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Dossier : 2012-4293(IT)G

 

ENTRE :

 

JACK KLUNDERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Requêtes entendues le 7 juin 2013, à Victoria (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge F. J. Pizzitelli

 

 Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me Christopher D. R. Maddock, c.r.

Me Jeremy Maddock

 

Avocates de l’intimée :

Me Michelle Casavant

Me Whitney Dunn

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

          VU la requête de l’intimée pour que soit rendue une ordonnance :

         

[traduction]

 

1.         en annulation du prétendu appel en application de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, de l’article 171 de la Loi de l’impôt sur le revenu et des articles 53 et 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale);

 

2.         en rejet de l’avis d’appel, avec dépens;

 

3.         imposant toute autre réparation que la Cour jugera appropriée.

 

          ET VU la requête de l’appelant pour que soit rendue une ordonnance :

 

[traduction]

 

1.         l’autorisant à modifier l’avis d’appel, de telle sorte que l’expression « réparations demandées » puisse s’interpréter de la manière suivante :

 

                  1.               Une ordonnance annulant intégralement les cotisations au motif qu’il y a eu violation des droits garantis à l’appelant par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

 

                     2.      À titre subsidiaire, une déclaration selon laquelle tous les éléments de preuve qui ont été recueillis en usant des pouvoirs de vérification de l’Agence du revenu du Canada pendant qu’une enquête criminelle suivait son cours ne sont pas admissibles au motif qu’ils ont été recueillis par suite de la violation des droits garantis à l’appelant par la Charte, et selon laquelle le fait d’admettre de tels éléments de preuve dans les circonstances déconsidérerait l’administration de la justice.

 

 

ET VU les documents déposés en preuve par les parties et après avoir entendu l’avocat de l’appelant et l’avocate de l’intimée;

 

            LA COUR ORDONNE que :

 

1.       la requête de l’intimée soit accueillie et les appels interjetés à l’égard des nouvelles cotisations établies à l’endroit de l’appelant en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1993, 1994, 1995 et 1996 soient rejetés.

 

2.       la requête en modification de l’avis d’appel de l’appelant soit rejetée.

 

3.       les dépens relatifs aux présentes requêtes soient adjugés à l’intimée.

 

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juin 2013.

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de novembre 2013.

 

 

François Brunet, réviseur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 208

Date : 20130621

Dossier : 2012-4293(IT)G

 

ENTRE :

 

JACK KLUNDERT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Pizzitelli

 

[1]             L’intimée a présenté une requête en radiation de l’avis d’appel de l’appelant et en rejet de l’appel, en vertu des articles 53 et 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») au motif que l’avis d’appel ne contient aucun véritable argument, que la Cour n’a pas la compétence voulue pour connaître de cet appel, qu’un tel avis d’appel constitue un abus de procédure et qu’il est frivole et vexatoire, et que les questions en litige dans cet avis d’appel ont déjà été tranchées par les tribunaux ontariens et que, par conséquent, le principe de la préclusion s’applique, tout comme la doctrine de la contestation indirecte.

 

[2]             L’appelant conteste les motifs invoqués par l’intimée dans sa requête en annulation ou en rejet au motif que l’avis d’appel soulève des questions de droit qui relèvent de la compétence de la Cour et qui n’ont jamais été tranchées par le passé, en l’occurrence la question de savoir si la preuve qui aurait dû être jugée irrecevable dans un procès pénal pour fraude fiscale qui s’est tenu antérieurement et l’allégation de l’irrecevabilité des fausses déclarations qui n’a pas été invoquée dans le contexte de ce procès constituent une violation des droits constitutionnels que l’appelant tire des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), et il demande à la Cour d’accueillir sa requête en modification de son avis d’appel en vue d’y ajouter aussi une demande de mesure additionnelle, soit l’annulation de la nouvelle cotisation pour cause de violation de droits constitutionnels, ou à titre subsidiaire, conclure qu’une telle preuve est irrecevable dans le contexte du présent appel en matière d’impôt sur le revenu.

 

[3]             Les faits eux-mêmes qui entourent les questions en litige en l’espèce sont constants. L’appelant, optométriste exerçant ses activités à Windsor, en Ontario, a soit produit des déclarations de revenus faisant état d’aucun revenu, soit manqué à son obligation de produire des déclarations de revenus pour les années d’imposition 1993 à 1997. Il a d’abord fait l’objet d’une vérification et ensuite d’une enquête pénale dans le contexte de laquelle un mandat de perquisition et de saisie a été exécuté en application de l’article 487 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, dans sa version modifiée. L’appelant a fait l’objet de trois procès pour fraude fiscale devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, de deux appels devant la Cour d’appel de l’Ontario, et sa demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été rejetée. Le 20 mai 2010, une décision a été rendue dans le troisième et dernier procès qui s’est tenu devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, avec jury, par laquelle l’appelant a été déclaré coupable de fraude fiscale aux termes de l’article 239 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »); l’appelant a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de l’Ontario, qui a rejeté son appel le 12 septembre 2011, et sa demande de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 5 avril 2012. En se fondant sur les conclusions de ce troisième procès, à l’occasion duquel il fut conclu que l’appelant avait manqué à son obligation de déclarer des sommes de 241 625 $, de 270 403 $, de 434 931 $, de 254 520 $ et de 272 910 $ respectivement pour les années comprises entre 1993 et 1997, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant sur la même base exactement.

