel Google ou Microsoft n’aurait pas investi un milliard de dollars sans s’assurer que tous les droits de commercialisation des logiciels aux États-Unis lui appartiennent. Si PIN et ses sociétés affiliées sont aussi fourbes et rusées que le ministre le laisse entendre, elles auraient nécessairement fait en sorte que les licences et les franchises soient aussi des trompe-l’œil. En effet, pourquoi PIN et ses sociétés affiliées auraient-elles pris la chance de partager le fruit de leurs efforts de commercialisation (qu’elles auraient faits, selon le ministre, uniquement à leur avantage) avec des franchisés dont la seule raison d’acquérir une licence ou une franchise était, selon le ministre, de bénéficier de déductions fiscales? Il m’apparaît inconcevable de croire que PIN et ses sociétés affiliées puissent justifier leur refus à la demande collective des franchisés de recevoir leur juste part des ventes réalisées aux États-Unis en disant : Vous n’avez droit à rien puisque vous avez payé uniquement pour les déductions fiscales et vous n’avez jamais eu  l’intention de faire partie de cette entreprise. Il suffit d’exposer ce scénario pour en constater l’absurdité.

 

[210]   Cet exemple démontre, à mon avis, compte tenu de l’aveu du ministre à l’égard de la réalité des franchises et des licences, qu’il est à première vue plus probable qu’improbable que les franchisés avaient acquis leurs licences et leurs franchises dans le but de les exploiter et de bénéficier de déductions fiscales et que les billets et les contrats de gestion ne sont pas des trompe‑l’œil. En d’autres mots, l’ARC n’a jamais allégué que la franchise de l’appelant était un trompe‑l’œil. Il est presque intenable de prétendre que l’exploitation de cette franchise puisse être autre chose qu’une activité commerciale.

 

[211]   Pour le démontrer encore une fois, je souligne que si, dans notre exemple, les contrats de mandat et gestion étaient des trompe-l’œil (comme le prétend le ministre), les franchisés auraient reçu collectivement une partie plus importante des ventes brutes réalisées aux États-Unis grâce aux efforts du revendeur de produits modifiés américain que si les contrats de mandat et gestion n’étaient pas des trompe-l’œil. En effet, le contrat de franchise de 2007 ne prévoit aucune redevance à PIN ou à ses sociétés affiliées, alors que le contrat de mandat et gestion de 2007 donne au mandataire le droit à des honoraires équivalant à 94% des revenus bruts tirés de la distribution des logiciels ou, dans le cas où le franchisé participe lui‑même à la commercialisation, à 14% des revenus nets (pièce A‑1.1.3, clause 3.1). Le contrat de franchise de 2008 prévoit quant à lui une redevance de 20 % des revenus bruts à l’égard de Prospector (pièce A‑1.2.1, clause 12.2 et annexe A). À supposer que le contrat de mandat et gestion de 2008 était valide (j’aborderai la question de sa validité plus tard), Prospector et son mandataire auraient eu droit au total à 88 % des revenus bruts puisque le contrat de mandat et gestion prévoit une redevance de 68 % des revenus bruts pour le mandataire (pièce A‑1.2.2, clause 3.1). Si, au contraire, le contrat de mandat et gestion de 2008 n’était pas valide et que le contrat de mandat et de gestion de 2007 était le contrat en vigueur, PIN et Réseau auraient eu droit à 114 % des revenus bruts, par l’effet combiné du contrat de franchise de 2008 et du contrat de mandat et gestion de 2007.

 

[212]   Enfin, je souligne un autre élément mis en preuve qui démontre l’illogisme et l’invraisemblance apparents de la thèse du ministre voulant que les franchisés n’aient pas acquis leurs droits de commercialisation des logiciels dans le but de les exploiter. La preuve a révélé très clairement qu’un grand nombre de franchisés (dont l’appelant) avaient assisté à plusieurs assemblées organisées par Réseau et ses sociétés affiliées et lu de nombreux messages et infolettres qui leur étaient acheminés par Réseau et ses sociétés affiliées pour les informer du développement des logiciels et de leur commercialisation aux États‑Unis et ailleurs. La preuve a même révélé que l’appelant avait assisté à l’assemblée annuelle d’avril 2009, qui eut lieu avant même que son dossier fiscal ne fasse l’objet d’une vérification, assemblée annuelle au cours de laquelle on a fait état des activités de commercialisation de Mail it Safe et du dévoilement du nouveau logiciel CashOnTime. Quel pourrait être son intérêt et celui des autres franchisés à assister à un compte rendu des activités de commercialisation de Mail it Safe et au dévoilement du nouveau logiciel CashOnTime? Poser la question est y répondre. À première vue, il est donc plus probable qu’improbable que l’appelant et les franchisés participaient à une activité commerciale, y contribuaient financièrement et s’y intéressaient comme tout homme d’affaires. Si le seul intérêt de l’appelant et des autres franchisés à acquérir une franchise était de bénéficier de déductions fiscales, ils n’auraient pas eu d’intérêt, à mon avis, à se tenir informés des efforts de commercialisation et de développement des logiciels. Prêter d’autres intentions à l’appelant n’a aucun sens, surtout si l’on considère que son dossier fiscal ne faisait même pas l’objet d’une vérification à l’époque où il a assisté à cette assemblée.

 

[213]   Il m’apparaît évident que toutes les prétentions de l’ARC, qu’elles aient été explicitement invoquées ou non, reposent sur l’hypothèse de l’existence d’un stratagème à grande échelle dont l’exécution s’est étendue de 2002 jusqu’à ce jour. En d’autres termes, bien que la thèse du stratagème n’ait pas été invoquée de façon explicite, elle ressort des allégations de la réponse et de la plaidoirie. Or, une telle thèse, pour être vraisemblable, nécessiterait que, depuis 2003, des milliers de contribuables (dont la plupart sont des médecins et dentistes) soient complices, avec le franchiseur et ses sociétés affiliées, d’une vaste supercherie, pour ne pas dire d’un vaste complot criminel, pour frauder le fisc. En d’autres mots, en me demandant de rejeter l’appel, le ministre me demande indirectement de confirmer que tous les billets et tous les contrats de mandat et de gestion intervenus entre les milliers de franchisés et le franchiseur depuis 2002 sont factices, et qu’ainsi toutes ces personnes sont en quelque sorte des fraudeurs, et ce, malgré le fait qu’au terme d’une vaste perquisition et saisie auprès des principaux participants, le ministre n’a trouvé aucune contre-lettre ou preuve matérielle que les billets et les contrats de gestion étaient factices. La thèse de l’intimée, si elle est avérée, signifie nécessairement que l’appelant et les franchisés témoins qui ont témoigné (dont Christian Thibault qui, à cause de sa faillite, n’avait pas d’intérêt dans cette cause et dont le témoignage n’était par conséquent pas intéressé) se sont parjurés. Dans cette cause, les accusations à peine voilées du ministre sont très graves. Pour cette raison, et en raison de l’invraisemblance et de l’illogisme apparents de la thèse du ministre, je souligne que j’ai examiné la preuve et les arguments présentés par le ministre avec beaucoup de circonspection, de réflexion et de prudence.

 

 

La thèse de l’intimée

 

[214]   L’intimée fonde son analyse sur l’arrêt Stewart c. La Reine, précité. Elle soutient qu’afin de déterminer s’il existe une source de revenu et donc une entreprise, on doit se demander si l’activité du contribuable est exercée en vue de réaliser un profit ou s’il s’agit d’une démarche personnelle. Selon elle, cette question dépend non seulement de l’intention subjective du contribuable de réaliser un profit, mais aussi de divers facteurs objectifs qui démontrent que celui-ci a exercé une activité commerciale conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux. C’est à son avis ce qui ressort des paragraphes 53 et 54 de l’arrêt Stewart et de l’arrêt Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695. Ces normes ou facteurs objectifs, qui sont notamment ceux énumérés par le juge Dickson dans l’arrêt Moldowan, précité, permettront de déterminer « globalement si le contribuable exerce l’activité d’une manière commerciale » (paragraphe 55 de Stewart). L’intimée s’appuie entre autres sur la décision Madell c. La Reine, 2008 CCI 264, confirmé par 2009 CAF 193, dans laquelle le juge Little aurait adopté cette approche.

 

[215]   L’intimée ajoute que les motivations fiscales ne sont pas incompatibles avec la nature commerciale d’un investissement, tel que l’a décidé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Walls c. La Reine, précité. Toutefois, pour qu’il y ait une source de revenu, il doit nécessairement y avoir des motivations commerciales, sans quoi l’activité ne peut être de « nature clairement commerciale ». Ainsi, une activité entreprise pour donner l’impression qu’elle est de nature commerciale, alors qu’en fait la seule activité exercée consiste à obtenir des remboursements d’impôt, ne constitue pas, selon l’intimée, une source de revenu. L’intimée s’appuie aussi sur les décisions Moloney c. La Reine, [1992] A.C.F. no 905 (QL), Bendall c. La Reine, [1995] A.C.I. no 1 (QL) (C.C.I.), et St‑Laurent c. La Reine, 2007 CCI 540.

