Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2003-3382(GST)G

ENTRE :

506913 N.B. LTD.,

requérante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

ET ENTRE :

Dossier : 2003-3383(GST)G

 

CAMBRIDGE LEASING LTD.,

requérante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Requête entendue les 16 et 17 avril 2012 et du 13 au 16 novembre 2012,

à Fredericton (Nouveau‑Brunswick).

 

Devant : L’honorable juge Steven K. D'Arcy

 

Comparutions :

Avocats des requérantes :

Me Eugene Mockler, c.r.

Me Kevin Toner

Avocats de l’intimée :

Me John P. Bodurtha

Me Jan Jensen

Me Devon E. Peavoy

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

Après avoir entendu les parties;

          Conformément aux motifs de l’ordonnance ci‑joints :

 

a)            La requête des requérantes en irrecevabilité et en exclusion de la preuve à l’audience, en vertu des articles 8 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, de tous les documents, y compris des documents comptables, factures, bons de commande, documents bancaires, copies d’écran, registres des ventes, grands livres, journaux et factures de transport, et de certains renseignements recueillis par l’intimée et par ses employés, agents, fonctionnaires, vérificateurs et enquêteurs ainsi que les agents de la GRC, dans le contexte des vérifications et de l’enquête qui auraient été menées à l’égard des requérantes entre 1998 et le 31 juillet 2007, ainsi que de tous les calculs, évaluations et feuilles de calculs électroniques afférents, documents comptables, mémoires, courriels, notes de service, lettres, brochures d’informations et interrogatoires et dépositions de témoins recueillis, en tout ou en partie, sur le fondement des renseignements en cause, est rejetée;

 

b)           Les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 2013.

 

 

« S. D’Arcy »

Juge D’Arcy

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2014.

 

 

François Brunet, réviseur 


 

 

 

Référence : 2013 CCI 209

Date : 20130624

Dossier : 2003-3382(GST)G

 

 

 

ENTRE :

506913 N.B. LTD.,

requérante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

ET ENTRE :

Dossier : 2003-3383(GST)G

 

CAMBRIDGE LEASING LTD.,

requérante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

Le juge D’Arcy

 

[1]             Les requérantes ont présenté une requête en exclusion de la preuve de certains documents à l’audition de leur appel. La formulation exacte de la requête est jointe aux présents motifs, en tant qu’annexe A.

 

[2]             Il semble que les requérantes demandent à la Cour d’exclure l’ensemble des éléments de preuve recueillis par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») au cours des vérifications et des enquêtes que celle‑ci a menées à leur égard. Les documents en cause comprennent tous les documents énoncés à l’annexe A de la liste de documents de l’intimée (communication partielle) et presque tous les documents figurant dans la liste de divulgation relative à un procès au pénal auquel les requérantes étaient parties. L’avis de requête renvoie également à des documents obtenus par des agents de la GRC.

 

[3]             Dans la partie II de leur mémoire à l’appui de la requête, les requérantes déclarent que les questions que la Cour doit examiner sont les suivantes :

 

1.                 Dans les circonstances, les droits que tirent les requérantes de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») ont‑ils été violés, et plus précisément, les représentants, les vérificateurs et les enquêteurs du ministre du Revenu national (le « ministre ») ont‑ils mené, de manière inappropriée, une enquête pénale sous couvert de l’exercice de leur pouvoir de vérification?

 

2.                 Les perquisitions ainsi que les saisies de documents et de dossiers qui ont été effectuées, aux termes d’autorisations judiciaires, par les vérificateurs et les enquêteurs de l’ARC ainsi que par des agents de la GRC étaient‑elles illégales, et par conséquent, contrevenaient‑elles à l’article 8 de la Charte du fait qu’elles étaient fondées sur des éléments de preuve obtenus de manière illégale, comme il a été déclaré dans le mémoire à l’appui de la requête, ce qui permettrait ainsi aux requérantes d’obtenir une ordonnance en exclusion de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte?

 

[4]             Les requérantes se sont fondées sur les affidavits souscrits par M. David Daley le 24 février 2011 (l’« affidavit de M. Daley ») et par M. Allen Skaling le 27 janvier 2012 (l’« affidavit de M. Skaling »). Pendant la période en cause, M. Daley était le président et le directeur des requérantes et il en possédait 50 % des actions. Pendant la période en cause, M. Skaling était le contrôleur et le secrétaire‑trésorier des requérantes.

 

[5]             Un certain nombre de documents ont été joints aux affidavits de MM. Daley et Skaling, y compris les transcriptions de l’interrogatoire préalable à la présente instance de M. Ron MacIntyre, agent de l’ARC (l’« interrogatoire préalable de M. Macintyre ») et les transcriptions d’une procédure de voir‑dire qui s’est tenue devant la cour provinciale du NouveauBrunswick (le « voir‑dire »)[1]. Le voir‑dire s’est tenu pendant le procès au criminel de M. Daley et des requérantes, sur lequel je reviendrai brièvement.

 

L’historique de la procédure

 

[6]             La requérante 506913 N.B. Ltd. (« 506913 ») interjette appel d’une nouvelle cotisation établie à son égard par le ministre pour ses périodes de déclaration de la TPS qui se sont terminées entre le 1er mai 1998 et le 31 octobre 2000. La nouvelle cotisation a augmenté de 5 627 882 $ la taxe nette de 506913. Le ministre a également imposé des pénalités et des intérêts de 1 253 746 $, ainsi que des pénalités pour faute lourde de 1 374 854 $.

 

[7]             La requérante Cambridge Leasing Ltd. (« Cambridge ») interjette appel d’une cotisation établie à son égard par le ministre pour ses périodes de déclaration de la TPS qui se sont terminées entre le 1er novembre 2000 et le 31 décembre 2000. La nouvelle cotisation a augmenté de 498 031 $ la taxe nette de Cambridge. Le ministre a également imposé des pénalités et des intérêts de 51 934 $, ainsi que des pénalités pour faute lourde de 124 508 $.

 

[8]             Les requérantes font l’objet de deux autres poursuites judiciaires pertinentes. Les requérantes, ainsi que M. Daley, ont fait l’objet d’une poursuite au pénal devant la Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick.

 

[9]             En outre, les requérantes et leurs dirigeants ont intenté une poursuite au civil contre des employés de l’ARC et contre le Procureur général du Canada devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick (la « poursuite au civil »).

 

[10]        En ce qui concerne le présent appel, j’ai présidé une conférence préparatoire à l’instruction le 28 janvier 2011. Le 7 février 2011, j’ai rendu une ordonnance prévoyant le dépôt par les requérantes d’une requête en contestation de la recevabilité à l’audience de certains documents. Le 28 février 2011, les requérantes ont déposé une requête. Leur requête n’était pas conforme aux termes de l’ordonnance que j’avais rendue le 7 février 2011.

 

[11]        Le 23 mars 2011, j’ai rendu une seconde ordonnance enjoignant aux requérantes de retirer la requête qu’elles avaient déposée le 28 février 2011 et de déposer une nouvelle requête conforme aux termes de mon ordonnance du 7 février 2011. La Cour a également fourni des instructions détaillées à l’égard du contenu de la nouvelle requête. Le 3 février 2012, les requérantes ont alors déposé la présente requête à la Cour (la « requête principale »).

 

[12]        Le 15 mars 2012, l’intimée a déposé une requête en radiation de certains affidavits produits par les requérantes à l’appui de la requête principale, ou, à titre subsidiaire, en radiation de certains paragraphes précis des affidavits ainsi que des pièces afférentes. La requête de l’intimée soulevait trois questions :

1.     la question de savoir si certains documents devaient être exclus du fait qu’ils sont couverts par le privilège du secret professionnel de l’avocat;

 

2.     la question de savoir s’il était interdit aux requérantes d’utiliser la transcription de l’interrogatoire préalable d’un représentant de l’ARC dans le cadre de la poursuite au civil; 

 

3.     la question de savoir si certaines parties des divers affidavits devaient être radiées en raison de la nature des déclarations qu’ils contenaient.

 

[13]        J’ai entendu la requête de l’intimée sur trois jours en avril 2012 et j’ai rendu ma décision verbalement le 16 avril 2012. Mes conclusions étaient les suivantes :

 

1.     par ses agissements, l’intimée a implicitement renoncé au privilège du secret professionnel de l’avocat;

 

2.     l’interrogatoire préalable verbal de M. Ron MacIntyre dans le contexte de la poursuite au civil devait être retiré des affidavits, parce qu’il tombait sous le coup de la règle de l’engagement implicite; 

 

3.     de nombreuses déclarations apparaissant dans les affidavits devaient être radiées, vu qu’elles sont constituées de conjectures, d’opinions, d’arguments et/ou de conclusions juridiques.

 

[14]        Après que j’eus rendu ma décision à l’égard de la requête de l’intimée, MM. Skaling et Daley ont été contre‑interrogés relativement à leur affidavit. Les requérantes ont alors demandé l’ajournement de l’audition de la requête principale pour avoir le temps de présenter une requête devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick, pour que cette cour écarte la règle de l’engagement implicite. Je leur ai accordé l’ajournement qu’elles demandaient.

 

[15]        Le 3 juillet 2012, le juge Rideout de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick a rejeté la requête des requérantes visant à être [traduction] « […] dispensées de leur obligation de respecter leur engagement implicite […] »[2].

 

[16]        La première question que j’examinerai est de savoir si les représentants, les vérificateurs et les enquêteurs du ministre ont mené une enquête pénale sous couvert de l’exercice de leur pouvoir de vérification.

 

La question de la vérification par opposition à l’enquête criminelle

 

[17]        Les dispositions pertinentes de la Charte sont les articles 8 et 24. L’article 8 de la Charte précise que « [c]hacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». L’article 24 de la Charte est ainsi libellé :

 

(1)               Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

 

(2)               Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[18]        Je dois d’abord établir s’il y a eu violation des droits garantis par l’article 8. Le cas échéant, je devrai alors rechercher si la Cour doit exclure des éléments de preuve en application du paragraphe 24(2) de la Charte.

 

Le droit

 

[19]        Les attentes des contribuables en matière de protection de la vie privée demeurent très faibles en ce qui a trait à leurs registres commerciaux utiles à la détermination de leur assujettissement à l’impôt[3]. Comme la Cour suprême du Canada l’a signalé dans l’arrêt R. v. Jarvis[4] :

 

En ce qui concerne l’application de l’art. 8 de la Charte, l’arrêt McKinlay Transport, précité, établit clairement que le droit au respect de la vie privée du contribuable est très restreint en ce qui concerne les documents et registres qu’il doit tenir conformément à la LIR et produire au cours d’une vérification. En outre, lorsque le vérificateur a examiné ou exigé un document en vertu des par. 231.1(1) et 231.2(1), on ne peut véritablement prétendre que le contribuable s’attendait raisonnablement à ce que le vérificateur en préserve la confidentialité. Comme le juge en chef Laskin l’a affirmé dans l’arrêt Smerchanski, précité, p. 32, il est bien établi qu’« [a]ucune déclaration d’impôt n’échappe à la menace de poursuites en cas de déclaration frauduleuse délibérée ». Il s’ensuit donc que rien n’empêche les vérificateurs de transmettre leurs dossiers, qui renferment des documents de vérification validement obtenus, aux enquêteurs. Ainsi, aucun principe d’immunité contre l’utilisation n’empêche les enquêteurs, dans l’exercice de leur fonction d’enquête, d’utiliser des éléments de preuve obtenus dans l’exercice régulier de la fonction de vérification de l’ADRC. En ce qui concerne les renseignements validement obtenus au cours d’une vérification, il n’existe pas non plus de principe d’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée qui exigerait du juge de première instance qu’il applique le critère « n’eût été » formulé dans S. (R.J.), précité. Lorsque des renseignements validement contenus dans le dossier du vérificateur révèlent un élément de preuve particulier, les enquêteurs peuvent l’utiliser.