 

[4]             Les faits essentiels sur lesquels l’appelant se fonde dans son avis d’appel sont énoncés à l’alinéa c) et sont reproduits ci‑dessous :

 

[traduction]

 

1.     Le 30 janvier 1996 et le 1er avril 996, l’Agence du revenu du Canada a signifié à l’appelant une demande péremptoire de renseignements et de production de documents, en application de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ce faisant, l’Agence du revenu du Canada a exercé son pouvoir de vérification.

 

2.     Entre septembre 1996 et mai 1997, l’appelant a fait l’objet d’une poursuite au pénal intentée en application de la Loi de l’impôt sur le revenu au motif qu’il avait manqué à son obligation de produire des renseignements et des documents. Le 1er mai 1997, il fut acquitté.

 

3.     En juin 1997, l’Agence du revenu du Canada a écrit au ministère de la Santé pour demander que soit produite une liste des sommes que le ministère de la Santé avait versées à l’appelant au titre des services médicaux que ce dernier avait rendus pendant les années d’imposition 1993 et 1994. Ce faisant, l’Agence du revenu du Canada a exercé son pouvoir de vérification.

 

4.     Le 25 mars 1999, l’Agence du revenu du Canada a obtenu et exécuté un mandat de perquisition au domicile et au cabinet de M. Klundert, en application de l’article 487 du Code criminel. Il s’agissait du point culminant d’une longue enquête pénale où il était question d’infractions présumées à la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

5.     Tout au long de l’année 1999, l’Agence du revenu du Canada a continué d’user de son pouvoir de vérification pour obtenir des renseignements utiles aux fins de l’enquête pénale en cours. Des demandes péremptoires de renseignements ont été signifiées à l’Assurance‑santé de l’Ontario, au Windsor Laser Eye Institute, à la Banque de Montréal et à la Banque Royale.

 

6.     Le 1er septembre 1999, l’Agence du revenu du Canada a écrit à la secrétaire de l’appelant, Mme Patricia Renaud, pour lui demander de produire des renseignements au sujet de la pratique d’optométriste de l’appelant. Ce faisant, l’Agence du revenu du Canada a encore une fois exercé son pouvoir de vérification.

 

7.     Le 13 mars 2001, l’Agence du revenu du Canada a écrit à Ann Barnes de la direction de l’inscription et des demandes de règlement du ministère de la Santé pour signifier une nouvelle demande péremptoire de renseignements relative à des sommes versées à M. Klundert. Ce faisant également, l’Agence du revenu du Canada a exercé son pouvoir de vérification.

 

8.     La preuve que l’Agence du revenu du Canada a recueillie au moyen de son pouvoir de vérification a servi à faire avancer une enquête pénale approfondie dont M. Klundert faisait l’objet.

 

[5]             Tels qu’ils ont été invoqués, les faits ne contiennent aucun renseignement précis eu égard aux renseignements qui ont été utilisées de manière inadéquate, seulement des énoncés généraux selon lesquels ces renseignements ont été recueillis auprès de tiers. Lors des débats, l’appelant a soutenu que, lors du premier procès, il a fait l’objet d’un contre-interrogatoire fondé sur les renseignements fournis par ces tiers, mais son avis d’appel ne fournit aucun détail et ne s’appuie sur aucun fait précis.

 

[6]             La thèse de l’appelant se trouve bien résumée dans son énoncé des faits, qui apparaît aux paragraphes 2 et 3 de ses observations écrites relatives aux requêtes :

 

[traduction]

 

2.      Pour résumer les faits que l’appelant a invoqués, il y a eu une période de chevauchement d’au moins 54 mois (de septembre 1996 à mars 2001) au cours de laquelle l’Agence du revenu du Canada a exercé sur l’appelant ses pouvoirs de vérification et d’enquête. Pendant ce temps, le mandat de perquisition délivré en application du Code criminel a été exécuté (le 25 mars 1999), offrant ainsi un fondement sur la base duquel des poursuites ont été engagées au pénal. Tout au long de l’année 1999, l’Agence du revenu du Canada a mené une vérification approfondie à l’égard de l’appelant, en signifiant des demandes péremptoire de renseignements à l’Assurance‑santé de l’Ontario, au Windsor Laser Eye Institute, à la Banque de Montréal, à la Banque Royale ainsi qu’à la secrétaire de l’appelant, Patricia Renaud. Aussi tard que le 31 mars 2001, un an avant la tenue du premier procès au criminel intenté contre l’appelant, l’Agence du revenu du Canada usait de son pouvoir de vérification en matière civile pour obtenir des renseignements au sujet de la situation financière de l’appelant.