 

 

L’intention de l’appelant

 

[216]   L’intimée soutient qu’en l’espèce, l’appelant a acquis la franchise dans le seul et unique but d’en tirer des avantages fiscaux.

 

[217]   L’intimée a notamment soutenu, en s’appuyant sur l’arrêt Walls, précité, que pour qu’il y ait une source de revenu, il doit y avoir des motivations commerciales, sans quoi l’activité ne peut être de nature commerciale. En l’espèce, l’intimée prétend que l’appelant a acquis la franchise dans le seul et unique but d’en tirer des avantages fiscaux, puisqu’il a fait preuve « d’une absence totale d’intérêt par rapport à tout ce qui concerne la commercialité de sa première entreprise et n’a posé aucun geste afin de s’assurer que la franchise pouvait lui procurer quelque revenu que de soit ». Plus précisément, l’intimée soutient que les démarches de vérification entreprises par l’appelant avant l’achat de sa franchise et son comportement après l’acquisition de celle‑ci ne font que confirmer sa thèse voulant que le seul but de l’appelant lors de l’acquisition de la franchise était d’en tirer des avantages fiscaux.

 

[218]   À cet égard, l’intimée dresse une longue liste des sujets que l’appelant n’a pas vérifiés au moment de l’acquisition de la franchise, comme le prix des logiciels, les produits concurrentiels, l’historique des autres franchises, le nombre total des autres franchises, le seuil de rentabilité, les clients potentiels, les cadres supérieurs et les employés de PIN ou de Réseau, la constitution en société de PIN et de Réseau, le mandataire auquel il confiait la gestion et la capacité de celui‑ci d’effectuer des ventes.

 

[219]   Contrairement à l’intimée, je ne crois pas qu’une absence de vérification approfondie soit révélatrice de l’intention de l’appelant. De plus, exiger de l’appelant qu’il ait effectué des vérifications approfondies quant à tous les aspects de l’entreprise Prospector n’est pas conforme aux enseignements de Stewart. À mon avis, un contribuable peut faire un investissement dans une entreprise suivant les conseils de son courtier ou d’un autre conseiller en qui il a confiance, sans se renseigner sur le prix des produits de l’entreprise, sa concurrence, l’historique des ventes et des profits, les cadres supérieurs de l’entreprise, les clients potentiels et sa constitution en personne morale. Encore une fois, le manque de vérification ne prouve pas que le contribuable investisseur n’a pas l’intention de tirer de profits. Si on ne pouvait plus se fier à son conseiller de longue date, peu de contribuables canadiens pourraient demander des déductions fiscales relatives à leur investissement dans une entreprise.

 

[220]   La preuve a plutôt démontré que les motivations de l’appelant étaient à la fois fiscales et commerciales. En effet, les démarches de l’appelant au moment de l’acquisition de la franchise démontrent clairement qu’il avait des motivations commerciales. L’achat de la franchise lui a été proposé en 2005 et 2006 par son conseiller financier, M. Legault, avec qui il faisait affaire depuis le milieu des années 1990 (transcription du 30 janvier 2012, questions 37, 43, 57 et 65). M. Legault lui a dit avoir lui‑même investi dans cette entreprise (transcription du 30 janvier 2012, questions 78 et 79). L’appelant a expliqué avoir décidé de ne pas acheter de franchise en 2005 et en 2006 parce qu’il n’avait pas les fonds nécessaires (transcription du 30 janvier 2012, questions 61, 62 et 64). Il a choisi d’acheter seulement des REÉR, comme il l’avait fait au cours des années précédentes (transcription du 30 janvier 2012, questions 63 et 64). En 2007, M. Legault proposa une troisième fois à l’appelant d’acheter une franchise. Il expliqua à l’appelant que le logiciel Mail it Safe avait attiré des clients importants comme Revenu Québec, le Barreau du Québec et son homologue new-yorkais (transcription du 30 janvier 2012, question 67). M. Legault lui expliqua également que 2007 serait probablement la dernière année où de telles franchises seraient offertes (transcription du 30 janvier 2012, questions 801 à 804). Avant de signer les contrats, l’appelant prit connaissance de deux brochures (transcription du 30 janvier 2012, questions 100 et 329 à 333). Une des brochures (A‑3.1, volume 1, page 59) traite de l’historique de PIN et de Réseau, du partenariat avec IBM, des logiciels commercialisés (Solutions Prospector et Mail it Safe), de la nature de la franchise, de la stratégie de commercialisation, de l’évaluation de Wise, Blackman et des incidences fiscales. La seconde brochure (A‑3.2, volume 1, page 101) traitait de l’adaptation de Mail it Safe aux diverses plateformes, de la participation de Réseau aux salons commerciaux ciblant le marché juridique, des partenariats avec notamment la CsBQ, la CIGM, IBM et la NYCLA, de l’évaluation de Wise, Blackman, de la vision de l’entreprise pour 2007, des activités de recherche et de développement et du programme de recommandation des franchisés. Cette brochure ne faisait aucun état des incidences fiscales des franchises. Après la rencontre annuelle de 2007, l’appelant a réfléchi à la proposition et a communiqué avec M. Legault le lendemain ou le surlendemain pour lui demander de lui faire parvenir la documentation, dont le contrat de franchise, le contrat de mandat et le billet, avec des papillons adhésifs aux endroits où il devait signer (transcription du 30 janvier 2012, questions 86 et 87). L’appelant n’a pas cru bon de faire des vérifications supplémentaires parce qu’il avait confiance en son conseiller financier de longue date, lequel avait lui‑même investi dans les franchises (transcription du 30 janvier 2012, questions 98 et 100).

 

[221]   L’intimée soutient que le comportement de l’appelant après l’acquisition de la franchise démontre aussi qu’il l’avait acquise uniquement dans le but d’en tirer des avantages fiscaux.

 

[222]   Ainsi, dans son argumentation écrite, au paragraphe 59 de son analyse « Les motivations de Drouin pour l’acquisition d’une franchise », l’intimée fait l’affirmation suivante :

 

[59]      Un indice supplémentaire du désintérêt total de Drouin à l’égard de sa « franchise » réside dans le fait que durant l’année 2007, Drouin aurait eu tout intérêt à exploiter sa franchise lui‑même. En effet, le contrat de franchise 2007 (A‑1.1.1) ne prévoit aucune redevance dans le cas où Drouin l’aurait sans passer par l’intermédiaire du mandataire!

 

 

Autrement dit, pour démontrer que son intention était de faire des profits, l’appelant aurait dû, selon l’intimée, en quelque sorte quitter son emploi pour aller faire du porte‑à‑porte et vendre les logiciels dans le territoire qui lui avait été attribué aux États‑Unis.

 

[223]   La thèse de l’intimée voulant que l’appelant devait participer personnellement à l’exploitation de sa franchise pour faire preuve de son sérieux et de ses activités dites commerciales est tout simplement non fondée en droit. Comme nous l’enseigne le juge en chef Jackett dans ESG Holdings Ltd., précité : « la question de savoir dans quelle mesure le propriétaire a participé aux activités de l’entreprise ne semblerait pas pertinente. Cela me semblerait aller de soi et cet article n’énonce pas de principe général ». L’intention de l’appelant était toujours que l’entreprise serait exploitée par son mandataire, tout comme l’ont fait les contribuables dans les arrêts Stewart et Stubart, Investments Ltd. c. Canada, [1984] 1 R.C.S. 536.

 

[224]   L’intimée soutient également que l’appelant a fait preuve de désintérêt envers sa franchise (après son acquisition) parce qu’il n’a pas eu de contact avec les représentants de Réseau avant l’assemblée du 30 avril 2009.

 

[225]   À mon avis, la preuve démontre plutôt que le comportement de l’appelant après son achat est conforme au fait qu’il estimait que Réseau était en voie de commercialiser Mail it Safe et ses produits dérivés pour son bénéfice. La preuve a démontré qu’en 2008, M. Legault a informé l’appelant que tout allait bien. M. Legault lui a fait signer de nouveaux contrats et l’a informé que la durée du billet à ordre avait été prolongée à 10 ans, afin de mieux refléter la durée de vie du produit, moyennant une augmentation du solde dû à 230 000 $. M. Legault l’a informé qu’il s’agissait d’une « opération normale » et que les contrats étaient mis à jour régulièrement, pour respecter les nouvelles normes et les nouvelles lois (transcription du 30 janvier 2012, questions 237 à 241). L’appelant a reçu l’avis de convocation du 16 février 2009 à l’assemblée générale du 30 avril 2009 (pièce A‑40). Je note qu’il n’est nullement question dans ce document d’incidences fiscales. L’appelant a assisté à l’assemblée (transcription du 30 janvier 2012, question 338) alors qu’il ne savait pas encore que son dossier faisant l’objet d’une vérification. (Selon le témoignage de madame Bartolini de l’ARC, la vérificatrice Nathalie Belzile a été chargée du dossier à la mi‑mai 2009 et le premier formulaire a été envoyé à l’appelant le 1er juin 2009) (transcription du 19 mars 2012, questions 16 et 20.) Quel pourrait être l’intérêt de l’appelant à assister à l’assemblée du 30 avril 2009 (au cours de laquelle on a fait état des activités de commercialisation de Mail it Safe et du dévoilement du nouveau produit CashOnTime) si son objectif unique en acquérant la franchise était d’en tirer des avantages fiscaux? Poser la question, c’est y répondre. L’appelant a aussi témoigné qu’il avait lu tous les communiqués que Réseau lui avait fait parvenir. Encore une fois, pourquoi l’appelant aurait‑il pris connaissance de ces communiqués avant l’assemblée annuelle si son objectif unique en acquérant la franchise était d’en tirer des avantages fiscaux?