 

[20]        Toutefois, par cet arrêt, la Cour suprême du Canada enseigne qu’il faut traiter différemment les vérifications de conformité et les enquêtes pour fraude fiscale. La Cour suprême du Canada a résumé ses conclusions de la manière suivante :

 

[…] Bien qu’un contribuable soit tenu par la loi de coopérer avec les vérificateurs de l’ADRC aux fins d’évaluation de son obligation fiscale (et passible de peines réglementaires à cet égard), une relation de nature contradictoire se cristallise entre le contribuable et les agents du fisc dès qu’un examen effectué par l’un de ces agents a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable.  À partir de ce moment, les garanties constitutionnelles contre l’auto‑incrimination interdisent aux agents de l’ADRC qui enquêtent sur des infractions à la LIR d’avoir recours aux puissants mécanismes d’inspection et de demande péremptoire établis par les par. 231.1(1) et 231.2(1).  Lorsqu’ils exercent ainsi leur pouvoir d’enquête, les agents de l’ADRC doivent plutôt obtenir des mandats de perquisition pour mener leur enquête[5].

 

[21]        La décision que la Cour suprême du Canada a rendue à l’occasion de l’affaire Jarvis concerne les interventions des agents de l’ARC au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). Je suis d’avis que l’enseignement de la Cour suprême du Canada joue tout autant en ce qui concerne les actes des agents de l’ARC au sens de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »).

 

[22]        Les parties pertinentes de l’arrêt Jarvis ont mis l’accent sur les outils d’inspection et de requête fournis à l’ARC aux termes des paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) de la LIR. Le libellé des paragraphes 288(1) et 289(1) de la LTA est presque identique à celui des paragraphes 231.1(1) et 231.2(1), respectivement, de la LIR. L’objet de ces dispositions est le même.

 

[23]        Les paragraphes 288(1) et 289(1) de la LTA sont ainsi libellés :

 

*       288(1) Une personne autorisée peut, en tout temps raisonnable, pour l’application ou l’exécution de la présente partie, inspecter, vérifier ou examiner les documents, les biens ou les procédés d’une personne, dont l’examen peut aider à déterminer les obligations de celle-ci ou d’une autre personne selon la présente partie ou son droit à un remboursement. À ces fins, la personne autorisée peut :

*        

*                 a) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est exercée une activité commerciale, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou une activité commerciale ou sont tenus, ou devraient l’être, des documents;

*                  

*                 b) requérir les propriétaire ou gérant du bien, de l’entreprise ou de l’activité commerciale ainsi que toute autre personne présente sur le lieu de lui donner toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application ou à l’exécution de la présente partie et, à cette fin, requérir le propriétaire ou le gérant de l’accompagner sur le lieu.

[…]

 

289(1) Malgré les autres dispositions de la présente partie, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution d’un accord international désigné ou de la présente partie, notamment la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne en vertu de la présente partie, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

 

a) qu’elle lui livre tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration selon la présente partie;

 

*                 b) qu’elle lui livre des documents.

*                  

[24]        Pour rendre sa décision dans l’affaire Jarvis, la Cour suprême du Canada a examiné le cadre législatif de la LIR, en se concentrant sur la nature réglementaire de la loi ainsi que sur le fait que le système de recouvrement de l’impôt instauré par la LIR est fondé sur l’autocotisation et l’autodéclaration[6].

 

[25]        Le cadre législatif de la LTA est similaire à celui de la LIR. La LTA est une loi à caractère réglementaire qui encadre la manière de calculer et de percevoir la taxe sur les produits et services (la « TPS ») fédérale[7]. La procédure de recouvrement de la TPS se fonde essentiellement sur l’autocotisation et l’autodéclaration. Les inscrits aux fins de la TPS ont la qualité d’agents du gouvernement pour percevoir la taxe, demandent des crédits de taxe sur les intrants au titre de la taxe qu’ils paient sur l’achat de biens et de services, calculent le montant de la taxe qu’ils doivent verser (ou les remboursements auxquels ils ont droit) pour une période de déclaration donnée, que ce soit un mois, un trimestre ou un an, et ils déclarent ce montant à l’ARC dans la déclaration de TPS qu’ils sont tenus de produire.

 

[26]        Comme pour l’impôt sur le revenu, la bonne administration de la TPS dépend de la franchise du contribuable. En outre, comme pour l’impôt sur le revenu, la nature du système de recouvrement de la TPS instaure un obstacle à cet égard. En fait, le problème est plus grave en ce qui concerne la TPS. Le problème a trait à la partie de la déclaration de TPS qui montre comment l’inscrit aux fins de la TPS établit le montant de la taxe qu’il doit verser ou le montant du remboursement auquel il a droit. Elle ne comporte que quatre lignes. Il sera toujours impossible, par conséquent, d’établir à partir de la seule déclaration de TPS si des irrégularités ont été commises dans la préparation de cette déclaration. Pour ce motif, en conformité avec les conclusions tirées dans l’arrêt Jarvis[8], l’ARC doit être dotée de larges pouvoirs, dans la supervision de ce régime réglementaire, pour vérifier les déclarations de TPS produites par les inscrits aux fins de la TPS et inspecter tous les dossiers qui pourraient être pertinents en ce qui concerne la préparation de ces déclarations.

 

[27]        À l’occasion de l’affaire Jarvis, la Cour suprême du Canada a examiné les dispositions suivantes de la LIR, qui accordent au ministre les pouvoirs nécessaires pour superviser le régime prévu par cette loi :

 

-                     Le paragraphe 230(1), qui impose au contribuable l’obligation de tenir des registres et des livres de compte à son lieu d’affaires ou de résidence au Canada.

 

-                     Le paragraphe 231.1(1), qui permet à la personne autorisée par le ministre d’inspecter, de vérifier ou d’examiner une grande variété de documents et qui prévoit qu’une personne autorisée peut, au cours de l’enquête, de la vérification ou de l’examen, pénétrer dans un lieu autre qu’une maison d’habitation (la personne autorisée doit avoir un mandat pour pouvoir pénétrer dans une maison d’habitation).

 

-                     Le paragraphe 231.2(1), qui autorise le ministre, par avis écrit, à exiger d’une personne qu’elle fournisse tout renseignement ou qu’elle produise des documents.

 

-                     Le paragraphe 238(1), qui prévoit qu’une infraction passible d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire est commise quand une personne manque à son obligation de produire ses déclarations ou de tenir des registres et des livres de compte.

 

-                     L’article 239, qui prévoit qu’une telle infraction est commise lorsqu’une personne a fait des déclarations fausses ou trompeuses, a détruit ou altéré des documents, a volontairement éludé le paiement de l’impôt, et a conspiré avec une personne pour exercer des activités prohibées.

 

[28]        Les paragraphes 286(1), 288(1) et 289(1), l’article 326 et le paragraphe 327(1) de la LTA confèrent au ministre des pouvoirs similaires, voire identiques, en vue d’encadrer le système de réglementation instauré par la LTA.

 

[29]        Vu que les cadres réglementaires de la LIR et de la LTA sont identiques, et vu que la LIR et la LTA confèrent au ministre des pouvoirs similaires, je suis d’avis que l’enseignement de la Cour suprême du Canada relatif à l’application de l’article 8 de la Charte aux dispositions applicables de la LIR vaut également en ce qui concerne les dispositions pertinentes de la LTA.

 

[30]        En l’espèce, la question centrale a trait à la définition de l’objet prédominant des enquêtes menées par les vérificateurs de l’ARC dans le contexte des vérifications menées à l’égard de 506913 et de Cambridge. Comme la Cour suprême du Canada l’a observé dans l’arrêt Jarvis :

 

À notre avis, lorsqu’un examen dans un cas particulier a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable, les fonctionnaires de l’ADRC doivent renoncer à leur faculté d’utiliser les pouvoirs d’inspection et de demande péremptoire que leur confèrent les par. 231.1(1) et 231.2(1).  Essentiellement, les fonctionnaires [traduction] « franchissent le Rubicon » lorsque l’examen crée la relation contradictoire entre le contribuable et l’État. Il n’existe pas de méthode claire pour décider si tel est le cas. Pour déterminer si l’objet prédominant d’un examen consiste à établir la responsabilité pénale du contribuable, il faut plutôt examiner l’ensemble des facteurs qui ont une incidence sur la nature de cet examen[9].

 

[31]        Je dois rechercher si les vérificateurs de l’ARC qui ont mené une vérification à l’égard de 506913 et de Cambridge ont franchi le Rubicon. En ce qui concerne cette recherche, la Cour suprême a donné les lignes directrices suivantes :

 

Rappelons que, pour déterminer à quel moment la relation entre l’État et le particulier est effectivement devenue une relation de nature contradictoire, il faut tenir compte du contexte, en examinant tous les facteurs pertinents.  À notre avis, la liste suivante de facteurs sera utile pour déterminer si un examen a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable.  À l’exception de la décision claire de procéder à une enquête criminelle, aucun facteur n’est nécessairement déterminant en soi.  Les tribunaux doivent plutôt apprécier l’ensemble des circonstances et déterminer si l’examen ou la question en cause crée une relation de nature contradictoire entre l’État et le particulier.

 

À cet égard, le juge de première instance examinera tous les facteurs, y compris les suivants :

 

a)             Les autorités avaient‑elles des motifs raisonnables de porter des accusations? Semble‑t‑il, au vu du dossier, que l’on aurait pu prendre la décision de procéder à une enquête criminelle?

b)             L’ensemble de la conduite des autorités donnait‑elle à croire que celles‑ci procédaient à une enquête criminelle?

c)             Le vérificateur avait‑il transféré son dossier et ses documents aux enquêteurs?

d)            La conduite du vérificateur donnait‑elle à croire qu’il agissait en fait comme un mandataire des enquêteurs?

e)             Semble‑t‑il que les enquêteurs aient eu l’intention d’utiliser le vérificateur comme leur mandataire pour recueillir des éléments de preuve?

f)              La preuve recherchée est‑elle pertinente quant à la responsabilité générale du contribuable ou, au contraire, uniquement quant à sa responsabilité pénale, comme dans le cas de la preuve de la mens rea?

g)             Existe‑t‑il d’autres circonstances ou facteurs susceptibles d’amener le juge de première instance à conclure que la vérification de la conformité à la loi était en réalité devenue une enquête criminelle?[10]

 

Application du droit aux faits relatifs aux requérantes

 

Résumé des faits

 

[32]        506913 a été constituée en société le 30 avril 1998[11] et a commencé ses activités en mai 1998. Dans la modification à l’avis d’appel qui a été déposée le 26 septembre 2003, il est déclaré que 506913 était une concessionnaire dont les activités consistaient à acheter, à vendre et à exporter des automobiles[12].