 

3.      En réponse aux « autres faits pertinents » invoqués par l’intimée, et notamment aux alinéas 2e) et 2f) des observations écrites de cette dernière, l’appelant affirme que tout aveu obtenu lors des procès au pénal dont il a fait l’objet découlait d’une procédure pénale dans le contexte de laquelle il avait été confronté, à l’occasion du contre‑interrogatoire, aux éléments de preuve recueillis au moyen du pouvoir de vérification en matière civile de l’Agence du revenu du Canada. Les aveux qui ont été exposés ne servent qu’à insister sur le chevauchement qui existe entre les pouvoirs de vérification et d’enquête de l’Agence du revenu du Canada en l’espèce.

 

[7]             Par souci de clarté et pour bien situer le contexte, la référence susmentionnée aux alinéas 2e) et 2f) des observations écrites de l’intimée devrait en fait être une référence aux alinéas 4e) et 4f), dont voici le texte :

 

[traduction]

 

e)      Le 14 novembre 2008, s’exprimant au nom de la Cour d’appel de l’Ontario dans le contexte de l’appel interjeté à l’égard de l’acquittement prononcé en faveur de l’appelant relativement à l’accusation de fraude fiscale dont il avait fait l’objet pour les années d’imposition 1993 à 1997, le juge MacFarland a déclaré dans les motifs du jugement : « Il a été admis que, pendant la période en cause, le revenu total non déclaré par le défendeur, y compris les intérêts et le revenu tiré d’un REER, s’élevait à 1 474 389 $. »

 

f)      Le 20 mai 2010, au terme d’un troisième procès présidé par le juge Patterson de la Cour supérieure de justice, avec jury, l’appelant a été reconnu coupable de fraude fiscale aux termes de l’article 239 de la Loi, eu égard au fait qu’il avait manqué à son obligation de déclarer son revenu pour les années d’imposition 1993, 1994, 1995, 1996 et 1997 (les « années d’imposition »), lequel revenu s’élevait respectivement à 241,625 $, à 270 403 $, à 434 931 $, à 254 520 $ et à 272 910 $ pour chacune de ces années.

 

[8]             Essentiellement, l’appelant soutient que les renseignements obtenus au moyen du pouvoir d’enquête de l’ARC ont été utilisées aux fins de son enquête pénale et du procès pénal, contrairement à l’enseignement professé par la Cour suprême du Canada par l’arrêt R. c Jarvis, [2002] 3 RCS 757, par lequel il a été conclu que l’utilisation des fonctions de vérification aux fins d’une enquête pénale constituait une atteinte aux droits garantis par les articles 7 (le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne) et 8 (le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives) de la Charte, et, par conséquent, que tout élément de preuve obtenu par suite de telles fouilles inappropriées, y compris tout aveu fait par l’appelant dans le contexte de n’importe laquelle des instances pénales, doit être écarté en application du paragraphe 24(2) de la Charte, et qu’une telle violation était suffisamment grave pour que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et annule les nouvelles cotisations en totalité. Dans son avis d’appel, l’appelant n’a énoncé aucun fait pertinent pour présenter à la Cour les violations précises dont il se plaint.

 

[9]             Il convient toutefois de souligner que l’arrêt Jarvis a été rendu l’année au cours de laquelle s’est tenu le premier procès pénal de l’appelant, juste après ce procès, et, bien évidemment, avant le premier appel interjeté devant la Cour d’appel de l’Ontario et les deux autres procès. La décision rendue à l’occasion du troisième procès, avec jury, au terme duquel l’appelant fut finalement reconnu coupable en 2010, de nombreuses années après l’arrêt Jarvis, qui a été confirmé par la Cour d’appel de l’Ontario et à l’égard duquel la demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée, était la base sur laquelle l’ARC s’était fondée pour établir les nouvelles cotisations, comme il a été mentionné ci‑dessus. L’appelant admet qu’il n’a aucune idée de la raison pour laquelle son ancien avocat, qui était un avocat pénaliste reconnu, n’a invoqué l’argument fondé sur la Charte qu’il invoque maintenant dans aucune des instances criminelles engagées à l’endroit de l’appelant, instances qui, à une exception près, ont toutes eu lieu après la reddition de l’arrêt Jarvis. L’appelant fait néanmoins valoir que la prétendue violation de la jurisprudence Jarvis, même si elle était antérieure à celle-ci et nonobstant le fait qu’aucun argument s’y rapportant n’a été soulevé dans le contexte des procès et appels subséquents, y compris du procès final avec jury qui s’est tenu en 2010 et de l’appel qui en a découlé, doit être considérée comme une question en litige par la Cour, vu que cette question n’a pas encore été examinée, et par conséquent que l’argument de l’intimée relatif à la préclusion ne peut pas s’appliquer à des questions fondées sur la Charte qui se posent toujours devant la Cour.

 

Le droit applicable

 

[10]        En application des alinéas 53b) et c) des Règles, la Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, parce qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire, ou qu’il constitue un recours abusif à la Cour.

 

[11]        En application de l’alinéa 58(1)b) des Règles, une partie peut demander à la Cour de radier un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucun moyen raisonnable d’appel ou demander, en application de l’alinéa 58(3)a) des Règles, le rejet d’un appel au motif que la Cour n’a pas compétence sur l’objet de l’appel.