 

[226]   De plus, l’intimée reproche à l’appelant de ne pas avoir de « plan » pour « redresser la situation ». À mon avis, ce reproche est déraisonnable, eu égard à l’historique de sa participation dans l’entreprise. Je rappelle qu’il est devenu franchisé en décembre 2007. Il ne s’attendait à aucun rendement à court terme en raison de la nature des produits. En 2008, M. Legault l’a assuré que tout allait bien. En 2009, il a assisté à sa première assemblée, où MM. Vincent et Yacoub ont annoncé que l’entreprise avait été vendue et qu’un nouveau logiciel avait été développé. Quelques mois plus tard, il a appris que son entreprise faisait l’objet d’une vérification. On doit se demander comment l’appelant aurait dû savoir, à l’été 2009, qu’il lui faudrait élaborer un « plan de redressement » pour sa franchise.

 

[227]   L’appelant a offert un témoignage sincère selon lequel il était motivé lors de l’acquisition de la franchise en 2007 par deux raisons : d’une part, profiter des avantages fiscaux et, d’autre part, tirer profit de cet investissement à long terme. Connaissant le domaine de l’informatique, il voyait un grand potentiel de vente pour Mail it Safe (transcription du 30 janvier 2012, question 112). Je note que le témoignage des cinq franchisés témoins est semblable. Tous m’ont semblé être des témoins crédibles et de bonne foi (y compris le Dr Thibault, dont la faillite a mis fin au différend avec l’ARC et qui, par conséquent, n’a plus d’intérêt dans le présent litige). Ils ont soutenu avoir acquis la franchise parce qu’ils y voyaient un bon investissement qui leur permettait également de réduire leur fardeau fiscal.

 

La nature commerciale de la franchise

 

[228]   Les prétentions de l’intimée à l’égard de la nature commerciale de la franchise de l’appelant sont celles que l’on retrouve aux paragraphes 556 à 560 de son argumentation écrite, que je reproduis ici :

 

556.     À l’instar des décisions Madell, Moloney et Bendall, la preuve démontre que, durant l’année en litige ou à tout autre moment pertinent, Drouin n’a pas mené d’activités de commercialisation de sa franchise, pas plus que son mandataire Réseau P. (section 2.3 des Faits)

 

557.     La franchise de Drouin « n’est rien de plus qu’une pâle imitation d’une entreprise » (voir Bendall, précité à la note 16, paragraphe 13) et la structure mise en place ne sert qu’à y donner des airs de commercialité. Bien que Réseau P. ou encore MIS pourraient avoir eu des activités à leur propre bénéfice, à aucun moment l’intention n’était que ses activités de commercialisation ne bénéficient à Drouin ou aux franchisés.

 

558.     Au niveau des efforts de commercialisation, la preuve a démontré qu’aucune activité de commercialisation n’était effectuée pour la franchise de Drouin, soit par lui‑même, soit par le biais de son mandataire (sections 2.3.2 et 2.3.3 des Faits).

 

559.     Ainsi, nous avons vu qu’au 27 décembre 2007, au moment où Drouin signait le contrat de franchise et le contrat de mandat et gestion 2007, Réseau P. n'avait déjà plus d’employés affectés au développement et à la commercialisation des logiciels. Également, Réseau P. n’avait plus, ni bureau, ni employés sur le territoire américain, c’est‑à‑dire le territoire supposément destiné aux franchisés tels que Drouin. Finalement, aucun effort de commercialisation n’a été entrepris à partir de la liste spécifique de Drouin, ni d’aucun autre franchisé. Il était impossible d’entreprendre des efforts de commercialisation sur chaque territoire de franchisé (sections 2.3.2 et 2.3.4 des Faits).

 

560.     Durant l’année en litige ou à tout autre moment, il n’y avait pas d’activité de commercialisation pour la franchise de Drouin. Avant même que Drouin ne signe le contrat de mandat et de gestion de 2007, Réseau P. ne pouvait avoir l’intention d’agir à titre de mandataire pour faire de la commercialisation pour le bénéfice de Drouin, car, de toute manière, elle n'avait pas les ressources pour le faire.

 

 

[229]   Somme toute, je rappelle que l’intimée admet pour l’essentiel que :

 

i)                   Les logiciels existaient;

 

ii)                des efforts herculéens avaient été déployés afin de commercialiser les logiciels au Canada, aux États‑Unis et ailleurs;

 

iii)              le développement et la commercialisation avaient nécessité des fonds importants;

 

iv)              les fonds nécessaires avaient été avancés par les licenciés et les franchisés.

 

[230]   La thèse de l’intimée, je le rappelle, est que tous ces efforts de développement et de commercialisation aient été uniquement à l’avantage de PIN et de ses sociétés affiliées. En d’autres termes, l’intimée soutient que les activités commerciales de Réseau et MIS n’avaient jamais été entreprises pour le compte des franchisés.

 

[231]   Comme je l’ai expliqué précédemment (voir les paragraphes 208 à 211), la position de l’intimée m’apparaît invraisemblable et illogique, puisque l’intimée ne conteste pas l’existence de la franchise de l’appelant. J’aurais pu comprendre la thèse de l’intimée si elle avait allégué que la franchise (tout comme le billet et le contrat de mandat) est un trompe‑l’œil. En effet, si l’intention était que les efforts de commercialisation ne bénéficient qu’à PIN et ses sociétés affiliées (tel que le soutient l’intimée), il m’apparaît évident qu’une entente (verbale ou écrite) serait intervenue entre les parties pour s’assurer que PIN et les sociétés affiliées n’aient pas à partager le fruit de leurs efforts de commercialisation (efforts qui ne sont pas contestés par l’intimée). Je le répète, si PIN et ses sociétés affiliées sont aussi fourbes et rusées que le laisse entendre l’intimée, elles auraient nécessairement fait en sorte (en concluant une entente avec les franchisés) que les franchises soient des trompe‑l’œil de façon à s’assurer que les franchisés ne tirent aucunement profit de leurs efforts de commercialisation.

 

[232]   À l’égard de l’absence d’activité de la part de Réseau à partir de 2007, la preuve a révélé ce qui suit :

 

i)                   En 2007, Réseau s’est rendu compte après trois ans d’efforts coûteux, que sa stratégie pour prendre d’assaut les États‑Unis ne réussissait pas et qu’un autre plan d’affaires était nécessaire pour assurer la commercialisation de ses deux logiciels dans le territoire des franchises. Réseau a décidé alors de consacrer ses efforts à faire de Mail it Safe un succès au Québec, qui ne faisait pas partie des territoires attribués aux franchises, et de s’en servir ensuite comme vitrine dont le bénéfice irait à tous les franchisés (interrogatoire de M. Duhamel, transcription du 8 février 2012, question 913, transcription du 28 février 2012, questions 33 et 36, et interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 656 à 658).

 

ii)                Pour réaliser cette stratégie, Réseau a recruté monsieur Yacoub. Les efforts de M. Yacoub portèrent fruit et, le 9 juillet 2007, une entente fut conclue entre Réseau et l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agrées du Québec. Réseau a réussi à faire plusieurs ventes au Québec en 2007. De plus, pendant la deuxième moitié de 2007, des négociations intensives se poursuivaient entre Réseau et le bureau montréalais de IBM.

 

iii)              Monsieur Yacoub a recruté d’autres cadres en 2007, notamment messieurs Vincent et Lamontagne.

 

iv)              En décembre 2007, la décision de créer MIS fut prise pour encadrer les efforts de M. Yacoub. La création de MIS avait deux objectifs. D’abord, MM. Yacoub et Lamontagne ne voulaient pas avoir à s’occuper du différend avec le fisc. Ensuite, la création de la nouvelle société a facilité l’émission d’actions à titre incitatif pour les cadres supérieurs. Les employés de Réseau affectés au développement des deux logiciels ont été transférés à MIS.

 

v)                Même si MIS a réussi à vendre Mail it Safe à des clients crédibles en 2007 et 2008, les résultats étaient décevants. En raison de ces résultats décevants, en 2008, pour la troisième fois en six ans, la décision fut prise de développer un nouveau logiciel commercial fondé sur la technologie de suivi mise au point antérieurement par Réseau. C’est ainsi qu’en août 2009 commença le travail de développement du programme commercial CashOnTime.