 

[33]        506913 produisait ses déclarations de TPS sur une base mensuelle. Dans sa première déclaration de TPS, 506913 a demandé un remboursement de 320 000 $, relatif à sa période mensuelle de déclaration de TPS qui s’est terminée le 31 mai 1998[13]. Quand l’inscrit aux fins de la TPS réclame un remboursement dans sa première déclaration de TPS, la pratique normale de l’ARC consiste à mener une vérification à l’égard de la déclaration. Par conséquent, en août 1998, l’ARC a confié à M. George LeBlanc la tâche de mener une vérification à l’égard de 506913[14].

 

[34]        À l’époque où M. LeBlanc s’est vu confier la mission de mener une vérification à l’égard de 506913, il se livrait à une vérification à l’égard d’un concessionnaire de Moncton, Moncton Chrysler Dodge (« Moncton Chrysler »). On lui avait confié la mission de mener une vérification à l’égard de Moncton Chrysler en juin 1998. Il a abandonné cette vérification en août pour commencer celle de 506913[15].

 

[35]        M. LeBlanc a mené une vérification à l’égard de 506913 jusqu’en novembre 1998. Pendant cette période, il a élargi la portée de sa vérification pour y inclure les déclarations de TPS mensuelles que 506913 avait produites pour juin, juillet, août et septembre 1998. 506913 a demandé des remboursements de plus de 485 000 $ dans ces déclarations produites sur une base mensuelle.

 

[36]        En novembre 1998, M. LeBlanc a mis fin à la vérification qu’il menait à l’égard de 506913 et a repris sa vérification à l’égard de Moncton Chrysler. Toutefois, il est demeuré chargé du dossier de la vérification menée à l’égard de 506913. Il semble également qu’il a autorisé le versement de remboursements à 506913. En décembre 1998, le gouvernement a versé à 506913 des remboursements de TPS s’élevant à environ 600 000 $. Ces remboursements étaient constitués des montants réclamés par 506913 dans ses déclarations de TPS pour ses périodes de déclaration qui s’étaient terminées entre le 1er mai 1998 et le 30 septembre 1998, moins un ajustement de 200 000 $ que l’ARC a effectué à l’égard de la période de déclaration de TPS de 506913 qui s’était terminée en mai 1998[16].

 

[37]        506913 a continué de réclamer d’importants remboursements dans ses déclarations de TPS produites sur une base mensuelle. L’ARC a versé à 506913 environ 4,3 millions de dollars par suite des remboursements que 506913 avait réclamés dans ses déclarations de TPS produites pour les périodes qui se sont terminées entre le 1er octobre 1998 et le 31 juillet 2000. La somme de 4,3 millions correspond au montant total réclamé par 506913 pendant cette période[17].

 

[38]        Le 17 février 2000, M. LeBlanc a transmis le dossier relatif à la vérification menée à l’égard de Moncton Chrysler au groupe des enquêtes spéciales de l’ARC (le « groupe des ES »)[18]. L’ARC a nommé M. Ron MacIntyre, agent chargé des enquêtes spéciales auprès de l’ARC, chargé de l’enquête à l’égard de Moncton Chrysler[19]. Par la suite, la Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick a déclaré le directeur de Moncton Chrysler coupable de 30 infractions visées par la LTA[20].

 

[39]        Au début du mois d’avril 2000, M. LeBlanc a accepté un nouvel emploi auprès de l’ARC et a cessé ses fonctions de vérificateur en matière de TPS[21]. M. Yvon Boudreau, vérificateur de l’ARC, a pris la relève de M. LeBlanc dans le dossier de la vérification menée à l’égard de 506913.

 

[40]        M. Boudreau a également été chargé du dossier de la vérification menée à l’égard d’une société établie en Nouvelle‑Écosse dont MM. Daley et Kay étaient propriétaires, Nautica Motors Inc. (« Nautica »). M. Boudreau a choisi de procéder à la vérification relative à Nautica en premier. Il a terminé la vérification relative à Nautica entre le milieu et la fin du mois de mai 2000 et a ensuite entrepris la vérification à l’égard de 506913[22].

 

[41]        Le 25 octobre 2000, M. Boudreau et Mme Claudette Miller, membre du groupe des ES, ont rencontré MM. Daley et Skaling. Mme Miller a donné à ceux‑ci, verbalement, la mise en garde prévue par la Charte relativement au fait qu’ils devaient répondre aux questions qui leur étaient posées au sujet des activités de M. Daley et de 506913[23].

 

[42]        Du 26 octobre au début du mois de décembre 2000, M. Boudreau a continué de mener sa vérification à l’égard de 506913. J’examinerai la nature de son travail ultérieurement dans les présents motifs. Le 16 février 2001, M. Boudreau a transmis ses dossiers de vérification à M. MacIntyre du groupe des ES[24].

 

[43]        En février 2001, Cambridge a produit ses premières déclarations de TPS. Ces déclarations avaient trait aux périodes de déclaration correspondant aux mois de novembre et de décembre 2000. Cambridge a réclamé d’importants remboursements par ces deux déclarations. L’ARC a chargé M. Boudreau d’effectuer une vérification à l’égard de ces déclarations. En février 2001, il a rencontré MM. Skaling et Daley pour discuter de la vérification menée à l’égard des déclarations de Cambridge. Lors de ces rencontres, M. Boudreau a pris conscience du fait que Cambridge et 506913 avaient vendu des véhicules à la même société. M. Boudreau a alors interrompu la vérification. Au début du mois de mars 2001, il a transmis le dossier de Cambridge au groupe des ES[25].

 

[44]        Le 15 novembre 2001, le ministre a établi une cotisation de 8 256 482 $ à l’égard de 506913. La cotisation avait trait aux périodes de déclaration de la TPS qui se sont terminées entre le 1er mai 1998 et le 31 octobre 2000[26].

 

[45]        Le 22 novembre 2001, le ministre a établi une cotisation de 674 472 $ à l’égard de Cambridge. La cotisation avait trait aux périodes de déclaration de la TPS qui se sont terminées entre le 1er novembre 2000 et le 31 décembre 2000[27].

 

[46]        Le 1er juin 2005, des accusations ont été portées au pénal contre 506913, Cambridge et M. Daley. Le 30 juillet 2008, la Cour provinciale de la province du Nouveau‑Brunswick a accordé aux trois accusés une suspension d’instance au motif que les droits que tiraient les accusés de l’alinéa 11b) de la Charte avaient été violés[28].

 

[47]        Il ressort des éléments de preuve dont la Cour dispose montre que l’ARC a mené trois enquêtes à l’égard des requérantes; la première a été menée par M. LeBlanc, la deuxième par M. Boudreau et la troisième par M. MacIntyre et d’autres membres du groupe des ES (l’« enquête de M. MacIntyre »). La première étape de l’analyse relative à la Charte consiste à rechercher l’objet prédominant de chacune de ces enquêtes.

 

Application du droit aux faits

 

[48]        Les requérantes soutiennent que chacune des trois enquêtes était une enquête pénale. Dans leur mémoire de requête, elles soutiennent que les vérifications alléguées qui ont été menées par MM. LeBlanc et Boudreau entre août 1997 et février 2001 s’inscrivaient dans une enquête pénale.

 

[49]        Je prends note du fait que les requérantes soutiennent qu’une enquête pénale a été entreprise à l’égard de 506913 à l’été 1997, près d’un an avant que 506913 soit constituée en société et commence ses activités. Je ne comprends pas comment une enquête pénale à l’égard d’une société aurait pu débuter un an avant que la société en question voie le jour. Quoi qu’il en soit, je ne retiens pas l’idée que les activités de vérification de MM. LeBlanc et Boudreau faisaient partie d’une enquête pénale.

 

[50]        Je tire cette conclusion après avoir examiné les facteurs définis par la jurisprudence Jarvis. J’examinerai maintenant comment ces facteurs jouent en ce qui concerne la présente requête.

 

Facteur 1 : les autorités avaient‑elles des motifs raisonnables de porter des accusations? Semble‑t‑il, au vu du dossier, que l’on aurait pu prendre la décision de procéder à une enquête pénale?

 

[51]        La Cour suprême du Canada a fourni les lignes directrices suivantes à l’égard de l’application de ce facteur :

 

D’abord, la simple existence de motifs raisonnables de croire qu’il peut y avoir eu perpétration d’une infraction est insuffisante en soi pour conclure que l’objet prédominant d’un examen consiste à établir la responsabilité pénale du contribuable. Même lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner la perpétration d’une infraction, il ne sera pas toujours exact de dire que l’objet prédominant de l’examen est d’établir la responsabilité pénale du contribuable. À cet égard, les tribunaux doivent se garder d’imposer des entraves de nature procédurale aux fonctionnaires; il ne serait pas souhaitable de [traduction] « forcer la main des autorités réglementaires » en les privant de la possibilité de recourir à des peines administratives moindres chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une conduite plus coupable. Ce point a été exprimé clairement dans l’arrêt McKinlay Transport, précité,  p. 648, où le juge Wilson affirme : « Le Ministre doit être capable d’exercer ces [larges] pouvoirs [de surveillance], qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi ». Bien que l’existence de motifs raisonnables constitue en fait une condition nécessaire à la délivrance d’un mandat de perquisition pour mener une enquête criminelle (art. 231.3 de la LIR et 487 du Code criminel) et pourrait, dans certains cas, indiquer que les pouvoirs de vérification ont été utilisés à mauvais escient, cet élément ne suffit pas pour établir que l’ADRC mène une enquête de facto. Dans la plupart des cas, si l’on croit raisonnablement à la présence de tous les éléments d’une infraction, il est probable que le processus d’enquête sera enclenché[29].

 

[52]        La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui lui permettrait de conclure que M. LeBlanc était au fait, au cours de la vérification qu’il a menée à l’égard de 506913, de l’existence de quelque motif pour porter des accusations pénales.