 

[12]        Il n’est pas controversé entre les parties qu’il faut satisfaire à une norme rigoureuse pour radier un acte de procédure; c’est‑à‑dire, comme l’enseigne la Cour suprême du Canada par l’arrêt Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la page 980, qu’il doit être « évident et manifeste » que l’acte de procédure en cause « ne révèle aucune cause d’action […] fondée ».

 

[13]        La jurisprudence enseigne que le défaut de révéler une cause d’action fondée peut découler de nombreuses raisons, y compris du fait de demander une mesure ne relevant pas de la compétence dans le Cour, comme cela a été le cas dans l’affaire Hardtke c Canada, 2005 CCI 263, 2005 DTC 676, ou du fait d’appliquer les doctrines de la préclusion, de la contestation incidente et de l’abus de procédure, lesquelles empêchent la Cour de juger à nouveau des questions qui ont été déjà tranchées par un autre tribunal compétent, ou simplement du fait de n’invoquer aucun fait pertinent montrant l’existence d’une cause d’action. En l’espèce, l’intimée a remis en cause l’avis d’appel de l’appelant pour toutes ces raisons, et je procéderai donc à l’analyse de ces raisons.

 

L’acte de procédure ne révèle aucun moyen et la Cour n’a pas la compétence voulue pour accorder la mesure demandée

 

[14]        L’intimée fait valoir que l’appelant n’a invoqué aucun fait qui permettrait à la Cour d’exercer les pouvoirs que lui confère l’article 171 de la Loi de rejeter l’appel ou de l’admettre en le modifiant, en l’annulant ou en déférant la nouvelle cotisation au ministre du Revenu national (le « ministre ») pour nouvel examen et nouvelle cotisation. En fait, l’appelant n’a pas contesté le montant de nouvelle cotisation, ou des éléments ayant servi à établir cette nouvelle cotisation, comme le montant des dépenses déductibles, de quelque manière que ce soit. Il semble que l’appelant n’a invoqué aucuns faits qui, s’ils s’avéraient exacts, autoriseraient la Cour à exercer n’importe lequel des pouvoirs que lui confère l’article 171 de la Loi d’admettre l’appel relatif aux nouvelles cotisations en cause, et donc, à première vue, l’appelant ne semble pas avoir invoqué de faits pertinents susceptibles de donner lieu à un moyen; le seul pouvoir que la Cour peut exercer est donc celui de rejeter l’appel. L’intimée ajoute que, en l’espèce, la Cour n’a pas la compétence voulue pour prononcer le jugement déclaratoire que demande l’appelant et exclure les éléments de preuve de la vérification au civil.

 

[15]        Toutefois, l’appelant soutient que la violation présumée des droits qu’il tirait de la Charte lors du premier procès devrait suffire pour faire admettre et annuler l’appel vu que la Cour a le pouvoir d’accorder des mesures discrétionnaires en application du paragraphe 24(2) de la Charte, et, en fait, la Cour d’appel fédérale a confirmé que notre Cour disposait de vastes pouvoirs dans le cas d’une telle violation dans l’arrêt Canada c O’Neill Motors Ltd., [1998] 4 CF 180, dans lequel le juge Linden s’est ainsi exprimé :

 

Lorsque des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte à la Charte, l’article 24 de la Charte permet d’accorder une réparation autre que l’exclusion de la preuve. À mon avis, il est faux de prétendre, comme le fait l’avocat du ministère public, que l’arrêt R. c. Therens et autres, précité, interdit d’accorder une réparation autre que l’exclusion de la preuve lorsque celle-ci est obtenue de façon inconstitutionnelle. Le paragraphe 24(2) permet expressément la réparation qui consiste à écarter cette preuve, mais il ne retire pas à la Cour le pouvoir général que lui confère le paragraphe 24(1) d’accorder la réparation qu’elle estime « convenable et juste ». […]

 

[16]        L’appelant cite également la décision Campbell c La Reine, 2004 CCI 460, 2004 DTC 3502, où notre Cour s’est fondée sur l’arrêt O’Neill Motors, précité, pour annuler la cotisation vu que le seul élément de preuve susceptible de fonder la cotisation avait été, de l’aveu de la Couronne, obtenu de manière illégale, et qu’une fois cet élément de preuve exclu, il ne subsistait aucun élément de preuve sur lequel le ministre pouvait fonder sa cotisation.

 

[17]        Il est alors clair que la Cour a la compétence voulue pour non seulement prononcer un jugement déclaratoire selon lequel les éléments de preuve doivent être jugés irrecevables lorsque les circonstances le permettent, mais également pour exercer le pouvoir que lui confère l’article 171 de la Loi d’annuler une cotisation lorsque, une fois que ces éléments de preuve irrecevables ont été exclus, le ministre n’a plus d’autre élément de preuve sur lequel fonder sa cotisation.