 

[233]   Certes, comme le soutient l’intimée, au moment où l’appelant a signé les contrats le 28 décembre 2007, Réseau n’avait plus d’employés affectés au développement et à la commercialisation des deux logiciels, pas plus qu’elle n'avait de bureaux et d’employés aux États‑Unis. La question qu’il faut se poser maintenant à cet égard est la suivante : cette absence d’activités de commercialisation de la part de Réseau à partir de 2007 signifie‑t‑elle pour autant que la franchise ne revêt aucune caractéristique commerciale?

 

[234]   Le fait que Réseau ait opté de cesser ses activités en attendant que MIS réussisse à créer une « vitrine » au Québec avant de reprendre ses efforts aux États‑Unis en vue de trouver des revendeurs de produits modifiés afin d’attirer un géant ne peut, à mon avis, enlever à la franchise son aspect commercial. La décision de Malo c. La Reine, 2012 CCI 75, m’apparaît édifiante à cet égard. De plus, si je me fie aux propos de l’expert, M. Ouellet, voulant qu’il est important dans le domaine des innovations radicales, et plus particulièrement dans le domaine du logiciel, de bâtir des vitrines ou des études de cas pour rassurer le reste du marché (transcription du 13 mars 2012, p. 87, lignes 17 à 25), la stratégie adoptée par Réseau m’apparaît logique et appropriée dans les circonstances.

 

[235]   Il était clair pour M. Vincent que, bien qu’il n’y eût aucun lien juridique entre les franchisés et MIS, les activités de MIS avaient deux incidences majeures sur les franchises :

 

a)                 la création de la vitrine au Québec faciliterait les efforts ultérieurs aux États‑Unis, surtout en vue de trouver des revendeurs de produits modifiés afin d’attirer un géant;

 

b)                les améliorations technologiques à Mail it Safe et le développement de produits dérivés s’ajouteraient immédiatement aux franchises en vertu des contrats de franchise (interrogatoire de M. Vincent, transcription du 25 janvier 2012, questions 659 à 663).

 

[236]   Il est également vrai que les contrats conclus avec Prospector auraient pu être interprétés de façon à ce que MIS soit un compétiteur des franchisés. Or, tel qu’on le constate du témoignage de M. Klein (transcription du 3 avril 2012) et des pièces A‑136 et A‑138, les rôles respectifs de MIS et de PIN ont été clarifiés de façon à respecter l’intention initiale des parties : MIS a pour rôle de développer les logiciels et de les commercialiser seulement au Canada et PIN a pour rôle d’assurer la commercialisation à l’étranger, par l’entremise de son réseau de franchises. Des erreurs dans les contrats sont le quotidien de la vie commerciale et elles n’ont pas pour effet d’anéantir automatiquement les liens juridiques entre les parties. Dans un tel cas, il faut tenir compte de l’intention des parties. En l’espèce, l’intention initiale des parties à l’égard du rôle de MIS était claire.

 

 

Les facteurs et les éléments objectifs

 

[237]   L’intimée a soutenu avec raison qu’une activité entreprise pour donner l’impression qu’elle est de nature commerciale alors qu’en fait la seule activité exercée consiste à obtenir des remboursements d’impôt ne constitue pas une source de revenu. L’intimée soutient qu’en l’espèce la preuve démontre clairement que PIN et ses sociétés affiliées avaient mis en place une structure et entrepris des activités pour donner l’impression que l’entreprise des franchisés était commerciale, alors qu’en fait la seule activité exercée consistait à obtenir des remboursements d’impôt. En d’autres termes, les éléments de preuve démontraient clairement, selon l’intimée, qu’il y avait une vaste supercherie visant à masquer la véritable intention des franchisés en acquérant une franchise, qui était d’en tirer des avantages fiscaux.

 

[238]   À cet égard, l’intimée soutient qu’aucune activité de commercialisation n’a été effectuée par Réseau pour le compte de la franchise de l’appelant à un territoire de commercialisation défini, de sorte qu’il était impossible de tirer un profit de la vente des logiciels. À cet égard, je suis d’avis que le fait que les activités de commercialisation n’aient pas été effectuées au territoire précis de l’appelant ne signifie pas pour autant qu’il était impossible pour l’appelant (et les franchisés) de tirer un profit de sa franchise. Pour s’en convaincre, revenons à l’exemple où Microsoft aurait offert un milliard de dollars pour acheter la technologie et les droits de commercialisation des logiciels. Il est indéniable que Microsoft n’aurait pas investi une telle somme sans s’assurer que tous les droits de commercialisation des logiciels aux États‑Unis lui appartenaient. Il est donc plus probable que dans une telle situation, une bonne partie du milliard de dollars aurait servi à désintéresser collectivement les franchisés et à acheter leurs droits de commercialisation des logiciels aux États‑Unis, et ce, même si le territoire de chaque franchise était imprécis. En effet, il est plus que probable qu’après sa vérification préalable, Microsoft aurait exigé de PIN qu’elle obtienne de tous les franchisés une renonciation à leurs droits de commercialisation aux États‑Unis. PIN n’aurait pas eu d’autre choix que de verser aux franchisés une partie importante du milliard de dollars, et ce, probablement en parts égales. Compte tenu des contrats et des communiqués que PIN a fait parvenir aux franchisés et des affirmations qui leur ont été faites, PIN n’aurait pu leur dire : « Vous n’avez droit à aucune partie du milliard de dollars parce que le territoire de chacun était imprécis. » Dans une telle situation, la recherche d’une interprétation logique et conforme à l’intention des parties aurait probablement eu comme résultat une répartition égale entre les franchisés de la somme attribuée par Microsoft aux droits de commercialisation des logiciels aux États‑Unis. Je rappelle également que les contrats de franchise de 2007 et de 2008 comprennent une clause de rachat forcé, en vertu de laquelle un franchisé doit accepter un changement important si 75 % des franchisés convoqués à cette fin se prononcent en faveur de ce changement, à condition, s’il s’agit d'une vente, qu’elle soit faite à des conditions identiques pour tous les franchisés (pièce A‑1.1.1, clause 2.2 et pièce A‑1.2.1, clause 3). De plus, le fait que les franchisés ne connaissaient pas leur territoire et que les territoires ne furent pas consignés sans délai ne change rien au lien juridique créé entre les parties et à la description de leurs activités commerciales. L’imprécision apparente du territoire attribué à chacun des franchisés n’entraîne pas la nullité des contrats de franchise, mais simplement la recherche d’une interprétation logique et conforme à l’intention des parties. À mon avis, la confusion concernant les territoires est largement attribuable à deux faits simples :

 

a)                 Premièrement, la description du territoire dans les contrats évolua énormément au fil des ans, et ce, de concert avec l’accès à une banque de données.

 

b)                Deuxièmement, la preuve a établi que le fil directeur depuis la genèse de PIN fut d’attirer des clients initiaux et des partenaires crédibles, de conclure ensuite des ententes avec d’importants revendeurs de produits modifiés afin d’atteindre la plus vaste pénétration possible du marché américain et finalement d’attirer un géant comme Google ou Microsoft à acheter le tout, créant des profits pour l’ensemble des franchisés. Vu ce fil directeur et le fait que la stratégie mise en place n’avait pas encore porté fruit, le territoire précis des franchisés était de peu d’importance pour les franchisés et n’a donc pas fait l’objet d’une attention particulière de la part des franchisés, de PIN ou de ses sociétés affiliées.

 

Dans Malo, précité, chaque investisseur était propriétaire « d’un certain nombre d’arbres désignés » (paragraphe 2(d)) et les arbres n’étaient désignés qu’après la conclusion du contrat. Certains arbres pouvaient même avoir été plantés après la conclusion du contrat. Le manque de précision quant à l’identité du bien acheté n’a pas empêché la Cour de conclure à l’existence d’une entreprise.

 

[239]   Pour illustrer que tout était supercherie, l’intimée soutient également qu’au moment où l’appelant a acheté la franchise en 2007, Solutions Prospector n’était plus commercialisé et Mail it Safe ne permettait pas à l’entreprise d’être rentable. Elle ajoute que le contrat de franchise de 2008 n’inclut pas le programme CashOnTime et que ce programme n’avait été réellement commercialisé qu’après la période en cause. Autrement dit, l’intimée soutient que ces éléments démontrent une fois de plus que l’entreprise de l’appelant ne pouvait être rentable et qu’ainsi la motivation qui avait poussé l’appelant à acquérir la franchise ne pouvait être que fiscale.

