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Dossier : 2012-3107(IT)I

ENTRE :

ARCHIBALD C. BOWER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 31 mai 2013, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Randall Bocock

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée

Me Kathleen Beahen

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel visant les nouvelles déterminations effectuées en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de la Prestation fiscale canadienne pour enfants et du Supplément de la prestation nationale pour enfants entre les mois de mai 2009 et de novembre 2010, pour les années de base 2007, 2008 et 2009, et à l’égard du crédit pour taxe sur les produits et services entre les mois de juillet 2009 et d’avril 2011, pour les années de base 2008 et 2009, est rejeté, compte tenu du fait que l’appelant était un non-résident.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2013.

 

 

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2013.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

 

Référence : 2013 CCI 183

Date : 20130611

Dossier : 2012-3107(IT)I

 

ENTRE :

ARCHIBALD C. BOWER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

 

[1]             Pour avoir droit à la Prestation fiscale canadienne pour enfants (la « PFCE ») et au crédit pour taxe sur les produits et services (le « CTPS »), les contribuables doivent, entre autres, être des résidents du Canada. Cette condition est exprimée au moyen d’une double négation dans la définition figurant dans la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») – cette technique de rédaction est également employée dans de nombreuses autres dispositions de la Loi. La définition de l’expression « particulier admissible » au paragraphe 122.5(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

[…] n’est ni un particulier admissible, […] la personne qui […]

 

c) est une personne non-résidente au début de ce mois, […]

 

[2]             Le ministre a refusé d’accorder à l’appelant la PFCE pour les mois de mai 2009 à novembre 2010 et le CTPS pour la période allant de juillet 2009 à avril 2011 (collectivement les « périodes pertinentes »), compte tenu du fait qu’il avait cessé d’y avoir droit parce qu’il était devenu un non‑résident du Canada.

 

I.       Contexte factuel

 

[3]             En juin 2007, le contribuable s’est rendu en Indonésie, où il vit actuellement avec sa conjointe de fait et l’enfant de cette dernière. M. Bower subvient à leurs besoins et tient lieu de père de la fille de sa conjointe de fait dans ce qui pourrait être appelé une relation non juridique de père adoptif. Il a acheté une maison pour elles en Indonésie, bien que sa conjointe de fait soit la seule à détenir le titre juridique. De l’avis général, il subvient aux besoins de sa conjointe de fait et de la fille de celle‑ci et les aide comme un époux et un père dévoué.

 

[4]             L’appelant n’a pas visité le Canada plus de quatre fois depuis 2007. Chaque fois, il y est resté pendant une période de six à huit semaines.

 

[5]             M. Bower est saisi d’un domaine viager avec sa sœur sur une résidence familiale située en Nouvelle‑Écosse, où le frère de M. Bower détient en fief simple l’intérêt résiduel dans le bien. M. Bower demeure généralement dans la maison pendant plusieurs semaines lorsqu’il voyage au Canada.

 

[6]             En ce qui concerne ses placements, M. Bower détient un compte de négociation chez TD Waterhouse, un compte bancaire à la Banque Royale et un compte bancaire à l’Estonian Credit Union, de même qu’une police d’assurance maladie complémentaire et une assurance en cas de décès par accident. Tous ces placements sont au Canada. Les soldes des comptes bancaires sont peu élevés et les comptes sont détenus, du moins partiellement, afin de permettre à M. Bower de subvenir à ses besoins quotidiens en Indonésie, ses prestations de retraite mensuelles étant déposées dans ces comptes, et ses cartes de crédit et ses prêts remboursés au moyen de ses comptes.

 

[7]             L’appelant a trois enfants et plusieurs petits enfants au Canada. Il leur a rendu visite au cours de ses voyages au Canada pendant la période pertinente. Ses enfants et ses petits enfants ne sont pas des personnes à charge. Certains des biens plus importants qui appartenaient à M. Bower avant 2007 sont restés au Canada, en Nouvelle‑Écosse ou auprès de ses enfants adultes.