 

[18]        La question qui reste à trancher est de savoir si l’appelant a invoqué suffisamment de faits pour permettre à la Cour, dans le cas où celle-ci jugerait que ces faits sont exacts, d’annuler la nouvelle cotisation comme l’appelant le demande, en fait, quand il demande à titre de mesure que tous les aveux et les éléments de preuve obtenus de manière inappropriée soient jugés irrecevables devant la Cour. Bien sûr, dans sa requête en modification de son avis d’appel, l’appelant demande expressément à ce que lui soit accordée la mesure consistant à annuler (« quashing » en anglais) la nouvelle cotisation, ce que je considère comme une demande d’annulation de ces nouvelles cotisations au sens de la Loi (« vacated » en anglais).

 

[19]        Le problème auquel je fais face est que les actes de procédure font référence à des évènements chronologiques qui ne donnent à entendre qu’il y a eu violation que si l’examen du ministre avait pour objet prédominant d’obtenir les renseignements à des fins pénales, conformément au critère consacré par la jurisprudence Jarvis, et que de tels renseignements ont été utilisées à ces fins. L’appelant n’a invoqué absolument aucun fait relatif aux renseignements qui ont été obtenus de manière inappropriée, ou à quand ils ont été obtenus, ou à de quelle façon, voire même si de tels renseignements ont même été utilisés. Par l’arrêt Jarvis, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il n’était pas interdit de mener des enquêtes parallèles à des fins civiles et pénales. À la page 762, la Cour suprême du Canada a observé :

 

[…] Lorsqu’un vérificateur a examiné ou exigé un document en vertu des par. 231.1(1) et 231.2(1), on ne peut véritablement prétendre que le contribuable s’attendait raisonnablement à ce que le vérificateur en préserve la confidentialité. Par conséquent, aucune règle générale n’empêche les vérificateurs de transmettre à l’enquêteur des dossiers contenant des renseignements de vérification obtenus valablement. Rien n’empêche non plus l’ADRC de mener parallèlement une enquête criminelle et une vérification administrative. Toutefois, si l’ADRC mène simultanément une vérification administrative et une enquête criminelle, les enquêteurs ne peuvent utiliser que les renseignements obtenus conformément aux pouvoirs de vérification avant le début de l’enquête criminelle. […]

 

[20]        L’appelant doit faire plus que formuler des déclarations générales invitant la Cour à conjecturer. Ses actes de procédure doivent contenir un exposé concis et suffisamment précis des faits substantiels sur lesquels il se fonde pour que notre Cour et l’intimée soient au fait de chaque moyen à examiner de manière appropriée. En l’espèce, l’appelant n’a rien fait de cela. Dans l’arrêt Simon c Canada, 2011 CAF 6, 2011 DTC 5016, la juge Dawson s’est ainsi exprimée, au paragraphe 18 :

 

[18]      L’exigence selon laquelle l’acte de procédure doit contenir un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde est une exigence technique ayant un sens précis en droit. Chaque élément constitutif d’une cause d’action doit être invoqué avec suffisamment de détails. Un récit des faits et du moment où ces faits se sont déroulés risque de ne pas remplir les exigences des Règles. […]

 

[21]        C’est ce même sentiment que la Cour d’appel fédérale a exprimé par l’arrêt Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CA184, [2010] GST 105 (CAF), dans lequel le juge Stratas s’est fondé sur la décision que la Cour d’appel fédérale avait rendue antérieurement à l’occasion de l’affaire Vojic v Canada (MRN), 87 DTC 5384 (CAF), pour confirmer que, quand un acte de procédure « contien[t] une série de conclusions ne fournissant aucun fait substantiel pour les appuyer », alors « [l]a simple affirmation d’une conclusion sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer ne constitue pas une allégation d’un fait essentiel ».

 

[22]        Dans l’arrêt Nelson v Canada (ministre de l’Agence des douanes et du revenu), 2001 DTC 5644, le juge Rouleau a également observé, au paragraphe 15 :

 

[15]      […] En général, il faut tenir pour vrais les faits énoncés dans la déclaration, mais pour déterminer si celle‑ci révèle une cause d’action valable, on ne peut se fonder sur des hypothèses et sur des spéculations et on ne peut considérer ces faits comme vrais pour la seule raison que le demandeur les mentionne, vu l’absence de faits susceptibles d’appuyer les allégations en question. […]

 

[23]        Les actes de procédure ne contiennent aucun élément de preuve permettant à notre Cour de conclure qu’il y a eu violation des droits garantis à l’appelant par la Charte. Contrairement à ce qui s’est passé lors de l’affaire O’Neill Motors, précitée, l’intimée n’a admis en aucune manière qu’elle avait obtenu la preuve de manière illégale, pas plus que la Cour supérieure de justice de l’Ontario n’a formulé de conclusion en ce sens, en dépit du fait que l’appelant a eu de multiples occasions d’invoquer une telle question tant devant les juridictions de première instance que d’instance supérieure. En résumé, notre Cour ne dispose d’aucun élément de preuve, conclusion ou argument qui lui permettrait de conclure que les actes de procédure suffisent à établir un quelconque moyen. Nous ne disposons que de conjectures, de spéculations et d’insinuations. Cela ne suffit pas à satisfaire au critère qui permettrait d’affirmer que l’appelant a la moindre chance d’avoir gain de cause. 