 

[240]   Le fait que l’utilisation de Mail it Safe par Me Mathieu ait inspiré la création de CashOnTime, ainsi que les affirmations de MIS et PIN aux franchisés, me portent à croire que CashOnTime constitue un programme dérivé que l’appelant et les franchisés pouvaient commercialiser en vertu du contrat de franchise de 2008. En effet, dans une mise à jour du 10 décembre 2008, MIS a informé les franchisés de la création de CashOnTime et de la commercialisation de ce logiciel (pièce A‑109, p. 11509). Le 16 février 2009, MIS a annoncé aux franchisés que CashOnTime était « officiellement lancé » et les a invité le 30 avril 2009 à une assemblée dont le but est « de partager avec vous le plan d’affaires de MIS International ». Dans le compte rendu de cette réunion, envoyé en juillet 2009 aux franchisés, PIN a réitéré les objectifs, les démarches en cours et les études de marché effectuées concernant CashOnTime (pièce A‑22.1.36, volume 17, page 7419). De plus, la preuve a révélé que les efforts de mise en marché de CashOnTime ont débuté au cours de l’année 2008, alors que le programme était toujours à l’état de « produit fantôme », c’est‑à‑dire qu’il n’était pas complètement au point. C’est ce qui ressort d'une présentation à la direction de MIS le 28 août 2008 (pièce A‑22.1.29, volume 17, page 7314) et d’une mise à jour envoyée aux franchisés (pièce A‑109, p. 11509). De plus, je note que les efforts de commercialisation de Mail it Safe se sont poursuivis en 2008 (pièce A‑109, p. 11509) et que des ventes ont eu lieu durant cette année (pièce A‑31, pages 10028, 10055, 10078 et 10114).

 

[241]   L’intimée conclut du fait qu’un seul logiciel (en l’espèce Mail it Safe) était ou pouvait être commercialisé (Solutions Prospector n’étant plus commercialisé) au moment de l’acquisition de la franchise par l’appelant en 2007 que l’entreprise n’était pas viable et qu’ainsi l’appelant n’exerçait pas une activité commerciale et participait plutôt à une opération factice destinée à donner l’impression qu’elle était de nature commerciale alors qu’en fait la seule activité consistait à obtenir des remboursements d’impôt. En d’autres termes, l’intimée prétend indirectement que la juste valeur marchande (« JVM ») de la franchise au moment de son acquisition en 2007 était nulle, puisqu’en fait la franchise donnait à l’appelant le droit de commercialiser un seul produit (en l’espèce Mail it Safe) et que les motivations de l’appelant lors de l’acquisition de la franchise ne pouvaient donc pas être commerciales. D’abord, je souligne que le ministre (sur qui reposait le fardeau de la preuve) n’a pas fait la preuve que la JVM de la franchise de l’appelant en 2007 était nulle. De plus, je suis d’avis que les motivations de l’appelant lors de l’acquisition de la franchise en 2007 étaient commerciales. Je rappelle que la preuve a révélé que les affirmations qui avaient été faites à l’appelant lors de ses démarches avant l’acquisition de la franchise en 2007 l’avaient convaincu que son investissement serait rentable à long terme. La preuve a aussi révélé que PIN et ses sociétés affiliées étaient tout aussi convaincues en 2007 que Mail it Safe serait un succès. En 2007, Réseau s’était rendu compte après des efforts coûteux que sa stratégie de prendre les États‑Unis d’assaut ne réussissait pas et qu’un autre plan d’affaires était nécessaire pour assurer la commercialisation des logiciels sur le territoire des franchisés. Réseau avait alors décidé de cesser temporairement la commercialisation des logiciels aux États‑Unis. La stratégie était que MIS développe d’abord une « vitrine » au Québec, qui servirait ensuite de tremplin à la commercialisation des logiciels aux États‑Unis. Il m’est donc difficile de conclure de cette preuve à l’égard du comportement des parties qu’elles ont participé à une opération factice destinée à donner l’impression qu’elle était commerciale.

 

 

MarketX

 

[242]   Puisque MarketX n’avait pas été constituée au moment où l’appelant avait signé le contrat de mandat de 2008, l’intimée soutient que « durant la période en litige, seul [sic] Réseau P. a existé et aurait pu jouer un rôle de mandataire pour Drouin ». Par contre, l’intimée soutient « que Réseau P. n’a jamais agi à titre de mandataire pour Drouin durant l’année en litige ». L’intimée ajoute que « si, toutefois, Réseau P. aurait [sic] agi à titre de mandataire de Drouin durant l’année 2008 (en remplacement de MarketX qui n’est jamais née), il aurait été soumis au seul contrat en vigueur, soit celui auquel il est partie : le contrat de mandat 2007 ». Ainsi, selon l’intimée, « durant l’année en litige se combineraient le contrat de franchise version 2008, avec le seul contrat de mandat en vigueur, celui de 2007 ». Cette combinaison, selon l’intimée, « entraînerait pour Drouin l’obligation de verser à son franchiseur 20 % de son revenu brut (pièce A‑1.2.1, clause 12.2, p. 38) mais aussi l’obligation de verser à son mandataire 94 % de son revenu brut (pièce A‑1.1.3, clause 3.1, p. 18) ». Finalement, l’intimée ajoute que « le résultat de l’application des deux contrats en vigueur deviendrait absurde car Drouin devrait verser 114 % de son revenu brut en redevances et commissions à ses prétendus partenaires ».

 

[243]   Ainsi, l’intimée soutient que la non‑existence de MarketX au moment de la signature du contrat de mandat de 2008 est une autre indication que l’appelant avait participé à une opération factice destinée à donner l’impression qu’elle était de nature commerciale alors qu’en fait la seule activité consistait à obtenir des remboursements d’impôt.

 

[244]   La preuve a révélé que l’appelant avait signé en 2007 un contrat de mandat avec Réseau afin qu’elle commercialise sa franchise (pièce A‑1.1.3). Le 19 décembre 2008, l’appelant a signé un nouveau contrat de franchise et un contrat de mandat avec MarketX (pièce A‑1.2.1),  une société qui devait être créée afin de mettre « une certaine distance entre le franchiseur international et le mandataire » (Témoignage de Me Teasdale, transcription du 26 janvier 2012, question 420). Selon le témoignage de M. Duhamel, PIN devait donner à MarketX le mandat de commercialiser les franchises, et MarketX devait à son tour donner ce mandat à Réseau (transcription du 6 février 2012, question 385). Cette société n’a jamais été constituée et ce n’est qu’en mars 2009, lors de la vente à M. Bernier, que M. Duhamel l’a appris (transcription du 6 février 2012, question 433, et transcription du 21 mars 2012, questions 82 à 84). L’appelant a témoigné avoir appris que son mandataire n’existait pas lors de l’assemblée annuelle du 30 avril 2009. L’appelant a alors tenu pour acquis que Réseau était restée son mandataire, puisque MarketX devait remplacer Réseau (transcription du 30 janvier 2012, questions 459, 460, 464 à 474, 724 et 758 à 761, et transcription du 21 mars 2012, questions 23 et 24). Selon une résolution du 25 mars 2009 intitulée « Resolution of Board of Directors of Prospector International Network Inc. » (pièce A‑80), PIN prenait en charge tous les droits et obligations de MarketX. Somme toute, l’appelant serait resté sans mandataire pendant à peine trois mois.

 

[245]   D’abord, l’allégation de l’intimée voulant que « Réseau P. n’a jamais agi à titre de mandataire pour Drouin durant l’année en litige » m’apparaît non fondée. En effet, selon le contrat de mandat de 2007, Réseau avait été le mandataire de l’appelant jusqu’au 18 décembre 2008, date où l’appelant a signé le contrat de mandat de 2008. Donc, la période maximale durant laquelle l’appelant aurait été sans mandataire durant la période en cause aurait été de 11 jours, en 2008. De toute façon, à partir de 2007, aucune activité de commercialisation n’a été effectuée au territoire des franchisés, la stratégie étant que MIS développe d’abord une « vitrine » au Québec, qui servirait ensuite de tremplin à la commercialisation des logiciels aux États‑Unis.

 

[246]   À mon avis, la question ici n’est pas de savoir si le contrat de mandat et de gestion de 2008 est nul et si en conséquence le contrat de mandat de 2007 restait en vigueur, mais bien de déterminer si le fait que la réorganisation envisagée ne se soit pas produite comme prévu est un indice démontant que les parties ont participé à une opération factice destinée à donner encore une fois l’impression qu’elle était de nature commerciale alors qu’en fait la seule activité consistait à obtenir des remboursements d’impôt.

 

[247]   Il m’apparaît évident à la lumière de la preuve que le fait que la réorganisation ne se soit pas produite comme prévu ne démontre aucunement que les parties ont participé à une opération factice. Lorsque PIN et l’appelant se sont rendu compte que MarketX n’existait pas (soit quelques mois après la signature du contrat de mandat et de gestion de 2008), ils n’ont même pas pris la peine de remédier à la situation par écrit, et ce, parce que dans leur esprit et dans les faits, Réseau n’avait pas cessé d’être le véritable mandataire de l’appelant. Il ne faut pas oublier qu’en fin de compte, un contrat se forme par l’échange de consentement des parties. Que Réseau ait cessé temporairement ses activités de commercialisation sur le territoire des franchisés (et ce, pour les raisons expliquées antérieurement) ne fait pas en sorte pour autant que Réseau cesse d’être un mandataire.