 

[53]        Au cours de la vérification qu’il a menée à l’égard de 506913, M. LeBlanc a découvert que 506913 achetait des véhicules auprès de certaines sociétés montréalaises qui ne produisaient pas de déclarations de TPS. Toutefois, lors du voir‑dire, M. LeBlanc a déclaré qu’en soi, ce fait ne prouvait pas que 506913 était mêlée à des activités illégales. Les observations précises qu’il a formulées étaient les suivantes :

 

[traduction]

 

Eh bien, nous savons que le problème vient de la personne qui ne produit pas de déclaration. Cette personne a normalement perçu un montant de taxe plus élevé que celui qu’elle a payé et n’a pas remis. Et nous savons que la perte enregistrée en matière de taxe vient de cette personne. Rien ne prouve qu’il y ait quoi que ce soit d’illégal, en soi, à vendre des marchandises à cette personne ou à lui en acheter. Or, une fois que vous entamez une vérification et que vous procédez à cette vérification, vous pouvez tomber sur certaines choses susceptibles de vous laisser penser que cela pourrait être un problème. Toutefois, en soi, le problème n’est pas là; le problème vient de la personne qui n’a pas produit de déclaration[30].

 

[54]        M. LeBlanc a souligné le fait que pendant la période au cours de laquelle il a concrètement mené sa vérification à l’égard de 506913, entre août et novembre 1998, il n’a rien vu dont il ressortait que 506913 était mêlée à des opérations illégales. En fait, en novembre 1998, il a approuvé le versement à 506913 d’environ 600 000 $, que celle‑ci réclamait à titre de remboursement dans ses déclarations de TPS[31]. Le fait que l’ARC ait versé à 506913 des remboursements d’environ 600 000 $ constitue une preuve solide du fait que l’ARC ne soupçonnait pas 506913, à ce moment‑là, de se livrer à une quelconque activité criminelle. En fait, cela va dans le sens des observations de M. LeBlanc, selon lesquels il ne voyait pas le moindre problème dans les déclarations de TPS que 506913 avait produites[32].

 

[55]        Il semble que la vérification que M. LeBlanc a menée à l’égard de 506913 a, en fait, suscité chez lui des questions concernant Moncton Chrysler. Pendant cette vérification, il a découvert que les véhicules que 506913 avait achetés à des sociétés montréalaises qui ne produisaient pas de déclarations de TPS provenaient de Moncton Chrysler. Par conséquent, en novembre 1998, il a repris sa vérification à l’égard de Moncton Chrysler[33]. Comme il a été mentionné plus tôt, Moncton Chrysler et son principal dirigeant ont finalement été accusés et déclarés coupables d’infractions pénales.

 

[56]        Aucune vérification active ou concrète n’a été menée à l’égard de 506913 entre novembre 1998 et mai 2000. Toutefois, pendant cette période, l’ARC a continué de verser d’importants remboursements à 506913, sur le fondement des déclarations de TPS que 506913 avait produites au cours de cette période.

 

[57]        En prenant la relève de la vérification menée à l’égard de 506913 en mai 2000, M. Boudreau a poursuivi la vérification à l’égard de la société afin de définir la responsabilité civile de celle‑ci aux termes de la LTA. Dans le cadre de cette vérification, M. Boudreau a rencontré MM. Skaling et Daley ainsi que d’autres employés de 506913. Il semble qu’il ait usé des pouvoirs d’enquête et de demande à des tiers que lui confèrent respectivement les articles 288 et 289 de la LTA[34]. Au cours de cette période, l’ARC a continué à verser d’importants remboursements à 506913.

 

[58]        Selon les éléments de preuve dont je dispose, c’est en octobre 2000 que M. Boudreau a pour la première fois reçu une indication du fait que 506913 pourrait être mêlée à des activités criminelles.

 

[59]        En octobre 2000, M. MacIntyre a informé M. Boudreau qu’il avait des éléments de preuve dont il ressortait, selon lui, que 506913 et M. Daley étaient mêlés à un stratagème d’évasion fiscale. En octobre 2000, M. MacIntyre, dans le cadre de son enquête pénale visant Moncton Chrysler, a rencontré un certain Mike Levi. Au cours de la rencontre, qui s’est tenue au cabinet de Scott Fowler, un avocat de Moncton, M. MacIntyre a reçu des renseignements dont il ressortait, selon lui, que 506913 et M. Daley étaient mêlés à un stratagème d’évasion fiscale[35]. Il a alors contacté M. Boudreau et l’a informé que la mise en garde prévue par la Charte devait être donnée avant que ce dernier puisse obtenir des renseignements supplémentaires de la part de 506913 ou de M. Daley[36].

 

[60]        M. MacIntyre n’a pas communiqué à M. Boudreau les éléments de preuve concrets qu’il avait obtenus de M. Levi. MM. Boudreau et MacIntyre exerçaient leurs fonctions dans différents bureaux de l’ARC : M. Boudreau au bureau de Moncton et M. MacIntyre au bureau de Saint John. M. Boudreau a relevé que, quand M. MacIntyre et une autre fonctionnaire de l’ARC, Mme Miller, étaient venus à son bureau à Moncton en octobre 2008, il n’avait aucune raison de croire que 506913 était mêlée à des opérations frauduleuses[37]. En outre, il ne savait pas pourquoi ces deux fonctionnaires étaient venus à son bureau pour lui dire qu’il convenait de donner à 506913 la mise en garde prévue par la Charte. M. Boudreau a déclaré : [traduction] « Je ne… Je ne savais pas pourquoi il [M. MacIntyre] venait me voir. Je n’avais pas la moindre idée de ce… de ce dont il s’agissait… J’avais une vérification à mener et j’allais la poursuivre[38]. »

 

[61]        Comme il a été signalé plus tôt, le 25 octobre 2000, M. Boudreau et Mme Miller ont rencontré MM. Daley et Skaling. Mme Miller a donné, verbalement, la mise en garde prévue par la Charte à MM. Daley et Skaling relativement aux activités de M. Daley et de 506913[39].

 

[62]        Je crois que M. MacIntyre et Mme Miller avaient des motifs raisonnables de procéder à une enquête pénale à la fin du mois d’octobre 2000. En fait, je crois que le groupe des ES a entamé une enquête pénale quand Mme Miller a donné la mise en garde prévue par la Charte le 25 octobre 2000. Pendant son interrogatoire préalable, M. MacIntyre a reconnu que, à ce stade, le groupe des ES avait des motifs raisonnables de croire que M. Daley et 506913 étaient mêlés à des activités criminelles[40].

 

[63]        Vu les éléments de  preuve dont je dispose, je ne suis pas en mesure de conclure que l’ARC avait des motifs raisonnables de porter des accusations avant le 25 octobre 2000. Je ne dispose d’aucun élément de preuve dont il ressort que M. LeBlanc avait, à un moment ou à un autre, découvert des éléments de preuve qui l’avaient amené à croire que 506913 était mêlée à des activités criminelles, ou à le suspecter.

 

[64]        Comme je viens de le discuter, en octobre 2000, M. MacIntyre a informé M. Boudreau qu’il lui fallait faire la mise en garde prévue par la Charte avant de parler à M. Daley ou d’obtenir des renseignements de 506913. Manifestement, cela doit avoir éveillé des soupçons dans l’esprit de M. Boudreau. Toutefois, le groupe des ES n’a pas donné de détails à M. Boudreau au sujet des activités criminelles alléguées de M. Daley et de 506913. C’est en novembre 2000 que pour la première fois M. Boudreau a obtenu un élément de preuve direct du fait qu’il se pouvait que 506913 ait trempé dans des activités criminelles.

 

[65]        En novembre 2000, M. Boudreau a reçu d’un concessionnaire établi à Toronto des renseignements relatifs à cinq VUS de valeur qui ne semblaient pas conformes aux renseignements que 506913 lui avait communiqués. Il est alors entré en contact avec une personne qui exploitait une entreprise de vente aux enchères de voitures au Nouveau‑Brunswick. Les renseignements qui lui ont été envoyés par le concessionnaire de Toronto et la maison de vente aux enchères du Nouveau‑Brunswick l’ont porté à croire qu’il se pouvait que certaines opérations enregistrées dans les dossiers de 506913 n’aient pas été effectuées. Il a alors conclu qu’il était temps de confier le dossier des requérantes au groupe des ES[41].

 

[66]        Je ne dispose d’aucun élément de preuve dont il ressort que M. Boudreau était au courant, avant novembre 2000, de l’existence de n’importe quelle preuve susceptible d’appuyer le dépôt d’accusations au criminel. Bien que les renseignements que M. Boudreau a obtenus en novembre 2000 l’aient amené à soupçonner qu’une infraction avait été commise, il ne ressort pas clairement des éléments de preuve dont je dispose que ces renseignements suffisaient à appuyer le dépôt d’accusations au criminel. Quoi qu’il en soit, le groupe des ES a commencé son enquête criminelle en octobre 2000.

 

Facteur 2 : L’ensemble de la conduite des autorités donnait‑elle à croire que celles‑ci procédaient à une enquête pénale?

 

[67]        En me fondant sur les éléments de preuve dont je suis saisi, je conclus que la conduite de MM. LeBlanc et MacIntyre a été en tout temps conforme à celle qu’il convenait d’adopter pour mener une vérification civile à l’égard des requérantes. La conduite de M. MacIntyre et des autres membres du groupe des ES était conforme à celle qu’il convenait d’adopter pour mener une enquête pénale.

 

[68]        L’avocat de la requérante a soutenu que la conduite de MM. LeBlanc et Boudreau avait en tout temps été conforme à celle qu’il convenait d’adopter pour mener une enquête pénale, parce qu’ils ont passé en revue chaque achat et chaque vente d’automobile effectués par 506913. Il a soutenu que, dans le cadre d’une véritable vérification, l’ARC n’aurait vérifié qu’un échantillon des achats et des ventes et aurait ensuite extrapolé, au moyen de la méthode de l’échantillonnage statistique. M. Skaling a déclaré que 506913 et Cambridge avaient mené 1 271 opérations commerciales à leur terme entre mai 1998 et décembre 2000[42].

 

[69]        Je ne retiens pas l’idée que le fait qu’un vérificateur de l’ARC ait passé en revue chacun des achats et chacune des ventes d’automobile d’un inscrit aux fins de la TPS corrobore le fait qu’une enquête pénale était en cours, par opposition à une vérification civile.

 

[70]        Comme je l’ai signalé précédemment, l’ARC a choisi d’effectuer une vérification à l’égard de 506913, parce que celle‑ci avait demandé un important remboursement dans sa déclaration de TPS produite pour mai 1998, soit sa première période de déclaration de la TPS. Après avoir passé en revue les éléments de preuve dont je dispose, notamment les témoignages de MM. LeBlanc et Boudreau lors du voir‑dire, je dois conclure que les gestes qu’ils ont posés sont normaux de la part de vérificateurs en matière de TPS bien formés au regard de la vérification d’une inscrite telle que 506913.