 

[24]        Lorsque des droits fondamentaux tels que les droits garantis par la Charte sont en cause, j’ai probablement davantage tendance à prononcer une ordonnance accueillant une requête en modification d’un avis d’appel, mais, en l’espèce, la requête en modification de l’avis d’appel présentée par l’appelant a pour seul but d’ajouter la mesure additionnelle consistant à annuler les nouvelles cotisations et n’établit aucun fait substantiel qui permettrait à notre Cour d’examiner la question de manière appropriée. Par conséquent, sur le fondement des seuls actes de procédure, je rejetterais l’avis d’appel; toutefois, l’affaire doit également être examinée au regard de son contexte global et après avoir pris en considération les autres motifs sur lesquels l’intimée s’est fondée, vu qu’au bout du compte, les arguments invoqués par l’appelant conduisent à examiner la violation présumée de la Charte.

 

La préclusion, la contestation incidente et l’abus de procédure

 

[25]        L’intimée soutient que le principe de la préclusion empêche l’appelant de remettre en cause la nouvelle cotisation vu que la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qui était compétente pour instruire les procès en matière de fraude fiscale intentés contre l’appelant relativement au montant d’impôt dû par l’appelant, a tranché l’affaire de manière définitive. Les trois conditions préalables de la doctrine de la préclusion sont énoncées au paragraphe 23 de l’arrêt Toronto (City) c CUPE, Local 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77 : 

 

[23]      La préclusion découlant d’une question déjà tranchée est un volet du principe de l’autorité de la chose jugée (l’autre étant la préclusion fondée sur la cause d’action), qui interdit de soumettre à nouveau aux tribunaux des questions déjà tranchées dans une instance antérieure.  Pour que le tribunal puisse accueillir la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, trois conditions préalables doivent être réunies : (1) la question doit être la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure; (2) la décision judiciaire antérieure doit avoir été une décision finale; (3) les parties dans les deux instances doivent être les mêmes […]

[Souligné dans l’original.]

 

[26]        Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’en ce qui concerne la question de la conclusion relative au revenu non déclaré et du montant de la nouvelle cotisation, on ne peut nier que les conditions ont toutes été remplies, y compris celle de la décision finale, quand la Cour suprême du Canada a refusé la demande de l’appelant de se pourvoir devant elle pour en appeler des conclusions du troisième procès, qui ont été confirmées par la Cour d’appel de l’Ontario.

 

[27]        Il est bien établi par la jurisprudence que le principe de la préclusion peut s’appliquer aux instances civiles dans lesquelles la décision judiciaire créant la préclusion était fondée sur une déclaration de culpabilité prononcée dans le contexte d’une affaire pénale. Ce principe a été suivi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Van Rooy v Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 88 DTC 6323 (CAF), et par la Cour dans les décisions Holub c Canada, [1996] ACI no 1784 (QL), et Mortensen c Canada, 2010 CCI 177, 2010 DTC 1133; il s’agissait d’affaires dans lesquelles les appelants ont été déclarés coupables de fraude fiscale et les cotisations ont été fondées sur cette base.

 

[28]        L’appelant soutient, toutefois, que ni la Cour supérieure de justice de l’Ontario ni les cours d’appel n’ont tranché la question relative à la Charte et, par conséquent, qu’il s’agit encore d’une [traduction] « question concrète » que la Cour est libre d’examiner, et que, même si les trois conditions préalables à l’application du principe de la préclusion sont remplies, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de ne pas rejeter l’appel. Au paragraphe 21 de la décision Stanley J. Tessmer Law Corp. c Canada, 2008 CCI 469, [2008] ACI no 392 (QL), le juge Campbell de la Cour a observé :

 

[21]      Compte tenu de tous ces arguments, je constate qu’il existe en l’espèce un nombre suffisant de circonstances justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré pour conclure que les éléments permettant le recours au principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne sont pas présents. Même si les conditions étaient remplies, j’estime devoir examiner les circonstances de l’affaire dans leur ensemble pour me prononcer sur l’application éventuelle du principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée. La préclusion ne doit jamais jouer de façon arbitraire. Il n’est pas évident que les passages des avis d’appel concernant les moyens constitutionnels invoqués soient si frivoles et vexatoires et constituent un recours si abusif à la procédure qu’ils doivent être radiés.

 

[29]        L’appelant cherche à se fonder sur la jurisprudence Tessmer, précitée; à savoir que le juge a le pouvoir discrétionnaire d’appliquer le principe de la préclusion et peut considérer que les questions en litige n’ont pas été tranchées en totalité par d’autres juges, et cela a été également confirmé par notre Cour par la décision MacIver c La Reine, 2005 CCI 250, 59 DTC 654, dans laquelle, en dépit du fait que l’appelant avait été déclaré coupable de fraude fiscale, seule la question du revenu non déclaré avait été tranchée et non celle des dépenses déductibles, et, par conséquent, cette dernière question était une question concrète que la Cour devait examiner. Dans l’affaire Roberston c La Reine, 2007 CC472, [2007] ACI no 576 (QL), la Cour a également rejeté une requête en annulation au motif qu’il se pouvait que l’appelant ait soulevé une question constitutionnelle que la Cour devait examiner. Bien que la jurisprudence Robertson ne soit pas fondée sur le principe de la préclusion, l’appelant nous invite à la suivre car elle enseigne que la Cour est réticente à accorder une annulation quand il se peut que des questions fondamentales soient encore en jeu.