 

[248]   Certes, l’effet jumelé du contrat de franchise de 2008 et du contrat de mandat de 2007 crée une « absurdité » puisque, selon les pourcentages fixés dans ces contrats, la proportion des revenus bruts revenant à l’appelant est négative. La démarche à suivre en présence d’une « absurdité » apparente est de rechercher une interprétation logique et conforme à l’intention des parties. Il m’apparaît évident à la lumière de la preuve que, dans l’esprit des parties et dans les faits, Réseau n’avait jamais cessé d’être le véritable mandataire et les conditions qui devaient régir son mandat étaient celles que l’on retrouve dans le contrat de mandat et de gestion de 2008.

 

 

Les contrats de mandat de 2007 et de 2008 sont-ils des trompe‑l’œil?

 

[249]   L’absence de démarches de commercialisation pour le compte des franchisés amène l’intimée à contester l’existence même des contrats de mandat de 2007 et de 2008. Le ministre a allégué au paragraphe 26 de la rubrique « Autres faits pertinents » de la réponse à l’avis d’appel que les contrats de mandat étaient des trompe‑l’œil. Il n’est pas contesté que le fardeau de la preuve de ces allégations de trompe‑l’œil repose sur l’intimée. Or, l’intimée n’a pas satisfait à ce fardeau.

 

[250]   Pour qu’il y ait trompe‑l’œil, il faut que les parties fassent une entente afin de tromper délibérément le fisc quant aux droits et obligations créés par l’entente (voir Stubart et Nunn, précités). En l’espèce, comme dans Stubart, l’entente constatée par les documents correspond précisément, à mon avis, à la réalité, et il m’est impossible de conclure que l’appelant a signé un contrat de mandat dans le but délibéré d’induire l’ARC en erreur. En effet, le fait que Réseau n’avait plus d’employés lui permettant de commercialiser les logiciels pour le compte des franchisés ne suffit pas, à mon avis, pour conclure qu’elle n’a jamais eu l’intention de commercialiser les logiciels. M. Duhamel a d’ailleurs fourni une explication détaillée et logique à l’égard de la quasi‑absence d’activité de la part de Réseau à partir de 2007 (voir le par. 52). De plus, comme je l’ai exposé dans mes remarques préliminaires, l’aveu de l’intimée quant à la réalité de la franchise rend plus probable l’existence du mandat (voir les paragraphes 208 à 211).

 

 

Le billet à ordre est-il un trompe‑l’œil?

 

[251]   L’intimée soutient que les paiements de 3 500 $ en 2010 et de 3 500 $ en 2011 que l’appelant (et les autres franchisés) ont faits en vertu d’une entente (voir les pièces I‑29 et I‑43) intervenue entre l’appelant (et les autres franchisés) et Prospector qui avait modifié les billets à ordre de 2008 n’avaient pour objet que de masquer l’entente réelle des parties, qui soit que le prix convenu entre les parties pour une franchise était de 45 000 $. Ainsi, les billets à ordre sont des trompe‑l’œil, notamment pour les raisons suivantes :

 

i)                   Les modalités de l’entente à la pièce I‑43 n’étaient pas conformes aux explications de l’appelant concernant les paiements de 3 500 $ en 2010 et de 3 500 $ en 2011. En effet, l’appelant a expliqué que selon l’information reçue de son conseiller financier, M. Legault, les intérêts totaux à verser pour sa franchise devaient être de 52 000 $ (3 x 15 000 $ + 2 x 3 500 $ = 52 000 $) (notes sténographiques, 30 janvier 2012, M. Drouin de la p. 128, ligne 18, à la page 129, ligne 2) à la suite de l’entente intervenue entre les parties visant à modifier les modalités du billet à ordre de 2008. Selon cette entente, le taux d’intérêt a été diminué à 1,75 % avec effet rétroactif à 2007 et les paiements annuels étaient de 3 500 $, avec effet rétroactif à 2007. L’entente prévoyait aussi que toute somme versée par le franchisé au cours d’une année donnée (une période de 12 mois consécutifs à partir de la signature du billet à ordre) qui excède l’intérêt payable et le montant du principal à rembourser chaque année (en l’espèce 1 500 $) constitue des intérêts et du capital versés d’avance, « qui peuvent être appliqués par le Franchiseur vers l’intérêt et le capital dus par le Franchisé pour une année subséquente ». Le résultat net de ces modifications, selon M. Duhamel, était que les franchisés devaient payer 3 500 $ en 2010 et 2011, dont 1 500 $ constituaient un paiement de capital, et qu’après 2011, les franchisés ne payaient plus rien avant l’échéance du terme, lorsqu’un paiement forfaitaire et final devenait exigible.

 

ii)                L’entente ne permet pas de déterminer à quel moment elle entre en vigueur. L’entente prévoit qu’elle entre en vigueur à la date de la signature du billet, sans préciser s’il s’agit du billet à ordre de 2007 ou de 2008. L’intimée rappelle que les explications de M. Duhamel et de l’appelant à cet égard étaient confuses.

 

iii)              Le traitement fiscal des intérêts versés par l’appelant n’est conforme ni aux billets à ordre ni à l’entente rétroactive de 2010.

 

[252]   L’intimée avait le fardeau de démontrer que le billet à ordre est un trompe‑l’œil. L’ARC, après une vaste perquisition et saisie auprès des principaux intéressés, a dû reconnaître qu’il n’y avait aucune contre‑lettre ou aucun autre document établissant que cette obligation de payer à échéance était factice (voir l’interrogatoire préalable de monsieur Normand Desjardins du 23 juin 2011, pages 46 et 47). S’il existait une supercherie à une aussi vaste échelle, n’aurait‑elle pas laissé des traces que les perquisitions de l’ARC auraient permis de trouver? Comme je l’ai mentionné dans mes remarques préliminaires, conclure que le billet est un trompe‑l’œil, c’est en quelque sorte conclure indirectement que plus d’un millier de franchisés (dont la plupart sont des médecins et des dentistes) ont conclu une entente avec Prospector ou Réseau afin de faire sciemment une fausse déclaration en vue d’induire le fisc en erreur quand à l’obligation de payer à échéance. Un trompe‑l’œil résulte d’une planification préalable et de la commission d’actes ou de la création de documents qui donnent une impression fausse de la transaction aux tiers. Cette fausse impression doit être délibérée. J’ai entendu notamment le témoignage de l’appelant et des cinq autres franchisés choisis par l’ARC sur la nature de leurs engagements contractuels de payer leur dette à échéance. Je ne peux tout simplement pas conclure à la lumière de ces témoignages que tous ces témoins se sont parjurés, comme le suggère l’intimée, dans le but de tromper l’ARC et maintenant la Cour. Chacun a témoigné franchement qu’il avait acheté une franchise pour profiter d’avantages fiscaux et participer dans une entreprise de haute technologie attrayante. Chacun a témoigné qu’il s’était engagé à payer à échéance la dette selon les modalités du billet. Les prétentions de l’intimée voulant que le témoignage de ces personnes est suspect à cause de leur intérêt personnel et qu’il est ainsi peu crédible sont, à mon avis, non fondées. De toute façon, cette prétention peut difficilement s’appliquer au Dr Thibault, dont la faillite a mis fin au différend avec le fisc.

 

[253]   Certes, les contradictions entre l’entente et le témoignage de l’appelant, les ambiguïtés de l’entente, les inexactitudes dans le témoignage de M. Duhamel à cet égard et le traitement fiscal des paiements d’intérêts par l’appelant qui n’est pas conforme aux modalités du billet à ordre ni à l’entente rétroactive de 2010 sont des éléments troublants et peuvent inciter à croire que le billet à ordre est un trompe‑l’œil. À mon avis, ces éléments sont troublants, mais pas au point de me convaincre que le billet à ordre est un trompe‑l’œil.

 

[254]   D’abord, les contradictions entre le témoignage de l’appelant et l’entente rétroactive de 2010 s’expliquent à mon avis ainsi : l’entente est très difficile à comprendre. Elle avait été négociée par le conseiller financier de l’appelant. Les événements datent de plusieurs années et les obligations financières de l’appelant envers PIN et ses sociétés affiliées avaient fait l’objet de changements nombreux et complexes. Comment expliquer autrement la contradiction entre le témoignage de l’appelant voulant que le paiement de 3 500 $ en 2010 représentait de l’intérêt alors que sa déclaration de revenus de l’année 2010 indique qu’il avait réclamé des frais d’intérêts conformément à l’entente rétroactive de 2010 (voir la pièce I‑27, onglet 154, État des résultats d’une entreprise T2125, page 2, ligne 8710)? Que l’appelant ne comprenne pas ou ne se souvienne pas de l’évolution de ses obligations financières envers PIN ne change rien, à mon avis, à la validité de ses liens juridiques avec PIN. Certes, l’entente souffre d’ambiguïtés. De telles ambiguïtés sont le quotidien de la vie commerciale et créent beaucoup de travail pour les avocats et les tribunaux. Ces ambiguïtés n’ont pas pour effet d’anéantir l’obligation qu’ont les franchisés de payer à échéance. Que le témoignage de M. Duhamel souffre d’inexactitudes à cet égard s’explique aussi à mon avis par la complexité des restructurations des obligations financières des franchisés, par leur multiplicité et par le fait qu’elles datent de plusieurs années.