 

[71]        Du point de vue de l’ARC, eu égard à la vérification, 506913 était clairement une inscrite aux fins de la TPS présentant un risque élevé. Elle était une nouvelle inscrite aux fins de la TPS, qui, pendant ses deux premières années et demi d’activités, avait réclamé des remboursements de TPS de plus de 5,8 millions de dollars. Elle exploitait une entreprise dans un domaine dans lequel il était question de fournitures taxables de grande valeur, à savoir celui de l’achat et de la vente d’automobiles. En outre, au cours de la vérification qu’il a menée, M. LeBlanc a conclu que 506913 achetait des automobiles d’inscrits aux fins de la TPS qui ne produisaient pas de déclarations de TPS ainsi que de sociétés apparentées[43]. Le témoignage suivant, rendu par M. LeBlanc au cours du voir‑dire, montre que la présence de non-déclarants a eu une influence sur les techniques dont l’ARC s’est servie pour mener sa vérification à l’égard de 506913 :

 

[traduction]

 

Q. Et on en vient à juin, juillet, août, et finalement septembre, et je pense que vous avez admis que des procédures plutôt inhabituelles avaient été employées, lesquelles consistaient à traiter tous les mois au fur et à mesure, n’est-ce pas?

 

R. Oui, à ce stade, j’étais chargé d’une procédure de vérification complète.

 

Q. Maintenant, ce que je voudrais savoir, c’est quel était le genre d’objectif que vous vous étiez fixé en tant que vérificateur.

 

R. Eh bien, l’objectif était, bien évidemment, de s’assurer de l’exactitude des renseignements contenus dans les déclarations.

 

Q. Bien.

 

R. Et nous savions que les véhicules avaient été achetés auprès d’un non‑déclarant, alors nous voulions nous assurer que nous devions vraiment payer ces crédits d’impôt et que Nautica [506913] n’était pas mêlée, vous savez, à – avec les non‑déclarants[44].

 

[72]        Comme je l’ai mentionné précédemment, après avoir mené cette partie de sa vérification, M. LeBlanc a conclu que 506913 n’était pas mêlée aux activités des non‑déclarants et, à ce stade, il a autorisé le paiement des remboursements de 600 000 $ des 800 000 $ demandés par 506913.

 

[73]        La vérification visant 506913 était d’autant plus compliquée que 506913 effectuait des fournitures taxables d’automobiles qui étaient potentiellement taxables au taux de 0 % applicable aux exportations, ou au taux de la TPS de 7 % qui s’applique aux fournitures effectuées dans une province non-participante, ou au taux de la TVH de 15 % qui s’applique aux fournitures effectuées dans les provinces participantes. En fait, 506913 n’a pas perçu la TPS sur un certain nombre de véhicules qu’elle a vendus en partant du principe que les ventes avaient été effectuées à l’extérieur du Canada, que les véhicules avaient été vendus au Canada pour être exportés à partir du Canada ou qu’ils avaient été vendus à un Indien inscrit et livrés dans une réserve[45]. Pour que chacune de ces ventes fasse l’objet d’une exonération fiscale, il faut satisfaire à de nombreuses exigences légales, et le fournisseur (506913) doit produire des documents précis pour chaque vente.

 

[74]        Selon moi, il n’est pas inhabituel pour un vérificateur en matière de TPS qui doit faire face à une vérification à aussi haut risque et aussi compliquée de passer en revue chaque vente et achat du fournisseur individuellement, particulièrement quand le bien qui est acheté et vendu est un produit dont le prix est relativement élevé, comme une automobile. Il fallait convaincre MM. LeBlanc et Boudreau du fait que les montants de taxe nette que 506913 a inscrits dans ses déclarations de TPS pour une période de déclaration[46] étaient exacts.

 

[75]        Il est important de rappeler que la partie de la déclaration de TPS qui montre comment un inscrit aux fins de la TPS, tel que 506913, a calculé sa taxe nette est constituée de quatre lignes. La déclaration ne fournit aucun détail relatif au calcul, elle montre simplement le montant total de la TPS perçue ou à percevoir et le montant total du crédit de taxe sur les intrants demandé. Pour établir si ces montants sont exacts, le vérificateur en matière de TPS ne peut qu’examiner les dossiers de l’inscrit aux fins de la TPS. Plus particulièrement, vu que la TPS est une taxe sur les opérations commerciales prélevée sur les fournitures individuelles, qu’il s’agisse de biens ou de services, un vérificateur en matière de TPS doit être convaincu que le montant de la taxe nette qui apparaît dans la déclaration de TPS est fondé sur les opérations commerciales individuelles auxquelles l’inscrit aux fins de la TPS a pris part.

 

[76]        En l’espèce, MM. LeBlanc et Boudreau devaient établir si une nouvelle société, avec peu d’employés, avait facturé la taxe sur ses fournitures au taux adéquat (0 %, 7 % ou 15 %) ou payé la taxe au taux adéquat. Dans la plupart des cas, le taux adéquat dépendait du lieu où l’automobile était livrée ou, dans le cas de certains biens détaxés destinés à l’exportation ou de ventes interprovinciales, du lieu où le bien était livré et du mode de transport après livraison au récipiendaire de la fourniture. En pareil cas, pour établir si l’inscrit aux fins de la TPS a correctement calculé le montant de sa taxe nette, le vérificateur de l’ARC doit passer en revue la documentation propre à chaque opération prise individuellement.

 

[77]        Il ressort des transcriptions du voir‑dire que, en ce qui a trait aux ventes effectuées par 506913, MM. LeBlanc et Boudreau ont concentré la plus grande partie de leurs efforts sur l’obtention des documents justifiant le montant déclaré par 506913 relativement à une fourniture particulière. Par exemple, MM. LeBlanc et Boudreau semblent avoir consacré beaucoup de temps à obtenir les documents appuyant la position de 506913 selon laquelle une partie significative des automobiles vendues étaient exportées à partir du Canada. En ce qui a trait au crédit de taxe sur les intrants demandé par 506913, il semble que les efforts de MM. LeBlanc et Boudreau se concentraient sur l’obtention de documents relatifs aux achats individuels d’automobiles satisfaisant aux exigences documentaires relatives au crédit de taxe sur les intrants telles que prévues par la loi en matière de TPS.

 

[78]        Pour résumer, leur conduite était conforme à la conduite attendue de tout vérificateur en matière de TPS qui s’efforce d’établir le montant de la taxe nette de l’inscrit aux fins de la TPS qui achète et vend des automobiles taxées à divers taux, y compris le taux de 0 % qui s’applique aux exportations.

 

Facteur 3 : Le vérificateur avait‑il transféré son dossier et ses documents aux enquêteurs?

 

[79]        Ce facteur n’est d’aucune utilité, parce que j’ai conclu que M. MacIntyre et d’autres membres du groupe des ES avaient entamé une enquête pénale le 25 octobre 2000. M. Boudreau n’a pas transféré les dossiers de vérification pour 506913 et Cambridge à M. MacIntyre avant février et mars 2001 respectivement.

 

Facteurs 4 et 5 : La conduite du vérificateur donnait‑elle à croire qu’il intervenait en fait en qualité de mandataire des enquêteurs? Semble‑t-il que les enquêteurs aient eu l’intention d’utiliser le vérificateur comme leur mandataire pour recueillir des éléments de preuve?

 

[80]        Le 16 février 2001, M. Boudreau a transféré les dossiers de vérification au service des enquêtes spéciales. Je ne dispose d’aucun élément de preuve dont il ressort que, avant le 16 février 2001, M. LeBlanc ou M. Boudreau avait communiqué ses dossiers de vérification à M. MacIntyre ou à tout autre agent de l’ARC chargé des enquêtes spéciales. M. LeBlanc n’a pas été en rapport avec le groupe des ES au cours de la vérification qu’il a menée à l’égard de 506913[47]. M. Boudreau n’a rencontré aucun membre du service des enquêtes spéciales avant la fin du mois d’octobre 2000. Comme je m’y attarderai brièvement, il a bel et bien poursuivi sa vérification après la rencontre d’octobre 2000; toutefois, sa conduite était celle d’un vérificateur de l’ARC qui se livrait à une vérification, et non celle de quelqu’un qui intervenait comme représentant du groupe des ES.

 

Facteur 6 : La preuve recherchée est‑elle pertinente quant à la responsabilité générale du contribuable ou, au contraire, uniquement quant à sa responsabilité pénale, comme dans le cas de la preuve de la mens rea?

 

[81]        Comme je l’ai déjà signalé, les renseignements que les vérificateurs recherchaient avaient trait au calcul de la taxe nette de 506913 et de Cambridge telle qu’elle apparaissait dans leurs déclarations de TPS. Ils n’avaient pas trait à la mens rea.

 

Facteur 7: Existe‑t‑il d’autres circonstances ou facteurs susceptibles d’amener le juge de première instance à conclure que la vérification de la conformité à la loi était en réalité devenue une enquête pénale?

 

[82]        L’avocat des requérantes a évoqué trois autres facteurs que la Cour juge pertinents : le fait que l’ARC aie été au courant des stratagèmes de vente-rachat rapide d’automobiles auxquels prenaient part des non‑déclarants, l’enquête menée par la GRC au sujet des stratagèmes de vente‑rachat rapide d’automobiles et la tenue par un bureau de l’ARC de la Nouvelle‑Écosse d’une banque de donnée contenant des renseignements relatifs aux véhicules motorisés. J’examinerai chacun de ces facteurs.

 

Le fait que l’ARC aie été au courant des stratagèmes d’achat-vente rapide d’automobiles

 

[83]        Les nombreuses pièces que les requérantes ont déposées en preuve montrent qu’au début de l’année 1997, l’ARC était au fait d’opérations frauduleuses qui avaient cours dans l’industrie automobile, y compris d’achat‑vente rapide d’automobiles, d’achats et de ventes d’automobiles par des non‑déclarants ainsi que de ventes de voiture prétendument frauduleuses à des Indiens inscrits[48]. En outre, il ressort des éléments de preuve que l’ARC a pris diverses mesures en vue de former ses vérificateurs pour qu’ils soient en mesure de reconnaître ces stratagèmes et de reconnaître les non‑déclarants ainsi que les parties travaillant avec eux. C’est ce qu’illustre l’expérience de M. LeBlanc au cours de la période en cause.

 

[84]        À l’époque où M. LeBlanc menait sa vérification à l’égard de 506913, il savait que les stratagèmes d’achat‑vente rapide d’automobiles constituaient un problème sérieux pour l’ARC. C’est ce qui ressort des faits suivants :

 

                       À l’automne 1997, à Ottawa, M. LeBlanc a assisté à une conférence de l’ARC au sujet de l’achat-vente rapide d’automobiles[49].

 

                       En juillet 1997, M. LeBlanc a entrepris une vérification en matière de TPS à l’égard du Canadian Auction Group. En avril 1998, il a transmis le dossier relatif à cette vérification au groupe des ES de l’ARC[50].

 

                       Entre 1998 et 2000, les bureaux de l’ARC des quatre provinces atlantiques ont mis sur pied un comité de coordination des vérifications. Ce comité avait pour objet d’examiner des vérifications menées à l’égard des concessionnaires automobiles, son travail se concentrant sur les stratagèmes potentiels d’achat‑vente rapide d’automobiles[51]. Le comité n’était constitué que de vérificateurs. M. MacIntyre a déclaré que  cela ne [traduction] l’« intéressait pas. Il s’agissait de questions de vérification[52] ».