 

[30]        Contrairement à l’affaire MacIver, à l’occasion de laquelle la Cour a conclu qu’il n’était pas certain que la cotisation ait été entièrement établie par le tribunal pénal, aucun argument n’a été invoqué en l’espèce pour remettre en cause le montant de la nouvelle cotisation. Le seul argument invoqué par l’appelant est qu’il se peut qu’il y ait eu violation des droits qu’il tire de la Charte au regard d’une instance pénale, laquelle ne constituait pas le fondement de la déclaration de culpabilité pour fraude fiscale sur laquelle l’intimée s’est fondée pour invoquer le principe de la préclusion (c’est le troisième procès, avec jury, qui s’est tenu en 2010 qui constitue un tel fondement, comme il a été précisé plus tôt), et que la question de savoir si les éléments de preuve qui ont été obtenus de manière inappropriée ont été utilisés dans le contexte de ce premier procès, ou de toute instance subséquente comme il est sous‑entendu, n’a jamais été tranchée.

 

[31]        Bien que je trouve l’argument de l’appelant peu plausible et que je pense qu’il est peu probable qu’il ait gain de cause s’il devait plaider cette question particulière devant un juge de notre Cour, compte tenu de l’insuffisance de ses actes de procédure, je dois admettre que, même si je considère ses chances comme des plus minces dans les circonstances, il ne convient pas de rejeter son appel sur le seul fondement du principe de la préclusion. L’appelant soutient à juste titre que la question relative à la Charte n’a pas été tranchée par un juge compétent et que, par conséquent, une des conditions préalables à l’application du principe de la préclusion n’est pas remplie – du fait du défaut par l’appelant lui‑même de soulever cette question.   

 

[32]        Nonobstant ce qui précède, la jurisprudence reconnaît que des considérations similaires peuvent s’appliquer aux doctrines de la préclusion, de l’abus de procédure et des contestations incidentes, et elle opère également une distinction entre les philosophies de ces doctrines. Au paragraphe 37 de l’arrêt Toronto (City), la Cour suprême du Canada s’est exprimée en ces termes :

 

[37]      Dans le contexte qui nous intéresse, la doctrine de l’abus de procédure fait intervenir [traduction] « le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière […] qui aurait […] pour effet de discréditer l’administration de la justice » […]

 

[33]        Dans le même paragraphe, la Cour a ensuite cité le juge Goudge de la Cour d’appel de l’Ontario, allant dans le sens de l’arrêt rendu par la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Canam Enterprises Inc. c Coles, 2002 CSC 63, [2002] 3 RCS 307; le juge Goudge s’était attardé sur le concept de la doctrine :

 

[traduction]  La doctrine de l’abus de procédure engage le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que sa procédure soit utilisée abusivement, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait autrement pour effet de discréditer l’administration de la justice.  C’est une doctrine souple qui ne s’encombre pas d’exigences particulières telles que la notion d’irrecevabilité. […]

 

[34]        Essentiellement, je conclus que le fait que l’appelant ait manifestement omis de soulever la question relative à la violation des droits qu’il tire de la Charte à l’occasion des instances antérieures devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario et à l’occasion de sa demande de pourvoi devant la Cour suprême du Canada au cours de la période comprise entre 2002 et 2012, et qu’il ait ensuite soulevé la question en l’espèce, constitue un abus de procédure extrême à l’égard de notre Cour, un abus qui reviendrait à ce que la Cour, s’il était fait droit à la demande de l’appelant, usurpe la compétence des cours précitées et se place elle-même dans le rôle d’une cour d’appel, ce qui serait ridicule.

 

[35]        En fait, l’appelant demande à la Cour de trancher la question de savoir si les éléments de preuve obtenus à l’occasion de la vérification menée en matière civile ont été utilisés, de manière inappropriée, en vue d’obtenir qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée à son encontre au pénal, alors qu’il aurait dû le demander à ces autres cours, qui avaient la compétence voulue pour trancher cette question. Cette question est du ressort exclusif de la justice ontarienne. L’appelant allègue que, si elle n’a pas tranché cette question, même s’il n’a pas soulevé la question dans le cadre des instances qui ont eu lieu devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Ontario, ou dans le contexte de la demande de pourvoi devant la Cour suprême du Canada, la Cour a d’une manière ou d’une autre la compétence voulue pour être saisie de sa thèse. Je ne puis abandonner en son sens. C’est une chose pour notre Cour d’accepter que la décision rendue par les juges compétents relativement au caractère admissible d’une telle preuve s’applique à l’instance qui se tient devant elle, comme notre Cour l’a fait dans  les affaires Holub et MacIver, précitées, cela en est tout une autre de donner à soutenir que notre Cour, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 24(2) de la Charte, doit accepter de connaître de questions qui ne sont pas de son ressort simplement parce que les juges qui avaient la compétence voulue pour être saisies de ces questions en premier lieu ne les ont pas entendues.