 

[255]   À mon avis, les nombreuses modifications aux obligations financières des franchisés s’expliquent ainsi : chaque fois que l’échéance des billets à ordre approchait, PIN faisait face au mécontentement des franchisés et surtout aux pressions de leurs conseillers financiers, d’une part à cause de l’insuccès de la commercialisation des logiciels et, d’autre part, en raison du litige qui s’envenimait davantage avec l’ARC et l’ARQ. Devant une telle pression, PIN a dû se résigner à réduire les obligations financières des franchisés en retardant l’échéance des billets à ordre et en réduisant le taux d’intérêt, et ce, sans réduire le coût de la franchise. C’est du moins l’interprétation que je donne au témoignage de M. Duhamel à cet égard (interrogatoire de Claude Duhamel, transcription du 7 février 2012, questions 12 et 29 à 33). Somme toute, les parties ont trouvé le moyen de repousser l’échéance des billets à ordre sans augmenter le fardeau financier des franchisés et réduire l’obligation de payer le coût de 230 000 $ de la franchise. Que les parties aient repoussé à plusieurs occasions l’échéance des billets à ordre ne fait pas pour autant que ces billets à ordre soient des trompe‑l’œil. Enfin, j’ajouterai que l’article 80 de la Loi contient un régime détaillé et complet pour les cas où les franchisés ne remboursent pas les montants qu’ils doivent et à l’égard desquels ils ont demandé des déductions. En d’autres mots, les franchisés ne pourront pas s’en tirer indéfiniment en repoussant les échéances des billets à terme.

 

 

Le caractère raisonnable de la dépense réclamée

 

[256]   Finalement, l’intimée soutient que la déduction pour amortissement de 70 387 $ réclamée par l’appelant n’est pas déductible en vertu de l’article 67 de la Loi, puisqu’elle est déraisonnable dans les circonstances. L’intimée soutient que l’article 67 de la Loi permet de réduire les dépenses excessives ou injustifiées (Stewart, précité, au paragraphe 57) et peut être invoqué pour refuser la déduction de la totalité d’une dépense, si son caractère déraisonnable est établi (Hammil c. Canada, 2005 CAF 252).

 

[257]   L’intimée renvoie aussi au passage suivant de l’arrêt Gabco Limited c. M.N.R., [1968] 2 R.C.É. 511, dans lequel le juge Cattanach énonce le critère suivant pour l’application de l’article 67 :

 

[TRADUCTION]

 

Il ne s’agit pas pour le ministre ou la Cour de substituer son jugement à ce qui constitue une somme raisonnable à payer, mais il s’agit plutôt pour le ministre ou la Cour d’arriver à la conclusion qu’aucun homme d’affaires raisonnable ne se serait engagé à payer une telle somme en ayant à l’esprit que les considérations commerciales de l’appelante.

 

[258]   L’intimée soutient que les éléments suivants démontrent clairement que la dépense réclamée par l’appelant est déraisonnable dans les circonstances :

 

i)                   L’absence de vérification préalable de la part de l’appelant au moment de l’acquisition de sa franchise en 2007;

 

ii)                L’absence d’efforts de commercialisation pour le bénéfice de l’appelant par son mandataire, qui fait en sorte qu’il était impossible de générer des ventes;

 

iii)              Compte tenu du coût prévu au contrat de franchise, il était impossible pour l’appelant de tirer un profit de son investissement. L’intimée soutient essentiellement (voir les pages 32 à 36 de l’argumentation de l’intimée) que Réseau aurait dû réaliser des ventes annuelles moyennes de 582 millions de dollars, et ce, pendant 10 ans, pour que l’appelant puisse récupérer le coût réel de son investissement dans la franchise de 2007 qui, je le rappelle, est de 200 000 $. Or, selon l’intimée, lorsque l’appelant a signé son contrat en 2007, un seul produit était commercialisé (soit Mail it Safe), et les ventes, qui d’ailleurs n’avaient pas été faites pour le bénéfice des franchisés, avaient totalisé 43 894 $ (voir la pièce A‑81). L’intimée ajoute que Réseau devait réaliser des ventes annuelles de 275 000 000 $ ou 459 750 000 $ (selon le nombre réel de franchises) pour que chacun des franchisés récupère les intérêts de 15 000 $ qu’il s’était engagé à payer en 2007. En quelque sorte, le ministre soutient que la JVM de la franchise de l’appelant et des droits s’y rattachant est nulle et, partant, que la dépense réclamée par l’appelant pour l’année d’imposition 2008 n’est pas déductible en vertu de l’article 67 de la Loi. Je rappelle que le ministre a allégué au paragraphe 25s) de la réponse à l’avis d’appel que « La juste valeur marchande de la franchise et des droits s’y rattachant était nulle. » Je rappelle que le ministre a aussi allégué ce qui suit aux paragraphes 26cc), dd) et ee) de la réponse que :

 

Raisonnabilité de la dépense d’amortissement

 

cc)               La juste valeur marchande d’une franchise de Prospector International Networks Inc. étant peu élevée sinon nulle;

 

dd)             Le prix payé par l’appelant pour la franchise de Prospector International Networks Inc. était de beaucoup supérieur à la juste valeur marchande de cette franchise et n’est pas raisonnable dans les circonstances;

 

ee)               Par conséquent, la somme de 70 387 $ réclamée par l’appelant au titre de l’allocation du coût en capital relativement au coût des droits se rattachant à l’acquisition de la franchise n’est pas déductible puisque la défense n’est pas raisonnable dans les circonstances.

 

iv)              Le contrat de franchise de 2008 et le contrat de mandat de 2007 (font ensemble qu’il était mathématiquement impossible pour l’appelant de faire un profit, puisque le total des redevances et des commissions dépassaient 100 %.

 

[259]   Puisque les éléments mentionnés aux alinéas i), ii) et iv) ci‑dessus ont déjà fait l’objet de mon analyse, j’analyserai maintenant la question de la JVM de la franchise de l’appelant et des droits s’y rattachant, puisqu’elle sert notamment de fondement à l’affirmation du ministre voulant que la dépense de 70 387 $ ne soit pas déductible en vertu de l’article 67 de la Loi.

 

[260]   Certes, l’expression « raisonnable dans les circonstances » utilisée à l’article 67 de la Loi est large. Toutefois, je suis d’avis qu’elle ne devrait pas être appliquée pour réduire des dépenses en raison d’une prétendue mauvaise appréciation commerciale de la part de l’appelant. Je suis d’avis aussi que le rôle du ministre et de la Cour ne consiste pas à faire « une appréciation rétrospective de la perspicacité commerciale d’un contribuable dont l’entreprise se révèle moins rentable que prévue » (Mastri c. Canada (Procureur général), [1998] 1 C.F. 66 (C.A.F.), par. 12). J’ajouterai que la décision Williams c. La Reine, 2009 CCI 93 soulevée par l’intimée se révèle peu utile en l’espèce puisqu’elle traite des dépenses liées à un domicile, alors que l’appel en l’instance touche le coût d'un bien.

 

[261]   À l’égard de la JVM d’un bien, la Cour d’appel fédérale nous enseigne dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Nash, 2005 CAF 386, que l’appréciation de l’évaluation était inutile et que les montants payés par les contribuables sans lien de dépendance constituaient la JVM des œuvres d’art. En l’espèce, il ressort de la preuve que les parties n’avaient pas de lien de dépendance et agissaient librement et dans leur propre intérêt. De plus, le ministre (sur qui le fardeau reposait) n’a pas fait la preuve (notamment pas une expertise) que la JVM des franchises ne correspondait pas à leur coût, et aucune appréciation supplémentaire n’était donc justifiée. Même en supposant que la question de la JVM soit une hypothèse sur laquelle s’appuie la nouvelle cotisation, je suis d’avis que la preuve du prix de vente de franchises entre des parties sans lien de dépendance constitue une preuve prima facie qui est suffisante pour décharger le fardeau de l’appelant. Par conséquent, la dépense réclamée par l’appelant m’apparaît raisonnable dans les circonstances.