 

[8]             M. Bower a admis qu’il avait tout ce dont il avait besoin pour subvenir à ses besoins quotidiens en Indonésie. Il a témoigné qu’il a toujours l’intention de revenir au Canada, mais que son intention se concrétiserait probablement plus rapidement s’il tombait malade ou s’il se séparait de sa conjointe de fait, ce que, de son propre aveu, il souhaite éviter.

 

II.                Observations

 

[9]             L’avocate de l’intimée a fait valoir que l’appelant était un résident habituel de l’Indonésie suivant un examen des principaux éléments de fait de l’endroit où vit une personne et de son mode de vie. En bref, rien de ce qu’a fait l’appelant, que ce soit ses opérations bancaires, ses séjours au Canada, l’utilisation qu’il a faite de biens canadiens ou ce à quoi il les a affectés, la durée de ses voyages et son utilisation habituelle et nécessaire de biens en Indonésie ou bien le fait qu’il n’était membre d’associations au Canada que sur papier seulement, ne me permet de tirer quelque conclusion que ce soit, si ce n’est le fait que M. Bower est un résident habituel de l’Indonésie et qu’il n’a pas actuellement l’intention de revenir au Canada. Tout plan visant à revenir au pays constitue simplement une police d’assurance.

 

[10]        L’appelant a allégué que son séjour en Indonésie n’a pas mis fin à son statut de résident du Canada. L’appelant a renvoyé la Cour à l’affaire Perlman c. La Reine, 2010 CCI 658, 2011 DTC 1045, et a soutenu que son intention actuelle de revenir au pays était suffisante pour écarter toute présomption de non-résidence.

 

III.     Analyse

 

[11]        Le droit applicable en matière de résidence a toujours été clair : il comporte un aspect factuel substantiel. En outre, les termes « résidents », « résidence », « résident habituel » ou bien encore « personne non‑résidente » ne sont pas définis dans la Loi. L’inclusion de telles définitions dans la Loi aurait pu être utile à certains moments, mais les tribunaux n’ont eu aucun mal à établir un critère à utiliser pour déterminer la résidence. Tout d’abord, dans l’arrêt Thomson v. Canada, [1946] S.C.R. 209, [1946] C.T.C. 51, 2 D.T.C. 812, le juge Estey a fait les observations suivantes au paragraphe 71 :

 

[traduction]

71 […]« résident habituel » du lieu où, dans sa vie de tous les jours, il habite d’une manière régulière, normale ou habituelle. On « séjourne » à un endroit que l’on visite ou dans un lieu où l’on demeure exceptionnellement, occasionnellement ou par intermittence. Dans le premier cas, c’est le caractère permanent qui prédomine, et dans le second, le caractère temporaire. […], chaque cas devant être déterminé compte tenu de tous les facteurs pertinents, mais ce qui précède indique d’une façon générale la différence essentielle. Ce n’est pas la longueur de la visite ou du séjour qui détermine la question. Même la période de 183 jours prévue à l’alinéa 9b) de la présente loi ne détermine pas si la personne séjournait ou non en un lieu; elle détermine simplement si la personne ayant séjourné doit ou non payer de l’impôt.

 

[12]        De même, une liste de critères factuels utiles a été élaborée pour permettre d’effectuer une telle détermination dans la décision The Queen v. Reeder, [1975] C.T.C. 256, 75 DTC 5160, où le juge Mahoney a dit ce qui suit :

 

13 Quoique le défendeur en l’espèce fût totalement étranger à cette vie de riche désœuvré, et à toute préméditation d’évasion fiscale, les éléments qui servaient dans ces arrêts à déterminer la question de fait de la résidence fiscale, s’appliquent aussi en l’espèce. Ces éléments sont notamment :

 

a. le genre de vie passé ou présent;

b. la régularité et la durée des séjours dans le ressort de la juridiction de la résidence;

c. les liens dans le ressort de cette juridiction;

d. les liens en d’autres lieux;

e. le caractère permanent ou autre des séjours à l’étranger.