 

[36]        Par conséquent, je ne peux pas convenir du fait que la Charte défère à notre Cour, par l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il est question au paragraphe 24(2), le pouvoir de connaître des questions de fraude fiscale. J’accepte toutefois que, quand un juge compétent a conclu qu’il y avait eu violation de la Charte, notre Cour a alors la compétence voulue pour accorder une mesure discrétionnaire, comme le fait d’annuler une cotisation quand, une fois qu’il a été établi qu’il y a eu violation, il ne reste aucun élément de preuve sur la base duquel notre Cour peut rejeter l’appel, ou modifier la cotisation d’une quelconque manière, ou la déférer au  ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en application de l’article 171 de la Loi. En l’espèce, aucun juge compétent en matière de fraude fiscale n’a établi qu’une telle violation des droits garantis par la Charte s’était produite, et aucun fait ni élément de preuve dont la véracité présumée étayerait pareille allégation n’a été invoqué ni produit. En outre, je ne suis pas disposé à exercer quelque pouvoir discrétionnaire que ce soit pour accorder à l’appelant les mesures qu’il demande, quelque soient les pouvoirs discrétionnaires dont notre Cour dispose en l’espèce, parce que cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[37]        Il importe de souligner que l’appelant admet qu’il n’a soulevé la question en litige en l’espèce dans les trois procès, les deux appels ou la demande de pourvoi dont il a été question ci‑dessus, et qu’il n’a aucune idée de la raison pour laquelle cela n’a pas été fait. Si l’appelant lui‑même n’a pas jugé qu’il convenait de soulever la question relative à la Charte devant les juges compétents dès le départ, surtout quand on considère que la défense qu’il a présentée dans le contexte de ses procès pour fraude fiscale était fondée sur l’affirmation selon laquelle il n’avait aucune intention de se rendre coupable de fraude fiscale, mais souhaitait seulement protester contre ce qu’il considérait comme des mesures gouvernementales illicites ou contre la validité constitutionnelle du pouvoir d’imposition et de recouvrement du gouvernement fédéral, je ne vois certainement pas comment cette question peut maintenant être soulevée pour la première fois devant notre Cour. En outre, vu le fait que l’arrêt Jarvis n’avait même pas encore été rendu à l’époque du premier procès, il n’y avait aucun moyen légal exécutoire interdisant à l’intimée d’user de tels renseignements obtenus dans le contexte de la vérification, si c’est bien ce qui a été fait; aucun fait substantiel n’a été invoqué qui permettrait à la Cour de conclure que tel était le cas de toute manière. L’arrêt Jarvis est intervenu après le premier procès, avant que le premier appel soit entendu et avant que les procédures relatives au deuxième et au troisième procès commencent. Je ne comprends donc pas comment l’appelant a de quelque manière que ce soit été privé des droits qu’il tire de la Charte en premier lieu. Vu que sa défense à l’égard des accusations pénales portées contre lui était fondée sur des arguments constitutionnels, il était bien au fait des questions constitutionnelles et relatives à la Charte.

 

[38]        Bien franchement, se présenter devant notre Cour après être allé jusqu’à la Cour suprême du Canada ne constitue rien de moins qu’un abus de procédure flagrant et une tentative frivole de placer notre Cour dans la position d’une cour d’appel par rapport à ces cours supérieures. Je ne suis pas disposé à jouer un rôle aussi ridicule et irrespectueux. L’appelant ne fait rien de plus que de s’efforcer de faire juger à nouveau par la Cour la même question qui a été entendue, ou aurait dû l’être, devant les juges ontariens, ce qui va à l’encontre de la doctrine de la contestation incidente, comme l’intimée l’a allégué, et constitue un abus de procédure flagrant qui ne saurait être toléré.

 

[39]        Par conséquent, vu que l’avis d’appel ne fait état d’aucun fait permettant d’établir une cause d’action et qu’il constitue un abus de procédure flagrant, la requête de l’intimée en rejet de l’appel est accueillie et la requête de l’appelant en modification de son avis d’appel en vue d’obtenir l’annulation de la nouvelle cotisation est rejetée. Les dépens sont adjugés à l’intimée dans ces requêtes.

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juin 2013.

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de novembre 2013.

 

 

François Brunet, réviseur

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 208

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2012-4293(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Jack Klundert c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Victoria (Colombie‑Britannique)

                                                                      

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 juin 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge F. J. Pizzitelli

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 21 juin 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me Christopher D. R. Maddock, c.r.

Me Jeremy Maddock

 

Avocates de l’intimée :

Me Michelle Casavant

Me Whitney Dunn

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

               Nom :                                 Christopher D. R. Maddock, c.r.

                                                          Jeremy Maddock

 

               Cabinet :                            s.o.

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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