 

[262]   J’ajouterai qu’une analyse froide et rétrospective pour déterminer la JVM d’une entreprise peut être scientifiquement défendable, mais ne reflète pas pour autant la situation véritable du marché à l’époque où l’investissement a été fait. Comme le disait le juge en chef Bowman dans McCoy c. La Reine, 2003 CCI 332 :

 

[56] […] Le domaine des affaires est parsemé de cadavres de méga-transactions qui ont, de façon catastrophique, mal tourné. Je n'ai pas besoin de les nommer. Elles sont abondantes et seront très connues par ceux qui lisent la section des affaires des journaux. Pourtant, les principaux acteurs des milieux d'affaires qui ont réussi ces fusions et ces acquisitions spectaculaires, parfois avec une analyse plus faible que celle qui a été produite pour le lancement de MarketVision, ont été acclamés comme des génies financiers. Lorsque la structure s'effondre environ une année plus tard, les gérants d'estrade n'en reviennent pas et demandent : [TRADUCTION] « Comment ont-ils pu être aussi stupides? Cela était sûrement évident que, dès le début, l'accord comportait des graines du désastre. »

 

[57] Le bon sens me dit que, lorsqu'un groupe d'hommes d'affaires et de professionnels ayant des revenus suffisamment élevés qu'ils sont attirés vers des abris fiscaux et sont disposés à investir des montants considérables dans des biens dont ils s'attendent raisonnablement qu'ils produiront un revenu (notamment des montants suffisants pour payer le principal et les intérêts sur leurs billets à ordre) et un avantage fiscal, lequel, selon les fondateurs munis d'une opinion favorable provenant d'un cabinet d'avocats renommé, se réalisera, il est aussi déraisonnable de dire que le bien n'avait aucune valeur, ou presque aucune valeur, que de dire qu'il avait une valeur de 55 000 000 $. La juste valeur marchande est, dans une certaine mesure, en fonction de la perception au moment de savoir si nous parlons des biens réels dans des périodes de boom des dernières années 80, des actions en 1929 avant le krach ou des tulipes exotiques pendant la période de la tulipomanie en Hollande au XVIIe siècle. Dans le cadre de cette perception, des attentes irrationnelles ou excessivement optimistes peuvent jouer un rôle. Une analyse froide effectuée cinq ans après l'événement et après que les prédictions optimistes ont été prouvées fautives, peut être scientifiquement défendable, mais elle ne reflète peut-être pas la situation véritable du marché à l'époque. […]

 

[263]   En conclusion, il ressort ce qui suit de la preuve :

 

i)                   L’appelant a acquis sa franchise dans le but de tirer un revenu d’entreprise. Il est clair que l’appelant n’a pas acquis la franchise à des fins personnelles et récréatives. Même si les considérations fiscales constituaient une motivation importante pour l’acquisition de la franchise, elles n’entraînent pas pour autant l’inexistence de l’entreprise commerciale de l’appelant.

 

ii)                L’intention du mandataire de l’appelant était de commercialiser les logiciels pour le compte de l’appelant (et des autres franchisés). Les renseignements donnés aux franchisés lors des mises à jour et lors des assemblées des franchisés démontrent que les efforts de commercialisation avaient été effectués pour leur bénéfice.

 

iii)              L’appelant (et les autres franchisés témoins) avait l’obligation de payer à échéance le billet à ordre.

 

À mon avis, le ministre a conclu à tort, en raison des échecs commerciaux de PIN (et de ses sociétés affiliées) et des franchises, des témoignages de l’appelant, de M. Duhamel et des franchisés témoins, qui étaient parfois ambigus, confus, inexacts ou incompréhensibles, et qui à l’occasion étaient même contradictoires, que les parties avaient mis en place un stratagème à grande échelle (dont l’exécution se serait étendue sur plusieurs années) afin de donner l’impression que les franchisés exploitaient une entreprise alors que la seule activité exercée (toujours selon le ministre) consistait à obtenir des remboursements d’impôt.

 

[264]   Enfin, la présente affaire doit être distinguée des affaires Moloney, Bendall, Madell et St‑Laurent, précitées.

 

[265]   Dans Walls, la Cour suprême a distingué l’affaire Moloney en ces termes :

 

21 Le juge de première instance a qualifié l'exploitation du parc d'entreposage d'«abri fiscal» et a conclu que sa seule raison d'être était la réduction d'impôt, citant l'arrêt Moloney c. La Reine, [1992] A.C.F. no 905 (QL) (C.A.F.). Dans cette affaire, toutefois, le contribuable avait lancé un projet de mise en marché en chaîne fermée dans le seul but d'obtenir des remboursements d'impôt, sans avoir l'intention d'effectuer la mise en marché d'un cours de lecture rapide, qui était l'objet déclaré des opérations. C'est dans ce contexte que le juge Hugessen a dit, au par. 1:

 

Il est un principe élémentaire du droit que les contribuables peuvent structurer leurs affaires de manière à être assujettis au minimum d'impôt; toutefois, il est tout aussi évident à notre avis que, pour les contribuables, la réduction de leurs propres impôts ne peut en soi constituer une entreprise aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. [Nous soulignons.]

 

En toute déférence, la présente affaire peut être distinguée d'avec l'affaire Moloney. Dans ce dernier cas, le contribuable n'exerçait pas une activité commerciale, mais participait plutôt à une opération factice destinée à donner l'impression qu'elle était de nature commerciale alors qu'en fait la seule activité exercée consistait à obtenir des remboursements d'impôt. En l'espèce, par contre, la société a acquis une entreprise commerciale en activité et en a poursuivi l'exploitation.

 

[266]   La présente affaire se distingue de l’affaire Moloney en ce que la preuve a démontré qu’au cours des années en cause, une filiale de PIN avait entrepris des démarches de commercialisation des logiciels auprès de clients canadiens prestigieux et notoires afin de créer une vitrine, une stratégie qui a été décrite comme courante et importante par l’expert, M. Ouellet et qui aurait permis de faire affaire avec des revendeurs de produits modifiés aux États‑Unis, conformément à la stratégie initiale de l’entreprise. Des sommes d’argent ont été investies dans le développement et dans la commercialisation des logiciels alors que dans Moloney, des transactions entre les sociétés liées avaient lieu de façon circulaire et simultanée, de sorte qu’aucun capital ou crédit n’avait été engagé dans la présumée entreprise.

 

[267]   Je note aussi que dans l’affaire Moloney, les ventes au Canada n’avaient pas été prises en considération, puisque le territoire du licencié se trouvait aux États‑Unis. En l’espèce, on m’a démontré que les ventes au Canada avaient un intérêt particulier pour les franchisés.

 

[268]   Aussi, contrairement à l’affaire Moloney, la preuve a démontré en l’espèce l’intention de l’appelant d’effectuer, en ayant recours à son mandataire, la mise en marché des logiciels et d’en tirer des profits. Comme la preuve l’a démontré, le but de l’appelant était double, soit profiter de déductions fiscales et tirer un profit de la vente de logiciels ou de l’acquisition éventuelle de l’entreprise.

 

[269]   Également, dans l’affaire Moloney, le contribuable n’avait rien déboursé de sa poche et n’avait aucun risque financier. En l’instance, l’appelant a déjà déboursé la somme de 52 000 $ de ses propres fonds, somme qui n’est remboursable sous aucun prétexte, et s’est engagé sans condition à payer son billet à ordre à plein recours à l’échéance.

 

[270]   En l’espèce peut également être distinguée de l’affaire Bendall. Dans cette affaire, le contribuable avait participé à une opération semblable à celle dans la décision Moloney, à l’exception qu’il n’était pas question de transactions circulaires et simultanées entre les sociétés liées. Le juge Bonner était venu à la conclusion que le mandataire de l’appelant n’exploitait aucune entreprise, alors qu’en l’espèce, une filiale de PIN travaillait à bâtir une vitrine. De plus, le juge Bonner a mentionné dans son jugement qu’il lui était impossible de conclure que les contribuables s’étaient sérieusement attendus à ce que le mandataire commercialise les cours de lecture rapide. En l’espèce, non seulement y a-t-il eu des démarches de commercialisation et des ventes, mais Réseau a aussi affirmé aux franchisés avoir effectué de nombreuses démarches de commercialisation. De plus, la décision du contribuable dans Bendall de faire un nouveau placement deux ans plus tard, bien qu’il n’ait réalisé aucune vente, ne s’applique pas à l’appelant qui n’a acheté, lui, qu’une seule franchise.

 

[271]   La situation de l’appelant se distingue également de celle de l’affaire Madell. Dans cette affaire, le juge en est venu à la conclusion que le contribuable ne pouvait tirer de profit de son investissement puisqu’il était tenu de remettre la totalité des revenus que les ventes généraient. En l’espèce, les contrats prévoyaient des redevances pour l’appelant.

 

[272]   Finalement, dans St-Laurent, la Cour a elle-même constaté que des faits différents – par exemple, si l’appelant avait participé à des réunions, consulté le plan d’affaires et examiné les objectifs – auraient pu mener à un résultat différent. Rien dans la preuve, mis à part de vagues allégations verbales non étayées du contribuable, ne démontrait que le contribuable était à la recherche d’un quelconque profit.

 

[273]   Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mai 2013.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 139

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-5(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            ANDRÉ DROUIN ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :            les 23, 24, 25, 26, 27, 30 et 31 janvier,
les 1er, 2, 6, 7, 8, 9, 13, 27, 28 et 29 février,
les 1er, 5 (conférence téléphonique), 13, 14, 15, 16, 19, 21 et 23 mars,
le 3 avril et les 8, 9 et 10 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 3 mai 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me Guy Du Pont

Me Michael H. Lubetsky

Me Jack J. Fattal

 

Avocats de l'intimée :

Me Michel Lamarre

Me Alain Gareau

Me Vlad Zolia

Me Sara Jahanbakhsh

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Noms :                         Me Guy Du Pont

                                                          Me Michael H. Lubetsky

                                                          Me Jack J. Fattal

 

 

                 Cabinet :                          Davies Ward Phillips & Vineberg

                                                          s.e.n.c.r.l., s.r.l.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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