 

                       En février et en mars 1999, M. LeBlanc a participé au programme [traduction] « En route » de l’ARC. Ce programme avait pour but de donner de l’information aux concessionnaires d’automobiles neuves et usagées sur les stratagèmes d’achat‑vente rapide d’automobiles et de s’efforcer d’apprendre des concessionnaires ce qui se passait sur le marché. L’ARC avait mis en œuvre des programmes similaires dans le passé dans les secteurs de la construction, de l’accueil et de la pêche[53].

 

                       En septembre 2001, M. LeBlanc a participé à une conférence nationale de l’ARC sur l’achat‑vente rapide d’automobiles[54].

 

[85]        Je suppose que M. Boudreau a eu des expériences similaires.

 

[86]        Le fait que l’ARC ait entrepris des démarches en vue de sensibiliser ses vérificateurs à l’existence de stratagèmes d’achat-vente rapide d’automobiles auxquels prenaient part des non-déclarants ne signifie pas que les vérificateurs ne pouvaient plus faire leur travail. Manifestement, cette démarche de sensibilisation avait pour but de permettre au vérificateur en matière de TPS de rechercher si l’inscrit aux fins de la TPS à l’égard duquel il menait une vérification prenait part à un stratagème frauduleux. Comme M. LeBlanc l’a souligné, une fois qu’il se rendait compte qu’un inscrit prenait part à un tel stratagème, il interrompait la vérification et transmettait le dossier au service des enquêtes spéciales[55]. Il n’a pas tiré à une telle conclusion du temps où il menait une vérification à l’égard de 506913.

 

L’enquête menée par la GRC à l’égard des stratagèmes d’achat‑vente rapide d’automobiles

 

[87]        À la fin de l’année 1999, l’ARC a informé la GRC de l’existence de stratagèmes d’achat‑vente rapide d’automobiles[56]. En réponse aux informations reçues de l’ARC, la GRC a préparé, en février 2000, un rapport détaillé intitulé [traduction] Projet Annotation, lequel recommandait d’entreprendre une enquête nationale à l’égard des stratagèmes d’achat‑vente rapide d’automobiles relevant du crime organisé (le « rapport Projet Annotation »)[57]. Le rapport soulignait le fait qu’aucune enquête active n’était en cours pendant la préparation du rapport[58] et que l’enquête serait la [traduction] « première tentative nationale, intergouvernementale et multipartite de s’attaquer à l’organisation criminelle par la saisie et la confiscation de biens, en fonction de leur participation à la fraude à la TPS[59] ». Il semble que, dans le rapport Projet Annotation, on envisageait de faire appel aux nouveaux pouvoirs d’enquête que le législateur avait accordés à la police en mai 1997, en vertu de la législation fédérale en matière de crime organisé[60].

 

[88]        En juillet 2000, un agent de la GRC, le sergeant T. G. Shean, a préparé un second rapport intitulé [traduction] Fraude à la TPS, province du Nouveau‑Brunswick (le « rapport de la GRC sur le Nouveau‑Brunswick »). Apparemment, le rapport Projet Annotation ne s’appliquait pas au Nouveau‑Brunswick[61]. Dans le rapport de la GRC sur le Nouveau‑Brunswick, on soulignait que la première étape d’une enquête menée au Nouveau‑Brunswick consisterait à se concentrer sur le passé des cibles identifiées [traduction] « en vue de formuler des recommandations judicieuses ». Un second rapport serait préparé une fois qu’on aurait établi la viabilité d’une enquête approfondie[62].

 

[89]        Dans le second rapport de la GRC sur le Nouveau‑Brunswick, Cambridge Leasing Ltd. et Nautica Motors étaient désignées comme des sujets dignes d’intérêt au Nouveau‑Brunswick[63]. Il semble que la GRC a désigné ces deux sociétés parce qu’elles avaient reçu d’importants remboursements de TPS.

 

[90]        Selon moi, voir le nom de Cambridge Leasing Ltd. dans le rapport prête pour le moins à confusion. Au vu des renseignements dont je dispose, je comprends que la première déclaration de TPS dans laquelle Cambridge Leasing Ltd. a réclamé un remboursement est celle qu’elle a produite pour la période de déclaration allant du 1er au 30 novembre 2000, soit quatre mois après la préparation du rapport de la GRC sur le Nouveau‑Brunswick. Toutefois, je retiens l’idée que la mention de Nautica Motors soit une référence à 506913, qui exerçait ses activités sous le nom de Nautica Motors.

 

[91]        Le rapport Projet Annotation et le rapport de la GRC sur le Nouveau‑Brunswick font tous les deux état du fait que l’ARC ne pouvait pas communiquer à la GRC les renseignements recueillis auprès de déclarants et de tiers, à moins qu’elle et la GRC ne signent un protocole d’entente[64].

 

[92]        Dans la deuxième moitié de l’année 2000, le sergent Shean a rencontré divers membres du groupe des ES de l’ARC afin de discuter de la possibilité de mener une enquête commune[65] (l’« enquête au Nouveau‑Brunswick »). Lors du voir‑dire, il a affirmé qu’il n’avait rencontré ni M. LeBlanc ni M. Boudreau ni aucun autre vérificateur en matière de TPS au cours de l’enquête au Nouveau‑Brunswick[66].

 

[93]        En février 2001, on a approché le sergent Tim Feeney de la GRC pour lui demander de se charger de l’enquête au Nouveau‑Brunswick[67]. Le 26 avril 2001, la GRC et l’ARC avaient signé le protocole d’entente requis[68]. À la fin mai 2001, après que la GRC et l’ARC ont signé le protocole d’entente, le sergent Feeney a rencontré M. MacIntyre pour la première fois[69].

 

[94]        En août 2003, la GRC s’est retirée de l’enquête conjointe quand elle a réalisé qu’elle n’avait plus le pouvoir de saisir des biens dans le contexte d’infractions à la LTA[70].

 

[95]        L’enquête nationale que la GRC menait à l’égard des stratagèmes d’achat‑vente rapide d’automobiles était une enquête entièrement distincte des vérifications menées par MM. LeBlanc et Boudreau à l’égard de 506913 et de Cambridge. Le rapport Projet Annotation ne s’appliquait pas au Nouveau‑Brunswick.

 

[96]        Selon les éléments de preuve dont je suis saisi, MM. LeBlanc et Boudreau, qui ont mené les vérifications en cause à l’égard des requérantes, n’ont pris part ni à l’enquête relative au rapport Projet Annotation ni à celle relative au rapport sur le Nouveau‑Brunswick. En outre, la GRC n’a pas eu aces aux dossiers de vérification de l’ARC avant le 26 avril 2001, près de deux mois après que M. Boudreau a cessé de mener sa vérification à l’égard des requérantes.

 

[97]        M. Boudreau a bien rencontré un agent de la GRC en mai ou en juin 2000. La GRC a sollicité l’aide de M. Boudreau eu égard à la valeur de deux véhicules qui avaient été importés en République tchèque[71]. Il semble que la GRC cherchait à recueillir les renseignements demandés par Interpol en juin 1999 relativement à des véhicules importés en République tchèque[72]. La demande d’Interpol semble être liée à l’enquête menée par une tierce partie en République tchèque.

 

La banque de données tenue par le bureau de l’ARC en Nouvelle‑Écosse

 

[98]        Un bureau de l’ARC en Nouvelle‑Écosse a mis en place une banque de données retraçant l’historique des ventes de certains véhicules. Tout agent de l’ARC pouvait facilement avoir accès aux informations contenues dans cette banque de données en entrant le NIV (numéro d’identification du véhicule). Il semble que la plupart des informations venaient de vérificateurs de l’ARC établis en Nouvelle‑Écosse et au Nouveau‑Brunswick.

 

[99]        On ne saurait inférer le fait d’avoir eu recours à cette banque de données n’indique pas que les vérificateurs prenaient part à des enquêtes criminelles. Selon moi, il s’agit d’un bon outil de vérification permettant aux vérificateurs d’obtenir efficacement des renseignements utiles en vue de connaître le propriétaire ainsi que le lieu de fourniture d’un véhicule.

 

L’enquête parallèle de M. Boudreau

 

[100]   Le dernier facteur pertinent que je dois prendre en considération a trait aux activités menées par M. Boudreau après que les membres du groupe des ES ont commencé leur enquête criminelle le 25 octobre 2000.

 

[101]   Après la rencontre du 25 octobre 2000 entre M. Boudreau, Mme Miller, M. Daley et M. Skaling, M. Boudreau a continué sa vérification à l’égard de 506913.

 

[102]   Toutefois, au cours de cette période, il n’a pas rencontré M. Daley ou tout autre employé ou représentant de 506913. Il n’a pas non plus obtenu de documents de la part de 506913. Il a concentré sa vérification sur les renseignements qu’il a reçus pendant cette période de la part de services d’immatriculation de véhicules à moteur en Ontario et au Québec. Il a également eu des discussions au sujet de l’achat de véhicules avec des tierces parties. Certaines d’entre elles lui ont envoyé des informations par télécopieur. Il n’a parlé à aucun représentant d’institutions financières[73].

 

[103]   Il a mis fin à sa vérification en novembre 2000, lorsqu’il a obtenu les renseignements dont il a été question plus tôt au sujet de cinq VUS de grande valeur.

 

[104]   Au début du mois de décembre 2000, M. Boudreau a rencontré M. MacIntyre[74] à Moncton afin de discuter du transfert du dossier de vérification relatif à 506913 au service des enquêtes spéciales. MM. Boudreau et MacIntyre ont décidé de retarder le transfert du dossier jusqu’au moment où M. Boudreau aurait reçu tous les renseignements relatifs aux véhicules de la part des services d’immatriculation provinciaux. Le 16 février 2001, M. Boudreau a transféré les dossiers à M. MacIntyre[75].

 

[105]   Au vu de la preuve qui m’a été présentée, j’ai conclu que les activités menées par M. Boudreau entre le 25 octobre 2000 et le 16 février 2001 constituaient une vérification administrative qu’il a menée en même temps que le groupe des ES menait son enquête criminelle. Dans l’arrêt Jarvis, la Cour suprême du Canada a reconnu la légitimité de telles enquêtes parallèles de la manière suivante :

 

Le critère de l’objet prédominant n’empêche pas l’ADRC de mener parallèlement une enquête criminelle et une vérification administrative.  Le fait que l’ADRC enquête sur la responsabilité pénale d’un contribuable n’écarte pas la possibilité que soit menée simultanément une enquête dont l’objet prédominant consiste à évaluer l’obligation fiscale du même contribuable. […][76]

 

[106]   En l’espèce, les enquêtes parallèles n’ont pas entraîné de violation de l’article 8 de la Charte. L’objet prédominant de l’enquête que M. Boudreau a menée pendant la période susmentionnée n’a pas changé : il consistait à établir le montant de la dette fiscale de 506913 en application de la LTA.