 

La question des liens dans le ressort de la juridiction de résidence et en d’autres lieux englobe toute la gamme des rapports et des engagements d’une personne : biens et placements, emploi, famille, affaires, liens culturels et mondains en sont des exemples. Tous les éléments ne seront pas retenus dans chaque cas. Ils doivent être considérés à la lumière du postulat que chacun doit avoir une résidence fiscale et qu’un individu peut avoir simultanément plus d’une résidence du point de vue fiscal.

 

[13]        Pour ce qui est du genre de vie passé ou présent, l’appelant vie actuellement en Indonésie, où il vit et demeure avec sa conjointe de fait et la fille de celle‑ci et avec lesquelles il entretient une relation étroite. Il possède là-bas les choses dont il a besoin dans la vie de tous les jours. Toutefois, ses objets de famille, son héritage et ses enfants adultes sont situés au Canada, en grande partie du fait de la taille des biens, du caractère immobile de l’héritage et des choix effectués par les enfants.

 

[14]        Bien qu’il séjourne au Canada presque chaque année, les séjours de M. Bowers présentent les caractéristiques de vacances ou de congés quant à leur durée, à la saison pendant laquelle ils ont lieu et à la raison pour laquelle ils sont faits. Lorsque l’on compare le fait qu’il a constamment été un membre actif de Rotary International en Indonésie au fait qu’il ne fait que figurer dans la liste des membres de certains groupes au Canada, on peut également constater une différence marquée entre les deux pays pour ce qui est de l’étroitesse de liens entretenus.

 

[15]        M. Bower entretient des liens avec l’Indonésie parce qu’il a choisi de le faire, alors qu’il n’a pas choisi les liens familiaux qu’il a avec le Canada. Il a admis avoir choisi de détenir des comptes bancaires et des cartes de crédit au Canada afin de pouvoir subvenir à ses besoins quotidiens en Indonésie où, encore une fois selon son propre témoignage, le système bancaire laisse quelque peu à désirer, du moins pour les étrangers d’âge moyen qui essaient d’avoir recours à ce système bancaire.

 

[16]        Il ne faut pas sous-estimer les liens que M. Bower entretient avec l’Indonésie, compte tenu des interactions et des obligations familiales, économiques et sociales qu’il a là-bas. De plus, le désistement de la conjointe de fait de M. Bower par rapport à ses précédentes demandes d’entrée au Canada, les circonstances regrettables (que ce soit des problèmes de santé ou une séparation) qui pourraient renouveler son intention de revenir au Canada et l’absence de liens économiques, commerciaux ou sociaux relativement importants avec le Canada ne laissent d’autre choix à la Cour que de conclure qu’en matière fiscale, la résidence de M. Bower est davantage située en Indonésie, et non au Canada, quant aux faits et au fond.

 

[17]        Cette conclusion est compatible avec la décision rendue dans l’affaire Perlman, étant donné que, dans cette affaire beaucoup plus équivoque, le ratio était lié à l’intention clairement ininterrompue qu’avait le contribuable de revenir au Canada, non pas à titre de pire scénario, mais plutôt à titre d’objectif de carrière et de plan de vie à long terme qu’il avait sans cesse exprimé. En revanche, bien que M. Bower dise qu’il reviendra au Canada à une date ultérieure, la Cour conclut que, pour ce faire, il devrait modifier son intention actuelle, rompre ses liens les plus importants ou les transposer et transférer les attributs de la vie quotidienne de l’Indonésie afin que le Canada redevienne son lieu de résidence habituelle et principale. Jusqu’à ce que ce jour arrive, M. Bower demeure un non‑résident du Canada.

 

[18]        Compte tenu de ce qui précède, l’appel est rejeté.

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2013.

 

 

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2013.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 183

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2012-3107(IT)I

 

INTITULÉ :                                      ARCHIBALD C. BOWER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Randall Bocock

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 11 juin 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :

Me Kathleen Beahen

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     s.o.

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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