 

Conclusion

 

[107]   Pour les motifs susmentionnés, j’ai conclu que les requérantes n’avaient pas souffert d’une violation de leurs droits garantis par l’article 8 de la Charte. L’objet prédominant des enquêtes menées par MM. LeBlanc et Boudreau était, en tout temps, l’établissement de la dette fiscale de 506913 et de Cambridge au titre de la LTA. Contrairement à ce que les requérantes prétendent, ils n’ont pas mené une enquête criminelle sous couvert de l’exercice de leur pouvoir de vérification.

 

[108]   Ayant conclu que l’article 8 de la Charte n’avait pas été violé, je n’ai pas à me pencher sur la question de l’application du paragraphe 24(2) de la Charte.

 

La question du mandat de perquisition

 

[109]   En mai, en juin et en septembre 2004, le juge Michael McKee de la Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick a délivré un certain nombre de mandats de perquisition (collectivement appelés les « mandats de perquisition ») aux termes des dispositions applicables du Code criminel. Certains mandats de perquisition autorisaient les autorités à rechercher certains documents comptables de 506913 et de Cambridge au domicile de M. Daley, dans les bureaux de 506913 ainsi que dans les bureaux d’une autre société à dénomination numérique (053999 NB Ltd.)[77]. Le juge McKee a également délivré des mandats généraux qui autorisaient la collecte de renseignements de nature financière auprès de certaines institutions financières[78]. Il semble que tous les mandats de perquisition ont été exécutés.

 

[110]   Le 13 octobre 2004, les requérantes et M. Daley ont présenté, devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick, une demande de contrôle judiciaire à l’égard des décisions de mai et de juin 2004 de délivrer des mandats de perquisition, cherchant ainsi à obtenir leur annulation. À titre subsidiaire, ils ont présenté une requête en extraction de certains paragraphes des renseignements contenus dans ces mêmes mandats.

 

[111]   Le 14 octobre 2004, le juge David Russell a rendu sa décision de rejeter la requête[79]. Il a noté que les raisons sur lesquelles la demande de contrôle judiciaire s’appuyait étaient les suivantes :

         

          [traduction]

 

a)         au total, 17 cas de non‑divulgation par l’informateur, Ronald MacIntyre, dans le contexte de la dénonciation en vue d’obtenir des mandats de perquisition datée du 20 et du 31 mai 2004 ainsi que la non‑divulgation de la coopération de la requérante au cours de la vérification;

 

b)         l’emprunt de documents par des agents, représentants et employés du ministre du Revenu national, ce qu’on a prétendu être contraire à la politique établie du ministère;

 

c)         au cours des perquisitions menées à divers endroits, les agents de l’Agence du revenu du Canada ont recherché et prétendument saisi des documents qui n’entraient pas sous le coup du calendrier et des parties prévus dans les mandats de perquisition;

 

d)         Ronald MacIntyre a saisi divers ordinateurs au lieu d’imprimer l’information;

 

e)         l’ARC a saisi des documents protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat;

 

f)         la dénonciation en vue d’obtenir des mandats de perquisition n’établit pas de lien entre des dossiers enregistrés sur support électronique et les infractions en cause;

 

g)         la dénonciation en vue d’obtenir des mandats de perquisition manque de précision à l’égard des informations enregistrées sur support électronique;

 

h)         on allègue que la saisie de l’équipement informatique était une « recherche à l’aveuglette »[;]

 

i)          la description des documents qui est faite aux alinéas 1d) et 2d) des mandats de perquisition est trop générale;

 

j)          on allègue que les requérantes n’ont pas reçu de mise en garde de la police avant le ou vers le 3 mai 2001;

 

k)         l’ARC a usé de pouvoirs de vérification au cours d’une enquête, en contravention des articles 7, 8, 10 et 11 de la Charte canadienne des droits et libertés;

 

l)          la camionnette du requérant, David Daley, a été fouillée sans mandat[80].

 

[112]   Le juge Russell a laissé savoir qu’un mandat de perquisition ne pouvait être annulé par un juge d’appel qu’en cas d’erreur juridictionnelle. Il a conclu qu’une telle erreur n’avait pas été commise eu égard aux mandats de perquisition[81].

 

[113]   Comme elles l’avaient fait pour la requête signifiée à la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick, les requérantes ont présenté à la Cour de nombreuses raisons justifiant la réparation qu’elles demandent, dont les éléments suivants :

 

           La dénonciation en vue d’obtenir les mandats de perquisition ne faisait pas référence à l’article 487 du Code criminel[82].

 

           La dénonciation visant à obtenir les mandats doit être conforme au Code criminel, à défaut de quoi le juge n’a pas la compétence voulue pour délivrer le mandat[83].

 

           L’informateur (M. MacIntyre) a omis de divulguer des renseignements importants au juge qui a délivré les mandats[84].

 

           Les mandats de perquisition ou la dénonciation relative à M. Daley faisaient simplement référence à [traduction] « ses » papiers d’affaires, et non aux papiers d’affaires des requérantes en l’espèce[85].

 

           La dénonciation en vue d’obtenir les mandats présentait des lacunes en ce qui a trait aux objets de la fouille ainsi qu’au lien entre ces objets et les crimes allégués[86].

 

           Le mandat de perquisition du domicile de M. Daley aurait dû faire référence au lieu qui devait faire l’objet de fouilles à l’intérieur de son domicile[87].

 

           Rien ne justifiait qu’un mandat ait été délivré au titre de l’article 487 du Code criminel[88].

 

           le juge présidant l’instance a omis de demander les renseignements pertinents dans la dénonciation en vue d’obtenir le mandat; il s’agissait d’une violation de l’article 24 de la Charte et du principe de l’inviolabilité (respect de la vie privée) du domicile.

 

           La dénonciation en vue d’obtenir les mandats n’établissait pas de lien entre les renseignements sur support informatique qui ont été saisis et les crimes prétendus[89].

 

           les mandats étaient viciés considérant que [traduction] « l’ARC conduisait une enquête à l’égard des requérantes et a obtenu des documents, des déclarations orales et d’autres informations de leur part, et ce, même après que la Division des enquêtes spéciales de l’ARC et la GRC sont intervenus dans le dossier, leur objet prédominant étant de mener une enquête criminelle »[90].

 

[114]   Au cours de l’audience, j’ai eu beaucoup de mal à comprendre ce que l’avocat des requérantes demandait exactement à la Cour. En premier lieu, il a soutenu que la Cour devait soit annuler les mandats délivrés par la Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick, soit déclarer que les perquisitions effectuées aux termes des mandats étaient des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives et constituaient une violation de la Charte[91].

 

[115]   Après que j’ai manifesté des inquiétudes quant au fait que cela pouvait constituer une attaque indirecte, il a changé d’argument et a affirmé ce qui suit : [traduction] « … nous ne vous demandons pas nécessairement de l’annuler [le mandat], mais nous vous demandons de traiter les renseignements qui ont été obtenus au moyen de ce mandat comme des renseignements obtenus de manière illégale, et à cet égard, vous pouvez examiner le mandat pour voir si celui qui l’a délivré avait la compétence voulue pour le faire[92]. »

 

[116]   Selon moi, peu importe la manière dont l’avocat des requérantes structure son argument, il me demande d’attaquer indirectement une ordonnance d’un tribunal du Nouveau‑Brunswick.

 

[117]   La Cour d’appel fédérale a récemment abordé la question des attaques indirectes dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Blerot[93]. Cet appel traitait de la question de savoir si les parties pouvaient présenter à la Cour fédérale une demande de réparation relative à des mandats de perquisition délivrés par un juge de paix de la province de la Saskatchewan et à un mandat de perquisition délivré par un juge de la Cour provinciale de l’Alberta. La réparation demandée par le défendeur incluait les élément suivants : l’annulation des mandats de perquisition, une ordonnance fondée sur l’article 24 de la Charte écartant les éléments de preuve obtenus au moyen de ces mandats et un jugement déclaratoire portant que les personnes qui ont obtenu les mandats de perquisition n’étaient pas dûment autorisés par la loi à les demander.

 

[118]   Pour rendre sa décision, la Cour d’appel fédérale a étudié la doctrine de l’attaque indirecte et a déclaré ce qui suit :

 

La doctrine relative aux attaques indirectes est décrite par la Cour suprême du Canada dans R. c. Wilson, 1983 CanLII 35 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 594, aux pages 599 et 600 :

 

Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins dêtre infirmée en appel ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très clairement qu’une telle ordonnance ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte; l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement. Lorsqu’on a épuisé toutes les possibilités d’appel et que les autres moyens dattaquer directement un jugement ou une ordonnance, comme par exemple les procédures par brefs de prérogative ou celles visant un contrôle judiciaire, se sont révélés inefficaces, le seul recours qui soffre à une personne qui veut faire annuler l’ordonnance d’une cour est une action en révision devant la Haute Cour, lorsqu’il y a des motifs de le faire. Sans vouloir en dresser une liste complète, de tels motifs comprendraient la fraude ou la découverte de nouveaux éléments de preuve[94].

 

[119]   La Cour d’appel fédérale a alors conclu que, compte tenu des faits de l’affaire dont elle était saisie, les mandats de perquisition délivrés par les autorités provinciales étaient des ordonnances. Elle a alors appliqué la doctrine de l’attaque indirecte et a conclu ce qui suit : « […] Ces ordonnances doivent être contestées devant l’instance qui les a rendues, en suivant la procédure de celle‑ci. […][95] »

 

[120]   Il ressort clairement des faits qui m’ont été présentés que les mandats de perquisition délivrés par le juge de la Cour provincial du Nouveau‑Brunswick étaient des ordonnances. Le fait pour la Cour de remettre en cause ces ordonnances constitue une attaque indirecte. En application de la doctrine de l’attaque indirecte, les requérantes ne peuvent contester ces ordonnances que devant les tribunaux du Nouveau‑Brunswick. Il n’appartient pas à la Cour d’annuler les mandats ou de décider que les tribunaux du Nouveau‑Brunswick n’avaient pas la compétence voulue pour les délivrer.

 

[121]   L’avocat des requérantes a également prétendu que, si je n’annulais pas les mandats ou ne jugeait pas que les tribunaux du Nouveau‑Brunswick n’avaient pas la compétence voulue pour délivrer ces mandats, je devrais néanmoins écarter les éléments de preuve qui ont été obtenus au moyen de ces mandats, en partant du principe que les droits garantis aux requérantes par l’article 8 de la Charte ont été violés. Ce point est théorique, vu que j’ai conclu que les actes des agents de l’ARC ne constituaient pas une violation de l’article 8 de la Charte.

 

[122]   Pour l’ensemble des présents motifs, la requête des requérantes est rejetée et les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 2013.

 

 

« S. D’Arcy »

Juge D’Arcy

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2014.

 

 

François Brunet, réviseur 


[traduction]

ANNEXE A

 

AVIS DE REQUÊTE

 

            Sachez que, aux termes de l’ordonnance rendue par monsieur le juge D’Arcy le 23 mars 2011, les requérantes présenteront une requête à la Cour le 2e jour d’avril 2012, à la Cour fédérale, au 82 Westmorland Street, Fredericton (N.‑B.), à 9 h 30, devant le même juge D’Arcy pour obtenir une ordonnance :

 

            a)         en irrecevabilité et en exclusion de la preuve au procès qui doit commencer le 12 novembre 2012, et ce, en vertu des articles 8 et 24 de la Charte canadienne des droits et liberté, de tous les documents, documents comptables, factures, bons de commande, relevés bancaires, copies papiers, documents relatifs aux ventes, grands livres, journaux et factures de transport ainsi que de certains renseignements (les « renseignements ») recueillis par l’intimée et ses employés, agents, fonctionnaires, vérificateurs et enquêteurs ainsi que par les agents de la GRC, dans le contexte des vérifications et enquêtes qui auraient été menées à l’égard des requérantes entre 1998 et le 31 juillet 2007 ainsi que de tous les calculs, évaluations et feuilles de calculs électroniques afférents, documents comptables, mémoires, courriels, notes de service, lettres, brochures d’information et interrogatoires et déclarations de témoins recueillis, en tout ou en partie, sur le fondement des renseignements en cause. Ces documents incluent notamment :

 

a)         un ensemble de documents portant les numéros de divulgation 932 à 1397 dans la pièce relative à Allen Skaling, R2, et un ensemble de documents portant les numéros 1 à 994 dans la liste des documents de l’intimée dont il est question au paragraphe six, pièce E de l’affidavit de David Daley souscrit le 24 février 2011 et toute copie papier ou électronique de ces documents;

 

b)         un ensemble de documents portant les numéros de divulgation 1 à 931, 24555-59120, 70328 à 73629 dans la pièce 2 relative à Allen Skaling, R2, cotée dans l’interrogatoire préalable de David Daley d’août 2009 et toute copie papier ou électronique de ces documents;

 

c)         tous les documents obtenus au moyen de fouilles, perquisitions ou saisies, dénonciations en vue d’obtenir des mandats généraux ou spécifiques, les ordonnances d’assistance ou les demandes de production de renseignements et tous les affidavits produits par des institutions financières aux termes des autorisations délivrées par le juge entre novembre 2001 et juillet 2007, ou en lien avec elles, ou auxquelles il est fait référence dans le document coté R2 dans l’interrogatoire préalable de David Daley, tel qu’il est décrit ci‑dessus;

 

d)         tous les documents, en format papier ou électronique, créés à partir des documents décrits à l’alinéa c).

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 209

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :       2003-3382(GST)G; 2003-3383(GST)G

 

INTITULÉS :                                    506913 N.B. Ltd. c. Sa Majesté la Reine; et Cambridge Leasing Ltd. c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

                                                                      

DATE DE L’AUDIENCE :              Les 16 et 17 avril 2012 et du 13 au 16 novembre 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge Steven K. D'Arcy

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 24 juin 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats des requérantes :

Me Eugene Mockler, c.r.

Me Kevin Toner

Avocats de l’intimée :

Me John P. Bodurtha

Me Jan Jensen

Me Devon E. Peavoy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les requérantes :

 

               Nom :                                 Eugene Mockler, c.r.

                                                          Kevin Toner

 

               Cabinet :                            E.J. Mockler Professional Corp.

                                                          Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]     Voir-dire dans l’affaire The Queen v. Mark David Daley, 506913 NB Ltd. and Cambridge Leasing Ltd., non publiée, Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick, Numéros de dossiers 17889701, 17889901, 17890001, 30 juillet 2008, reproduit dans l’affidavit de M. Daley, sous la cote O.

[2]    506913 N.B. Ltd. v. McIntyre, 2012 NBQB 225, 27 C.P.C. (7th) 249, au paragraphe 1.

[3] Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643, au paragraphe 25.

[4] 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757 (l’« arrêt Jarvis »), au paragraphe 95.

[5] Ibid., au paragraphe 2.

[6]    Ibid., aux paragraphes 49 et 50.

[7]    La TPS fédérale fait référence à la taxe perçue selon le taux applicable aux opérations considérées comme ayant été effectuées dans une province non harmonisée (actuellement de 5 %) et à la taxe perçue selon divers taux applicables aux opérations considérées comme ayant été effectuées dans une province harmonisée (par exemple, le taux de 13 % qui s’applique actuellement aux opérations considérées comme ayant été effectuées au Nouveau‑Brunswick).

[8]    Précité, au paragraphe 51.

[9]    Ibid., au paragraphe 88.

[10] Ibid., aux paragraphes 93 et 94.

[11] Affidavit de M. Daley, sous la cote F – pièce A-21, Rapport préliminaire de Ron MacIntyre.

[12] Affidavit de M. Daley, sous la cote A, paragraphe 1.

[13] Affidavit de M. Daley, sous la cote K – Affidavit de David Daley souscrit le 1er septembre 2006, sous la cote E, pages 16 à 19 (Dossier sur requête, Cour provinciale du N.‑B., vol. 1).

[14] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir-dire, témoignage de George LeBlanc, à la page 120.

[15] Ibid., aux pages 120 et 121.

[16] Ibid., à la page 121; Affidavit de M. Daley, sous la cote K - Affidavit de David Daley souscrit le 1er septembre 2006, sous la cote E, aux pages 13 à 19 (dossier de requête, Cour provinciale du N.‑B., vol. 1).

[17] Affidavit de M. Daley, sous la cote K - Affidavit de David Daley souscrit le 1er septembre 2006, sous la cote E, à la page 18.

[18] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage de George LeBlanc, à la page 153; Affidavit de M. Skaling, sous la cote  5, interrogatoire préalable de M. MacIntyre, à la page 418.

[19] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 5, interrogatoire préalable de M. MacIntyre, à la page 418.

[20] R. v. Lempen, 2008 NBCA 86, [2008] G.S.T.C. 215.

[21] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir-dire, témoignage de George LeBlanc, à la page 122.

[22] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir-dire, témoignage d’Yvon Boudreau, aux pages 196 et 234.

[23] Ibid., aux pages 196 et 197.

[24] Ibid., aux pages 198 et 240.

[25] Ibid., à la page 200.

[26] Affidavit de M. Daley, sous la cote H.

[27] Affidavit de M. Daley, sous la cote C, au paragraphe 8.

[28] Voir The Queen v. Daley et al., supra, note 1.

[29]    Arrêt Jarvis, précité, au paragraphe 89.

[30] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir-dire, témoignage de George LeBlanc, à la page 124.

[31] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir-dire, témoignage de George LeBlanc, à la page 121.

[32] Ibid., à la page 121.

[33] Ibid.

[34] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir-dire, témoignage d’Yvon Boudreau, à la page 234.

[35] Affidavit de M. Skaling, sous la cote  4, Interrogatoire préalable de Ron MacIntyre, à la page 266.

[36] Affidavit de M. Skaling, sous la cote  3, Voir-dire, témoignage d’Yvon Boudreau, aux pages 195 et 196; Affidavit de M. Skaling, sous la cote  4, Interrogatoire préalable de Ron MacIntyre, à la page 266.

[37] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir-dire, témoignage d’Yvon Boudreau à la page 203.

[38] Ibid. à la page  195.

[39] Ibid., aux pages 196 et 197.

[40] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 4, Interrogatoire préalable de Ron MacIntyre, à la page 266.

[41] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage d’Yvon Boudreau, aux pages 197 et 198.

[42] Affidavit de M. Skaling, au paragraphe 6.

[43] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage de George LeBlanc aux pages 120 et 121.

[44] Ibid., à la page 192.

[45] Ibid., aux pages 119 à 122 et 124.

[46] De manière générale, la taxe perçue (ou à percevoir) moins les crédits de taxe sur les intrants réclamés.

[47]  Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage de George LeBlanc, aux pages 126 et 127.

[48] Voir par exemple l’affidavit de M. Daley, sous la cote K, Affidavit de M. Daley daté du 1er septembre 2006, sous la cote UU-9 (dans le dossier de requête, Cour provinciale du N.‑B., vol. 2).

[49] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir Dire, testimony of George LeBlanc at page 137.

[50] Ibid., à la page 126.

[51] Ibid., à la page 139.

[52] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 5, Interrogatoire préalable de Ron MacIntyre, à la page 391.

[53] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage de George LeBlanc, à la page 123.

[54] Ibid., à la page 141.

[55] Ibid., à la page 126.

[56] Voir l’affidavit de M. Daley, sous la cote F, document no 12, aux pages 1225 à 1232.

[57] Ibid., aux pages 1242 à 1279.

[58] Ibid., à la page 1246.

[59] Ibid., à la page 1248.

[60] Ibid., à la page 1261.

[61] Ibid., aux pages 1289 et 1291.

[62] Ibid., à la page 1291.

[63] Ibid., à la page 1293.

[64] Ibid., aux pages 1242 à 1279 et 1289 à 1294; voir aussi l’affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage de Todd Shean, aux pages 62 et 63.

[65] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage de Todd Shean, aux pages 62 et 63.

[66] Ibid., à la page 62.

[67] Ibid., à la page 78.

[68] Affidavit de M. Daley, sous la cote K, Affidavit de David Daley signé le 1er septembre 2006, sous la cote L (dans le dossier de requête, Cour provinciale du N.‑B., Vol. 1).

[69] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 5, Interrogatoire préalable de Ron MacIntyre, à la page 408.

[70] Ibid., aux pages 415 et 418.

[71] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage d’Yvon Boudreau, aux pages 234 à 238.

[72] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 13, à la page 726.

[73] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir-dire, témoignage d’Yvon Boudreau, aux pages 197 à 198 et 224.

[74] Un second enquêteur de l’ARC, M. Guy Belleisle, était également présent à la rencontre.

[75] Affidavit de M. Skaling, sous la cote 3, Voir‑dire, témoignage d’Yvon Boudreau, aux pages 198 et 240.

[76] Arrêt Jarvis, précité, au paragraphe 97.

[77] Voir, par exemple, l’affidavit de M. Skaling, sous les cotes 9 et 10.

[78] Ibid.

[79] 506913 N.B. Ltd. et al v. R. et al., 2004 NBQB 368 (CanLII).

[80] Ibid., au paragraphe 2.

[81] Ibid., aux paragraphes 3 et 7.

[82] Mémoire de requête des requérantes, au paragraphe 181.

[83] Ibid., Transcription, 14 novembre 2012, à la page 77.

[84] Mémoire de requête des requérantes, au paragraphe 185.

[85] Transcription, 14 novembre 2012, à la page 103.

[86] Ibid., à la page 104.

[87] Ibid.

[88] Ibid., aux pages 120 et 121.

[89] Mémoire de requête des requérantes, au paragraphe 199.

[90] Ibid., au paragraphe 203.

[91] Transcription, le 14 novembre 2012, à la page 75.

[92] Ibid., à la page 87.

[93]  2012 CAF 124, 2012 DTC 5092.

[94]Ibid., au paragraphe 17.

[95]Ibid., au paragraphe 18.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.